Ancrage territorial de l'alimentation
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle l'examen de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à favoriser l'ancrage territorial de l'alimentation.
Discussion générale
M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement . - La crise agricole a favorisé depuis 2011, et plus encore depuis 2013, la volonté de développer un ancrage territorial de l'alimentation avec, par exemple, des plateformes d'approvisionnement ou de communication sur les produits locaux. Cette proposition de loi, due à la députée Brigitte Allain, a été adoptée à l'unanimité à l'Assemblée nationale. Nous partageons tous son objectif.
Lors du salon de l'agriculture ont été présentés les outils informatiques que nous mettons à disposition des collectivités locales, et plus largement des acheteurs, afin qu'ils disposent de critères efficaces pour l'achat local. Les objectifs de 40 % de produits locaux de qualité dans la restauration collective et - ainsi que l'a voulu l'Assemblée nationale - de 20 % de produits issus de l'agriculture biologique sont ambitieux. La responsabilité est d'abord celle des acteurs locaux : au-delà de la réglementation, il faut organiser les choses pour faire correspondre capacités de production, lieux de stockage et lieux de consommation. Les plans régionaux de l'alimentation inscrits dans la loi d'avenir visent à structurer l'offre et la demande locales.
Si le respect des règles nationales et européennes des marchés publics s'impose, elles n'interdisent aucunement le recours à des critères spécifiques en faveur de l'achat local. Nous avons à cet égard bien avancé, le guide fourni à tous les maires de France en 2014 en témoigne. Mais reconnaissons que dans les marchés actuels, on n'y incite guère...
Il faut repenser les stratégies d'achat, préférer les produits frais et non transformés, ce qui n'est pas sans conséquence sur les collectivités, les cantines. D'où les trois guides sur l'ancrage territorial, informant les acheteurs sur les possibilités d'ores et déjà offertes par le code des marchés publics. Nous avons mis en ligne tous les éléments disponibles début 2016.
L'État et ses administrations doivent assumer une responsabilité particulière : M. Le Drian et moi-même avons par exemple favorisé l'approvisionnement des armées en produits locaux pour l'alimentation de nos soldats ; l'ensemble des appels d'offres est recensé en vue d'une révision.
Les chambres d'agriculture sont associées à la définition des projets territoriaux issus de la loi d'avenir. (M. Jean-Louis Carrère s'en félicite) Des projets très performants voient le jour dans de petites villes, pour une alimentation de proximité et de qualité. J'ai récompensé 21 lauréats cette année, porteurs de projets pour à l'échelle de petites ou moyennes collectivités.
À présent, il faut accélérer le processus, et marquer ainsi la volonté politique de la représentation nationale pour accompagner et structurer les initiatives locales.
Certaines collectivités territoriales atteignent déjà les objectifs fixés par la proposition de loi. Nous devons pouvoir trouver ensemble les moyens de favoriser notre agriculture de proximité. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste ; MM. Michel Le Scouarnec, Henri Tandonnet et Jean Desessard applaudissent également)
M. Jean-Louis Carrère. - Nous sommes un peu agacés par les nombreux e-mails que nous avons reçus...
M. Joël Labbé, rapporteur de la commission des affaires économiques . - Je salue Brigitte Allain, présente en tribune, qui est à l'initiative de ce texte visant à faire de la restauration collective un levier du développement de l'agriculture locale, durable et biologique. Avez-vous vu le documentaire Demain ?
M. André Gattolin. - Nous le verrons... demain !
M. Joël Labbé, rapporteur. - Je l'ai vu samedi soir dernier à Auray, commune chère au coeur de notre collègue Le Scouarnec, lors d'une projection suivie d'un débat : il a fallu ouvrir une salle pour 300 personnes et refuser du monde ! Le public n'était pas militant, il représentait l'ensemble de nos concitoyens, de tous âges, cette « foule sentimentale, avec soif d'idéal »... Le débat a duré jusqu'à une heure du matin. Si nous avions tous vu ce film, nous nous retrouverions aujourd'hui sur l'objectif de 20 % de produits biologiques !
