Programmation militaire pour les années 2015 à 2019 (Procédure accélérée)
M. le président. - L'ordre du jour appelle le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, actualisant la programmation militaire pour les années 2015 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense.
Discussion générale
M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense . - Au seuil d'une nouvelle échéance majeure pour notre défense, j'ai l'honneur de vous présenter ce texte de première importance pour la sécurité de la France. Certes, cette échéance était prévue à l'article 6 de la loi de programmation militaire. Cependant, les développements internationaux et le grand engagement de nos forces depuis 2013 ont conduit à accélérer le calendrier. Le projet de loi de finances pour 2016 intégrera les premiers effets de l'actualisation.
Depuis les attentats de janvier et le déploiement qui a suivi de 7 000 à 10 000 hommes sur le territoire, les missions combinées de nos armées, à l'intérieur et à l'extérieur, se déroulent sur un rythme qui menace la qualité de l'entraînement et de la préparation des hommes ; ce risque doit être conjuré le plus rapidement possible. L'objectif est non de redéfinir une nouvelle programmation mais d'actualiser celle de 2013. Les fondements stratégiques de celle-ci ne sont pas remis en cause. Les moyens et ressources de la défense sont augmentés pour faire face aux menaces présentes et à venir.
Attentats de janvier à Paris, tentatives déjouées, acte dans l'Isère, l'imbrication de la sécurité intérieure et de la sécurité extérieure s'est brutalement matérialisée. Les menaces se jouent des frontières. Depuis 2013, nos forces, qu'elles soient aériennes, maritimes ou terrestres, sont mobilisées à grande échelle, de manière inédite, dans des opérations militaires contreterroristes particulièrement exigeantes. Au même moment, la crise en Ukraine fait ressurgir le spectre de conflits interétatiques en Europe. Nous devons rester capables de faire face aux menaces de la force.
La soudaineté, la simultanéité et la gravité des menaces exigent des moyens de connaissance, d'anticipation et d'action importants. Notre pays mobilise neuf milles hommes en opérations extérieures et plus de dix mille hommes sur le territoire national dans le cadre du contrat « Protection ». Des ajustements sont ainsi indispensables.
Je l'ai dit, les principes stratégiques du Livre blanc sont maintenus : le triptyque protection - dissuasion - intervention, doit continuer à structurer notre stratégie de défense et les missions de nos forces. Cette exigence a un coût, que le président de la République et le premier ministre ont décidé d'assumer pleinement malgré le contexte contraint.
La première des neuf orientations de ce projet de loi est, dans le cadre de contrat « Protection », d'être capable de déployer sur la durée sept mille soldats sur le territoire national avec la faculté de monter rapidement à dix mille hommes par mois - ce que nous avons fait en janvier. Nous avons fait le choix de renforcer nos unités de combat professionnelles, en écartant les hypothèses d'une garde nationale, d'une réserve territoriale ou d'un renfort de la police et de la gendarmerie. Les effectifs de la force opérationnelle terrestre seront portés à soixante-dix-sept milles hommes. Il est hors de question de les considérer comme des forces supplétives d'ordre public, j'y insiste. Je suis favorable à l'article 4 ter inséré par votre commission demandant un rapport sur les conditions d'emploi des forces armées sur le territoire national - et vous proposerai d'en décaler la livraison au 31 mars 2016 pour disposer du recul nécessaire.
Deuxième orientation, le président de la République a décidé un allégement des déflations d'effectifs pour renforcer nos capacités opérationnelles ainsi que les services de renseignement et la cyberdéfense ; plus six cent cinquante postes pour les premiers, plus cinq cents pour la seconde. Les postes créés ou sauvegardés soutiendront nos exportations d'armement - il ne suffit pas de vendre, il faut aussi accompagner.
Troisième orientation, le président de la République a décidé un effort accru de 3,8 milliards d'euros de la dépense de défense, dont 2,8 milliards pour le contrat « Protection », 500 millions pour la régénération des matériels les plus sollicités, 500 millions pour les équipements critiques au profit du renseignement et de l'action opérationnelle. À quoi s'ajoute un milliard d'euros de gains de pouvoir d'achat réaffectés, du fait de l'évolution favorable des indices économiques depuis le vote de la LPM en décembre 2013.
