Accord sur l'échange des déclarations pays par pays
M. le président. - L'ordre du jour appelle l'examen du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, autorisant l'approbation de l'accord multilatéral entre autorités compétentes portant sur l'échange des déclarations pays par pays.
Discussion générale
M. Christian Eckert, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances, chargé du budget et des comptes publics . - Le Premier ministre l'a dit : chaque jour de cette fin de législature doit être un jour utile. Nous le confirmons encore aujourd'hui. Votre vote d'aujourd'hui est important pour poursuivre, avec la ratification de cet accord multilatéral, cette priorité du Gouvernement depuis 2012, qu'est la lutte contre l'évasion fiscale.
Le Country by Country Reporting (CBCR) ou « reporting par pays » est en effet crucial. Vous vous en souvenez, la loi de finances a établi la déclaration pays par pays. Mais ces déclarations doivent être échangées entre administrations fiscales pour être vérifiées. C'est pourquoi, M. Sapin l'a signé le 17 janvier 2016 à Paris, et il a déjà été signé par cinquante États dans le monde.
Merci à M. Doligé, rapporteur, pour son travail. Ce sujet traverse les clivages partisans.
Le Conseil constitutionnel, saisi par davantage de députés que de sénateurs, avait validé la disposition de la loi de finances pour 2016 (M. Éric Bocquet confirme), jugeant qu'elle ne portait atteinte ni au principe d'égalité, ni à la liberté d'entreprendre, « pour autant que les informations transmises ne soient pas publiques ».
Je me souviens de la loi de finances rectificative de 2016, dans laquelle les députés avaient souhaité un reporting public. J'avais demandé une seconde délibération. Cela m'a valu des attaques personnelles indignes, masquant que dès la loi de finances initiale de 2016, nous avions adopté le reporting pays par pays - sans publication, craignant, à juste titre, un risque d'anticonstitutionnalité.
La France est favorable à un reporting public, dès lors qu'il sera la règle dans l'Union européenne. C'est la position de M. Sapin.
Ce sera constitutionnel si une directive européenne l'impose. (M. André Gattolin le confirme)
L'humilité commande de reconnaître que nous ne sommes pas arrivés au bout du chemin. La France peut cependant être fière de son action nationale et internationale de lutte contre la fraude fiscale, en raison, tout d'abord, de ses résultats quasi exceptionnels, soit 21,2 milliards d'euros en 2015, contre à peine 16 milliards avant 2012.
Les cinq plus gros redressements concernent de grandes multinationales et représentent 3,3 milliards d'euros : nous avons donc des outils contre cette évasion, pour lutter contre les manipulations des prix de transfert ou pour déterminer précisément ce qu'est un établissement stable. Et je le réaffirme, à la différence d'autres pays, nous ne négocions pas !
Nous sommes parvenus à faire entrer plus de 12 milliards d'euros dans les caisses de l'État, soit plus que les budgets de la justice, de la culture et de l'aide au développement réunis, parce que nous mobilisons des moyens législatifs et humains. Pas moins de 80 mesures législatives ont été prises depuis 2012, entre autres, la loi du 6 décembre 2013 de lutte contre la fraude fiscale. Bernard Cazeneuve a créé le Service de traitement des données rectificatives (STDR), qui a localisé près de 30 milliards d'euros d'avoirs à l'étranger et encaissé plus de 7 milliards d'euros de droits et de pénalités. Les redressements ont augmenté de plus de 30 % par rapport à 2009. Cela est dû aussi à la mobilisation des administrations - direction générale des finances publiques (DGFiP) et direction générale des douanes - auxquelles je veille quotidiennement.
Ces résultats sont aussi dus au rôle joué par la France sur la scène internationale depuis 2012. Nous pouvons être fiers de la mise en place de l'échange d'informations et de données financières à compter de 2017, qui mettra fin au secret bancaire et fiscal entre 101 pays, à partir du 1er janvier 2018, mais aussi de l'action de l'OCDE et du G20, où la France fut une force motrice, du BEPS notamment. Nous ne pouvons que nous réjouir de la directive européenne adoptée l'année dernière sur les rulings fiscaux.
Demeurent quelques questions sur cet accord et d'abord sur son champ d'application.
Il vise toutes les entreprises ou groupes réalisant un chiffre d'affaires de plus de 750 millions d'euros. Il s'applique donc aux 10 % d'entreprises qui font 90 % du chiffre d'affaires mondial. Cinquante États l'ont signé, pas les États-Unis, c'est un fait...
M. André Gattolin. - Ni la Russie !
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. - ...or ils ont déjà pris la réglementation, imposant des déclarations pays par pays, certes avec six mois de décalage quant à son entrée en vigueur. On ne peut qu'espérer que les engagements pris seront respectés.
