Échange de renseignements relatifs aux comptes financiers
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle l'approbation de l'accord multilatéral entre autorités compétentes concernant l'échange automatique de renseignements relatifs aux comptes financiers.
Discussion générale
M. Thierry Braillard, secrétaire d'État auprès du ministre de la ville, de la jeunesse et des sports, chargé des sports . - Non, je ne me suis pas égaré ! (Sourires) Je vous prie d'excuser l'absence de M. Sapin, retenu, et vous présente ce texte, essentiel aux yeux du Gouvernement, qui autorise l'approbation de l'accord multilatéral sur l'échange automatique d'informations à des fins fiscales.
Cet accord illustre concrètement les avancées de la transparence fiscale au niveau internationale ainsi que la coopération des États pour répondre aux fléaux que sont la fraude et l'évasion fiscales, fléaux qui portent atteinte aux recettes publiques comme à l'égalité devant l'impôt. Ne nous y trompons pas, il marque un changement d'époque.
La France, s'appuyant sur la loi américaine Fatca de 2010, est engagée de longue date dans la promotion d'un mécanisme d'échange d'information automatique, multilatéral et réciproque au sein du G20 et de l'OCDE. Ella a encouragé l'OCDE, avec ses partenaires du G5, à établir un standard technique d'échange.
Elle s'était engagée à appliquer ce standard sans retard dès qu'il serait techniquement au point, entraînant à sa suite une dizaine d'États, dits « précurseurs ».
M. Sapin a annoncé l'adoption du dispositif d'échange le 28 avril 2014. L'accord a été signé à Berlin en octobre 2015 par une cinquantaine d'États et de territoires. Il réunit 61 États, dont la Suisse. Depuis, 33 pays l'ont rejoint, s'engageant à transmettre les informations fiscales en 2017 ou en 2018, dont Hong-Kong et Singapour. Le conseil Ecofin du 9 décembre dernier s'est accordé sur une directive traitant du même sujet.
L'échange prévu est très large, puisqu'il porte sur les comptes bancaires, les contrats d'assurance vie, les soldes et les revenus perçus. Ainsi pourront être identifiés et réduits les mécanismes de fraude et d'évasion fiscale ; l'assistance mutuelle entre administrations fiscales, en aval, reste pertinente.
Son rôle dissuasif est déjà avéré. La cellule ad hoc de Bercy a recouvré deux milliards d'euros en 2014 ; 2,6 milliards sont attendus en 2015 via le mécanisme de régularisation mis en place.
Des règles ont été fixées de sorte que la confidentialité des données échangées sera garantie.
L'entrée en vigueur du dispositif est prévue pour le 1er janvier 2016. Les services du ministère des finances échangent déjà régulièrement avec les établissements financiers sur les diligences utiles pour qu'il fonctionne efficacement.
Cet accord est crucial pour lutter au niveau mondial contre la fraude et l'évasion fiscale. Le Gouvernement invite le Sénat à l'adopter. (Applaudissements)
M. Éric Doligé, rapporteur de la commission des finances . - Priorité politique majeure des pays de l'OCDE et du G20, la coopération fiscale repose, pour l'heure, sur l'échange d'informations fiscales à la demande, ce qui suppose la connaissance de ce qui est recherché et la bonne volonté des partenaires - conditions loin d'être aujourd'hui réunies. Pour aller plus loin, il a fallu une initiative unilatérale et cavalière des États-Unis, la loi Fatca de 2010. Les pays européens, le G20 n'avaient plus guère le choix...
Cet accord, signé par 94 États et fondé sur une norme commune au champ très large, prévoit que les données seront collectées dès le 1er janvier 2016, pour des échanges automatiques au plus tard en septembre 2017. C'est un progrès majeur que le recul du secret bancaire. Le pouvoir dissuasif de ce mécanisme est réel, puisque 2,7 milliards d'euros devraient être recouvrés par la cellule de régularisation en 2017.
