Moyens du renseignement intérieur
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle le débat sur les conclusions du rapport d'information de la commission des finances sur les moyens consacrés au renseignement intérieur, à la demande du groupe Les Républicains.
M. Philippe Dominati, pour le groupe Les Républicains . - Nos pensées vont d'abord à nos amis belges, aux victimes comme aux forces de l'ordre, ainsi qu'aux victimes de l'année 2015.
La lutte contre le terrorisme est une priorité commune. La commission des finances m'a confié cette mission après les attentats de janvier 2015, sur les moyens et l'efficacité de nos services de renseignement intérieur. J'ai auditionné tous les responsables et des syndicalistes.
Aucun ne s'est plaint d'un sous-dimensionnement de nos forces : avec 6 200 agents, nous nous situons en tête en Europe, soit 6,1 pour 100 000 habitants, c'est trois fois plus qu'en Allemagne et deux fois plus qu'au Royaume-Uni. Mais nos moyens sont dispersés, il y a des agents de liaison partout. Malgré les réformes de 2008 et 2013, notre organisation reste insatisfaisante.
Compte tenu du changement d'échelle de la menace, nous recommandions d'abord d'augmenter les moyens de nos services. Or le projet de loi de finances pour 2016 prévoyait une hausse de 0,9 % seulement avant les terribles évènements de novembre. Un amendement déposé en urgence y a partiellement remédié, avec 340 millions d'euros en plus, notamment pour le renseignement de proximité.
À l'échelle européenne, le 20 novembre, le Conseil des ministres a pris des décisions sur Schengen, le PNR et le trafic d'armes. Pour le PNR, le chemin est laborieux. Nous soutenons tous vos efforts, monsieur le ministre.
Sur l'architecture des services, le président de la République vous a délégué pour les pouvoirs de coordination du renseignement intérieur. L'éclatement n'est-il pas porteur de dysfonctionnement ou d'illisibilité ?
Enfin, le rôle du Parlement. Il a été saisi de plusieurs lois. S'y ajoute le contrôle budgétaire. Or si le budget du renseignement extérieur est clairement identifié parmi les crédits de la défense, ce n'est pas le cas de celui du renseignement intérieur, disséminé dans les crédits des directions départementales de la sécurité publique.
La délégation parlementaire au renseignement rejoint nos propositions.
Si l'on ne veut pas toucher à l'architecture des services, chose difficile en fin de mandat, il faudra y revenir. La mise en place des renforts est contrastée : dans certains départements, on attend encore les effectifs...
M. Jean-Louis Carrère. - Vous avez supprimé des postes !
M. Philippe Dominati. - Manque de lignes internet, de véhicules... Les lacunes sont nombreuses. En revanche, les effectifs centraux ont été renforcés.
J'ai été choqué par l'insuffisance de l'assistance aux témoins, les dysfonctionnements du numéro vert. Les missions de la Direction générale de la police nationale (DGPN), de la préfecture de police, de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) se chevauchent, les services spécialisés sont éclatés. Le président de la République a même jugé nécessaire de nommer une secrétaire d'État aux victimes. Vous y avez ajouté, monsieur le ministre, un organisme de coordination interministérielle spécialisé dans le terrorisme...
La guerre contre le terrorisme suppose des services de renseignement efficaces. Nous serons à vos côtés ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)
M. Michel Boutant . - Je veux d'abord évoquer la mémoire des victimes de Bruxelles, en citant Baudelaire, son poème Spleen :
« Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle
Sur l'esprit gémissant en proie aux longs ennuis,
Et que de l'horizon embrassant tout le cercle
Il nous verse un jour noir plus triste que les nuits. »
Sur le renseignement intérieur, beaucoup a été fait depuis 2008 : création de la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI), puis de la DGSI en 2013. L'accroissement de la menace terroriste est désormais avéré. En France, 609 personnes ont rejoint les rangs djihadistes, contre 401 l'an dernier. Près de 300 sont revenus de Syrie, pas moins de 74 personnes liées au terrorisme ont été arrêtées depuis le 1er janvier.
Le Gouvernement a été très actif : lois antiterroristes, loi sur le renseignement, hausse des moyens des services de renseignement, avec 10 000 hommes et 420 millions d'euros de crédits supplémentaires. La DGSI devrait ainsi renforcer ses moyens techniques de surveillance. Il ne s'agit pas de verser dans le tout-technologique, mais de nous doter d'outils de recoupement et de brassage d'informations.
