Prêts structurés (Procédure accélérée - Deuxième lecture)
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion en deuxième lecture du projet de loi, modifié par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à la sécurisation des contrats de prêts structurés souscrits pas les personnes morales de droit public.
Discussion générale
M. Christian Eckert, secrétaire d'État auprès du ministre des finances et des comptes publics, chargé du budget . - Le Sénat avait adopté ce texte en première lecture le 13 mai dernier. Inutile de rappeler les raisons qui ont amené le Gouvernement à présenter un nouveau dispositif de sécurisation des contrats de prêts structurés après la censure du Conseil constitutionnel. L'Assemblée nationale a adopté conformes les articles 2, 3 et 4 du texte - le dernier, important, prévoit un rapport sur la réforme du taux effectif global auquel le Gouvernement travaille déjà. Toutefois, et c'est ce qui motive cette deuxième lecture, elle a dû modifier l'article premier qui comportait une erreur de référence : il fallait renvoyer à l'article L.313-2 du code de la consommation et non à l'article L.131-1. Le Gouvernement a donc levé l'urgence plutôt que de convoquer une CMP pour examiner ce seul point.
Bravo au rapporteur Germain pour sa nomination au comité d'orientation et de contrôle du fonds de soutien aux CIS en cours de constitution.
J'invite le Sénat à confirmer son vote positif.
M. Jean Germain, rapporteur de la commission des finances . - Le texte, que nous avons adopté le 13 mai dernier, l'a été par l'Assemblée nationale le 10 juillet. Seul l'article premier a été modifié.
En première lecture, j'avais souligné le caractère indispensable et urgent de ce texte après deux jugements relatifs à des CES rendus par le TGI de Nanterre. Le TGI avait fondé son jugement sur un motif formel : l'absence ou l'erreur de TEG sur les documents suffisait à faire appliquer le taux d'intérêt légal. Cela mettrait en péril Dexia, mais aussi le Sfil. Les deux établissements, majoritairement détenus par l'État, devront provisionner 10 milliards. Le risque potentiel pour les finances publiques est de l'ordre de 17 milliards.
J'invite le Sénat à adopter ce texte.
M. Francis Delattre . - Ce texte concerne les prêts toxiques. Toutes les banques ne sont pas concernées ; Dexia l'est, dans lequel l'État détient toujours 44 % des parts. La Sfil, détenue à 75 % par l'État, à 20 % par la Caisse des dépôts et à 5 % par la Banque postale, a repris 90 milliards de crédits de Dexia et se trouverait menacée si le taux des emprunts était modifié par les tribunaux. Le risque, qui se monte à 17 milliards d'euros, dont 9 milliards dès 2014, pèse sur le financement de nos collectivités locales et de notre économie. Voilà le discours du Gouvernement.
En réalité, si l'État ne règle pas la note, les collectivités territoriales devront payer des conditions bancaires franchement indécentes. Au final, les contribuables locaux ou nationaux paieront des égarements dont les responsabilités sont partagées depuis huit ans. Contrôleurs et Cour des comptes ne se sont jamais inquiétés de la capacité des collectivités territoriales à rembourser ces prêts. Les élus devraient être tenus responsables de leurs actes ; les mandats ont passé, le fardeau reste ; en particulier dans les petites communes.
Mme Nathalie Goulet. - Eh oui !
M. Francis Delattre. - Les documents de Dexia d'alors ne mentionnaient pas le risque.
Au fond, le renoncement à des procédures contentieuses pour les collectivités territoriales n'est pas dans leur intérêt. Le fonds de 1,5 milliard sur dix ans créé par la loi de finances rectificative pour 2013 ne suffira pas. La commission d'enquête de l'Assemblée nationale avait estimé en 2011 l'encours de la dette liée à ces produits à 22 milliards... Comme la décision d'accorder l'aide ne sera prise qu'une fois l'accord conclu avec l'établissement de crédit, la méthode s'apparente à celle, bien connue, de la carotte et du bâton.
Nous avons le choix entre valider ce texte peu sûr ou laisser les collectivités négocier individuellement avec les banques, au risque qu'elles soient contraintes d'augmenter leur fiscalité ou de réduire leurs investissements, alors que leurs dotations diminuent.
