Délimitation des régions (Procédure accélérée - Suite)
M. le président. - Nous poursuivons l'examen du projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral.
Rappel au Règlement
M. Jacques Mézard . - M. le ministre nous a indiqué avec beaucoup de conviction et je ne doute nullement de sa sincérité, que dans les départements à faible démographie, les services de l'État seraient renforcés. Or le préfet du Cantal vient de m'informer de la fermeture d'une gendarmerie excentrée, sous le prétexte étrange que les implantations ne pouvaient être fondées sur des raisons « historiques » ni « figées » dans une société de mobilité.
M. André Reichardt. - Ce n'est pas bien !
M. Jacques Mézard. - Cela commence mal, en effet, le cas n'est pas isolé. M. Christian Bourquin vient d'être saisi de la fermeture de la caserne de CRS de Carcassonne. J'entends qu'il faut mieux d'État, et pas forcément plus d'État. Mais on ne peut continuer à abandonner des intercommunalités extrêmement fragilisées et à laisser des habitants âgés, pour ne pas dire extrêmement âgés, à un sentiment d'insécurité croissant. Je vous demande de mettre vos actes en cohérence avec vos propos !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. - En dix ans, 17 520 postes de gendarmes et de policiers ont été supprimés ; depuis 2012, nous avons mis fin à l'hémorragie et créé 500 postes par an.
Une réorganisation des brigades est en cours dans certains départements ruraux : en raison du faible nombre de gendarmes par brigade, il était devenu impossible d'assurer une permanence 24 heures sur 24. Le redéploiement s'effectue sans baisse d'effectifs. Alors que les cambriolages étaient en hausse de 40 %, ils ont baissé de 6,7 % depuis que cette stratégie est en place.
Discussion des articles (Suite)
ARTICLE PREMIER
Mme Fabienne Keller . - (L'oratrice monte à la tribune) Le Gouvernement fait référence, pour redécouper les régions, aux rapports du comité Balladur et de la mission Raffarin-Krattinger. Il n'en reprend nullement les conclusions. Il n'est question ici ni d'un redécoupage cohérent ni de nouvelles compétences pour les régions, mais seulement d'en réduire le nombre. Pour paraphraser Alfred de Musset, qu'importent les régions pourvu qu'on ait la baisse. (On apprécie sur divers bancs)
Dans l'étude d'impact, aucune analyse sur les convergences économiques, les flux d'échanges, les coopérations universitaires ou culturelles... À défaut d'un mariage d'amour, le Gouvernement ne nous donne pas les raisons d'accepter un mariage... de raison.
Mme Catherine Procaccia. - Joli !
Mme Fabienne Keller. - La seule et unique page de l'étude d'impact qui évoque la fusion de l'Alsace et de la Lorraine nous apprend que ce sont deux régions frontalières.
M. André Reichardt. - Pas faux !
Mme Fabienne Keller. - L'argument est bien faible... À ce compte-là, fusionnons Rhône-Alpes et Provence-Alpes-Côte d'Azur...
M. Jacques Mézard. - Ah non !
M. Michel Boutant. - Et la Corse avec la Bretagne !
Mme Fabienne Keller. - Quelques régions ont la chance de ne subir aucun redécoupage. C'est ce que nous défendons pour l'Alsace. Comme la Corse ou la Bretagne, l'Alsace est dotée d'une identité forte, et d'un droit local. Les habitants y ont à la fois le sentiment d'être pleinement Alsaciens et Français.
Pascal disait : « Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà ». Que je sache, nous sommes tous du même côté des Pyrénées, et la même vérité doit s'appliquer partout.
Reste la question de la capitale régionale.
M. le président. - Veuillez conclure !
Mme Fabienne Keller. - Strasbourg est la métropole du nord-est : son statut doit être préservé.
Une réforme est nécessaire...
M. le président. - Votre temps de parole est épuisé.
Mme Fabienne Keller. - ... mais pas celle-ci. (Applaudissements sur les bancs UMP)
M. le président. - Je suis ravi de vous accueillir à la tribune. Pour une parole sur l'article, vous pouvez toutefois vous exprimer depuis l'hémicycle.
M. Yves Pozzo di Borgo . - Le Gouvernement dit vouloir des régions plus fortes et compétitives, semblables aux grandes régions européennes et mondiales. Or une seule région est apte à affronter la compétition mondiale, l'Île-de-France. La loi du 3 juin 2010 sur le Grand Paris a constitué un premier pas pour la conforter. Celle du 27 janvier 2014 n'a pas tranché la question des frontières à la métropole : doit-elle inclure l'Île-de-France tout entière ?
L'Île-de-France représente plus d'un quart de nos exportations. Au carrefour des échanges européens, elle contribue pour 28 % du PIB français, dont 22 % seulement utilisés par les Franciliens.
Le XXIe siècle sera celui de la métropolisation. Accompagnons l'Île-de-France pour qu'elle reste dans la compétition mondiale. Il lui manque une ouverture vers la mer, alors que 80 % des marchandises transitent par la voie maritime.
Les ports du Havre et de Rouen ont déjà constitué avec Paris un ensemble portuaire de premier ordre : il a été reconnu meilleur port européen cette année.
M. le président. - Concluez !
M. Yves Pozzo di Borgo. - Quelle pourra être la stratégie économique du président d'Île-de-France, s'il ne contrôle pas sa façade maritime ?
M. le président. - Encore une fois, concluez !
M. Yves Pozzo di Borgo. - Je voulais vous soumettre ces réflexions. Merci, monsieur le président, pour ces quelques minutes supplémentaires.
