Éloge funèbre de Jean Germain
M. Gérard Larcher, président du Sénat . - (Mmes et MM. les sénateurs ainsi que les ministres se lèvent) La nouvelle du décès de Jean Germain et les circonstances tragiques de sa disparition, le 7 avril dernier, ont plongé le Sénat de la République et ses amis dans la stupeur. J'ai exprimé, le jour même à cette tribune, l'affliction et les sentiments provoqués par la violence de sa disparition, que rien ne laissait présager. Jean Germain n'a tout simplement pas supporté l'idée que son honneur et sa réputation puissent être mis en cause.
Si la vie politique est violente, un homme public a droit, comme tout autre citoyen, au respect de sa dignité. Jean Germain était un homme d'engagement. Il l'a démontré tout au long d'une vie publique d'abord largement consacrée à sa chère ville de Tours qui l'avait vu naître, et à son village de Bourgueil auquel il était très attaché. Il était un élu local passionné, un parlementaire estimé, un juriste et un universitaire réputé.
Élu conseiller municipal de Tours en 1983, Jean Germain aura dirigé pendant près de vingt ans cette ville qu'il aimait viscéralement.
Tours n'aura connu en un demi-siècle, jusqu'en 2014, que deux maires, Jean Royer et Jean Germain. C'est sans doute en 1995 que notre collègue connut la plus grande joie de sa vie publique en succédant, à la surprise de nombreux observateurs, à celui qui avait dirigé la ville durant trois décennies.
Prendre la suite de Jean Royer n'était pas chose facile. Jean Germain l'a fait, à sa façon, consensuelle, réfléchie et pondérée. Il a fait de la gestion de la ville de Tours et de son agglomération, de 1995 à 2014, l'oeuvre de sa vie. Il fut un bâtisseur et un aménageur. Habité par l'idée de transformer sa ville, il a mené à bien, avec détermination et compétence, de nombreux projets.
Je citerai bien sûr la réalisation du tramway qui a contribué à faire entrer Tours dans la modernité et qui, traversant la ville du nord au sud, a profondément modifié le paysage urbain. J'évoquerai aussi la réalisation du quartier Monconseil ou encore la création de la zone commerciale, de loisirs et d'habitat des Deux-Lions.
Comme beaucoup de maires, il n'ignorait rien de sa ville dont il connaissait chaque rue, chaque place, chaque jardin, chaque école, chaque crèche, sans oublier bien sûr les bords de Loire dont il avait voulu l'embellissement.
Jean Germain était parvenu à ces résultats par une culture du dialogue et un sens du compromis dont les Tourangeaux lui savaient gré : ils l'élurent à trois reprises.
Jean Germain mit ces mêmes qualités au service de son action au sein de la région Centre dont il fut sans discontinuer, de 1998 à 2011, le premier vice-président chargé des finances mais aussi de la planification, des relations internationales et de la communication. Là aussi, il fit la preuve de ses qualités de gestionnaire et d'administrateur.
Dès son arrivée dans notre hémicycle, Jean Germain fut un parlementaire compétent, actif et estimé de ses collègues. Juriste de formation, il y était préparé, puisque, après avoir été directeur de cabinet du président du conseil général de l'Indre, André Laignel, de 1982 à 1985, il avait exercé les mêmes fonctions auprès de lui. Quand ce dernier appartint à plusieurs gouvernements où il fut successivement chargé de la formation professionnelle, puis de la ville et de l'aménagement du territoire.
Cet investissement dans la vie politique nationale, Jean Germain l'avait conforté en tant que secrétaire national du parti socialiste chargé des études, puis membre du Conseil national du parti socialiste, et délégué national du parti chargé de l'éducation et des universités.
Jean Germain fut élu au palais du Luxembourg le 25 septembre 2011 pour y représenter son département, l'Indre-et-Loire.
Membre de la commission des finances, il y exerça d'abord les fonctions de rapporteur spécial du budget de la ville et du logement, avant d'y être en charge depuis 2012 de la mission « relations avec les collectivités territoriales ».
Ses rapports en la matière faisaient autorité sur des sujets délicats, qu'il maîtrisait parfaitement, comme ceux relatifs au projet de loi de règlement du budget de l'État.
Notre collègue devint ainsi, en quelques années, un membre éminent et actif de la commission des finances du Sénat dont il était, depuis octobre dernier, le vice-président.
Son activité dans l'hémicycle n'était pas moindre et nous avons encore en mémoire la qualité de ses interventions, ici même, il y a quelques mois, lors de l'examen par le Sénat de la loi relative à la transition énergétique.
Il assura la présidence du groupe interparlementaire d'amitié « France-Liban », fonction qu'il exerça avec passion et engagement - je puis en témoigner. Il avait parfaitement senti que les liens entre le Liban et la France relevaient de bien autre chose que des affaires étrangères.