L'accord présente cependant une faiblesse par rapport à Fatca, il n'est pas contraignant. Les grands États, dont la France, doivent tout faire pour convaincre les autres pays de les suivre. Autres faiblesses pour l'heure : l'incompatibilité des standards OCDE et Fatca et la non réciprocité du mécanisme américain. Quelles avancées peut-on escompter sur ces points, monsieur le ministre ? Doit-on s'inquiéter de la non signature de l'accord par les États-Unis ? Il faut noter également que les champs d'application diffèrent. Un comparatif détaillé est annexé au rapport.
Les établissements financiers et la DGFiP ont déjà mis en place une infrastructure numérique fondée sur le système élaboré pour Fatca.
Cependant, le balayage complet des comptes afin de déceler les non-résidents supposera de reprendre l'article 1649 AC du code général des impôts. Une période transitoire sera nécessaire pour que les acteurs s'adaptent au mécanisme - la loi Fatca prévoit d'ailleurs un tel délai ; le Gouvernement est-il ouvert à une telle solution ? Le montant de l'amende de 200 euros prévue pour dissimulation d'information est bien faible. La liste des États non coopératifs n'a pas été mise à jour depuis longtemps. Enfin, quid des entreprises multinationales ?
Ces réserves mises à part, cet accord est une avancée majeure ; je vous propose d'adopter ce projet de loi sans modification. (Applaudissements)
M. Jean-Claude Requier . - Cet accord marque une inflexion politique majeure. Il paraissait inenvisageable il y a seulement quelques années. Puis est passée la crise financière de 2007... On se souvient des conclusions des différents G20 et surtout de celui de 2009. Il a fallu que la loi Fatca change la donne de manière un peu brutale, en 2010, pour que soit mis à l'ordre du jour la levée du secret bancaire.
Cet accord organise l'échange automatique d'informations sur une base multilatérale, égalitaire et réciproque. La France a été leader dans ce dossier. L'évasion fiscale représente dans notre pays entre 80 et 100 milliards d'euros, plus que notre déficit public. La lutte contre la fraude commence à porter ses fruits.
Cet accord comporte néanmoins des faiblesses qui appellent à la vigilance. D'abord, ses stipulations ne sont pas contraignantes ; ensuite, leur application dépend largement des compatibilités techniques des systèmes d'information des États parties ; enfin, il conviendra de contrôler l'usage qui sera fait des données par les administrations étrangères et de veiller au respect des libertés individuelles.
Le RDSE salue cet accord et votera le texte. (Applaudissements)
M. Vincent Delahaye . - La lutte contre l'évasion fiscale est un impératif majeur. Le manque à gagner avoisine 60 milliards dans notre pays, situation d'autant plus insupportable au regard de l'état de nos finances publiques.
En 2012 puis en 2013, des commissions d'enquête sénatoriales ont alerté l'opinion publique sur la nécessité d'agir vite et fort. Il a fallu attendre la loi Fatca de 2010 pour que les choses évoluent en Europe ; la France s'est fortement mobilisée dans le processus qui a abouti à la signature, sous l'égide de l'OCDE, de l'accord de Berlin du 29 octobre 2014.
Le texte est ambitieux, par le caractère des informations transmises, l'étendue des comptes déclarables, les institutions financières concernées. Dans une certaine mesure, il a déjà porté ses fruits en accélérant les régularisations.
Il n'en comporte pas moins des faiblesses - caractère non contraignant, incompatibilité avec le mécanisme américain - que M. Doligé a détaillées. Il faudra aller vers un standard unique, multilatéral et réciproque.
Parce que cet accord représente un progrès majeur dans la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales, le groupe UDI-UC le votera. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDI-UC)
Mme Marie-France Beaufils . - La crise des marchés financiers de 2008 a largement montré les errements dans lesquels les places boursières et l'industrie financière s'étaient fourvoyées. Elle a conduit les États, notamment ceux dont le secteur bancaire était le plus atteint, à intervenir massivement.