Ces crédits permettront d'adapter notre composante « hélicoptères » avec l'acquisition de sept Tigre et six NH 90 supplémentaires ; de renforcer nos capacités de transport aérien tactique - la mise à disposition de quatre appareils C130 a été provisionnée ; de confirmer les livraisons de FREMM sur la période de programmation et d'avancer le lancement du programme des futures frégates de taille intermédiaire ; d'équiper nos drones de surveillance d'une charge d'écoute électromagnétique ; de boucler le financement du troisième satellite CSO, réalisé en coopération avec l'Allemagne. Ces satellites sont appelés à prendre progressivement la relève d'Hélios II à partir de 2018. Deux satellites ont été commandés par la France en 2010. Les discussions autour d'une contribution de l'Allemagne sont très avancées et devraient permettre à la France de commander un 3e satellite, pour un lancement prévu en 2021. Le parlement allemand a donné un avis favorable la semaine dernière. C'est un progrès très important.
M. Jeanny Lorgeoux. - Très bien !
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. - Quatrième orientation, mettre un terme pour l'essentiel à la pratique délicate et régulièrement critiquée des ressources extrabudgétaires, à hauteur de 6,2 milliards d'euros. La plupart seront remplacés par des crédits budgétaires de droit commun, à hauteur de 2,14 millions d'euros dès 2015.
Au total, l'effort de la France en faveur de sa défense s'élèvera à 162,4 milliards d'euros sur 2015-2019, contre 158,6 milliards d'euros, sans compter la transformation des ressources exceptionnelles en crédits budgétaires. Les 2,14 milliards seront mis à disposition dans le cadre du collectif de fin de gestion, ce qui pourrait entraîner des tensions de trésorerie sur les programmes 146 et 178. Des discussions sont en cours avec le ministère du budget pour voir comment y remédier, levée anticipée de la réserve de précaution ou décret d'avance plus précoce ; les 31,4 milliards seront au rendez-vous en 2015.
Les députés ont introduit une clause de sauvegarde dans la loi relative à la couverture des volumes de carburant en cas de hausse des cours et une demande de rapports sur l'opportunité de créer une clause de sauvegarde en cas de retournement des indices économiques ou de cessions moindres que prévu. Votre commission des finances veut aller plus loin, je vous dirai pourquoi je n'y suis pas favorable. Toutefois, le message est passé...
Cinquième orientation, promouvoir notre industrie de défense. Les prospects sur les Rafale se sont confirmés, d'autres s'annoncent. Le ministère dépensera 17,6 milliards d'euros en moyenne par an jusqu'en 2019 pour des acquisitions d'équipement.
L'État, en tant qu'actionnaire, confortera l'émergence de leaders européens compétitifs : un projet de drone Male avec l'Allemagne et l'Italie, le rapprochement entre Nexter et KMW - peut-être un « Airbus du terrestre » - et celui entre Airbus et Safran pour les lanceurs spatiaux.
Sixième orientation, une innovation majeure qui fera date : la création d'associations professionnelles nationales militaires (APNM). Notre droit interdit les syndicats dans l'armée. Par deux arrêts, la CEDH a considéré que cette interdiction contrevenait à l'article 11 de la Convention européenne des droits de l'homme. Les militaires pourront créer, adhérer librement à ces associations et à elles seules ; les associations à caractère syndical restent proscrites. Il importe que cette avancée majeure soit accompagnée et acceptée par toute la communauté militaire. Elle ne remet pas en cause les obligations fondamentales de nos armées ni l'unicité du statut des militaires. Je ne doute pas que sur ce sujet la CMP arrivera à un compromis équilibré.
Septième orientation, associer davantage la réserve opérationnelle qui passera de 28 000 à 40 000 hommes avec un budget de 75 millions d'euros sur la période ; des partenariats avec des entreprises seront engagés.
Huitième orientation, lancer l'expérimentation d'un service militaire volontaire, au titre du lien entre l'armée et la Nation sur le modèle du service militaire adapté (SMA) dont on connaît le succès outre-mer. Deux centres accueillent des jeunes dès la rentrée : à Montigny-lès-Metz et à Bretigny-sur-Orge. Un troisième centre à la Rochelle complètera l'expérimentation en 2016. Le ministère de la défense, monsieur le président Raffarin, financera l'expérimentation ; il est prématuré de discuter des modalités de financement du dispositif s'il était généralisé. J'ajoute que le ministère proposera davantage de missions dans le cadre du service civique.
