Violences conjugales
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle un débat sur les conclusions du rapport : « 2006-2016 : un combat inachevé contre les violences conjugales ».
Mme Chantal Jouanno, présidente de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes . - C'est un honneur d'entamer ce débat, même s'il doit commencer par le triste constat statistique de la stabilité des victimes : en 2010, 146 femmes et 28 hommes mouraient sous les coups de leur conjoint, contre 143 aujourd'hui - et même 200 personnes, avec les enfants et les suicides consécutifs. Les enquêtes recensent plus de 200 000 femmes victimes de violences conjugales chaque année. Mais moins de 14 % portent plainte.
Les membres de la délégation aux droits des femmes du Sénat ont donc décidé de faire ce rapport pour répondre à cette question : pourquoi, malgré une véritable mobilisation des pouvoirs publics, en particulier de la police et de la gendarmerie - et malgré des outils toujours plus nombreux - les outils sont bien là comme vient de le rappeler le Haut Conseil de l'éducation -, n'y-a-t-il pas de réelle amélioration de la situation?
Adopté à l'unanimité le 10 février dernier, le rapport est l'oeuvre des corapporteurs désignés par tous les groupes représentés à la délégation. À quelques jours du 25 novembre - journée internationale contre les violences faites aux femmes -, ce débat est bienvenu. Le titre du rapport est éloquent, malgré la détermination des pouvoirs publics, les outils, la situation ne s'améliore pas substantiellement.
Ses treize recommandations s'ordonnent en quatre axes.
D'abord la réponse judiciaire. Les femmes ont peur de porter plainte, car leur protection n'est pas assurée. Le bilan de l'ordonnance de 2010 est malheureusement très mitigé, et très variable selon les départements. II faut impérativement et rapidement accélérer sa mise en oeuvre.
Il faut améliorer la procédure : les convocations seraient notifiées par huissiers de justice notamment. Nous proposons l'octroi automatique de l'aide juridictionnelle pour les victimes de violences conjugales. Prudence, à l'inverse, sur le recours à la médiation pénale : il peut être désastreux de remettre en contact bourreau et victime. Nous proposons ainsi la généralisation de la téléprotection « grave danger ». Ce qui a été fait à Paris, un conseil de juridiction élaborant un schéma départemental, est efficace.
Sur la gouvernance, les moyens des associations - qui font un travail formidable - doivent appeler un effort budgétaire, modeste en face des quelque 3,7 milliards d'euros que coûtent les violences.
L'observatoire de Seine-Saint-Denis pourrait être généralisé.
Les enfants, ensuite : 35 enfants sont morts en 2014 et 110 sont devenus orphelins, tandis que 140 000 vivent dans des familles marquées par les violences conjugales. Comment peuvent-ils se reconstruire ?
Le retrait de l'autorité parentale a fait l'objet d'un débat non tranché, mais comment laisser celle-ci à un père qui a tué la mère des enfants ?
Nous recommandons unanimement la généralisation de la mesure d'accompagnement protégé (MAP) qui permet un droit de visite dans des espaces neutres et protégés.
Les pouvoirs publics n'ont pas assez creusé la prise en charge des auteurs des violences qui sans cela récidivent. Les victimes sont insuffisamment prises en charge, également, en particulier en termes psycho traumatiques. Il ne peut y avoir de reconstruction personnelle par ailleurs sans accès à un logement. Les violences conjugales pourraient devenir un critère prioritaire d'obtention d'un logement social.
Bien des outils existent ; reste à nous donner les moyens de notre ambition en adoptant une intransigeance générale envers toutes les formes de violences faites aux femmes : traite, prostitution, mutilation sexuelle, viols, harcèlement, violences conjugales, toutes ces violences se conjuguent majoritairement au féminin. Si la place des femmes est la marque d'une société civilisée, il nous reste encore bien du chemin à parcourir ! (Applaudissements sur tous les bancs)
Mme Françoise Laborde . - Les articles 212 et 213 du code civil, lus par les officiers d'état civil lors du mariage, sont éloquents quant au respect mutuel nécessaire entre époux. L'autorité parentale fait l'objet de l'article 371, également lu aux futurs époux. Hélas, les violences conjugales continuent.