Quelque 12 769 postes avaient été supprimés entre 2007 et 2012. Les efforts du Gouvernement sont un rééquilibrage salutaire. La révision de la loi de programmation militaire fut également bienvenue, en raison du nouveau rôle reconnu à nos armées.
Au cours de l'état d'urgence, 560 armes ont été saisies, 341 personnes ont été assignées à résidence, 571 procédures judiciaires engagées, sans préjudice pour l'état de droit - les décisions du Conseil d'État l'attestent.
Deux axes d'effort se dessinent. La coordination entre les services, d'abord, grâce à un bureau de liaison au niveau central et territorial. Ensuite, les zones de compétence de la DGSI ont été mises en cohérence avec celles du renseignement territorial. S'y ajoute le renforcement des pouvoirs de Tracfin contre les flux financiers bénéficiant au terrorisme.
Les services de renseignement intérieur ne sont pas seuls. Lutte contre la propagande, expérimentation de dispositifs de déradicalisation : l'effort est interdisciplinaire. Je veux saluer votre action, monsieur le ministre, y compris à cet égard. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)
Mme Leila Aïchi . - Je veux exprimer la très grande émotion du groupe écologiste au lendemain des attentats de Bruxelles. Nous avons une pensée pour les victimes et leurs proches.
Je salue aussi l'action de nos services de renseignement et de leurs hommes et femmes de l'ombre, qui travaillent pour notre sécurité.
Un équilibre entre prévention et répression est nécessaire.
Nous souscrivons aux conclusions de M. Dominati : l'empilement des services est préjudiciable, les moyens humains et matériels manquent. Les hommes sont la meilleure réponse aux menaces. C'est d'autant plus nécessaire quand, selon le Premier ministre, quelque 3 000 personnes seraient à surveiller et que 1 700 Français seraient partis combattre en Syrie ces deux dernières années.
Or, à la veille des attentats de janvier 2015, les effectifs du renseignement territorial représentaient moins de 60 % de ceux des anciens renseignements généraux. Les annonces d'augmentation des effectifs vont dans le bon sens, nous resterons vigilants.
En revanche, l'évolution du cadre juridique menace les libertés publiques, et tend vers un état d'urgence permanent. La priorité n'est pas la masse d'informations collectées, mais l'analyse qu'on en fait.
Les conflits d'attribution entre services restent aigus. Une simplification et un regroupement paraissent indispensables - de même qu'une meilleure coopération européenne.
Le renseignement intérieur doit aussi se nourrir de la société civile : coopération avec les universitaires, recrutement de contractuels, certes, mais aussi liens avec les acteurs locaux.
Le contrôle parlementaire doit enfin être renforcé, tant sur le fonctionnement que sur le budget des services.
Nous ne pouvons faire l'économie d'une réflexion sur les origines du terrorisme. Y faire face au moyen d'un déploiement sécuritaire est une chose, le combattre par une approche pluridisciplinaire en est une autre. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste)
M. David Rachline . - Les faits sont têtus : non, contrairement à ce que l'on peut lire en première page de ce rapport, publié avant les attentats islamiques du 13 novembre, les services de renseignement n'ont pas été à même d'effectuer leurs missions, les odieux attentats que nous avons subis en témoignent. Les quelque trois millions d'euros dépensés pour une campagne contre le racisme auraient été mieux employés ailleurs... Un regroupement des services serait gage d'efficacité, de même qu'une augmentation des effectifs du renseignement territorial. Comment comprendre aussi qu'un commandant de la gendarmerie nationale, responsable du renseignement territorial, n'ait pas accès aux fiches « S » ?
Gagner la guerre contre le terrorisme suppose un changement de politique extérieure - à l'égard de pays prétendument amis, dont on décore les plus hauts responsables de la Légion d'honneur... -, la fin de l'immigration massive, la maîtrise de nos frontières, enfin une lutte implacable contre ceux qui prêchent la haine de notre société et la haine de la France !
M. Jean-Noël Guérini . - Après les Français en janvier et novembre, les Turcs, les Maliens et les Belges sont aujourd'hui la cible des barbares qui manipulent leur religion. Ce débat est donc d'actualité.
Nous avons débattu des moyens de la lutte antiterroriste, réfléchi sur les origines du mal, les libertés publiques... oubliant peut-être la réalité aveuglante.