Pour lever tout malentendu, enfin, les transformations en cours dans toutes les composantes du ministère ne vont pas s'arrêter. Les suppressions de postes destinées à gager les créations de capacités nouvelles ou à accompagner les restructurations se poursuivront. Le projet de loi intègre les plans stratégiques de chaque armée et service - « Au contact ! » pour l'armée de terre ; « Horizon marine 2025 » pour la marine ; « Unis pour faire face » pour l'armée de l'air ; SSA 2020 pour le service de santé des armées et SCA 2021 pour le commissariat des armées.
Pour conclure, face à la montée de menaces hélas durables, nos forces ont fait preuve d'un courage, d'un professionnalisme, d'une abnégation à toute épreuve. Ils ont besoin de soutien ; ce soutien, je l'ai détaillé. La Nation doit pouvoir se rassembler quand la sécurité est en jeu. Je sais combien le Sénat a à coeur d'assurer à nos armées les moyens de remplir ses missions.
Jamais une telle inflexion n'avait été décidée en cours de programmation. Mais nécessité fait loi... Jamais les militaires n'avaient été autant reconnus dans leur citoyenneté. Ce que marquera la création des associations professionnelles mais aussi la confiance forte que leur porte la population, à un niveau jamais atteint depuis la guerre. J'ai la conviction que ce texte renforcera la qualité de nos forces et la confiance que la Nation met en elle, pour la sécurité du pays, notre bien commun. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain, du RDSE, au centre et à droite)
M. Jean-Pierre Raffarin, rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées . - Oui, c'est clair, il fallait actualiser la loi de programmation militaire. Le rendez-vous était prévu. L'actualité nous l'impose ici et maintenant. Daech, annexion de la Crimée, actes de guerre dans le Donbass que peine à contenir l'édifice de Minsk II, attentats de janvier et en Isère, notre pays est aujourd'hui en guerre. Nous devons nous rassembler.
En 2013, nous avions fait des paris. Ils se sont réalisés en positif avec l'exportation du Rafale, en négatif avec l'absence de cession des fréquences hertziennes.
À la commission de la défense, nous travaillons dans la durée au-delà des clivages et des conflits de circonstance. Daniel Reiner, Jacques Gautier, Xavier Pintat, Robert del Picchia, Gilbert Roger, Jeanny Lorgeoux, André Trillard, Michelle Demessine ou encore Jean-Marie Bockel ont produit analyses et rapports. Je suis heureux de m'inscrire dans cette tradition des présidents Carrère et Rohan.
En 2013, notre commission avait introduit dans la loi de programmation militaire une clause de sauvegarde budgétaire en cas de défaut de recettes exceptionnelles. Avec le contrôle sur pièces et sur place à Bercy le 2 avril, nous pensons avoir aidé le ministère à défendre ses crédits. La tendance s'inverse, pour la première fois depuis longtemps les crédits augmentent. Nous devons nous en réjouir tout en restant vigilants de sorte que les annonces passent du virtuel au réel.
Le texte fixe des priorités que nous partageons : protection du territoire national, cyberdéfense, renseignement, aéromobilité, attention portée à l'entraînement, rôle citoyen des armées ou encore accent mis sur la réserve.
Pour autant, des incertitudes subsistent. Pour l'heure, les crédits sont virtuels. Entre décrets d'avance, gel et dégel des crédits, remboursements, la direction générale de l'armement (DGA) devra dépenser 2 milliards d'euros entre le 30 et le 31 décembre... Quelles conséquences pour les industriels ? Nous demandons solennellement un collectif au plus tôt.
Les ressources exceptionnelles, cessions immobilières et de matériel, demeurent à hauteur de 930 millions. En outre, les 3,8 milliards d'euros supplémentaires annoncés se concentrent en fin de programmation.
Nous avons travaillé avec le rapporteur pour avis de la commission des finances, Dominique de Legge, pour sanctuariser le budget.
Faites confiance au Sénat pour sa vigilance et sa détermination à défendre la défense, son industrie et la place de la France dans le monde. Notre pays est l'un des rares à être capable de protéger de façon autonome son territoire et sa population, de disposer d'une force de dissuasion et d'intervenir militairement hors de son territoire. Un des rares aussi où l'excellence se rassemble autour de la défense. La défense est, non une charge, mais une force d'avenir.
