Déontologie et droits et obligations des fonctionnaires (Conclusions de la CMP)
M. le président. - L'ordre du jour appelle les conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi relatif à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires.
Discussion générale
M. Alain Vasselle, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire . - Nous voici au terme d'un long processus : le projet de loi avait été déposé le 17 juillet 2013 puis rectifié par le Gouvernement en juin dernier. La CMP est parvenue à un texte équilibré, dans lequel les apports du Sénat sont nombreux.
Dans son premier volet relatif à la déontologie, les principes essentiels de la fonction publique sont rappelés : impartialité, intégrité, dignité, neutralité, laïcité. Les déclarations d'intérêts et de patrimoine sont élargies aux fonctionnaires occupant les postes les plus sensibles et les compétences de la commission de déontologie renforcées. Des dispositions spécifiques s'appliquent aux militaires et aux magistrats administratifs et financiers.
Le volet social prévoit par exemple l'extension des dispositions de la loi Sauvadet jusqu'en 2018 ; un congé de deux jours pour les représentants au CHSCT, un délai de prescription de trois ans en matière disciplinaire.
Le Sénat a cherché à garantir un juste équilibre entre les droits des agents et les marges de manoeuvre nécessaires des employeurs. Nous avons veillé à rendre plus efficace les dispositifs déontologiques : la déclaration patrimoniale sera soumise après la nomination et non avant ; une plus grande garantie de confidentialité pour la déclaration d'intérêts est prévue. Contrairement à ce qu'on a pu lire dans la presse, le Sénat n'a pas cédé sur le devoir de réserve ; il a accepté qu'il ne figure pas dans le texte à condition que la volonté du législateur soit précisée avec le maintien de ce principe jurisprudentiel sous le contrôle du juge administratif.
Grâce au Sénat, l'intérim a aussi été maintenu dans les trois fonctions publiques ; c'est une souplesse indispensable à la continuité du service public. Nous avons aussi oeuvré pour une gestion plus rationnelle de la fonction publique territoriale, maintenu le droit en vigueur pour le recrutement sans concours des agents de catégorie C - un comité de sélection spécifique aurait coûté cher aux petites collectivités -, précisé le rôle des centres de gestion, étendu les concours sur titre, maintenu la présence du juge administratif dans les conseils de discipline, assuré un meilleur suivi des reçus-collés.
Quelles sont les perspectives ? Nous attendons avec impatience le rapport de Philippe Laurent sur le temps de travail des fonctionnaires : il est inacceptable que certains agents de la fonction publique territoriale puissent travailler moins de 35 heures alors que l'on demande aux salariés du privé toujours plus d'effort. Nous avons aussi dû céder sur le délai de carence de trois jours. C'eut pourtant été une mesure d'équité avec le secteur privé. Dommage aussi que la généralisation des primes de performance n'ait pas été retenue, ni la question de l'âge de départ en retraite approfondie. L'article 27 ne règle qu'un cas particulier.
En conclusion, je souhaite que le débat se poursuive, notamment avec le projet de loi égalité et citoyenneté. La commission vous propose d'adopter le texte de la CMP au regard des nombreux apports du Sénat. (Applaudissements au centre et à droite)
Mme Annick Girardin, ministre de la fonction publique . - Cette loi conforte les valeurs que doivent incarner les agents de la fonction publique au service de nos concitoyens, tout en leur reconnaissant de nouveaux droits. Les deux chambres ont convergé sur un texte commun. Je salue le travail de Mme Lebranchu et remercie les rapporteurs, président et vice-président de la CMP d'avoir recherché les voies du compromis.
Ce texte arrive à bon port à un moment opportun ; les droits et obligations des fonctionnaires n'avaient pas été actualisés depuis trente ans et les quatre grandes lois de 1982, 1983 et 1986. Ce texte est dans leur continuité ; il reflète le profond attachement du Gouvernement pour le statut de la fonction publique et la spécificité de ses trois versants. Juste et ambitieux, il répond aux attentes des agents et des citoyens.
Dignité, impartialité, intégrité, probité, neutralité et laïcité - à laquelle je suis très attachée - les principes de la fonction publique sont, pour la première fois, inscrits dans la loi. Si les fonctionnaires doivent s'abstenir de manifester leurs opinions religieuses dans l'exercice de leur fonction, ils doivent aussi respecter la liberté de conscience et assurer l'égalité de traitement des usagers.