L'accord prévoit des conditions strictes de confidentialité et de réciprocité : en cas de manquement, nous suspendrions notre application de l'accord.
La demande d'une transparence plus large, au-delà de la seule administration fiscale, est légitime. Nous avons eu ce débat, à plusieurs reprises, et le Conseil constitutionnel a tranché.
Doit-on s'arrêter là ? Bien sûr que non ! La France souhaite l'adoption de la directive européenne en négociation en ce moment.
Quant à l'amendement du groupe CRC, qui demande un rapport, il est vrai que nous devons rendre des comptes.
Nous devons remettre annuellement un questionnaire à l'Union européenne sur l'application de ces mesures. Je m'engage à vous le communiquer. je vous propose que cette information soit présentée dans le rapport prévu à l'article 136 de la loi de finances pour 2011 , portant sur les redressements internationaux, notamment sur les prix de transferts.
Je vous demande d'autoriser à votre tour la ratification de cet accord. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)
M. Éric Doligé, rapporteur de la commission des finances . - Mes propos, prononcés en toute indépendance, seront néanmoins assez proches des vôtres, monsieur le ministre. Les entreprises dont le chiffre annuel dépasse 750 millions d'euros doivent transmettre leurs déclarations pays par pays, dans le cadre de l'article 13 du dispositif BEPS de l'OCDE, portant sur les prix de transfert, introduit par anticipation en France dans la loi de finances pour 2016.
L'objectif est de connaître les différentes filiales des groupes d'entreprises multinationales et de révéler d'éventuelles discordances de localisation entre les activités et leur imposition. La lecture des déclarations pays par pays à destination des administrations fiscales intervient donc en amont d'une éventuelle enquête approfondie, afin de déterminer les dossiers prioritaires.
Les États parties à la négociation sont convenus d'une déclaration unique déposée par un groupe d'entreprises auprès de l'administration fiscale du pays de siège, cette déclaration faisant ensuite l'objet d'un échange automatique entre autorités compétentes. Afin de permettre aux services fiscaux français de récupérer les déclarations des entités de groupes d'entreprises ayant leur siège à l'étranger, un accord international entre États parties est nécessaire pour parachever le fonctionnement du mécanisme.
Tel est précisément l'objet de l'accord multilatéral signé à Paris le 27 janvier 2016, qui réunit aujourd'hui la signature de 49 États, parmi lesquels neuf des dix pays hébergeant le plus grand nombre de sièges sociaux des cinq cents plus grandes entreprises mondiales. Préférant conclure des accords bilatéraux, les États-Unis n'ont pas signé cet accord multilatéral.
Cet accord organise les modalités de l'échange automatique des déclarations pays par pays, sous condition de réciprocité, sous l'égide du Secrétariat général de l'OCDE. Il précise également les conditions d'utilisation des données contenues dans la déclaration : en particulier, si elle permet une évaluation générale des risques liés aux prix de transfert, la déclaration ne peut servir de base à des ajustements. Elle permet une analyse risque préalable, afin de définir des priorités. Une enquête approfondie, conduisant notamment à analyser la documentation exhaustive des prix de transfert, doit ensuite être effectuée pour procéder à un éventuel ajustement.
Par ailleurs, l'accord définit des procédures de consultation en cas de difficultés de mise en oeuvre, comme la non-transmission des déclarations par un État partie ou une utilisation inappropriée des données. Une possibilité de suspension temporaire ou définitive de l'échange automatique peut également être décidée par un État partie soit à l'égard d'un autre État partie, soit à l'égard de tous.
J'approuve la conclusion rapide d'un accord équilibré qui permettra une application complète du mécanisme de déclaration pays par pays dès les premières déclarations sur l'exercice 2016, dix-huit mois après leur date de dépôt, soit à compter du deuxième semestre 2018.
Cet accord ne constitue qu'un des trois accords internationaux pouvant prévoir l'échange automatique des déclarations, avec les conventions fiscales bilatérales et les accords bilatéraux d'échange de renseignements fiscaux.
Les échanges entre administrations fiscales européennes sont déjà prévus, de même que la remise d'un bilan annuel à la commission lors de l'examen en commission. Ce matin, lors de l'examen en commission de l'amendement du groupe CRC, nous avons décidé de vous demander la transmission de ce bilan dans le cadre de l'article 136 de la loi de finances pour 2011, et je tiens à vous remercier de l'engagement que vous venez de prendre à cet égard.
