Renforcement de la sécurité de l'usage des drones civils
M. le président. - L'ordre du jour appelle l'examen de la proposition de loi relative au renforcement de la sécurité de l'usage des drones civils.
Discussion générale
M. Xavier Pintat, auteur de la proposition de loi . - Il y a exactement un an, le 20 mai 2015, nous examinions un texte devenue la loi du 6 juin 2015 sur la protection des installations civiles abritant des activités nucléaires dont j'étais le rapporteur. Le dispositif anti-intrusions a été étendu aux sites militaires par la loi de programmation militaire réactualisée. L'effet dissuasif de ces textes est avéré. Pour autant, seules les installations terrestres étaient couvertes.
Or nous recensions déjà une soixantaine de survols par des drones, dont celui de la base militaire de l'Île Longue. Le Gouvernement a fait réaliser un rapport sur le sujet au Secrétariat général à la défense et à la sécurité nationale (SGDSN), remis en octobre dernier : il fait le point sur les adaptations réglementaires nécessaires.
Ne diabolisons pas les drones, il s'agit d'encadrer leur usage sans casser le développement dynamique du secteur où de nombreuses entreprises françaises ont trouvé leur place.
En 2015, on a signalé huit survols à proximité de Roissy-Charles-de-Gaulle. Deux nouveaux survols ont été repérés à proximité d'avions de ligne en phase d'approche, le 19 février et le 20 avril 2016. À l'étranger, d'autres incidents ont été recensés au cours de l'année 2015 ; en janvier à Dubaï, en avril à Manchester, en juillet à Varsovie...Ils sont devenus innombrables, à tel point que l'association internationale du transport aérien (IATA) a appelé à la mise en oeuvre de réglementations et de moyens adaptés. Les États-Unis ont réagi très vite en imposant un enregistrement des drones de plus de 250 grammes.
Le 29 février 2016 un drone obligeait à mobiliser deux F16 belges et un Rafale avant de s'écraser dans un champ dans l'Aisne. La menace des drones est désormais prise en compte pour toutes les manifestations mobilisant du public - comme la COP21 ou l'Euro de foot ; entre autres, depuis qu'un drone était venu se poser à quelques mètres de Mme Angela Merkel lors d'un meeting politique en septembre 2013.
Nous devons d'abord adapter nos technologies à l'identification et à la neutralisation des drones. Des expérimentations sont en cours. Ainsi, l'Agence nationale de la recherche (ANR) a engagé un programme pour mettre au point un radar passif, en coopération européenne et internationale, de sorte que ces systèmes soient interopérables.
La France compte 200 000 drones de loisirs et 2 300 opérateurs professionnels, qui utilisent 4 200 drones. Ce développement a été permis par une législation pionnière de 2012, codifiée en 2015, qui autorise des dérogations et en particulier les vols hors vue.
Il est besoin d'un cadre législatif pour encadrer davantage l'usage des drones civils au-delà de ce que prévoit déjà la loi de programmation militaire. Les professionnels de la filière y sont favorables, comme nous l'avons constaté lors des auditions que nous avons menées avec M. Jacques Gautier, coauteur de cette proposition de loi.
Enregistrement, formation des pilotes, signalement des drones et renforcement des sanctions en cas de vols illicites, voici l'objet de ce texte qui n'apporte en aucun cas une réponse fermée à une question technologique en constante évolution.
Les apports du rapporteur Pellevat sont bienvenus, je pense en particulier à l'enregistrement en ligne des drones.
Chacun en est conscient, il est de notre devoir de compléter l'arsenal législatif sur les drones civils. (Applaudissements à droite, au centre et sur les bancs du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur quelques bancs du groupe communiste républicain et citoyen)
M. Cyril Pellevat, rapporteur de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable . - Ce texte fait suite à des vols intentionnels au-dessus des installations nucléaires en 2014. Plus largement, il répond au développement des drones civils, un secteur en pleine expansion. En France, on dénombrait entre 150 000 et 200 000 drones fin 2015.
Le premier risque est celui d'accident, des drones ont provoqué la fermeture d'aéroports à Paris-Charles-de-Gaulle, Heathrow ou encore Dubaï. Récemment, un sharklet avait été arraché par un drone aux États-Unis : il s'agit de la petite partie recourbée au bout de l'aile, que l'on retrouve sur certains modèles d'avions comme l'A320. Autre exemple dramatique, un drone s'est écrasé en plein centre de Buenos Aires en Argentine, le 15 août 2015, blessant grièvement deux personnes. Malgré cela, l'accidentologie liée aux drones reste faible.
Le deuxième risque est la captation indue d'informations sur des sites sensibles ou relatives à la vie privée. La Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) s'est saisie du sujet et propose de faire évoluer les textes relatifs à la vidéoprotection pour mieux prendre en compte la surveillance mobile.
