Inscription sur les listes électorales (Procédure accélérée - Nouvelle lecture)
M. le président. - L'ordre du jour appelle la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture, visant à la réouverture exceptionnelle des délais d'inscription sur les listes électorales.
Discussion générale
Mme Clotilde Valter, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargée de la réforme de l'État et de la simplification . - Je vous prie d'excuser l'absence de M. le ministre de l'intérieur, Bernard Cazeneuve, retenu par d'autres obligations.
Ce texte déroge de façon exceptionnelle au principe de révision annuelle des listes électorales prévu par l'article L. 16 du code électoral.
Toutes les élections récentes, y compris celles de mars dernier, nous imposent de combattre le fléau de l'abstention qui mine la démocratie. De plus, pour la première fois depuis 1965, un scrutin sera organisé en fin d'année. Sans cette proposition de loi, les élections de décembre 2015 auraient lieu sur la base des demandes d'inscription déposées près d'un an avant, au 31 décembre 2014. Nous avons le devoir de remédier à ce décalage flagrant.
La procédure dérogatoire de l'article L. 30 du code électoral...
M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur de la commission des lois. - Elle n'est pas dérogatoire !
Mme Clotilde Valter, secrétaire d'État. - ... que le texte adopté par votre commission privilégiait présente deux faiblesses majeures : l'Insee ne pourra pas vérifier la capacité électorale des demandeurs et, par conséquent, des doubles inscriptions pourront avoir lieu.
Vous avez tenté de remédier à ces dysfonctionnements par l'allongement du délai dont dispose l'électeur pour déposer sa demande d'inscription de dix à vingt jours avant le scrutin.
Mieux vaut en rester au droit commun, comme le propose l'Assemblée nationale, avec une mesure exceptionnelle. Les communes auront deux mois pour arrêter les listes électorales, le 30 septembre. Ce sera particulièrement favorable aux étudiants qui s'installent dans une nouvelle commune à la rentrée ou aux personnes qui déménagent ou changent d'affectation à cette période.
Recourir à la procédure de l'article L. 30 obligerait les électeurs inscrits depuis le 1er janvier de cette année à redéposer une demande au titre de l'article L. 30. Convenez que cela ne va ni dans le sens de la simplification, pour les usagers, ni dans le sens des économies pour les petites communes.
Le Gouvernement maintient son avis favorable au texte tel que voté à l'Assemblée nationale en première lecture, sachant que le président de la République s'est montré favorable à une réforme globale du code électoral à laquelle les députés Pochon et Warsmann ont déjà commencé à réfléchir. Le ministère de l'intérieur y travaille et cette initiative permettra de reprendre l'esprit de certains des amendements de votre rapporteur. Vous serez associé aux travaux préparatoires.
Je vous invite à rétablir le texte adopté par l'Assemblée nationale. C'est un enjeu républicain, transpartisan, qui doit nous ressembler au-delà de nos différences. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)
M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur de la commission des lois . - La CMP du 10 juin 2015 ayant échoué, nous voici à l'avant-dernier épisode de l'examen de cette proposition de loi issue de l'Assemblée nationale, mais avec l'encouragement du Gouvernement - c'est le moins que l'on puisse dire.
Le calendrier électoral a été modifié trois fois en cinq ans. En janvier 2015, on s'est si peu préoccupé de la participation électorale qu'on a renvoyé les élections régionales à une date à laquelle les électeurs se soucient plus des cadeaux que le Père Noël apportera aux petits-enfants que des candidats. Favoriser la participation devrait être la priorité. Tout le monde en convient. L'Assemblée nationale et le Sénat ne divergent que sur un point : les moyens d'y parvenir. La solution que je préconise n'a rien de révolutionnaire, je la reprends du rapport Warsmann-Pochon.
L'article L. 30 du code électoral n'a rien de dérogatoire, madame la ministre ! Nous l'utilisons fréquemment ! Seulement, nous l'élargissons aux personnes ayant changé de domicile dans l'année.
Pourquoi cette proposition ? D'abord, pour aller contre la tendance fâcheuse à légiférer pour corriger une autre loi faite à la hâte. Ensuite, parce que déroger encore au droit commun serait une charge très lourde pour les petites communes - problème éludé par le rapport de l'Assemblée nationale. Enfin, parce que notre proposition est pérenne et d'application immédiate alors que celle de l'Assemblée nationale exige un décret en Conseil d'État.
On brandit le risque d'insécurité du scrutin du fait de doubles inscriptions. Cela semble très hypothétique : lors des dernières élections, la moitié des inscrits ne s'étaient pas déplacés... On voit mal les nouveaux convertis à la religion civique se ruer deux fois aux urnes, le même jour, dans leur ancienne commune et dans leur nouvelle commune de résidence.