En 2010, j'ai eu l'honneur de rédiger un rapport sur la violence au sein des couples, quels qu'ils soient, sujet toujours tabou. Il est patent que 90 % des victimes ont peur de porter plainte, de crainte de perdre leur logement ou la garde des enfants. Pour éviter que le domicile conjugal devienne lieu de non droit, nous proposions, notamment, l'ordonnance de protection des victimes et la pénalisation du harcèlement, y compris psychologique.
Si, en 1810, le « devoir conjugal » était une obligation qui rendait le viol inconcevable entre époux, ce n'est plus le cas aujourd'hui, bien que les obstacles restent encore nombreux pour prouver cette infraction. La présomption de consentement a été supprimée par la loi de 2010 et toute relation sexuelle forcée par un conjoint constitue désormais un viol aggravé, puni de 20 ans de prison. La législation livre donc un message clair.
La délégation salue la montée en puissance de l'ordonnance de protection. La formation des magistrats devait être faite avec un réseau de professionnels. Des référents violences devaient être nommés dans les écoles.
Les experts le disent, la médiation pénale est un danger. En 2010, j'avais insisté sur la formation du personnel ; aujourd'hui, je crois qu'il faut mettre l'accent sur la protection des enfants vulnérables, dont les effets des traumatismes sont maintenant connus : stress post-traumatique, dépression, comportement violent, etc.
La majorité des séparations est conflictuelle et les enfants sont souvent objet de chantage.
La violence conjugale est illégale comme toutes les violences. Ses motifs ne sont que des prétextes à une domination insupportable, à exercer une véritable emprise comme l'a dit Édouard Durand, magistrat lors de son audition par notre délégation. Ce paradigme ne doit pas s'appliquer aux enfants. Mais la loi ne suffit pas ; il faut des moyens et de l'information de grand public. (Applaudissements)
Mme Annick Billon . - La première pensée qui me vient à l'esprit est que nous ne devrions pas avoir à traiter de ce sujet, à lire à la Une des journaux des articles sur les femmes décédées sous les coups de leur mari. C'est une résurgence des siècles passés, lorsque la femme n'était pas considérée comme l'égale de l'homme. « Un combat inachevé », dit justement le titre du rapport. Nous avons voté quatre grandes lois, et le Gouvernement a mis en oeuvre quatre plans interministériels pour lutter contre ces violences. Les services concernés sont mobilisés, compétents, dévoués ; pourtant, une femme décède tous les trois jours de ce fléau.
Ce rapport ne proposera pas une nouvelle loi, mais une amélioration des procédures ; c'est remarquable car nous avons trop souvent le réflexe de recourir à la loi.
En tant que centriste, je suis sensible à l'expérimentation des collectivités territoriales. Ainsi, en Seine-Saint-Denis, dans le cadre de l'Observatoire départemental des violences faites aux femmes, l'ensemble des acteurs concernés met en oeuvre plusieurs expérimentations : un dispositif de protection pour les femmes victimes de violences en très grave danger, le TGD ; la montée en puissance des ordonnances de protection ; la prise en charge de la mesure d'accompagnement protégé des enfants ; et la prise en charge des enfants mineurs orphelins lorsqu'un des parents est tué par son conjoint.
L'ensemble de ce dispositif fait l'objet d'une convention avec l'Observatoire départemental, le procureur de la République, le tribunal de grande instance, la direction de la sécurité de proximité, la direction centrale de la sécurité publique, des associations, la région, la préfecture.
Le département expérimente également la prise en charge des victimes sur le long terme, via des consultations de psycho-traumatologie.
Je veux ici redonner les chiffres mentionnés dans le rapport : en 2014, 567 personnes (444 femmes, 97 enfants et 26 hommes) ont pu bénéficier d'une prise en charge, de la simple évaluation à la consultation psycho-traumatologique.
Nous devons nous inspirer de ces initiatives.
