Renseignement (Procédure accélérée)
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, après engagement de la procédure accélérée, relatif au renseignement et la proposition de loi organique relative à la nomination du président de la commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR). Pour ces deux textes, la conférence des Présidents a décidé d'organiser une discussion générale commune.
Discussion générale commune
M. Manuel Valls, Premier ministre . - (Applaudissements sur les bancs socialistes) Depuis trois mois, le Parlement débat de l'encadrement juridique des activités de renseignement. Le Sénat se saisit aujourd'hui de ce débat. Il est inhabituel que le Premier ministre défende un projet de loi devant vous, en présence de la Garde des Sceaux, des ministres de l'intérieur et de la défense. Cette exception se justifie par l'ampleur du texte : enfin, la France se dote d'un appareil législatif complet sur les techniques de renseignement. Je dis, enfin, car la France accuse un net retard en la matière.
Ce texte approfondit notre État de droit. Il instaure un contrôle sur chaque opération de surveillance. Il garantit les libertés fondamentales des citoyens, qui auront droit à un recours juridictionnel. Ce sont autant d'avancées.
Il est tout aussi inhabituel que le président de la République saisisse le Conseil constitutionnel avant l'adoption d'un texte. C'est que le respect de la vie privée est en jeu.
Le 25 juin 1991, quand le Garde des Sceaux Henri Nallet présentait le projet de loi sur le secret des correspondances, il disait avoir conscience de relever un défi. Aujourd'hui, il n'en va pas de même car ce projet de loi est issu d'un long travail parlementaire approfondi et transpartisan.
Le premier organe de contrôle a été créé en 2007, la délégation parlementaire au renseignement. Je rends hommage à ses présidents successifs, MM. Hyst, Sueur et Raffarin. Une communauté du renseignement a été formée à la même date. Le Conseil national du renseignement et la fonction de Coordonnateur national du renseignement ont été créés en 2008, et l'Académie du renseignement en 2010, afin que la communauté du renseignement se professionnalise et se coordonne davantage. Les missions de contrôle de la délégation parlementaire au renseignement ont été élargies dans la loi de programmation militaire de 2013, et un amendement sénatorial particulièrement courageux a étendu la loi de 1991 aux données de connexion. Les députés Urvoas et Verchère ont co-signé un rapport parlementaire sur le sujet en 2013 ; une inspection des services de renseignement a été créée en 2014.
Autant dire que le projet de loi que vous allez examiner est l'aboutissement d'une réflexion approfondie dont droite et gauche ont vu l'utilité. Elle est, en ce sens, profondément républicaine.
Le président de la République a décidé de légiférer en juillet 2014, soit avant les attentats de janvier dernier. Copenhague, Tunis, le Kenya : le terrorisme frappe partout. Certaines des recommandations de la commission d'enquête sur le djihadisme, coprésidée par Nathalie Goulet et André Reichardt, et dont le rapporteur était Jean-Pierre Sueur, sont intégrées à ce texte. Le rapport de la commission d'enquête de l'Assemblée nationale « sur la surveillance des filières et des individus djihadistes », présidée par Éric Ciotti et dont les conclusions ont été présentées ce matin à l'Assemblée par Patrick Mennucci, offrira de nouvelles pistes de réflexion au Gouvernement.
La France fait face à d'immenses défis, dans un monde marqué par l'imprévisibilité, la multiplication des crises et la diversification des menaces. Il faut les appréhender avec lucidité et y répondre, afin que notre pays puisse défendre son territoire, ses ressortissants, ses intérêts et ses valeurs dans le respect de l'État de droit.
Anticiper, détecter, analyser et comprendre les menaces qui pèsent sur la France, c'est garantir la sécurité du pays. Je rends hommage à ces travailleurs de l'ombre que sont les agents du renseignement. Sun Tzeu, cher à M. Raffarin, avait raison de dire : « Une armée sans agents secrets est exactement comme un homme sans yeux ni oreilles. »
La menace terroriste a explosé. Quelques chiffres pour faire prendre conscience de cette réalité : 1 730 Français sont recensés dans le djihad en Syrie ou en Irak. Le chiffre a plus que doublé en un an, 471 y sont actuellement et 110 recensés comme morts, soit dix de plus que lorsque je présentais ce texte à l'Assemblée nationale. La semaine dernière, Daech revendiquait deux attentats suicides menés par des Français, ce qui porte leur nombre à neuf. Cela illustre les redoutables capacités d'endoctrinement de Daech et la perversité de cette organisation barbare qui attire des étrangers dans ses rangs pour les sacrifier.
Le nombre d'individus à surveiller ne cesse de progresser : 10 000 Européens enrôlés dans le djihad d'ici la fin de l'année. Face à cette menace, nous renforçons la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) de 1 000 postes d'ici 2017, la police judiciaire, la justice et l'administration pénitentiaire de 2 180 postes, 30 % de ces recrutements ayant lieu en 2015.
Nous devons aussi mesurer la montée en régime des cybermenaces -qui n'ont rien de virtuel : ce sont des actes de sabotage et des atteintes inacceptables contre les libertés d'information et d'expression. L'espionnage économique nous coûte de nombreux emplois. Et la vigilance de nos services de renseignement ne doit pas être réservée à nos fleurons industriels, aux seules filières nucléaire, aéronautique ou de défense. Elle concerne aussi de nombreuses entreprises innovantes de taille intermédiaire. Le renseignement est aussi un outil précieux pour la décision diplomatique et militaire.
Nous devons, enfin, prévenir les actions menées sur notre territoire par des groupes subversifs décidés à se livrer à des actes de violence et à porter gravement atteinte à la paix publique. La loi de 1991 laissait une trop grande part à l'interprétation. C'est ainsi que la surveillance préventive du hooliganisme violent relève tantôt de la sécurité nationale, tantôt de la prévention de la délinquance et de la criminalité organisée. Le principe de légalité exige davantage de clarté, ce qui ne signifie pas que l'on porterait en quelque manière atteinte à la liberté d'opinion et de manifestation. Les opérations de surveillance ne seront autorisées que si elles sont proportionnées aux risques encourus.
Ce projet de loi détaille donc les finalités pour lesquelles les services de renseignement pourront demander le recours à des techniques de surveillance comme l'intrusion informatique ou la sonorisation de lieux privés. Ces finalités ont été précisées par votre commission. Le Gouvernement a opté pour une définition de ces motifs légaux beaucoup plus stricte ce que la Convention européenne des droits de l'homme autorise.
Ce texte, pour la première fois, fixe un cadre juridique pour les interceptions de communications par téléphones portables et internet ; pour la première fois aussi, sur les techniques de renseignement utilisées à l'étranger. Étrangement, ceux qui s'émeuvent de ce texte ne s'émeuvent pas de l'absence de cadre légal jusque-là.
Il faut pouvoir suivre les terroristes sur leurs réseaux car ils utilisent tous les outils du numérique pour leurs actions de propagande et d'embrigadement, ainsi que pour échanger. C'est pourquoi nous autorisons le recours aux algorithmes : afin de détecter des terroristes jusqu'alors inconnus et des individus connus qui recourent à des techniques de dissimulation. Moins d'un djihadiste sur deux avait été détecté avant son départ en Syrie ; nous devons pouvoir faire mieux.
Ce texte présente dans un même mouvement -ne nous fions pas aux caricatures- de grandes avancées en matière de protection des libertés publiques. Il offre infiniment plus de garanties que le dispositif légal parcellaire actuel. Il n'est pas question de moyens d'exception ni d'une surveillance généralisée des citoyens. L'extension des compétences de la Commission de contrôle le garantit.