M. le président. - Pour mettre fin au suspense, je vous indique que nous suspendrons la séance à 17 h 45.
M. Jacques Mézard. - On suspend pour le football, mais pas pour une motion référendaire ! Quelle image donnons-nous ?
M. le président. - Chaque orateur dispose de cinq minutes de temps de parole, il n'y a pas de temps additionnel...
M. André Reichardt . - Notre organisation territoriale est perçue comme un millefeuille peu lisible, voire un frein à la croissance. Si une réforme est indispensable, ne perdons pas de vue l'objectif principal. Parlons de compétences, de leviers pour la croissance et l'emploi avant d'aborder le périmètre. (On approuve à droite) Nos concitoyens doivent s'approprier leurs collectivités territoriales et savoir à quoi elles correspondent. Il faut réformer l'État autant que les collectivités.
Nous avions l'occasion d'un débat de fond sur les compétences, les pouvoirs réglementaires, les moyens. Mais le Gouvernement voulait boucler rapidement une première loi sur le report d'élections perdues d'avance...
Après la valse-hésitation sur le sort des départements et de la clause de compétence générale (CCG), sur le mode de désignation des élus, nous aurions dû, à tout le moins, éviter ces petits arrangements sur les frontières.
Une réforme territoriale doit être concertée. Bien sûr, il y aura toujours des résistances ; toutefois, l'impréparation de ce texte justifie toutes les critiques. Le Gouvernement, comme nous le disons en Alsace, nous demande d'acheter le chat dans le sac. Mieux vaut supprimer l'article premier.
M. Jean-Pierre Raffarin . - Girondin, je suis perplexe devant cet article premier : il comporte de très bonnes choses, et me pose problème.
Une réforme est nécessaire, faute de quoi la décentralisation mourra. Les collectivités territoriales doivent participer à l'effort collectif. Je n'ai rien, bien au contraire, contre de grandes régions, dotées de vraies compétences et de moyens. Je le note avec satisfaction, ni le Gouvernement, ni le groupe socialiste ne sont hostiles à une grande région Aquitaine.
Cela dit, de grandes régions doivent s'accompagner d'un échelon de proximité, le département. La question des compétences doit aussi être traitée.
La nouvelle carte ne doit pas donner le sentiment d'être le fruit d'un arrangement de notables. Le public attend d'être consulté. Sur ce point, pour une fois, j'étais d'accord avec M. Dantec. Prenons le temps de la réflexion : si le Poitou-Charentes rejoint l'Aquitaine, que deviendra le Centre ?
Mme Jacqueline Gourault. - Merci de vous en souvenir.
M. Jean-Pierre Raffarin. - Il faut donner de la légitimité à notre décision.
Nous sommes prêts, comme nous l'avons fait avec M. Krattinger, comme nous l'avons fait avec M. Hyest, à trouver un consensus sur une carte d'ici l'automne, pour la deuxième lecture. Je voterai le rejet de l'article mais je reste ouvert. (Applaudissements sur les bancs UMP)
M. René-Paul Savary . - À force de discuter, nous commençons à y voir un peu plus clair. Nous venons de célébrer le bicentenaire de la bataille de France de 1814, à Marchais en Brie, à proximité de Montmirail, entre l'Aisne et la Marne. Nous sommes à trois quarts d'heures de Paris et, demain, on nous dira que notre métropole régionale c'est Strasbourg ou Nancy ? Mais le Gouvernement a finalement décidé de joindre la Champagne-Ardenne à la Picardie. Nous avons avec celle-ci une académie commune, et avec la Lorraine un pôle de compétitivité : j'ai donc proposé un regroupement Aisne-Champagne-Ardenne-Lorraine, préservant la spécificité alsacienne.
Hier, j'ai bassiné l'assemblée avec les transferts d'emploi ; M. Cazeneuve a reconnu qu'il y en aurait ; M. Vallini a dit le contraire ce matin. Accordez vos violons !
Tant que nous ignorons les compétences de ces futures régions, nous avançons à l'aveuglette. Peut-être pourrions-nous nous entendre à l'automne ; en tout état de cause, la carte doit venir de la base : c'est ainsi que je conçois la décentralisation. (Applaudissements à droite)
M. François Grosdidier . - La situation est proprement ubuesque. Même ceux qui acceptent de grandes régions refusent la fin annoncée des départements.
Comme pour la TVA sociale ou l'écotaxe, vous avez commencé par défaire ce que nous avions fait avec le conseiller territorial avant d'essayer de faire la même chose, en moins bien dans la contradiction et, donc, l'incompréhension.
Supprimer tout échelon entre la région et l'intercommunalité est une erreur. L'idée que la compétition internationale impose de grandes régions est superficielle. Le Land de Sarre, avec un million d'habitants mais en concentrant des compétences et des budgets du département, de la région et pour une part de l'État central, a des moyens d'action supérieurs aux nôtres ! Regardez le Luxembourg : un tiers de la superficie de notre département et pourtant si puissant !
M. Jacques Chiron. - C'est un paradis fiscal !
M. François Grosdidier. - La dilution des moyens dans de grandes régions fera perdre en efficacité. Les technocrates oublient l'histoire et la géographie : la densité de notre population est bien plus faible qu'en Allemagne.
En quelques heures, des régions entières ont vu leur destin basculer. Mmes Royal et Aubry se sont fait entendre, non M. Ayrault, tombé en disgrâce... La raison commande de rejeter cet article premier.
M. Jacques Mézard . - Nous nous sommes retrouvés dans les propos du Premier ministre Raffarin. Les sénateurs, dans leur grande majorité, partagent des objectifs communs. Ce sont vos méthodes qui nous heurtent. La vision des médias parisiens selon qui « UMP, radicaux et communistes sabordent la réforme » est boboïste et technocratique. Paris n'est pas la France, Paris n'est plus la France.
