Nouvelle organisation territoriale de la République (Procédure accélérée - Suite)

Discussion générale (Suite)

M. François-Noël Buffet .  - Un regret : nous légiférons dans des conditions qui ne sont pas à la hauteur des enjeux. Le Sénat vient d'examiner en nouvelle lecture le projet de loi sur la délimitation des régions, dont la logique n'est plus celle du Gouvernement, le Parlement ayant réaffirmé son attachement aux départements. Des choix ont été faits sur le découpage des grandes régions. Certains élus ont su se faire entendre, d'autres non... Ce projet de loi n'offre pas la grande vision que nous attendions. Quant à celui-ci, relatif aux compétences, il a évolué aussi : on a voulu rendre la clause de compétence générale aux régions, avant de revenir à une spécialisation incomplète. La spécialisation, je l'appelais de mes voeux, au nom de la clarification et pour faire des économies. M. Mercier l'a dit : pour simplifier vraiment notre organisation territoriale, il aurait fallu revenir au conseiller territorial. (Murmures à gauche)

Une inquiétude aussi. Je ne suis pas hostile à la spécialisation des compétences ni au caractère prescriptif des schémas mais la métropole de Lyon, par exemple, a besoin d'exercer aussi la compétence économique. Il faut faire place à la discussion, à la négociation. Un amendement de Mme Létard y pourvoira. (Applaudissements au centre et à droite)

M. Claude Haut .  - Cette loi, qui doit donner à l'action publique locale une plus grande efficacité, inquiète les élus locaux. Nous nous félicitons qu'à la demande du président Larcher le Premier ministre ait accepté un débat d'orientation à ce sujet, le 28 octobre.

Le Sénat souhaite le maintien des conseils départementaux, au nom des principes de lisibilité et de cohérence qui donnent sens à la réforme. Le discours du Premier ministre a évolué, n'hésitez pas, mesdames et messieurs les ministres, à nous rassurer encore.

Il n'y a pas d'un côté les conservateurs, de l'autre ceux qui voudraient tout chambouler. L'immense majorité des élus et des citoyens souhaitent que soient distinguées les compétences stratégiques des compétences de proximité. Les premières reviennent aux régions, les secondes aux intercommunalités, en lien avec l'ingénierie départementale. Les solidarités humaines et territoriales incombent aux départements. Qui nierait l'importance de la solidarité en période de crise ? Elle représente 38 milliards sur 71 milliards de dépenses départementales.

Le projet de loi donne sens à la notion de solidarité territoriale. Le département est chef de file des compétences de proximité. Quel serait l'intérêt de transférer à la région les transports scolaires ? La loi NOTRe doit confirmer le chef-de-filat institué par la loi Maptam.

Il y a aussi la question des moyens. Les départements supportent 31,3 % de la baisse des dotations. Nous nous réjouissons donc que les mesures prises en 2014, sur les DMTO notamment, seront pérennisées. De même, nous apprécions que soit retenu le critère du potentiel fiscal corrigé, le seul à correspondre vraiment à la réalité, ce qui mettra fin à une injustice.

Le RSA doit être financé à long terme. (M. Jean-Jacques Hyest confirme)

Mme la présidente.  - Concluez !

M. Claude Haut.  - Le Conseil général n'a aucune marge de manoeuvre en la matière. Il ne peut que mettre en pratique ce que l'État a décidé.

La décentralisation a été beaucoup critiquée. Elle est pourtant un succès pour la démocratie. À nous de la rendre plus efficace et plus claire. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Jean-Jacques Lasserre .  - Tout a été dit sur la méthode du Gouvernement, détestable, du redécoupage cantonal à ce projet de loi. À chaque demande de concertation, d'étude d'impact, à chaque appel au bon sens, la réponse fut la même : on nous a accusés d'immobilisme, de conservatisme, de ringardisme. Présentée par petits paquets, la réforme territoriale peine à trouver une cohérence d'ensemble. Quand on construit un bâtiment sans fondations, on ne doit pas s'étonner des malfaçons.

Le réseau communal est une richesse évidente pour la France. Or les communes sont promises à la disparition. De même, vous ne trouvez pas de produit de substitution pour les départements. La vraie culture politique française est fondée sur le couple commune-département. Certains sujets, comme les transports scolaires, requerront toujours de la proximité.

Construire les frontières, c'est aussi se demander si les regroupements prévus sont vraiment pertinents. La métropolisation forcenée est-elle vraiment moderne ? Je plaide pour l'expérimentation.

Les élus nous regardent. Nous attendons le débat sur les schémas dits « prescriptifs » -comment l'entendre ? Surtout, il faudra être réaliste sur le seuil des intercommunalités : le chiffre proposé est arbitraire.

Mme la présidente.  - Concluez.

M. Jean-Jacques Lasserre.  - Un mot encore sur l'aménagement numérique du territoire : si une collectivité territoriale n'est pas bientôt désignée responsable, la nature reprendra ses droits. (Applaudissements au centre et sur plusieurs bancs à droite)

M. Jean-Pierre Grand .  - L'esprit et l'architecture des lois de décentralisation de 1982 étaient cohérents. Depuis lors, les élus locaux ont relevé le défi.

Plus de trente ans après, on pourrait espérer une nouvelle étape. L'enjeu, c'est notre compétitivité, l'attractivité de nos régions, l'aménagement de nos territoires. Le seul objectif qui vaille, c'est de donner à de grandes régions les moyens d'assurer leurs missions stratégiques, pour l'innovation et l'emploi. Le Languedoc-Roussillon fusionne avec le Midi-Pyrénées, j'y suis favorable. (On s'en félicite sur les bancs socialistes)

Cette future grande région, c'est seulement 2,3 milliards d'euros de budget cumulé, et plus de 500 000 chômeurs. Comment imaginer qu'elle pourra, avec de faibles moyens, faire reculer le chômage ?

L'avenir des régions est lié à celui des départements. J'espère que des hommes raisonnables sauront se rassembler pour créer une force économique. Ces grandes régions et ces départements doivent être dotés de moyens de résister à la concurrence des grandes régions étrangères. Pour ce qui nous concerne, je pense aux régions espagnoles ou au Maghreb.