Les problèmes d'aujourd'hui sont le résultat d'une réforme qui, en 2008, a sacrifié le renseignement territorial. Le maillage humain est indispensable à la précision de l'information. Des écoutes, des outils informatiques ne remplaceront jamais le travail de terrain.
Mais l'heure n'est pas à la polémique. Nous le savons tous : nos services ont besoin de moyens supplémentaires. Ils leur furent donnés dès le lendemain des attentats de janvier, puis de novembre 2015 : le président de la République a annoncé à Versailles que le pacte de sécurité prévaudrait sur le pacte de stabilité. Nous avons voté unanimement 815 millions d'euros de crédits supplémentaires pour la mission « sécurité », grâce à quoi 8 500 postes seront créés en deux ans, en plus de moyens techniques nouveaux.
Alors que la tension est palpable, restons à la hauteur. Ici même, la semaine dernière, j'ai entendu parler de protection de la Nation, d'union et de détermination de la représentation nationale. Soyons fermes, veillons à l'équilibre entre sécurité et liberté, et restons attachés à ce qui nous unit. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe RDSE, du groupe socialiste et républicain et du groupe UDI-UC)
M. Pierre Charon . - Hier encore, l'Europe a été frappée par la barbarie. Les Français sont aux côtés des Belges, nos pensées accompagnent les victimes.
L'intérêt du Sénat pour le renseignement remonte à René Monory, en 1971.
Mais la menace a changé.
Les terroristes islamiques sont certes isolés mais pas indépendants : ils ont des appuis locaux et des liens avec des mouvances internationales. Dans certains quartiers, ils bénéficient de l'omerta communautaire.
L'efficacité de nos services de renseignement est étroitement liée à la coopération avec leurs homologues européens. La réforme de 2008, la première depuis longtemps, a été préservée par celle de 2013. La concurrence de la DST et de la DCRG était nuisible. La philosophie de la réforme consistait à distinguer clairement renseignement intérieur et information générale, pour la sécurité des Français ! Mais nos services ont besoin de temps pour s'adapter. Le rôle de la Direction des renseignements de la Préfecture de Paris (DRPP) doit aussi être repensé.
La lutte contre le blanchiment n'est pas moins importante, car le crime organisé repose sur des montages financiers complexes. Le rôle de Tracfin est primordial.
Face à la judiciarisation du métier, gardons-nous d'embaucher des généralistes ignorant les procédures. La chaîne pénale doit être consolidée.
Enfin, la coopération européenne doit être démultipliée, et le PNR enfin adopté.
Il est inacceptable que l'ennemi public européen ait pu nous échapper pendant quatre mois. (Applaudissements au centre et à droite)
M. Michel Canevet . - Le groupe UDI-UC exprime sa peine après les attentats d'hier, sa solidarité à l'égard des victimes comme des forces de l'ordre, en Belgique comme en France.
Ce débat tombe à point nommé. Le rapport Dominati le montre, le renforcement des moyens de nos services doit continuer. Après 1944, il a fallu attendre 2008 et 2013 pour que nos services de renseignement soient réorganisés. Ne nous arrêtons pas là. La loi sur le renseignement a bien défini celui-ci. Par leur personnel et leurs moyens financiers, nos services se situent à un bon niveau en Europe. Mais les moyens matériels doivent suivre.
Comme M. Dominati, je crois que nous avons besoin d'une diversité de talents, par exemple pour lutter contre la cybercriminalité, ce qui suppose de sortir du cadre rigide de la fonction publique.
La coordination des services est essentielle, car ceux-ci restent nombreux. Leur réduction de quatre à deux serait une très bonne chose. Un coordinateur national ne suffit pas.
Et puis, l'Europe. Les services belges sont dépassés par le nombre de personnes à surveiller : on parle de 560 personnes revenues de Syrie. La coopération entre les pays européens est indispensable, car le terrorisme n'a pas de frontière. Le projet de PNR lui-même additionne vingt-huit fichiers, un dans chaque pays... (Applaudissements au centre et à droite)
Mme Cécile Cukierman . - L'arrestation de Salah Abdeslam la semaine dernière, comme les attentats d'hier, démontrent l'actualité de ce débat : nous pouvons être concrets, alors que cette matière est opaque par nature.
L'arrestation de ce criminel permettra d'accéder à des informations supplémentaires sur les attentats de Paris, ainsi que sur la radicalisation. La perspective d'un jugement rappelle la place qui doit être celle de la justice dans notre État de droit.