Il avait été chargé, le 16 janvier dernier, d'une mission sur la réforme des concours financiers de l'État aux collectivités territoriales auprès de trois membres du Gouvernement : Mme Marylise Lebranchu, MM. André Vallini et Christian Eckert... Nous débattrons bientôt des mesures à l'élaboration desquelles il avait activement participé, comme celles relatives à la DGF.
Cette soif d'activités qui caractérisait notre collègue, cette soif de connaissances qui ne l'avait jamais quitté, Jean Germain la tenait de sa formation et de ses débuts comme universitaire.
Docteur en droit public, il avait été maître de conférences en droit constitutionnel et en finances publiques, avant de devenir vice-président, puis président de l'université François Rabelais de Tours.
Il avait, à ce titre, ouvert de nombreux chantiers, allant de la professionnalisation nécessaire d'un certain nombre de filières universitaires à l'accompagnement de la démocratisation de l'accès à l'enseignement supérieur, en passant par l'ouverture européenne des cursus, grâce à la multiplication des programmes Erasmus.
Il fut nommé en 1993 inspecteur général de l'éducation nationale.
En 1999, Pierre Moscovici et Jack Lang, ministres des affaires européennes et de l'éducation, lui confièrent une mission sur les moyens d'accroître la mobilité des étudiants et des enseignants dans l'espace européen qu'il conclut par un rapport sur « L'Europe des connaissances et du savoir » qui fit autorité.
« Il est des êtres, j'en suis, pour lesquels injustice et déshonneur sont insupportables ». Voilà parmi les derniers mots de Jean Germain. Le Sénat de la République ne doit pas les oublier.
À nos collègues du groupe socialiste et républicain, à ceux de notre commission des finances - qui ont perdu un de leurs membres les plus appréciés -, ainsi qu'à Mme Stéphanie Riocreux - qui a la lourde charge de succéder à Jean Germain -, je tiens à redire notre sympathie.
À ses deux enfants, à tous les membres de sa famille, à celle et ceux qui ont accompagné de nombreuses années sa vie, je veux redire que nous n'oublierons pas et que la mémoire de Jean Germain est ici vivante. Ses dernières paroles sont pour nous une exigence.
Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes . - Merci beaucoup, monsieur le président, pour cet hommage, auquel le Gouvernement s'associe.
Je veux saluer celui qui fut un grand élu local, un parlementaire passionné, et aussi un grand ami.
Jean Germain, c'était d'abord une histoire rare entre un homme et un territoire, qui aura vu « le petit gars de Bourgueil », comme il aimait à s'appeler malicieusement, remonter la Loire, pour être élu maire de Tours, fonder et présider la communauté d'agglomération et devenir sénateur d'Indre-et-Loire. Malicieux, Jean Germain l'était en effet : il avait le regard qui pétille, le sourire qui réchauffe et le trait d'esprit qui, parfois, assomme.
Remonter la Loire, cette simple tournure renferme à elle seule le caractère de Jean Germain. Il aimait à remonter le courant : titulaire d'un CAP de pâtissier, il devient docteur en droit. Il prit la présidence de l'université de Tours en n'étant « que » maitre de conférences ; il enleva la ville de Tours réputée inexpugnable, pour avoir été gouvernée par la droite durant 36 ans.
Jean Germain aura toujours eu à coeur de faire mentir les destinées écrites par certains pour d'autres qu'eux. Ce qu'il était parvenu à faire pour lui, il souhaitait ardemment que tous puissent le réaliser. À ses yeux, rien ne devait entraver la volonté et le mérite.
C'était donc un tempérament profondément ligérien que le sien. Telle la Loire, qu'il aimait tant, son apparente quiétude cachait un cours que rien ne pouvait détourner, une liberté que rien ne pouvait forcer. Tel la Touraine, terre de tempérance et de raison, il abhorrait les outrances, les excès et les dogmes.
De ces traits procédèrent naturellement les lignes de force d'un engagement politique au sein de la gauche républicaine et social-démocrate.
C'est ainsi qu'il rejoint, très jeune, les rangs de la convention des institutions républicaines au côté de François Mitterrand. Il sent dans ce mouvement et dans son leader cette capacité à concilier les idéaux et le réel, cet équilibre toujours précaire que la gauche a, dans ces années-là, tant de mal à atteindre. S'il n'eut pas de mentor, il partageait avec François Mitterrand l'amour des lettres, de l'histoire, le goût de la politique, une certaine habilité : ce n'était pourtant pas un homme d'appareil. Il ne conçoit l'engagement que comme une manière de changer les choses et pour cela, il faut être sur le terrain, agir concrètement.