Devant la complexité de cette situation, le groupe UMP s'abstiendra, ce qui revient à accepter un vote conforme. Il s'interroge toutefois sur la constitutionnalité de ce projet de loi de validation rétroactive.
Les enjeux sont importants pour les finances publiques - plus de 10 milliards d'euros - mais aussi pour les hôpitaux publics qui avaient plutôt intérêt à la négociation individuelle. Où est l'intérêt général ? Est-ce celui de l'État ou des collectivités locales ? Ce sera au Conseil constitutionnel de le dire... (Applaudissements à droite)
Mme Nathalie Goulet . - Tout a été dit sur l'affaire Dexia ; le Sénat, gardien des collectivités territoriales, doit rester attentif. J'ai moi-même interrogé le Gouvernement en mai 2011 et en décembre de la même année. Pour dire la vérité, les chiffres d'aujourd'hui sont bien loin de ceux avancés hier.
La motivation de ce projet de loi est tout autre que celle qui a présidé au sauvetage de Dexia : pour ne pas être ministre des finances, je suis une parlementaire attentive... Ce texte protège les banques qui ont laissé proliférer les produits toxiques en privant les collectivités territoriales de voies de droit, et l'indemnisation est subordonnée à l'existence d'une transaction. Ce sont les contribuables qui paieront en définitive.
Jean Arthuis disait à cette tribune : les collectivités locales ont joué, elles ont perdu, qu'elles paient. Soit, mais certaines petites communes n'avaient pas d'autre choix pour se financer que ces emprunts toxiques et sont pénalisées... Nous ne referons pas l'histoire...
En 2011, lors de l'examen de la loi de finances initiale, j'avais demandé un rapport sur les contentieux en cours à l'époque, pour avoir une vision globale du risque. La rapporteure générale de l'époque, Mme Bricq, avait trouvé mon amendement mal rédigé...
M. Philippe Marini. - Elle est sévère...
Mme Nathalie Goulet. - Elle l'est demeurée ; mais elle est tellement compétente...
Ce texte est déséquilibré et injuste, alors que n'importe quel emprunteur peut saisir les tribunaux pour manquement d'une banque à ses obligations... Ce qui me met aussi en colère - décidément tout le monde est en colère au Sénat aujourd'hui - ce sont les rémunérations des responsables de Dexia, qui ont augmenté de 30 % en décembre 2013 ; 420 000 euros pour le directeur financier, 390 000 euros pour le responsable des risques, ces montants me choquent - même s'il y a eu le décret de juillet et si ces personnes ont un peu revu leurs prétentions à la baisse.
Et puis il y a l'effet d'aubaine potentiel, la validation concernant aussi des contrats qu'on fait souscrire des banques privées, y compris étrangères.
Je comprends que nous sommes dans la seringue, mais je ne suis pas convaincue par ce texte. Certains membres du groupe UDI-UC le voteront, d'autres dont je suis ne le voteront pas. (Applaudissements au centre et à droite)
Mme Marie-France Beaufils . - Dès la première lecture, le groupe CRC avait dit son refus de ce texte, qui revient sur des décisions de justice. C'est faire peu de cas de la séparation des pouvoirs.
Ce projet de loi a peu à voir avec l'intérêt général même s'il présente un intérêt pour le budget de l'État - et pour Dexia, dont la déconfiture, produit de prises de risques inconsidérés, illustre la folie financière de la période. Et ces risques ont été généreusement répartis entre les collectivités territoriales.
C'est un gouvernement de droite qui a fait de la Caecl une société anonyme et privatisé le Crédit local de France en 1996.
Entre 10 et 17 milliards de créances douteuses figureraient à l'actif des banques. L'intérêt général consiste-t-il à imputer cette charge aux collectivités territoriales ? À Trégastel, le maire sortant a renoncé à son mandat après avoir vu celui-ci pollué par les emprunts toxiques ...
Mme Nathalie Goulet. - Je pourrais citer des communes de l'Orne !