Monsieur le ministre, ce débat nous permet de vous interroger sur les décisions prises en Conseil des ministres et d'exercer un contrôle parlementaire sur l'action du Gouvernement. Notre groupe recherche l'efficacité contre le terrorisme, mais aussi l'équilibre entre répression et respect des libertés.
Deux rapports nous servent ici : celui de M. Dominati sur les services de renseignement intérieur, et celui, annuel, de la délégation parlementaire au renseignement, qui pointent bien des dysfonctionnements. Meilleure évaluation, création d'un corps d'inspection, mutualisation accrue des moyens, partenariats renforcés avec les services d'autres pays européens, meilleure valorisation du renseignement humain et pas seulement technique : ces recommandations sont de bon sens.
Nous souhaitons la création d'un corps d'inspection qui puisse contrôler les moyens intrusifs dont disposent les services, ainsi que l'utilisation des fonds spéciaux. Ce serait un utile garde-fou contre l'utilisation très large des techniques de collecte du renseignement accordée aux services dits du « deuxième cercle ».
Je souscris également à la recommandation d'une mutualisation accrue des moyens entre les services, et à la nécessité de nouer des partenariats avec les services étrangers, notamment européens, contre cette menace terroriste qui se joue des frontières.
Alors que l'efficacité de la collecte massive de données personnelles est aléatoire, l'efficacité tient beaucoup aux capacités d'analyse et à une bonne articulation entre le renseignement humain et le renseignement technique.
Au total, notre désaccord avec votre politique porte sur le cadre légal fixé à l'intervention de ces services. Les lois sur le renseignement, le projet de loi de lutte contre le crime organisé, le terrorisme et la réforme de la procédure pénale sont en effet critiquables sur de nombreux points touchant aux libertés individuelles. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste républicain et citoyen)
M. Jean-Pierre Sueur . - L'an passé, le Sénat instaurait une commission d'enquête sur la lutte contre le djihadisme, dont je fus le rapporteur. Vous nous avez dit, monsieur le ministre, que la moitié de nos recommandations étaient d'ores et déjà appliquées. De fait, je veux, après mes collègues, saluer votre action et dire que beaucoup a été fait, en particulier pour augmenter le nombre de postes : 2 680 au sein des services, dont 1 100 pour le renseignement intérieur.
Cependant, il faut continuer. D'abord, en renforçant la coordination entre DGSI et la direction centrale du renseignement territorial (DCRT). L'affaire Merah, déjà, avait souligné les défaillances liées au manque de coordination.
Ensuite, la guerre de cryptage : les membres de Daech savent crypter et si l'on avait percé leurs communications préalables aux attentats de Paris et Bruxelles, nous aurions pu les empêcher. Il faut des moyens, la ressource de l'Annssi (Autorité nationale en matière de sécurité et de défense des systèmes d'information) est précieuse.
S'agissant de la radicalisation, méfions-nous des remèdes trop simplistes : au retour d'une prise en mains par des barbares, quelques vidéos ne sauraient suffire à la « déradicalisation ». Il faut des cellules de veille propres à mener dans la durée un travail en profondeur.
Enfin, sur le PNR, le retard n'est plus de mise. À quoi serviront les mesures aux frontières, si le Parlement européen fait obstacle à une menace nécessaire et devenue urgente ? Nous devons être tous unis et rassemblés ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)
M. Alain Marc . - En novembre Paris, hier Bruxelles, le terrorisme frappe en Europe mais les moyens de nos services de renseignement demeurent mal identifiés : monsieur le ministre, envisagez-vous une amélioration ?
L'Unité de coordination de la lutte antiterrorisme (Uclat) s'est dotée d'une unité spécialisée de déradicalisation, laquelle recueille des informations via le numéro vert et par les unités territoriales ; elle a déjà traité 2 964 signalements, 1 900 appels, 361 formulaires internet, 776 courriels, les informations sont traitées par les services.
Les mesures d'interdiction de sortie du territoire ont été renforcées par la loi du 13 novembre 2014, de même que la lutte contre les sites faisant l'apologie du terrorisme.
En 2015, 135 mesures d'interdiction ont été prononcées, 36 interdictions administratives ont été signées au 1er août 2015, 24 sites ont été bloqués, 42 sites ont été déférencés. Un service de suivi de sites actualisé, de même, a été installé.
