Gestion de l'aléa économique en agriculture
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle l'examen de la proposition de résolution visant à encourager le développement d'outils de gestion de l'aléa économique en agriculture, présentée en application de l'article 34-1 de la Constitution, par MM. Henri Cabanel, Didier Guillaume, Franck Montaugé, Alain Bertrand et les membres du groupe socialiste et républicain, à la demande de ce même groupe.
M. Henri Cabanel, auteur de la proposition de résolution . - Je suis fier de vous soumettre cette proposition de résolution, profondément convaincu qu'un marché sans règles est comme une démocratie sans lois. La crise agricole a des conséquences dramatiques, un agriculteur se suicide tous les deux jours. La volatilité des prix entraîne un effet déstructurant sur toute la filière.
Cette crise, globale, appelle de nouvelles solutions. Les agriculteurs britanniques manifestaient d'ailleurs il y a quelques jours à Londres.
L'enjeu est économique, parce qu'il y va de 3,5 % du PIB français. Sanitaire et alimentaire, bien sûr. D'aménagement du territoire, ensuite. D'indépendance enfin.
La loi d'avenir agricole, promulguée le 14 octobre 2014, a apporté sa part de réponse en engageant notre agriculture dans l'agro-écologie, en encourageant la mutualisation et le travail collectif (transparence des GAEC ou création des GIEE) et en renforçant par là-même sa compétitivité.
La création d'un fonds d'indemnisation sanitaire et environnementale fait des émules en Europe.
Mais face à l'aléa climatique, seules 32 % des cultures et 20 % des vignes sont couvertes. La dotation pour aléas climatiques, renforcée par le Gouvernement, doit encore être améliorée. Un dispositif existe enfin contre les risques environnementaux, via le Fonds national de gestion des risques en agriculture (FNGRA).
La puissance publique ne doit pas se désengager. La crise porcine a prouvé l'inélasticité de l'offre à court terme, qui empêche une rémunération stable des producteurs - lesquels doivent rembourser leurs investissements.
Phil Hogan a ainsi dû pour la première fois déclenché l'article 222 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne permettant aux opérateurs de déroger au droit de la concurrence pour limiter temporairement la production. La Commission a doublé les plafonds d'intervention pour la poudre de lait et le beurre et remis en place des mesures de stockage privé pour le porc.
Face à la concurrence des pays à faibles coûts et à la volatilité des prix, il faut faire de la gestion des risques économiques une priorité de la prochaine PAC.
L'Union européenne est la seule zone à abaisser ses aides à l'agriculture. Nous sommes les champions de la prime à découpler qui n'existe quasiment pas aux États-Unis et pas du tout au Brésil et au Canada.
Des mesures pérennes ne sont possibles qu'à l'échelon européen. L'article 36 du règlement de 2013 donne la possibilité aux États membres de développer « un instrument de stabilisation des revenus, sous la forme de participations financières à des fonds de mutualisation, fournissant une compensation aux agriculteurs en cas de forte baisse de leurs revenus ». La France n'a, pour l'heure, pas pu le faire, pour des raisons budgétaires, les fonds du 2ème pilier étant insuffisants, mais aussi techniques, d'articulation avec les autres outils d'assurance récolte.
Une combinaison d'outils est nécessaire en face de l'ampleur des risques, et de la diversité des cultures concernées. La réforme de la PAC doit encourager une plus grande flexibilité, afin de construire un mécanisme de stabilisation des revenus au niveau européen, afin de pallier la disparition des outils de régulation, fondé sur le principe de la solidarité professionnelle.
Il faut être innovant, supprimer les contraintes qui pèsent sur les tests de terrain. La France en ce domaine peut être un pays précurseur. Il faut aussi créer des réseaux de recherche collaborative et réfléchir à la création d'une agence européenne de gestion des risques.
La prochaine réunion du comité de l'agriculture de l'OCDE se déroulera demain et vendredi à Paris. La France copréside avec les États-Unis cet événement, en présence du Commissaire européen à l'agriculture. Il serait judicieux que la France porte cette proposition auprès de ses partenaires européens.
La PAC post-2020 doit accorder plus de place aux fruits de cette réflexion. Les négociations seront longues, mais indispensables entamons-les sans tarder !
Monsieur le ministre, nous connaissons l'image de la France dans ce monde, la place et la qualité de notre agriculture, mais aussi votre détermination et votre force de persuasion.