Pourquoi ne pas décentraliser une gestion de la fiscalité de l'État -et, concomitamment, une gestion de la dette de la nation ? Des mesures sociales spécifiques à nos territoires mériteraient aussi d'être étudiées.

Une Conférence des présidents de région pourrait siéger autour du président de la République. Elle serait fort utile au fonctionnement de la République. Ces présidents devraient avoir un rang protocolaire élevé.

De grandes régions n'ont de sens qu'avec les moyens économiques, fiscaux, réglementaires nécessaires. Créer des collectivités territoriales fortes, c'est renforcer le département. C'est un gaulliste qui vous le dit ! (Applaudissements sur plusieurs bancs à droite)

Mme Marylise Lebranchu, ministre.  - Bravo.

Mme Odette Herviaux .  - Régionaliste convaincue, j'avais mis beaucoup d'enthousiasme dans le texte initial et je ne me satisfais pas du texte de la commission. On observe ici la propension française à l'autodénigrement, le poids des conservatismes et des habitudes... Je salue votre écoute et votre ténacité, madame la ministre, et j'espère que la réforme servira, in fine, l'intérêt général.

De discours en colloques, chacun s'accorde à reconnaître l'importance du littoral. L'action concrète, elle, se fait attendre. Pourtant, la mer et les littoraux offrent des leviers de croissance durable ; nous avons de bonnes raisons de le savoir, vous et moi, madame la ministre !

On ne peut plus laisser les élus seuls face à la jurisprudence administrative qui n'est ni cohérente ni juste en ce qui concerne l'application de la loi Littoral. C'est pourquoi je souhaiterais que soit prévue la pérennisation du SRADDT en zone littorale. De même, la desserte des îles métropolitaines doit être transférée aux régions, le principe de continuité territoriale réaffirmé.

Je regrette la suppression de l'article 11 en commission. Les autorités portuaires appellent au renforcement des intercommunalités et des régions, en cohérence avec le schéma d'internationalisation et d'innovation. Des solutions doivent être trouvées d'urgence sur la SNCM et le sauvetage en mer.

Je forme le voeu que le Sénat se détermine en fonction de l'intérêt général. Je déposerai un amendement pour une expérimentation relative à la gestion de l'eau en Bretagne. (Applaudissements sur les bancs socialistes ; MM Ronan Dantec et Michel Le Scouarnec applaudissent également)

M. Jean-Léonce Dupont .  - Quel feuilleton que celui de la réforme territoriale, depuis 2012 ! Quelle effervescence normative !

Il était plus que temps de débattre des compétences. Mais nous ne savons ni avec quoi -puisque la réforme de la DGF se fait attendre- ni avec qui -faute de réforme de l'État déconcentré. Ubu n'est pas loin.

L'exposé des motifs du projet de loi commence avec la suppression des départements, et donc le transfert aux régions de certaines de leurs compétences. Mais le Gouvernement nous annonce désormais que nous avons un plein mandat pour y réfléchir. Pourquoi donc ne pas avoir revu votre copie ?

Nous pouvons approuver le renforcement des compétences économiques des régions -même si le périmètre peut être discuté- mais quid de la politique de l'emploi ?

Même absence de bon sens pour l'intercommunalité. À peine les nouveaux conseillers installés, il faudrait revoir le périmètre des intercommunalités. Le Gouvernement, encore une fois, redécoupe pour faire croire qu'il réforme... Attendons que le sort des départements soit tranché. Laissons les territoires respirer, ils sauront évoluer -voyez les communes nouvelles.

Je souscris, en revanche, à la diminution du nombre de syndicats. Au XVIIIe siècle, le philosophe Edmund Burke disait : « les lois, comme les maisons, s'appuient les unes sur les autres ».

Mme la présidente.  - Concluez.

M. Jean-Léonce Dupont.  - Puissent donc le Sénat et sa sage commission des lois être entendus !

M. Philippe Dallier .  - Je n'imaginais pas monter à cette tribune sans rien savoir des intentions du Gouvernement sur la métropole du Grand Paris. J'en suis réduit à des hypothèses et à interpréter des silences. L'amendement annoncé n'a toujours pas été déposé.

Mme Marylise Lebranchu, ministre.  - J'hésite...

M. Philippe Dallier.  - Quel manque de respect pour le Sénat ! C'est au Premier ministre que je le reproche, qui se refuse à trancher le noeud gordien.

Certes, l'article 12 de la loi Maptam n'est pas parfait mais il crée une véritable métropole du Grand Paris, puissante, capable de combler le fossé entre l'est et l'ouest et de remédier aux enjeux du logement.

Mme Marylise Lebranchu, ministre.  - Oui.

M. Philippe Dallier.  - Le Gouvernement sait qu'il faut revenir devant le Parlement mais nous ignorons encore ses choix.

En juin, on a laissé penser aux élus locaux qu'ils pouvaient faire la loi à la place du Parlement... Au terme de l'examen de ce texte, soit nous aurons détricoté l'article 12, soit ç'aura été la journée du Dupes ! Les amendements de MM. Karoutchi et Caffet diffèrent, signe que l'accord n'est que de façade. Ils ont cependant un point commun : ils tendent à créer plutôt un super-syndicat qu'une métropole. Et il serait même possible que des communes d'Ile-de-France appartiennent à deux EPCI à fiscalité propre ! Bref, ce serait une métropole extra-light ; d'autres, en revanche, sont un peu plus intégrateurs.

Dans les deux cas, les territoires garderaient la CFE et les ressources actuelles de chacun seraient préservées. Nos collègues, grands seigneurs, permettent cependant de donner à la banlieue la dotation d'intercommunalité de 75 millions d'euros... Paris serait ainsi un établissement territorial en plus d'être à elle seule commune et département. Mais ce ne serait que l'ombre d'une métropole capable de rivaliser avec les autres villes au monde.

J'ai mis, cependant, de l'eau dans mon vin.

M. Alain Néri.  - Pas trop !

M. Philippe Dallier.  - Je vieillis...

M. Bruno Retailleau.  - C'est surtout qu'il est vice-président du groupe ! (Sourires)

M. Philippe Dallier.  - J'appelle à un compromis.

Mme la présidente.  - Concluez.