Dès 1982, il rejoint André Laignel au Conseil général de l'Indre, où tout était à inventer. L'aventure fut joyeuse. Il sera son directeur de cabinet, ce fut le début d'une longue amitié ; il le rejoint quand André Laignel devient secrétaire d'État à la formation professionnelle et à l'aménagement du territoire.
Mais Jean Germain voulait agir à Tours. Il est encore illusoire pour la gauche d'espérer ouvrir une brèche dans la citadelle de Jean Royer. Qu'à cela ne tienne ! Si l'on ne peut encore s'occuper des affaires de la ville, alors commençons au moins par moderniser son université !
Jeune maitre de conférences, puis président de l'université François Rabelais, poste traditionnellement dévolu au corps des professeurs, il mène de nombreux chantiers relatifs à la démocratisation de l'enseignement supérieur, à son ouverture sur le monde du travail et sur l'Europe. Il trouve même un terrain d'entente avec Jean Royer sur un programme immobilier qui conserve l'université en centre-ville, montrant une fois encore que pour lui l'intérêt général devait primer sur ce qu'il appelait « les politicailleries ».
Jean Germain était un enseignant apprécié de ses étudiants, il devient un président estimé de ses collègues. Il ne sait pas encore qu'il le sera de tous les Tourangeaux.
En 1995, il succède alors à la surprise générale au « roi » Jean Royer avec qui il croise le fer en conseil municipal depuis plusieurs années, mais dont il respecte la droiture et reconnaît la stature.
Passée la liesse, le regard se décille : la ville est non seulement endormie mais dans un état financier critique.
Or Jean Germain est un spécialiste des finances publiques. Il parviendra à rétablir l'équilibre de la ville et, plus largement, à rassembler, à réunir les Tourangeaux pour bâtir la communauté d'agglomération - le succès dont il était légitimement le plus fier. Il prolongera cette réconciliation des territoires en siégeant au conseil régional où il sera le loyal et efficace premier vice-président de Michel Sapin, Alain Rafesthain puis François Bonneau.
Réunir, rassembler, il le fit aussi pour les familles politiques autour de la base la plus large possible. La diversité était pour lui un impératif. Élu avec 43 % des voix en 1995, il sera réélu avec 62 % en 2008. Tout est dit.
Entré au Sénat en 2011, il y voyait un accomplissement. Je sais qu'il était ici un parlementaire actif dans l'hémicycle, un collègue respecté et écouté à la commission des finances, et, pour beaucoup, un ami.
Jean Germain aura donc été pour nombre d'entre nous une présence bienveillante. Il aimait transmettre et accompagner mais sans jamais étouffer les personnalités et les aspirations. Il prenait chacun comme il était, sans vouloir le changer mais juste l'amener, par petites touches, à s'accomplir.
« Le soleil doit briller pour tout le monde », disait-il souvent. Il laissait une grande autonomie à ses équipes. Il aimait brasser les origines, les parcours, parmi ses collaborateurs.
Permettez-moi un mot personnel. Sa bienveillance, j'en ai bénéficié, lorsque je suis entrée en politique, en me présentant aux élections législatives, en Indre-et-Loire, en 1997. D'autres que lui auraient vu une potentielle concurrence, le monde politique n'aime pas toujours les nouvelles têtes... Il y a vu une opportunité de faire avancer nos idées dans le département. Je suis heureuse d'avoir pu lui donner raison.
Cette bienveillance, certains l'ont trahie. Les circonstances et les protagonistes n'ont pas leur place ici. Je veux simplement exprimer notre colère contre les cyniques et les cupides qui l'ont conduit à ce geste et notre tristesse, nous, ses proches, qui n'avons pas vu en lui la faille s'élargir.
Je veux citer ces mots de François Mitterrand que Jean aurait reconnus et appréciés : « Je parle au nom de la France, lorsque je dis (...) qu'elle a perdu l'un de ses meilleurs serviteurs et qu'elle en prend conscience sous le choc d'un drame où se mêlent grandeur et désespoir, la grandeur de celui qui choisit son destin, le désespoir de celui qui souffre d'injustice à n'en pouvoir se plaindre, à n'en pouvoir crier.
« Et je parle au nom de ses amis pour dire qu'ils pleurent un homme intègre et bon, pétri de tendresse et de fidélité, à la fois préparé à subir les épreuves que réserve le combat politique, et fragile quand ce combat dérive, change de nature et vise au coeur ».
À sa famille, ses proches, aux habitants de Tours, j'exprime mes plus profondes condoléances, et mon amitié profonde.
(Mmes et MM. les sénatrices et sénateurs observent un instant de recueillement)
La séance est suspendue à 15 heures.
présidence de M. Jean-Claude Gaudin, vice-président
La séance reprend à 15 h 5.