Comptez sur notre soutien ! J'espère que vous pourrez compter sur celui de l'ensemble du Parlement. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)
M. Michel Le Scouarnec . - Nous souscrivons aux constats dressés par le groupe socialiste. Le libéralisme et la course sans fin à la productivité tirent les prix agricoles vers le bas, d'où la nécessité d'outils de gestion de l'aléa économique au niveau européen. Le chemin sera long...
Or la gestion des marchés, la régulation des productions, bref une vraie politique agricole, vaudraient mieux que des assurances-revenus et à tous ces outils que vous mettez en place et qui ne font que promouvoir un marché aux effets dévastateurs plutôt que de le réguler véritablement.
Au fond, cette proposition de résolution s'inscrit dans la continuité de la loi de 2010... Il faut s'attaquer aux vraies causes de la crise, sortir de l'agriculture, d'une logique strictement marchande. Aujourd'hui, les exploitants sont dans un face à face déséquilibré avec les transformateurs et distributeurs.
En effet, 1 % de viande ou de lait en trop, c'est 10 % de baisse des prix. Les quotas doivent être rétablis. Il faut aussi interdire les ventes à perte, associer les chambres d'agriculture à la définition de prix rémunérateurs.
Grâce au quantum mis en place en 1945 pour le blé, une première tranche de la production était payée au prix fort, le reste soumis au marché. Voilà la solution pour les petits et moyens producteurs agricoles. Car ce sont bien les grandes exploitations qui coûtent plus : nourrir une vache au pré coûte quatre fois plus cher qu'en auge avec du maïs OGM, cela aussi mérite réflexion.
Si l'on ne s'attaque pas à la répartition de la valeur ajoutée, on ne répondra pas aux besoins des agriculteurs. Cette proposition de résolution ne leur rendra pas assez d'oxygène. C'est pourquoi nous ne la voterons pas. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste républicain et citoyen)
M. Franck Montaugé . - Combien de fois n'a-t-on pas entendu, de la part d'agriculteurs : « nous ne voulons pas de primes, mais des prix » ? Des marchés justes, en somme, avec des prix rémunérateurs qui donnent de la visibilité et permettent d'investir. La réalité, c'est une aide toujours plus grande -4,5 milliards d'euros aux filières - mais qui reste conjoncturelle et sans effet sur les marchés.
Mais les principes de l'ultralibéralisme se sont imposés au niveau européen, avec les souffrances qu'ils engendrent. Le grand soir, il est vrai, n'est pas pour demain. Alors, que faire ?
Cette proposition de résolution entend remédier à la volatilité des prix. Les agriculteurs n'ont pas de pouvoir de marché ; quand les aides augmentent, c'est l'aval ou l'amont qui en bénéficient...
La PAC actuelle ne comprend pas de mécanisme significatif de gestion de l'aléa économique. Les États-Unis consacrent désormais 80 % de leurs aides aux assurances, l'Union européenne est seule à privilégier les aides découplées... Le budget agricole américain est flexible, celui de la PAC l'est beaucoup moins, la connaissance fine des exploitations est également l'apanage des Américains...
Quand l'aléa est maîtrisable, le soutien public se complète d'assurances privées. Mais lorsque l'aléa est systématique, la puissance publique doit rétablir l'équilibre du marché.
Baisse des charges, lissage de la fiscalité, encouragement des modes de gestion collectifs, contrats-socle... Au-delà de ces instruments, il pourrait utilement approfondir la mise en oeuvre des articles 36 à 39 du règlement 1305/2013 de l'UE qui traitent de la gestion des risques par des dispositifs assurantiels de couverture des pertes, des fonds de mutualisation permettant le paiement de compensations financières et des instruments de stabilisation des revenus.
Elle pourrait encore évaluer mieux les pertes de revenus agricoles, contenir les instruments à l'interface du financier et de l'assurantiel, développer les comptes d'épargne de précaution, ou encore les politiques d'apprentissage.
L'Union européenne, elle aussi, a un rôle à jouer ; ses réserves spéciales permettraient une gestion flexible des aléas. Un rapport de force sera indispensable pour aboutir. Le succès de la démarche du ministre auprès de Phil Hogan montre que volonté politique et force du collectif ont déjà fait bouger les lignes. Pour obtenir leur adhésion, face au nouveau paradigme auquel ils sont confrontés, les agriculteurs devront être formés et associés au plus tôt. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain ; MM. Michel Le Scouarnec et Raymond Vall applaudissent aussi)
M. Roland Courteau . - Il faut saluer l'action du Gouvernement face aux crises agricoles qui se succèdent. Les exploitants font face à quatre types de risques : climatique, économique, sanitaire, environnemental.