La deuxième étape, consiste à renforcer la cohérence judiciaire par une fusion de tous les actes en même temps. Je suis sensible à la question de l'emprise, qui conduit à l'engrenage des violences ; on peut y remédier par une prise en charge de long terme.
Je me réjouis de la création de l'Agence de recouvrement des pensions alimentaires par la loi de financement de la sécurité sociale. La pension de réversion est égale à 50 % de celle du fonctionnaire ; même un conjoint violent peut en bénéficier. Peut-être devrait-on l'empêcher pour des conjoints violents, par un élargissement de l'indemnité au décès par exemple ?
Gageons que la prochaine fois que nous nous réunirons sur le sujet, ce sera pour constater une amélioration notable de la situation. D'ici là, encourageons et accompagnons les acteurs concernés, afin qu'ils poursuivent leurs efforts sur le terrain, dans un cadre uniforme au niveau national. Le rapport de notre délégation y contribuera. (Applaudissements)
Mme Corinne Bouchoux . - Madame la présidente, madame la présidente de la délégation, madame la ministre...Remercions les dix collègues de sexe masculin qui sont présents ! (Applaudissements) Car aujourd'hui, c'est le Sénat à l'envers : 80 % de femmes ! (Sourires) Pourquoi, sur ce sujet qui concerne tout le monde, sont-ce toujours les mêmes qui doivent s'en charger ?
Si nous pouvions toujours travailler de manière aussi sereine qu'à la délégation aux droits des femmes, la France irait mieux ! Il n'est pas toujours nécessaire de voter de nouveaux textes, il faut parfois appliquer les textes existants.
La lutte contre les violences conjugales commence à l'école (M. Roland Courteau approuve) Si nous pouvions élever nos enfants avec moins de préjugés, la prévention pourrait être plus efficace que la répression...
La formation de tous les acteurs est essentielle : juges, policiers, gendarmes, travailleurs sociaux et bénévoles mais aussi tous les citoyens. La loi de 2014 prévoit de former sur des sujets aussi complexes que : comment dénoncer sans s'immiscer et comment ne pas remettre en présence le bourreau et la victime. Dans mon département, le TGI d'Angers a mis en place un dispositif qui ne coûte pas cher permettant des confrontations sans mise en présence physique, par captation vidéo. Loin d'un gadget, il est très efficace.
Pensons enfin aux violences que subissent les enfants, notamment les abus sexuels. Psychologie Magazine a publié un appel pour un sursaut des politiques publiques afin de lutter contre ces violences, pour la prise en charge des enfants victimes et des adultes traumatisés. Je vous invite à le faire circuler et à le soutenir.
Je suis sûre que Mme la ministre y sera attentive. (Applaudissements)
M. Roland Courteau . - (Applaudissements sur les bancs CRC et sur les bancs socialistes) On aurait pu croire que les violences faites aux femmes, l'inégalité entre femmes et hommes ne seraient plus, à l'aube du XXIe siècle, qu'un si lointain, et bien mauvais, souvenir.
Certes depuis quelques années, les tabous sont tombés, le voile du silence s'est déchiré pour les victimes, la lutte contre ces violences est devenue une politique publique à part entière. Mais la délégation a pointé quelques lacunes.
La loi de 2006, que j'avais initiée, celles de 2010 et 2014 sont là. Mais l'ordonnance de protection est inégalement appliquée. Les convocations devant la justice devraient être adressées par voie d'huissier et non par courrier. Le boîtier « très grave danger » devrait être étendu à tout le territoire. Le dispositif anti-rapprochement pourrait être développé. Le territoire doit être maillé en solutions d'hébergement sécurisé, mais aussi de logements pérennes.
Comme le souligne le Haut Conseil à l'égalité, n'oublions pas les personnes particulièrement vulnérables. Plus de 70 % des femmes handicapées seraient victimes de violence ; il y a urgence à renforcer la prise en charge des traumatismes pour les enfants, qui risquent de les marquer à vie.
Le suivi des auteurs de violence aussi doit être pris en charge. Des stages sont efficaces, mais des hébergements aussi. Comme à Arras, certes avec un coût important.