Le troisième risque est celui de l'utilisation du drone comme une arme. Le 26 janvier 2015, un aéronef a survolé la Maison blanche avant de s'y écraser. En avril 2015, un drone contenant un peu de sable radioactif s'est posé sur le toit de la résidence du Premier ministre japonais, à Tokyo.
Le quatrième est celui de l'utilisation à des fins délictuelles ou criminelles. Le 29 juillet 2015, un drone a largué de la drogue dans la cour d'une prison de l'Ohio.
Enfin, le cinquième risque est celui de l'utilisation démonstrative de drones pour décrédibiliser l'État. M. Pintat a cité le cas du meeting de Mme Merkel en 2013. On peut aussi évoquer le survol d'un appareil portant un drapeau pro-albanais lors d'un match de football opposant, à Belgrade, la Serbie et l'Albanie en octobre 2014, ce qui avait provoqué l'interruption du match.
Dans ce secteur en pleine expansion, il convient de laisser de la souplesse. D'où le recours au réglementaire pour les seuils. Privilégions la formation et l'information, la démarche préventive. Des solutions innovantes sont en cours d'expérimentation aux Pays-Bas, où l'on dresse même des faucons pour intercepter les drones... (Sourires)
L'article premier définit, d'une part, les drones à travers la notion de télépilote, d'autre part, le champ d'application de l'immatriculation des drones. J'y ajoute une référence à un régime d'enregistrement en ligne et de déplacer la définition du télépilote à l'article suivant.
L'article 2 impose une formation aux télépilotes d'aéromodèles, au-delà d'un certain seuil de masse. Spécifique à ce type d'aéronef, cette formation pourrait consister en un tutoriel sur internet, en lien avec la procédure d'enregistrement, selon des modalités qui seront fixées par voie réglementaire. La commission a inclus une nouvelle définition du télépilote qui prend en compte tous les cas de figure : drone piloté, drone automatique, drone autonome dont la trajectoire est programmée par l'intelligence humaine ou l'intelligence artificielle. Outre des précisions rédactionnelles, nous avons limité l'obligation de formation au seul usage de loisir, supprimé la dispense de formation pour les télépilotes affiliés à une fédération sportive ainsi que la référence aux sanctions applicables en cas de méconnaissance de l'obligation de formation, qui devrait être sanctionnée par des peines contraventionnelles. Enfin, nous pourrions exiger la détention d'un titre de télépilote pour certaines activités professionnelles opérées hors vue du télépilote, qui sont par nature plus complexes.
L'article 3 crée une obligation d'information de l'utilisateur à la charge des fabricants de drones : il impose, en pratique, l'insertion d'une notice informant l'usager des principes et règles à respecter pour utiliser ces appareils en conformité avec la législation et la règlementation applicables. J'ai supprimé la référence à l'obligation d'information pour les seuls drones destinés à un usage de loisir : les professionnels utilisent de façon croissante des drones grand public, tandis que des amateurs sont tentés par des drones très performants, dont le prix décroît. J'ai supprimé aussi la référence à un seuil de déclenchement de cette obligation d'information, car il serait fondé sur la masse du drone, ce qui s'accorderait mal avec l'obligation d'inclure cette notice dans les emballages des pièces détachées, qui peuvent être très légères, également visées afin de toucher les constructeurs amateurs assemblant eux-mêmes leurs drones.
L'article 4 rend obligatoire un signalement électronique et lumineux des drones à partir d'une certaine masse. L'objectif est de distinguer rapidement les drones coopératifs des drones hostiles afin de limiter les risques de méprise dans les contre-mesures. Cette disposition nécessitant des adaptations industrielles, son entrée en vigueur est différée au 1er janvier 2018. J'ai proposé un régime d'exemption pour les drones opérant dans un cadre agréé et dans certaines zones identifiées, notamment pour les usages expérimentaux, ainsi qu'un dispositif de limitation de performances afin d'assurer la sécurité des vols habités, à la suite de plusieurs incidents récents au cours desquels des pilotes ont indiqué avoir croisé des drones au-dessus de 150 mètres d'altitude.
Enfin, l'article 5 prévoit des sanctions réprimant l'usage illicite ou malveillant de drones.