Or rien n'est fait, ou si peu, contre l'aléa économique. La baisse des prix fait donc disparaître de nombreuses exploitations. Les crédits de la PAC sont, à cet égard, dérisoires. Soit ceux du deuxième pilier doivent être augmentés, soit le mécanisme ad hoc du premier pilier doit être basculé vers le deuxième pilier. La France, grand pays agricole, doit être à l'avant-garde.
Je veux enfin vous alerter sur l'importation de vin espagnol à bas prix, qui met en péril nos viticulteurs. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain ; M. Michel Le Scouarnec applaudit aussi)
M. Yvon Collin . - Comme aucun autre secteur économique, l'agriculture doit faire face à toutes sortes d'aléas - y compris diplomatique, songeons à l'embargo russe. Il n'est pas besoin de démontrer que la France a tout intérêt à conserver son rang de grande puissance agricole et ses 452 000 exploitations. Or nous perdons en compétitivité. Comment assurer un revenu décent à nos agriculteurs qui ne ménagent pas leur peine ?
Les aides d'urgence, bienvenues, n'ont pas apporté de réponse pérenne. La loi d'avenir, elle, a engagé notre agriculture dans une véritable mutation. L'agriculture européenne est de plus en plus mal protégée de la concurrence mondiale et de la volatilité des prix. Comment nos exploitants peuvent-ils affronter le marché, si les standards ne sont pas partout les mêmes ?
Mettons fin à notre zèle normatif, quand, ailleurs, c'est la foire au moins-disant social et environnemental...
Je m'inquiète des conséquences du traité transatlantique sur l'agriculture, dont nous avons débattu récemment au Sénat. La levée des obstacles non tarifaires pourrait poser problème à la filière bovine. La France doit défendre ses intérêts. Nous comptons sur vous, monsieur le Ministre. Le président de la République en avait pris l'engagement en 2013 devant les éleveurs à Cournon d'Auvergne : « je ferai également tout pour que l'agriculture puisse être préservée dans la négociation avec les États-Unis, car nos produits ne peuvent pas être abandonnés aux seules règles du marché ». Nous sommes bien d'accord...
Il faut trouver rapidement un mécanisme de stabilisation des revenus. Les auteurs de la proposition de résolution suggèrent, à juste raison, une mutualisation des risques. La France doit défendre cette position au niveau européen.
En 2008, je défendais une proposition de loi qui rendait obligatoire l'assurance-récolte. La question doit être approfondie.
Le RDSE votera unanimement cette proposition de résolution, sans arrière-pensées et avec enthousiasme.
Mme Nicole Duranton . - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Notre agriculture est en danger de mort, nos agriculteurs souffrent et certains sont poussés au suicide. Le Gouvernement a pris trop tard la mesure de la crise. À quand un ministre à plein temps, qui ne soit pas en même temps porte-parole du Gouvernement et qui s'intéresse vraiment à la crise agricole ? (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et républicain)
La majorité sénatoriale avait tiré la sonnette d'alarme dès le printemps 2015. La commission des affaires économiques, puis celle des affaires européennes, s'étaient saisies. Le président Larcher, dès juillet, avait organisé une table ronde. (Murmures sur les mêmes bancs)
Après la nuit de la détresse pendant l'été, les agriculteurs ont afflué vers Paris en septembre, et nous les avons rencontrés. Avec sa proposition de loi, la majorité sénatoriale a concrètement répondu à leur désarroi. Pourquoi ne pas le rappeler ? Les mesures que nous proposions - incitations à l'investissement, baisses de charges... -, qui allaient bien plus loin que cette proposition de résolution, ont été rejetées par la majorité socialiste de l'Assemblée nationale. (Mêmes mouvements) Pourquoi proposer une résolution et refuser une loi ? Invitez donc nos collègues députés à voter notre proposition de résolution ! Faites-le au moins pour l'agriculture ! Nous voterons contre. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)
M. Jean-Jacques Lasserre . - L'exposé des motifs de la proposition de résolution rappelle les rendez-vous qui ont ponctué l'année 2015. Le 22 juillet, ce fut le plan exceptionnel de soutien à l'élevage ; le 3 septembre, des mesures complémentaires ; le 30 décembre, la loi de finances pour 2016 ; puis, le 11 février dernier, de nouveaux allègements de charges sociales.