Toutes les opérations de surveillance menées sur le territoire national seront portées à la connaissance d'une commission de neuf personnes comprenant deux hauts magistrats administratifs, deux hauts magistrats judiciaires et quatre parlementaires dont deux de l'opposition.
Le président de la CNCIS sollicitait le renforcement de la Commission à hauteur de 25 personnes. Le groupement interministériel de contrôle verra lui aussi ses moyens renforcés. Une première évaluation estime les moyens nécessaires à 200 personnes, contre 135 aujourd'hui, et 7 millions d'euros de budget annuel supplémentaires. Au total, 250 personnes seront ainsi dédiées aux fonctions de contrôle. J'ai demandé à l'inspection générale des services de renseignement de présenter des propositions concrètes et d'en faire part à la Délégation parlementaire au renseignement.
Je le dis au président Raffarin, un lien de confiance direct continuera de relier l'autorité politique et le délégataire : la responsabilité ne sera pas diluée. Je salue l'amélioration rédactionnelle adoptée par la commission des lois sur ce point. Et le Gouvernement est d'avis de soumettre les demandes de données de connexion les plus lourdes au visa du ministre. Le contrôle administratif sera, c'est la première fois, doublé par un contrôle juridictionnel. Le Conseil d'État ne pourra pas se voir opposer le secret défense et pourra enjoindre aux services de faire cesser un contrôle.
Ce sera un système de contrôle global, cohérent et digne d'un État démocratique, loin de je ne sais quel dispositif adopté outre-Atlantique.
La frontière entre renseignement et judiciaire n'est pas toujours simple à trouver mais elle existe. Nous devons veiller à la maintenir, même si, comme tout fonctionnaire, les personnels des services de renseignement sont tenus d'aviser le procureur de la République de crimes ou de délits dont ils auraient connaissance dans l'exercice de leurs fonctions. Ce même désir de veiller à l'équilibre entre sécurité et liberté, entre administratif et judiciaire, a inspiré les rapporteurs et les présidents des commissions des lois à l'Assemblée nationale et au Sénat. La possibilité de recourir à la procédure de l'urgence absolue a ainsi été restreinte ; l'autorisation de recueil en temps réel des données de connexion des terroristes a été réduite à deux mois ; les modalités de recours aux dispositifs techniques de proximité de type IMSI catcher ont été reprécisées.
Sur la surveillance en milieu pénitentiaire, le Gouvernement considère intéressante la piste suggérée par le Sénat pour une meilleure coordination entre l'administration pénitentiaire et les services de renseignement.
Le Gouvernement proposera que le délai de conservation des données de connexion soit porté à quatre ans, et non réduit à trois. Il est important également que le délai de conservation des correspondances recueillies par le biais d'interceptions de sécurité soit maintenu à trente jours. Un amendement viendra préciser les modalités de centralisation des données recueillies au moyen d'un dispositif technique de proximité de type IMSI catcher. Si la centralisation exclusive des informations recueillies par le GIC n'est pas souhaitable, une copie de contrôle lui sera systématiquement adressée par les services et sera ainsi à la disposition de la CNCTR.
Le Gouvernement proposera d'apporter en outre des garanties supplémentaires, par exemple de prévoir, s'agissant des opérations nécessitant une intrusion domiciliaire, une saisine automatique du Conseil d'État lorsqu'un avis défavorable de la CNCTR n'aura pas été suivi. Le Conseil aura alors vingt-quatre heures pour se prononcer sur la validité de l'autorisation. Ou encore, s'agissant des algorithmes de détection, la destruction rapide des données concernant des personnes sur lesquelles les recherches complémentaires effectuées n'ont pas confirmé de lien avec le terrorisme. Il faudra aussi repréciser les mesures de surveillance internationale ; dès qu'un numéro d'abonnement ou un identifiant sera rattachable au territoire français, les correspondances seront exploitées selon les mêmes règles que si elles avaient été émises sur le territoire national.
M. Jean-Pierre Sueur. - Très bien !
M. Manuel Valls, Premier ministre. - Merci. Contrairement à ce qu'on affirme, la DGSE n'exerce pas une surveillance massive des Français, n'a pas accès aux centres de stockage des opérateurs et ne procède à aucune interception en dehors des interceptions de sécurité légales.
Ce texte n'est pas un aboutissement. La loi de 1991 a joué son rôle de garde-fou avec efficacité, ce projet de loi en fera de même.
J'ai noté que des amendements ont été déposés sur le contrôle des fichiers des services de renseignement -ce que demande aussi la présidente de la Cnil. S'il faut veiller à ne pas instaurer un double contrôle des mêmes données, nous devons renforcer le contrôle interne.
Autre sujet, la coordination entre les services de renseignement. Grâce aux ministres de l'intérieur et de la défense, elle s'est améliorée. Pour preuve, la constitution d'une cellule sur les filières djihadistes irako-syriennes qui réunit tous les services de renseignement. Poursuivons l'effort pour éviter les doublons et les pertes d'informations.
Ce texte mérite une discussion à la hauteur des enjeux. Je souhaite qu'il recueille un large soutien et que tous les groupes fassent preuve d'un esprit de responsabilité.
Comme Édith Cresson en 1991, présentant la loi sur les interceptions de sécurité, je vous invite, c'est un honneur, à franchir le pas en adoptant cette loi. (Applaudissements sur les bancs socialistes et sur quelques bancs au centre ; MM. Philippe Bas, rapporteur, et Jean-Pierre Raffarin, rapporteur pour avis, applaudissent aussi)
M. Philippe Bas, rapporteur de la commission des lois . - Le Sénat républicain a toujours été un farouche défenseur des libertés publiques. D'où que nous siégions, nous assumons l'héritage de Victor Hugo, de Victor Schoelcher, de Robert Badinter, sans récuser Georges Clemenceau ou Michel Debré. Le Sénat, c'est la République dans toutes ses dimensions : la liberté et l'autorité. Puisse la grande tradition du Sénat libéral et républicain nous inspirer les bonnes réponses.
Le débat va nous conduire au coeur de notre contrat social. La question est fondamentalement politique et se pose aujourd'hui à propos des nouvelles techniques d'intrusion dans la vie privée. Comment renforcer la sécurité sans mettre en péril les libertés ? Comment préserver le secret indispensable aux activités de renseignement, tout en imposant à celles-ci des limites qui supposent un regard extérieur ?
La République depuis longtemps a élaboré une méthode : approfondir l'État de droit en s'appuyant sur ses institutions et ses procédures sans que jamais la fin justifie les moyens, sans que l'urgence s'impose au droit, sans que nécessité fasse loi. L'exigence du Sénat est d'inscrire cette loi dans le droit commun, conformément à l'esprit de la Déclaration de 1789, qui a énoncé les droits naturels et imprescriptibles de l'homme, tout en leur imposant des bornes pour « défendre les actions nuisibles à la société ».
Le texte confronte les intérêts fondamentaux de la Nation et la sauvegarde de la vie humaine aux exigences aussi fortes que sont le respect de la vie privée et la garantie des libertés fondamentales. Il donne un cadre légal aux services de renseignement. Pour autant il ne renforce pas les moyens des services de renseignement, ce n'est pas son objet. Il n'a rien à voir avec la caricature qui en a été faite. Les critiques qui lui sont faites, cependant, sont autant d'anticorps pour que l'État de droit résiste à des inoculations toxiques pour les libertés.