Il importe de conclure rapidement des accords bilatéraux avec les États qui n'ont pas signé cet accord multilatéral et qui hébergent le siège de nombreux grands groupes d'entreprises internationales. Ainsi, les États-Unis, qui ont introduit la déclaration pays par pays dans leur droit interne pour les exercices ouverts à compter du 30 juin 2016, ont proposé à la France d'engager les négociations préalables à la conclusion d'un accord bilatéral d'échange. Mais cette matière relève des prérogatives du pouvoir exécutif : le renouvellement de l'administration américaine ne peut qu'accentuer les incertitudes sur la position réelle des États-Unis sur ce dossier. Or leur implication est indispensable pour récupérer les données des groupes américains, mais aussi pour ne pas menacer le consensus né des négociations sur BEPS.
Le projet BEPS prévoit une clause de réexamen en 2020. Grâce à la mise en oeuvre rapide, un premier retour d'expérience sera possible. Pour autant, le clivage qui existait entre pays, notamment entre les États hébergeant le siège de nombreux groupes et les autres concernant les données à inclure dans la déclaration ou le seuil de chiffre d'affaires à partir duquel les entreprises y sont assujetties, pourrait à nouveau se former. Surtout, la volonté des États-Unis de préférer la conclusion d'accords bilatéraux négociés au cas par cas à un accord multilatéral souligne la nécessaire vigilance dont il faudra faire preuve dans la mise en oeuvre de l'échange automatique. Cet aspect est d'autant plus important que dans certains États les barrières entre services fiscaux et entreprises publiques doivent encore être éprouvées...
Je vous propose donc d'adopter le présent projet de loi de ratification sans modification pour éviter des navettes inutiles en l'occurrence. (M. André Gattolin applaudit, ainsi que M. François Marc)
M. Yvon Collin . - Cet accord rassemble une cinquantaine de pays pour consacrer un dispositif déjà établi en droit français. Il permettra de révéler les éventuelles discordances entre déclarations. Fruit d'un remarquable travail de négociation depuis 2012, cet engagement vient rejoindre les accords fiscaux avec beaucoup de pays. Je souligne néanmoins l'absence notable des États-Unis, qui préfèrent les accords bilatéraux.
Le RDSE votera donc cette ratification à l'unanimité, même si le reporting ne sert en principe qu'à repérer des risques et ne permet pas de faire l'économie d'une enquête approfondie. (M. André Gattolin applaudit)
M. Vincent Capo-Canellas . - Chacun se félicite de cette étape significative - et sans doute pas la dernière ! - dans la lutte contre l'évasion fiscale et les entreprises qui font artificiellement glisser leurs bénéfices vers des pays à la faible fiscalité. Les prix de transfert, habituelles techniques de contournement, ne doivent pas nous arrêter. Ce texte apporte des solutions concrètes, en droite ligne des importants travaux de l'OCDE.
La mise à disposition d'informations pays par pays permettra de couvrir un large pan de l'économie. Avec la crise du G8, les États du G20 se sont fixé une priorité : la lutte contre l'évasion fiscale. Cet accord - que d'aucuns jugent tardif ou timoré - en est la concrétisation. Nous le voterons même s'il ne faut pas rester au milieu du chemin. (M. François Marc applaudit)
M. André Gattolin . - « Les paradis fiscaux, c'est fini », disait le président Sarkozy en 2009. Depuis ont été révélés les SwissLeaks, LuxLeaks, FootLeaks, les Panama Papers et la liste des Leaks ne cesse de s'allonger...
Pas plus qu'en 2009, cet accord, qui concrétise une avancée majeure dans la lutte contre l'évasion et la fraude fiscales, ne marquera la fin du dévoiement des règles fiscales par les entreprises multinationales et par quelques pays.
Pour autant, toutes les difficultés auxquelles nous devons faire face ne sont pas abordées par ce texte. Si je me félicite de l'enquête lancée par la médiatrice de l'Union européenne sur les liens entre M. Draghi et l'industrie financière, je reste atterré par notre tolérance collective aux conflits d'intérêts. Mais comment lutter efficacement contre ce fléau en nommant à la tête de la Commission européenne M. Juncker, principal artisan des LuxLeaks, ou en acceptant de voir partir son prédécesseur, M. Barroso, faire fructifier son carnet d'adresses chez Goldman Sachs ! (M. Éric Bocquet approuve)
La lutte contre l'évasion fiscale ne sera pleinement assumée et comprise - que lorsque nous obtiendrons enfin la publicité intégrale des données des grands groupes - à l'échelle européenne ! - pour vaincre les réticences discutables de notre Conseil constitutionnel...