Le droit à une alimentation suffisante, de qualité et correspondant aux traditions culinaires locales est inscrit dans la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948. Jusqu'aux années soixante, la plupart des produits alimentaires étaient produits localement. Aujourd'hui encore, cela représente 80 % de la production mondiale et occupe 40 % de la population active de la planète.
Par la suite, la recherche de souveraineté alimentaire a certes augmenté les rendements, mais aussi modifié les productions, accéléré l'exode rural, et produit un impact préoccupant sur l'environnement et la santé. La loi a sa place dans la définition de la politique alimentaire. Nos concitoyens savent qu'une transition est nécessaire.
C'est l'objet de cette proposition de loi que d'y préparer, par le biais de la restauration collective. Ce n'est pas nouveau : la loi du 3 août 2009 fixait des objectifs dans ce domaine, repris dans le plan « Ambition bio » de 2013 et rappelés lors de la conférence environnementale de 2014. Ils ne sont cependant pas encore atteints, même si les initiatives de relocalisation alimentaire se multiplient...
Cette proposition de loi impose juridiquement, à l'horizon 2020, un approvisionnement local des structures de restauration collective - soit 3,6 milliards de repas par an - en fixant un seuil chiffré, contraignant mais accessible si l'on s'en donne les moyens. Les projets alimentaires territoriaux sont l'instrument idoine.
Il faudra former les acheteurs, redonner aux cuisiniers le goût de la cuisine noble y compris dans la restauration collective. L'approvisionnement local n'occasionne pas nécessairement un surcoût : on peut, par exemple, lutter contre le gaspillage - comme nous l'avons voté à l'unanimité - recourir aux produits en vrac, limiter la diversité des repas, promouvoir l'éducation à l'alimentation.
La commission des affaires économiques a approuvé le texte tout en l'assouplissant. Le débat est le suivant : 20 % de produits bio ou non ? Pour moi, c'est une question d'intérêt public, au-delà du clivage droite-gauche. Ce n'est pas une affaire d'écologistes ! Pour trouver un consensus, j'ai proposé que les produits issus des surfaces en conversion soient éligibles aux 20 %, créant un appel d'air bienvenu ; et que la date d'entrée en vigueur du 1er janvier 2020 soit celle à partir de laquelle les contrats devront inclure certaines obligations. Je donnerai un avis favorable aux amendements de M. Desessard, pour renouer avec l'ambition bio de ce texte. (Applaudissements à gauche)
M. Jean-Claude Lenoir, président de la commission des affaires économiques . - Nous sommes sensibles aux propos du ministre : trouver des solutions à la crise agricole, c'est aussi l'objectif de la proposition de loi adoptée il y a peu par la majorité sénatoriale.
Nul ne conteste la nécessité de rapprocher les lieux de production et de consommation. La France dispose de ressources importantes, en quantité comme en qualité. Et pourtant, 87 % des volailles consommées dans la restauration hors domicile sont importées ! Que faire ?
Cette proposition de loi, initialement destinée à favoriser l'ancrage territorial de l'alimentation, est devenue au fil de la discussion un texte en faveur de l'achat de produits bio. Le rapporteur appelait le Sénat à voter le texte conforme au motif que le groupe écologiste de l'Assemblée nationale ne disposait plus de « niche » avant 2017... Le Sénat néanmoins entend toujours se donner le temps d'un travail sérieux. Nous avons adopté une rédaction qui s'éloigne de celle des députés. Heureusement, M. Labbé a changé d'avis, convenant qu'il fallait la modifier. Le Gouvernement peut choisir d'inscrire la proposition de loi à l'ordre du jour prioritaire...
Nous avons été bombardés d'e-mails. (On le confirme sur de nombreux bancs)
Mme Frédérique Espagnac. - Ce n'est pas la première fois !