La conception, l'architecture de ce texte repose sur des fondements solides. Nous devons en faire une grande loi républicaine. S'il met des bornes à la liberté et au respect de la vie privée, il le fait avec mesure et responsabilité sans renoncer à l'essentiel. Il n'est pas une réaction aux crimes de janvier mais s'inspire des travaux de la délégation parlementaire et de notre commission d'enquête sur le djihadisme. Il vise à sauvegarder nos intérêts nationaux et notre sécurité. Il n'instaure pas une surveillance de masse, dont la République n'a que faire ; le Sénat y veillera. D'ailleurs, l'efficacité suppose un contrôle ciblé.
Ce projet de loi apporte de nouvelles garanties aux citoyens, restreint les possibilités de surveillance de l'État avec des règles et des contrôles qui n'existaient pas. L'encadrement des techniques de renseignement est nécessaire, tant lors de l'autorisation qu'au moment de leur mise en oeuvre. Le juge sera chargé de faire respecter nos droits fondamentaux. Je vous propose ainsi une ligne simple : plus les techniques seront intrusives, plus les garanties devront être importantes.
La réforme s'inspire de la loi de 1991 et en étend le dispositif à tous les services et à toutes les techniques. La commission des lois a précisé la notion d'entourage, limité dans le temps le recours aux IMSI catchers et restreint le champ des données qui pourront être ainsi interceptées aux seuls numéros de téléphone et cartes SIM, en excluant les fadettes.... Elle a encadré le recueil des données en temps réel de personnes préalablement identifiées comme présentant une menace terroriste, et circonscrit l'usage de la technique de l'algorithme. Elle a renforcé les garanties pour l'usage des techniques les plus intrusives.
Nous avons souhaité imposer la pleine application du principe de légalité aux techniques de renseignement pour sortir du non droit. Nous avons ainsi défini avec précision, au premier article, le cahier des charges de la légalité en matière de renseignement ; il s'imposera aux services, à la CNCTR, au Conseil d'État et au Premier ministre.
Pour que le contrôle soit effectif, une autorité indépendante est créée, dotée de pouvoirs étendus. En cas d'urgence, la procédure ne doit pas conduire à vider de sa substance la procédure de droit commun. La commission des lois a prévu des garanties supplémentaires. La CNCTR sera composée de neuf membres, parlementaires et magistrats, sans représentation de l'exécutif. Son président sera soumis à la procédure de l'article 13.
Une fois l'avis rendu, le Premier ministre doit prendre sa décision ; on pense qu'il suivra l'avis de la Commission, d'autant que le contrôle du Conseil d'État sera effectif... On peut comprendre que le Premier ministre puisse déléguer à des collaborateurs directs, mais il ne faudrait pas que se constituât une sorte de corps d'initiés... La décision ne peut être que politique.
Pas d'État de droit sans intervention du juge. Au juge administratif de suspendre ou d'annuler les excès de pouvoir ; au juge pénal de sanctionner les crimes et délits, y compris ceux commis par un agent de l'autorité publique dans l'exercice de ses fonctions en pénétrant dans un domicile ou en interceptant une correspondance.
Le texte est complet, couvrant la prévention, le contrôle et la surveillance. Le renseignement est une mission régalienne. Des vies sont en jeu. Mais la fin ne justifie pas les moyens. Le juge doit pouvoir être saisi rapidement en cas d'abus. Aussi, la commission des lois a prévu que trois membres de la CNCTR suffiront pour saisir le Conseil d'État. Celui-ci pourra suspendre une autorisation, l'annuler, ordonner la destruction des données recueillies, indemniser les victimes. Grâce à un accès illimité aux pièces du dossier, il pourra agir rapidement.
La loi reconnaît ainsi le rôle du juge pénal. En donnant un cadre légal à des pratiques intrusives comme l'utilisation des balises ou des interceptions à distance, elle crée un délit si ces techniques sont utilisées sans autorisation, ainsi qu'un délit d'entrave si un service refuse de répondre à la demande de la CNCTR.
Le Sénat a aussi considéré d'autres questions : la protection des journalistes, avocats et parlementaires ; les délais de conservation des données ; l'encadrement des procédures d'urgence ; la place des lanceurs d'alerte ou encore le renseignement pénitentiaire.
Nous nous ferons les défenseurs des libertés, mais avec le souci de l'efficacité de l'action publique. Fidèle à sa tradition, le Sénat entend être une nouvelle fois au rendez-vous de l'état de droit. (Applaudissements au centre, à droite, et sur plusieurs bancs socialistes)
M. Jean-Pierre Raffarin, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées . - Placer l'action des services de renseignement dans un cadre défini par le législateur, voilà la marque d'une démocratie parvenue à maturité. Un législateur qui doit agir en responsabilité.
Monsieur le Premier ministre, nous saluons votre ambition. On a longtemps pensé qu'un tel texte risquait d'affaiblir l'action de nos services. Mais dans une société démocratique, ouverte, c'est plutôt l'absence de cadre légal qui est risqué. Imaginez qu'un terroriste intente et gagne son procès contre la République et ses services de renseignement pour avoir employé des moyens illégaux...
Nous devons donner à nos services, qui font un travail remarquable et dangereux, les moyens d'agir dans un cadre juridique stable, solide et contrôlé. Ce texte était attendu. Premier du genre, il met fin à une exception parmi les démocraties.
Il réaffirme la notion de politique publique du renseignement, qui s'apprécie sur deux notions, la stratégie de sécurité nationale et la défense et la promotion des intérêts fondamentaux de la Nation. Le renseignement est une compétence régalienne de l'État, dans plusieurs directions. Car le spectre des menaces est large : terrorisme, espionnage industriel ou scientifique, criminalité organisée. L'action des services s'étend à la collecte d'informations destinées à permettre aux autorités de conduire de façon autonome la politique étrangère et de défense ; c'est fondamental. On ne peut renforcer la République en affaiblissant l'exécutif, raison pour laquelle nous devons nous rassembler.
II est ainsi important d'autoriser les services à recourir à des techniques modernes de renseignement, pourvu que leur usage s'inscrive dans un cadre légal qui garantisse la protection contre les atteintes abusives à la vie privée et aux libertés.
Cette loi n'est pas une loi d'exception. Simplement elle vise un domaine non encore couvert par le droit. Nous avons proposé des amendements et je remercie la grande commission des lois de les avoir adoptés. La coopération la plus large est nécessaire en la matière. L'autorité d'un texte dépend aussi de la qualité de la majorité qui le vote -je me souviens de la loi sur le voile à l'école...
Nous avons pris en compte la notion d'intérêts fondamentaux de la Nation ; nous avons resserré la CNCTR, conforté son autorité et son indépendance ; nous avons abaissé la durée de conservation des correspondances interceptées, interdit l'utilisation de certains dispositifs à l'égard de personnes appartenant à des professions protégées.
Restent quelques préoccupations. Seul l'exécutif doit définir les priorités de politique étrangère. Le Premier ministre doit assurer son autorité : les personnes compétentes doivent avoir une délégation claire. Ce texte nous fait courir peu de risques. Je suis davantage préoccupé par l'utilisation des techniques modernes d'écoute par des officines privées, et je crains que celles-ci ne recrutent des personnes ayant eu la main sur nos services de renseignement. Un contrôle est nécessaire. (Applaudissements à droite)
Les dérogations à la procédure d'habilitation au secret défense doivent être limitées. Une habilitation ès qualités est-elle opportune ? Le secret défense n'est pas banal et répond à des finalités bien précises. Je n'en ferai pas, cependant, un point de blocage.
