SÉANCE

du jeudi 18 février 2016

69e séance de la session ordinaire 2015-2016

présidence de Mme Françoise Cartron, vice-présidente

Secrétaires : M. Serge Larcher, M. Jean-Pierre Leleux.

La séance est ouverte à 10 h 30.

Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.

Convention fiscale avec Singapour

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle l'examen du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, autorisant l'approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Singapour en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales en matière d'impôts sur le revenu.

Discussion générale

M. Christian Eckert, secrétaire d'État auprès du ministre des finances et des comptes publics, chargé du budget .  - Traditionnellement, le débat fiscal se concentre sur les textes financiers. Pourtant, les conventions fiscales ont acquis une importance croissante dans une économie globalisée, avec des flux financiers transfrontaliers en progression. Elles garantissent aux contribuables concernés un traitement équitable, sans formalités excessives ni sacrifier les recettes, tout en prévenant la fraude.

Le premier texte de ce matin concerne Singapour. Une modernisation de la Convention de 1974 s'imposait en raison de l'accroissement de nos échanges, de stipulations devenues coûteuses pour le Trésor français et de l'absence de dispositifs anti-abus. Le nouvel accord a été conclu et signé en janvier 2015.

Ce texte, conforme aux normes internationales les plus récentes, marque un progrès pour les acteurs économiques comme dans la lutte contre l'optimisation fiscale. Singapour a fait d'importants progrès en matière de coopération fiscale sur demande, grâce à la levée du secret bancaire en 2009. Sur douze demandes adressées à la cité-État en 2015, nous avons obtenu satisfaction dix fois ; le délai de réponse est passé de trois mois à cinquante jours. Singapour a en outre promis d'appliquer le dispositif d'échange automatique d'informations en 2018.

La lutte contre les situations de non-imposition est renforcée. L'exonération en France d'un revenu taxable à Singapour n'est accordée que si le bénéficiaire est effectivement assujetti à l'impôt à Singapour à raison de ce revenu. Un dispositif de lutte contre les montages financiers de structuration des investissements est introduit ; le bénéfice du taux de retenue à la source réduit n'est accordé que si le récipiendaire du revenu en est le bénéficiaire effectif. Une clause anti-abus générale a été introduite. Le crédit d'impôt forfaitaire, coûteux pour nos finances publiques, sera supprimé.

Des aménagements favorables aux opérateurs économiques ont été prévus : définition de l'établissement stable, intérêts imposés dans le seul État du bénéficiaire ; rédaction rapprochée du modèle de l'OCDE pour plus de sécurité juridique.

Je vous invite donc à ratifier cette convention. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)

M. Éric Doligé, rapporteur de la commission des finances .  - Vous l'avez dit, monsieur le ministre, les conventions sont un élément majeur de notre fiscalité.

Alors que l'accord avec la Suisse vise à répondre à un problème ponctuel et précis, l'accord avec Singapour s'inscrit dans le mouvement continu de renégociation de nos conventions fiscales.

L'actualité, pourtant n'est jamais loin. Cette convention a été négociée dans le contexte des débats sur le projet « BEPS » (Base erosion and profit shifting) de l'OCDE, qui vise à lutter contre la délocalisation abusive des bénéfices - de vigoureuses discussions sont en cours à Bruxelles...

Une convention fiscale est un acte politique. Ce n'est pas sans raison que notre commission avait organisé, le 1er juillet dernier, une audition conjointe sur le thème de la diplomatie fiscale : car c'est dans une convention fiscale que se joue la répartition entre les États du droit d'imposer les bases fiscales et le partage des fruits de la croissance mondiale. Et c'est dans une telle convention que les entreprises et les particuliers trouvent, ou non, une incitation à investir et s'installer dans un autre pays.

En l'espèce, cette convention fiscale viendra se substituer au texte actuel, qui date du 9 septembre 1974, et ne correspond plus à la réalité des échanges économiques entre les deux pays.

Plaque tournante du commerce et des investissements en Asie du Sud-Est, Singapour a en effet vu son économie évoluer en profondeur, délaissant en quatre décennies les activités manufacturières au profit d'une spécialisation dans la finance et les activités à haute valeur ajoutée. La cité-État cherche aujourd'hui à attirer de nouveaux investissements dans les secteurs de pointe, où la France excelle. Nos entreprises et nos ingénieurs ne pourront que tirer parti du nouveau cadre fiscal.

Le texte de l'accord est, en pratique, très proche du modèle de l'OCDE, malgré quelques spécificités. La nouvelle convention offre un cadre plus favorable aux investissements. La retenue à la source sur les dividendes est abaissée de 10 % à 5 %, ce qui permettra aux entreprises françaises détenant des filiales à Singapour de faire remonter plus facilement leurs bénéfices vers la France ; les intérêts sont exonérés de la retenue à la source de 10 % s'ils résultent de prêts inter-entreprises, mode de financement très utilisé par les entreprises françaises. Un chantier devra dorénavant avoir une durée de douze mois, contre six auparavant, pour être considéré comme un établissement stable, et donc imposable à Singapour. Enfin, les clauses particulièrement favorables aux étudiants, stagiaires, apprentis et enseignants de la convention de 1974 sont maintenues.