Le double vote est, au surplus, sanctionné pénalement par l'article L. 86 du code électoral. Il faudrait être animé d'une foi militante peu commune ou inconscient pour risquer un an d'emprisonnement et 15 000 euros d'amende sans aucune chance de peser sur le résultat d'un scrutin à la dimension des nouvelles grandes régions.
La commission des lois propose de s'en tenir à son texte en sécurisant toutefois le dispositif par deux dispositions : un délai de dépôt des demandes d'inscription passé de dix à vingt jours avant le scrutin et de dix à cinq jours pour la commission administrative communale statuant sur la demande. L'article L. 33 du code électoral prévoyant que le maire de la commune de la nouvelle inscription notifie à son homologue de la commune de radiation la décision de la commission administrative sous un délai de deux jours, le maire de la commune de la radiation devrait recevoir cette information environ une semaine avant le scrutin.
Voilà qui devrait rassurer ceux qui conservaient des doutes sur notre position de première lecture, que je vous propose de réitérer. (Applaudissements à droite ; le président de la commission des lois applaudit aussi)
M. Robert Navarro . - La démocratie est le bien que nous avons de plus sacré. Nous avons besoin d'une participation massive aux élections. La France est l'un des rares pays européens qui ne permet pas de s'inscrire sur les listes électorales l'année même d'un scrutin. Le choc de simplification se fait attendre... Pire : les élections régionales prochaines se tiendront en décembre, au plus mauvais moment.
L'Assemblée nationale propose pour y remédier une rustine, qui laisse entière les difficultés matérielles auxquelles les petites communes sont confrontées. Gouverner, c'est prévoir. C'est pourquoi, je soutiens la proposition de Pierre-Yves Collombat qui élargit les conditions de mise en oeuvre de l'article 30 du code électoral, relatif aux inscriptions « hors période de révision ». Au lieu d'une rustine provisoire et illisible, elle fixe un cadre clair. J'attends que la modernisation de notre pays n'élude pas ce sujet ! (Applaudissements sur quelques bancs au centre et à droite ; M. le rapporteur applaudit aussi)
M. Mathieu Darnaud . - L'échec en CMP que nous sommes nombreux à regretter, témoigne de la volonté du Sénat d'adopter un dispositif pérenne pour l'inscription sur les listes électorales des nouveaux résidents. Il est pourtant possible de traiter cette question ici et maintenant, selon la formule que les socialistes brandissaient à une époque révolue.
Le Premier ministre a déclaré souhaiter un travail parlementaire plus rapide, une navette plus restreinte. Que ne le lui-donnez-vous satisfaction en retenant la solution de notre commission des lois ?
Au lieu de ça, le Gouvernement, soutenu par la majorité de l'Assemblée nationale, préfère s'en tenir à une loi d'exception destinée à gommer les effets d'un Meccano des collectivités territoriales dont il a perdu le plan et la notice.
Notre commission des lois a fait un pas vers les députés. Pour les entendre, elle a allongé de dix à vingt jours avant le scrutin le délai limite dont dispose l'électeur pour déposer une demande d'inscription sur la liste électorale. Le groupe Les Républicains soutiendra ce texte nécessaire et équilibré. (Applaudissements à droite)
M. Yves Détraigne . - Deux visions s'affrontent : le Sénat est bien dans son rôle en refusant une loi de circonstance pour préférer un aménagement pérenne : l'assouplissement de l'article 30 du code électoral. C'est le bon sens d'autant que notre excellent rapporteur Collombat a revu son texte pour parer au risque de double inscription, en augmentant de dix à vingt jours le délai limite d'inscription et, pour parer le risque de double inscription, de cinq à dix jours avant la date du scrutin le délai dont dispose la commission administrative pour statuer. Le Gouvernement et les députés peuvent être pleinement rassurés.
Le groupe UDI-UC votera le texte de notre commission des lois, tout en rappelant que la baisse de participation n'est pas liée à des problèmes techniques d'inscription sur les listes électorales. Remanier sans cesse nos institutions avec, par exemple, l'élection au suffrage universel direct des conseillers communautaires loin du terrain, comme le souhaite l'Assemblée nationale, plutôt que de s'occuper de la vraie vie des Français - le chômage, le logement, le pouvoir d'achat -, voilà qui explique l'abstention. (Mme Françoise Gatel applaudit)
Le rapporteur propose une solution pragmatique, concrète et pérenne ; elle ne nécessite pas de texte réglementaire. Le groupe centriste la votera. (Applaudissements au centre et sur plusieurs bancs à droite)
M. Philippe Kaltenbach . - Constance de la commission des lois, constance également du groupe socialiste... La CMP, il est vrai, s'est apparentée à un dialogue de sourds. Nous ne pouvons pas souscrire à la proposition de notre éminent rapporteur, M. Collombat et demandons le rétablissement du texte de l'Assemblée nationale.
