SÉANCE
du jeudi 12 janvier 2017
43e séance de la session ordinaire 2016-2017
présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires : Mme Frédérique Espagnac, M. Bruno Gilles.
La séance est ouverte à 15 heures.
Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.
Questions d'actualité
M. le président. - L'ordre du jour appelle les questions d'actualité au Gouvernement.
Je vous rappelle que la séance est retransmise en direct sur France 3, Public Sénat et sur le site internet du Sénat. Comme la dernière fois, au nom du Bureau du Sénat, j'appelle chacun de vous, mes chers collègues, à observer au cours de nos échanges l'une des valeurs essentielles du Sénat : le respect des uns et des autres.
Pour des raisons d'ordre pratique que chacun peut comprendre et conformément à la décision de la Conférence des présidents, les auteurs de question pourront utiliser leur droit de réplique s'il leur reste plus de cinq secondes.
Gestion des migrants par les policiers
Mme Esther Benbassa . - Le 7 janvier 2017, la systématisation des violences policières contre les migrants dans la capitale a été dénoncée. La police les harcèle, leur confisque leurs couvertures, fait usage de gaz lacrymogène et huit personnes proches de l'hypothermie ont dû être prises en charge.
La mise en cause des policiers est peut-être un sport national, monsieur le ministre, mais la situation des migrants est inacceptable et la réalité du harcèlement n'a pas été réfutée. Les places d'hébergement manquent. Le centre de la Chapelle est saturé, comme le 115. Dans la nuit de lundi à mardi, une nouvelle évacuation a eu lieu à Paris. Quelles solutions proposez-vous pour que les réfugiés survivent ? (Applaudissements sur les bancs écologistes)
M. Bernard Cazeneuve, Premier ministre . - Vous n'avez pas évoqué plusieurs décisions prises par le Gouvernement comme le passage de 22 000 à 44 000 du nombre de places en centre d'accueil des demandeurs d'asile. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain) Pourquoi ne le dites-vous pas ? C'est l'honneur de ce Gouvernement, comme l'est l'augmentation du nombre de postes à l'Ofpra. De même, nous avons mis fin au drame de Calais. Que ne le rappelez-vous ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)
Pendant les évacuations de Calais, nos policiers aidaient les migrants à accéder aux bus. Telle est notre fierté. Sortons de l'outrance et de la caricature. (Applaudissements sur les bancs des groupes socialiste et républicain, RDSE et sur quelques bancs à droite et au centre)
Procès pour l'accueil des migrants
M. Bernard Vera . - Le 4 janvier dernier, au tribunal de Nice on a requis huit mois de prison avec sursis contre Cédric Herrou pour avoir aidé des réfugiés dans la vallée de la Roya, proche de l'Italie.
Un nombre croissant de Français jugent indignes les insuffisances de l'État en termes d'accueil. Pas moins de onze procès pour ceux qui accueillent ces réfugiés alors même que les régions ont des moyens pour le faire.
Plutôt que son autoritarisme, quelles actions le Gouvernement compte-t-il mettre en place pour que le secours aux réfugiés ne soit plus considéré comme un délit ? (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste républicain et citoyen)
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux, ministre de la justice . - L'État ne fait pas preuve d'autoritarisme. L'article L. 622-1 du Ceseda a été abrogé par une loi du 31 décembre 2012 défendue par Manuel Valls, alors ministre de l'intérieur. Toutefois subsiste dans notre droit positif une incrimination pour lutter contre les filières. Dans le cas d'espèce, le procureur de Nice a estimé qu'il était en face d'un réseau irrégulier. La personne à qui vous faites allusion a aidé 300 personnes en situation irrégulière ; c'est pourquoi elle a été convoquée trois fois devant les juges. Alors qu'elle était passible de cinq ans de prison et de 30 000 euros d'amende, le procureur a requis huit mois avec sursis et la privation de son permis de conduire sous réserve de sa situation professionnelle. Je m'interdis de porter aucune appréciation sur cette décision du procureur. Attendons le verdict, le 10 février prochain. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste républicain et citoyen)
Mme Éliane Assassi. - Tout le monde ne s'appelle pas Mme Lagarde !