La crise a également attiré l'attention de l'opinion publique sur l'évasion fiscale, la fraude, les paradis fiscaux et poussé l'OCDE à réfléchir à de nouvelles régulations des marchés comme à de nouveaux moyens de lutte.
Les commissions d'enquête du Sénat, à l'initiative du groupe CRC, ont contribué à la réflexion collective. Rappelons que le manque à gagner pour nos finances publiques se situe entre 60 et 80 millions d'euros... La loi de séparation bancaire n'a pas eu les effets escomptés.
L'initiative des États-Unis, avec la loi Fatca, a contribué à ébranler les établissements bancaires. Le présent accord, qui s'en inspire, ne peut que recueillir notre assentiment. Sans être une arme fatale, c'est une étape nécessaire. Le poids de l'opinion publique aura été utile. Mais une démarche similaire en direction des entreprises transnationales serait autrement plus pertinente... Le rapporteur Doligé a souligné son effet dissuasif, source de recettes fiscales.
Éric Bocquet, dans son rapport, appelait un tel mécanisme de ses voeux. Alors, malgré ses imperfections, le groupe CRC ne boudera pas son plaisir et votera ce texte. (Applaudissements)
M. Jacques Chiron . - L'évasion fiscale semblait il y a peu encore si complexe, si nébuleuse, si structurée par une industrie qui en fait commerce qu'on n'imaginait pas pouvoir l'enrayer. Pour lutter contre ce phénomène, il a fallu ténacité et constance. En améliorant les connaissances sur le sujet d'abord, et je salue le travail accompli au Sénat, au sein du groupe de travail de la commission des finances et des commissions d'enquête. Ensuite, en formant des coalitions internationales, au sein desquelles la France a joué un rôle moteur. Le processus a été accéléré par trois événements que l'on n'a guère maîtrisés : l'intolérance croissante de l'opinion publique internationale, la raréfaction des ressources publiques et l'initiative Fatca.
Les réflexions internationales doivent être traduites dans les faits. Je me réjouis que la France ait été à la hauteur.
51 États ont signé l'accord d'octobre 2014 relatif à l'échange automatique d'informations relatives aux comptes bancaires, aux contrats d'assurance et aux trusts ; des États traditionnellement attachés au secret bancaire comme la Suisse, l'Autriche ou le Luxembourg et des centres offshore en sont parties. Je veux saluer le travail de Pierre Moscovici qui a poursuivi à Bruxelles son engagement pour la justice fiscale, ainsi que celui de MM. Sapin et Eckert.
L'accord de Berlin consacre une nouvelle norme mondiale, plus crédible, malgré ses imperfections, que celle de la loi Fatca.
Rétrospectivement, nous pouvons nous féliciter de la rapidité avec laquelle le rapport de forces s'est inversé, la lutte contre la fraude s'est concrétisée. Le mécanisme est déjà efficace, si l'on en juge par les régularisations fiscales déjà effectuées - 2,6 milliards attendus en 2015, qui contribueront, comme en 2016, à la baisse des impôts des classes moyennes et populaires. La moralisation est en marche.
Il reste des combats à mener, à commercer par celui de la fiscalité numérique et la fraude à la TVA.
Le groupe socialiste et républicain votera ce texte qui affermit le pacte républicain. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)
M. André Gattolin . - Ah comme j'aurais aimé ne pas avoir à bouder mon plaisir ! C'est une vieille revendication des écologistes dont nous débattons ce matin. Quel parcours du combattant pour en arriver à ce texte de bon sens et de justice ! Mais rien n'aurait été fait sans la loi Fatca. Ce que cela révèle du fonctionnement de l'Europe est proprement terrifiant. La concurrence entre États membres y est si forte, les intérêts privés si puissants que même la lutte contre le secret bancaire n'a pas réussi à cristalliser une conscience collective... L'intérêt général européen a été défendu par une bravade américaine ! N'est-il pas temps d'avoir un sursaut d'orgueil ?