M. Philippe Dallier.  - Je le souhaite car nous ne pouvons plus nous payer le luxe d'attendre encore quinze ans. Je vous le demande instamment, chers collègues de province, intéressez-vous à la métropole de Paris car il y va de l'intérêt national. (Applaudissements sur certains bancs au centre et à droite)

Mme Cécile Cukierman.  - Il faudrait demander l'avis de la population.

Mme Marie-Françoise Perol-Dumont .  - Objectif louable que de réformer notre organisation territoriale pour la rendre plus lisible et plus proche des citoyens ; le regroupement des régions s'impose. L'essentiel, ce sont leurs missions et leurs moyens. Des régions stratégiques, capables de jouer leur partition dans la compétition mondiale, gagneraient-elles à gérer les collèges ? On parlera du lien entre collège et lycée, oubliant que le lien qui importe est entre collège et école primaire. La vraie clarification serait de transférer le personnel IATOSS des lycées aux régions, celui des collèges aux départements.

M. René-Paul Savary.  - Très bien !

Mme Marie-Françoise Perol-Dumont.  - De même, en quoi la gestion des routes départementales profiterait-elle à la nouvelle grande région Limousin-Poitou-Charente-Aquitaine, dont je salue la création ? Le déneigement des routes du Limousin se fera-t-il mieux depuis Bordeaux que depuis Limoges ?

M. Philippe Bas, président de la commission des lois.  - Excellente question.

Mme Marie-Françoise Perol-Dumont.  - Pourquoi ne pas avoir transféré la gestion de la DETR aux départements ?

L'État se désengageant, les départements se sont dotés de services d'ingénierie, au profit des communes. Nombreux sont les lieux où les seuls services publics restants sont ceux des départements : c'est l'esprit même des maisons de services au public.

Le seuil de 20 000 habitants pour les intercommunalités serait une erreur, et alimenterait la crainte d'une perte de substance des communes. Les élus aspirent à la stabilité. Si un tel seuil peut être posé en objectif, on en saurait en faire une norme impérative

Toute politique publique doit contribuer à redresser la France et à redonner confiance aux citoyens. Je souhaite que cette loi, clarifiée par les amendements du Sénat, rende l'action publique plus efficace, en tenant compte des spécificités de chaque territoire. (Applaudissements sur de nombreux bancs)

M. René-Paul Savary.  - Très bien !

M. Michel Vaspart .  - Élu des Côtes d'Armor, je parlerai d'abord pour la Bretagne : je déplore que le droit d'option n'ait pas été assoupli. (Applaudissements au centre)

Cette réforme n'est pas une vraie réforme de l'organisation, ni de la décentralisation. Ceux qui attendaient un big-bang seront déçus : ni suppression d'un échelon, ni clarification ! Ce gouvernement n'a pas eu le courage de trancher : déjà, en conservant des régions inchangées ici, en en créant d'autres, il n'avait pas tranché. Avec de grandes régions partout, le maintien des départements aurait été évident. Le Gouvernement n'a pas tranché non plus sur les compétences.

Nul besoin d'une loi pour pratiquer la mutualisation.

Une réforme est bonne si elle est juste ; faut-il qu'elle soit consensuelle ? Il y a un consensus pour ne pas réformer, y compris de la part des élus. Notre pays est suradministré mais sous-organisé.

Je suis sénateur depuis trois mois. J'ai été auparavant maire et conseiller général. Je suis arrivé sans certitude, avec le souci de bien faire et d'écouter les attentes de nos concitoyens comme des élus et du monde économique.

Individuellement, nous partageons le même constat et connaissons les solutions. Mais collectivement, nous n'allons pas au bout des réformes et, à force de ne pas écouter nos concitoyens, ne nous étonnons pas de voir monter le populisme et l'extremisme. Il y a danger et urgence.

Je regrette la suppression par idéologie du conseiller territorial. (Applaudissements à droite)

Cette réforme était cohérente et diminuait de moitié les élus régionaux et départementaux. Il y a trop d'échelons et trop d'élus. En ne faisant rien, nous renforçons le poujadisme. Nous, élus, devons être prêts aux réformes, même si nos mandats sont en jeu. Le monde bouge et ne nous attend pas !

La France et les Français nous regardent, ne les décevons pas une fois de plus, une fois de trop. (Applaudissements à droite)

M. Philippe Kaltenbach .  - Si le Sénat n'a pas encore pris connaissance formellement de l'amendement du Gouvernement promis sur le Grand Paris, les élus concernés en connaissent la teneur. Le 1er janvier 2016, il y aura bien un établissement public qui se substituera aux 17 intercommunalités existantes. Ses opposants ont tentés d'en faire une simple fédération d'intercommunalités.

Je salue ceux qui, comme M. Dallier, ont su dépasser les clivages partisans, au service de cette métropole solidaire. Il faut écouter les élus locaux lorsqu'ils veulent renforcer le rôle des conseils de territoire. Mais ne les transformez pas en EPCI -car une commune pourrait être membre alors de deux EPCI- et ne leur donnez pas de pouvoir fiscal, pour ne pas renforcer les inégalités, déjà très fortes, au sein de l'Ile-de-France.

Ce ne serait pas viable. Il faut plus d'égalité.

M. Roland Courteau.  - Eh oui !

M. Philippe Kaltenbach.  - De plus, d'autres métropoles réclameraient aussi le pouvoir de lever l'impôt, ce qui réduirait nos efforts de simplification à rien puisqu'on ajouterait une couche de plus au millefeuille territorial.

Je fais confiance au Gouvernement pour écouter les élus locaux sans pour autant céder aux demandes extravagantes.

Mme la présidente.  - C'est fini.

M. Philippe Kaltenbach.  - Oui à une métropole solidaire, capable de lutter contre les inégalités territoriales !

M. Alain Fouché .  - Dans ce big bang territorial, il est une certitude : les départements proches des habitants forment le relais indispensable entre les territoires et les grandes régions. La commission des lois a redonné au département son rôle d'aménagement du territoire et de proximité. Elle a, en revanche, vidé de son sens la notion de chef de file pour le tourisme et l'aménagement. Je pense qu'il aurait également été sage de confier conjointement lycées et collèges soit aux régions soit aux départements. La commission des lois laisse la voirie au département, c'est très bien, la région s'occupant des grandes infrastructures, mais il aurait été cohérent, madame la ministre, de lui confier les anciennes routes nationales, car le coût de leur réfection est exorbitant : voyez la N 147 !

