Débat sur les collectivités territoriales et le financement des lieux de culte
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle le débat sur le thème « les collectivités territoriales et le financement des lieux de culte », à la demande de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation.
Orateurs inscrits
M. Hervé Maurey, rapporteur de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation . - Nous célébrons bientôt les 110 ans de la loi de séparation des Églises et de l'État. Est-elle toujours adaptée à notre société ? C'est la réponse à laquelle le rapport que m'a confié Jacqueline Gourault tente de répondre.
Depuis 1905, de nouvelles évolutions ont eu lieu : la religion catholique, majoritaire alors, ne l'est plus, d'autres sont apparues, comme l'islam, mais aussi le mouvement évangélique.
J'ai rencontré de nombreux représentants des cultes, des juges, des élus, des associations, n'oubliant aucune religion. J'ai procédé à une vaste étude internationale. J'ai mené une consultation auprès de plus de 10 000 maires, dont 3 000 ont répondu. Des entretiens individuels qualitatifs ont eu lieu ensuite avec un certain nombre d'entre eux.
Sur ce sujet comme sur d'autres, les élus sont en effet en première ligne. 45 000 églises catholiques, 4 000 temples protestants, 420 synagogues, 2 450 mosquées, 150 églises orthodoxes et 380 lieux de culte bouddhistes sont ainsi présents dans nos communes, lesquelles ont directement la charge de l'entretien des églises, qui pèse lourd dans leurs budgets amputés par la baisse des dotations. L'église est souvent vue comme un élément patrimonial, parfois même le seul, et les financements publics pour assurer son entretien suscitent un large consensus. Pour les autres cultes, la question qui se pose est celle de la construction de nouveaux lieux.
La loi de 1905 interdit aux communes de financer la construction, l'acquisition ou le fonctionnement courant d'édifices cultuels.
Il y a néanmoins des exceptions : la propriété des églises catholiques, refusant de se constituer en associations cultuelles en 1905, a été confiée aux communes par le législateur dès 1906 et 1907 ; la loi ne s'applique pas en Alsace-Moselle, où prévaut le concordat, ni, parfois, outre-mer. Autre dérogation : la possibilité de recourir à un bail emphytéotique ou de garantir les emprunts des associations cultuelles dans les agglomérations en développement.
La jurisprudence a également beaucoup assoupli la loi en reconnaissant la possibilité de mettre à disposition à des fins cultuelles des locaux communaux, dès lors que cette mise à disposition est non exclusive.
La jurisprudence distingue également le cultuel et le culturel, selon des critères qui ne sont pas aisés à manier pour de nombreux élus.
Nous sommes parvenus à la conclusion que nous ne pouvons pas toucher à ce monument essentiel du vivre ensemble qu'est la loi de 1905. Nous pouvons néanmoins proposer des ajustements, tous acceptés unanimement par la délégation aux collectivités territoriales. Nos recommandations sont, conformément à la tradition sénatoriale, pragmatiques et raisonnables.
Premier axe : améliorer l'information des élus. C'est nécessaire compte tenu des évolutions de la jurisprudence. Sa codification n'est pas indispensable, la jurisprudence ayant l'avantage de la souplesse ; des circulaires le sont en revanche, sur le financement des réparations ou la mise à disposition de locaux par exemple.
Deuxième axe : faciliter les rapports entre communautés religieuses et pouvoirs publics. La garantie d'emprunt est possible mais encadrée ; elle devrait être utilisable dans tous les cas.
Une clause de rachat doit en outre accompagner les baux emphytéotiques. La ville de Paris récupérera dès 2020 une trentaine d'églises à l'entretien coûteux. C'est une véritable bombe à retardement ! Il en ira de même pour Marseille et Montreuil qui ont signé de tels baux pour construire des mosquées. Les maires devraient pouvoir déterminer dans leurs PLU les secteurs où construire des lieux de culte.
