Réforme des rythmes scolaires dans les petites communes (Question orale avec débat)
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion de la question orale avec débat n° 14 de Mme Françoise Cartron à Mme la ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche sur la mise en oeuvre des nouveaux rythmes scolaires dans les petites communes.
Mme Françoise Cartron, auteure de la question . - (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain) Missionnée fin 2015 par le Premier ministre, j'ai remis mon rapport sur les projets éducatifs territoriaux le 20 mai dernier, lors du comité interministériel aux ruralités, à Privas, en Ardèche. C'est le fruit de plus de 30 déplacements et 130 auditions : un mini-Tour de France qui s'est conclu, il y a dix jours, à Ajaccio. Je salue l'engagement remarquable du groupe d'appui départemental de Corse-du-Sud. Je préconise d'ailleurs que l'on redynamise ces groupes, pour soutenir la mutualisation des moyens et des actions.
Un millier de communes de plus de 86 départements ont répondu à mon questionnaire. Merci à mes collègues de l'avoir relayé auprès des maires de leur département. Je salue, dans la tribune, la présence d'une délégation du Val-d'Oise.
Les communes qui ont répondu à mon questionnaire regroupent plus de 4,3 millions d'habitants, de 360 000 enfants scolarisés et 60 % d'entre elles comptent moins de 2 000 habitants. C'est significatif !
Au-delà de ces chiffres, quels enseignements tirer, quelles préconisations pour franchir une nouvelle étape ? Après les débats caricaturaux qui ont accompagné la réforme et malgré les difficultés de mise en place, la nouvelle organisation des rythmes scolaires est considérée par les maires comme installée. Ils nous disent : nous n'avons pas fourni tous ces efforts pour qu'on décide demain de revenir en arrière ! (Exclamations à droite et au centre) Notre collègue François Baroin, président de l'AMF, ne dit pas autre chose. Comment revenir en arrière, quand, en deux ans, plus de deux millions d'enfants supplémentaires participent à des activités sportives, culturelles et environnementales sur le temps périscolaire, qui pour la plupart n'y avaient pas accès auparavant ? Comment revenir en arrière, quand des centaines d'emplois ont été créés ou consolidés ? Comment revenir à la semaine de quatre jours décidée par Xavier Darcos en 2008, unanimement reconnue comme néfaste ? (Mouvements à droite)
Il fallait une matinée supplémentaire de classe pour alléger les journées et proposer de nouvelles activités aux enfants.
Cette réforme serait inadaptée au monde rural qui manque de ressources ? Faux ! (Exclamations à droite et au centre)
Mme Françoise Férat. - Vrai !
Mme Françoise Cartron, auteure de la question. - Les petites communes rurales ont tout des grandes ! Elles proposent des activités variées, ancrées dans l'identité locale : ateliers de langue corse ou chants polyphoniques en Corse, activités échasse, course landaise ou fanfare dans les Landes...
M. François Bonhomme. - Incroyable !
Mme Françoise Cartron, auteure de la question. - ...découverte du patrimoine en Gironde, fouilles archéologiques dans le Vexin, ateliers sur les géants des Flandres dans le Nord... (On ironise à droite) Les exemples ne manquent pas, tout ceci est remarquable.
M. François Bonhomme. - Pauvres enfants !
Mme Françoise Cartron, auteure de la question. - Beaucoup de ressources existent, qui ne sont pas assez mobilisées : le réseau Canopé, l'INRIA, les réseaux d'éducation populaire. Le réseau des musées nationaux de France va mettre des mallettes pédagogiques à la disposition des communes.
J'ai perçu la volonté farouche des maires ruraux d'investir dans leur école, au service des enfants de leur village. L'école reste la priorité des politiques municipales. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)
À Fauville-en-Caux, en Seine-Maritime, le choix du samedi matin comme cinquième matinée a revitalisé le centre-bourg : c'est tout le village qui a changé de rythme ! (Exclamations ironiques à droite)
M. François Bonhomme. - Et la lumière fut !
Mme Françoise Cartron, auteure de la question. - À Mayotte, la mise en oeuvre de la réforme a entraîné la création de restaurants scolaires, inexistants jusque-là.
Si des inégalités existent entre les territoires, la réforme ne les a pas créées, ni même accentuées : elle les a révélées. (Rires à droite et au centre) Plus qu'à la taille de la commune, ces inégalités sont liées à la volonté politique de faire ou non de l'école une priorité. Cette réforme contribuera à les réduire.
