Malades en fin de vie (Deuxième lecture)
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle la deuxième lecture de la proposition de loi, adoptée avec modifications par l'Assemblée nationale, créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie.
Discussion générale
Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes . - Au début du mois d'octobre, l'Assemblée nationale a adopté en deuxième lecture cette proposition de loi. Donner de nouveaux droits aux malades est une exigence parce que les progrès de la médecine ont modifié notre rapport à la mort. L'espérance de vie s'allonge, les attentes des Français ont évolué et des affaires très médiatisées ont agité l'opinion publique.
La mission confiée au Professeur Sicard, les débats en région et la conférence citoyenne organisée par le Comité consultatif national d'éthique (CCNE) ont permis à nos concitoyens de s'exprimer. Il en ressort que les soins palliatifs sont peu accessibles à tous, ou du moins pas dans les mêmes conditions, que les Français connaissent mal leurs droits et qu'une nouvelle étape est nécessaire pour mieux accompagner nos concitoyens en fin de vie. D'où la mission confiée aux députés Claeys et Leonetti et l'élaboration de cette proposition de loi.
L'Assemblée nationale s'est prononcée par deux fois, à une très large majorité, en faveur de ce texte. Votre assemblée l'examine à nouveau après l'avoir rejeté en première lecture. De fait, après vos débats, il ne correspondait ni aux attentes de la majorité gouvernementale, ni à celles de la majorité sénatoriale. Il correspond à un point d'équilibre.
La seule question qui vaille est : le texte qui nous vient de l'Assemblée nationale répond-il aux attentes des Français ? Oui, c'est ma conviction.
Il s'agit d'abord de renforcer les soins palliatifs. Les Français ne sont pas égaux devant la mort. Deux tiers de ceux qui meurent de maladie auraient besoin de soins palliatifs. Bien que le nombre de lits ait été multiplié par vingt en dix ans, trop nombreux sont ceux qui n'y ont pas accès ou n'y accèdent que trop tard. D'où le plan triennal lancé par le président de la République que je présenterai bientôt aux acteurs lors d'un déplacement auprès d'une structure particulièrement engagée dans les soins palliatifs à domicile - car les soins palliatifs doivent entrer en maisons de retraite et à domicile et ne pas se limiter à l'hôpital. Ses objectifs sont de mieux informer les patients, de renforcer la formation des professionnels, de développer les prises en charge de proximité, de réduire les inégalités d'accès. Sans attendre, j'ai dégagé 40 millions d'euros supplémentaires dans le budget 2016 de la sécurité sociale pour renforcer le développement des soins palliatifs ; concrètement, cela se traduira par trente équipes mobiles de soins palliatifs et la création de six unités. Les ARS veilleront à l'effectivité du droit d'accès universel aux soins palliatifs sur tout le territoire. Ce combat nous rassemble tous.
Deuxième avancée du texte : mieux faire connaître aux Français leurs droits. La moitié d'entre eux ignorent qu'un patient peut demander l'arrêt des traitements qui le maintiennent en vie ; et seuls 2,5 % ont rédigé des directives anticipées... Ce constat ne doit pas inciter à l'inaction ou à la résignation. Un modèle-type de directives anticipées sera élaboré sous l'autorité de la Haute Autorité de santé et un registre national automatisé créé.
Pour inciter nos concitoyens à se saisir de ce droit, encore faut-il les convaincre de son effectivité. Là encore, ce texte marque une avancée : les déclarations anticipées seront contraignantes pour les professionnels de santé, sans date de validité. La volonté du patient sera déterminante. Rester maître de sa vie comme de sa mort, c'est un enjeu de dignité.
Troisième avancée, l'encadrement de l'arrêt des traitements. Des progrès ont été faits mais en l'état actuel du droit, seuls les professionnels peuvent décider de mettre fin aux traitements ; ils sont parfois désemparés face à des situations qui les laissent dans la solitude de leur conscience. Les Français attendent une démédicalisation de la fin de vie. Le texte précise les modalités de l'interruption des traitements, clarifie la notion d'obstination déraisonnable avec le droit à bénéficier d'une sédation profonde et continue jusqu'au décès lorsque le pronostic vital est engagé à court terme.
