Rôle des territoires pour la réussite de l'accord mondial sur le climat
M. le président. - L'ordre du jour appelle la proposition de résolution de M. Jérôme Bignon et plusieurs de ses collègues visant à affirmer le rôle déterminant des territoires pour la réussite d'un accord mondial ambitieux sur le climat présentée en application de l'article 34-1 de la Constitution.
M. Jérôme Bignon, auteur de la proposition de résolution . - Il est important que nous siégions ce soir, en dépit de la terrible actualité, afin que le Sénat adopte une position motivée sur les négociations internationales sur le climat, conformément à l'article 34-1 de la Constitution. La proposition de résolution, que je présente, est issue de la rédaction participative de notre groupe de travail sur le suivi de la préparation de la COP 21, élargi il y a quelques mois à la demande du président Gérard Larcher.
Nous sommes aujourd'hui dans la dernière ligne droite. La pré-COP s'est tenue à Paris du 8 au 10 novembre dernier et a été plutôt encourageante.
Réaffirmons avec force l'ambition de la France : un accord contraignant que garantit seul le dispositif de mesures, rapports et vérifications (MRV), un accord véritablement universel et différencié selon les pays, un accord financé, avec l'abondement du Fonds vert dont la création avait été annoncée à Copenhague.
Nous assumerons pleinement notre responsabilité climatique si nous respectons ces trois conditions. L'urgence est là ! « Les exigences des sociétés démontrent toujours une capacité étonnamment faible à se projeter dans le futur », a écrit l'économiste Daniel Cohen. Et d'ajouter justement que nous savons tous combien « la difficulté de l'action collective, lorsque l'on doit payer des coûts immédiats pour un objectif de long terme, est considérable ».
En effet, à nous de ne pas manquer ce rendez-vous en marquant notre engagement à soutenir les pays les moins avancés et dans ces pays, les femmes, souvent premières victimes du changement climatique, en affirmant aussi le rôle décisif des territoires. Comme le dit l'archevêque sud-africain Desmond Tutu : « Réduire l'empreinte carbone est le plus grand chantier des droits de l'homme de notre époque. »
Les territoires d'outre-mer sont une caisse de résonance climatique où s'élaborent des méthodes innovantes. Selon le programme des Nations unies pour l'environnement, 70 % des actions doivent être menées au niveau local. C'est le cas pour la gestion des déchets, le développement des transports collectifs et des énergies propres, mais aussi pour la protection du littoral et la coopération décentralisée envers les pays moins avancés. Proches des habitants, les collectivités sont les mieux à même de sensibiliser nos concitoyens.
Si le dérèglement climatique est mondial, les solutions sont locales. Que la France, dans le cadre de la COP21, porte un nouveau modèle pour notre planète libérée du carbone et respectueux des territoires ! (Applaudissements sur tous les bancs)
M. Hervé Maurey, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable . - Il y a lieu de nous féliciter de ce débat. Que le Sénat, à l'initiative de son président, reprenne ses travaux après les attentats sur un sujet qui engage l'avenir de l'humanité représente un beau symbole. (M. Gérard Larcher approuve)
Cette séance veut en effet couronner le travail que le Sénat tout entier a engagé depuis un an sur la COP21 à la demande du président Larcher.
Le groupe de travail sur les négociations climatiques formé au sein de notre commission chargée du développement durable s'est peu à peu élargi. Les autres commissions permanentes, les délégations, mais aussi les groupes d'amitié interparlementaires se sont mobilisés dans la lutte contre le réchauffement climatique. Preuve que les territoires s'engagent ! (Applaudissements sur la plupart des bancs)
M. Jean-Claude Lenoir, président de la commission des affaires économiques . - Le développement économique passe par la lutte contre le réchauffement climatique. Le prix de l'inaction serait trop coûteux...
M. Roland Courteau. - Très bien !
M. Jean-Claude Lenoir, président de la commission. - Nous demandons une tarification stable du prix du carbone, les entreprises le demandent. Cela suppose une harmonisation.