Troisième axe : renforcer la transparence sur le financement des lieux de culte. Sur ce point, les demandes des élus sont très fortes. Un décret en Conseil d'État devrait préciser ce qui relève du cultuel et ce qui relève du culturel, pour éviter toute hypocrisie.
Le contrôle des finances est indispensable. Tracfin s'interroge parfois sur les conditions de financement de certaines mosquées. Nous recommandons que, dans le cadre de la construction d'un édifice cultuel, les maîtres d'ouvrage présentent un plan de financement certifié par un commissaire aux comptes.
L'actualité de l'année 2015 rappelle l'intérêt de ce rapport, adopté, je le souligne, à l'unanimité.
Dans son rapport au président de la République du 15 avril 2015, sur la Nation française, le président Larcher relève que les religions constituent « un fait social et une donnée vivante de notre société » à aborder « sans rejet ni crainte ». C'est dans cet esprit que s'inscrivent nos travaux et ce débat, dont je tiendrai compte dans la proposition de loi que je déposerai prochainement pour leur donner une traduction législative. (Applaudissements sur les bancs UDI-UC et à droite ; M. René Vandierendonck applaudit aussi)
M. Yvon Collin . - Cent dix ans après l'adoption de la loi de 1905, notre société a changé. Si nous ne portons pas de jugement sur les croyances ni l'évolution du fait religieux, il n'est pas question de toucher à la loi de 1905, fondatrice. (M. Jean-Claude Requier approuve)
Force est de constater que, depuis des années, les élus font preuve d'un relâchement sur l'application de ses principes, au risque de renforcer le communautarisme et d'affaiblir la cohésion sociale.
Nous soutenons fermement les propositions de la délégation aux collectivités territoriales. Il est indispensable de faire préciser par le Conseil d'État la distinction entre cultuel et culturel, afin de renforcer la transparence des financements, et de mieux informer les élus, tant ils demeurent dans le flou à cet égard. Clarifier est le maître mot.
Notre groupe est résolument laïc : nous ne distinguons aucune religion. La mise à disposition de locaux ne saurait faire l'objet d'aucune dérogation. N'ouvrons pas la boîte de Pandore ! En République, les règles doivent être claires et les mêmes pour tous. Nous devons aussi demeurer vigilants sur la promotion, via certains financements, de conceptions rigoristes de certaines religions.
Pourquoi ne pas interdire le financement étranger, comme le font certains de nos voisins ?
Créer une option d'achat à l'issue des baux emphytéotiques est plus contestable, car elle pourrait donner lieu à des financements cachés. De même, nous sommes réservés sur les autorisations de financement partiel des activités cultuelles, car la distinction avec le culturel n'est pas toujours évidente.
La laïcité est un bien commun, qui permet le vivre ensemble. Nous devons le préserver, le promouvoir. Le rapport d'Hervé Maurey va dans ce sens. La loi de 1905, toute la loi de 1905, rien que la loi de 1905 ! (Applaudissements sur les bancs RDSE ; MM. Jean-Pierre Sueur, Alain Néri, Hervé Maurey, rapporteur)
Mme Esther Benbassa. - Bravo !
M. Stéphane Ravier . - Alors que bien des collectivités territoriales se plaignent de la baisse de leurs dotations, nombreuses sont celles qui financent des lieux de culte au mépris de la loi.
Ne nous trompons pas de débat et sachons hiérarchiser les priorités : sont en cause la pression communautariste et la complaisance électoraliste de nombre d'élus. Le subventionnement de projets dits "mixtes", à la fois cultuels et culturels, qui font tout pour promouvoir des identités étrangères, empêche par là même l'accès à notre modèle républicain d'assimilation et même d'intégration. Voulons-nous que l'argent du contribuable finance des lieux de radicalisation menant parfois jusqu'au djihadisme ? (M. François Grosdidier s'exclame)
Je pourrais vous parler longuement du triste projet, ô combien emblématique, de la grande mosquée de Marseille, finalement avorté au terme d'une vaste bataille d'influence entre pays étrangers, relayée par une conseillère régionale socialiste, et ardemment défendu par le premier magistrat de la ville qui entendait en faire une « vitrine de l'islam de France »...