Une élection aura lieu en fin d'année pour la première fois depuis 1965, c'est exact ; notre système d'inscription électorale est archaïque, c'est tout aussi exact. Cependant, M. Warsmann et Mme Pochon travaillent à une solution pérenne que le ministre de l'intérieur s'est engagé à faire aboutir avant la fin de l'année. En attendant, une mesure exceptionnelle s'impose...
L'article 30 est peu connu, peu utilisé (M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur, en doute).
S'il est élargi, la publicité qui sera faite autour provoquera immanquablement un afflux de demandes que les petites communes ne pourront pas gérer. Au demeurant, le texte de M. Collombat avec ses délais encore trop courts, quoique allongés, empêche une vérification sérieuse. La fiabilité des listes pourrait être contestée.
Si la proposition de M. Collombat est intellectuellement séduisante, mieux vaut rester raisonnable sans compter que la proposition de loi couvre d'autres cas, qu'un déménagement en cours d'année. Notre devoir est de faciliter l'inscription sur les listes électorales, c'est cela aussi de la démocratie.
Qu'on ne nous suspecte pas d'arrière-pensées électorales : bien malin celui qui sait prédire le bulletin que l'électeur mettra dans l'urne. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)
Mme Esther Benbassa . - Notre Haute Assemblée a fait preuve de constance en étendant, en commission comme en séance publique, le champ de l'article 30. Chacun campant sur ses positions, le débat n'avance guère.
Les écologistes, qui n'ont pas non plus changé de position, auraient aimé débattre de l'ensemble des propositions du rapport Warsmann-Pochon, notamment sur les démarches d'accompagnement à l'inscription sur les listes électorales ou sur la notion de commune de rattachement.
Si nous appelons de nos voeux une réforme ambitieuse, nous nous déterminerons en fonction des débats.
Nous regrettons toutefois le manque constant d'une interrogation profonde sur la crise démocratique et sur les records de l'abstention. Remettons-nous en cause, revoyons notre manière de faire de la politique. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste, ainsi que sur ceux du groupe socialiste et républicain)
M. Patrick Abate . - À situation exceptionnelle, mesure exceptionnelle... Comme les sénateurs écologistes, nous aimerions discuter des trente-trois propositions du rapport Warsmann-Pochon qui, sans nous convenir à tous, constituent une bonne base de discussion.
Le ministre de l'intérieur a pris des engagements solennels. Il est clair que l'année 2016, parce qu'il n'y aura pas d'élection, sera propice à un débat serein. Comment peut-on tolérer que 3 millions de Français ne soient pas inscrits et 6,5 millions le soient mal ? Quelque 65 % des jeunes s'abstiendraient. Bis repetita placent... Pressés par le calendrier, nous souscrivons aux arguments de M. Kaltenbach tout en demandant une véritable réforme de l'exercice démocratique. La montée des extrémismes, l'éloignement du politique, la perte de confiance sont de sombres perspectives qui dépassent nos frontières. Heureusement, une bouffée d'oxygène nous vient de la Grèce.
Le groupe CRC travaillera sans relâche à la reconnaissance du vote blanc. Parce que l'abstention est un acte politique, comme l'a montré l'étude de Céline Braconnier et Jean-Yves Dormagen. Parce que notre histoire politique est marquée par l'élargissement du corps électoral, du droit de vote des femmes en 1944, à l'abaissement de l'âge de la majorité à 18 ans, les étrangers qui participent à la vie politique doivent pouvoir voter...
M. Loïc Hervé. - ... aux élections locales seulement.
M. Patrick Abate. - La Déclaration des droits de l'homme établit un lien entre le paiement de l'impôt et le vote. (Applaudissements sur les bancs des groupes communiste, républicain et citoyen, socialiste et républicain et écologiste)
M. François Fortassin . - Près de 3 millions de non inscrits et de 6,5 millions de mal inscrits, voilà les chiffres. Seulement le cinquième des Français qui ont déménagé en 2014 se sont réinscrits sur les listes électorales. Il y a pourtant eu bien d'autres élections en fin d'années après 1965 : en 1968, en 1973... Je n'ai pas le souvenir que l'on ait fait du sur-mesure législatif à chaque fois. La solution de M. Collombat est plus cohérente parce que pérenne et plus conforme à la volonté du président de la République qui a déclaré souhaiter une inscription sur les listes électorales jusqu'à un mois avant le scrutin.