M. Bernard Vera. - M. Valls déclarait en 2012 que notre loi ne devait pas s'attaquer à ceux qui en toute bonne foi tendent une main secourable. Le groupe CRC se tient résolument aux côtés des militants associatifs. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste républicain et citoyen)
Syrie
M. Didier Marie . - Depuis cinq ans, le dictateur Bachar al-Assad soutenu par l'Iran et la Russie massacre son peuple. On compte 300 000 tués et la moitié de la population déplacée. Pas une journée ne passe sans images terribles qu'il s'agisse de la chute d'Alep ou du massacre dans la Vallée de la Barada mise à feu et à sang. La France multiplie les initiatives pour sortir du conflit, telles la résolution 2328 du Conseil de Sécurité prévoyant des dispositions humanitaires pour les populations fuyant Alep.
Le Conseil de sécurité a récemment accepté la proposition russe de cessez-le-feu. Des négociations doivent se tenir à Astana, hors du cadre de l'ONU et excluant la coalition internationale anti-Daech dont la France est partie prenante.
Alors que la responsabilité de la Russie dans cette tragédie est claire, que la Turquie joue un rôle trouble et que des renversements d'alliance s'esquissent, que des parlementaires français rendent visite au bourreau de son peuple, que compte faire la France, vis-à-vis de la résolution 2254 des Nations unies, la seule qui offre un choix non entre Bachar al-Assad et Daech mais entre la guerre et la paix ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)
M. Bernard Cazeneuve, Premier ministre . - La France a sur ce conflit une position constante, visant à trouver une solution pacifique pour faire gagner la paix et écraser la menace terroriste.
Depuis l'usage d'armes chimiques par le Gouvernement de Bachar al-Assad, véritable ligne rouge, nous n'avons cessé de plaider pour une solution pacifique. Celle-ci passe par la résolution 2254 qui organisait l'envoi d'observateurs et d'aide humanitaire en Syrie, sur la base de laquelle le cessez-le-feu a pu être signé dans le cadre de l'accord russo-turc.
Nous sommes toujours favorables au dialogue inter-syrien, promouvons une solution politique passant par le dialogue social, mais Bachar al-Assad n'a plus sa place en Syrie pour des raisons politiques, morales, humanitaires. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)
Proximité ?
Mme Françoise Gatel . - Bravo, monsieur le ministre de l'intérieur, pour votre éloge de la vertu de la proximité avec les élus. Mais où est-elle lorsque le nouveau dispositif de délivrance de carte nationale d'identité va être expérimenté dans 27 communes seulement des 350 d'Ille-et-Vilaine ?
Les jeunes et les personnes âgées doivent se déplacer deux fois de plusieurs dizaines de kilomètres, alors qu'aucun moyen de transport n'est à leur disposition.
Quelle est votre conception de la proximité ? Imposer à 36 000 communes de gérer les fax pour assumer les formalités obligatoires une fois qu'on a supprimé les services publics ? (Applaudissements à droite et au centre)
M. Bruno Le Roux, ministre de l'intérieur . - Le Gouvernement cultive la proximité, je le confirme (Exclamations à droite) tout en luttant contre la fraude documentaire et en améliorant l'efficacité de la délivrance des titres d'identité aux usagers.
Le plan mis en oeuvre a fait l'objet d'une concertation approfondie. (« Pas avec nous » à droite) Nous avons retenu la plus haute indemnisation pour les communes proposée par l'Inspection générale de l'administration, soit 36,5 millions.
La demande de carte nationale d'identité implique une confrontation : pas de délivrance à distance.