RTL, dans un article en ligne du 6 avril dernier sur « l'islam en France », prenait l'exemple de Marseille, où M. Abderrahmane Ghoul, le vice-président du Conseil régional du culte musulman de PACA, déclare, tenez-vous bien : « Sur les soixante salles qui existent, seules trois sont aux normes et certaines sont même frappées par des ordres de fermeture. Dieu merci... »
M. Alain Néri. - Et la laïcité ?
M. Jean-Pierre Bosino. - Eh oui !
M. Stéphane Ravier. - Je poursuis la citation : « la municipalité et les autorités ferment un peu les yeux mais ça ne peut pas durer » ! Et M. Ghoul de poursuivre « le financement des mosquées pose lui aussi problème. Il y a des ressources, la viande halal, par exemple. Les grandes boucheries paient une taxe. Avec elles, on peut avancer de grands projets ».
Oui, la viande halal - que nous achetons parfois sans le savoir ! (Exclamations) Seule Marine Le Pen pointe ce danger. (Vives protestations à droite et gauche)
Il faut un meilleur contrôle de ces flux financiers. Sur le terrain, il est particulièrement difficile de vérifier la provenance des espèces...
Voix à droite : Interdisons la quête à l'église !
M. Stéphane Ravier. - ...Il n'y a pas de République sans laïcité.
Mme Esther Benbassa. - Pathétique !
Mme Françoise Gatel . - La laïcité implique que l'État n'intervienne pas dans les affaires religieuses mais la réalité est souvent loin de ce principe.
Le rapport d'Hervé Maurey est remarquable, qui prône une clarification de la situation. Les communes peuvent financer les réparations des églises héritées de l'avant 1905, et d'après le Conseil d'État, agir dans l'intérêt public local. Situation pas toujours facile à identifier.
Mieux informer les maires est indispensable. Les églises classées font l'objet d'un régime spécifique et peuvent bénéficier d'aides. Dans ma commune, la DETR (Dotation d'équipement des territoires ruraux) permet de financer des travaux.
Pourquoi ne pas étendre cette possibilité au niveau national ? Le paysage religieux a changé depuis 1905. Le bail emphytéotique est une solution efficace pour financer de nouveaux édifices. Mais il faut préciser le cadre des options d'achat. Comment s'assurer que le bâtiment sera racheté ? Quid si le lieu est abandonné en cours de bail ? Certaines communes proposent aussi leur garantie d'emprunt aux associations cultuelles. Sur tous ces points, le rapport offre des pistes de clarification. Réserver des emplacements dans les PLU est également pertinent, qui permettrait d'initier un débat plus apaisé en amont.
Expliciter la distinction entre cultuel et culturel est un autre impératif, de même que la clarification des conditions de financement des lieux de culte par des fonds provenant de l'étranger... Il y a là une question qui interroge l'État républicain, une question de souveraineté. Les élus, toujours sur le fil du rasoir, demandent un meilleur contrôle.
La loi de 1905 reste un pilier de notre droit mais une clarification est nécessaire. Nous apportons notre soutien à ce rapport. (Applaudissements sur les bancs UDI-UC)
M. François Grosdidier . - Je partage presque toutes les analyses et propositions du rapport, mais je briserai un tabou : il faut changer les modalités d'application de la loi de 1905 pour rester fidèle à ses principes. Ceux-ci sont encore actuels, intangibles dans la République, mais celles-là obsolètes, qui exclut églises évangélisme et islam, absents en 1905. Or l'islam est devenu la seconde religion de France. Dans ma ville, les musulmans priaient dans la rue ou serrés comme des sardines dans un commerce désaffecté acheté par souscription. C'était indigne pour eux et insupportable pour les riverains ! Que fallait-il faire ? Laisser faire et enfreindre les règles sur les établissements recevant du public ? Interdire l'exercice du culte au risque de violer une liberté fondamentale ? Ou offrir un local et contrevenir à la loi de 1905 ? J'ai choisi la troisième option, la seule juste... Élu d'Alsace-Moselle, j'ai été le premier maire à construire une mosquée sur fonds publics. Militant de la loi de 1905 et de la laïcité, je refuse tout dogmatisme. Comment expliquer aux musulmans qu'au nom de la loi de 1905, parce qu'ils n'étaient pas là à cette date, ils n'auraient jamais les mêmes droits que les autres religions ?