La politique du tourisme doit relever des entités de proximité et non être recentralisée. La commission des lois autorise la contractualisation avec les départements et communes pour les projets économiques locaux : ce n'est pas de Bordeaux que l'on peut gérer l'installation d'un center parc dans la Vienne. La réussite de tels équipements requiert le concours des élus locaux. De même, qui souhaiterait prendre le relais en matière de solidarité ? Le Premier ministre a indiqué qu'il tiendrait compte de l'avis du Sénat. Nous voulons un échelon de pouvoir géré par les élus de terrain et non par des responsables administratifs qui imposent des normes, contrôlent et sanctionnent, bref qui freinent le développement. Écoutez-nous ! (Applaudissements à droite)

M. Jean-Yves Roux .  - Nos territoires divers ont besoin d'une réforme précise mais sans raideur.

Les territoires de montagne sont des territoires en difficulté mais pleins de potentialités. Les Français ont besoin de nouvelles perspectives et d'engagements forts. Le projet de loi propose une réforme structurelle en clarifiant les compétences pour renforcer la croissance. Je suis d'accord pour renforcer le rôle stratégique et économique des régions, à condition de préserver les solidarités de proximité pour éviter le délitement du pacte républicain. Ces solidarités s'expriment naturellement au niveau des communes, des intercommunalités et départements. Je me félicite que le Gouvernement, dans un esprit de dialogue, ait reconnu le rôle des départements dans la solidarité humaine et territoriale.

Mais il faut renforcer aussi son rôle d'assistance aux communes, dans les domaines de l'eau, de l'assainissement, de la voirie, de l'aménagement de l'habitat, etc. Pourquoi ne pas transférer la dotation d'équipement des territoires ruraux aux départements ? La majorité des routes départementales, de même, n'ont pas de caractère stratégique. Inutile de les transférer aux régions, auxquelles pourraient revenir les routes nationales.

Accomplir la promesse d'égalité, c'est ce que nous voulons tous. Nous y travaillons. (Applaudissements à gauche)

M. François Bonhomme .  - L'objectif était ambitieux : écrire l'acte III de la décentralisation, pour remédier à l'enchevêtrement des compétences et simplifier l'action des collectivités territoriales. Qu'en est-il ? Les volte-face n'ont pas cessé. Le malentendu est originel car cette loi n'est pas une loi de décentralisation. Elle ne fait que transférer des compétences entre collectivités. Face aux conservatismes des intérêts localistes, seul l'État peut jouer le rôle de chef d'orchestre. Hélas, ça n'a pas été le cas. On l'a vu sur la clause de compétence générale supprimée, puis rétablie, puis supprimée encore. Il en est de même pour le conseiller territorial et l'avenir des départements.

Finalement, ce texte est désarticulé et devient byzantin. Incontestablement, le pouvoir des régions est conforté. Toutefois aucun pouvoir fiscal ne leur est donné.

Le seuil retenu pour les intercommunalités est arbitraire : dans les zones rurales, les regroupements seront trop vastes.

Des économies ? L'harmonisation des statuts des personnels se fera selon le régime le plus avantageux. Ayant renoncé à supprimer les départements, le Gouvernement, après avoir envisagé leur évaporation, a choisi leur strangulation, alors même qu'ils sont déjà mis à mal par le poids des dépenses sociales et le nouveau scrutin binominal, qui va accélérer leur décomposition.

Finalement, il y aura des territoires métropolisés avec une organisation dynamique, mais où les métropoles concurrenceront les régions, face à des territoires interstitiels forcément moins dynamiques.

Après l'acte I de la décentralisation, édificateur, et l'acte II, consolidateur, l'acte III -qui se voulait refondateur- risque d'être un acte bredouilleur et même fossoyeur d'une certaine France des territoires. (Applaudissements à droite et au centre)

M. Yannick Botrel .  - Le seul point d'accord de tous orateurs est leur intérêt pour ce texte. Les rapports se sont multipliés, depuis le rapport Balladur jusqu'au rapport Raffarin-Krattinger. Ce texte a le mérite de faire des propositions. Le groupe socialiste a déposé des amendements, malheureusement peu ont été retenus par la commission des lois. Par exemple, nous avons proposé d'abaisser le seuil des intercommunalités de 20 000 à 15 000 habitants, avec des possibilités données au CTAP de modulation. La commission des lois a fait le choix de la simplicité en supprimant l'article 14, et laissant ainsi la voie libre, une fois de plus, aux députés.

Le Gouvernement a aussi proposé de réduire le nombre des syndicats intercommunaux, comme c'est déjà le cas en Bretagne. En même temps, je me félicite de la volonté de conserver les grands syndicaux, parfois supra-communautaires, exerçant des compétences techniques, comme dans l'eau, par exemple. Il n'y a donc pas de mise sous tutelle du bloc communal. Le Sénat ne doit pas s'enfermer dans une logique partisane, qui revient à mettre en cause son utilité même. S'il le fait, la majorité sénatoriale en portera la responsabilité.

M. Jean-Baptiste Lemoyne .  - Il est impossible de séparer ce texte de son contexte. La création des grandes régions laisse craindre un éloignement du pouvoir.

Le transfert de compétences à ces régions, par exemple en matière de transport scolaire, ne peut permettre de décider où implanter un arrêt de bus dans un hameau. Il sera possible de conventionner avec le département ? Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ! Les grandes régions justifient l'existence des départements. La commission des lois a clarifié : aux régions la stratégie, aux départements la proximité. En Europe, plus que de leur taille, la force des régions dépend de leur cohérence et de leur autonomie.

Autre élément de contexte : le scrutin binominal -unique au monde, sauf peut-être au Chili- pour abroger le conseiller territorial. Avec ce chambardement, puisque vous avez divisé les cantons en deux, vous augmentez les dépenses. L'organisation du scrutin, avec l'obligation d'un compte de campagne généralisé, coûtera 50 millions.