M. le président. - Il est temps de conclure.
M. Bruno Le Roux, ministre de l'intérieur. Je me rends à Rennes samedi ; je compléterai ma réponse à ce moment.
Mme Françoise Gatel. - Je n'y serai pas, hélas. C'est plutôt sur votre définition de la concertation que j'aurais dû vous interroger. Pour moi, la décentralisation ne consiste pas à transformer les élus locaux en sous-traitants sous-payés ! (Applaudissements nourris à droite et au centre)
Carte de voeux
M. Éric Doligé . - Monsieur le Premier ministre, je me permets de vous lire la carte de voeux que je comptais vous envoyer. Nous n'avons pas hésité à vous applaudir à plusieurs reprises.
M. Didier Guillaume. - Trop peu !
M. Éric Doligé. - Ce qui montre notre ouverture et notre objectivité. Je formule le voeu que vous ne recouriez pas au 49-3...
M. Didier Guillaume - Ici, aucun risque !
M. Éric Doligé. - ...comme votre prédécesseur l'a fait.
M. Jean-Louis Carrère. - Il y a été obligé.
M. Alain Fouché. - Ben voyons !
M. Éric Doligé. - Je souhaite que votre Gouvernement réponde aux questions de la majorité sénatoriale, (Applaudissements épars à droite) sans les esquiver ! Je souhaite également que vous ne subissiez pas une vague de démissions.
M. Didier Guillaume. - Quel niveau affligeant...
M. Éric Doligé. - Je regrette l'absence répétée de Mme Ségolène Royal, (« Ah oui ! » sur les bancs du groupe Les Républicains) alors qu'elle devrait nous réserver la primeur de ses jugements sur Notre-Dame des Landes et sur Fidel Castro. Je vous souhaite enfin une paisible retraite après votre reconversion comme avocat. (« Question ! » à gauche ; applaudissements à droite et au centre)
M. Bernard Cazeneuve, Premier ministre . - La vie politique est faite de moments d'affrontement, mais aussi d'amabilité. Nous venons d'en vivre un. (Rires) À mon tour de vous adresser mes voeux, à vous personnellement, à vos collègues de l'opposition, mais aussi à ceux qui soutiennent le Gouvernement ou qui souhaiteraient le faire. (Rires à gauche)
Je formule le voeu que chaque question qui nous sera posée soit d'un niveau suffisamment élevé pour nourrir le débat. Je souhaite également que nous évitions les outrances et je sais que je peux compter sur vous. (Rires)
Je souhaite que l'amour de notre pays nous aide à faire prévaloir l'intérêt général.
Enfin, je souhaite que l'on applique le programme énoncé pendant les primaires, même après qu'elles ont eu lieu. (Applaudissements sur les bancs écologistes, du RDSE et du groupe socialiste et républicain)
Lycées en ZEP
Mme Mireille Jouve . - Depuis janvier, plusieurs lycées, en région parisienne et dans l'académie d'Aix-Marseille, sont en grève à l'appel d'un collectif de défense des lycées classés en ZEP. Ils sont inquiets pour leur avenir : en effet, à partir de juin 2017, plus aucun texte réglementaire ne garantira le maintien des moyens supplémentaires qui découlent de ce statut : effectif de classes allégé, postes supplémentaires d'assistants d'éducation... Cela à l'heure où l'enquête PISA révèle que notre système éducatif est profondément inégalitaire. Enseignants et lycéens défendent un argument de bon sens : alors que la réforme des réseaux d'éducation prioritaire a été menée en 2014, pourquoi les lycées sont-ils absents de la nouvelle carte ? Sont-ils les oubliés de la réforme ? Le chantier est remis à plus tard, sans doute à trop tard. Les difficultés scolaires et sociales ne s'arrêtent pas à la fin de la troisième !