Le financement privé par les pratiquants n'est pas réaliste, c'est une tartuferie ! Il ne reste que le financement étranger. La France est schizophrène en demandant la constitution d'un islam de France en invitant les fidèles à trouver des financements pour leurs édifices dans les pays du Moyen-Orient et pour les imams dans ceux du Maghreb.
Mme Nathalie Goulet. - Très juste !
M. François Grosdidier. - Beaucoup de maires mettent à disposition des édifices, officiellement culturels, officieusement cultuels, et l'État ferme les yeux. Il a même participé au financement de la cathédrale d'Évry...
La laïcité, c'est la neutralité de l'État, l'égalité de tous devant la loi et aussi la liberté de culte. Certains suggèrent d'interdire le financement public et le financement étranger... Cela reviendrait à interdire l'exercice du culte...
Je sais que l'époque est dominée par la peur, traversée par la haine de l'autre ; que le débat public confond souvent communautarisme et pratique de la foi. Si la République traitait tous les citoyens de la même façon, elle serait mieux fondée à imposer à tous les mêmes devoirs.
Il faut avoir de l'audace. L'islam de France pâtit d'une grande misère matérielle et intellectuelle. Il faudrait multiplier le nombre de mosquées par deux. La formation des imams reste à revoir. En cas de carence de l'offre privée, le maire peut ouvrir un débit de boissons, et pas un lieu de culte. La commune, malmenée par les textes récents, est la cellule de base de la République, le lieu du vivre ensemble. Elle est le régulateur par excellence, rapproche les individus ; elle est un lieu d'équilibre. La République doit davantage s'appuyer sur elle, avoir l'audace de faire confiance aux maires.
M. René Vandierendonck . - Le 19 décembre 2002, toutes les formations politiques du conseil municipal de Roubaix, sauf le Front national, ont voté une délibération-cadre, un schéma directeur des lieux de culte - aboutissement d'un dialogue entre les pouvoirs publics et les associations cultuelles. Il fallait prendre note, dans le respect de la laïcité, de l'existence de nouvelles religions, dans une ville de tissage et de métissage.
Le schéma directeur s'inscrivait strictement dans le cadre de la loi de 1905 et de la jurisprudence du Conseil d'État qui a rendu cinq importants arrêts le 19 juillet 2011. Le groupe socialiste se réjouit que le rapporteur Maurey n'ait pas proposé de revenir ici sur la loi de 1905 ni sur le concordat.
Le rapporteur fait des propositions fortes sur l'information des maires, les conditions de mise à disposition de locaux et la distinction du cultuel et du culturel. La circulaire du 29 juillet 2011 est pourtant suffisamment claire... Et je préfère la souplesse d'une circulaire à la rigidité plus grande d'une autre norme.
L'extension du dispositif de garantie d'emprunt à tout le territoire entrainerait une modification des articles 2252-5 et 3231-5 du code général des collectivités territoriales, mais cette piste mérite d'être explorée. Le Conseil d'État exigeait, pour éviter les subventions déguisées, que la garantie soit réalisée dans l'intérêt général. La solution du bail emphytéotique de longue durée, acceptée par la jurisprudence pourvu qu'il y ait bien retour dans le patrimoine de la collectivité à l'échéance du bail mérite d'être approfondie.