Mme Anne-Catherine Loisier. - Vraiment ?
Mme Françoise Cartron, auteure de la question. - Il convient de travailler les projets éducatifs territoriaux (PEDT) à l'échelon intercommunal. Les communes ont besoin de stabilité, de financements pérennes...
Mme Françoise Gatel. - Ça, oui !
Mme Françoise Cartron, auteure de la question. - Obtenir les subventions CAF est trop souvent un parcours du combattant. Le choc de simplification des démarches administratives est attendu.
Le Sénat revient sur le coût de la réforme ? Mais les chiffres avancés sont ceux du coût global du périscolaire, non ceux des seuls temps d'activités périscolaires (TAP). Les aides de l'État, je le rappelle, sont attribuées à tous les enfants scolarisés, même si 50 % des enfants participent aux TAP. (Mme Catherine Troendlé le conteste vigoureusement). La commune perçoit jusqu'à 180 euros par enfant. (Exclamations à droite et au centre)
De quoi un enfant a-t-il besoin ? De contact avec le monde réel. Théâtre, chant, escalade, bricolage, jardinage sont des activités dynamiques qui lui permettent de développer ses compétences motrices et créatrices.
Le jeu est le travail de l'enfant, disait Pauline Kergomard. Oui aux jeux de société, aux jeux d'adresse, de force, de mémoire, de hasard !
M. François Bonhomme. - L'école est mal engagée !
Mme Françoise Cartron, auteure de la question. - Autre besoin essentiel, notamment pour les 2 à 4 ans : le sommeil. Oui aux TAP sieste, détente, lecture de contes... L'ordinaire peut se révéler extraordinaire ! (Exclamations à droite)
Mme Catherine Troendlé. - Les petits sont épuisés !
Mme Françoise Cartron, auteure de la question. - Sur la fatigue, ne cédons pas aux approximations, au ressenti. (Exclamations à droite)
Une réflexion globale a été engagée autour des temps éducatifs, pour ouvrir les enfants à de nouvelles expériences, à d'autres réalités.
La jeune Malala, prix Nobel de la paix, a dit : « Merci de ne pas m'avoir coupé les ailes et de m'avoir laissé voler ». C'est l'ambition de cette réforme : aider tous les enfants à prendre leur envol. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste)
Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. - Cela fait du bien d'entendre un discours progressiste !
Mme Maryvonne Blondin . - Depuis 2012, la politique éducative est la priorité du Gouvernement.
M. François Bonhomme. - À l'évidence !
Mme Maryvonne Blondin. - L'éducation est redevenue le premier budget de l'État, tout a été fait pour redonner à notre système scolaire son rôle d'ascenseur social, mis à mal pendant la précédente décennie. (Mouvements à droite)
La réforme des rythmes scolaires vise à rendre l'école, pilier de notre société, plus exigeante et plus juste. Initiée à la rentrée 2013 et généralisée en 2014, la réforme répartit mieux les heures de classe sur la semaine - la France avait le moins de journées de classe, mais les plus chargées. Il s'agissait de concentrer le temps d'enseignement sur les moments les plus propices à la concentration.
La réforme entendait aussi mieux articuler temps scolaire et périscolaire et favoriser l'accès de tous aux activités culturelles, sportives et artistiques qui contribuent à l'éveil et au plaisir d'apprendre.
Pour la première fois, les élus communautaires et tous les acteurs ont été incités à se réunir autour des PEDT. Le Gouvernement a accompagné ce mouvement en pérennisant, en mars dernier, le fonds de soutien et en aménageant le cadre réglementaire pour prendre en compte les contraintes et atouts de chacun.
Dans mon département du Finistère, les écoles privées sous contrat qui appliquent la réforme ont, elles aussi, accès au dispositif. Je regrette que toutes les écoles privées n'aient pas suivi car on assiste à des transferts du public vers le privé...
On invoque la fatigue des enfants ; mais enfin ! La fatigabilité ne relève pas uniquement de l'école, et en la matière, les familles ont leur rôle à jouer. (Exclamations à droite et au centre) On avait proposé aux parents et enseignants le samedi matin, ils ne l'ont pas retenu...
M. François Bonhomme. - Bizarre !
Mme Maryvonne Blondin. - Contrairement à ce qu'on a pu entendre, les très petites communes ont su exploiter les atouts de leur territoire, fédérer les forces en présence pour proposer des ateliers originaux, adaptés aux réalités du terrain. Ce dynamisme a permis une prise de conscience de l'enjeu d'attractivité que représentent ces activités périscolaires dans le choix d'installation des familles.