M. Jean-Claude Lenoir, président de la commission. - C'est l'exemple de ce qu'il ne faut pas faire : cette façon de procéder va à l'encontre du but recherché. (Applaudissements)
M. Joël Labbé, rapporteur. - Ce n'était pas sur commande.
M. Henri Tandonnet . - Une meilleure alimentation et un ancrage territorial, ce sont des objectifs louables, qu'il faut cependant confronter à la réalité. Autant les cahiers des charges actuels sont précis, autant la notion d'« alimentation durable » est vague...
Prenons le Lot-et-Garonne, avec 78 productions différentes, un agropole de 2 000 emplois, un marché d'intérêt national (MIN) qui a contractualisé avec la restauration collective. Mais les pommes de terre sarladaises et les tomates séchées sont-elles considérées comme des produits locaux ?
N'opposons pas non plus le bio au conventionnel. Nos agriculteurs produisent des aliments de qualité, ils ont fait de gros efforts pour réduire l'utilisation de produits phytosanitaires. L'objectif de 20 % de produits bio est une fausse bonne idée : les professionnels se concentreraient sur lui et achèteraient par ailleurs des produits à bas coût, voire importés. Au lieu de fixer des objectifs irréalisables, préservons ce qui fonctionne, comme les MIN.
Attention aussi à l'excès de normes. Depuis 2014, l'AMF incite les collectivités à privilégier l'achat local ; beaucoup le font sans y être obligées par la loi. Mais toutes n'ont pas les mêmes moyens financiers... Laissons-les libres de tenir compte des réalités locales.
J'ai fait adopter en commission des amendements pour assouplir le texte. L'objectif de 20 % de produits bio était excessif, quand ceux-ci ne représentent souvent que 5 à 6 % de la production locale. J'y ai substitué un critère proportionnel, fonction des capacités de production bio. Il faut clarifier la définition de l'alimentation durable : les critères doivent être entendus comme alternatifs, non cumulatifs. Enfin, appliquer le « fait maison » à la restauration collective aurait galvaudé cette mention et dévalorisé les restaurants de qualité.
Assouplir le texte, c'est donner plus de responsabilités aux collectivités locales. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDI-UC)
M. Michel Le Scouarnec . - Le manque de transparence de l'industrie alimentaire, la quête effrénée du profit et les scandales de ces dernières années ont fait émerger la question des circuits courts dans le débat public. Ceux-ci sont aussi un moyen de faire échapper les producteurs au pouvoir de la grande distribution, qui menace le marché intérieur.
Nous saluons ce texte dont les objectifs sont ceux que nous défendions lors de l'examen de la loi d'avenir. L'essor des filières courtes reste modeste : entre 6 et 7 % des achats en France. Les volailles consommées dans la restauration collective sont importées à 87 %, les bovins à 55 % ! L'utilisation intensive de pesticides, l'emploi d'une main d'oeuvre à bas coût chez certains producteurs européens créent une distorsion de concurrence sur les légumes...
Il est regrettable que la commission ait supprimé l'objectif de 20 % des produits biologiques.
Afin de garantir le respect des 40 %, l'Observatoire de l'alimentation aura pour mission de veiller au développement des circuits courts et de proximité. Un volet agricole sera inclus dans les plans régionaux de l'alimentation durable, pour permettre la création de légumeries et d'abattoirs : c'est bien. Encore faudrait-il prévoir des sanctions et, surtout, parler de l'accès au foncier, de l'installation des jeunes agriculteurs, de l'étiquetage des contraintes imposées par la restauration collective en termes de délais, de calibrage, de coût... Comment évoquer les circuits courts sans mentionner aussi les difficultés des communes les plus pauvres ? Le défaut d'aides à la reconversion ? Les menaces que font planer les accords du libre-échange avec les États-Unis et le Canada ?