Autre piste de réflexion, mettre l'accent sur les énergies non carbonées, dont le nucléaire. (M. Ronan Dantec proteste) Le groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) le range dans cette catégorie. Nous sommes, avec la Suède, l'une des économies les moins carbonées d'Europe, loin devant l'Allemagne. (M. Robert del Picchia applaudit)
M. Bruno Retailleau. - Absolument !
M. Jean-Claude Lenoir, président de la commission. - Faisons valoir nos atouts. (Applaudissements au centre et à droite ainsi que sur plusieurs bancs du groupe socialiste et républicain)
M. Cédric Perrin, au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées . - La mobilisation de tous est indispensable pour réussir la COP21, je salue l'oeuvre accomplie par le groupe de travail animé par Jérôme Bignon et remercie le président Larcher d'avoir organisé ce débat.
Avec Leila Aïchi et Éliane Giraud, nous nous sommes intéressés aux conséquences géostratégiques du dérèglement climatique. En 2035, 75 % des habitants vivront en zone côtière ; les dommages, en cas d'inaction, s'élèveraient à 1 000 milliards de dollars par an.
Le réchauffement climatique sera, à notre sens, moins une menace à lui seul qu'un multiplicateur de menaces, là où les structures étatiques sont faibles et les ressources rares.
On estime à deux cents millions le nombre de déplacés environnementaux d'ici à 2050. Nous avons examiné la situation de l'Arctique, à l'heure où 95 % du commerce mondial transite par la voie maritime. L'accès aux minerais et aux ressources halieutiques et agricoles du grand Nord sera modifié par le changement climatique. Les pays asiatiques prennent position dans ce secteur où les tensions pourraient s'accentuer avec la Russie, qui en revendique une grande part.
La France a tardé à prendre en compte ces enjeux dans sa réflexion stratégique, le prochain Livre blanc devra les intégrer. Mais ne cédons pas au catastrophisme ! Il y a aussi des raisons d'espérer une plus grande solidarité internationale. (Applaudissements au centre et à droite, ainsi que sur les bancs écologistes)
Mme Marie-Christine Blandin, au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication . - C'est la jeunesse, c'est la culture que l'on a frappées à Paris. Or que serait la COP21 sans elles ?
Claude Lévi-Strauss et Edgar Morin nous interrogent sur notre façon d'habiter la Terre loin des rumeurs, des négations et exagérations : désintriquons les savoirs et les croyances ! L'Académie des sciences s'est récemment prononcée à 78 voix contre 9 pour marquer l'urgence à agir.
Tous nos organismes de recherche sont de longue date au travail. La complexité des phénomènes imbriqués, le besoin d'évaluer les capacités de résilience, et la demande inédite des gouvernements d'obtenir de l'aide à la décision, ont changé les méthodes, vers plus de transdisciplinarité, avec le CNES et l'IRD, plus de modélisation, avec l'INRIA, plus de collaboration dans le temps, avec le GIEC.
Le Museum est de retour pour trouver des symbioses peu couteuses avec les écosystèmes.
L'éducation est déterminante, si nous ne voulons pas voir nos enfants se battre pour le dernier litre de pétrole ou d'eau potable, de même que la formation professionnelle et agricole.
Les photographies de nos archives et les tableaux de notre patrimoine nous montrent la biodiversité et les usines fumant d'hier, les bibliothèques sont des lieux accueillants pour réfléchir l'avenir.
C'est de conscience collective dont nous avons besoin, pour que chacun devienne usager responsable, consommateur sobre, inventeur ingénieux, et citoyen ou citoyenne solidaire : c'est impossible sans culture. (Applaudissements sur les bancs écologistes, ainsi que sur plusieurs bancs à gauche et au centre ; M. Jean-Claude Lenoir applaudit aussi)
M. Yvon Collin, vice-président de la commission des finances . - Mme Keller et moi-même, rapporteurs spéciaux sur l'aide publique au développement, avons travaillé sur le financement de l'accord de Paris, en particulier l'aide aux pays les moins avancés (PMA). Si ces derniers sont de faibles émetteurs de gaz à effet de serre, ils seront les premiers à ressentir les effets du changement climatique. Dès aujourd'hui, encourageons-les à adopter une stratégie bas carbone en consacrant 20 % des financements climats à des actions d'adaptation climatique et au moins 20 % aux PMA. Le Fonds vert pour le climat, qui doit être doté de 100 milliards de dollars, sera déterminant pour faciliter l'implication des pays les plus vulnérables (M. Roland Courteau approuve), sans exclure les financements innovants. (Applaudissements sur les bancs du RDSE, au centre et à droite)
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes . - L'implication du Sénat dans la préparation de la COP21 est bienvenue.