Dans mon département, deux communes, de 2 000 et de 600 habitants, ont su faire preuve d'intelligence collective et de pragmatisme pour mettre sur pied une nouvelle école intercommunale, c'est un exemple à suivre pour les petites municipalités.
Je suis persuadée qu'aucun retour en arrière n'est concevable. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)
M. François Bonhomme. - Il a déjà eu lieu !
Mme Catherine Troendlé . - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Je rends hommage à l'enseignant roué de coups devant ses élèves, hier soir, hospitalisé, qui a tenu à faire classe à ses élèves ce matin. C'est un acte courageux, qui doit être respecté. (Applaudissements à droite et au centre, ainsi que sur plusieurs bancs à gauche ; Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre, applaudit également)
La réforme des rythmes scolaires a déjà fait l'objet de nombreuses questions et d'une mission d'information que je présidais - qui s'est soldée par le rejet du rapport de Mme Cartron, dont la complaisance envers le Gouvernement éludait complètement la réalité. Son nouveau rapport est tout aussi dithyrambique.
Pourtant, pas un mois ne passe sans qu'un article ne revienne sur la fatigue des élèves, le manque de concentration, le manque de pertinence des activités proposées...
M. Jean-Louis Carrère. - Et c'est parti !
Mme Catherine Troendlé. - Lors du Congrès des maires, François Baroin a évalué le reste à charge pour les collectivités à 640 millions d'euros. (M. Jean-Louis Carrère s'exclame) Il a demandé que l'État compense totalement le coût de la réforme, soit 440 millions. On ne peut demander aux petites communes rurales de porter à bout de bras cette réforme sans en accepter le prix réel ! (Applaudissements à droite et au centre) Quelque 36 % des communes interrogées ont estimé le coût de la réforme à plus de 250 euros par enfant et par an. Les reste à charge moyen, en prenant en compte les aides, est de 70 % pour les communes, de 66 % pour les intercommunalités ; pour les communes rurales, il s'élève à 73 % du total.
Mme Françoise Cartron, auteure de la question. - Non. Il faut voir les budgets.
M. François Bonhomme. - Il faut voir les maires !
Mme Catherine Troendlé. - Elles sont 70 % à faire part de difficultés persistantes, 60 % à les juger importantes.
Après le financement, le principal problème est le recrutement de personnel qualifié et disponible.
M. Jean-Louis Carrère. - Qui veut tuer son chien l'accuse de la rage.
Mme Catherine Troendlé. - Tous ces efforts, et pourquoi ? Les résultats ne sont pas au rendez-vous. Une enquête de la Snuipp (Mme Françoise Cartron s'exclame) réalisée en 2015 montre que 74 % des professeurs pensent que le temps périscolaire impacte négativement le temps scolaire ; 73 % ont noté une baisse de concentration et d'attention en classe, 79 % demandent une autre organisation horaire de l'école. Vous n'en faites aucun cas... (Protestations à gauche)
M. Alain Néri. - Tout ce qui est excessif est insignifiant !
Mme Catherine Troendlé. - Du côté des parents, ils sont 69 % à juger négativement la réforme, 80 % à trouver leur enfant plus fatigué. Décidément, il n'y a qu'au sommet de l'État que l'on pense que « ça va mieux » !
Je demande une évaluation complète par l'éducation nationale de cette réforme. (Applaudissements à droite et au centre)
M. Patrick Abate . - Le rapport de Mme Cartron, excellent, dresse un bilan positif malgré les difficultés de mise en oeuvre. L'instrumentalisation politique par certains maires de droite n'a pas aidé ! Nous étions attachés à l'objectif de la réforme, qui était de réduire les inégalités entre élèves.
Plus de jours de classe, moins chargés, c'est un progrès incontestable. La fatigue des élèves est sans doute due à ce que leurs parents les inscrivent encore à d'autres activités en dehors de l'école. C'est un problème de famille, et de société.
Sur le terrain, les activités périscolaires relèvent encore trop souvent de la garderie plus que du loisir éducatif venant compléter efficacement l'enseignement. Certains manquent de cohérence avec le projet éducatif, malgré 97 % de projets éducatifs territoriaux (PEDT) signés. Le fonds d'amorçage est important mais l'intérêt de l'offre varie en fonction des ressources des communes... Les communes les plus riches proposent les activités les plus intéressantes, les plus pauvres ont du mal, alors qu'elles regroupent les populations les plus défavorisées, les moins mobiles, souvent les plus taxées...