Monsieur le ministre, quelles mesures complémentaires envisagez-vous ? (Applaudissements à droite)
Mme Nicole Duranton . - J'exprime mon émotion après les attentats de Bruxelles : après Paris, Daech attaque l'Europe, le monde explose. La France a-t-elle un problème avec ses services de renseignement intérieur ? Ils ne sont pas une science exacte, mais pourquoi les attentats n'ont-ils pas été déjoués ? Les langues se sont déliées, les dysfonctionnements ont été identifiés : incohérence de cadre, manque de moyens, il fallait agir - nous l'avons fait par deux lois du 13 novembre 2014 et du 24 juillet 2015. M. Dominati confirme les défauts des services territoriaux ainsi que les inconvénients de l'empilement des services, alors que les effectifs en nombre suffisent.
Comme autrefois, nous parlons « d'écoutes », alors que tout a changé avec internet : nous avons besoin de moyens intrusifs, mais sans tomber dans le piège du « tout technologique », le renseignement humain est nécessaire. Donnons aux fonctionnaires les moyens d'aller sur le terrain, ne baissons pas la garde !
Enfin, nos services manquent d'analyse, c'est un enseignement de l'affaire Kouachi : nous avons besoin de plus de spécialistes.
Que ce rapport, précis, pousse le Gouvernement à prendre plus de mesures, pour une action plus efficace ! (Applaudissements à droite)
M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur . - Nous sommes face à une menace terroriste sans précédent, en Europe, en Afrique comme au Proche-Orient : aucun pays n'est à l'abri. Nous avons donc besoin d'unité et de la plus grande rigueur intellectuelle - laquelle n'est pas toujours de mise. C'est ce qui rend ce débat tout à fait bienvenu.
Je veux répondre précisément à ce rapport, rendu le 7 octobre, avant les attentats de Paris. Le Gouvernement, cependant, avait pris de nombreuses mesures entre janvier et novembre 2015, que le rapport ne mentionne pas toutes et que je vais vous indiquer.
Le Gouvernement consent des efforts nécessaires depuis 2012, pour donner à nos services les moyens de lutter contre le terrorisme : ceux qui nous expliquent comment faire aujourd'hui le font d'autant mieux que c'est eux-mêmes qui, hier, ont diminué les moyens dont nous avons besoin pour prévenir et empêcher de nouveaux attentats.
Je rends hommage aux services : la critique est toujours facile, mais démotivante, ne l'oublions jamais. Nos services ont besoin de soutien.
M. Alain Gournac. - Tout à fait !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. - Depuis 2013, nous avons déjoué au moins onze projets attentats dont six depuis janvier 2015. Le Gouvernement accorde une extrême importance aux services de renseignement. Dès 2012, nous avons renforcé leurs moyens et leur organisation, en réponse aux attentats de Toulouse et Montauban.
En effectif et en matériel, notre politique de recrutements dépasse les seuls services de renseignement et vise toutes les forces de l'ordre. Voyez les chiffres, tout à fait vérifiables : nous avons mis un terme aux coupes claires de 2007 à 2012, quand la police nationale a perdu 6276 postes et la gendarmerie 6 243 postes, soit 12 519 postes supprimés en cinq ans. Ces postes nous ont manqué depuis 2012 face à la menace terroriste sans précédent. Pour revenir sur cette très lourde erreur, nous avons remplacé tous les départs à la retraite et créé 500 emplois par an dans les deux forces. Au total, entre 2012 et 2017, les effectifs des forces de l'ordre ont gagné 9 341 postes, 5 744 dans la police nationale et 3 199 dans la gendarmerie nationale. Plus de 4 600 gardiens de la paix sortiront des écoles en 2016 et 2017, au lieu de 488 en 2012. J'espère que ces chiffres vous rassurent, monsieur Dominati.
Le SRI bénéficiera de ces renforts dès 2013. Un plan de 432 postes supplémentaires était engagé, les deux tiers sont recrutés, et 1 400 postes supplémentaires dans les forces de police et gendarmerie, dont 1 100 au SRI, 500 à la DGSI, 500 au SRT pour densifier le maillage territorial, 350 policiers et 150 gendarmes dédiés à la recherche de renseignement. Quant au pacte de sécurité annoncé par le président de la République en novembre, il ajoute 5 000 postes supplémentaires.