M. Didier Guillaume  - La transparence !

M. Jean-Baptiste Lemoyne.  - Entre SRADDT, SCOT et Plu appelés à devenir intercommunaux, le maire ne sait plus quels seront ses pouvoirs en matière d'urbanisme.

Les élus souhaitent avoir le temps de digérer les précédentes réformes. Quel chemin, en effet, depuis la loi Chevènement ! Les maires souhaitent de la confiance et non de la défiance. Or, certains en viennent à anticiper la fin des élus avec la crise des vocations. Les maires, souvent bénévoles, sont le réceptacle de tous les mécontentements, et parfois les paillassons pour certains inspecteurs des travaux finis.

M. Bruno Retailleau.  - Être maire est un sacerdoce !

M. Jean-Baptiste Lemoyne.  - On est loin du discours de Dijon... Une autre réforme est possible, fondée sur la subsidiarité, et qui satisferait aussi bien Proud'hon que Léon XIII et serait adaptée aux défis du monde d'aujourd'hui. Alexandre Jardin décelait chez les Français une inaptitude à conjuguer le verbe oser. Alors osons ! (Applaudissements à droite)

Mme Samia Ghali .  - Je parlerai de Marseille, la métropole Aix-Provence. Notre pays traverse une crise économique mais aussi morale. La proximité des élus est précieuse.

J'ai partagé le combat des 113 maires sur 119 qui ont refusé une métropole technocratique. Les élus aiment leur ville, leur village et veulent les préserver. Sans moyens supplémentaires, la métropole de Marseille ne peut être un remède miracle. Nous avons eu raison de résister. J'ai fait des propositions qui font consensus. Les plans d'urbanisme doivent être élaborés en accord avec les communes (Mme Maryse Lebranchu, ministre, acquiesce). Il faut aussi un pacte financier et fiscal. Enfin cette réforme doit être étalée entre 2016 et 2020. J'ai déposé des amendements pour faire évoluer la métropole marseillaise. Le consensus est nécessaire.

La métropole doit se concentrer sur les grands projets, tout en étant un territoire d'échange et de concertation.

Si nous autorisons les communes à appartenir à deux EPCI jusqu'en 2020, l'émergence d'une communauté métropolitaine en sera facilitée.

Des engagements ont été pris, je veillerai à ce qu'ils soient suivis d'effets. Ce texte reste insatisfaisant, je proposerai de l'améliorer. Le dialogue républicain, la progressivité dans la mise en oeuvre, le réalisme, telles sont les conditions du succès. (Applaudissements sur plusieurs bancs)

M. Michel Bouvard .  - Voici le troisième volet de la réforme territoriale, le plus important peut-être. Je vais vous faire une confidence : je n'aurais pas été candidat au Sénat sans cette réforme. La disparition annoncée des départements m'était insupportable. En Savoie, elle serait la négation de l'histoire, mais aussi la négation de la modernité. Pierre de la Gonthrie, le baron rouge, fut le créateur de la station de Courchevel. Joseph Fontanet a fait de la Savoie la première destination touristique.

Les départements savoyards ont créé des parcs d'activité, ont soutenu le développement des entreprises ou ont investi dans le développement des stations de sport d'hiver. Ils ont créé l'université de Savoie, 13 000 étudiants, la première pour les échanges internationaux, qui accueille proportionnellement le plus de boursiers en France.

Les départements ont-ils fait leur temps ? Avec mes collègues savoyards, nous avons déposé des amendements pour créer une collectivité spécifique. Nous ne pouvons accepter d'être placés sous tutelle, d'être soumis à un SRADDT. Qu'en sera-t-il pour le tourisme ? On ne peut imaginer que les deux départements qui représentent 80 % du tourisme Rhône-alpin soit défini par la région sans concertation.

Nous menons le combat pour l'ensemble des territoires de montagne. Des outils existent pourtant. Mais les comités de massifs comme les schémas de massifs ne sont pas repris dans ce texte. Je souhaite que les amendements des élus de montagne soient intégrés.

L'égalité suppose une respiration des territoires, l'efficacité aussi. Nous ferons des économies et nous gagnerons en efficacité en respectant nos différences. (Applaudissements au centre et à droite)

M. Jean-Jacques Lozach .  - Cette réforme répond à une nécessité. Néanmoins, la méthode pose problème : rétablissement puis suppression de la clause de compétence générale, définition de la carte avant celle des compétences... La vraie simplification doit s'effectuer entre les régions et les services de l'État -là est aussi un gisement d'économies. La Cour régionale des comptes de Rouen a recensé 19 organismes chargés du développement économique !

Plutôt que de supprimer la clause de compétence générale, il faudrait s'attaquer aux financements croisés, et généraliser le guichet unique. Sans la clause de compétence générale, certains projets n'auraient pu voir le jour, comme ceux des départements pour réduire la facture numérique.

De grandes régions stratégiques, c'est intéressant, mais qu'ont-elles à faire des routes et des collèges ? En quoi les collèges de la Creuse seraient-ils gérés plus efficacement depuis Bordeaux ? Et le Conseil supérieur de l'éducation plaide pour une continuité entre école et collège. Solidarités sociale et territoriale, proximité, démocratie locale, voilà ce qui caractérise le département.

Les régions seront chargées de la prospective, de la programmation, de la stratégie. Les SRDE sont bienvenus. Chacun pourra s'exprimer dans le cadre des conférences territoriales.

Pour les intercommunalités, le seuil de 15 000 habitants paraît plus judicieux, sous réserve de modulations en fonction de la densité ou du nombre de communes. Membre fondateur de Nouvelles ruralités, je suis soucieux de l'avenir des départements et salue l'évolution du Gouvernement. Les départements pourront continuer à soutenir les communes et co-piloter la mise en oeuvre du schéma d'accès aux services au public.

Mme la présidente.  - Concluez.