Au total, l'efficacité de cette loi dépendra pour beaucoup des moyens alloués. Veillons aussi à ne pas mettre en oeuvre des procédures trop bureaucratiques.
Sous ces réserves, la commission des affaires étrangères donne un avis favorable à l'adoption de ce texte. À l'heure où tout le monde se sent républicain, donnons à la République les moyens de sa défense. (Applaudissements au centre, à droite et sur plusieurs bancs socialistes)
M. Didier Guillaume . - Face à ceux qui veulent remettre en cause notre République, nous devons nous rassembler, défendre nos libertés. Le groupe socialiste et républicain votera ce texte fondamental. Je salue le travail réalisé par la commission des lois. Ce texte est l'objet de polémique notamment de la part de ceux qui ne l'ont pas lu. Ce texte n'est pas une loi de circonstance. Faut-il rappeler les attentats de janvier, la cyberattaque contre TV5 Monde ? Nos valeurs étaient visées. Des personnes sont mortes parce qu'elles étaient juives, dessinateurs, policiers.
Socialistes et républicains, nous nous sommes toujours opposés aux lois d'exception. Ce texte n'est pas un Patriot Act à la française, il fixe un cadre à l'action de nos services, en leur donnant des moyens. Il n'est pas liberticide, le dire est mensonge ou désinformation. Le Sénat a toujours défendu les libertés. Ce sont les terroristes, les soldats d'une idéologie totalitaire qui les menacent. Nous devons nous défendre, sans restreindre les libertés fondamentales. Tel est l'enjeu.
Une loi-cadre était nécessaire pour empêcher les pratiques arbitraires et autoriser l'usage encadré des techniques de pointe toute en garantissant les libertés. Les Français aiment la liberté plus que tout - avec l'exigence de la sécurité. Je remercie la Garde des Sceaux, les ministres de l'intérieur et de la défense qui ont su faire preuve d'écoute. Nous sommes en guerre contre le terrorisme. Nous devons nous rassembler. Cessons de barguigner, comme on dit en province. Rassemblés, nous vaincrons les terroristes. Désunis, nous serons défaits et nous risquons d'oublier nos valeurs. Adoptons cette loi d'équilibre nécessaire à notre pays. (Applaudissements sur les bancs socialistes et sur plusieurs bancs à droite)
Mme Esther Benbassa . - Le groupe écologiste est réservé sur le recours quasi systématique à la procédure accélérée qui prive le Parlement de la possibilité de légiférer dans de bonnes conditions. L'actuelle majorité n'avait pas de mots pour le déplorer sous le précédent Gouvernement.
Ce texte répond-il aux attentes légitimes des citoyens ? Est-il compatible avec les valeurs de notre démocratie ? Le groupe écologiste n'est pas parti en guerre contre un texte considéré a priori comme liberticide. Au contraire, il travaillera à l'améliorer. Nous ne devons pas décevoir tous ceux qui sont descendus dans la rue le 11 janvier pour dire leur indignation, leur attachement à la liberté d'expression, leur refus du racisme et de l'antisémitisme. La majorité a répondu aux attentats de Mohammed Merah par la loi du 21 décembre 2012.
Elle n'a pas empêché Mehdi Nemmouche de perpétrer son crime à Bruxelles le 25 mai 2014.
Alors fut votée la loi du 23 novembre 2014, qui n'a pas davantage empêché les massacres de Charlie Hebdo et de l'Hyper casher de la porte de Vincennes. On comprend que le Gouvernement souhaite agir. Toutefois l'empilement pour des raisons d'affichage, de textes d'inspiration répressive semble vain. Pourquoi légaliser des pratiques qui se sont révélées inefficaces ?
En outre ce texte menace nos libertés individuelles et professionnelles et met la démocratie en danger. La NSA elle-même a dû suspendre certaines de ses activités faute d'accord avec le Sénat américain.
Nous sommes dans une fuite en avant non maîtrisée. Paris n'a-t-il pas fourni à Berlin, selon Le Monde, une technologie qui a permis aux Allemands et aux Américains d'espionner...la France et son industrie ?
Nous faisons le pari -risqué- que les gouvernements à venir seront dignes de la confiance que nous voulons bien faire au vôtre, monsieur le Premier Ministre, et qu'ils n'abuseront pas de ce texte pour nous enfermer dans une prison virtuelle, nous surveillant en permanence, au mépris de nos libertés et de notre humanité. Science-fiction, direz-vous ? Anticipation, plutôt.
« Si l'on trouvait un moyen de se rendre maître de tout ce qui peut arriver à un certain nombre d'hommes, de disposer tout ce qui les environne de manière à opérer sur eux l'impression que l'on veut produire, de s'assurer de leurs actions, de leurs liaisons, de toutes les circonstances de leur vie, en sorte que rien ne pût échapper, ni contrarier l'effet désiré, on ne peut pas douter qu'un moyen de cette espèce ne fût un instrument très énergique que les gouvernements pourraient appliquer. »
Ces phrases effrayantes de Jeremy Bentham datent de 1786, on les croirait d'aujourd'hui. Je vous invite d'ailleurs à lire son Panoptique : c'est l'Assemblée nationale qui a ordonné la publication de sa traduction française, en 1791.
Ne créons-nous pas un nouveau panoptique « organisé entièrement autour d'un regard dominateur et surveillant », comme disait Michel Foucault.
Je salue le travail de la commission des lois qui a renforcé les pouvoirs de contrôle du Conseil d'État. Mais les risques de dérives restent vastes. Nous proposerons des amendements.
L'article premier précise la procédure de recours aux techniques de renseignement et fait place à la CNCTR. L'article 2 définit les techniques utilisables : recueil des données de connexion -informatiques ou téléphoniques-, interceptions de sécurité -écoutes téléphoniques administratives-, dispositifs mobiles de proximité - IMSI catchers-, géolocalisation, enregistrement des paroles ou images d'une personne et captation de ses données informatiques ou encore interceptions de communications électroniques émises ou reçues de l'étranger... Autant de menaces potentielles pour les libertés individuelles et publiques.
Le débat n'oppose pas les partisans de la lutte contre le terrorisme et les autres, laxistes. Nous défendons simplement les droits des citoyens attachés à leur liberté. La Cnil a émis des critiques. Nous ne mettons pas en cause les intentions du Gouvernement, mais l'enfer est pavé de bonnes intentions... (Applaudissements sur les bancs écologistes ainsi que sur quelques bancs socialistes ; Mme Michelle Demessine applaudit aussi.)
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. - Soit.
Mme Cécile Cukierman . - Les attentats de janvier ont suscité une forte mobilisation. Nous soutenons la volonté du Gouvernement de renforcer la sécurité. Ceux qui critiquent le texte ne sont pas les ennemis de la sécurité, pas plus que ses défenseurs ne sont par principe ennemis de la liberté. La tension entre liberté et sécurité a toujours existé. Il est dommage que la procédure accélérée ne permette pas d'approfondir la réflexion pour trouver l'équilibre.