En France, c'est la loi sur la séparation bancaire qui a fait avancer les choses. Souvenons-nous cependant que lorsque le groupe écologiste voulait renforcer la transparence fiscale, Pierre Moscovici, ministre des finances, craignait alors en commission, avant de revenir sur sa position en séance, que la levée du secret bancaire nuise à la compétitivité des banques... Plus tard, les dispositions voulues par le Parlement européen pour plus de transparence, à l'initiative des parlementaires écologistes, ont encore fait l'objet de blocages par la Commission... Pouvons-nous compter sur l'engagement de la France pour que la transparence fiscale s'applique aux grands groupes ? Notre pays peut donner l'exemple.
Les écologistes voteront ce texte, heureux de le voir aboutir enfin, mais restent lucides sur sa genèse... (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste et sur ceux du groupe socialiste et républicain)
M. Francis Delattre . - Nous nous félicitons tous que ce projet ait abouti. Il rendra automatique les échanges entre États, mais ceux-ci devront obtenir les informations de leurs établissements financiers, ce qui nécessitera un peu de travail d'approfondissement...
Le champ de cet accord est mondial, c'est un progrès incontestable. L'échange se faisait jusqu'alors en cas de soupçon a priori, dans des formats variés, de manière anonyme. Cela semble d'un autre temps désormais. C'est tant mieux.
Si les nombreux rapports parlementaires ont contribué à améliorer les connaissances sur ces sujets, c'est la loi Fatca qui a véritablement changé le rapport de force. Il a fallu ainsi l'épisode d'UBS pour qu'un zèle nouveau soit déployé en faveur de la réciprocité, ainsi que l'affaire de l'accord Rubik : l'Allemagne, rappelez-vous, aurait bénéficié d'un retour de 2 milliards d'euros par an sur les comptes de particuliers allemands en Suisse. Tout cela appartient, espérons-le, au passé. Nous sommes entrés dans un nouveau monde.
L'accord du 29 octobre 2014 instaure une nouvelle norme mondiale. La France y a fortement contribué, et 94 États se sont engagés à le signer dont 61 qui le mettront en oeuvre dès 2016. Le terme « diligences raisonnables » reste imprécis, mais il représente un premier pas. La nouvelle norme commune rendra accessible l'identité et le numéro fiscal du contribuable, son numéro de compte, le solde de celui-ci et les revenus financiers produits : cette transparence est bienvenue.
Le groupe Les Républicains votera ce projet de loi, qui va ouvrir une nouvelle ère dans la mondialisation. Nous connaissons les réticences des pays anglo-saxons à l'égard de tels mécanismes. Félicitons-nous qu'elles soient vaincues. Qu'un citoyen, sous toutes les latitudes, soit soumis à la justice fiscale, cela n'annonce-t-il pas une forme de citoyenneté du monde ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)
M. Thierry Braillard, secrétaire d'État . - Je remercie tous les orateurs et me réjouis de l'unanimité qu'ils ont manifestée.
Le refus des États-Unis de signer l'accord de Berlin s'explique simplement : ils ont déjà signé des accords bilatéraux sur la base de leur système Fatca. Les établissements français ont d'ailleurs déjà commencé leur coopération avec eux.
La mise en oeuvre de l'accord en 2016 était nécessaire pour montrer notre détermination sans faille à lutter contre l'évasion fiscale. La directive sera transposée avant le 31 décembre 2015.
Les sanctions prévues sont inspirées de celles qui existent déjà aux articles 1736 et 1729 B du code général des impôts. Il s'agit de 200 euros par erreur ou information non transmise - il y en a des millions. Le total est potentiellement très élevé, sans être disproportionné.
Enfin, la liste des territoires non coopératifs sera publiée très prochainement. M. Sapin y demeure très attaché.
Un mot enfin : la cellule de Bercy récupère cette année plus de 2 milliards d'euros ; le Gouvernement a fait le choix de baisser les impôts de millions de nos compatriotes en 2016. C'est un signe important de justice fiscale. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)
La discussion générale est close.
Discussion de l'article unique
L'article unique constituant l'ensemble du projet de loi est adopté.