Mme Marie-France Beaufils. - La jurisprudence est de plus en plus favorable aux collectivités ; après la Seine-Saint-Denis, Saint-Maur, Lille métropole, Angoulême vient d'avoir gain de cause. Or ce texte frapperait de caducité les procédures engagées alors que le fonds de soutien ne suffira pas. Le problème est en quelque sorte déontologique. Les renégociations sont toujours délicates. Pourquoi la Sfil ne se refinancerait-elle pas auprès de la BCE ? C'est la solution à privilégier. Le bon vieux principe libéral de socialisation des pertes et de privatisation des profits ne doit pas encore prévaloir.
Nous demeurons hostiles à ce texte qui empiète sur le pouvoir judiciaire et menace les finances locales. Les services publics locaux sont en danger : alors que 28 milliards d'euros vont être confisqués aux collectivités territoriales pour financer des cadeaux aux entreprises, plusieurs milliards d'euros d'intérêts indus alourdiront encore la facture.
M. Jean-Claude Requier . - Ce projet de loi n'enthousiasme personne, car nous sommes face à une impasse. La validation législative des contrats priverait les collectivités territoriales d'une voie de recours ; à défaut, le risque pour les finances publiques s'élèverait à 17 milliards d'euros - et devrait être répercuté sur les contribuables. Mais le paiement d'indemnités de paiement anticipé par les collectivités territoriales a aussi un coût pour le contribuable...
Le problème est complexe, les responsabilités partagées. Certaines banques n'ont eu aucun scrupule à faire souscrire à des personnes publiques des contrats farfelus, dont le taux est passé 3 % à 33 % ! Aucune sanction n'a été prise, certains dirigeants ont même quitté leurs fonctions avec de très belles primes... (Mme Nathalie Goulet renchérit) On demande aux banques de contribuer au fonds de soutien, mais le relèvement de la taxe systémique pèsera sur toutes, même celles qui n'ont pas proposé de produits structurés.
Il n'est pas non plus impossible que les élus des grandes collectivités aient cru bon de souscrire ce genre de contrats sans en mesurer les risques, manquant ainsi à leurs responsabilités. Mais les communes qui ne disposaient pas des moyens d'expertise nécessaires ont pu se laisser berner...
Mme Escoffier a souligné en première lecture le risque d'inconstitutionnalité de ce texte ; le Conseil constitutionnel ayant censuré des dispositions de portée trop large, le Gouvernement en a restreint le champ, mais ses arguments ne sont pas totalement convaincants.
Nous nous abstiendrons très majoritairement. (Applaudissements sur les bancs du RDSE)
M. Michel Berson . - Par ce projet de loi, nous poursuivons une tâche ingrate mais nécessaire, consistant à solder quinze ans d'erreurs et de dérives. J'entends dissiper quelques malentendus.
Non, ce texte n'a rien à voir avec la baisse des dotations. Ne mélangeons pas tout ! Mesurons nos propos et faisons preuve de discernement.
Ensuite, nous avons pointé en première lecture l'origine du mal. Le rapport Bartolone de 2011 avait fait l'unanimité et conclu à une responsabilité partagée entre banques, collectivités et État. Cibler un seul acteur du dossier est intellectuellement malhonnête.
Le risque financier se monte à 17 milliards d'euros. Il est inacceptable de dire que ce texte constituerait une loi d'amnistie pour les banques. Depuis que l'État a apporté sa garantie à Dexia, le problème est d'intérêt général. En l'état de nos finances publiques, un risque atteignant 1 % du PIB constitue un motif impérieux d'intérêt général. Contrairement au texte censuré, seules les personnes morales de droit public et seuls les contrats structurés seront désormais concernés.
Il est trop tard pour prendre un autre chemin. À ce projet de loi s'ajoute le fonds de soutien aux collectivités territoriales créé par la loi de finances pour 2013, pourvu d'1,5 milliard d'euros sur quinze ans. Les premières aides doivent être débloquées fin 2014, le calendrier doit être tenu. J'ajoute que l'adoption du texte n'empêchera pas l'engagement de procédures pour un motif autre que le TEG, par exemple le défaut d'information ou de conseil. Les banques financeront désormais le fonds de soutien à hauteur des deux tiers. Pour les hôpitaux, une aide spécifique de 100 millions d'euros sera mise en place.