Ce projet de loi suscite des inquiétudes légitimes. Il légalise de nouvelles pratiques : boîtes noires, algorithmes, ISMI catcher. Nous rejoignons ainsi la Russie dans le club très fermé des pays qui ont transformé en norme un régime d'exception... En nous dotant d'un arsenal de surveillance de masse, nous allons pêcher l'anguille avec un chalut ! Est-ce conforme à la jurisprudence de la CEDH et de l'arrêt de février 2000 « Aman contre Suisse » ?
Vous nous rétorquerez sans doute, monsieur le ministre, comme à l'Assemblée nationale, que les collectes de données prévues ne relèveront pas les identités. Mais peu importe, avec la collecte de données généralisée, nous sommes déjà dans un État de surveillance.
Ce texte donne-t-il vie aux visions de George Orwell, qui faisait dire à son personnage Winston Smith : « Naturellement, il n'y avait pas moyen de savoir si, à un moment donné, on était surveillé ». De 1984 à 2015, n'y aurait-il qu'un pas ? Les moyens de surveillance et de contrôle de la CNCTR sont insuffisants.
Le rôle considérable laissé au juge administratif nous laisse sceptique, vu la porosité entre le Conseil d'État et le pouvoir exécutif... Au fond, il s'agit surtout de protéger les agents des services de sécurité. La garantie des libertés des citoyens n'est qu'un objet secondaire de ce texte.
Je salue toutefois les avancées obtenues en commission, ainsi l'administration pénitentiaire n'entrera pas dans le second cercle du renseignement. Mais si la commission des lois a réduit certains délais d'autorisation, renforcé certaines procédures, la philosophie est la même. Les opérateurs, les fournisseurs d'accès, le syndicat de la magistrature, Le juge antiterroriste Marc Trévidic, l'association Quadrature du Net, Amnesty International, la Ligue des droits de l'homme et jusqu'au commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe, s'inquiètent d'une surveillance généralisée.
Tous les professionnels s'accordent à dire : cette loi n'empêchera aucun attentat. Nous nous attacherons à replacer ce débat, qui est pour nous politique et non pas technique, sur le terrain politique des valeurs, pour trouver le juste équilibre. (Applaudissements sur les bancs CRC)
M. Jacques Mézard . - Un texte sur le renseignement, oui, mais faut-il légaliser l'existant ? L'argument ne vaut pas, entre autres exemples, pour le braconnage...
Une loi sur le renseignement est certes indispensable. Mais n'y a-t-il pas toujours un risque de dérive en la matière ? Évitons la polémique et tout procès d'intention : un tel sujet impose la mesure, dans la tradition du Sénat, attaché au respect des principes fondamentaux de la République.
Il faut protéger nos concitoyens, dans le respect du droit et des libertés : l'esprit du 11 janvier, s'il existe, c'est aussi cela.
Longtemps, on n'a pas voulu que le pouvoir législatif s'immisce dans les services de renseignement. On craignait que leur encadrement par le droit nuise à leur efficacité.
À l'invitation de la CEDH, la France s'est dotée de la loi du 10 juillet 1991, relative au secret des correspondances émises par la voie des communications électroniques, qui autorisait les interceptions de sécurité à titre exceptionnel seulement.
L'absence de cadre juridique peut empêcher d'exploiter les données recueillies devant le juge. Face au contexte international actuel, ce projet de loi doit permettre à nos services de renseignement d'agir - il y faudra aussi des moyens financiers, comme l'a justement souligné Jean-Pierre Raffarin.
Si les attentats de janvier ont accéléré le train des réformes, ils ne doivent pas conduire à ratifier sans débat une loi de cette sorte. Le débat doit avoir lieu, sans concessions ni démagogie.
Le juge administratif est devenu le juge de droit commun des voies de fait...
M. Christian Cambon. - Absolument !
M. Jacques Mézard. - ...en contradiction avec l'article 66 de la Constitution qui fait du juge judiciaire le gardien des libertés individuelles. Vous connaissez mon attachement à ce principe. Or je persiste : quelle que soit la qualité de ses éminents représentants, dont le vice-président du Conseil d'État, il y aura toujours une porosité entre État et justice administrative. Il faut un vrai contrôle. Il n'est pas question d'entraver l'action des services de renseignement, mais de s'assurer qu'ils respectent la légalité.
À quoi sert de créer une CNCTR si son avis ne lie pas le Premier ministre ? Quand il s'agit des parlementaires, des magistrats, des avocats, il en va du fonctionnement de la démocratie.
De même, nous comprenons mal que le texte autorise les services de renseignement à utiliser des techniques interdites aux autorités judiciaires, à l'égard des avocats.
Les technologies numériques obligent à changer de paradigme. Notre système judiciaire en est resté à la presse papier et au tract...
Nous nous félicitons de l'extension des prérogatives de Tracfin, essentielle à la lutte contre le terrorisme.
Nous sommes sceptiques, en revanche, sur les techniques qui font passer nos services de renseignement de la pêche au harpon à la pêche au chalut, pour reprendre l'image de Jean-Marie Delarue...
M. Philippe Bas. - Conseiller d'État !
M. Jacques Mézard. - Je suis, comme toujours, très attentif à ses avis, et je dois vous avouer que ses déclarations à propos de ce texte m'ont troublé. Selon lui, ce texte « banalise la surveillance », et d'ajouter : « est-il nécessaire de conserver des millions de données pendant cinq ans pour arrêter une douzaine de personnes suspectées de terrorisme ? »
La CNCTR doit pouvoir contrôler les dispositifs de recueil des données eux-mêmes. Le projet de loi autorise la collecte massive et la constitution de métadonnées ; du moins faudrait-il s'assurer qu'elles sont détruites sans délai si elles ne sont pas en lien avec l'autorisation.
Dans son rapport sur la cybercriminalité, le procureur Marc Robert appelait à une « synergie positive ». Nos amendements tendront à concilier l'efficacité des services de renseignement, la protection des Français et le respect des droits et libertés, conformément à notre tradition républicaine. (Applaudissements sur les bancs RDSE, MM. Jean-Pierre Sueur et Philippe Kaltenbach applaudissent aussi)
présidence de M. Jean-Claude Gaudin, vice-président
M. David Rachline . - Je veux d'abord rendre hommage à ces femmes et hommes de l'ombre qui travaillent dans nos services de renseignement et y perdent parfois la vie, tels nos deux agents tués en Somalie en 2013.
Avec ce projet de loi, la sécurité des Français, et leur Liberté, avec un grand « L », comme dans la devise de notre pays, seront-elles garanties ? Non, hélas. Loin de moi l'idée de nier la menace du terrorisme islamiste. Je constate aussi que nos services sont parfois dépourvus devant l'immensité de leur tâche. Le renseignement est un préalable à la décision et à l'action, non une fin en soi.
Les Merah, Coulibaly, Kouachi et autres sinistres individus étaient connus de nos services, c'est de décisions et d'actions que nous avons manqué, non de renseignement. La libertaire Garde des Sceaux préfère protéger les prisonniers plutôt que les Français.
M. Philippe Kaltenbach. - Scandaleuse attaque ad hominem ! (M. Jean-Pierre Sueur renchérit)
M. David Rachline. - Vous êtes tous collectivement responsables de vous être soumis au diktat de Bruxelles et choisi de réduire les moyens de nos services depuis des années. (Soupirs sur les bancs socialistes et au centre) Le courage politique nous fait aussi défaut, pour expulser les imams extrémistes, dont les prêches haineux sont tout sauf secrets, et les terroristes condamnés, nourris et logés sur notre sol par les impôts des Français.