Or le texte de votre commission est en recul non seulement sur la version de l'Assemblée nationale mais aussi sur la loi Leonetti de 2005, en ne conservant que deux critères : la disproportion des traitements et le maintien artificiel de la vie. Des patients pourraient recevoir des traitements que les médecins eux-mêmes considèrent inutiles - c'était le troisième critère que vous avez supprimé. Le recul est aussi flagrant sur l'hydratation artificielle que vous avez assimilée à un soin pouvant être prodigué jusqu'au décès. Un patient qui ne serait plus alimenté continuerait d'être hydraté artificiellement ; ses souffrances seraient prolongées. C'est contraire à l'esprit de la proposition de loi : je proposerai par amendement de revenir à la définition de l'obstination déraisonnable de l'Assemblée nationale. L'hydratation et l'alimentation artificielles sont des traitements susceptibles d'être arrêtés.
Offrons aux Français la possibilité de mourir aussi dignement qu'ils ont vécu. J'espère vous convaincre. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)
M. Gérard Dériot, co-rapporteur de la commission des affaires sociales. - Le 6 octobre dernier, l'Assemblée nationale a adopté un texte presqu'identique à celui qu'elle avait élaboré en première lecture. Le rapporteur Leonetti s'en est justifié en affirmant vouloir un dialogue de fond entre nos deux assemblées. En séance publique, les députés ont néanmoins repris certaines de nos propositions. Pour l'essentiel, la co-signature par la personne de confiance par laquelle elle est désignée et la liberté de la forme donnée aux directives anticipées.
Notre commission a fait le choix, non de rétablir son texte, mais d'intégrer des amendements qui avaient été adoptés en séance publique. La sédation profonde et continue ne constitue pas un acte d'euthanasie, cela est écrit clairement, elle concerne les seuls malades en fin de vie, dont la souffrance est réfractaire aux traitements.
Notre commission a accepté de rendre opposables les directives anticipées puisqu'elles peuvent demander ou refuser l'arrêt des traitements. Nous avons préservé la liberté d'appréciation du médecin compte tenu de la situation du malade. En revanche, nous avons maintenu que l'hydratation est un soin, qui peut être poursuivi jusqu'au décès.
Le Sénat, pour peser dans ce débat transpartisan, doit adopter un texte, faute de quoi c'est celui de l'Assemblée nationale qui s'imposerait. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)
M. Michel Amiel, co-rapporteur de la commission des affaires sociales . - Gérard Dériot vient de vous dire dans quel esprit de compromis nous avons travaillé. Notre commission a oeuvré pour que le malade puisse demander l'arrêt des traitements et une sédation profonde et continue ; que les directives anticipées soient révisables et révocables à tout moment et par tout moyen ; que leur existence soit rappelée à leur auteur ; que le témoignage de la personne de confiance prévale sur tout autre.
Nous avons insisté pour que les soins palliatifs soient accessibles sur tout le territoire, car on meurt très mal en France.
À l'article 2, nous avons supprimé la référence à l'inutilité des traitements prescrits, afin de mieux garantir les droits des patients ; l'Assemblée nationale n'avait pas précisé les modalités d'arrêt des traitements.
À l'article 3, nous avons repris à notre compte l'amendement CRC à propos de la procédure collégiale pour lever toute ambiguïté sur son pouvoir d'opposition. Enfin, la sédation doit pouvoir être réalisée partout : à l'hôpital, en Ehpad ou à domicile.
À l'article 14, le contenu du rapport annuel a été précisé. Les besoins en soins palliatifs sont criants, nous attendons le plan triennal. Cette loi est faite pour ceux qui vont mourir et non ceux qui veulent mourir. Cela balaie tout risque d'euthanasie. En cela, elle est au plus près de la vie.
« La mort heureuse, la tête dans les étoiles », décrite par Albert Camus est hélas rare. Avançons ! (Applaudissements)
M. François Pillet, rapporteur pour avis de la commission des lois . - Je salue le travail de la commission des affaires sociales, particulièrement éclairé et consensuel. Lors de débats humanistes, profonds et sereins, elle a intégré les préoccupations exprimées par la commission des lois. Son texte constitue le socle de l'accord à forger sur cette proposition de loi.