Ce texte parachève le travail amorcé avec la loi du 11 octobre 2013, renforce le pouvoir de la commission de déontologie. La reconnaissance des lanceurs d'alerte participe d'un renforcement de la déontologie dans la fonction publique. Comme y participe la disposition introduite par le Sénat interdisant à un fonctionnaire employé comme dirigeant d'un organisme public et d'une entreprise privée de toucher des indemnités autres que de congés payés. Une situation récente nous a laissé à tous un goût amer... Les fonctionnaires doivent être exemplaires.
Le texte loi propose d'autres dispositions telles que l'amélioration de la situation des contractuels, une meilleure organisation des mobilités des fonctionnaires ultramarins ou encore l'extension des missions du Centre national de la fonction publique territoriale pour faciliter le développement de l'apprentissage.
La CMP a aussi su rédiger avec précision la disposition concernant la prescription de trois ans en matière disciplinaire. La protection fonctionnelle des agents sera renforcée : 43 % des agents publics se disent victimes de violences verbales ou physiques. Il fallait agir.
Nous avons aussi renforcé les centres de gestion de la fonction publique territoriale.
Enfin cette loi modernise le dialogue social. Voilà donc un texte juste, équilibré, où les nouveaux droits s'accompagnent de nouveaux devoirs.
Je remercie la CMP d'avoir écarté certaines dispositions qui l'auraient déséquilibré, comme les trois jours de carence. Alors que certains responsables politiques appellent de façon à peine voilée au démantèlement de la fonction publique, nous choisissons de la renforcer ; les fonctionnaires incarnent l'intérêt général et ce serait une erreur de sous-estimer leur contribution au service de nos concitoyens.
Le Gouvernement est aussi attentif à la rémunération des fonctionnaires - c'est une marque de confiance. Les catégories C ont été revalorisées en février 2014, puis en janvier 2015, le protocole sur les carrières et les rémunérations est mis en oeuvre, via la loi de finances 2016, et implique que 500 textes seront revus d'ici la fin de l'année... Le point d'indice, gelé depuis juillet 2010, sera augmenté d'1,2 % en année pleine.
Pour l'avenir, trois sujets doivent être explorés plus avant : la laïcité, condition d'un vivre-ensemble apaisé ; l'innovation et l'engagement des jeunes au service de l'État. Pour cela, la fonction publique doit se moderniser et s'adapter, être ouverte à la diversité, exemplaire et transparente. (Applaudissements)
Mme Catherine Di Folco . - Je salue le travail fructueux de notre rapporteur et de son homologue à l'Assemblée nationale. Je me réjouis que la CMP ait abouti en reprenant nombre de nos propositions : le statut des militaires, l'autosaisine du supérieur hiérarchique en cas de conflit d'intérêt, l'harmonisation des règles déontologiques du Conseil d'État avec celle des magistrats, la transmission de la situation patrimoniale dans les deux mois de la nomination, le maintien de la présidence du conseil de discipline par un magistrat de l'ordre administratif ou la dégressivité de la rémunération des fonctionnaires momentanément privés d'emploi à partir de la troisième année, dont la prise en charge est particulièrement coûteuse pour les collectivités - plusieurs centaines d'agents sont dans cette situation depuis de nombreuses années. Parmi les dispositions retenues, je pense aussi à la possibilité de recruter des agents de catégorie C sans concours.
Le recrutement sur titre, au sein de la fonction publique territoriale, dans les filières médico-sociales et techniques, sous tension, sera maintenu, de même que le recours à l'intérim dans la fonction publique d'État et la fonction publique territoriale. Les missions obligatoires et facultatives des centres de gestion sont élargies, qui bénéficient aux collectivités territoriales et aux intercommunalités.
Je regrette cependant que certaines de nos propositions n'aient pas été retenues, et d'abord sur l'inscription du devoir de réserve. Depuis 1935, il figure dans la jurisprudence administrative ; pourquoi ne pas l'avoir formalisé dans le statut ? Je ne manquerai pas, pour ma part, de le rappeler aux candidats des nombreux concours dont je préside le jury.
Ensuite, les dispositifs de dérogation aux 35 heures. La Cour des comptes a noté qu'il y a là un gisement de productivité : si 12 agents passaient simultanément de 32 à 35 heures, un ETP annuel serait dégagé... Nous serons attentifs aux conclusions du rapport Laurent.
Enfin, l'instauration d'un jour de carence à compter du 1er janvier 2012 a fait baisser les arrêts maladie d'une journée de plus de 43 % dans les collectivités locales et fait économiser 164 millions d'euros en 2012 pour les trois fonctions publiques. À l'heure où chacun doit contribuer à l'effort de redressement des finances publiques, la différence avec le secteur privé n'est pas justifiable. Nous proposerons à nouveau ce dispositif dans un prochain texte.