Et pourtant, la crise agricole persiste, les prix continuent de diminuer, autour de 1,10 euro avant prime pour le porc, l'avenir est sombre dans le lait, la viande et les céréales. Repenser le modèle agricole est une nécessité, bien au-delà de nos frontières nationales, dans un cadre non seulement européen mais aussi mondial.
Cette proposition de résolution évoque l'Europe. La négociation de la future PAC sera cruciale. Les décisions sur le découplage sont bonnes, de même que les aides à l'élevage et à l'installation. En revanche, les aides au verdissement doivent être revues.
Faut-il abandonner toute régulation des prix et des volumes ? Non, ce serait un aveu d'impuissance. Les mécanismes seront certes difficiles à construire. Quels sont les seuils de déclenchement ? Avec quels moyens ?
Les productions se délocalisent dans d'autres pays européens : lait, porc, fruits et légumes...Les distorsions de concurrence ne sont plus supportables, il faudrait appeler dans cette proposition de résolution à une harmonisation sociale et environnementale.
Les mécanismes d'assurances mutuelles sont très peu utilisés. Le Parlement européen suggère un dispositif à cinq niveaux, avec des assurances-récoltes financées sur fonds publics.
On ne peut que regretter le rejet de cette proposition de loi par l'Assemblée nationale. Sur ce sujet, le consensus serait précieux. Nous voterons d'ailleurs cette proposition de résolution utile.
Nous sommes aussi en train d'auditionner les assureurs, afin de déposer une proposition de loi que j'espère consensuelle. Une solution doit être trouvée face aux aléas climatiques. Seule une assurance généralisée garantit une vraie mutualisation. Un concours public est indispensable : les 250 millions d'euros du FNGRA doivent y être intégralement consacrés. (Applaudissements au centre ; M. Michel Le Scouarnec applaudit également)
M. Joël Labbé . - Une fois de plus, l'agriculture mobilise notre hémicycle. La grave crise qu'elle traverse ne laisse personne indifférent.
Cette proposition de résolution appelle à bâtir un système global européen de sécurisation de l'aléa économique, qui viendra compléter nos outils que sont l'assurance récolte, la dotation pour aléas et le fonds de garantie des risques agricoles. Nos agriculteurs font, en effet, face à la variation brutale des cours sur les marchés et à une scandaleuse spéculation sur les produits agricoles.
Sur 100 euros de courses alimentaires, seuls 8,20 euros revient à l'agriculture, 13,20 euros à l'industrie agro-alimentaire, 19,20 euros au commerce, 14,30 euros aux importations alimentaires, 15,30 euros aux importations de produits intermédiaires et 9,30 euros part en taxes. En 2014, le revenu annuel moyen d'une exploitation française était de 600 euros hors impôts et subventions - lesquelles représentent en moyenne 34 000 euros par an. À voir ces chiffres, les agriculteurs français sont devenus des salariés de l'Europe. Quand les marchés toussent, l'ensemble des filières s'enrhume.
Cela ne doit pas occulter de fortes disparités. Les aides sont ainsi faites que les plus grosses exploitations en captent la plus grande part et sont, de ce fait, artificiellement plus rentables. Aussi les aides devraient-elles plutôt se fonder sur les UTH, les unités de travail humain, que sur les hectares.
Toutefois, cette proposition de résolution, si elle est réaliste et pragmatique, me dérange : elle s'adapte à un système où l'on a abandonné toute régulation. Or l'alimentation n'est pas une marchandise comme les autres, que des denrées alimentaire soient cotés en bourse est inacceptable.
Le député écologiste François Dufour, vice-président à l'agriculture de la région Normandie - une lecture et une source d'inspiration que je partage avec M. Le Scouarnec -, a raison de le dire : alors que les productions agricoles atteignent des rendements records, les agriculteurs souffrent, abandonnés par les États au nom de la concurrence libre et non faussée. Nous avons besoin de nouvelles règles européennes et planétaires. À cet égard, le TAFTA s'annonce catastrophique. L'agriculture a besoin de stabilité et la stabilité s'obtiendra par la maîtrise, sinon la réduction de la production.