Vous n'avez pas répondu hier à nos questions, monsieur le ministre, et je vous en sais gré, car vous n'avez pas voulu nous tromper en nous faisant de fausses promesses : le Gouvernement accepte-t-il que la carte évolue ? Pourquoi MM. Hollande et Valls ont-ils changé brutalement de pied après le discours de Tulle du 19 janvier ? Quelle est la position réelle du Gouvernement sur l'évolution de la carte ? Les départements auront-ils la possibilité d'opter ? Imagine-t-on de modifier le système électoral ? Le régime actuel, appliqué à de grandes régions, éliminera les sensibilités politiques minoritaires et signifiera l'entrée en force de l'extrême droite. Êtes-vous prêt à l'assumer ? Acceptez-vous mon amendement garantissant un nombre minimal de conseillers régionaux ?
Quant à l'amendement socialiste sur les conseils départementaux, est-ce une manière de préparer les sénatoriales ?
M. Didier Guillaume. - C'est aimable...
M. Jacques Mézard. - Je le soutiens, mais puisqu'il a été qualifié d'amendement d'appel, nous attendons une réponse du Gouvernement.
M. Didier Guillaume. - D'accord.
M. Jacques Mézard. - Dévitaliserez-vous les conseils départementaux ? Quid du personnel des départements ?
Nous sommes prêts à discuter, à condition que vous en ayez la volonté. (Applaudissements sur les bancs du RDSE et de l'UMP)
M. Christian Bourquin . - Suspendre pour regarder le foot, ce n'est peut-être pas donner une excellente image du Sénat...
M. le président. - Je n'ai fait aucun communiqué sur l'événement dont vous parlez.
M. Christian Bourquin. - Ce n'est pas vous que je visais, monsieur le président...
Nos décisions doivent être légitimes. On commence enfin à prendre conscience que le sort des conseils généraux ne peut pas être le même en milieu urbain et rural.
Où s'arrête le rural ? Quel rural d'ailleurs ? Celui où broutent les vaches ou celui des résidences secondaires ?
La référence aux régions européennes ? Il y a de petites régions en Espagne, en Italie...
M. André Reichardt. - En Allemagne.
M. Christian Bourquin. - Nous ne parlons que des grosses, mais il y a aussi de la place pour les petites ; c'est la vie, c'est notre vie. Que dire du personnel ? Le réveil risque d'être douloureux... Bref, nous avançons. Le travail qui s'accomplit ici, du groupe CRC à l'UMP, en passant par le RDSE, est important. D'ailleurs, il ne s'agit pas ici de partis politiques, mais de sénateurs réformateurs.
Il y a le feu en Languedoc-Roussillon. Cinquante-six pour cent des habitants de la région me suivent. Si 30 000 nouvelles entreprises s'installent chaque année dans ma région, ce n'est pas un hasard.
M. le président. - Veuillez conclure !
M. Christian Bourquin. - Place aux régions de taille moyenne, au Languedoc-Roussillon. (Applaudissements sur les bancs du RDSE et plusieurs bancs au centre et à droite)
M. Éric Doligé . - Hier, le FMI a réduit l'hypothèse de croissance de la France à 0,7 %. Cela doit nous interpeller : cette réforme débouchera-t-elle sur des économies ? Les transferts de personnels coûteront au bas mot 20 millions d'euros, selon M. Vallini. Pour nous, il faut ajouter au moins un zéro. Si vous avez des données chiffrées, donnez-les nous ! Les départements jouaient un grand rôle dans l'activité du BTP. Que se passera-t-il demain ?
Nous avons tous besoin d'une carte mais nous ne pouvons la dessiner aujourd'hui. Au hasard, je regarde le Centre... La nouvelle région, 600 kilomètres d'un point à un autre avec en tout et pour tout 150 élus, contre 50 élus par département actuellement.
Nous avons entendu hier des sénateurs de la région Pays de la Loire - qui veulent rejoindre non le Centre mais la Bretagne... Allons-nous réussir à nous mettre d'accord sur une carte sur le dos des absents dans les 48 heures qui nous restent? Mme Gourault suggérait de faire une grande région Ouest, rassemblant le Centre, Pays de la Loire et Bretagne. Pourquoi pas ?
M. Jean-Pierre Sueur. - C'est trop grand !
M. Éric Doligé. - Il est impossible de fixer le tableau au shaker, dans ces délais. Nous ne sommes pas à trois mois près, donnons-nous le temps de bâtir une carte qui satisfera les citoyens, les entreprises, les fonctionnaires et les élus. Un peu de patience et vous aurez un beau texte !
M. Jean-Claude Lenoir . - Je voudrais relever un paradoxe et dénoncer une contre-vérité. Le paradoxe d'abord : nous voulons tous une réforme territoriale. Mais dès lors que vous effaciez les conseils généraux, il fallait s'en tenir à des circonscriptions correspondant au principe posé par Condorcet en 1788 : une journée pour se rendre d'un bout à l'autre.
La contre-vérité, elle est dans la presse : personne ne peut être accusé ici de vouloir rallonger les débats. (Exclamations à gauche) Ceux-ci se déroulent dans le cadre prévu par la Conférence des présidents, il y a quinze jours. Je regrette d'ailleurs que certains membres de notre assemblée soutiennent cela à l'extérieur.
Imaginons que ce texte soit voté d'ici fin juillet ; le Conseil constitutionnel le censurerait immanquablement, le deuxième train - le projet de loi sur les compétences - ne passant qu'après coup, alors qu'il justifie seul le report des élections régionales et départementales.