La responsabilité, c'est aussi préparer l'avenir. Depuis plus d'un an, le Gouvernement veille à la sécurisation et à l'équité des transactions. Le comité d'orientation jouera un rôle essentiel. Les formules d'emprunt ouvertes aux collectivités territoriales seront désormais limitées, pour exclure les produits spéculatifs. Le provisionnement des contrats complexes sera obligatoire, l'information des assemblées améliorée. Enfin, le Gouvernement remettra chaque année un rapport au Parlement.
L'accès au financement des collectivités territoriales est en cours de mutation ; il est plus enthousiasmant que ce que le texte laisse penser. Nous le voterons.
M. Christian Eckert, secrétaire d'État . - Je constate une fois de plus que le Sénat connaît parfaitement ce sujet. Ce qui me frappe, c'est que les acteurs ont changé mais la continuité des structures s'impose. Ainsi des collectivités territoriales, où les majorités ont pu changer depuis la souscription des emprunts.
Ainsi des banques : Dexia a été transformée en structure publique ; et les emprunts toxiques ont été logés dans une structure où l'État est majoritaire et où les autres actionnaires ont demandé la garantie de l'État. Cadeaux aux banques qui se sont engraissées grâce aux emprunts toxiques, madame Beaufils ? Non, c'est une structure publique qui est en cause ! L'État et la Caisse des dépôts et consignations y ont brûlé 3 milliards.
Ainsi des gouvernements...
Les dirigeants fautifs sont partis avec des parachutes dorés conséquents - les contrats avaient été très bien rédigés... De nouveaux dirigeants sont aujourd'hui en place. L'État constatant l'augmentation de leur salaire de 30 %, a obtenu du conseil d'administration qu'elle soit ramenée à 13 %. Souvent, quand des hauts fonctionnaires accèdent à des postes, on veille à ce qu'ils n'y perdent pas...
La loi fixe des principes, le comité d'orientation veillera à leur respect pour définir les modalités d'accès au fonds. Le cas des petites structures ou des hôpitaux devra être traité le plus rapidement possible.
Nous sommes dans la seringue, ce texte nous permettra à peu près d'en sortir. Nous aurons des discussions avec la Sfil pour que cela se fasse le moins mal possible et au moment opportun.
La discussion générale est close.
Discussion des articles
L'article premier est adopté.
ARTICLE ADDITIONNEL APRES L'ARTICLE 3
Mme la présidente. - Amendement n°1, présenté par MM. de Legge et Delattre.
Après l'article 3
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Sont exclus du champ de la présente loi les contrats de prêts et avenants à ceux-ci conclus entre un établissement de crédit et une personne morale de droit public faisant au 23 avril 2014 l'objet d'une procédure judiciaire fondée sur le non-respect des articles L. 313-1 et suivants du code de la consommation.
M. Francis Delattre. - M. de Legge m'a demandé de défendre cet amendement. Il s'interroge sur la notion de motif d'intérêt général suffisant et propose pour cela d'exclure du champ d'application de la loi les contrats de prêts conclus entre les banques et les collectivités faisant l'objet d'une procédure judiciaire engagée avant le 23 avril 2014.
M. Jean Germain, rapporteur. - La commission est défavorable à cet amendement. Le motif impérieux d'intérêt général est constitué. Et l'amendement créerait une rupture d'égalité entre les collectivités territoriales.
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. - Même avis : il y aurait en effet rupture d'égalité entre les collectivités qui auraient engagé une procédure sur le fondement du TEG et les autres. Il serait dangereux d'introduire dans le texte un motif avéré d'inconstitutionnalité...
M. Francis Delattre. - Le débat n'était pas inutile mais l'argument de l'égalité entre collectivités est juste. Le Conseil constitutionnel verra que sa jurisprudence imprègne nos décisions.
L'amendement n°1 est retiré.
Intervention sur l'ensemble
M. André Reichardt . - Je voterai contre ce projet de loi, comme en première lecture, par orthodoxie juridique d'abord - le docteur en droit que je suis n'accepte pas la validation législative - et parce qu'il prive les collectivités territoriales du principal moyen de renégocier leur emprunt.
L'ensemble du projet de loi est définitivement adopté.