Le groupe Les Républicains votera les conclusions de la CMP. (Applaudissements à droite)
M. Christian Favier . - Le statut de la fonction publique concerne 5 millions d'agents - et leur famille ; il mérite mieux qu'un débat raccourci par la procédure accélérée et un accord en CMP entre parlementaires de droite ou soutenant le Gouvernement. Les préoccupations des fonctionnaires trouvent peu d'écho dans ce texte. Peu de choses auront bougé pendant cette mandature...
En ouverture de la discussion, j'avais noté des avancées, comme la lutte contre les conflits d'intérêts, la titularisation de certains agents contractuels, l'élargissement des dispositifs de mobilité ou les nouvelles garanties statutaires. Mais j'avais aussi déploré, au-delà du manque d'ambition du texte, certaines dispositions telles que la mise à pied de trois jours sans recours au conseil de discipline ou la timidité des mesures de lutte contre la précarité. Nous craignions que le texte issu du Sénat fragilise la situation des fonctionnaires. Ces craintes étaient fondées. La droite sénatoriale a instauré trois jours de carence, élargi le recours aux CDD...
Dispositions que la CMP a écartées. Mais le risque d'une fonction publique low cost prend corps dans ses versants territorial et hospitalier. Un ancien président de la République souhaite ainsi supprimer 300 000 fonctionnaires, voire la fonction publique territoriale elle-même... C'est pourquoi nous regrettons que la précarité de nombreux fonctionnaires n'ait pas été davantage prise en considération et que la démocratie sociale reste aussi pauvre.
Nous regrettons que le Gouvernement ne soit pas revenu sur l'amendement Lamassoure, contraire à l'article 6-4 de la Charte sociale européenne qui garantit le droit de grève.
Finalement ce texte se borne à porter diverses mesures sur la fonction publique ; ce n'est pas un texte ambitieux, fondateur d'un engagement politique fort en faveur d'une fonction publique démocratisée, ouverte et dynamique au service de l'intérêt général.
Le groupe communiste républicain et citoyen s'abstiendra. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste républicain et citoyen)
Mme Françoise Laborde . - L'État ne saurait être appréhendé comme une entreprise et ne doit pas l'être. La poursuite de l'intérêt général nécessite une administration compétente et intelligente, respectueuse des principes déontologiques et protégée des intérêts privés.
Le groupe RDSE salue la hausse du point d'indice, gelé depuis 2010. Nous approuvons le renforcement de la protection fonctionnelle, la prolongation du plan Sauvadet de lutte contre la précarité ou encore la prescription de l'action disciplinaire. D'autres dispositions nous préoccupent, comme la transposition aux fonctionnaires des dispositions prévues pour les responsables politiques en matière de transparence. La Haute Autorité dispose-t-elle des moyens suffisants ? Son fonctionnement n'est, en outre, pas assez encadré. Comment fera-t-elle pour traiter 20 000 nouvelles déclarations d'intérêts et 4 000 nouvelles déclarations de patrimoine ?
Le texte de la CMP est un texte de compromis qui comporte une sérieuse lacune : nous avions déposé un amendement pour obliger la Haute Autorité à motiver ses décisions et créant une voie de recours. Il n'a pas été adopté.
Nos concitoyens exigent que la loi soit la même pour tous et que les fonctionnaires qui ont fauté soient soumis au code pénal, comme tous les citoyens. Les dispositions de ce texte seront-elles suffisantes pour guérir les « maladies » dont souffrentcertains fonctionnaires, celles que diagnostiquait le vice-président du Conseil d'État Jean-Marc Sauvé, la « schizophrénie existentielle », qui conduit à affirmer de grands principes sans les mettre en pratique, et la « maladie de la rivalité et de la vanité », quand la recherche des avantages personnels l'emporte sur le service du bien commun ? Ne cédons pas à la suspicion généralisée, la majorité des fonctionnaires a conscience de l'importance de sa mission au service de l'État et de nos concitoyens. Mais celle-ci implique le respect de règles de droit identiques pour tous.
M. Thani Mohamed Soilihi . - Au nom du groupe socialiste, je me félicite de l'accord trouvé en CMP sur ce texte important pour les 5,4 millions d'agents publics de notre pays. Il modernise le statut issu de la loi de 1983.
Les avancées du projet de loi ont été conservées en CMP, et les points les plus sensibles retirés de sa version finale. Saluons le travail des deux rapporteurs pour y parvenir.