Le temps nous est profitable, le débat est utile ; M. Jean-Pierre Raffarin vous tend la main, il est sincère. Ne refusez pas de la prendre ! (Applaudissements à droite)
M. Philippe Bas . - Nous sommes tout disposés à coopérer... Cependant, il n'est pas de bonne méthode de légiférer d'autorité, sans concertation aucune. Si nous redécoupons les régions à la hussarde, il n'y aura pas dans celles-ci l'indispensable affectio societatis... Des précédents existent, la coopération intercommunale, par exemple : le préfet valide les propositions qui lui sont faites ; quand il n'y en a pas, il prend ses responsabilités et il tranche. Nous vous demandons de faire la même chose et de donner sa chance au dialogue.
La taille des régions dépend des missions qui leur sont confiées : grandes, si elles portent un projet économique et d'infrastructures ; petites, si elles doivent compter des bataillons de cantonniers pour entretenir les routes et gérer les collèges, les services publics de proximité sont mieux gérés ainsi... De grâce, cherchons d'abord à réduire les désaccords, prévoyons une concertation comme vous voulez le faire, du reste, pour le choix du chef-lieu à l'article 2. Si vous aviez eu ce chic, combien il nous eût été difficile de résister... (Applaudissements sur les bancs UMP)
M. Christian Favier . - Mon intervention vaudra aussi pour la défense de l'amendement de suppression n°105.
Cet article premier est le coeur du projet de loi. Ses objectifs, si on lit bien l'exposé des motifs, sont d'abord d'adapter notre pays à une Europe fédérale et libérale ; de faire ensuite des économies, qui sont plus postulées que démontrées - on peut au contraire craindre un surcoût... Pour le rapporteur, un nombre réduit de régions serait un gage de puissance et d'efficacité dans la compétition européenne et mondiale. Rien ne vient étayer ces allégations... La fusion de deux régions pauvres fait-elle une région riche et puissante ? On renvoie à l'Allemagne, or c'est un État fédéral, dont l'unité est récente.
Quelle puissance attendre des régions ? Et au service de quels objectifs ? Pour répondre à quels besoins, pour réduire quelles inégalités ? On risque de les transformer en monstres technocratiques, moins efficaces et moins réactives que les départements. Est-ce vraiment ainsi que vous entendez répondre aux attentes des électeurs ?
Aussi proposons-nous de supprimer cet article premier, imposé sans concertation et sans étude d'impact. Qu'au moins nous ayons examiné le texte sur les compétences avant de décider des périmètres. (Applaudissements sur les bancs CRC)
M. Louis Pinton . - Nous avons mal posé le sujet. Les citoyens, les élus ressentent un trouble devant l'action publique territoriale, le gouvernement précédent avait tenté de l'apaiser avec le conseiller territorial, mais la solution n'était pas aboutie.
Où est le coeur du problème ? Pour moi, il se situe dans la relation entre les départements et les régions. Tant qu'on ne l'aura pas résolu, proposer des traitements parcellaires fera beaucoup de dégâts. Les territoires ruraux souffriront, c'est inévitable, si nous ne prenons pas le temps du débat. Forcer la marche serait dévastateur pour eux ! Prenons le temps de la réflexion, nous conjuguerons ainsi la puissance et la proximité, dans une République qui plonge ses racines dans une longue histoire.
M. Philippe Dallier . - L'article premier semble promis à un sort funeste. La presse, l'Assemblée nationale vilipendent déjà le Sénat, accusé de conservatisme.
M. Roger Karoutchi. - Comme d'habitude !
M. Philippe Dallier. - Il rend pourtant service au Gouvernement en lui donnant du temps, comme il l'a fait il y a un an lors de la loi Métropole, sur le Grand Paris. En rendant une page blanche, la Haute Assemblée a fait avancer la réflexion : le Gouvernement est revenu de l'Assemblée nationale avec une autre proposition qui, sans être parfaite, était meilleure. Nous l'avons amendée et adoptée. (M. Jean-Pierre Caffet s'exclame) Ce n'était pas écrit d'avance !
Ce texte-ci est encore plus important ; nous travaillons, à tout le moins, sur une carte qui vaudra pour des dizaines d'années. On ne peut décemment la faire avant d'avoir défini les compétences ! Où est l'urgence ? Que le Gouvernement saisisse l'occasion que lui donne le Sénat pour revenir à l'automne avec une nouvelle copie. Alors tout sera sur la table, les compétences, les moyens et les périmètres. (Applaudissements à droite)
M. Ronan Dantec . - Laissons du temps au temps, effectivement. En toute immodestie, nous avions fait une proposition qui aurait mérité d'être débattue. Je vois les opinions changer en Bretagne et en Pays de la Loire, les choses bougent. Une main tendue ? D'accord, à condition que nous soyons tous d'accord sur la règle du jeu : des régions plus grandes et un travail sur la boîte à outils à transmettre à l'Assemblée nationale. En cas de désaccord, le Gouvernement devra trancher. Si l'on aboutit à une telle solution, le Sénat, chambre des collectivités territoriales, aura joué son rôle. Il serait dommage qu'il ne puisse se prononcer sur un tel texte.
M. Gérard Roche . - On nous propose une course en montagne, où les sommets sont fort nébuleux - le silence est assourdissant sur les communes et sur les moyens financiers. Avec qui part-on ? L'Assemblée des départements de France refuse la disparition des conseils généraux à l'horizon 2020, prévue à l'article 12, et ne compte pas se laisser faire... Et nous commençons l'ascension sans aucune préparation...