Nos amendements ne visent en rien à atténuer la force de ses propositions, au contraire. La légitimité et l'opportunité de nos interventions tiennent à l'exigence que soient supprimés tous les automatismes décisionnels et que soient préservées la liberté d'appréciation du médecin et surtout la volonté du malade. D'où notre appréciation sur la sédation profonde et continue en cas de souffrance réfractaire à tout autre traitement : l'Assemblée nationale voulait rendre obligatoire d'y recourir ; nous supprimons cette automaticité. On ne peut jamais faire l'impasse sur la volonté du malade.
Comme l'a dit Gérard Dériot, l'équilibre entre devoirs des soignants et droits des malades doit être impérativement préservé. (Applaudissements à droite et au centre)
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales . - À maintes reprises, je me suis exprimé sur la fin de vie, un sujet polémique qui cristallise les passions car il touche à l'essence même de nos interrogations existentielles. Convenons que nous devons trouver des solutions humaines et respectueuses.
Le législateur n'en est pas à sa première loi : nous avons progressé avec les lois de 1999, de 2002, de 2005. Les différents textes législatifs ont sans doute besoin d'être toilettés en raison du vieillissement de la population, des progrès de la médecine et de l'émergence de pratiques alternatives auxquelles l'accès reste inégalitaire.
Le credo de cette loi est de donner à chacun la possibilité d'une fin de vie digne et apaisée. Cependant, une loi ne modifie pas immédiatement les pratiques. Les médecins souhaitent l'intervention d'équipes de soins palliatifs, leur désir de soulager la souffrance des patients est fort. Certains craignent d'administrer des doses de sédatifs trop fortes menant au décès, d'autres le hâtent. C'est aussi leurs propres angoisses face à la mort et face à l'efficacité de leurs traitements que les médecins rencontrent en ces circonstances, et cela amène certains d'entre eux à se dire favorables à une euthanasie. Il nous faut protéger la liberté des individus contre les interventions indues de l'État.
La fin de vie ne doit pas être délaissée au profit d'autres moments de l'existence ; la souffrance est souvent intolérable pour le malade et pour ses proches. Le bien mourir fait désormais partie de notre société. Comme le dit le professeur Hirsch : « Ainsi se refondent les valeurs compassionnelles de notre démocratie ». Une démocratie elle-même sédatée...
Si assurer une mort digne représente un progrès, nous ne pourrons pas éliminer les demandes d'euthanasie et de suicide assisté. Le droit à mourir dignement est-il un progrès de l'autonomie des malades ? C'est une question morale à laquelle la société ne peut échapper.
Le texte de la commission des affaires sociales, qui intègre les amendements de la commission des lois, comporte des avancées tout en étant le fruit d'un consensus. C'est rare.
Selon Emmanuel Hirsch toujours, notre société est prête à des avancées. Les sondages, consultations, rapports, l'ont montré. Le problème de la fin de vie ne concerne pas que quelques patients ou cas médiatiques comme celui de Vincent Lambert. Avançons pour rendre la fin de vie la plus digne possible. (Applaudissements)
Mme Françoise Gatel . - Ce texte difficile met en cause nos convictions et nos valeurs. Il vient après la loi Leonetti de 2005 et nous rappelle la double inégalité d'accès aux soins palliatifs : seulement 20 % des patients accèdent aux soins palliatifs, 70 % des lits en soins palliatifs sont concentrés dans cinq régions. Les 40 millions d'euros supplémentaires et le plan triennal sont bienvenus, et nous en attendons le détail avec impatience.
Autre faiblesse, le manque de formation des professionnels aux soins palliatifs. La médecine doit être enseignée dans toutes ses finalités curative et palliative.
La fin de vie soulève des questions éthiques dans une société qui a banni la mort, vécue comme un échec. Est-ce ainsi que les hommes doivent mourir ? S'éteindre dans la souffrance ?