Ce texte menace bien les libertés des Français et la séparation des pouvoirs, ce qui étonne au pays de Montaigne...
M. Jean-Pierre Sueur. - Vous confondez Montaigne et Montesquieu !
M. David Rachline. - Pour combattre le terrorisme islamiste, la criminalité organisée, les trafics en tout genre et notamment celui de drogue, nous demandons le rétablissement immédiat des frontières nationales que vous avez idéologiquement et scandaleusement fait disparaitre, (Soupirs) une politique pénale ferme avec la fin des remises de peine, l'expulsion sur le champ des étrangers ayant commis de graves atteintes et une vigilance accrue sur les personnes ayant la double nationalité. Bref, un retour à un état de droit et à l'exercice des fonctions régaliennes qui sont là pour protéger les citoyens et garantir leurs libertés !
M. Yves Détraigne . - Le monde du renseignement suscitant, en raison du secret qui le caractérise, bien des fantasmes, c'est notre rôle de Parlementaires que de nous assurer que les libertés ne sont pas menacées.
Aujourd'hui, le socle juridique de nos services de renseignement repose sur la loi de 1991, votée avant l'apparition du téléphone mobile et du numérique...
Ce projet de loi, préparé dès avant les attentats de janvier, est donc nécessaire. Nos services doivent avoir les moyens de lutter contre les nouvelles menaces, illustrées par la cyberattaque contre TV5 Monde. Ce texte renforce aussi la protection de nos intérêts économiques et des entreprises françaises.
Quelques techniques ont suscité l'émoi. Les algorithmes, d'abord -dont l'utilisation quotidienne, à des fins mercantiles, par les géants du web tels que Google ne provoque pas les mêmes réactions. La commission des lois a adopté un principe simple : plus une technique est intrusive, plus elle doit être encadrée. Ainsi des IMSI catchers, dont l'usage sera limité au recueil des numéros de téléphone et de cartes SIM.
La commission des lois a aussi renforcé les moyens de contrôle de la CNCTR -ainsi que ceux du Parlement, grâce à l'avis des commissions des assemblées sur la nomination du président de la CNCTR.
Les finalités des activités de renseignement, trop larges, ont été redéfinies. Parce que le texte, revu par les rapporteurs, concilie liberté et sécurité, je le voterai avec la majorité de mon groupe. (Applaudissements au centre et à droite ; MM. Jean-Pierre Sueur, Daniel Reiner et Philippe Kaltenbach applaudissent aussi)
M. Jean-Jacques Hyest . - La lecture de la presse nous ramène au débat sur la loi de programmation militaire. On annonçait une catastrophe pour les libertés publiques, c'était « l'horreur » - alors que l'article 13 est plus protecteur des libertés publiques que le droit qui prévalait jusque-là.
M. Jean-Pierre Sueur. - Absolument !
M. Jean-Jacques Hyest. - Selon certains, le contrôle des services de renseignement devrait relever du juge judiciaire. Comme si la police administrative préventive devait être confondue avec la police judiciaire répressive ! Comme si le Conseil d'État n'était pas lui aussi, garant des libertés publiques ! Il s'est parfois montré plus protecteur que la Cour de cassation. Souvenez-vous de l'arrêt Canal ! Suivant notre excellent rapporteur, nous avons renforcé les prérogatives de la CNCTR et ouvert les possibilités de recours devant celle-ci et le Conseil d'État.
Le Patriot Act américain pouvait légitimement inquiéter. Les Parlementaires américains conviennent eux-mêmes, désormais, que l'écoute tous azimuts n'est pas une panacée. Le texte ne s'engage pas dans cette direction, il renforce notre droit actuel, insuffisant, face au risque terroriste, mais aussi aux menaces pesant sur notre sécurité nationale et nos intérêts économiques.
La commission des lois a voulu écrire d'emblée dans la loi que les services de renseignement exercent leur activité dans le respect du principe de légalité. Ils ne sauraient considérer le contrôle comme une entrave. C'est heureux.
La loi de 1991 reste un modèle. Elle prévoyait déjà que le Premier ministre, assisté par une commission indépendante, autorise les interceptions de sécurité. Je puis témoigner que les demandes font toutes l'objet d'un examen attentif, et que le Gouvernement se range dans l'immense majorité des cas à l'avis de la commission. Le suivi du résultat des interceptions n'est pas moins important.
Nous pouvons parvenir à un équilibre. Bien loin de la surveillance généralisée annoncée par certains, par exemple sur le recueil des données de connexion.
Pour que le contrôle soit efficace, la CNCTR ne doit pas être pléthorique. La petite commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS) a toujours bien joué son rôle, même dans l'urgence.
Son président sera nommé selon la procédure de l'article 13 de la Constitution, il le fallait. Elle devra disposer de tous les éléments sur la mise en oeuvre des techniques. Il serait dommage de se passer de tout contrôle en procédure accélérée. La limitation de la durée d'autorisation est la meilleure garantie.
Une définition précise des intérêts fondamentaux de la Nation à l'article 811-3 est indispensable. La commission des lois y a pourvu. Sur le terrorisme, nous avions largement approuvé en novembre la création du fichier judiciaire des auteurs de faits de terrorisme. Il sera un élément du dispositif général.
La délégation parlementaire au renseignement se voit confier de nouvelles attributions. Cela est envisageable aujourd'hui après une période d'acclimatation. Un climat de confiance s'est établi entre les services de renseignement et la délégation parlementaire au renseignement.
Parce que ce projet de loi donnera à nos services de renseignement une ligne claire et cohérente, le groupe des Républicains le votera en veillant à sa bonne application dans le respect des libertés publiques. (Applaudissements à droite)
M. Pierre Charon . - (Applaudissements à droite) Le débat est important pour notre démocratie, devenue la cible des terroristes. J'ai récemment attiré votre attention sur l'usage que les terroristes font de l'internet et des outils numériques.
Au nom de mon groupe, je rends hommage aux agents de nos services de renseignement, ces femmes et ces hommes de l'ombre, qui ne défilent pas le 14 juillet, mais dont les succès - et parfois les échecs - peuvent maintenir la paix ou entraîner la guerre. Leur rôle est de veiller à la sauvegarde des intérêts fondamentaux de la Nation - expression plus conforme à la jurisprudence constitutionnelle que celle d'intérêt public.
La révolution numérique a rendu la loi de 1991 obsolète. Le législateur fait face à une situation paradoxale : des citoyens confrontés à des techniques considérées comme intrusives, utilisées sans cadre légal, dans un contexte sécuritaire qui se dégrade.
Ce projet de loi donne aux activités de nos services un cadre juridique. Il permettra ainsi à nos agents d'agir en sécurité. Je rappelle tout de même que le renseignement dans les Livres blancs de 1994 et de 2008 était déjà partie des missions de connaissance et d'anticipation.
Le terrorisme n'est pas la seule préoccupation de nos services de renseignement. Dans les pays anglo-saxons, l'intelligence concerne aussi le domaine industriel et économique.
Pour ce qui est de la sécurité du pays, nos services n'ont pas failli, notre commission d'enquête sur le djihadisme l'a montré.
Autre dichotomie à souligner, on ne peut pas renforcer l'action des services de renseignement sans renforcer celle de l'autorité judiciaire -certes, nous avons voté une loi sur le terrorisme mais veillons à sa parfaite application, sans quoi les citoyens n'accepteront pas la surveillance que ce texte institue. À propos, si la finalité du projet de loi n'est nullement une surveillance massive, on peut comprendre les inquiétudes des Français.