Cependant, chers collègues, pensez-vous vraiment que les citoyens intéressés par la vie politique ne soit pas déjà inscrits ? Et que ceux qui ne se sont pas inscrits aux cantonales s'inscriront pour voter aux régionales ?
Je salue la volonté du rapporteur de sécuriser le dispositif en modifiant les délais. Le groupe RDSE apportera à nouveau son soutien à la commission des lois.
Pour finir, un principe de base : les élections attirent les électeurs quand elles ont un intérêt. Quand les dés semblent pipés ou tout joué d'avance ou que cela ne changera rien, on ne se déplace pas. Du travail pédagogique sur le terrain fera beaucoup plus que des lois ! (Applaudissements sur les bancs du RDSE)
M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur . - J'ai le sentiment qu'on me reproche un texte insuffisamment ambitieux... J'ai simplement pris un texte et essayé de faire avec ce qu'il était possible de faire.
Oui, une réflexion sur l'abstention et le vote blanc est indispensable. La procédure de l'article 30 est mal connue d'après M. Kaltenbach. Soit, mais elle vaut mieux et sera plus compréhensible qu'une procédure complètement dérogatoire. Enfin, mon texte laisse plus de temps pour l'inscription sur les listes électorales. Franchement, le refus du Gouvernement me dépasse...
Mme Clotilde Valter, secrétaire d'État . - Merci de vos interventions. Deux chiffres pour éclairer l'assemblée : 200 000 demandes d'inscription en décembre 2014...
M. Pierre-Yves Collombat. - Sur 36 000 communes, cela fait peu !
Mme Clotilde Valter, secrétaire d'État. - En 2011, à la veille d'une élection présidentielle, 5,4 millions de demandes, dont la plupart en décembre.
La discussion générale est close.
Discussion des articles
ARTICLE PREMIER
M. Jean-Pierre Grand . - Cette proposition de loi à quelques mois des élections régionales me choque profondément. Si l'abstention progresse, c'est parce que l'offre politique ne convient pas aux Français. C'est pourquoi en Languedoc-Roussillon, avec le maire de Montpellier, nous voulons proposer de nouveaux visages, de nouvelles façons de s'exprimer, une nouvelle ambition, une nouvelle vision.
M. Jean-Claude Luche. - En campagne ?
M. Jean-Pierre Grand. - Pour ces gens qui ne se reconnaissent plus, nous recommandons la reconnaissance du vote blanc et sa comptabilisation dans les suffrages exprimés, non comme dans la loi du 21 février, et de voter pour nous aux régionales ! (Applaudissements à droite)
M. le président. - Amendement n°1, présenté par M. Kaltenbach et les membres du groupe socialiste et républicain.
Rédiger ainsi cet article :
Par dérogation au deuxième alinéa de l'article L. 16 du code électoral, les listes électorales font l'objet d'une procédure de révision exceptionnelle en 2015. Les demandes d'inscription sont recevables jusqu'au 30 septembre 2015.
Pour la mise en oeuvre du présent article, les articles L. 11 à L. 40 du même code sont applicables.
M. Philippe Kaltenbach. - Cet amendement rétablit le texte qui a été adopté en première puis en nouvelle lecture par l'Assemblée nationale.
M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - Avis défavorable. Je regrette que vous n'ayez pas tenu compte de nos aménagements.
Mme Clotilde Valter, secrétaire d'État. - Favorable.
M. Patrick Abate. - Le groupe CRC votera pour.
M. Jean-Claude Luche. - À chaque fois que nous le pouvons, nous devons mobiliser les Français. Arrêtons les chicayas et donnons aux Français la plus large possibilité de voter.
L'amendement n°1 n'est pas adopté.
L'article premier est adopté.
ARTICLE 2 (Supprimé)
M. le président. - Amendement n°2, présenté par M. Kaltenbach et les membres du groupe socialiste et républicain.
Rétablir cet article dans la rédaction suivante :
Un décret en Conseil d'État détermine les règles et les formes de l'opération prévue à l'article 1er.
M. Philippe Kaltenbach. - Amendement de coordination qui doit tomber...
L'amendement n°2 est retiré.
L'article 2 demeure supprimé.
INTITULÉ DE LA PROPOSITION DE LOI
M. le président. - Amendement n°3, présenté par M. Kaltenbach et les membres du groupe socialiste et républicain.
Rédiger ainsi cet intitulé :
Proposition de loi visant à la réouverture exceptionnelle des délais d'inscription sur les listes électorales
M. Philippe Kaltenbach. - Cet amendement de coordination tombe également.
L'amendement n°3 est retiré.
La proposition de loi est adoptée.