M. Jean-Jacques Lozach.  - Ce texte n'est qu'une étape. Il faudra se pencher sur les relations ville-campagne, centres-périphéries et espaces interstitiels, et sur la réforme des dotations. René Char disait que la tactique et l'ingéniosité ne remplacent pas une parcelle de conviction ; la mienne, c'est la République décentralisée. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Daniel Chasseing .  - Ce projet de loi fait beaucoup parler de lui. Les notions de région, de département, de terroir restent actuelles et sont profondément ressenties par nos concitoyens. Comme le disait Alain Bertrand, les élus ruraux sont chaque jour confrontés aux complexités du millefeuille territorial -expression qui fleure bon le mépris technocratique et une « modernité » devenue prétexte à tous les abandons...

Par-delà les slogans, l'objet de ce texte reste flou. La décentralisation est remise à plus tard. Les revirements se sont succédé : le président de la République se disait, en janvier, défavorable à la suppression des départements ; trois mois plus tard, le Premier ministre annonçait leur mort ; mais aujourd'hui, ils ont retrouvé du lustre... Tout le monde peut changer d'avis... Mais il aurait été bon de consulter les élus qui ne sont pas des mineurs sous tutelle mais des acteurs de 70 % de l'investissement public.

J'ai toujours défendu les départements, garants du développement et de la solidarité territoriaux. Plus de neuf élus sur dix sont favorables à leur maintien. Ce n'est pas de la nostalgie : les départements sont indispensables à la cohésion sociale, ils aident les communes, ils sont l'échelon d'administration de proximité -à condition que l'État ne les abandonne pas.

La Corrèze sera à des heures de route de la nouvelle capitale régionale. Contrairement à ce qu'on fait pour la ville, il n'y a pas de politique spécifique pour le monde rural. Il est temps de conclure un pacte national pour la ruralité, qui suppose un fort engagement de l'État. L'État doit peser pour que la région n'oublie pas les territoires ruraux.

Changer l'espace politique sans tenir compte de l'aménagement du territoire et du développement, n'est-ce pas mettre la charrue avant les boeufs ? Un habit mal coupé se corrige difficilement à l'habillage, a écrit Bruno Rémond. Or nous serons confrontés à un effet de ciseaux entre baisse des dotations et hausse des dépenses. Les départements doivent avoir les moyens de jouer leur rôle, y compris le soutien aux communes, le Sdis, les routes -le plateau de Millevaches est mieux géré par Tulle que par Bordeaux-, les collèges...

Mme la présidente.  - Concluez.

M. Daniel Chasseing.  - Les communautés de communes doivent être fondées sur les bassins de vie, plutôt que selon un seuil quantitatif arbitraire.

Egalite et solidarité, tels sont les principes qui doivent nous animer.

M. Alain Duran .  - Élu de l'Ariège, j'affirme après d'autres qu'il est nécessaire de tenir compte des spécificités des territoires ruraux et de montagne. Je regrette que la commission ait choisi le statu quo sur le seuil intercommunal.

L'éloignement des services publics, des zones d'activité, des citoyens, tout cela caractérise les territoires de montagne et coûte cher. Les écoles doivent avoir des effectifs plus réduits qu'ailleurs, par exemple pour ne pas contraindre les élèves à des temps de trajet trop longs. L'intercommunalité doit être adaptée à cette réalité.

Le principe d'égalité des territoires ne suffit pas : les retards s'accumulent en termes de mobilité, d'accès aux soins, de couverture numérique. Je défendrai avec le groupe socialiste les amendements visant à ce que les SRADDT comprennent un volet consacré au désenclavement et à l'offre de services. Les schémas peuvent être un outil de péréquation, leur mise en oeuvre étant laissée sous autorité de proximité. Construisons une vraie solidarité des régions et des territoires ! (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Michel Raison .  - Le Gouvernement a raison...

M. Alain Néri.  - Très bien !

M. Michel Raison.  - ...de vouloir réformer la gouvernance de notre pays. Mais comme il le fait dans une confusion et un désordre inégalés, il risque de manquer sa réforme. J'ai du mal à m'endormir en pensant aux difficultés qu'elle provoque...

M. Alain Néri.  - N'en rajoutez pas !

M. Michel Raison.  - On dit que les frontières régionales, dessinées dans les années 50, sont incohérentes. Et on fusionne les incohérences en les aggravant. De grands penseurs de la haute administration tentent d'exaucer leur vieux rêve : la mort des communes, cette incroyable addition de bénévolats. Les Français savent les compétences de leurs élus communaux, qui n'hésitent pas à tondre les pelouses de la mairie si l'employé municipal est malade...

Le Gouvernement entendait supprimer les départements et les remplacer par des communautés de communes. Comment imaginer que ces dernières pouvaient assurer la solidarité ? Les départements ont déjà du mal...

Je remercie la commission d'avoir supprimer la compétence obligatoire Tourisme que le Gouvernement confiait aux intercommunalités. C'était promouvoir un aménagement administratif. (M. Michel Bouvard confirme) Je vous en prie, madame la ministre, respectez le choix des collectivités locales !

Mme Marylise Lebranchu, ministre.  - Faites confiance aux élus !

M. Michel Raison.  - Notre tourisme décline.

Mme Marylise Lebranchu, ministre.  - Eh oui !

M. Michel Raison.  - Je suis opposé à ce que la DGF soit augmentée quand une communauté de communes prend une compétence. Il y a de l'ironie dans cette disposition à l'heure de la baisse drastique des dotations... Pour qu'une communauté de communes assume correctement une compétence, les élus doivent être convaincus de sa pertinence.

Attention aussi à la diminution du nombre de syndicats intercommunaux : elle n'est pas source d'économies systématiques...

Je suis convaincu que vous m'aurez entendu, madame la ministre ! (Applaudissements à droite)

Mme Delphine Bataille .  - Le Gouvernement veut apporter plus de cohérence et de lisibilité à notre organisation territoriale, en clarifiant la répartition des compétences et en renforçant les régions. Élue du plus grand département de France, qui gère un budget de 4 milliards d'euros, je témoigne du caractère indispensable des départements. N'aggravons pas la fracture entre la métropole et le reste du territoire, alors que le retrait des services publics, dû à la RGPP, fait que certains territoires et leurs habitants se sentent oubliés de la République.