La lutte contre les préjugés sexistes doit être enseignée à tous les niveaux. J'ai ainsi rencontré plus de 12 000 élèves de collège, filles et garçons, pour les sensibiliser. La délégation aux droits des femmes a travaillé sur les préjugés dans les jeux, ou dans les manuels scolaires... Quelle n'a pas été ma surprise d'entendre le pape incriminer les manuels français ? On peut être pape et mal informé ! (Sourires sur certains bancs à gauche)
Nous attendons le cinquième plan interministériel, avec confiance. (Applaudissements à gauche)
Mme Patricia Morhet-Richaud . - Les chiffres cités par Mme Jouanno sont accablants. Le rapport de la délégation aux droits des femmes couvre un large spectre. Tous les territoires sont concernés, y compris les départements ruraux, comme celui des Hautes-Alpes, qui n'est pas épargné, hélas, par ce terrible fléau.
L'ordonnance de protection, créée par la loi de 2010, a été une avancée ; en zones rurales, la peur du « qu'en dira-t-on » empêche souvent la victime de porter plainte. Je tiens à souligner l'excellent travail réalisé dans les territoires par les forces de l'ordre, ainsi que par le maillage de proximité entre l'État, le département et les communes avec des professionnels très bien formés et toujours à l'écoute.
Mais l'application de l'ordonnance de protection est inégale selon les tribunaux de grande instance. Les réticences des magistrats viendraient du fait que l'ordonnance remet en cause d'une certaine manière la présomption d'innocence.
Le centre d'information sur les droits des femmes propose information et accueil de jour. Les membres du réseau me l'ont confirmé, les hébergements sont insuffisants. En zone rurale, l'absence d'hôtels empêche de mettre à l'abri des victimes. Il est urgent de garantir à toutes un hébergement.
Le dispositif du téléphone « grand danger » semble être un succès. Délivré par le procureur de la République pour six mois, il est efficace car il se fonde sur le réseau, des forces de l'ordre et l'association de la police et de la justice. Mais il souffre d'inégalités de répartitions.
En 2016, l'objectif était de 500 boîtiers « grand danger ». Le principal obstacle à une diffusion plus large est d'ordre financier. Ne faudrait-il pas également généraliser les observatoires départementaux des violences faites aux femmes ? (Applaudissements)
Mme Laurence Cohen . - J'ai eu beaucoup de plaisir à travailler sur ce rapport avec Chantal Jouanno et les corapporteurs. Je l'ai présenté à de nombreux acteurs concernés, notamment dans le Val-de-Marne : président du TGI, juge aux affaires familiales, bâtonnière et vice-présidente du conseil départemental, en charge de l'Observatoire de l'égalité entre les femmes et les hommes et bien sûr associations de terrain sont satisfaits. Je regrette que les médias ne fassent état de ces chiffres que la semaine du 25 novembre ; hélas, dès le lendemain, les violences ne font plus partie de l'actualité et sont traitées comme de simples faits divers souvent sous la rubrique de crimes passionnels.
L'ordonnance de protection est innovante, puisqu'un dépôt de plainte n'est pas nécessaire. Mais le bilan est mitigé à cause des conditions de sa mise en oeuvre. Dans l'esprit du législateur, il s'agissait de mettre à l'abri une femme sans préjuger de la culpabilité du conjoint. Luc Frémiot, avocat général à la cour d'appel de Douai, remarque justement que « l'application des ordonnances de protection varie d'un TGI à l'autre, ce qui risque d'aboutir à terme à une disparité de traitement entre les justiciables ». Le délai est de 36 jours en Seine-Saint-Denis, contre 3 semaines en Val-de-Marne.
Le téléphone « grand danger » permet de répondre à des situations de grand danger. Madame la ministre, l'objectif des 500 boîtiers sera-t-il tenu ?
Les centres d'accueil pour hommes violents sont rares en France, hélas au contraire du Canada.