Cette agriculture existe déjà : c'est l'agriculture bio ou encore l'agrobiologie, une noble cause que le ministre défend. D'après une étude de l'université de Californie, la polyculture avec des rotations entraîne une baisse de rendement de seulement 9 % mais elle est plus rentable que l'agriculture classique, et même sans prendre en compte les aménités environnementales. La polyculture avec élevage donne encore plus de rendement et de rentabilité.
Plutôt qu'une énième assurance, retrouvons, avec cette agro-écologie, une agriculture rémunératrice et oublions, interdisons les pesticides. En agriculture, et c'est le coeur de mon combat politique : à bas la chimie, vive l'alchimie ! (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste, sur quelques bancs du groupe socialiste et républicain ; M. Michel Le Scouarnec applaudit également.)
Mme Patricia Morhet-Richaud . - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Ce texte nous offre de nouveau l'occasion de débattre de l'avenir de l'agriculture, dont nous discutions il y a deux semaines lors de l'examen de la proposition de loi du président Lenoir. La question est délicate alors que se tiendra cette semaine la réunion du comité de l'agriculture de l'OCDE suivie par celle, informelle, du Conseil agricole de l'Union européenne en mai. Oui, l'agriculture est en crise ; oui, nous devons trouver des solutions structurelles et conjoncturelles. Ces mesures sont attendues non seulement par les agriculteurs mais aussi par tous les Français. L'agriculture fait partie intégrante de notre identité ; secteur économique majeur, elle est aussi un outil d'aménagement du territoire.
Dans ces conditions, comment passer sous silence le refus de l'Assemblée nationale d'examiner la proposition de loi de M. Lenoir ?
M. Antoine Lefèvre. - Scandaleux !
Mme Patricia Morhet-Richaud. - Messieurs les auteurs de cette proposition de résolution, comment expliquer à nos agriculteurs que vos collègues socialistes de l'Assemblée nationale ont voté la question préalable ? Que vous-même n'avez présenté aucun amendement lors du passage du texte au Sénat ? Le constat que nous posons sur l'agriculture diffère-t-il selon qu'on siège du côté gauche ou du côté droit de l'hémicycle ?
Nous devons améliorer la transparence sur l'origine des produits agricoles et mieux partager la valeur ajoutée tout au long de la chaîne du producteur au consommateur. L'instauration d'une conférence agricole annuelle va dans ce sens de même que l'utilisation d'indicateurs d'évolution de coûts pour garantir des prix rémunérateurs. Il faut aussi soutenir l'investissement en drainant l'épargne populaire vers l'agriculture avec des livrets verts et améliorer la gestion des risques en reportant les échéances d'emprunts en cas de crise et en assouplissant le mode de calcul de seuil de déclenchement de la déduction pour aléas. Enfin, face à la volatilité des marchés et la concurrence internationale, l'allègement des charges qui pèsent sur les exploitants agricoles, qu'elles soient administratives ou financières, doit aussi être acté faute de quoi de nombreuses exploitations agricoles disparaîtront.
Une proposition de résolution ne réglera pas le problème de l'agriculture française. Parce que notre groupe Les Républicains attend du Gouvernement des engagements forts pour sauvegarder l'emploi dans nos territoires, nous nous abstiendrons. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)
(Applaudissements à droite)
Mme Delphine Bataille . - L'agriculture française compte parmi les plus grandes au monde, elle est la troisième en Europe et reste la première pour l'exportation vers les pays hors Union européenne avec une balance commerciale bénéficiaire de 10 milliards d'euros, 475 000 exploitations et 25 millions d'hectares. Elle est une composante stratégique de l'économie de notre pays, d'où l'importance de la crise et de ses répercussions.
Cette proposition de résolution vise à apporter des réponses structurelles en posant les bases du débat sur l'évolution de la PAC. Quoi qu'en pense Mme Duranton, dont l'intervention polémique et partisane n'honore pas notre Haute Assemblée. (Exclamations à droite, applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain), vous avez, monsieur le ministre, préservé au mieux le budget de la PAC et les aides couplées.
Alors que la disparition des outils de régulation européenne affecte les revenus agricoles et que les aides directes sont menacées, la question de la gestion des risques devient cruciale. Le fonds de mutualisation sanitaire et environnementale et le contrat-socle, malheureusement sous-utilisé, visent les aléas climatique et sanitaire. L'aléa économique, lui, est encore insuffisamment couvert.