Le texte du Sénat, pesé au trébuchet, exempt de toutes les scories qui pouvaient provoquer les consciences, représente un geste d'humanité et de fraternité, qui honore notre assemblée. Je le voterai avec la majeure partie de mon groupe (Applaudissements)
Mme Annie David . - La mort, parce qu'elle ressortit à l'intime, au personnel, doit néanmoins être débattue au Parlement. Médecins, familles et patients nous attendent.
Le texte de première lecture décevait : il y manquait un volet financier, la sédation profonde et continue était réservée aux seuls malades dont le pronostic vital était engagé. Malgré sa modestie, la droite sénatoriale s'était liguée pour le vider de son sens. Dommage car nous avions renforcé la formation aux soins palliatifs en Ehpad et appelé au développement des soins palliatifs.
Le texte qui nous revient est bien meilleur. Cependant, nous déposerons des amendements pour rendre les déclarations anticipées strictement opposables au médecin mais aussi donner la possibilité de nommer une personne de confiance suppléante et, surtout, autoriser le suicide assisté quand la maladie est incurable. Tel est le sens que revêt à nos yeux le droit de mourir dans la dignité, droit que nous voulons approfondir.
Le bien mourir dépend des convictions morales, religieuses, ou simplement dictées par l'expérience vécue ; Il est donc difficile d'élaborer un texte correspondant à la vision que chaque Français a de sa propre mort. Cependant, le texte que nos commissions présentent en deuxième lecture est une bonne synthèse que le groupe communiste républicain et citoyen votera s'il n'est pas dénaturé en séance publique. (Applaudissements à gauche)
M. Georges Labazée . - Hier soir, le Sénat a voté à la quasi-unanimité le projet de loi d'adaptation de la société au vieillissement renforçant l'autonomie des personnes âgées. Je ne vois pas dans le présent texte une suite logique (Sourires), mais me félicite que le Sénat soit soucieux de créer de nouveaux droits pour les personnes isolées ou souffrantes.
Ce texte nous a fait vivre des heures difficiles dans l'hémicycle. Chacun a l'expérience de la mort d'un proche, personne ne veut réduire les souvenirs d'un être cher à ceux d'un corps en souffrance. Oui, cela a été difficile mais nous ne sommes pas là pour refaire le match.
Merci à Mme la ministre de son engagement pour les soins palliatifs, aux rapporteurs d'avoir apaisé les craintes des sénateurs, à défaut d'avoir apaisé toutes celles des malades.
Peut-être que, si nous étions allés plus vite, le docteur Bonnemaison aurait eu droit à un autre sort devant le tribunal.
Le Sénat est parvenu à un accord en commission. D'ailleurs, ne suivant pas le Conseil d'État, il a choisi de faire de l'hydratation artificielle un soin. Ainsi, nous étonnons-nous de l'amendement n°28 qu'a déposé la ministre.
Comme le groupe communiste républicain et citoyen, le groupe socialiste et républicain votera ce texte pourvu qu'il ne soit pas dénaturé en séance. (Applaudissements à gauche et au centre)
Mme Corinne Bouchoux . - Merci aux rapporteurs et au président de la commission des affaires sociales d'avoir, par leur travail sérieux et réfléchi, réussi à améliorer l'image du Sénat qui avait été écornée par nos travaux sur la fin de vie en première lecture. Néanmoins, un homme, Jean Mercier, a été condamné la semaine dernière pour non-assistance à personne en danger : il a abrégé les souffrances de sa femme qui duraient depuis trente ans. Si nous n'avons pas à commenter des décisions de justice, nous pouvons constater une évolution des moeurs.
Ce texte ne concerne pas ceux qui veulent, mais ceux qui vont mourir. Certes nous ne pourrons pas traiter de tous les cas, le législateur se doit néanmoins d'entendre toutes les revendications. Nous proposons de reconnaître la volonté du patient de bénéficier d'une assistance active à mourir. Avec le recours à une sédation profonde et continue, le texte contient une avancée. L'équipe soignante en décidera collégialement, ce qui représente une importante garantie.