Le constat d'inégalité de l'école ne date pas d'hier. La RGPP y a fortement contribué. (Mme la ministre opine) Et la droite continue à surenchérir en promettant de tailler dans le nombre de fonctionnaires ! (Applaudissements à gauche)
M. Alain Néri. - Très bien ! Parfait !
M. Patrick Abate. - Quand j'entends ces discours, je m'inquiète pour la pérennité des aides...
Le samedi matin, c'est vrai, les parents appréciaient de pouvoir rencontrer les enseignants. Ceux-ci ont besoin de davantage de temps, il faut des décharges pour les directeurs.
Je vous invite, madame la ministre, à faire partager les bonnes pratiques et assurer la pérennité des aides.
Pour nous, l'école n'est pas une dépense, c'est un investissement. (Applaudissements à gauche)
M. Alain Néri. - Bravo !
M. Patrick Abate. - Dommage que l'Europe ne le voie pas ainsi.
Bref, augmentons les moyens, répartissons mieux les richesses sur le territoire national - et ne jetons pas le bébé avec l'eau du bain. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain, du groupe communiste républicain et citoyen et du groupe écologiste)
M. Alain Néri. - Encore bravo !
Mme Mireille Jouve . - L'excellent rapport de Mme Cartron met en évidence les difficultés de mise en oeuvre de la réforme, mais présente aussi un vaste panel d'activités dans lequel les maires de petite commune, dont je suis, peuvent puiser.
Les élèves français avaient à la fois le nombre de jours d'école le plus faible dans l'OCDE et des journées très chargées. C'est pourquoi du temps a été ménagé pour les activités périscolaires.
La réforme a nécessité des adaptations. Le Gouvernement a répondu aux demandes des collectivités territoriales en apportant des aides techniques et financières pour conclure des PEDT. Ce faisant, il a créé une incertitude sur la pérennité des aides.
Pour nombre de parents, la réforme s'est résumée au périscolaire ; c'est ce qui a causé le plus de difficultés aux petites collectivités. Une aide de 50 euros par enfant, majorée de 90 euros dans les zones urbaines sensibles et les zones de revitalisation rurale, ne suffit pas quand on part de zéro. Je le sais d'expérience...
Que faire si aucun bénévole n'est disponible ? Comment éviter la concurrence entre communes pour les animateurs et les locaux ? Faut-il sacrifier la gratuité ?
Le tissu associatif, dense dans les grandes villes, fait défaut aux petites communes.
L'absentéisme explose le samedi matin : dans mon département, 50 % des effectifs peuvent manquer en maternelle, 20 % en élémentaire. L'augmentation de l'absentéisme pourrait remettre en question l'intérêt pédagogique de la réforme.
Sans rejeter cette réforme, je me fais l'écho de l'inquiétude des maires des petites communes. Je n'ai qu'un voeu : que cette réforme essentielle et salutaire ne renforce pas les inégalités entre communes. (Applaudissements sur les bancs du groupe du RDSE et sur plusieurs bancs du groupe socialiste et républicain)
Mme Françoise Férat . - La réforme a commencé en janvier 2013 par un décret pris sans concertation avec les élus. Je ne peux laisser dire que les élus ne se sont pas mobilisés, même s'ils ont été placés devant le fait accompli. (Applaudissements au centre et à droite)
Cette réforme se traduit par plus de temps passé à l'école, et des activités moins intéressantes. J'ose à peine le dire, faute d'intervenants, on donne aux enfants des coloriages... Je ne caricature pas !
Mme Françoise Cartron, auteure de la question. - C'est très bien ! Le coloriage déstresse !
Mme Françoise Férat. - En milieu rural, l'amplitude horaire reste liée au transport scolaire. Où en est-on de l'annualisation des vacances, un temps évoquée ? Je vous épargnerai le couplet sur les congés de la Toussaint qui commencent en milieu de semaine...
On me dit que tout va bien. Le bilan est sans doute parfois positif. Mais quand ce n'est pas le cas, n'incriminez pas les mauvaises volontés locales ! Allez-vous réellement sur le terrain ?
Mme Françoise Cartron, auteure de la question. - Oui !
Mme Françoise Férat. - Comment appliquer une telle réforme de manière uniforme là où les inégalités territoriales sont si grandes ? Les communes rurales n'ont pas le personnel nécessaire. Dans mon département, la Marne, une intercommunalité, la mienne, qui regroupe 26 communes et 5 000 habitants ne trouve pas d'intervenants. Alors on propose aux enfants des activités au rabais, voire des heures de garderie. Dans mon groupe scolaire, la musique, le dessin, l'initiation au cinéma étaient pratiqués pendant les heures de classe. Aujourd'hui, les enseignants n'en ont plus le temps... Quel gâchis...