Vous avez certes promis la prolongation de la clause de sauvegarde jusqu'en 2019 et une dotation d'emploi exceptionnelle dans les lycées les plus défavorisés, mais ces dispositifs, non pérennes, peuvent très bien être abrogés demain. Que fait le Gouvernement sur le long terme ? Ne pourrait-il pas s'engager davantage ? (Applaudissements sur les bancs des groupes RDSE et communiste républicain et citoyen)
Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche . - A-t-il jamais été question de sortir les lycées des ZEP ? La réponse est non. Vous connaissez mon attachement à l'éducation prioritaire, dont les moyens ont été renforcés au cours du quinquennat. Nous avons réformé la carte des ZEP pour les écoles et collèges, il faudra le faire aussi pour les lycées. C'est avant tout une réforme cartographique, qui vise à concentrer les moyens sur les établissements les plus fragiles socialement, en faisant sortir ceux qui vont mieux. Cela suppose des indicateurs sociaux précis, discutés avec les acteurs de terrain.
Cette réforme comprend aussi un volet pédagogique, avec l'introduction d'un référentiel pédagogique, à élaborer dans la concertation, et un volet financier - 350 millions d'euros supplémentaires pour les écoles et collèges. Cela ne peut se faire en quinze jours.
Ce travail est déjà programmé ; ce sera la priorité du prochain quinquennat. Nous nous y engageons de façon résolue. (On ironise à droite). Si d'autres venaient aux responsabilités, je comprends que les personnels de l'éducation prioritaire cherchent à faire passer le message.
M. le président. - Veuillez conclure.
Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. - En attendant, tous les moyens des lycées ZEP sont préservés, et 450 postes seront créés à la rentrée 2017 pour les établissements les plus fragiles. Vous le voyez, cela laisse le temps de mener ce travail sereinement. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)
Compte personnel d'activité
M. Yves Daudigny . - La loi Travail renforce les syndicats, les droits des salariés, la capacité des entreprises à se développer et la culture du compromis. Elle met le syndicalisme face à ses responsabilités en lui proposant de réinvestir le terrain de l'entreprise, a dit Laurent Berger.
Ce matin, à la Cité des métiers, vous avez lancé une disposition novatrice le compte personnel d'activité (CPA). Annoncé le 3 avril 2015 par le président de la République comme la grande réforme sociale du quinquennat, voté dans la loi Rebsamen de juillet 2015, objet de négociations entre les partenaires sociaux aboutissant à une position commune en février 2016, c'est devenu une mesure phare de la loi Travail du 8 août 2016.
M. Alain Gournac. - Bref, c'est formidable !
M. Yves Daudigny. - Ce compte personnel d'activité est composé d'un compte personnel de formation, d'un compte personnel de prévention de la pénibilité et d'un compte d'engagement citoyen. C'est un droit nouveau, devenu réalité le 1er janvier 2017. Il est de plus universel et attaché non à l'emploi, mais à la personne. Pouvez-vous nous en préciser le contenu et les modalités ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain, on ironise à droite)
M. Didier Guillaume. - Très bonne mesure !
Mme Myriam El Khomri, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social . - Oui, monsieur le sénateur, c'était un honneur de lancer ce matin le CPA, pensé et voulu par le président de la République.
M. Francis Delattre. - Vous pourriez le remercier de la question !
Mme Myriam El Khomri, ministre. - Les mutations profondes du monde du travail l'exigeaient. Premier pilier du CPA : son universalité. Il est donc ouvert à tous : salariés du privé, agents du secteur public, indépendants, demandeurs d'emploi, jeunes ou seniors.
Deuxième pilier, la justice sociale : plus de droits à ceux qui en ont le plus besoin. Le doublement des droits à la formation pour les agents les moins qualifiés est opérationnel dès aujourd'hui. La reconnaissance de l'engagement citoyen et de la pénibilité, c'est-à-dire de l'inégalité devant l'espérance de vie, relèvent aussi de la justice sociale.
Troisième pilier : l'autonomie, car il favorise la reconversion professionnelle qui peut être un pari risqué.