Ce texte, pour certains dont nous sommes, ne va pas assez loin. Mais la loi de 2005 avait des faiblesses, auxquelles cette proposition de loi remédie. L'équilibre est difficile à trouver, nous persistons à vouloir aller plus loin plus tard. Dans l'immédiat, nous nous abstiendrons. (Applaudissements à gauche)
Mme Brigitte Micouleau . - Dix ans après la loi Leonetti, un constat s'impose : les soins palliatifs sont loin d'être accessibles à tous, et les inégalités territoriales restent fortes. Trop de nos concitoyens sont dans une détresse extrême face à la maladie et à la souffrance. Les dysfonctionnements ont été révélés par le rapport annuel de la Cour des comptes de 2015, qui relève les disparités en termes de taux d'équipement. Certes, nous sommes passés de 90 à 122 unités de soins palliatifs, et les lits de 142 à 1 301. Mais c'est 5 000 nouveaux lits qu'il faudrait. Et les soins palliatifs sont inexistants dans les Ehpad.
Quelque 85 % des Ehpad ne dispose pas d'infirmières de nuit. D'où les recours aux urgences, où 22 % des personnes qui y meurent ont plus de 90 ans. La majorité d'entre elles auraient pu bénéficier des soins palliatifs.
La formation des professionnels aux soins palliatifs reste insuffisante de même qu'à l'écoute et à l'accompagnement psychique des patients. Le plan triennal de promotion de la culture palliative devra être traduit concrètement en loi de financement de la sécurité sociale. Je salue enfin le travail de la commission des affaires sociales. (Applaudissements au centre et sur la plupart des bancs à droite)
M. Gilbert Barbier . - Le 25 janvier 2011, au cours d'une longue nuit, nous avons débattu d'un texte voisin de celui-ci. Je garde un souvenir douloureux des échanges vifs entre Guy Fischer et Jean-Louis Lorrain : leurs positions étaient différentes mais ils souffraient tous deux du mal qui devait les emporter quelque temps plus tard.
Chacun, sur ce sujet, a ses convictions. Ce texte s'appuie sur le devoir de ne point nuire et de protéger les plus faibles. Que faire lorsque le patient estime que ses souffrances psychiques et physiques sont telles qu'il veut mourir ?
Nous sommes face à deux courants de pensée qu'il est vain de croire pouvoir réduire en jouant sur l'ambiguïté de certains mots. Entre le souhait d'éviter toute souffrance et la crainte d'une fin provoquée, la tension est grande. Fallait-il légiférer à nouveau ? Au nom du compromis, dois-je renoncer au serment que j'ai prêté ? J'ai relu Axel Kahn, Léon Schwartzenberg, Marie de Hennezel, Jean Luc Romero, Vladimir Jankélévitch et d'autres. La loi de 2005 semblait donner le droit de ne pas souffrir. Faut-il donner la mort par compassion ?
J'ai parcouru longuement l'amendement signé par 137 députés à l'Assemblée nationale. J'ai bien entendu vos propos madame la ministre : cette proposition de loi est « une étape ». Mais une étape vers quoi ? Vers la suppression de l'emprise des médecins sur nos vies, disent certains.
Certains professeurs se demandent ce que signifient vraiment les termes que nous employons : sédation profonde, assistance médicale à terminer sa vie, acharnement thérapeutique, obstination déraisonnable. Ces termes crus ne peuvent que nous interpeller. Emmanuel Hirsch parle, lui, d'obstination politique déraisonnable. Il n'est pas nécessaire de vote une nouvelle loi.
Merci au président du groupe RDSE de m'avoir permis d'exprimer une position qui n'est pas partagée par mes collègues du groupe. (Applaudissements à droite et au centre)
M. Dominique de Legge . - Cette proposition de loi a donné lieu à de véritables débats de conscience. Je me réjouis que le débat ait eu lieu ; il est à l'honneur de notre assemblée.
Fallait-il revenir sur la loi Leonetti ? Gilbert Barbier l'a dit : il n'y avait peut-être pas urgence. Les amendements que nous avons déposés ont été adoptés, je m'en réjouis ; ils limiteront la judiciarisation de la mort.
La navette a rendu le texte plus équilibré, plus consensuel. La commission des affaires sociales reprend certaines dispositions votées en séance, ce qui est heureux. Je salue le travail réalisé en commission.