Monsieur le président, pour une meilleure discussion des articles, je demande la réserve de l'article premier jusqu'à la fin de la discussion des articles. (Applaudissements au centre et à droite ainsi que sur les bancs des groupes du RDSE et socialiste et républicain)
M. le président. - Nous examinerons cette demande ultérieurement. Le Gouvernement devrait l'accepter...
M. Dominique de Legge, rapporteur pour avis de la commission des finances . - Ce texte lève la plupart des réserves que nous avions émises sur la loi de programmation militaire. On peut regretter que le Gouvernement, malgré nos signaux d'alarme, ait décidé si tard de renoncer aux ressources exceptionnelles. Celles-ci ont été transformées en recettes de cession, pour 930 millions, dont l'essentiel provient de ventes immobilières. Outre le Sénat, un rapport réalisé par l'IGF, le contrôle général des armées et la DGA indiquait dès juillet 2014 que les recettes des cessions de fréquences ne seraient pas au rendez-vous et émettait des doutes sur les sociétés de projet. Il a été opportunément classé secret défense... Je proposerai un amendement pour que les commissions parlementaires puissent saisir la Commission consultative du secret de la défense nationale du bien fondé de pareilles classifications.
La raison a finalement prévu : les ressources exceptionnelles se réduisent à 930 millions d'euros, les sociétés de projet sont abandonnées et 18 750 ETP seront maintenus. Les gains de pouvoir d'achat du ministère de la défense ne se sont pas soldés par des annulations de crédit - et c'est tant mieux.
Ce texte remédie en conséquence aux reproches que l'on pouvait faire au budget de la défense pour 2015. On m'avait beaucoup reproché d'avoir parlé d'insincérité budgétaire. Je constate que la réalité m'a donné raison. Notre vote représentait un appel solennel, le Gouvernement l'a entendu - ce dont je me réjouis.
Je vous proposerai un amendement toutefois sur les Opex - dont les coûts sont toujours supérieurs à la prévision. Cette sous-budgétisation est d'autant plus dommageable que s'ajoutent désormais le coût des opérations intérieures, telle la fameuse opération « Sentinelle ». Le principe du financement interministériel demeure mais le ministère de la défense contribue largement.
Le manque à gagner pour le ministère de la défense est évalué à 79 millions d'euros par la Cour des comptes. Mettons que c'est au moins 54 millions. Peut-on alors parler de « sanctuarisation » ? Précisons en outre que le ministère est son auto-assureur pour le système Louvois.
Nos amendements visent à rétablir la clause de sauvegarde relative aux crises immobilières, qui figurent dans la loi de programmation militaire actuelle, et à parer aux effets de la décote Duflot si l'ilot Saint Germain devait être cédé.
Deux points de vigilance enfin. Il convient d'assurer l'entretien du matériel, soumis à une usure accélérée dans la bande Sahélo-Saharienne ; 500 millions d'euros y sont affectés quand il en faudrait 800. L'usure du matériel ne se voit pas au plan budgétaire tant qu'il n'est pas réparé, mais il s'agit bien d'une consommation des ressources de l'État.
D'autre part, les ressources dégagées par les déploiements de crédits sont calculées en fonction d'hypothèses d'inflation et de taux de change optimistes. L'amendement de la commission de la défense est donc bienvenu. Rappelons qu'une loi de programmation militaire n'a qu'une portée programmatique, les dispositions normatives relèvent de la loi de finances. Or le budget de 2015 prévoit toujours la vente de fréquences et une baisse des effectifs ; les crédits budgétaires annoncés ne sont toujours pas inscrits. Nous prenons acte de vos déclarations, monsieur le ministre, mais le plus tôt une loi de programmation militaire sera voté, mieux ce sera.
La commission des finances a pour but d'enrichir le texte ; j'espère que la navette permettra de trouver le juste équilibre, pour nos armées et nos soldats, auxquels nous rendons hommage. Sous réserve de ses amendements, la commission des finances a donné un avis favorable à l'adoption de ce projet de loi. (Applaudissements à droite, au centre et sur les bancs du groupe socialiste et républicain)
M. le président. - La réserve de l'examen de l'article premier et du rapport annexé a été demandée par la commission.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. - Avis favorable.
M. le président. - La réserve est de droit.
M. Jean-Marie Bockel . - Depuis le vote de décembre 2013, nos forces armées ont eu à mener trois opérations extérieures majeures - dans le Sahel, en Centrafrique, en Irak - ainsi que l'opération Sentinelle suite aux attentats de janvier. Cette situation évolutive rend nécessaire une actualisation de la loi de programmation militaire.
Après les attentats de Paris, ceux qui ont touché le Danemark, la Tunisie, l'Égypte, le Yémen, le Koweït, sont autant de preuves de l'urgence avec laquelle la communauté internationale doit répondre à la menace posée par le terrorisme islamiste. Nous devons être dotés des outils de défense adaptés, tant en termes d'effectifs que d'équipements.