L'expérience nord-américaine montre que trois types d'instruments peuvent coexister : les filets de sécurités pour affronter des situations catastrophiques, les outils de lissage des prix et des revenus et les instruments de cession du risque. Cependant, ils supposent un fort interventionnisme de l'État ; coûteux, ils sont de plus critiqués par les associations de protection de l'environnement. En Europe, des outils privés de gestion se mettent en place. Des réflexions sont en cours ; il faut agir vite, seule la France a la capacité d'être leader en Europe sur ces questions avec l'Espagne et l'Italie pour alliés.
Le groupe socialiste et républicain votera cette proposition de résolution en sachant qu'il peut compter, monsieur le ministre, sur votre détermination ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)
M. Cyril Pellevat . - La crise agricole appelle et exige des solutions audacieuses et volontaires. Cette proposition de résolution aborde la question de l'aléa économique. A raison : la volatilité des prix est extrême : du jour au lendemain, les prix chutent ou augmentent de 50 %. Est-ce la vocation des agriculteurs de se transformer en traders ? Non. Réfléchissons à un système de stabilisation - les États-Unis ont, eux, un dispositif de prix garantis.
Le sujet est donc consensuel mais pourquoi ne pas avoir fait des propositions quand le Sénat examinait le texte de M. Lenoir ? Il comportait des dispositions efficaces. La preuve, le Gouvernement les a reprises - la révision du dispositif de déduction pour aléas, l'assouplissement de la définition de l'aléa économique et l'extension du suramortissement Macron aux bâtiments d'élevage et de stockage - ou a annoncé qu'il les reprendrait - la référence au prix payé au producteur dans les contrats commerciaux, la non-cessibilité des contrats laitiers et la simplification en matière d'ICPE. Tout en regrettant que vous n'ayez pas contribué à enrichir la proposition de loi de M. Lenoir, je reconnais que ce texte sera utile au Gouvernement dans les négociations européennes.
Un mot des difficultés des agriculteurs de Haute-Savoie. Ils subissent la concurrence d'autres productions européennes à cause de normes phytosanitaires plus strictes en France. La dotation pour aléas est difficilement accessible aux maraîchers non seulement parce qu'ils cultivent sur des surfaces limitées mais aussi parce qu'ils pratiquent différentes cultures sur le même hectare. Ces difficultés doivent se retrouver ailleurs, il faudrait les prendre en compte. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)
M. Jean-Claude Lenoir. - Très bien !
M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement . - Merci pour ce débat. Malgré des interventions un peu politiciennes, les choses avancent à entendre le dernier orateur.
Cette proposition de résolution s'inscrit dans un calendrier précis : outre la réunion de l'OCDE qui sera co-présidé par le secrétaire d'État américain à l'agriculture et moi-même et réunira 25 ministres, un Conseil agricole européen informel se tiendra à Amsterdam en mai. Nous y dresserons un bilan de la PAC à mi-parcours, en 2017, et évoquerons la PAC 2020.
La crise de l'agriculture est européenne : des agriculteurs ont défilé en Grande-Bretagne, plus de 500 tracteurs ont même défilé en Finlande - du jamais vu ! Je le disais dès le Conseil extraordinaire du début de l'année et je l'ai répété en mars, cette crise est une crise de surproduction. Nous avons, dès ce mois, stocké l'équivalent du plafond international prévu : 109 000 tonnes de poudre de lait - contre 40 000 tonnes l'an dernier. Ceux qui refusent de parler de stabilisation de la production sont souvent ceux qui pratiquent une forte intervention. Quoi qu'il en soit, l'Union doit prendre conscience que notre responsabilité est collective et qu'il faut en finir avec la concurrence des uns contre les autres.
Les risques de transfert de production sont très importants, vérifiés. La France respecte les engagements de productions qu'elle avait pris en 2008 : une hausse de la production laitière de 1,5 % cette année, 2 % l'an dernier. L'Allemagne, elle, augmente ses volumes de 2 à 3 % depuis environ cinq ans sans parler de l'Irlande qui frise les 6 %.
Autre sujet de fond, les aides. Elles atteignent 8,7 milliards d'euros, premier et deuxième piliers de la PAC confondues. Je me suis battu pour conserver des aides couplées, destinées à soutenir une production spécifique. Les aides découplées, vous le savez, correspondent à un forfait versé à l'hectare chaque année quel que soit le niveau des prix sur le marché ; à l'agriculteur de choisir sa production. D'où des effets de bascule et de balancier, de l'élevage vers les productions céréalières et végétales. Le sujet est de fond car il recouvre un débat entre « libéraux » et ceux qui veulent maintenir des choix publics. J'ai trouvé une majorité en Europe, en m'appuyant sur les pays de la « banane verte » qui va de l'Irlande à la Grèce en passant par l'Espagne, l'Italie, la Roumanie ou encore la Bulgarie. Cette option correspond aussi à une vision de l'agriculture et, plus particulièrement, de l'élevage.