C'est un cas de conscience pour chacun d'entre nous. Nous sommes élus par les grands électeurs. Ils sont inquiets, tout autant que nous. Comprendront-ils que nous envoyions une coquille vide à l'Assemblée nationale ? Dans sa majorité, le groupe UDI-UC souhaite poursuivre le débat et votera donc contre la suppression de l'article premier.
Mme Marie-Noëlle Lienemann . - Avec l'engagement n°54, François Hollande donnait le cap de la réorganisation territoriale : renforcement de l'autonomie, clarification des compétences et maintien des dotations. (On ironise à droite) Il le disait encore lors des états généraux de la démocratie territoriale. Mieux vaut faire des réformes annoncées, et si on les fait, mieux vaut rassembler d'abord la majorité et ensuite les Français.
Pourquoi faudrait-il être gros pour être compétitif ? La région de Hambourg, la deuxième plus dynamique d'Allemagne, ne compte que 1,8 million d'habitants. Des économies ? La seule étude existante porte sur la fusion de la Haute-Normandie et de la Basse-Normandie : les économies ne commenceraient qu'au bout de neuf ans et ne représenteraient que 0,3 à 0,5 % des frais de fonctionnement. Elle entraînerait, si Rouen était capitale, le transfert de 4 000 emplois depuis Caen. Imaginez ce que cela signifie en termes d'aménagement du territoire !
M. Jean-Claude Lenoir. - Mais Caen resterait capitale !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. - J'ai des doutes sur les régions mais j'ai la certitude que le département est un échelon pertinent pour les politiques de solidarité et la péréquation entre l'urbain et le rural. (« Très bien ! » à droite)
M. le président. - Veuillez conclure...
Mme Marie-Noëlle Lienemann. - Cette réforme n'est pas prioritaire. Le problème, c'est le désengagement de l'État, pour preuve la politique du logement. (Marques d'approbation à droite et sur les bancs du groupe CRC)
M. Didier Guillaume . - Débat intéressant : on parle une fois du texte, une autre du contexte, ou encore d'un texte qui n'existe pas... Les interventions sur l'article premier s'apparentent à une nouvelle discussion générale : on y parle de tout. Il faut tout de même que nous trouvions une solution... Le Gouvernement nous propose un texte ; c'est le premier depuis 30 ans de cette ampleur.
M. François Grosdidier. - Et le conseiller territorial ?
M. Didier Guillaume. - Il ne faisait jamais que fusionner le département et la région... (On le nie vivement à droite)
M. Raffarin nous a tendu la main. Pourquoi n'arriverions-nous pas à dessiner une nouvelle carte ? Nous sommes à peu près tous d'accord pour dire que nous avons besoin de grandes régions. Droite et gauche ne veulent pas de la suppression pure et simple des départements.
M. François Grosdidier. - Valls veut les supprimer !
M. Didier Guillaume. - Si vous aviez assisté à la séance de questions au Gouvernement hier, monsieur Grosdidier, vous auriez entendu M. Valls dire sa volonté de préserver les zones rurales.
M. François Grosdidier. - Il dit tout et son contraire !
M. Didier Guillaume. - Honnêtement, monsieur Dallier, croyez-vous que beaucoup de sénateurs, en cette année de renouvellement, travailleront en août et septembre sur la carte des régions ? Nous avons le temps, suspendons la séance dès à présent pour réunir la commission spéciale et examiner si nous pouvons nous rassembler sur un socle commun, grandes régions, maintien des départements en zone rurale, droit d'option...
Mme Isabelle Debré . - M. le Premier ministre Raffarin vous a tendu la main en vous proposant d'écouter les élus de la base pour établir la carte, non pas de réunir la commission spéciale dans une petite pièce pour dessiner entre nous la nouvelle organisation !
M. Bernard Cazeneuve, ministre . - Ce matin, on débattait du bien-fondé de la réforme. En début d'après-midi, on nous demande du temps. Dans trois heures, nous parviendrons peut-être à travailler...
On nous reproche de trop attendre, puis d'agir dans la précipitation... On nous demande des réformes, mais ce ne sont jamais les bonnes... Nous avons décidé de réformer, de proposer au Parlement un texte qui transformera le pays. Je suis prêt, je l'ai dit, à accepter des amendements venant de tous les bancs.
À vous entendre, pour avoir une bonne carte, il faudrait la supprimer. Discutons plutôt, de manière à l'améliorer. Les réorganisations territoriales sont toujours difficiles : il y a autant d'avis que d'élus dans les territoires. J'en ai beaucoup reçu ces dernières semaines : ils sont nombreux à approuver le projet du Gouvernement, sans oser le dire, et m'enjoignent de ne pas céder aux parlementaires de leur territoire...
M. Éric Doligé. - Des gens de gauche, certainement !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. - Non, de droite ! J'ai des noms, je les donnerai à mes bons amis, monsieur Lenoir.
M. René-Paul Savary. - Quelle mesquinerie !
M. Jean-Claude Lenoir. - Il n'y a qu'une seule région à droite !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. - Monsieur Mézard, je répondrai avec précision à vos questions. L'objectif est de ne pas sortir du débat avec plus de régions que proposé ; cela étant dit, le Gouvernement est ouvert à une évolution de la carte. Il n'a pas souhaité accompagner la réorganisation régionale d'un droit d'option pour les départements car cela aurait été ajouter de la complexité à la complexité. Nous sommes toutefois ouverts au débat sur ce sujet, si tant est que l'article premier ne soit pas supprimé...
Le plafond d'élus par région, la représentation des petits départements dans les grandes régions ? Sur le premier point, le rapporteur a fait des propositions ; sur le second, l'article 7 donne des garanties. Je le répète, je suis ouvert à la discussion.