Les militaires ont fait preuve de réactivité face aux attentats ou sur la scène internationale. La France est le seul pays en Europe à pouvoir mener de front plusieurs opérations, sur son sol ou à l'étranger. Il importe que notre armée ne décroche pas. C'est pourquoi le groupe UDI-UC soutiendra l'actualisation de la trajectoire budgétaire.
Le rythme actuel n'est plus tenable. Je salue le courage de nos soldats qui, pour beaucoup, ont vu leurs permissions reportées. L'entretien et le renouvellement du matériel est une nécessité. La multiplication des Opex soumet nos troupes à une forte pression. L'accent doit aussi être mis sur le renseignement et la cyberdéfense. Je salue votre ambition, monsieur le ministre, de faire de la France un acteur d'excellence à cet égard.
La réserve a aussi son rôle à jouer, au moment où la sécurité intérieure est une priorité. Une bonne coordination entre les forces actives, la réserve et la réserve de la gendarmerie est essentielle.
Toutefois, ce texte ne lève pas tous les doutes. Les sociétés de projet ont été abandonnées. Mais la cession des fréquences hertziennes reste incertaine. Je regrette l'absence d'une loi de finances rectificative. Les amendements de la commission de la défense et de la commission des finances visent à sécuriser la trajectoire budgétaire de la loi de programmation militaire. Une gestion rigoureuse s'impose.
Les partenariats doivent aussi être développés, notamment avec nos partenaires européens - serpent de mer ancien ! Le dernier Conseil européen a manqué d'ambition. Pourtant le niveau exceptionnel des menaces exige des rapprochements. Nécessité fait loi, comme a dit M. Raffarin. Sans porter atteinte à notre souveraineté, un partenariat européen est indispensable. Il pourrait d'ailleurs se concilier avec les attentes de l'Otan. Sur ce sujet, la France a fait la preuve de sa crédibilité.
Nous voterons ce texte d'actualisation, en dépit de ses limites. Il convient d'avancer. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDI-UC)
M. Daniel Reiner . - En avril, nous avions déjà débattu au Sénat de l'actualisation de la loi de programmation militaire. Les derniers attentats s'inscrivent dans la perspective tracée par le Livre blanc. L'actualisation de la loi de programmation militaire est nécessaire pour renouveler notre matériel, renforcer la cyberdéfense, « densifier » notre défense.
Notre armée est un levier de résilience face au risque de déstabilisation du terrorisme. Son professionnalisme est remarquable. 6 000 militaires ont été déployés dès janvier en Ile-de-France, en sus des 4 700 policiers, protégeant 800 sites sensibles.
L'actualisation, qui était prévue dans la loi de programmation militaire de 2013, intervient six mois plus tôt que prévu. Cette démarche inédite conférera la légitimité nécessaire à l'effort demandé à la Nation. Elle permettra d'accélérer la modernisation de notre appareil de défense et de l'adapter aux nouveaux défis sécuritaires, à la création du service militaire volontaire et des associations professionnelles nationales de militaires. Cette loi de programmation militaire est la première dont la trajectoire budgétaire sera respectée et même au-delà. Grâce aux 3,8 milliards d'euros de crédits supplémentaires, 18 750 postes sont préservés. La précédente loi de programmation militaire et la RGPP avaient supprimé 54 000 postes ; l'actuelle loi de programmation militaire prévoyait la suppression de 24 000 postes supplémentaires, ils ne seront finalement que 6 000.
La force opérationnelle de l'armée de terre passera de 66 000 à 77 000 hommes ; la cyberdéfense, les forces spéciales et le renseignement seront aussi renforcés. Plusieurs agences verront leurs moyens augmenter. En outre les recettes exceptionnelles dont le caractère incertain était contradictoire avec la volonté de sécuriser le budget de la défense, sont remplacées par des crédits budgétaires.
Le pari du Rafale a été gagné grâce à l'engagement de l'armée et à votre action, monsieur le ministre. L'entretien programmé du matériel, soumis à une forte usure au Sahel, est privilégié : 500 millions d'euros y sont consacrés. En outre, le parc d'hélicoptères soumis à de fortes tensions sera accru. L'aéromobilité est une donnée fondamentale.
La création des associations professionnelles nationales de militaires apporte une réponse aux arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme et modernise la gestion des ressources humaines dans les armées. L'expérimentation du service militaire est une bonne initiative.