Préserver une zone susceptible d'accueillir des lieux de culte dans les PLU ? Cette proposition ne fait pas consensus dans le Nord-Pas-de-Calais. Je vois, dans mon quotidien, des maires utiliser leur droit de préemption pour éviter l'installation de lieux de culte.
Mme Benbassa et M. Lecerf, dans leur rapport d'information sur les discriminations, attiré l'attention sur ces entorses aux libertés. Laissons la jurisprudence définir la frontière entre le cultuel et le culturel. C'est un gage de souplesse.
Vous proposez la traçabilité des financements. À Roubaix, j'avais proposé aux associations cultuelles la formule de grande capacité juridique, qui donne droit à exonération fiscale et assure cette traçabilité ; aucune ne l'a choisie... Vous proposez le contrôle de la provenance des fonds par un commissaire aux comptes. La jurisprudence du Conseil d'État rend cette solution difficile.
Comme l'a dit le ministre de l'intérieur en condamnant l'agression de la mosquée de Carpentras, la laïcité assure la liberté de conscience, de croire ou de ne pas croire ; elle garantit aux croyants l'exercice du culte dans des conditions dignes et paisibles. Propos qui font écho à celui de Jaurès, qui demandait d'apaiser la question religieuse pour poser la question sociale. Je vous donne acte, monsieur Maurey, d'être resté dans le cadre de la loi de 1905, sans instrumentaliser le débat comme on a pu le voir par le passé dans des proportions qui parfois donnent le tournis... (Applaudissements sur les bancs socialistes)
Mme Esther Benbassa . - Ce rapport a été précédé d'une étude de législation comparée. La société a évolué depuis 1905 : une sécularisation toujours plus affirmée, l'émergence et la visibilité croissante de nouvelles religions qui n'avaient pas été intégrées au concordat.
Les élus sont en première ligne, y compris sur la question du financement. Celui de l'islam a pris une grande ampleur, il manque des lieux de culte. Le rapport offre des pistes pour améliorer les relations entre les collectivités territoriales et les cultes. Notre pays est le pays européen qui compte le plus d'adeptes du judaïsme, du bouddhisme ou de l'islam. Les musulmans réclament la construction de nouveaux lieux de culte ; les élus sont désarmés, sauf à recourir à des pratiques officieuses qu'il faudrait normaliser. L'enjeu est important.
Après la tragédie de janvier, la question de la réorganisation de l'islam en France est de nouveau posée. Quid du financement des mosquées par l'étranger ? Quid de la nomination d'imams non formés selon les exigences de notre République laïque ? Ne voit-on pas que des imams formés en France nous protégeraient contre la radicalisation de certains ? Selon un sondage TNS-Sofres, 59 % des élus seraient hostiles au financement public de nouveaux lieux de culte. La France compte 2 500 mosquées, contre 1 600 en 2004. La plupart sont des lieux de culte de proximité, de petite taille, non des cathédrales. L'augmentation du nombre de lieux de culte est nécessaire pour accueillir les fidèles, notamment les jeunes qui retournent en islam. La mosquée n'est pas qu'un lieu de culte, mais aussi un lieu de socialisation qui doit être compatible avec notre société. C'est pourquoi il faut aussi favoriser la formation d'imams en France.
M. André Reichardt . - Je salue le rapporteur Hervé Maurey qui a initié ce débat et rendu un rapport de qualité. Je m'exprimerai en qualité de parlementaire alsacien et ancien vice-président de la commission d'enquête sur les filières djihadistes.
Je note avec satisfaction que le rapport est très précis sur le droit en vigueur en Alsace-Moselle... Vous soulignez que notre régime, qui autorise le financement des lieux de culte par les collectivités territoriales, assure une prise en compte équitable de tous les cultes.
Vous avez raison : cette spécificité du droit local apparait comme une condition du vivre ensemble en Alsace-Moselle. Elle commence dès l'école où l'enseignement obligatoire du fait religieux contribue à enraciner les valeurs de la tolérance et de respect d'autrui.