Il n'est pas question de la suppression des départements dans ce texte. (On s'exclame à droite) Non, nous voulons des intercommunalités fortes, un renforcement de l'administration déconcentrée de l'État. La suppression des départements n'est envisagée qu'à l'horizon 2020 si l'architecture territoriale permet de le faire sans préjudice de la solidarité et de la proximité. Nous avons six ans pour en parler. Vous demandez du temps, nous vous le donnons. Que faut-il faire de plus pour vous satisfaire ? Comment prouver notre bonne foi ?
La question des économies et des fonctionnaires est lancinante. On a supprimé beaucoup de fonctionnaires ces dernières années...
M. François Grosdidier. - Nous l'assumons !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. - À aucun moment, vous ne vous êtes émus des conséquences sur les services publics, sur la solidarité, sur la proximité, sur les territoires ! Sur le moral des fonctionnaires !
M. Philippe Kaltenbach. - Dix mille policiers ! Et les écoles !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. - Et voilà que vous vous convertissez à la câlinothérapie envers les fonctionnaires des collectivités locales... Soyons sérieux : si nous fusionnons des régions et si nous rassemblons les fonctions ressources humaines - pour faire les économies que vous réclamez, mais nous n'en faisons jamais assez, et jamais là où il faut ! - les fonctions financières, les fonctions de support, si nous transférons les collèges et les routes aux régions, nous leur permettrons de mutualiser la politique d'achats. Au niveau de l'État, ces mutualisations ont dégagé 2,5 milliards d'euros d'économie ! Ces économies de fonctionnement sont nécessaires pour dégager des marges de manoeuvre afin que les collectivités locales puissent investir. C'est ce que vous réclamiez il y a peu ! Les Français ne comprennent pas ces revirements... La vie politique française s'y épuise. Il n'y aura point de croissance sans économies de fonctionnement.
L'État n'est pas obligé de mettre tous les services publics dans la capitale de région : il n'y a pas de contradiction entre modernité et proximité. Soyons créatifs, au lieu d'attiser les peurs !
Beaucoup de sénateurs ont évoqué la question des territoires ruraux, leur peur du décrochage. Mais le décrochage ne date pas d'hier ! Cela fait des années que les services publics ont quitté les territoires ruraux, que ceux-ci sont relégués, pénalisés par les effets de la RGPP.
Mme Fabienne Keller. - Cela va s'aggraver !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. - Non, si nous menons la bonne politique. Nous ne recentralisons pas, nous déployons l'administration déconcentrée sur les territoires pour plus de proximité. Et il y a nécessité de clarifier les compétences des collectivités territoriales pour que celles-ci se déploient sur le terrain dans la proximité.
On ne réforme pas un pays en agitant les peurs. Soyons dans la sincérité, dans l'engagement, dans la sincérité du dialogue, prenez le Gouvernement au mot au lieu de lui faire des procès d'intention.
M. Éric Doligé. - Qu'il nous prenne au mot aussi !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. - Voilà ce que le Gouvernement avait à dire à la représentation nationale, avec respect et détermination. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. le président. - Amendement n°37 rectifié ter, présenté par M. Husson, Mme Sittler, MM. Poncelet, de Legge et Pinton, Mme Cayeux, MM. Leleux, Milon, Retailleau, B. Fournier, Houel et Delattre, Mmes Bruguière, Mélot et Troendlé, MM. Bas, Revet, Reichardt, Cardoux, Gaillard, Gilles, Mayet, Savary et Lefèvre, Mme Boog, MM. du Luart et Grignon, Mme Deroche, MM. Marini, J.P. Fournier et G. Bailly, Mlle Joissains et M. G. Larcher.
Supprimer cet article.
M. René-Paul Savary. - L'heure de vérité a sonné... M. Raffarin vous a tendu la main, vous l'avez rejetée.
M. Michel Delebarre, rapporteur. - Oh !
M. René-Paul Savary. - Parfaitement. Les propos du ministre n'ont rien changé. Nous prétendons que la carte soit la conséquence de la répartition des moyens et des compétences. Aucune garantie n'est apportée sur le département, aucune avancée sur la taille des intercommunalités.
Les économies ? Faire des appels d'offre plus importants pour les transports scolaires ou le déneigement va pénaliser les petites entreprises locales. L'achat groupé ne dégage que des économies minimes - et peut toujours le faire dans le cadre actuel !
Le Sénat est dans son rôle en s'opposant à cet article. Il faut définir les compétences, les moyens, la fiscalité, pour pouvoir prendre des décisions. Nous attendons la deuxième lecture, et surtout le prochain projet de loi.
M. le président. - Amendement identique n°53 rectifié ter, présenté par MM. Doligé, Dubois et Amoudry.
M. Éric Doligé. - M. le ministre a raison : il n'est pas explicité à l'article 12 que les départements vont disparaître. Le problème c'est que le président de la République a tout de même dit que les départements ont vécu et devront disparaître à l'horizon 2020. Ne fallait-il pas en tenir compte ? Subliminalement, nous avons entendu le chef de l'État et sa parole vaut plus à nos yeux que celle de ses ministres...
Trois départements, le 28, le 41 et le 45 se sont regroupés depuis plus d'un an sur vingt thèmes dont les achats. Notre centrale d'achats commune permet de faire 15 % d'économies, 45 millions d'euros, avec un potentiel d'achat de un milliard.