La commission des affaires européennes s'est elle-même mobilisée. Deux de nos collègues, Mme Fabienne Keller et M. Jean-Yves Leconte ont analysé et évalué devant notre commission la démarche de l'Union européenne depuis la COP20 de Lima en décembre dernier.
Pour réussir le rendez-vous de la COP21, l'Union européenne a pris des initiatives fortes avec le marché des quotas carbone et le fonds Juncker d'investissements dans le secteur industriel. Les fonds structurels, de 2014 à 2020, consacreront 45 milliards d'euros sur sept ans à ce domaine.
Poursuivons l'effort en obtenant une réforme de la tarification du carbone, en taxant les carburants des avions et des bateaux, en soutenant les industries sobres en carbone et les initiatives des territoires. Ce sont en effet les collectivités qui partout en Europe, multiplient les initiatives concrètes. Quel que soit le résultat de la conférence de Paris, ce sont d'elles que naîtront de nouveaux comportements collectifs, pour le climat, qui nécessitent le concours quotidien de chacun. (Applaudissements au centre et à droite, ainsi que sur plusieurs bancs à gauche, à l'exception des bancs du groupe communiste républicain et citoyen)
Mme Chantal Jouanno, présidente de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes . - Actes terroristes et dérèglements climatiques ont un point commun : les femmes en sont les premières victimes. Elles doivent être considérées en tant que telles dans les négociations : elles sont souvent agricultrices - 70 % des agriculteurs en Afrique sont des femmes - et chargées des corvées d'eau, qui seront de plus en plus pénibles.
Des femmes victimes, oui, mais aussi actrices et partenaires de la lutte contre le dérèglement ! Elles peuvent inventer des solutions concrètes, comme remplacer le bois de cuisson par des fours solaires. Or elles ne représentent que 30 % des délégations et moins de 19 % des destinataires des financements. Merci à Jérôme Bignon d'avoir pris en compte ces éléments. (Applaudissements sur de nombreux bancs)
M. Jean-Marie Bockel, président de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation . - Économie circulaire, biodiversité, ou encore gestion des déchets, autant de domaines sur lesquels les collectivités territoriales agissent de manière transversale et dynamique. Et ce, depuis longtemps.
Notre rapport, qui représente un guide des bonnes pratiques, s'appuie sur le tour de France effectué par nos sept rapporteurs. Nous l'avons démontré, la lutte contre le changement climatique représente, non une contrainte, mais une chance pour demain. Espérons que ce travail, avec les autres rédigés au Sénat, constituent une puissante incitation parlementaire lors des négociations climatiques (Applaudissements au centre et à droite, ainsi que sur les bancs des groupes écologiste et RDSE)
M. Michel Magras, président de la délégation sénatoriale à l'outre-mer . - Aux avants postes de la vulnérabilité climatique, comme nous l'avons constaté lors du colloque du 30 septembre dernier intitulé « Une bannière verte et bleue pour un renouveau du tourisme dans les outre-mer », les outre-mer ont cherché activement, et depuis longtemps, des solutions afin d'accéder aux ressources en eau, de promouvoir des modèles agricoles résilients et durables ou encore des énergies propres.
C'est aussi le lieu d'une biodiversité exceptionnelle, avec des coraux qui sont à la fois la pouponnière de la diversité marine et barrière contre le déferlement des flots. L'outre-mer donne à la France sa dimension planétaire, grâce à son second rang mondial pour la surface maritime.
Cette proposition de résolution met à raison l'accent sur la France ultramarine pour son rôle de laboratoire. Ajoutons-y qu'elle nous oblige, à l'égard des pays du Sud tout particulièrement. Nos outre-mer peuvent être les agents d'une meilleure diffusion de la réflexion climatique pour favoriser la promotion de modèles de développement effectivement durable. (Applaudissements)