D'ici 2018, la DGSI aura gagné 1 157 postes pour renforcer sa capacité d'analyse. Le SRT n'est nullement le parent pauvre du renseignement : on est passé de 1 847 postes en 2013 à 2 106 aujourd'hui, mais 2 490 fin 2017, soit 640 postes supplémentaires en cinq ans ! Il fallait le dire.
Nous avons renforcé les moyens du ministère de l'intérieur : 233 millions d'euros ouverts dont 90 millions d'euros pour l'informatique. En 2015, ce plan a permis un investissement de 98 millions d'euros, auxquels 67 millions d'euros viendront s'ajouter en 2016. Le Pacte de sécurité prévoit 245,8 millions d'euros en 2016 et 228 millions d'euros supplémentaires en 2017 alors qu'entre 2007 et 2012, les moyens de la police nationale ont baissé de 16 % et ceux de la gendarmerie nationale de 18 %, ils gagneront de 16 % pour la police nationale et de 10 % pour la gendarmerie nationale entre 2012 et 2017.
Internet, effectivement, demande à mobiliser plus de moyens, y compris pour examiner les pages non indexées, surveiller le Dark Web : nous mettons en oeuvre des moyens essentiels. Il nous fallait aussi moderniser le cadre juridique, nous l'avons fait dès 2013 pour une articulation dynamique entre le premier et le deuxième cercle. La DGSI a été placée sous le contrôle direct du ministère de l'intérieur et dès 2013, le SRT a mis fin à la faille ouverte en 2008 sur le terrain par la suppression des renseignements généraux : la DCRI.
C'est un indéniable progrès de méthode. Le service d'information Schengen, lui, n'avait aucun pouvoir contre le terrorisme, y compris les signaux faibles, nous avons réparé cette lacune.
Même chose pour le maillage de la DCRI, étroitement serré. La coopération et le partage d'informations ont été renforcés.
En juin 2005, j'ai créé un état-major opérationnel de prévention du terrorisme (Emopt) pour coordonner le suivi des personnes radicalisées, il réunit tous les responsables du suivi, son rôle est complémentaire à l'Uclat, qui participe à cet état-major. C'est grâce à l'action de l'Emopt que nous avons retiré des agréments professionnels à des personnes jugées dangereuses. L'utilité opérationnelle est avérée, et la complémentarité de l'Uclat et de l'Emopt.
Notre architecture est donc claire et cohérente : c'est pourquoi votre proposition de passer de quatre à deux directions ne me parait pas pertinente en matière de renseignement intérieur, ce serait revenir à des fusions qui se sont révélé inefficaces, voire dangereuses. Je préfère conserver deux services qui fonctionnent que de fusionner de manière hasardeuse.
La loi de 2015 sur le renseignement a modernisé notre cadre constitutionnel, défini des règles d'emploi claires, pour protéger les agents, comme les libertés publiques ; les décrets ont été pris le 29 janvier 2016, permettant une action rapide. Ainsi, le fichier des antécédents judiciaires en matière terroriste a été créé.
Le renforcement des effectifs doit s'accompagner d'une diversification des profils, vous le dites avec justesse. Nous devons ouvrir nos services aux apports de la recherche universitaire, aux sciences sociales et humaines, par exemple sur les mutations du djihadisme, bien décryptées par un Gilles Kepel. Oui à plus de fluidité entre les univers encore trop cloisonnés, à plus de recrutement de contractuels pour s'associer des spécialistes, comme des analystes, des linguistes ou des psychologues. En 2015, nous l'avons fait, y compris au service de renseignement territorial, à la DGSI, où le taux de contractuels passera à 14,5 % fin 2018 contre 10 % aujourd'hui, sans plafond.
L'Académie du renseignement joue un rôle important pour la formation initiale, je l'ai constaté de visu récemment. Des liens étroits ont été noués avec l'université et avec le CNRS. J'ai confié deux missions sur la prospective et la coordination des travaux stratégiques.
Je rends hommage à tous ceux qui assurent la sécurité des Français, policiers, gendarmes, militaires, services de renseignement. Quand un attentat survient, les observateurs et commentateurs, ainsi que tous ceux qui veulent diviser, cherchent d'abord les failles. Si le risque zéro n'existe pas, on a 100 % de risque si l'on prend zéro précaution. Nos services donnent le meilleur d'eux-mêmes, ils méritent notre admiration ! (Applaudissements sur de nombreux bancs)