Alors que les tensions communautaires sont fortes après les attentats de janvier, je veux dire mon hostilité personnelle au récent avis rendu par l'Observatoire de la laïcité qui veut rendre optionnel chez nous l'enseignement du fait religieux. Il n'est pire danger que l'inculture religieuse. L'enseignement religieux joue un rôle important dans la compréhension du monde. J'en veux pour preuve l'exemple d'un lycée de Strasbourg, installée dans un quartier plutôt sensible, que nous avons visité avec Mme Goulet. Les 1 400 élèves, excusez du peu, qui y sont scolarisés ont respecté la minute de silence après les attentats de janvier sans qu'aucune difficulté n'y ait été notée. Pour le proviseur, rien d'étonnant à cela : les élèves ont tout le loisir de discuter du fait religieux au cours de l'année.
Je soutiens les propositions du rapporteur, notamment sur la traçabilité des fonds servant à financer les mosquées. Allons même plus loin : les fonds devraient transiter obligatoirement par la Fondation pour les oeuvres de l'islam de France. (Applaudissements au centre et à droite)
M. Michel Le Scouarnec . - Quelque 60 % des élus seraient favorables à un financement public des lieux de cultes existants, même si 40 % d'entre eux craignent l'impact financier.
Certains aménagements pourraient être apportés à notre corpus législatif, étant entendu que nos concitoyens sont très attachés à la loi de 1905. Notre droit doit s'adapter pour donner tout son sens à la liberté de religion. Et nous devons réaffirmer le principe de laïcité tel que le définit la Constitution et le Conseil d'État, selon lequel il recouvre neutralité de l'État, liberté religieuse et respect du pluralisme.
La question de l'égalité entre les cultes est posée, de même que celle de la sauvegarde de notre patrimoine religieux confié souvent aux communes. Il faut aussi tenir compte de la diversité des situations selon les territoires - je pense en particulier à l'Alsace-Moselle et à l'outre-mer.
Solidaires des élus du groupe CRC d'Alsace-Moselle, nous demandons la suppression du délit de blasphème qui y est encore en vigueur.
La liberté de conscience n'est pas liée à la question du financement. Une République qui finance, c'est aussi une République qui contrôle. La laïcité doit s'accompagner de l'équité dans le traitement de tous les cultes. Il faut accroître les marges d'action des maires et leur information, afin qu'ils puissent travailler dans le respect des principes républicains.
Mme Dominique Estrosi Sassone . - Les maires sont les premiers interlocuteurs des religions. Depuis 1905, la société et le paysage religieux ont fortement évolué. Les maires peinent à appréhender les contours de la laïcité et à répondre aux demandes de construction de lieux de culte. Si le principe est l'interdiction du financement public, des possibilités d'action existent : les baux emphytéotiques, la garantie d'emprunt ou la mise à disposition de locaux. Dans tous les cas, la transparence du financement est impérative.
Les élus des Alpes-Maritimes ont fait preuve de volontarisme, mais demeurent confrontés à plusieurs problèmes. L'articulation entre le cultuel et le culturel doit être précisée - les maires hésitent : faut-il appliquer la loi de 1901 ou celle de 1905 ? À Nice, nous avons dû demander au Premier ministre des précisions sur le financement du centre En Nour dans le quartier de Nice la Plaine. Les élus ont aussi du mal à trouver des interlocuteurs quand il s'agit de lieux installés dans des caves, des parkings, des commerces, voire des salles communales mises à disposition d'associations culturelles.
Présidente de Côte d'Azur Habitat, premier bailleur social des Alpes-Maritimes, je connais au moins deux lieux de culte improvisés dans notre patrimoine. Ils créent des problèmes de sécurité, de droit, de voisinage, de radicalisation et de respect du code de l'urbanisme.