Mme Troendlé l'a dit, 70 % du coût est assumé par les communes. Certaines communes doivent demander aux familles une participation financière pour que leurs enfants... soient gardés - et j'utilise ce mot à dessein.
La réforme serait prétendument financée. Pour la deuxième année consécutive, le Gouvernement ponctionne 2,5 millions d'euros sur l'enseignement agricole... Excusez du peu ! Vos services, madame la ministre, me répondent que la pratique est normale en ces temps difficiles... (Marques d'ironie à droite)
Où en sommes-nous, trois ans après la réforme ? Le constat de l'OCDE est toujours aussi accablant. Nous avons tout à portée de main mais nous gâchons l'avenir de nos enfants. Vous évoquerez l'héritage ? Je fais le triste constat que vous n'avez pas fait mieux. Faut-il fragiliser l'enseignement agricole pour des réformettes qui déstabilisent l'école, sans prêter attention aux propositions des sociologues et des experts ? L'école de la République est l'une des plus inégalitaires. Ce n'est plus une école à deux vitesses, mais à plusieurs vitesses... Sachons reconnaître que nous nous sommes trompés pour aller de l'avant. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains et UDI-UC)
Mme Marie-Christine Blandin . - La semaine de quatre jours avait fait consensus... contre elle. La réforme était nécessaire. La semaine de neuf demi-journées devenue la semaine de cinq matinées a souffert d'un gros non-dit : pour les parents qui travaillent le temps scolaire a un rôle de garderie. Surtout, la réforme a été décrétée hors du débat parlementaire sur la refondation de l'école quand elle devait mobiliser tous les acteurs pour rechercher une meilleure articulation des temps de l'enfant. L'ouverture de l'école sur son territoire est précieuse. Des milliers d'enfants, jadis livrés aux écrans, pratiquent désormais des activités collectives. Certes les responsabilités des municipalités se sont accrues, dans un contexte électoral peu propice à un débat apaisé...
La qualité de la mise en oeuvre est due pour beaucoup à l'implication des acteurs locaux. D'après le mot d'une institutrice rurale, c'est une réforme à la fois humble et ambitieuse. Mobiliser les artisans ou les parents, mutualiser... les pistes sont nombreuses.
Je souscris aux propositions de Mme Cartron, surtout en matière de simplification. Je déplore toutefois un fonctionnement trop cloisonné du Gouvernement : si le ministère de la jeunesse et des sports avait été associé, le dispositif aurait été plus cohérent et les acteurs de l'éducation populaire n'auraient pas eu tant de peine à se faire entendre.
Les propositions concrètes, par exemple la création de modules interprofessionnels de formation dans les écoles supérieures du professorat et de l'éducation (Éspé), ne manquent pas mais elles ne sont pas toujours mises en oeuvre.
Je me félicite des fonds mobilisés grâce à Mme Royal pour un espace de nature dans 10 000 écoles et collèges. L'éducation à l'environnement se heurte trop souvent à un zèle sanitaire et sécuritaire abusif. Toucher du compost ? Quelle horreur... (Applaudissements à gauche)
Mme Danielle Michel . - (Applaudissements à gauche) La loi du 8 juillet 2013 a fixé une priorité : réduire l'impact des déterminismes sociaux et des inégalités territoriales.
La loi de refondation de l'école a été adoptée conforme par les deux chambres, signe que la priorité au primaire était partagée. La nécessité d'abandonner la semaine de quatre jours faisait consensus. L'excès de concentration du temps de classe affecte avant tout les enfants les moins favorisés. Aujourd'hui, 90 % des communes ont signé un PEDT. M. Baroin a estimé, au Congrès des maires, qu'il n'y aurait pas de retour en arrière. M. Sarkozy a pris la position inverse... Alain Juppé parle, lui, de liberté laissée aux maires.
Mme Françoise Cartron, auteure de la question. - C'est la polyphonie !
Mme Danielle Michel. - De quelle liberté parle-t-on ? Celle de décider du nombre de matinées ? Ce n'est pas possible. D'organiser ou non des activités ? C'est déjà le cas. Quant à M. Le Maire, il parle d'intervenir... Une clarification s'impose...