Le titre premier fait émerger une nouvelle culture de déontologie pour les fonctionnaires, en inscrivant dans la loi les grands principes - dignité, impartialité, intégrité, probité, neutralité, laïcité - jusqu'alors seulement jurisprudentiels. En outre, il intègre différents outils propres à faire appliquer ces principes : mesures préventives des conflits d'intérêts, dans la lignée de la loi sur la transparence de la vie publique ; renforcement des prérogatives de la commission de déontologie et contrôle des départs des fonctionnaires vers le privé et des cumuls d'activités ; protection des lanceurs d'alerte et création de référents déontologues. Le groupe socialiste est très satisfait de la création d'un droit à un conseil déontologique pour tout agent public, tout comme de la faculté pour les centres de gestion de proposer une assistance juridique.
Mais le texte déborde la question de la déontologie : protection fonctionnelle accrue, mobilité, égalité hommes-femmes, résorption de la précarité... J'insisterai plus spécialement sur quelques points.
D'abord sur les reçus-collés : la liste d'aptitude est prolongée mais ils devront informer les centres de gestion de leur situation et les centres de gestion devront les suivre individuellement. L'objectif de réduction de la précarité devra être maintenu à un niveau raisonnable. Le plan Sauvadet est prolongé jusqu'en 2018, et non 2020.
La sanction d'exclusion de trois jours reste une sanction de premier groupe ; la présidence du conseil de discipline par un juge administratif est maintenue ; tant mieux. Notre groupe était également opposé au rétablissement des jours de carence.
M. Alain Vasselle, rapporteur. - Hélas !
M. Thani Mohamed Soilihi. - Nous saluons enfin la revalorisation des catégories C et le dégel du point d'indice.
M. Alain Vasselle, rapporteur. - Ce n'était pas dans le texte !
M. Thani Mohamed Soilihi. - Nous voterons ce texte.
M. Yves Détraigne . - Nous nous réjouissons du compromis trouvé pour les agents publics. Je salue le travail de M. Vasselle, grâce à qui la position du Sénat a largement prévalu en CMP. Jacqueline Gourault a pesé sur les évolutions du texte. D'abord sur l'attachement au concours pour l'entrée dans la fonction publique, ce qui n'exclut pas la souplesse du recours aux contractuels ou à l'intérim, souplesse préservée en CMP et conforme aux positions du Sénat ; de même que la suppression des comités de sélection pour les agents de catégorie C.
Jacqueline Gourault avait encore proposé une dérogation à l'emploi titulaire dans la fonction publique hospitalière ou la fonction publique territoriale en autorisant le recours à des contrats de droit privé dans certains établissements comme dans les petits châteaux où il est dans l'ordre des choses que la même personne assure à la fois l'entretien, la billetterie et les visites. L'amendement a été retiré, contre l'engagement de Mme Descamps-Grenier de prendre en compte les circonstances locales.
Le maintien de la sanction d'exclusion de un à trois jours dans le premier groupe est heureuse : son passage au deuxième groupe aurait emporté la réunion d'un conseil de discipline, la rendant inopérante.
Les discussions sont récurrentes ; on aime à opposer la fonction publique au monde de l'entreprise. Pour ma part, je refuse de les opposer, car je connais la qualité des fonctionnaires.
Nous devons cependant nous assurer de l'équité entre les agents publics et les salariés du secteur privé. Je veux ici parler de l'application des trois jours de carence pour les fonctionnaires en cas d'arrêt maladie. II est vrai que cette volonté d'équilibrer les règles entre fonction publique et salariat privé doit être précisée, en n'oubliant pas que les deux tiers des salariés du secteur privé bénéficient d'une prise en charge des jours de carence par leur complémentaire santé.
C'est pourquoi Mme Gourault a proposé l'instauration d'un seul jour de carence, ce qui constitue une contribution nécessaire au redressement des finances publiques et au bon fonctionnement des services publics en luttant contre l'absentéisme injustifié.
M. Alain Vasselle, rapporteur. - Un amendement de sagesse.
M. Yves Détraigne. - Sénatorial, en somme. (Sourires)
La CMP a considéré que cette disposition méritait de nouvelles discussions lors de l'examen du projet de loi Égalité et citoyenneté. Nous aurons également, j'en suis sûr, l'occasion d'en reparler dans le cadre des discussions autour du rapport de Philippe Laurent sur le temps de travail dans la fonction publique.
Nous voterons ce texte, qui n'est toutefois pas une fin en soi. Dans un monde qui change sans cesse, la fonction publique devra continuer à évoluer.
Les conclusions de la CMP sont adoptées.
Prochaine séance, mardi 26 avril 2016 à 14 h 30.
La séance est levée à 19 h 45.
Jacques Fradkine
Direction des comptes rendus