Tous les acteurs doivent être formés, y compris au sein de l'éducation nationale. Un référent pourrait être désigné dans chaque cour d'appel. L'affaire Jacqueline Sauvage a montré que les dispositifs existants ne sont pas forcément adaptés au vécu de ces femmes, mais aussi que les relais extérieurs, en dépit de signalements, n'ont pas su, pas pu, pas voulu, accompagner jusqu'au bout cette femme et ses enfants, avant qu'elle ne commette son acte.
M. Roland Courteau. - C'est vrai !
Mme Laurence Cohen. - Cette affaire aurait pu être évitée.
Nous avons également conclu à la nécessaire généralisation des observatoires des violences envers les femmes à l'ensemble des départements, ainsi qu'au renforcement des effectifs de la Mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains (Miprof).
Et je lance un appel solennel en faveur des associations qui sont obligées de mettre la clef sous la porte car privées de subventions, telle l'association Regain, structure d'hébergement d'urgence, à qui le conseil départemental du Bas-Rhin vient de supprimer son aide financière.
Mme Éliane Assassi. - C'est scandaleux.
Mme Laurence Cohen. - Les moyens doivent être au rendez-vous. Or le budget du ministère des droits des femmes ne représente que 0,006 % du budget général : on est loin du compte.
Mon groupe a déposé une proposition de loi-cadre, comme en Espagne, pour traiter ce fléau. J'espère que nous serons nombreuses et nombreux le 25 novembre dans la rue, à l'appel des organisations féministes. (Applaudissements à gauche)
Mme Maryvonne Blondin . - Le Gouvernement a fait des droits des femmes l'une de ses priorités. En 2013, la Miprof a été créée. La loi de 2014 a mis en place l'ordonnance de protection. Son bilan reste toutefois trop limité : le dispositif doit être clarifié et simplifié. Il faut aussi développer l'offre d'hébergements d'urgence. Le téléphone « grand danger » est une avancée mais il faut soutenir les associations qui en ont la charge. Il faut aussi accompagner les victimes : seules 14 % osent porter plainte.
La France a ratifié la convention d'Istanbul, qui met l'accent sur la prévention et la réalité des poursuites. Le Groupe d'experts sur la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique (Grevio) est chargé de veiller à sa mise en application. La France fera l'objet d'une procédure de suivi, à cet égard, à l'automne 2017.
La journée du 25 novembre, symbolique, ne suffit pas. Le budget consacré aux droits des femmes reste insuffisant : 27 millions d'euros par an, soit 0,33 euro par habitant, contre 0,54 euro en Espagne, alors que le coût des violences conjugales est estimé à 2,5 milliards d'euros.
Si le combat est inachevé, le bilan est prometteur. La lutte contre les violences faites aux femmes représente un enjeu central pour notre société du XXIe siècle, alors que le contexte est violent et nuisible pour les droits des femmes. (Applaudissements à gauche)
Mme Dominique Estrosi Sassone . - Si nous pouvons nous féliciter de l'arsenal législatif considérable contre les violences faites aux femmes, le combat est loin d'être achevé. Ces violences engendrent un contentieux atypique. En effet, ce phénomène d'ampleur est indifférent aux catégories sociales et à la géographie de nos départements ; les données fiables manquent car il relève de l'intime et du huis clos.
Le mien, celui des Alpes-Maritimes, est tristement classé parmi les plus meurtriers, avec 13 décès en 2015. Aussi y portons-nous une attention particulière. La Métropole Nice-Côte d'Azur, le Conseil départemental, les communes et les associations spécialisées ont noué plusieurs conventions afin de créer un réseau opérationnel centré sur l'hébergement et l'accompagnement des victimes ainsi que sur la prévention. À Nice, des places d'accueil d'urgence existent ainsi qu'un centre d'accueil de jour, labélisé par l'Etat, qui assure aux victimes un accueil pérenne et un soutien personnel. Cette structure, précieuse, a pris en charge 200 femmes en 2015.
Pour mieux cerner le phénomène, nous avons créé un observatoire local des violences conjugales, qui est en cours d'extension au territoire de la métropole recouvrant 49 communes et 550 000 habitants.
Comme douze autres départements, nous avons expérimenté le téléphone grave danger qui, malheureusement, a fait la preuve de son efficacité. Oui, il augmenter ses attributions sur l'ensemble du territoire.