François Mitterrand disait que les libertés qui semblent aller de soi sont d'autant mieux assurées que l'on sait détenir les moyens de les protéger. Ce texte y contribue. (Applaudissements)
Mme Leila Aïchi . - L'armée est sollicitée au-delà du cadre prévu en 2013. L'actualisation de la loi de programmation militaire était nécessaire. Les crédits augmentent de 3,8 milliards, 18 750 postes sont préservés, 9 000 postes sont créés pour le renseignement. La question des effectifs doit être posée. Toutefois, il ne s'agit là que d'une première étape et face à la multiplication des engagements de la France à l'étranger, la question des effectifs deviendra de plus en plus centrale. Aurons-nous les moyens d'assurer la défense de notre territoire national et d'intervenir à la fois en Afrique et au Proche-Orient ? Si nous reconnaissons bien évidemment que la menace terroriste a pris une dimension sans précédent dans ces régions, nous posons la question de la soutenabilité de notre engagement à l'international et notons, à regret, l'absence criante d'une défense européenne. Alors que la loi de programmation militaire prévoyait un surcoût Opex de 450 millions d'euros par an, ce surcoût s'est déjà établi en 2014 à 1,12 milliard. Nous voyons donc l'irréalisme de la trajectoire initiale.
La France est désormais incapable de s'engager davantage, à quelque niveau que ce soit, y compris dans le domaine humanitaire et celui de la prévention. Or, dans notre voisinage proche et éloigné, les risques engendrés par le stress environnemental seront les déclencheurs des crises de demain. Les principaux enjeux stratégiques sont liés à l'accès aux ressources naturelles, aux matières premières, à l'énergie et à la démographie. Ces risques mettront au défi des structures étatiques dont l'effondrement et la faiblesse ont déjà été à l'origine de nombreuses opérations de maintien de la paix par le passé.
La réactualisation ne modifie pas les données de notre dissuasion nucléaire. L'arme nucléaire est-elle la réponse la plus adaptée aux défis sécuritaires d'aujourd'hui et de demain ? Le maintien de la dissuasion comme composante majeure de notre défense va continuer d'écraser le champ des capacités conventionnelles. Les 19,7 milliards de dépenses d'équipement dévolues au nucléaire pèsent sur le budget des armées.
Toutefois, les écologistes saluent la création des associations professionnelles nationales de militaires. Celles-ci doivent être inter-armées pour éviter tout corporatisme. En dépit des amendements restrictifs de notre commission de la défense, les militaires pourront mieux défendre leurs droits. Le service militaire volontaire permettra de renforcer le lien entre l'armée et les citoyens, ce qui est indispensable alors que l'armée est de plus en plus présente sur le territoire. Le dialogue entre l'armée et la nation doit se poursuivre.
M. Philippe Esnol . - Rien ne semble arrêter la barbarie djihadiste. Sur le territoire national, tout espoir de retour à la normale s'est évanoui et la prolongation de l'opération Sentinelle est inévitable. Le poids des Opex s'avère également plus lourd que prévu. L'axe de crise au Proche-Orient se consolide avec l'avancée de Daech. Il fallait donc actualiser le budget de la loi de programmation militaire pour augmenter ses crédits de 3,8 milliards et les sécuriser.
Les recettes exceptionnelles sont heureusement remplacées par des crédits budgétaires. Nous sommes soulagés par la baisse de la déflation des effectifs : 18 750 postes sont conservés ; 7 000 seront affectés à l'opération Sentinelle et la relève des soldats en Opex pourra être effectuée sans préjudice pour la préparation de nos forces. Le renseignement et la cyberdéfense recevront 900 postes supplémentaires.
Une enveloppe d'un milliard d'euros servira à acheter des équipements et à entretenir le matériel. Enfin, une bonne nouvelle n'arrivant jamais seule, nous tirons 500 millions d'euros de l'évolution favorable des indices économiques.
Pour l'avenir, les progrès sont nets : un escadron supplémentaire de Rafale ; l'acquisition anticipé de trois MRTT ; trois satellites CSO. Le programme de drones Male est lancé. La marine n'est pas oubliée, avec l'acquisition d'un quatrième bâtiment multi-missions.
Je me demande toutefois si c'est bien la vocation des forces armées d'inculquer la ponctualité aux jeunes à travers cette expérimentation d'un nouveau service militaire ?
Nous saluons la mesure sur la réserve. Enfin, la politique européenne de défense est trop timide. Le dernier Conseil européen a demandé une stratégie européenne avant 2016.
Le groupe RDSE votera ce texte.