M. le président. - Veuillez conclure.
Mme Myriam El Khomri, ministre. - Bref, le Gouvernement est particulièrement fier de cette belle avancée. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)
Saisie du CSA après l'interview de Farid Benyettou
Mme Nathalie Goulet . - L'anniversaire tragique des attaques de Charlie et de l'Hyper Casher a donné lieu à des manifestations digne et émouvantes, mais aussi à un épisode discutable : l'interview de Farid Benyettou, mentor des frères Kouachi, repenti autoproclamé qui, arborant lunettes de soleil et badge « je suis Charlie », faisait la promotion de son livre. Un comble d'indécence, une insulte à la mémoire des victimes.
Avec André Reichardt, co-président de la commission d'enquête sur la lutte contre les réseaux djihadistes, nous avons saisi le CSA et déposé une proposition de loi pour labelliser les structures en charge de la lutte contre la radicalisation. Demande que nous avions formulée lors de l'examen de la mission Sécurité du projet de loi de finances.
Quelles mesures comptez-vous prendre pour que la lutte contre la radicalisation ne soit pas au mieux entre les mains incompétentes, au pire entre des mains dangereuses ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UDI-UC)
Mme Audrey Azoulay, ministre de la culture et de la communication . - Nous sommes deux ans après les attentats de Charlie et de l'Hyper Casher. N'oublions pas non plus l'assassinat de la policière Clarissa Jean-Philippe à Montrouge. Nous sommes aussi deux ans après les manifestations d'unité nationale qui ont rappelé notre attachement au modèle de société fondé sur la liberté et les valeurs républicaines.
Je comprends l'émotion et l'indignation suscitées par l'interview de M. Benyettou, et je pense aux proches des victimes qui en ont été blessés.
Nous avons entre les mains un trésor, qui nous vient des Lumières, que nous avons conquis de haute lutte : la liberté d'expression et de communication. Certains pays se battent encore pour y avoir accès. Mais cette liberté ne permet pas tout, et surtout pas de fouler aux pieds la dignité des personnes ou de faire l'apologie du terrorisme. Le CSA, autorité indépendante, en est le garant ; il a récemment élaboré un code de bonne conduite pour la couverture des attentats. Laissons-le oeuvrer. Gardons-nous de règles de circonstances. Protégeons ces libertés que les terroristes combattent. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain et du groupe RDSE)
Mme Nathalie Goulet. - J'espère au moins que les droits d'auteur de ce livre iront à l'indemnisation des victimes ! Ma question était posée en toute bonne foi, et je crois d'un niveau satisfaisant, monsieur le Premier ministre. (Applaudissements au centre)
Avenir de la Nouvelle-Calédonie
M. Pierre Frogier . - En novembre 2018, les habitants de la Nouvelle-Calédonie seront confrontés à un choix crucial : le maintien ou non de la Calédonie dans la France. Or la préparation de cette échéance ne semble pas être une priorité pour le Gouvernement. Je ne cesse de tirer la sonnette d'alarme : nous nous dirigeons vers un référendum binaire, pour ou contre la France - la pire des solutions.
Cette consultation inutile et dangereuse risque de faire voler en éclat l'exception calédonienne au sein de la République.
Les violences, les exactions, les agressions contre les forces de l'ordre, les affrontements entre communautés se multiplient. Là aussi vous avez tardé à réagir - même si je salue les décisions prises en novembre par le ministre de l'intérieur.
Il y moins de trois semaines, un Kanak a tué un autre Kanak pour mettre fin aux troubles qui perturbaient la tribu de Saint-Louis.
La sortie de l'accord de Nouméa ne peut se faire que sur une base harmonieuse et apaisée. Ferez-vous enfin des derniers mois qui nous séparent de l'élection présidentielle une période utile pour la Nouvelle-Calédonie ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)
Mme Ericka Bareigts, ministre des outre-mer . - Je ne peux laisser dire que le Gouvernement n'a rien fait pendant le quinquennat. Vous en avez été le témoin et l'acteur. Le Gouvernement a au contraire préparé pas à pas cette échéance, collectivement, en responsabilité, de façon globale. M. Cazeneuve, alors ministre de l'intérieur, a mobilisé des moyens pour renforcer la sécurité sur place. Le comité des signataires a été réuni pas moins de six fois, pour régler de nombreuses questions essentielles, telle la gestion des listes électorales pour les élections provinciales - dossiers désormais clos.