En matière judiciaire, je tiens à souligner les progrès depuis que les violences faites aux femmes ont été reconnues comme une grande cause nationale par le Gouvernement de François Fillon en 2010. Une convention locale relative au traitement des dépôts de plainte a été élaborée pour harmoniser le traitement de la parole des victimes. Avec un protocole passé entre les deux tribunaux de grande instance des Alpes-Maritimes, les services de police et de gendarmerie, les associations et la ville de Nice, la réponse judiciaire est particulièrement concertée.
Pour autant, les victimes soulignent des difficultés persistantes, qui rejoignent celles observées par la délégation, en matière de la détection des violences par l'environnement extérieur, du dépôt de plainte en l'absence de blessure, de l'autonomie financière et du logement. Sur ce dernier point, présidente de Côte d'Azur Habitat, je dois souligner que les femmes victimes de violence conjugale figurent déjà parmi les cinq publics prioritaires pour l'attribution de logements sociaux. L'élargissement aux victimes de violences familiales ne pourrait pas être suivi d'effets dans une zone tendue comme la mienne. C'est pourquoi l'exécution de l'ordonnance de protection est cruciale pour protéger les victimes et éloigner le conjoint violent. Trop souvent, ce sont les victimes qui quittent le domicile conjugal.
Le combat contre les violences faites aux femmes n'avance jamais assez vite. Il nous appartient, à nous parlementaires, d'améliorer encore la loi et de faire connaître les outils qui existent dans nos territoires pour lutter contre ce fléau. (Applaudissements à droite, au centre et sur quelques bancs à gauche)
Mme Claudine Lepage . - Les violences aux femmes sont une atteinte grave aux droits fondamentaux, nous sommes tous très attachés à combattre ce fléau. Depuis l'inscription d'un délit spécifique dans le code pénal en 1994, notre arsenal juridique s'est amélioré ; en particulier, la loi de 2014 a prolongé la durée de l'ordonnance de protection, créée en 2010.
Pour autant, nous devons restons mobilisés, en particulier pour les femmes à l'étranger. Nous devons faire savoir que la France s'engage dans ce combat au-delà des frontières. En 2016, 200 millions de femmes et de filles ont subi des mutilations sexuelles dans 30 pays ; en 2014, 4 % des femmes immigrées et 2 % de leurs filles nées en France ont été mariées contre leur gré. Elles sont 250 millions dans le monde à avoir été mariées avant l'âge de quinze ans, convenons que c'est une violence.
J'avais interrogé Matthias Fekl sur la mise en place de « référents violences faites aux femmes » dans les consulats. (M. Roland Courteau approuve.) Celui-ci m'a indiqué qu'un recensement était engagé et que les agents consulaires sont formés à cette thématique au sein de l'institut de formation des agents à l'administration consulaire. L'action internationale devrait être renforcée dans le cinquième plan qui sera annoncé sous peu.
Le combat contre les violences faites aux femmes doit être mené sans relâche. Aussi, je regrette que le dispositif anti-rapprochement de la loi de 2010 n'ait pas été appliqué et que le délai de prescription du délit d'agression sexuelle n'ait pas été allongé. Poursuivons la réflexion. (Applaudissements à gauche)
M. Marc Laménie . - Merci à la délégation aux droits des femmes et à sa présidente pour ce débat. La lutte contre les violences faites aux femmes s'inscrit dans la problématique globale de l'égalité professionnelle et salariale entre les hommes et les femmes. En raison de la pénurie de structures de garde d'enfants, les femmes sont souvent contraintes de travailler à temps partiel. Résultat, un salaire moindre, une carrière heurtée et une retraite réduite.
Je m'associe évidemment aux treize recommandations de la délégation, en insistant sur les besoins en logements d'urgence, la formation à l'écoute et la prise en charge des femmes battues.
L'Éducation nationale a un rôle considérable à jouer pour contrer les stéréotypes et amener les femmes à ne pas s'interdire certaines professions. Le congé parental doit être partagé pour éviter que seules les femmes ne s'arrêtent de travailler.