Rappelons que les algorithmes visent à détecter les communications clandestines, ils ne réalisent pas de traitement systématique de toutes les données. Certes, les « faux positifs » sont possibles. Cela confirme que nos services ont aussi besoin de moyens humains.
Les citoyens doivent avoir des voies de recours. C'est pourquoi la commission des lois a souhaité que le Conseil d'État dispose de larges prérogatives contentieuses.
Ce projet de loi ne constitue pas la refonte de notre politique de renseignement dont la France a pourtant besoin. Il faudrait des moyens, un budget stabilisé.
Je voterai ce texte qui améliorera les conditions de travail de nos services qui bénéficieront de la légalité et, donc, de la légitimité. (Applaudissements à droite et au centre)
M. Jean-Pierre Sueur . - Certains croient que la menace terroriste passera vite. C'est une erreur, profonde. Comme l'a rappelé le Premier ministre, le nombre de Français qui partent en Syrie et en Irak s'engager pour des oeuvres de mort ne cessent de s'accroître ; le nombre de ceux qui y meurent, également.
On nous dit : « les techniques existantes n'ont pas empêché les attentats de janvier ». C'est vrai, mais faut-il donc ne rien faire ? Nous savons au contraire que nos services ont déjoué plusieurs attentats. La sécurité est une liberté, il faut sans cesse le dire, tout en trouvant le juste équilibre avec les autres libertés.
Je me réjouis que la commission des lois ait adopté mes amendements tendant à ce que le ministère de la justice ne fasse pas partie de la communauté du renseignement, que ce soit à un titre ou à un autre. Il ne sera pas dit, madame la Garde des Sceaux, que vous aurez été mise en minorité au Sénat comme vous l'avez été à l'Assemblée nationale.
Il est normal que le personnel pénitentiaire puisse signaler des faits aux services de renseignement, mais il ne lui appartient pas de solliciter ou de mettre en oeuvre une technique. Attention à ne pas rétablir à l'alinéa suivant ce que nous avons supprimé au précédent.
Beaucoup des amendements présentés sont précieux pour le respect de la vie privée et des données personnelles. Tous les nôtres vont dans le sens de la protection des libertés ou du renforcement du contrôle.
Tous, nous sommes attachés aux libertés. Les citoyens et citoyennes qui se sont inquiétés de ce texte méritent le respect.
La commission des lois propose que trois membres de la CNCTR puissent saisir le Conseil d'État, c'est très important. Nous proposons aussi que l'accès de la commission aux données soit « direct, complet, permanent ».
Quelle que soit la réalité géographique, nous voulons marquer que la commission aura un accès direct, complet et permanent aux données. Cela rassurera.
Merci au ministre Le Drian d'avoir accepté ce contrôle complet, y compris sur la plateforme dont l'existence a été longtemps niée.
Pour ce qui est des algorithmes tant décriés, vous savez qu'il existe des sites dangereux parce qu'ils encouragent à l'oeuvre de mort. Je crois l'atteinte aux libertés nécessaire pour combattre le terrorisme, pourvu qu'elle soit limitée par le droit. Nous avons déposé un amendement, dont j'espère qu'il sera repris, pour l'encadrer afin que les informations qu'il traite ne puissent être reproduites. Autrement dit, faisons ce que nous avons à faire en étant rigoureux, pour assurer la sécurité, dans le respect des libertés !
Un dernier mot sur le fichier national des auteurs ayant commis des faits de terrorisme, nous tenons à ce qu'en soient exclues les personnes jugées irresponsables pour troubles psychiques. Les associations y tiennent, et elles ont raison.
Je termine...
Mme Éliane Assassi. - Il est temps !
M. Jean-Pierre Sueur. - Nous tous républicains -puisque le mot a du succès- faisons en sorte que le renseignement ne demeure pas dans le silence de la loi. (Applaudissements sur les bancs socialistes et sur le banc des commissions)
Mme Michelle Demessine . - Le groupe CRC estime que ce texte porte en lui le germe d'une collecte massive et indifférenciée de données qui débouche inévitablement sur une surveillance généralisée de la société. C'est d'autant plus dangereux que le monde du renseignement a tendance à s'affranchir des règles.
Si les risques ont été amoindris grâce à l'intervention de la Cnil et après la lecture du texte à l'Assemblée nationale, ils n'ont pas totalement disparu. Des avancées ont eu lieu : restriction de l'usage de la boîte noire à la prévention du terrorisme, de l'usage des IMSI catchers. Cependant, beaucoup reste à faire ; en particulier, manquent des garde-fous. Le déséquilibre est très net sur la collecte du renseignement. Encadrement de la collecte des données en amont ; cependant, rien sur la manière dont les données seront ensuite intégrées aux fichiers. Par qui et comment ? La Cnil aurait dû exercer un contrôle sur ces nouveaux fichiers. Et qui contrôlera la durée de conservation des données ? Ou le fait que les IMSI catchers se limitent au recueil des numéros de téléphone et des cartes Sim ?
Il serait paradoxal de ne pas répondre à ces questions à l'heure où les parlementaires américains s'interrogent sur les manières d'une de leurs agences. (Applaudissements sur les bancs CRC et écologistes)
M. Jean-Marie Bockel . - Alors que le nombre de Français partant faire le djihad s'accroît, ce projet de loi est légitime. S'il suscite des inquiétudes, c'est parce qu'il touche à la liberté, premier terme de notre devise républicaine. Comment articuler son respect avec la sûreté, un principe tout aussi fondamental inscrit à l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme ?
La France était le dernier pays à ne pas disposer de cadre légal complet sur le renseignement. Il est nécessaire d'y remédier face à la prolifération nucléaire, à la montée de la menace terroriste. C'est d'autant plus nécessaire que la France est en première ligne dans le combat contre le terrorisme.
La commission des lois et la commission des affaires étrangères ont enrichi le texte. Ce dernier n'instaure pas la surveillance de masse que certains dénoncent. Soyons clairs : les services n'ont ni les moyens ni intérêt à se transformer en Big Brother orwellien. Le Sénat a également renforcé le contrôle par la CNCTR et le Conseil d'État.
Nous n'avons pas à choisir entre sûreté et liberté, toutes deux fondamentales dans notre droit, mais à assurer un juste équilibre entre elles. (Applaudissements au centre)
M. Claude Malhuret . - Le 13 mai dernier, le Congrès américain a voté la suppression de la section 215 du Patriot Act qui autorise toutes les écoutes. Depuis lundi, à 0.00 GMT, la NSA a dû fermer ses boîtes noires. Cela devrait inciter notre gouvernement à ne pas commettre la même erreur. Le Congrès américain, après quinze ans d'expérience, a tiré les conséquences de cet échec : les boîtes noires ont provoqué une véritable régression.
On nous dit que ne seraient concernées que les métadonnées. Cela relève de l'escroquerie intellectuelle. M. X, marié, se connecte tous les quinze jours à un site de rencontres extra-conjugales ; M. Y, dans la même situation, visite toutes les semaines un site de rencontres homosexuelles. Les métadonnées contiennent toute l'information intéressante. Point besoin de connaître aussi le contenu.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. - Ceci n'est pas du terrorisme.
M. Claude Malhuret. - Ce sont bien des données personnelles, et même des données ultra-personnelles.
Mme Michelle Demessine. - Exactement.