Sur l'avenir institutionnel, les retours d'experts nourriront le dialogue sur les différentes options.
Nous avons encore renforcé l'économie locale, en soutenant le nickel, en promouvant la formation et les dispositifs de défiscalisation.
M. le président. - Veuillez conclure.
Mme Ericka Bareigts, ministre. - Un mot encore sur les contrats de développement, en forte hausse. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain.
M. Pierre Frogier. - Durant ce quinquennat, par manque de détermination, le Gouvernement a joué les accords de Nouméa au fil de l'eau. Vous laissez un lourd héritage ! (Protestation sur les bancs du groupe socialiste et républicain, applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)
Grippe aviaire
M. Franck Montaugé . - Après celle de 2016, l'épizootie de grippe aviaire apparue début décembre dans le Tarn s'est transformée en catastrophe économique et sociale pour la filière.
Déjà, 115 foyers ont été répertoriés sur huit départements, dont les trois quarts dans le Gers et les Landes. Malgré des mesures drastiques, l'épizootie s'étend. Rien n'est plus douloureux pour un éleveur que de voir ses bêtes vouées à la destruction. Certains songent même à la reconversion. La solidarité nationale doit s'exercer et les indemnisations doivent être versées dans les meilleurs délais. Or le solde de la première crise n'est pas encore réglé !
Comment comptez-vous répondre à cette demande urgente et légitime ? Comment le ministère, les organisations professionnelles et les collectivités peuvent-elles contribuer aux adaptations structurelles nécessaires pour maitriser le risque sanitaire et relever le défi de la performance économique, sociale et environnementale ? Le Conseil général de l'agriculture, de l'alimentation et des espaces ruraux de l'agriculture ne pourrait-il être missionné ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)
M. André Vallini, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement . - Veuillez excuser Stéphane Le Foll, retenu à l'Assemblée nationale. Actuellement, dix-neuf pays européens sont touchés par ce virus, véhiculé par les oiseaux migrateurs. Pour éviter la propagation, un dépeuplement spécifique est appliqué depuis le 5 janvier dans 187 communes, qui donnera bien sûr lieu à des indemnisations. Déjà, l'État prend en charge les coûts d'abattage, de nettoyage et de désinfection.
M. Le Foll travaille avec les élus et les responsables de la filière sur un calendrier de remise en production, les conditions d'indemnisation des pertes économiques et la prévention de la diffusion du virus. L'an dernier, 25 millions ont été versés au titre de l'indemnisation sanitaire, auxquels s'ajoutaient 43 millions au titre du développement. Reste à toucher les fonds promis par l'Union européenne, dont 30 % n'ont pas été versés ; le ministère et notre représentation à Bruxelles y travaillent. Vous le voyez, l'État est pleinement mobilisé aux côtés de la filière pour faire face à cette crise. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)
Démissions d'enseignants
Mme Patricia Morhet-Richaud . - Un récent rapport sénatorial, s'appuyant sur les chiffres du ministère, a illustré les difficultés que rencontrent les enseignants. Depuis 2012, le nombre de démissions des stagiaires a doublé dans le premier degré, et triplé dans le secondaire. J'imagine bien que vous allez relativiser, dire qu'il s'agit d'un problème de moyens et qu'il faut donc créer encore des postes...