La nouvelle convention fiscale préserve en outre le droit des États à imposer des activités sur leur territoire, par le maintien d'une imposition à la source des redevances provenant d'activités littéraires et artistiques et par l'introduction de la notion d'établissement stable de services.

Le système des crédits d'impôt forfaitaires est supprimé. Le Trésor public français en sera le grand bénéficiaire, après la fin de la période de transition. Ce système, qui s'apparentait à une forme de subvention à l'exportation vers les pays en développement, est devenu anachronique ; il sera remplacé par un crédit d'impôt égal au montant réellement acquitté à Singapour, conformément au modèle OCDE.

La convention comporte enfin une série d'améliorations visant à prévenir la fraude fiscale et l'optimisation abusive. Relevons, notamment, l'introduction d'une clause anti-abus générale, visant à combattre les montages dont le but est principalement, sinon exclusivement, de tirer indûment un avantage fiscal des stipulations de la convention. Notons aussi le renforcement du mécanisme d'échange d'informations à la demande : il est dorénavant précisé que les renseignements obtenus peuvent être utilisés, sous conditions, à d'autres fins que des fins fiscales, comme la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme. La coopération fiscale avec Singapour est déjà satisfaisante, et devrait être encore être renforcée par le passage à l'échange automatique en 2018.

Cette convention fiscale n'est pas exempte de critiques : un texte de ce type est toujours le résultat d'un compromis. On peut regretter l'absence de clauses traitant des sociétés de personnes et entités transparentes, dont l'interposition, notamment en matière immobilière, constitue un montage courant pour échapper à l'impôt. Une précaution aurait été bienvenue.

Les avantages de cette convention l'emportent toutefois très nettement sur ses quelques faiblesses. La commission des finances vous propose d'autoriser sa ratification. (Applaudissements)

Mme Nathalie Goulet .  - Nous recevons en ce moment même une délégation québécoise qui vient étudier la façon dont nous traitons de l'évasion et de la fraude fiscales. Nous voici aux travaux pratiques...

La renégociation de nos conventions fiscales, c'est un peu comme la chanson de Barbara, ça recommence... Mais cela prouve que quand il y a la volonté, il y a un chemin... C'est bon signe.

La baisse de 10 à 5 % de la retenue à la source aidera nos entreprises et favorisera le rapatriement des bénéfices. Dans la suite des travaux de nos deux commissions d'enquête, cette convention contient une clause anti-abus qui permettra de sanctionner des pratiques telles que les sociétés-écrans que certaines banques peu scrupuleuses proposent à leurs clients. La France a fait beaucoup de progrès en la matière, comme le note le président de Transparency International, et ce type de convention y contribue.

Vice-présidente de la commission des affaires étrangères, je n'oublie pas notre importante coopération militaire avec Singapour, et le bénéfice que nos industries de défense tireront de cette convention.

Nous voterons ce projet de loi.

M. Éric Bocquet .  - Le débat fiscal a quelque chose d'exotique lorsqu'il s'agit de pays lointains tels que Singapour. On sait que certains sites internet spécialisés dans la création de sociétés off shore vantent volontiers des taux d'imposition proches de zéro, l'anonymat et l'absence de capital minimal...

Détaché de la Malaisie, la cité-État, de 700 kilomètres carrés et de 5,5 millions d'habitants, prospère, est riche comme le Danemark. Disposant du deuxième port mondial après Shanghai, c'est une plaque tournante du commerce asiatique et une place financière importante. La main d'oeuvre y est qualifiée, la fiscalité des entreprises assez douce, celle des particuliers favorable aux plus aisés. Si l'on y ajoute un système éducatif performant, un système politique stable, et des gratte-ciels à perte de vue, on a tout le cocktail de la réussite économique de Singapour...

Singapour reste aussi dans la liste des dix paradis fiscaux les plus recommandés, en quatrième position sur 92 dans le classement de l'opacité financière de l'ONG Tax justice network. ...

En pleine lucidité, nous nous abstiendrons, car des progrès sérieux restent à accomplir. (Applaudissements sur les bancs des groupes communiste républicain et citoyen et écologiste)

M. Richard Yung .  - Ce fut une spécialité britannique que de créer des micro-États là où il y avait, soit un enjeu stratégique, soit du pétrole... Singapour en fait partie.

Cette convention modernise les relations fiscales entre nos deux pays. C'est d'autant plus important que la cité-État est devenue un grand carrefour économique de l'Asie du sud-Est.

Il faut se réjouir des efforts de transparence faits par Singapour. C'est le deuxième port du monde, qui génère beaucoup d'activités. La France n'y est que le dix-huitième investisseur étranger, avec 600 entreprises de toutes tailles. La convention renforcera la sécurité juridique des personnes physiques et morales, et la sécurité des recettes fiscales. Espérons que la répartition des droits imposés se fera en notre faveur.