Nous avons donc réécrit cette proposition de loi, en en conservant l'esprit, en respectant le besoin de souplesse et surtout en veillant à entraver le moins possible le développement de cette filière prometteuse. (Applaudissements à droite, au centre et sur les bancs du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur quelques bancs du groupe communiste républicain et citoyen)
Mme Barbara Pompili, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer, chargée des relations internationales sur le climat, chargée de la biodiversité . - Les drones représentent un secteur en plein développement alors que notre pays ne comptait qu'une cinquantaine d'opérateurs en 2010, ils étaient 2 300 l'an passé, représentant 6 500 emplois ; cinéma, publicité, suivi de chantier, surveillance : les drones sont désormais partout. Entre autres exemples, ils participent de la prévention des incendies, en particulier dans le massif des Landes. Le déploiement de cette filière s'accompagne néanmoins de préoccupations de sécurité. Ces dernières semaines, de nombreux pilotes d'avion ont signalé des vols dangereux.
Le Gouvernement travaille avec les pays voisins pour écarter les drones malveillants. Le Conseil pour les drones civils a été installé en 2015, preuve de la volonté du Gouvernement d'assurer un équilibre entre sécurité et souci d'accompagner la filière.
La France, premier pays producteur de drones, a été la première à se développer d'une législation évolutive : en 2012, puis en 2015. Elle coopère avec l'Europe et les organisations internationales afin d'établir des règles communes.
Merci à MM. Pintat et Gautier d'avoir tiré les conséquences du rapport d'octobre 2015, remis par le Gouvernement au Parlement « L'essor des drones aériens en France : enjeux et réponses possibles de l'État ».
Le Gouvernement approuve les ajouts de la commission, en particulier sur les dispositifs de limitation de la performance à l'article 4. Vous avez eu également raison de sécuriser les sanctions applicables aux vols illicites, c'est le complément indispensable à une meilleure information des utilisateurs au moyen des notices désormais obligatoires.
Ce texte correspond au souhait du Gouvernement d'une législation réactive et souple. La discussion se poursuivra sur les seuils, sachant que le rapport de 2015 préconisait 25 kilogrammes comme seuil d'immatriculation et 1 kilogramme pour le simple enregistrement.
Merci au Sénat pour cette proposition de loi de modernisation du cadre juridique (Applaudissements)
Mme Leila Aïchi . - L'usage croissant et diversifiant des drones appellent un encadrement législatif. Les auteurs de la proposition de loi ont rappelé les risques de collision, perturbant le trafic aérien.
Les décrets de 2015 sont souvent mal connus des utilisateurs. Les 86 survols recensés en 2015 par le SGDSN seraient pour la plupart liés à une méconnaissance de la réglementation.
Cette proposition de loi est bienvenue et équilibrée, contrairement à la loi du 2 juin 2015. Le Parlement devra prendre toute sa part dans l'encadrement de ce secteur en pleine expansion. Nous saluons l'adoption de l'amendement de M. Pozzo di Borgo renforçant la protection de la vie privée. La réponse doit être globale et multidimensionnelle. Le renforcement réglementaire et capacitaire doit se faire au niveau national comme au niveau européen. Ce qui marque aujourd'hui, alors que c'est bien à l'échelon européen que l'on pourra trouver l'équilibre entre objectifs de développement du secteur et impératif de protection des libertés publiques. Le groupe écologiste votera ce texte. (Applaudissements)
Mme Évelyne Didier . - L'usage des drones se démocratise. On retrouve ces appareils dans la publicité, le cinéma, le BTP. Le festival « Drôles de drones », qui doit se tenir à la cité des sciences et de l'industrie de la Villette dans un mois, nous dévoilera certainement de nouvelles possibilités d'utilisation.
Les TPE et PME françaises sont bien placées dans ce secteur.
La commission européenne s'est saisie du sujet et a publié un rapport. Le Parlement européen a adopté une résolution appelant à l'élaboration d'un cadre européen sur les drones civils accompagnant le développement de la filière et protégeant les biens et les personnes, en particulier dans le domaine de la vie privée. Voici tout l'enjeu de ce texte résumé en quelques mots.
Son article premier prévoit un régime d'enregistrement en ligne pour les drones. Le seuil pourrait être fixé entre un et vingt-cinq kilogrammes. Il doit être assez bas : 98 % des drones de loisirs en France sont des micro-drones. De plus, l'immatriculation en ligne n'est guère une procédure contraignante. Encadrons un peu plus le pouvoir réglementaire - à mon sens, cela est nécessaire également sur les sanctions.
La commission a adopté un amendement protégeant la vie privée. Cela nous renvoie à des questions éthiques. Bien trop souvent, la loi est sur ce point en retard sur la technologie. Certains considèrent que les prises de vues de manifestants constituent des atteintes à la vie privée.
Le groupe CRC votera ce texte...
M. Bruno Sido. - Bravo !
M. Robert del Picchia. - Très bien !
Mme Évelyne Didier. - Cela ne devrait guère vous étonner... (Exclamations à droite) Il sera particulièrement attentif aux questions d'éthique et de démocratie. (Applaudissements)