La France n'est pas le seul pays à être doté de plusieurs niveaux de collectivités. Il n'existe pas de modèle unique en Europe. Il n'en est pas moins nécessaire de rationaliser l'action des collectivités tout en favorisant la co-construction. La question de l'égalité républicaine est majeure. L'État, au temps de sa splendeur, répartissait depuis Paris des fonds sur tout le territoire, via les préfectures. C'était un État carcan pour les collectivités, mais qui avait le mérite d'être égalitaire. Si je ne souhaite pas un retour en arrière, je me demande si la décentralisation n'a pas été source d'inégalités... Or les départements proposent une répartition plus équitable de l'argent public, au bénéfice des territoires ruraux.

Le principe d'égalité ne doit pas être le grand oublié de la réforme. Ne nourrissons pas le sentiment d'abandon et les comportements antirépublicains. Nous ne voulons plus de territoires perdus mais plus d'efficacité et plus de justice. Laissons aux acteurs locaux la possibilité d'apporter des solutions innovantes à leurs problèmes, adaptés aux spécificités territoriales. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Didier Marie .  - Pénultième intervenant, je dois saluer votre patience, madame la ministre... La majorité sénatoriale a décrit l'apocalypse territoriale, la fin de la proximité, l'affaiblissement des communes et des départements, la mise sous tutelle de tous par les régions. C'est paradoxal, alors qu'elle a voté entre 2007 et 2012 tant de transferts non compensés, la fin de la taxe professionnelle, la suppression de la clause de compétence générale, la création du conseiller territorial et que certains responsables politiques de son bord veulent supprimer les départements par référendum... (Exclamations à droite)

M. Alain Néri.  - Très bien !

M. Didier Marie.  - Une réforme est nécessaire. Quand le Gouvernement prend le taureau par les cornes, tous les conservateurs se récrient. Le texte est un bon texte car la décentralisation a progressivement créé de la complexité ; elle déroute les citoyens et entretient l'idée d'un millefeuille qui n'en a en fait que quatre.

En Haute-Normandie, dès 2004, nous avons créé 276, l'agrégation de 27 et de 76, pour coopérer et coordonner nos actions en mutualisant nos moyens. Cela préfigurait ce qui nous est proposé aujourd'hui. La région est devenue seule décisionnaire en matière économique. Tourisme, environnement, culture, sport, ports, les compétences ont été spécialisées ou font l'objet de coopérations. À côté du contrat de plan avec l'État, nous avons élaboré un contrat 276 de 1,5 milliard pour l'investissement. Et ça fonctionne !

Le Gouvernement étend cette démarche de coopération à l'ensemble du pays, pour offrir plus de lisibilité aux citoyens et aux entreprises.

M. Alain Fouché.  - Attendez les élections !

M. Didier Marie.  - Le texte consacre le rôle stratégique des régions. Je souhaite qu'elle organise toutes les mobilités et gère donc au moins les routes les plus importantes et tout le bloc Transports des départements. Notre métropole se verra dès 2015 transférer les routes et trois musées départementaux. Ancien président de conseil général, je me réjouis que le Gouvernement ait évolué sur le rôle du département.

Mme la présidente.  - Concluez.

M. Didier Marie.  - Les compétences sociales des départements sont confortées. C'est pourquoi je proposerai que seules les compétences sociales liées au développement économique et au logement soient transférées aux régions.

Je crois à l'intelligence des territoires, à la négociation, au contrat. Je sais d'expérience que cela fonctionne ! (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Bernard Cazeau .  - Nous avons été nombreux à saluer l'évolution du Gouvernement au sujet du rôle des départements. La force des départements ne réside pas seulement dans la proximité, mais aussi dans leur capacité à innover et à créer de l'activité parce qu'ils sont les meilleurs connaisseurs de leur territoire.

La Dordogne et l'Ardèche ont su mettre en valeur leurs trésors d'art pariétal, Lascaux et la Grotte Chauvet ; sans se concerter, ils ont fait face à l'adversité -les exigences de la conservation de leur patrimoine leur interdisait de l'exploiter- et entraîné dans leur sillage leurs régions respectives, l'État, l'Europe. Demain, ils permettront à tous les citoyens de France et du monde de découvrir leurs richesses ; ils vont doubler leur capacité touristique.

La Dordogne a créé un atelier de fac-similé, que je vous invite à visiter, madame la ministre, avec la reproduction au millimètre près de l'art pariétal de Lascaux. Elle fait circuler un élément de fac-similé appelé Lascaux 3, que 800 000 visiteurs ont déjà vu aux États-Unis, au Canada ou à Bruxelles -en attendant Paris.

La commission des lois a bien vu, dans le domaine du tourisme, la nécessité de combiner selon les cas le rôle de gestion du département et le rôle de coordination de la région. Laissons de la souplesse aux collectivités territoriales pour harmoniser leurs actions et reconnaissons les spécificités et le savoir-faire de chacun.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois .  - Je voudrais dégager les quelques questions les plus souvent formulées. Ce matin, madame la ministre, vous vous êtes montrée ouverte. Il serait utile, avant que nous nous séparions pour quelques semaines, que vous répondiez à ces questions.

Les annonces du Premier ministre en avril nous avaient inquiétés. Il nous paraissait contradictoire de doter les régions de compétences stratégiques tout en les grevant de compétences de gestion, avec le risque de créer ainsi des colosses aux pieds d'argile, des organisations aux semelles de plomb. Nous souhaitons de grandes régions dynamiques et d'autres institutions chargées des compétences de proximité -nous n'avons pas trouvé mieux que les départements.

Le 28 octobre, le Premier ministre nous a laissé quelques espoirs. Il a renoncé à la suppression des départements. Il s'est montré ouvert sur la possibilité de transférer aux régions plus de responsabilités en matière d'emploi. Et il s'est dit prêt à travailler avec nous sur les compétences.

Ces espoirs ont été déçus. L'Assemblée nationale n'a tenu aucun compte des apports du Sénat sur le projet de loi relatif à la délimitation des régions, que ce soit l'article liminaire ou la création d'une collectivité unique d'Alsace.