Ces 8,7 milliards d'aides sont insuffisants face aux crises climatiques, économiques ou sanitaires. D'où le plan de soutien à l'élevage et le milliard supplémentaire dégagé. Bien sûr, nous n'aurions plus de problème avec des prix encadrés mais ce qui paraît idéal n'est pas si simple en réalité. Notre agriculture exporte des produits de qualité : vins, blé, viandes et foie gras. Ses prix ne seraient plus compétitifs et nous devrions tout consommer. Absorberions-nous les 8 milliards de litres de lait que nous exportons ? Et je ne parle pas du vin (Sourires) - ce qui raccourcirait les débats dans cette instance et ailleurs...
L'agriculture est confrontée à trois risques : les crises sanitaires ; les crises climatiques - inondation, grêle, sécheresse, dont les épisodes se succèdent toujours plus rapidement et plus intensément avec le réchauffement climatique ; enfin, la volatilité des prix : trois causes qui demandent des mécanismes compensateurs. Ces mécanismes doivent aider les agriculteurs face aux pertes mais aussi à ce qu'ils provisionnent de l'épargne de précaution, se dotent de mécanismes amortisseurs contracycliques, voilà l'enjeu ! Même si nous avons assoupli la DPA, les agriculteurs se retrouvent coincés quand les prix sont trop bas ; ils ne peuvent plus rembourser les annuités d'emprunt.
Une épargne de précaution donc, qu'on mutualise ensuite : cela évitera les pertes de revenus, les fermetures d'exploitation, on l'a vu avec le vignoble après la grêle.
M. Gérard César. - C'est vrai !
M. Stéphane Le Foll, ministre. - Ce système doit avoir une base large, d'où le débat sur l'obligation d'assurance, afin que la contribution individuelle soit faible. Nous avons amorcé le contrat-socle par une aide publique. C'est tout l'avantage de la mutualisation ; ne l'oubliez pas, vous qui rencontrez des assureurs.
Une fois ces contrats établis, une fois d'accord pour mettre en place des mécanismes contracycliques, il faut mobiliser l'Europe, qui seule en a les moyens, la masse suffisante. C'est l'un des leviers de la nouvelle PAC, selon moi, avec le levier financier, pour ne pas perdre un budget ; l'équilibre découplage-couplage, pour maintenir certaines productions et ne pas tout livrer au marché ; la compensation des handicaps, pour maintenir l'agriculture dans des zones où le seul marché la ferait disparaître - cela devrait être le premier objectif, le premier pilier !
M. Gérard César. - C'est vrai !
M. Stéphane Le Foll, ministre. - C'est essentiel ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain) Enfin, je mettrai sur la table la question des sols agricoles et la photosynthèse, c'est une des solutions pour la réduction des gaz à effet de serre, nous pourrons en faire des usines à stocker du carbone et, donc, à produire de l'azote et à fertiliser les sols. C'est la fameuse initiative 4 pour 1 000.
Sur les questions environnementales, les surfaces d'intérêt écologique sont un système trop complexe. Il fallait en passer par là mais nous pouvons désormais simplifier.
Quelle part pour favoriser la mutualisation des risques ? C'est l'objet de cette proposition de résolution. Le système assurantiel américain coûte cher à cause de l'aléa moral. Peut-être pourrions-nous solliciter le fonds de gestion de crise qui n'a jamais été utilisé : 400 millions d'euros sont prévus, prélevés sur les aides de l'année suivante à hauteur de 0,5 %. Il faut calibrer l'efficacité, l'encouragement à la mutualisation et l'intérêt des agriculteurs avec l'objectif d'un coût minimal.
Cette proposition de résolution ouvre la voie du débat, j'espère que vous le voterez car elle aidera les négociateurs de la future PAC ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)
Mme la présidente. - La Conférence des présidents a décidé que les interventions en discussion générale valaient explications de vote.
À la demande du groupe socialiste, la proposition de résolution est mise aux voix par scrutin public.
M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°199 :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 177 |
Pour l'adoption | 177 |
Contre | 0 |
Le Sénat a adopté.
(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)