Le Sénat doit sortir un texte : nous sommes résolus à y parvenir, nous sommes prêts au dialogue. Mais les mêmes qui appellent au consensus disent vouloir revenir dès que possible sur le texte adopté en commission des affaires sociales ! Évitons tout marché de dupes.
Le développement des soins palliatifs était une exigence de la loi Leonetti, reprise ici, je m'en réjouis, de même que de l'assurance des 40 millions d'euros supplémentaires en loi de financement de la sécurité sociale.
Les directives anticipées contraignantes, l'avis de la personne de confiance, tout cela va aussi dans le bon sens.
Nous avions en première lecture supprimé la mention « continue jusqu'au décès » de la disposition relative à la sédation profonde et continue. Son caractère impératif contrevenait, selon nous, à la liberté de chacun. Au reste, inscrire une prescription médicale dans la loi serait sans précédent.
La navette a fait apparaître l'impossible prise en compte de tous les cas de figure. Nous déterminerons notre vote final à l'issue de la commission mixte paritaire : les avancées votées en commission des affaires sociales devront figurer dans le texte final. (Applaudissements sur la plupart des bancs du groupe Les Républicains)
M. Jean-Pierre Godefroy . - Je risque d'avoir le sentiment de me répéter, depuis 2001... Ma position n'a en effet pas changé. Écrire la loi sur la fin de vie est un exercice très délicat. Nous n'avons considéré que l'individu : sa dignité, ses valeurs. Jean-Claude Ameisen a posé une très bonne question : faut-il soulager la douleur ou raccourcir le temps qu'il reste à vivre ? Au malade de le déterminer. Il doit disposer d'un droit contre la souffrance mais aussi d'une ultime liberté dont il peut user ou non de demander une assistance médicalisée à mourir, qui ne porterait atteinte à personne d'autre... À mon sens, cela apaiserait bien des malades.
Je regrette le décalage entre cette proposition de loi et l'opinion publique. J'ai déposé un amendement à l'article 3 pour clarifier le choix, que chacun devrait pouvoir faire, non entre la vie et la mort mais entre deux façons de mourir.
Madame le ministre, vous avez déclaré à l'Assemblée nationale que le débat resterait ouvert, que le Parlement pourrait vouloir franchir une étape supplémentaire. Heureusement ! Mais quand ? Avec quelle majorité ?
L'article 3 permettra d'harmoniser les pratiques sédatives sur tout le territoire. L'article 8 sur le caractère contraignant des déclarations anticipées est une autre avancée, favorable à l'autonomie des personnes. L'article 9 sur la désignation de la personne de confiance va dans le même sens.
L'hydratation artificielle est considérée par la commission des affaires sociales comme un soin pouvant être maintenu jusqu'au décès : cette formulation, qui me semble protéger les malades, devrait faire consensus.
La société, j'en suis convaincu, est toutefois prête à aller plus loin. Je remercie le président Milon pour son écoute permanente et amicale, les rapporteurs pour leur remarquable travail et Guy Labazée pour la qualité de nos échanges.
(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)
Mme Marisol Touraine, ministre . - Nos échanges ont été déjà riches en première lecture, je ne dirai donc qu'un mot de remerciement. Nous partageons tous la volonté de respecter les préoccupations de chacun et je veux saluer l'attachement des orateurs au consensus et leurs propos apaisés qui n'entament en rien leurs convictions.
Le Gouvernement a précisément cherché un point d'équilibre. La question de la prolongation d'un traitement se pose de plus en plus souvent avec les progrès de la médecine. Il ne saurait y avoir la moindre automaticité dans l'administration de sédation profonde et continue ; ce texte est fondamentalement un texte de liberté.
Une étape vers quoi ?, me demande Monsieur Barbier. La réponse est simple : vers ce que souhaiteront les parlementaires. Je dis à ceux qui veulent aller plus loin : il vous appartient de poursuivre le mouvement enclenché. Les débats seraient sans doute vifs. La porte reste toutefois ouverte.
J'ai déjà évoqué le malaise du Gouvernement sur l'article 2 tel que récrit par la commission des affaires sociales. Nous y reviendrons dans la discussion des articles. (Applaudissements sur les bancs écologistes, du groupe socialiste et républicain et du groupe UDI-UC)
La discussion générale est close.