Le débat tourne autour de la qualité de l'offre, très inégale ; mais ce qui fait la différence, c'est l'antériorité des politiques éducatives et la volonté politique, l'impulsion collective. Pour le maire d'une petite commune, c'est l'attractivité de son territoire qui est en jeu au travers de son école ; je connais des PEDT de grande qualité dans la ruralité. La réforme, si elle a été difficile à mettre en oeuvre, n'a pas créé d'inégalités ; elle doit contribuer à les réduire.
Plus de deux millions d'enfants participent dorénavant à des activités périscolaires. C'est considérable ! Dans mon département, le nombre de places est passé de 10 000 à 30 000 ; trois communes landaises sur quatre ont adopté la réforme dès 2013. Le groupe d'appui départemental (GAD) des Landes fait un travail remarquable pour organiser la mutualisation des ressources et accompagner les maires des petites communes en difficulté. De même que certaines intercommunalités accomplissent un travail remarquable pour proposer à tous les enfants des activités qui sont vecteurs d'inclusion. Dans la communauté de communes du Pays Tarusate, des ateliers ont ainsi été déployés dans quinze écoles publiques, faisant appel à quatre-vingt-dix intervenants. L'objectif de lutte contre les inégalités a été atteint.
Alors que l'on parle beaucoup d'identité ; il est bon d'interroger cette notion de manière positive, comme cela a été rendu possible dans ce cadre. Comme le dit le maire de Morcenx : « nous avons des familles venues de la ville qui ne connaissent pas les traditions ; en les faisant découvrir et apprécier des enfants, ils les partagent. C'est un vecteur d'inclusion ».
À nous, parlementaires, de valoriser ces pratiques. Si la souplesse accordée aux élus a pu être perçue comme un facteur d'incertitude, l'État a apporté des aides. Comment seront-elles pérennisées ? Comment les enseignants et les intervenants seront-ils sensibilisés, dans leur formation, à la question des rythmes scolaires ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)
Mme Brigitte Micouleau . - On peut lire, dans la motion sur l'école rurale adoptée par l'Association des maires ruraux de France lors de son dernier Congrès national que « l'école est davantage qu'un service public. Elle est un marqueur de la République et de la communauté nationale sur l'ensemble du territoire. L'école républicaine impose que tous les élèves, ruraux comme urbains, aient accès à la même qualité de l'école ». C'est dire si ce débat est d'actualité.
Tous les rapports ne dressent pas un bilan aussi positif que le vôtre, madame Cartron. Impression confirmée par le témoignage d'élus, de parents, d'enseignants. Selon une enquête de l'AMF de 2016, le coût annuel brut par enfant a été de 225 euros en moyenne pour les communes de moins de 2 000 habitants - financé à 73 % par les communes - contre un reste à charge au maximum de 65 % dans les communes de plus de 2 000 habitants. La complexité des dossiers CNAF a dissuadé de nombreux élus de demander l'aide de 54 euros.
Mme Françoise Cartron, auteure de la question. - Elle existe...
Mme Brigitte Micouleau. - Élus, enseignants, parents, en particulier dans le monde rural, s'accordent à dire qu'il y a un déficit d'intervenants formés. Les petites communes ont souvent recours au système D ; et sont bien contentes de pouvoir compter sur des bénévoles.
Enfin, problème commun au monde rural et au monde urbain, la fatigue des enfants. Le Premier ministre nous assure que les écoliers sont moins fatigués... Mais ce n'est le ressenti ni des enseignants, ni des parents... Certains parents conduisent leurs enfants à l'école à 7h30 du matin pour les y chercher entre 18 heures et 18 h 30. Auparavant, ils pouvaient se reposer chez leurs grands-parents le mercredi. D'ailleurs, nos écoles maternelles rurales sont peu fréquentées ce jour de la semaine...
Il faudra adapter la réforme à la diversité de nos territoires et aux modes de vie de nos concitoyens, qui diffère en métropole et à la campagne. (Applaudissements à droite)
M. Daniel Laurent . - Ah, la réforme des rythmes scolaires ! Je pourrais répéter tout ce que j'ai déjà dit sur ce sujet. Je ne conteste pas la nécessité d'aménager le temps scolaire mais regrette l'absence de consultation en amont des élus et des parents.