La journée défense et citoyenneté peut être un lieu d'échange pour sensibiliser aux questions d'égalité et de respect.
La tâche reste immense. Nous devons accroître les moyens financiers et humains, mobiliser toutes les administrations, les associations, les professionnels de santé, en ville comme à la campagne car ces violences nous concernent tous. Ne baissons pas les bras ! La meilleure réponse est la réaffirmation constante de l'égalité entre les hommes et les femmes. (Applaudissements sur tous les bancs)
Mme Laurence Rossignol, ministre des familles, de l'enfance et des droits des femmes . - Je salue à mon tour le travail de la délégation du Sénat et de ses rapporteurs. Cette mobilisation transpartisane, remarquable, est plus que jamais nécessaire contre ce phénomène révoltant et tenace que sont les violences faites aux femmes.
Il y a dix ans était lancé le premier plan d'action. En 2010, l'ordonnance de protection a été mise en place ; elle demeure une mesure-phare. Les moyens ont augmenté dans le cadre d'une action interministérielle. J'annoncerai demain le contenu du cinquième plan triennal contre toutes les violences faites aux femmes. Vous avez cité des chiffres ; les miens, sensiblement différents, sont tout aussi inquiétants. Tous les deux jours et demi, une femme meurt sous les coups de son compagnon. L'an passé, 122 femmes sont décédées, 100 depuis le début de l'année 2016. Être une femme est un danger permanent ; les enfants sont aussi victimes.
M. Roland Courteau. - N'oublions pas non plus les suicides.
Mme Laurence Rossignol, ministre. - Absolument. C'est d'autant plus troublant que le foyer conjugal est censé être, dans notre idéal collectif, le lieu de la solidarité et de la protection.
Les violences prennent différentes formes : coups mais aussi violences sexuelles, psychologiques et économiques à la maison comme au travail ou à l'université.
À l'origine, un seul phénomène : le machisme et le sexisme. Tous les propos qui dévalorisent les femmes légitiment et banalisent les violences : publicités montrant une femme devenue objet, blagues déplacées autour de la machine à café... C'est pourquoi j'ai lancé, le 8 septembre dernier, un plan d'action contre le sexisme.
Jamais le droit n'a été aussi complet : en août 2012, nous avons rétabli le délit de harcèlement sexuel, l'homme qui était à l'origine de la QPC vient d'ailleurs d'être condamné ! En 2014, nous avons renforcé le téléphone grand danger, mis en place un stage de responsabilisation pour les auteurs des violences et allongé la durée de l'ordonnance de protection. Le projet de loi Égalité et citoyenneté contient lui aussi des mesures.
Le Haut conseil pour l'égalité a publié ce matin un bilan du quatrième plan. Les moyens ont été doublés : 66 millions d'euros sur trois ans. Le budget du ministère des droits des femmes, dont 75 % est consacré à la lutte contre les violences, augmente de 8 % en 2017, soit une hausse de 50 % en cinq ans ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain et du groupe RDSE) Douze associations, qui mènent un travail remarquable, ont bénéficié d'une convention pluriannuelle d'objectifs et de moyens de 4 millions d'euros.
La dénonciation des violences est facilitée. Le 3919, numéro unique, a été renforcé : 50 000 femmes par an sont écoutées, deux fois plus qu'avant le quatrième plan. Preuve que la parole des femmes se libère. Nous disposons aussi de 327 lieux d'accueil dans la quasi-totalité des départements. Toutefois, seules 10 % des femmes portent plainte. C'est pourquoi le protocole « plainte » a été établi : 90 ressorts de tribunaux de grande instance sont couverts, cinq supplémentaires le seront prochainement.
Pour que la victime puisse trouver des réponses, dès sa première visite auprès des forces de l'ordre, 260 intervenants sociaux, soit une augmentation de plus de 40 % en trois ans, sont désormais présents en commissariats et brigades de gendarmerie.
Avec 1 550 nouvelles places d'hébergement d'urgence, l'objectif du président de la République de 1 650 places est en passe d'être atteint en 2017.