Sur le présent texte, à notre stupéfaction, le Premier ministre a engagé la procédure accélérée. L'Assemblée nationale en pâtira surtout. Attachés au bicamérisme, nous sommes tout aussi attentifs aux conditions de travail de l'Assemblée nationale, et craignons qu'en légiférant dans la précipitation, elle ne rende notre tâche plus ardue... (Sourires)

Les amendements que vous avez déposés ce matin, madame la ministre, réduisent à néant une grande partie du travail de la commission, un travail élaboré par deux co-rapporteurs, un de la majorité et un de l'opposition. La commission recherche le consensus le plus large possible, son texte a été approuvé par de nombreux sénateurs de l'opposition sénatoriale. C'est dire que vos amendements, ont choqué...

Acceptez-vous de vraies mesures de décentralisation en faveur des régions ? Seront-ce des régions cul-de-jatte, ou marcheront-elles sur leurs deux jambes ? En plus de l'économie et de la formation professionnelle, il faut leur confier l'enseignement professionnel, et surtout des responsabilités effectives en matière d'emploi. Si le chômage était bas, la question ne se poserait pas dans les mêmes termes...

Acceptez-vous que les routes, les transports scolaires, les collèges, le sport restent aux départements ? À défaut, les régions seront obèses, incapables de dynamisme...

Acceptez-vous de revenir sur le seuil de 20 000 habitants pour les intercommunalités ? Le critère chiffré, autrefois nécessaire, n'est plus adapté. S'il s'agit de dessiner une nouvelle carte, les intercommunalités créées entre janvier et avril 2014 ne doivent pas être déstabilisés, et de nouveaux critères, non quantitatifs, doivent être trouvés. (Applaudissements au centre et à droite)

M. Bruno Retailleau.  - Bonne synthèse.

M. André Vallini, secrétaire d'État auprès de la ministre de la décentralisation et de la fonction publique, chargé de la réforme territoriale .  - Je veux saluer le travail des rapporteurs au fond et pour avis, ainsi que tous les orateurs de ce riche débat.

Le projet de loi sur le redécoupage des régions et le projet de loi NOTRe ont été présentés le même jour en Conseil des ministres. Ils sont cohérents. Le Parlement a eu le temps de se préparer. Le décalage de ce texte a été demandé par le président Larcher. Il a rendu nécessaire le recours à la procédure accélérée, pour respecter le calendrier électoral, mais cela n'empêchera pas une deuxième lecture.

Ce texte va bien dans le sens de la décentralisation puisqu'il clarifie les compétences. Chacun s'accorde désormais pour reconnaître que la décentralisation est un succès. Mais elle a eu pour effet de multiplier les organismes et les procédures. Il fallait de la clarté, de la compétitivité, de la proximité ; c'est une exigence démocratique. Voici la clarté : aux régions, l'économie ; aux départements, la solidarité ; au bloc communal, les services publics de proximité.

Sur la définition du seuil des intercommunalités, le débat ne fait que commencer et il passe à l'intérieur de chaque groupe. Le seuil de 20 000 habitants correspond souvent à des bassins de vie, mais pas partout. Tantôt, il est trop faible. Tantôt, comme dans les territoires ruraux, il est inaccessible. Je le vois dans mon département montagnard. Le Gouvernement est ouvert aux propositions.

Au risque de décevoir M. Juppé, M. Copé, Mme Pécresse, les départements sont confortés par ce texte. (M. Bruno Retailleau feint d'être frappé au coeur par cette terrible nouvelle)

Les conseils départementaux élus en mars seront confortés dans leur rôle de solidarité. Pour la première fois, c'est inscrit dans une loi.

M. Alain Fouché.  - Cela existe déjà. Il nous a fallu nous battre pour cela.

M. André Vallini, secrétaire d'État.  - Désormais, la loi le reconnaît.

Le président de la République a annoncé qu'il n'y aurait pas de nouveaux impôts. Il fallait d'abord connaître les compétences avant de définir les moyens. Le Premier ministre a annoncé qu'une réforme de la DGF serait élaborée durant l'année 2015 pour être mise en oeuvre au 1er janvier 2016.

Il est souhaitable que les régions soient associées à la politique de l'emploi, qui doit rester cependant une politique nationale. C'est une priorité du Gouvernement. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

Mme Marylise Lebranchu, ministre .  - Je voudrais seulement répondre à MM. Kaltenbach et Dallier, qui ont fait état de leurs craintes sur le Grand Paris.

La mission de préfiguration, prise d'enthousiasme, a décidé de récrire la loi. Pour ma part, comme le président Gaudin, j'estime qu'une loi votée par le Parlement ne saurait être remise en cause qu'à la marge. Un accord est possible pour une application progressive de la réforme. Pas question, à mes yeux, que des conseils territoriaux puissent lever l'impôt, ce qui en ferait des EPCI. Le Sénat lui-même, à une large majorité, a refusé de faire de la métropole un syndicat d'EPCI. Réfléchissons à un lissage de la CFE, dont le taux varie de 5 à 30 %. Cela prendra du temps. Peut-être faut-il garantir des revenus aux territoires pendant une période transitoire. C'est ainsi que nous éviterons la constitution d'une fédération d'EPCI. Les autres métropoles mondiales évoluent.

À Marseille, une récente réunion des syndicats de salariés et d'entrepreneurs a manifesté la volonté que l'on aille vite vers la métropole.

Le mot « confiance » a été abondamment employé. Oui, il faut faire confiance aux élus. Quand un gouvernement dépose un projet de loi, c'est qu'il y croit. Il n'y a donc rien d'anormal à ce qu'il dépose des amendements pour exprimer sa position, qu'il puisse dire devant la représentation nationale ce qu'il voulait. Cela ne clôt pas le débat. Comme le Premier ministre l'a souhaité, nous serons à l'écoute attentive du Sénat.

M. Alain Fouché.  - Et sur les compétences économiques ?

Mme Marylise Lebranchu, ministre.  - Le mariage ANPE et Unedic au sein de Pôle emploi a été difficile. Ce que vous demandez aboutit à un retour en arrière et inquiète les partenaires sociaux, salariés comme patrons. Il est difficile d'avancer sans scinder Pôle emploi. Nous étudierons avec attention votre amendement.

M. Bruno Retailleau.  - Pourquoi pas une expérimentation ?

Prochaine séance aujourd'hui, mercredi 17 décembre 2014, à 14 h 30.

La séance est levée à 1 h 5.

Jean-Luc Dealberto

Directeur des comptes rendus analytiques