Dès la parution du décret, les édiles ont identifié les difficultés de la nouvelle organisation du temps scolaire ; la réalité est qu'elles ont conduit la réforme à l'échec en 2013. Isolés sur le terrain, face à des services déconcentrés aussi démunis qu'eux... On leur a dit en quelque sorte « débrouillez-vous », faites appel aux associations, aux retraités, aux bénévoles... Effectivement, madame Cartron, on peut parler d'ingéniosité des territoires... (Marques d'approbation à droite)
Pourquoi cette réforme du temps scolaire en est-elle venue à se résumer à celle du périscolaire ? Ce glissement, intéressant, indique qu'il aurait fallu insister sur le socle fondamental : apprendre à lire, écrire, compter - plutôt que de transformer l'école en centre de loisirs plusieurs heures par semaine. À ce compte-là, le temps de distraction sera bientôt plus important que celui de l'instruction...
Mme Catherine Troendlé. - Absolument !
M. Daniel Laurent. - Les enseignants n'ont pas attendu cette réforme pour profiter du temps où la concentration des enfants est au plus haut.
J'approuve certains constats du rapport, recalibrage du nombre des ateliers, épuisement du vivier des bénévoles, hausse des prix des prestations.
Les élus ruraux, alors qu'ils s'investissent, ont le sentiment que la réforme a été pensée à l'aune des seuls objectifs de l'éducation nationale, sans tenir compte du coût pour les petites communes soumises à une baisse drastique de leurs dotations comme à l'inflation normative.
Madame la ministre, quel bilan tirez-vous de votre réforme ? Avez-vous atteint vos objectifs ? (Applaudissements à droite)
Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche . - Je salue chaleureusement Mme Cartron pour la qualité du travail qu'elle a accompli. Elle est allée au-devant des petites communes, des enseignants et des parents d'élèves pour entendre leurs difficultés et leurs attentes. Son rapport est d'une grande richesse.
Cette réforme, qui entre dans sa troisième année, a désormais trouvé son rythme. Après deux ans d'un intense travail d'organisation, nous devons maintenant faire davantage connaître les bonnes pratiques à tous.
Je ne viens pas devant cette assemblée pour tenir un discours provocateur. Je sais les difficultés de mise en oeuvre d'une réforme dont je rappelle qu'elle a été voulue et pensée pour les enfants. (Mouvements divers à droite) J'ai agi pour l'accompagner, stabiliser son cadre et son financement, coordonner des acteurs qui, trop souvent, travaillaient chacun de leur côté.
Clairement, cette réforme a bouleversé les pratiques des enseignants, celles des animateurs et les habitudes des familles.
Clairement, elle a fait débat dans les communes. Pourtant, plus personne ne conteste qu'elle a remis l'école au centre des enjeux politiques locaux. Parce qu'ils sont à raison attachés à leur école, les maires ne la mettent plus en cause. (On le nie vivement sur les bancs du groupe Les Républicains) Ils en ont souvent fait un facteur d'attractivité de leur commune.
Cette réforme est d'abord une réforme pédagogique dont plus personne ne conteste qu'elle était une nécessité car elle corrige les gravissimes erreurs commises dans le passé...
Mme Catherine Troendlé. - Lesquelles ?
Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. - ...après l'instauration ubuesque de la semaine de quatre jours en 2008. (On se récrie à droite) Les scientifiques, spécialistes du rythme de l'enfant, l'avaient dit à M. Chatel : l'extrême concentration du temps, conséquence du fait que les écoliers français avaient le plus faible nombre de jours de classe de tous les pays de l'OCDE, 144 contre 187 en moyenne, nuisait aux élèves. Que ne vous a-t-on entendu parler de la fatigue des élèves à cette période ? Il faut avoir l'honnêteté de le reconnaître.
M. René-Paul Savary. - Vous êtes malhonnête !
Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. - Cette réforme s'inscrit dans la priorité donnée à l'école. Nous avons créé 19 328 postes d'enseignants dans le premier degré, rénové les programmes de maternelle et du primaire, lancé le programme « plus de maîtres que de classes », insisté sur l'accueil des moins de trois ans. La réforme des temps scolaires prend son sens dans cet ensemble.
Le rapport de l'Inspection générale de l'éducation nationale, que j'ai rendu public en juin 2016, s'il estime prématuré de mesurer les bénéfices pédagogiques de la réforme, fait des recommandations dont j'ai tenu compte pour renforcer l'accompagnement des enseignants. Avec les nouveaux programmes, la cinquième matinée est très appréciée par ces derniers.
Mme Françoise Cartron, auteure de la question. - C'est vrai !
Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. - Nous expérimentons avec des enseignants de plusieurs académies des parcours de formations en ligne.