Pour protéger les victimes, 1 737 ordonnances de protection ont été prononcées en 2015, soit 30 % de plus qu'en 2014. Hélas, l'outil est inégalement utilisé sur le territoire.
Nous avons également généralisé le téléphone « grave danger ». Depuis septembre 2014, 530 ont été attribués à plus de 600 femmes. Dans 28 % des cas, l'alerte a conduit à l'interpellation de l'agresseur.
Il existe désormais 160 espaces de rencontre permettant la continuité des relations entre l'enfant et son père sans mise en danger des enfants ou du parent victime.
Afin de responsabiliser les auteurs de violences, des stages de responsabilisation ont été expérimentés dans dix services pénitentiaires d'insertion et de probation. Le décret qui généralisera ce dispositif sera publié en janvier 2017.
Le bilan du quatrième plan fait apparaître que les départements précurseurs, parmi lesquels le Bas-Rhin, la Seine-Saint-Denis ou Paris, sont les plus mobilisés. La sensibilisation et la formation des professionnels est essentielle pour assurer le déploiement des nouveaux outils que le Parlement vote : 300 000 professionnels ont été formés par la Miprof. Un réseau de magistrats et de professionnels de santé s'est mis en place.
Les violences restent un phénomène massif. Nous ne nous résignons pas face à ce qui serait une fatalité, nous notons les progrès accomplis tout en sachant qu'on ne viendra pas à bout d'une culture sexiste en dix ans. J'espère qu'un jour, un de mes successeurs pourra déclarer le combat achevé ; en attendant, menons-le sans relâche.
Le cinquième plan, que je présenterai demain en conseil des ministres, renforcera la prévention des professionnels et visera à améliorer la prise en charge des enfants. Le budget augmentera ; les dispositifs du 3919 et des intervenants sociaux seront consolidés, la formation des forces de l'ordre et des sapeurs-pompiers se poursuivra. Nous augmenterons le nombre de places d'hébergement d'urgence pour atteindre un total de 2 000. Le constat de preuve sera facilité. L'accent sera aussi mis sur l'accompagnement avec une offre de soins psychotraumatiques - en ce domaine, nous manquons encore des ressources humaines nécessaires.
Une campagne sera lancée pour déconstruire les stéréotypes associés aux violences, notamment pour viser le viol conjugal. Le slogan sera « Même si c'est sa femme, si elle ne veut pas, c'est un viol ».
N'oublions pas les enfants. Un mari violent n'est pas un bon père. (M. Roland Courteau le confirme) Le non-paiement des pensions alimentaires est également une forme de violence. Aussi l'Agence de recouvrement des impayés de pensions alimentaires (Aripa) sera chargée de les recouvrer.
Les violences conjugales ne concernent pas que les couples installés. Les femmes de moins de 25 ans et sans enfants seront ciblées. Un guide sera aussi publié contre le cybersexisme, avec une liste des commissariats où des enquêteurs sont formés.
Les femmes dans les territoires ruraux doivent aussi être mieux accompagnées. Les maisons de service public accueilleront des permanences d'écoute. Nous signerons des conventions avec les associations présentes sur le terrain et, pour faciliter les déplacements des victimes, nous expérimenterons des bons « taxis ».
Les femmes handicapées, étrangères ou outre-mer, seront aussi aidées.
Parce qu'il faut traiter le mal à la racine, nous devons nous attaquer au sexisme. Une charte sur le traitement journalistique des violences faites aux femmes est en cours de rédaction. Les expressions « drame familial » et « crime passionnel » sont trompeuses. La première confond l'assassin et sa victime dans un tout ; la seconde laisse penser que l'amour est compatible avec la violence ! (On renchérit à gauche) En matière de violences faites aux femmes, tout est important car c'est une affaire de représentations. Les banaliser ou en plaisanter est inacceptable.
Madame Cohen, oui, la mobilisation doit être collective. Sur 230 000 femmes victimes, nous en connaissons tous une. À nous de détecter les signaux faibles et de savoir quoi dire pour libérer la parole.
Le rapport de votre délégation me sera utile, merci ! (Vifs applaudissements)