Prenez-nous au mot, nous vous tendons la main. Nous pouvons élaborer une carte d'ici l'automne. Vous n'avez été guère applaudi dans vos rangs, j'en suis désolé pour vous. La majorité ne vous suit pas. Vous aurez un bon texte si vous acceptez de nous suivre. (Applaudissements sur les bancs UMP)
M. Bernard Cazeneuve, ministre. - Trois applaudissements !
M. Éric Doligé. - Les meilleurs ! (Sourires)
M. le président. - Amendement identique n°105, présenté par M. Favier et les membres du groupe CRC.
Mme Éliane Assassi. - Aucun dogme ne préside à notre position. Nous sommes disponibles pour réformer, rien de plus normal. Mais posons-nous les bonnes questions : réformer pour faire quoi ? Au service de qui ? Quelles économies ? La carte des régions n'épuise pas le sujet, loin de là. Or nous n'avons pas obtenu de réponses sur les compétences, les moyens, etc.
Je reconnais votre talent, monsieur le ministre, le projet de loi ne supprime pas les départements, dites-vous. Certes, mais lisez donc la fameuse étude d'impact, page 30 : « Le Gouvernement met en place les conditions nécessaires à la suppression des départements ». La preuve est faite !
M. Michel Delebarre, rapporteur. - Sincèrement, je suis dans le décor. (Sourires) J'ai essayé de suivre les propos qui ont été échangés ces dernières heures. Monsieur Karoutchi, nous avons passé des heures à travailler ensemble, et nous avons avancé. Et puis la commission spéciale a donné un avis favorable à ces amendements, contre l'avis du rapporteur. Du coup, plus d'article premier. J'écoute les interventions, et voilà-t-il pas - comme on dit chez moi - qu'ils veulent tous refaire la carte ! J'ai cru que M. Raffarin allait sortir son crayon pour s'y atteler tout de suite, suivi d'une longue théorie de sénateurs de vos bancs. (Sourires) Les autres se sont moins fait entendre - peut-être n'avaient-ils pas de crayon...
M. Roger Karoutchi. - Ils n'avaient que des gommes !
M. Michel Delebarre, rapporteur. - Si nous avions le temps, je pense que nous trouverions la voie d'un règlement. Monsieur le ministre, laissez-nous la soirée pour le faire ! (Exclamations à droite) Suspendons ! (Même mouvement) Ah mais il y a le match... Tant pis, ce sera pour la seconde lecture : vous êtes tellement prêts à boucler cette carte, n'est-ce pas, chers collègues ?
Mme Isabelle Debré. - Consultez M. Krattinger !
M. Michel Delebarre, rapporteur. - La commission a approuvé ces amendements, je ne peux pas dire plus.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission spéciale. - Juridiquement, aucun renvoi en commission n'a été proposé. S'il n'y avait eu que l'article premier dans le texte, peut-être aurions-nous pu avancer. Mais il y a tout le reste, et l'étude d'impact, citée par Mme Assassi. Tout est envisageable, à condition de conserver le département. Redéfinir la carte en séance ne sera pas facile. Nous avons fait des propositions en commission, et trouvé un large accord. (M. Jean-Pierre Sueur approuve) Mais à quels obstacles ne nous sommes-nous pas heurtés ! Une grande région Alsace-Lorraine-Champagne-Ardenne ? Les Alsaciens n'en voulaient pas. Réunir la région Nord-Pas-de-Calais à la Picardie ? « Nous ne voulons pas de ces gens-là, disaient à peu près les élus de la première. (M. Michel Delebarre, rapporteur, le conteste) Pays de la Loire-Centre ? Les Ligériens préfèrent la Bretagne. On a démarié Languedoc-Roussillon et Midi-Pyrénées, estimant que cette grosse région ne s'imposait pas... Bref, nous avons fait beaucoup de propositions, qui ont provoqué des réactions.
Je n'ai jamais aimé les potentats locaux, et me soucie peu de ceux qui craignent de perdre leur place. (M. Philippe Kaltenbach et Mme Jacqueline Gourault approuvent) Mais si on marie Pays de la Loire et Bretagne, le Centre se retrouve orphelin... Nous aurions peut-être pu quand même proposer une carte.
Mais il fallait d'abord définir les compétences. Je suis pour la réforme, je l'ai prouvé à de nombreuses reprises : j'étais même favorable à la loi Joxe alors que j'étais député d'opposition. Encore faut-il prendre le temps de faire les choses dans l'ordre, et traiter en même temps des compétences et du rôle des départements. Alors, le Sénat saura faire, avec vous, monsieur le ministre, une loi solide. (Applaudissements sur les bancs UMP)
M. Bernard Cazeneuve, ministre. - Il faudrait attendre, encore et toujours, pour dessiner une autre carte... Ce n'est pas notre démarche.
Vous voulez une autre carte ? Eh bien, amendez celle-ci. Pourquoi arriver en deuxième lecture avec une page blanche ? Si l'exercice est si facile, si le Gouvernement est trop bête pour le faire, modifiez donc la carte. Vous tendez la main, je la saisis.
Pas assez de concertation ? Faut-il rappeler les textes que vous avez fait adopter sans concertation malgré leurs lourdes conséquences pour les collectivités territoriales, comme la suppression de la taxe professionnelle ?
M. François Grosdidier. - On ne redessinait pas la France !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. - Avançons, je donne un avis défavorable aux amendements de suppression.