Avec le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) a été noué un partenariat pour favoriser les formations croisées des enseignants et des animateurs. Une convention a été signée entre les Éspé et le collectif des associations partenaires de la République. Cela répondra à la demande de Mme Blandin.
Voilà l'esprit de notre démarche : accompagner les enseignants et favoriser les synergies. La complémentarité, que, comme Mme Cartron, j'ai constatée de la Somme à l'Ardèche, est bonne pour l'école ; elle devra se généraliser. De nombreuses expériences et ressources méritent d'être mieux connues.
La maternelle ne doit pas être isolée de l'école élémentaire, c'est affaire d'efficacité.
M. Jean-François Husson. - Vous persistez dans l'erreur !
Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. - Le travail scolaire doit néanmoins tenir compte du rythme des enfants en maternelle. Dès mon arrivée au ministère, j'ai adressé une circulaire pour que soit respectée l'alternance entre temps de repos et temps d'apprentissage. Ainsi, les enfants déjeunant à la cantine doivent-ils être couchés pour la sieste sitôt le repas pris sans attendre la récréation postprandiale.
Accompagner cette réforme, c'est aussi se doter d'indicateurs pour l'évaluer. Nous avons mis en place des outils d'évaluation spécifiques et lancé des enquêtes sur tous les sujets : absentéisme, progrès des élèves, rythmes chronobiologiques, pratiques enseignantes, perception des familles... Elles seront publiées en 2017 et diffusées aux élus locaux. Une étude scientifique sur la fatigue est menée à Orléans et en Guadeloupe. Sans attendre, celle que le maire d'Arras a menée conclut que la réforme n'entraîne pas un surcroît de fatigue ; au contraire, elle est bénéfique à la vigilance en classe des enfants, surtout en REP. Une équipe d'universitaires japonais est même venue étudier les effets de la réforme... Nous nous en réjouissons.
La réforme donne déjà des résultats positifs : 93 % des communes ont mis en place des activités périscolaires inscrites dans un PEDT ; 2 millions de places supplémentaires pour les enfants... Les activités périscolaires ont rencontré leur public. Pour 80 % des élus, ces activités contribuent à l'enrichissement et à l'épanouissement des enfants ; près de 90 % des élus pensent que ces activités rendent les enfants heureux.
La réforme creuserait les inégalités ? Comment le soutenir quand, d'après l'AMF, 70 % des enfants participent à des activités périscolaires, contre 20 % auparavant ?
Deux tiers des communes ont fait le choix de la gratuité quand d'autres ont prévu une tarification, y compris sociale. Ces activités participent du si précieux vivre ensemble, elles servent à corriger les inégalités. À Arras, les enseignants, notamment ceux de REP, témoignent d'une amélioration de l'autonomie des élèves et de leur sentiment d'estime de soi.
Ces progrès, nous les devons à l'implication des élus locaux. Leur engagement n'est pas fonction de la taille de la commune. La réforme a un coût, je ne l'ai jamais contesté, depuis 2015, le soutien financier de l'État est pérennisé, à moins qu'une autre politique le remette en cause. Depuis 2013, l'État a versé 830 millions d'euros d'aides auxquelles il faut ajouter 1,2 milliard d'euros d'aides de la CAF - 539 millions en 2016.
J'ai entendu les demandes de simplification, nous y travaillons.
L'AMF demande une compensation intégrale des dépenses mais ce n'est pas la règle quand le service est facultatif.
Mme Catherine Troendlé. - C'est un transfert de charges !
Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. - Certains élus se sont organisés pour proposer des activités à moindre coût grâce à la mutualisation. Nous avons aidé les collectivités en difficulté - contrairement à ce à quoi on pouvait s'attendre, tout n'est pas fonction de la taille. Il fallait aider Toulouse, nous avons aidé Toulouse. L'aide de 90 euros a été pérennisée sur l'ensemble de la durée des PEDT pour les communes sorties de la DSU-cible ou de la DSR-cible.
Oui, il faut dynamiser les GAD dont on connaît le travail remarquable dans les Landes, la Corse-du-Sud ou en Meurthe-et-Moselle ; une instruction sera publiée jeudi prochain pour passer à une deuxième étape. Enfin, mon ministère publiera deux guides destinés aux élus, l'un sur les activités artistiques et culturelles, l'autre sur l'association des parents au PEDT, élaborés avec le concours de tous les acteurs.
La réforme est désormais installée. Nous n'avons pas besoin de polémiques inutiles, nous avons besoin de prolonger la dynamique à l'oeuvre sur le terrain, dans l'intérêt de tous les enfants. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)