Depuis 2001, le taux moyen de l'impôt sur les sociétés est passé de 32 % à 25 % : c'est le moins-disant fiscal qui est la norme. Pour autant, le groupe écologiste votera ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste républicain et citoyen)
M. François Marc . - Je me félicite de ce projet de loi, adopté unanimement par les députés. La perte de recettes fiscales mondiales est évaluée à un montant entre 100 milliards et 200 milliards d'euros. Cinquante États ont déjà signé l'accord multilatéral permettant l'échange automatique pays par pays. Cet accord s'inscrit dans la droite ligne de l'action du Gouvernement contre l'évasion fiscale : 20 milliards d'euros de redressements l'an dernier, 5 milliards de plus qu'en 2012.
Ce volontarisme s'illustre par la création du Parquet national financier, la taxation à 60 % des avoirs dissimulés à l'étranger, le report de six à dix ans des délais de reprise d'ISF pour les biens non déclarés.
Grâce au volontarisme de la France, les pays de l'Union européenne se sont engagés dans cet accord ; un projet sur la fiscalité européenne est en cours et des avancées sur le ruling ont déjà eu lieu.
La Cour des comptes, ainsi que de nombreux experts, tel Pascal Saint-Amans, spécialiste de la fraude fiscale à l'OCDE, le notent : la France est l'un des pays les plus actifs dans ce domaine, avec l'Inde et le Brésil.
Les recettes liées aux redressements fiscaux ont fortement progressé, supérieures aux budgets de la justice, de la culture et de l'aide au développement. Autant d'impôts en moins pour les Français ! (M. Éric Doligé, rapporteur, applaudit)
M. Éric Bocquet . - Il y a quelques mois, le président du Sénat et d'autres sénateurs saisissaient le Conseil constitutionnel sur la loi Sapin 2, notamment sur la publicité des informations pays par pays, au motif que cette disposition était contraire à la liberté d'entreprendre et faisait peser une charge excessive, qui battrait en brèche le principe d'égalité devant les charges publiques.
Le Conseil constitutionnel n'a pas remis en question la volonté de lutter contre la fraude fiscale, objectif de valeur constitutionnelle mais a permis une petite entorse au principe en indiquant, pour justifier la censure de l'article, qu'il y avait bien une atteinte disproportionnée à la liberté d'entreprendre, au regard de l'objectif poursuivi, puisque les concurrents des entreprises françaises auraient disposé de documents les renseignant sur leur stratégie commerciale. Or 200 groupes et 1 200 filiales sont directement concernés, représentant une grande part de notre économie et de nos recettes fiscales. Le tribunal dans l'affaire Wildenstein a estimé qu'il n'avait pas à se substituer au législateur. Il nous reste bien des progrès à accomplir. Ce texte marque néanmoins une étape, c'est pourquoi nous le voterons. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste républicain et citoyen)
M. Philippe Dominati . - Avec le projet BEPS, l'OCDE s'attaque à l'érosion des bases fiscales. L'accord de janvier va dans cette voie : l'obligation de déclaration pays par pays supposait la réciprocité. Les initiatives unilatérales ont échouées.
La loi du 9 décembre 2016, dite « Sapin 2 », avait été censurée par le Conseil constitutionnel, car elle portait une atteinte excessive à la liberté d'entreprendre.
L'accord de janvier vise les prix de transferts, dont les manipulations permettent aux multinationales de réduire leur impôt, pour un coût estimé de 100 milliards à 240 milliards d'euros. Jusque-là, les administrations fiscales n'avaient accès qu'aux données des établissements implantés sur leur sol. Les entreprises devront communiquer des données sur le chiffre d'affaires, le bénéfice, les pertes avant impôt, le capital social, les actifs corporels, la trésorerie, etc.
Cette déclaration sera destinée au pays où est installé le siège, qui la transmettra automatiquement aux autres pays, sous réserve de réciprocité. Ce texte vise les 10 % des multinationales qui représentent 90 % du chiffre d'affaires agrégé des entreprises mondiales. Les informations ne seront pas publiques.
Le groupe Les Républicains votera ce texte ; comme la commission des finances.
La discussion générale est close.
Discussion des articles
L'article unique est adopté.
ARTICLE ADDITIONNEL après l'article unique
M. le président. - Amendement n°1, présenté par M. Bocquet et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.
Après l'article unique
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
La mise en oeuvre de l'accord multilatéral entre autorités compétentes portant sur l'échange des déclarations pays par pays fait l'objet d'un rapport annuel au Parlement, déposé lors de la première quinzaine d'octobre.
M. Éric Bocquet. - Il est défendu !
M. Éric Doligé, rapporteur. - Cet amendement est satisfait par l'engagement du Gouvernement.
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. - Je renouvelle l'engagement du Gouvernement. Retrait ?
L'amendement n°1 n'est pas adopté.
Le projet de loi est définitivement adopté.
La séance est suspendue à 13 h 25.
présidence de M. Gérard Larcher
La séance reprend à 15 heures.