Favoriser les circuits courts est conforme aux souhaits des syndicats agricoles, qui veulent développer le marché intérieur. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste républicain et citoyen)
M. Yannick Vaugrenard . - À l'heure de la mondialisation, l'avenir de notre système alimentaire passe par la valorisation des circuits courts de distribution. Le président de la République avait fixé l'objectif de 40 % de produits locaux dans la restauration collective d'ici 2017. Déjà la loi d'avenir a reconnu l'importance de l'ancrage territorial de l'alimentation et créé des outils de planification locale. Après un guide à destination des maires, le ministère en a publié un autre pour tous les acheteurs publics - il a été présenté au dernier salon de l'agriculture.
Merci à Stéphane Le Foll pour sa constance et son courage dans un ministère très difficile. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)
Pour le code rural, l'alimentation durable, c'est celle définie par des critères de qualité ou d'origine ou des mentions valorisantes. Pour moi, l'agriculture durable, c'est avant tout celle qui est distribuée par circuits courts - vente directe ou avec un seul intermédiaire - et qui obéit à un principe de saisonnalité.
J'ai entendu les craintes suscitées par ce texte. Le Gouvernement a d'ailleurs accepté de remettre au Parlement un rapport sur le coût de ces mesures pour les collectivités territoriales, mais l'approvisionnement local, dans certains départements, a fait baisser les prix.
La loi Grenelle de 2009 fixait déjà un objectif de 20 % de produits bio dans la restauration collective. Nous en sommes loin, il faut être réaliste. Cette proposition de loi vient à point nommé. Merci à M. Labbé de son engagement, de sa constance et de son esprit de compromis. La stratégie d'approvisionnement local mise en place dans la Drôme a été un succès, poursuivons en ce sens. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)
M. David Rachline . - Lorsque des propositions de loi écologistes sont empreintes de bon sens et de pragmatisme, ce qui n'est pas si inhabituel (mouvements divers), nous nous y retrouvons. C'est ici le cas. Pourquoi ne pas utiliser ce qui est produit au plus près, plutôt que d'importer des aliments ? Le mirage d'un monde sans frontières a fait des ravages. Les aliments français coûtent souvent plus cher, d'autant que lorsqu'on les achète, nous finançons notre modèle social, la sécurité sociale, nous renflouons les caisses de l'État. Matraqués par la concurrence, nous avons oublié le vrai prix des choses.
Des précautions sont prises pour ne pas heurter la doxa mondialiste, celle de la Commission européenne, qui enquête sur Intermarché parce que le groupe favoriserait l'achat - plus cher - de produits locaux de qualité...
Ce texte va néanmoins dans le bons sens. Favoriser l'ancrage territorial de l'alimentation, c'est économiquement, écologiquement et moralement gagnant.
M. François Fortassin . - L'alimentation durable est celle qui, acceptable socialement, a un impact minime sur l'environnement tout en répondant aux exigences nutritionnelles.
Cette proposition de loi va dans le bon sens et nous la voterons unanimement. Elle vise à rétablir le lien naturel entre produit et territoire, à concilier développement durable et performance économique, conformément à la vocation même de l'agriculture.
C'est par la qualité des produits que nous assurerons à nos agriculteurs un revenu décent. Nos concitoyens s'inquiètent des mentions trompeuses sur l'origine de la viande, comme des conditions scandaleuses de l'abattage dans certains établissements.
La définition de l'agriculture durable est assez large. Mais le seuil de 20 % pour les produits bio avait conduit à importer davantage. Les objectifs de la loi modifiée doivent être atteignables d'autant qu'ils étaient déjà fixés par loi Grenelle I pour 2012. Les produits bio peuvent être trop chers alors que l'agriculture durable est acceptable. Faisons confiance aux collectivités territoriales, meilleures défenseuses de l'emploi local. Les exemples d'initiatives bienvenues sont nombreux. Le RDSE votera cette proposition de loi.
N'oublions pas la pédagogie pour une alimentation saine. On peut avoir des haricots verts bio...
M. Jean-Claude Requier. - Sans goût ?
M. François Fortassin. - ...inondés de margarine, ce qui n'est pas très sain.
M. Jean Desessard. - Les pesticides, c'est meilleur ! (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE et sur quelques bancs du groupe socialiste et républicain)