Je partage les propositions du président de l'Association des maires de France, M. Baroin, qui refuse le financement public des lieux de culte, tout en réclamant plus de surveillance du financement de ces lieux. Je serai attentive aux conclusions du groupe de travail de l'AMF sur la laïcité.
Enfin, j'exprime ma solidarité à l'égard des chrétiens d'Orient que nous devons soutenir en France, mais qui doivent pouvoir aussi rester libres au Moyen-Orient, où la diversité religieuse doit être défendue. C'est notre histoire. (Applaudissements à droite)
Mme Marylise Lebranchu, ministre de la décentralisation et de la fonction publique . - Je remercie le Sénat pur l'organisation de ce débat et salue M. Maurey pour la qualité de son rapport. Sur ce sujet qui met en jeu un principe essentiel à notre République, nous devons travailler ensemble, sans polémique ni controverse inutile. Comment garantir à nos concitoyens l'exercice de leur culte dans de bonnes conditions ?
La laïcité depuis un siècle est une spécificité du vivre ensemble en France, un principe de concorde qui unit les citoyens autour des valeurs de la République. Elle s'articule à l'égalité entre les cultes, à la liberté religieuse et à la fraternité entre les croyants de toutes les religions. Dans une société fracturée où l'intolérance progresse, la laïcité est le meilleur rempart contre ceux qui instrumentalisent la religion à des fins de stigmatisation, contre ceux aussi qui l'utilisent comme un prétexte au rejet de l'autre.
L'État doit être neutre à l'égard de tous les cultes, mais il doit garantir à chacun sa liberté de culte dans des conditions décentes. L'État ne salarie ni ne subventionne aucun culte. Les collectivités territoriales sont toutefois autorisées à participer aux dépenses nécessaires à l'entretien d'édifices de culte : les agrandissements n'en font pas partie, mais les collectivités territoriales peuvent contribuer à la construction d'un nouveau lieu de culte si celle-ci est moins coûteuse. La jurisprudence a autorisé les collectivités territoriales à utiliser les baux emphytéotiques ou à offrir des garanties d'emprunt.
Les élus sont souvent confrontés à des demandes épineuses auxquelles la loi ne répond pas toujours. Le ministre de l'intérieur a mis en place un groupe de travail avec l'AMF qui publiera bientôt ses conclusions sur les possibilités d'action des collectivités territoriales ; le rapport de M. Maurey lui sera très utile. La circulaire du 29 juillet 2011 a déjà apporté des clarifications.
Votre proposition concernant le contrôle des fonds par un commissaire aux comptes n'est pas constitutionnelle. Elle s'oppose à la liberté constitutionnelle donnée aux cultes de construire les édifices dont ils ont besoin sans le concours de la puissance publique. Rien n'interdit toutefois de renforcer les obligations de transparence. En tout cas, évitons de débattre à partir de faits qui ne sont pas documentés comme le font certains. Tous les fonds en liquide sont vérifiés et les financements des associations de tout culte peuvent être retracés.
La distinction entre le cultuel et le culturel est délicate, c'est pourquoi nous privilégions la réflexion au cas par cas grâce à la jurisprudence. Vos deuxième et quatrième propositions sont intéressantes mais le gouvernement préfère réfléchir sur la base de la législation existante. Nous étudierons votre dernière proposition sur l'insertion dans les PLU des zones réservées aux lieux de culte.
Une réunion sous l'égide du Premier ministre se tiendra bientôt. Ce débat alimentera la réflexion. Nous examinerons toutes les pistes avec empirisme et pèserons les propositions sur le trébuchet de la loi dans l'optique d'une société apaisée.
Le principe de laïcité et de concorde est un élément fédérateur de notre société. Avançons avec prudence, dans le respect mutuel, en évitant les stigmatisations. La laïcité doit être un vecteur d'éducation et de culture. Elle sera certainement un élément central des institutions du XXIe siècle. (Applaudissements à gauche, sur les bancs RDSE et au centre)