Ne croyez-vous pas que les difficultés sont ailleurs ? Selon le rapport de la Cour des comptes, le problème de l'Éducation nationale n'est pas quantitatif. Pédagogisme, réformes à répétition, solitudes des enseignants expliquent leur malaise. Le personnel de l'Éducation nationale a besoin de missions claires : transmission du savoir, perspectives et soutien de la hiérarchie face à des classes de plus en plus rebelles à toute forme d'autorité. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)
Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche . - Soyons précis : on compte 0,15 % de démissions parmi les enseignants. Cela correspond à des enseignants qui réalisent en début de carrière que le métier n'est pas fait pour eux. (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains)
A contrario, on recense dans les écoles du professorat environ 15 % de reconversions professionnelles, avec des enseignants arrivant d'horizons divers. Ces chiffres montrent que dans le monde actuel, les salariés sont mobiles... (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains)
Ce qui importe, c'est que nos enseignants soient bien formés, bien accompagnés, bien rémunérés, bien considérés. Cela passe par le rétablissement de la formation initiale, le protocole sur les parcours professionnels, carrières et rémunérations (PPCR), qui permet un accompagnement renforcé des nouveaux enseignants pendant leur première année d'exercice.
Je ne dis pas que tout va pour le mieux en matière de gestion des ressources humaines... (On renchérit à droite). Les choses peuvent être améliorées, mais le travail a été bien entamé pendant ce quinquennat ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)
Mme Patricia Morhet-Richaud. - Votre réponse est convenue. Face à la désespérance des enseignants, vous voulez conforter les mauvais choix ! Les résultats de l'enquête Pisa sont pourtant catastrophiques. (On proteste sur les bancs du groupe socialiste et républicain) Comme l'écrivait Bossuet, les hommes déplorent les effets dont ils chérissent les causes. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)
M. Jean-Louis Carrère. - C'est une citation de M. Fillon !
Épidémie de grippe
M. Jérôme Bignon . - L'actualité française, ce n'est ni la primaire socialiste ni l'intronisation de M. Trump : c'est la grippe. C'est l'actualité des dizaines de milliers de parents inquiets, des 155 000 seniors déjà touchés, de ceux qui la redoutent, des familles endeuillées, des hôpitaux surchargés, des Ehpad déboussolés, des services d'urgence éreintés, où l'on manque de lits, des médecins libéraux épuisés et pas assez nombreux, de nos compatriotes dans les déserts médicaux, confrontés à des attentes insupportables.
La grippe n'a pourtant rien de surprenant : elle revient chaque année, avec des pics tous les cinq ans. On est donc surpris par l'impression d'une gestion improvisée et peu professionnelle de l'épidémie. Le débat entre le directeur général de la santé et celui de l'agence nationale de santé publique est surréaliste !
M. Jean-Louis Carrère. - La question !
M. Jérôme Bignon. - Que pouvez-vous dire pour rassurer nos compatriotes, madame la ministre ?
Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l'exclusion . - Veuillez excuser Marisol Touraine qui se trouve précisément... dans un hôpital. (On ironise à droite)
La grippe n'est pas une maladie bénigne, notamment pour les personnes âgées ou fragiles. En matière de vaccination, on peut toujours faire mieux. Je forme le voeu que l'an prochain, davantage de responsables politiques s'engagent dans la campagne de prévention, plutôt que de critiquer ensuite, au plus fort de l'épidémie ! (Applaudissements sur les bancs des groupes socialiste et républicain et RDSE)
Le ministère de la santé a sensibilisé les professionnels de santé dès le 28 octobre à la nécessité de se préparer à l'épidémie, qui cette année est particulièrement précoce et virulente. Nous avons mis en place le plan blanc, permis de rappeler du personnel, d'ouvrir des lits, de déprogrammer des activités non urgentes. Nous étions réunis à l'Élysée ce matin autour du Premier ministre, car 192 établissements se sont déclarés en tension. L'hôpital public reste notre patrimoine commun, et ce n'est pas en supprimant 500 000 fonctionnaires que vous en améliorerez le fonctionnement ! (Vives exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains, qui couvrent la voix de l'oratrice)
M. Jean-Louis Carrère. - Très bien ! (Applaudissements sur les bancs des groupes socialiste et républicain et RDSE)
La séance est suspendue à 16 heures.
présidence de Mme Jacqueline Gourault, vice-présidente
La séance reprend à 16 h 20.