M. Claude Malhuret. - Autre inconvénient des algorithmes, les « faux positifs ». Nous nous préparons à de futurs scandales. Toutes les garanties auraient été prises ? Les promoteurs de Patriot Act disaient la même chose. Fadaises ! Ce pays profondément démocratique que sont les États-Unis a eu la nausée de cette surveillance généralisée qui n'a pas empêché l'attentat de Boston. D'où, le 13 mai, le remplacement du Patriot Act par le Freedom Act.
Ce qui est frappant, c'est que ce sont les auditions des services de renseignement qui ont déterminé le plus les représentants au Congrès américain car ils n'ont pu montrer les résultats attendus par ce dispositif. Pas de méprise, une loi sur le renseignement est nécessaire, mais pas celle-là.
D'abord, il faut paramétrer les IMSI Catcher dès leur conception ; restreindre les écoutes téléphoniques aux appels entrants et sortants des domiciles, sans intrusion à l'intérieur du domicile qui ne soit contrôlé par un juge ; encadrer les échanges d'informations avec les pays alliés ; enfin, et surtout, l'article 851-4 qui institue une surveillance généralisée par les boîtes noires doit être supprimé. À cette condition, ce texte pourra être voté. (Applaudissements à droite, au centre, sur les bancs écologistes et CRC)
M. Michel Boutant . - Exercice pour le moins insolite qui est le nôtre : jeter la lumière sur ce qui est dans l'ombre. La volonté du Gouvernement est de donner un cadre légal à nos services de renseignement tout en faisant droit à ceux qui s'inquiètent des atteintes à la vie privée. Nos sensibilités politiques nous conduisent à nous placer d'un côté plutôt que de l'autre. Tenir l'un sans lâcher l'autre est bien délicat.
Après les attaques terribles de janvier, nous savons qu'il faut tout faire pour renforcer l'efficacité de la lutte contre les attentats et contre les cyberattaques sans jamais s'écarter du droit.
Ce texte fait écho à la loi de 1991. Depuis un quart de siècle, les techniques ont beaucoup évolué : apparition des téléphones portables, d'Internet, des balises... Ce projet de loi nomme les techniques, les encadre. Certains voient dans cette loi un texte d'opportunité, un Patriot Act à la française après les évènements de janvier et de Copenhague. Pas du tout, il est préparé depuis l'an dernier ; il encadre les techniques de renseignement.
Le renseignement suscite beaucoup de fantasmes. L'État de droit, rappelons-le aux inquiets, ce ne sont pas les barbouzes et les officines ! (Applaudissements sur les bancs socialistes)
Mme Catherine Morin-Desailly . - Au sommet de la pyramide est placé Big Brother. Big Brother est tout puissant. Nous ne sommes plus loin des horreurs décrites par Orwell après la révélation par Edward Snowden des pratiques de la NSA. Voilà ce que conclut la mission d'information commune sur internet que j'avais l'honneur de rapporter. Nous avions prôné la mise en oeuvre d'un cadre juridique et un encadrement des services de renseignement. C'est dire que je considère fondamental le respect des libertés.
Nous revenons de loin, merci à la commission des lois et à la commission des affaires étrangères d'avoir sensiblement modifié le texte et accepté certains de mes amendements. Cependant, le « bazar européen », comme disait Edward Snowden, se poursuit. Les États européens ne surveillent plus leurs citoyens mais demandent des renseignements sur eux aux États voisins. Rien sur le renforcement de la sécurité de nos réseaux. C'est pourtant une question essentielle.
Surtout, le recueil des métadonnées porte atteinte à la vie privée, même le rapporteur du Conseil d'État en est convenu hier, et il recommande de saisir le Conseil constitutionnel.
Disons-le : ce texte est bien un Patriot Act à la française (M. Jean-Yves Le Drian, ministre, le conteste), pris en hâte après les attentats de janvier. Les algorithmes sont sources d'erreur, on le sait. Pourquoi les légaliser quand le Congrès américain le refuse désormais ? Supprimons le contrôle par les boites noires qui fragilisent la sécurité des données des entreprises et des institutions à cause des failles que les cybercriminels savent exploiter. Instituons un contrôle de la Cnil, le seul rempart contre l'arbitraire, l'hypersurveillance et l'hypervigilance.
Ce matin, au forum sur la gouvernance d'internet, ma conclusion était claire : les algorithmes n'arment pas la sécurité. Je vous mets en garde ! (Applaudissements au centre et à droite)
M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense . - Ma réponse au nom du Gouvernement sera brève en raison de la visite du roi d'Espagne.
Nous avons la même volonté d'une politique du renseignement efficace, moderne et protectrice ; d'un équilibre entre liberté et sûreté. Si j'ai bien entendu le président Bas et le président Raffarin, nous sommes prêts d'aboutir, connaissant l'attitude constructive de votre Assemblée, à des compromis sur la durée de conservation des données, la protection de certaines professions, la finalité du renseignement et les modalités de centralisation des données.
Le constat est partagé : la menace terroriste, grandissante, exige adaptation de notre législation, de même que la révolution numérique qui n'était pas engagée en 1991. C'est, comme l'a dit le président Raffarin, une loi de maturité.
Concernant les nouveaux moyens intrusifs susceptibles de porter atteinte à la vie privée, ils sont tous soumis à autorisation, une autorisation ciblée. Ce n'est nullement une surveillance de masse, la surveillance en temps réel ne visera que les métadonnées et non le contenu des données. La géolocalisation en temps réel ne pourra avoir lieu que sur un individu préalablement identifié et après avis de la CNCTR. Idem sur les algorithmes : on cherche des indices de fait de terrorisme.
Je l'ai dit à l'Assemblée nationale : face à des réseaux déjouant les signes classiques de surveillance et s'affranchissant des règles, on ne comprendrait pas que nous ne fassions rien. Dans le même temps, les garanties doivent être draconiennes. Le Gouvernement proposera un amendement supplémentaire exigeant la destruction immédiate des métadonnées n'ayant pas de lien avec le terrorisme. Aucune confusion possible avec le Patrio Act qui perdure sous la forme de Freedom Act.
Autre précision, ce texte encadre, c'est un progrès décisif pour le droit, les mesures de surveillance à l'étranger. Elles feront l'objet d'un décret en Conseil d'État et d'un décret non public mais soumis à la CNTR. Par transparence, je proposerai un amendement pour détailler le contenu du décret classique, y compris la procédure de recours. Sur ce point, et comme M. Hyest, je rappelle que le renseignement relève du juge administratif compétent pour apprécier la légalité des actes du Premier ministre et non de l'article 66 de la Constitution, qui fonde la compétence du juge judiciaire pour les mesures privatives de liberté. Il est donc logique de confier ce contentieux au Conseil d'État.
Avec un esprit d'ouverture et d'équilibre, le Gouvernement espère un débat riche et constructif au Sénat. (Applaudissements sur les bancs socialistes et sur le banc des commissions)
La discussion générale commune est close.
Demande de priorité
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. - Je demande que les articles 2 et 3 du projet de loi soient examinés en priorité à la reprise de la séance de demain soir. Je tiens à être présent à leur examen, les algorithmes relevant en grande partie de ma compétence. Jeudi, je suis retenu à l'Assemblée nationale pour la loi de programmation militaire.
M. le président. - En application de l'alinéa 6, article 44 de notre Règlement, je consulte la commission.
M. Philippe Bas, rapporteur. - La commission ne s'oppose pas à cette demande de priorité.
La priorité est ordonnée.