Les principaux éléments de l'accord ont été évoqués : définition de l'établissement stable, baisse de la retenue à la source sur les dividendes, suppression du crédit d'impôt fictif... Il intègre notamment un nouveau dispositif anti-abus - après la Suisse, le chemin de l'optimisation fiscale conduirait à Singapour... Enfin, c'est très important, le dispositif d'échange de renseignements est conforme aux normes BEPS.

Malgré ses faiblesses - il ne traite pas de l'impôt sur la fortune...qui n'existe pas à Singapour - l'accord prouve la volonté de coopération de la cité-État. J'appelle le groupe socialiste et républicain à le voter. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)

M. André Gattolin .  - Cette convention fiscale mérite une attention particulière. Jusqu'à récemment au moins, Singapour était une des principales plaques tournantes de l'optimisation fiscale internationale. Mais c'est aussi une économie florissante et un partenaire important pour la France. D'où le double enjeu : lutter contre la fraude, et fluidifier nos échanges économiques et commerciaux.

Je regrette toutefois que cette convention ait été négociée alors que l'Union européenne venait d'ouvrir des négociations avec Singapour en vue d'un accord de libre-échange. La superposition de deux accords n'augure hélas pas du passage du niveau bilatéral au niveau européen...

Singapour a aujourd'hui un comportement plutôt coopératif, nos demandes sont raisonnablement honorées. Et la cité-État a promis d'appliquer l'échange automatique d'informations à partir de 2018. Reste que les clauses anti-abus comportent quelques failles, il eut été préférable d'être plus strict. Nous nous abstiendrons. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste républicain et citoyen)

M. Jean-Claude Requier .  - « Puisse Singapour progresser », dit l'hymne de la cité-État. Puissent nos relations fiscales progresser aussi !

Si les paradis fiscaux du Vieux Continent disparaissent peu à peu, les investisseurs vont chercher ailleurs, et notamment à Singapour. Mais la cité-État n'est pas seulement une place financière : son économie se repositionne aujourd'hui sur les nouvelles technologies et nos relations commerciales sont importantes. Il est bon de les stimuler. Les facilités dont les étudiants disposeront sont également bienvenues.

Enfin, les clauses visant à lutter contre la fraude, malgré leurs faiblesses, constituent un progrès. Le groupe RDSE votera ce texte.

Mme Jacky Deromedi .  - Résidente à Singapour pendant vingt-sept ans, où j'ai créé un cabinet d'aménagement d'espaces professionnels, je m'intéresse naturellement à la présente convention.

Les gouvernements français et singapouriens entendent renforcer des liens commerciaux déjà forts. Singapour est l'un des cinq pays avec lesquels notre excédent commercial est le plus important, 15 000 Français vivent sur son sol, 600 entreprises françaises y sont installées et la cité-État fait tout pour attirer les étrangers.

Il était temps de revoir la convention fiscale de 1974. La notion de résidence s'éloigne ici du standard de l'OCDE, excluant notamment le critère de nationalité. Celle d'établissement stable est précisée. Autre particularité : l'imposition des dividendes, ramenée de 10 % à 5 % lorsque la société détient au moins 10 % du capital de sa filiale. C'est une bonne nouvelle pour nos entreprises.

La nouvelle convention élimine les doubles impositions et supprime le mécanisme de crédit d'impôt forfaitaire.

Le forum mondial sur la transparence a constaté à Djakarta en novembre 2013 que Singapour, du point de vue de la coopération fiscale, se plaçait désormais au même niveau que l'Allemagne. Toutes nos demandes, en 2015, ont été satisfaites en deux mois. Le dispositif d'échange de renseignement est conforme aux normes OCDE et Singapour s'est engagé sur l'échange automatique à l'horizon 2018. La généralisation des clauses anti-abus évitera que des investisseurs continuent à s'installer dans des pays en raison de leur réseau de conventions fiscales favorables...

En dépit de l'absence de clauses sur les redevances, j'invite à ratifier cette convention pro-business et sévère à l'égard des fraudeurs, qui favorisera les échanges et renforcera l'amitié entre nos deux peuples. (Applaudissements)

Intervention sur l'ensemble

M. Christian Eckert, secrétaire d'État auprès du ministre des finances et des comptes publics, chargé du budget .  - Quand il y a la volonté, il y a un chemin, dit Mme Goulet... Nous n'avons pas attendu ce jour pour renégocier nos conventions fiscales... Nous avons récemment résolu le problème des plus-values immobilières avec le Luxembourg. Nous reviendrons vers vous avec d'autres conventions...

J'ai entendu que certains s'abstiendront. J'aurais aimé comprendre plus précisément pourquoi...

Quand des législations sont aussi différentes que celles de la France et Singapour, il faut bien trouver des compromis. Et il ne s'agit pas seulement d'éviter la double imposition, mais aussi la non-imposition.

La discussion générale est close.

L'article unique est adopté.

En conséquence, le projet de loi est définitivement adopté.