M. Michel Boutant. - Nous ne voterons pas ces amendements. Nous sommes partis de la base pour dessiner la carte des régions. La commission a adopté un amendement créant une région Aquitaine-Poitou-Charentes-Limousin. Assez d'atermoiements, investissons-nous dans l'élaboration de la carte. Les quatre conseils généraux de la région Poitou-Charentes se sont réunis : il y a eu une seule voix contre ce rattachement et deux abstentions, sur 160 voix ! Il s'agit aujourd'hui de définir le terrain sur lequel nous reprendrons demain le combat politique, mais la question transcende les clivages. Les élus UMP de Poitou-Charentes l'ont compris. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. Vincent Delahaye. - Il faut réformer, c'est urgent, dit le ministre. Nous sommes favorables aux réformes structurelles. En deux ans, il y en a eu très peu alors que beaucoup seraient utiles. Le millefeuille territorial doit être réformé. Le problème réside dans la multiplicité des niveaux d'intervention, qui nuit à la lisibilité et à l'efficacité, sans parler de son coût. Le Gouvernement a rétabli la clause de compétence générale, qui est un facteur de coût, avant de la supprimer à nouveau. Donc oui à la réforme. Mais la méthode adoptée pose problème. Le président de la République impose cette carte d'en haut. Prenons exemple sur les pays nordiques, qui savent trouver des consensus après des concertations approfondies. Voilà ce qu'est une démocratie adulte.
Notre groupe est très ennuyé. Nous voulons aller de l'avant, mais le texte qui nous est proposé est clairement insuffisant. Nous regrettons que le Sénat présente encore une copie blanche. Pour accorder sa chance à la discussion, nous ne voterons pas ces amendements. (Applaudissements au centre)
M. Jean-Vincent Placé. - De vrais centristes !
M. Roger Karoutchi. - Vous voulez reporter les élections, et présentez donc ce texte. Il est évolutif, d'autant plus que les options du Gouvernement ne semblent pas définitivement stabilisées, sur le sort des départements, sur les compétences, sur les moyens financiers. Quand le Premier ministre Raffarin vous tend la main, il vous demande non pas de dissuader l'Assemblée nationale de voter votre carte, mais de revenir à l'automne, avec le deuxième texte : à ce moment-là, nous en saurons plus, espérons-le, sur les départements, sur les compétences, sur les moyens. Revenez en deuxième lecture au Sénat en disant la position du Gouvernement sur ces questions déterminantes. Alors, nous travaillerons sur la carte des régions. D'ici là, nous aurons rencontré les élus locaux, les acteurs économiques, politiques, sociaux. Là, nous pourrons avancer ensemble. Le mieux, c'est quand même de travailler avec la chambre qui représente les collectivités territoriales !
M. Jean-Pierre Sueur. - Précisément !
M. Roger Karoutchi. - Faites confiance au Sénat : revenez à l'automne avec l'esprit ouvert, pour faire ensemble la nouvelle carte.
Mme Jacqueline Gourault, - M. Delahaye a exposé la position largement majoritaire du groupe. Nous ne voterons pas les amendements de suppression, ce qui ne signifie pas que la carte proposée à l'article premier nous convienne !
Messieurs les ministres, vous avez insuffisamment communiqué avec les élus régionaux, avec des personnalités qui auraient mérité d'être consultées.
Mme Fabienne Keller. - Absolument.
Mme Jacqueline Gourault. - On a le sentiment que seuls quelques barons socialistes ont été consultés. Le résultat est calamiteux mais je ne vois pas en quoi modifier la carte en première lecture au Sénat aurait gêné la discussion future. Le Languedoc-Roussillon est identifié comme région...
M. Christian Bourquin. - Jusqu'à Bourges !
Mme Jacqueline Gourault. - À cause de Jacques Coeur ? Proposer la fusion entre les régions Centre et Pays de la Loire était un moyen d'évoluer. Certes, M. Auxiette n'en veut pas.
M. Jean-Pierre Sueur. - Mme Meunier non plus !
Mme Jacqueline Gourault. - La région Pays de la Loire est forte, certes, mais la région Centre n'est pas rien ! Nous ne sommes plus au temps du comte d'Anjou Foulques Nerra, qui tentait en chevauchant jusqu'à Blois d'arracher des bribes de territoire au royaume de France. Anne de Bretagne vécut et mourut au château de Blois. N'oubliez pas qu'elle fut reine de France du fait de son mariage avec Louis XII !
M. Dallier a plaidé pour la feuille blanche du Sénat, présentant cela comme une bonne méthode. Cela, je ne peux pas l'admettre. Le Sénat doit assumer ses responsabilités. Nous avons travaillé avec les députés centristes mais je regrette que le Sénat ne mène pas la discussion jusqu'au bout.
M. Jean-Pierre Sueur. - Il y a là une contradiction. Vous demandez deux lectures, car vous êtes attachés à la procédure parlementaire, qui est itérative. Et, du même mouvement, vous faites en sorte qu'il n'y en ait qu'une qui serve à quelque chose. Rien n'empêchait qu'on adoptât un texte. Il n'eût pas été parfait, évidemment, mais nous avons avancé en commission, nous avons trouvé des accords. La carte aurait pu changer au fil des lectures.
M. Roger Karoutchi. - Cela voudrait dire que nous n'avons pas de conviction !
M. Jean-Pierre Sueur. - Vous savez, vous qui avez été un si brillant ministre, qu'il revient au Parlement de voter la loi.
M. Roger Karoutchi. - Jusque-là, d'accord.
M. Jean-Pierre Sueur. - Nous aurions pu trouver des points d'accord sur des principes importants, sur le rural, notamment. L'Assemblée nationale, qui n'a pas notre culture des collectivités territoriales, va recevoir une page blanche et elle ironisera une fois de plus sur le Sénat.
M. Roger Karoutchi. - Elle travaillera sur le texte du Gouvernement.
M. Jean-Pierre Sueur. - Nous aurions pu utiliser les deux lectures que vous réclamez. C'est une erreur que de se tirer ainsi une balle dans le pied, c'est marquer contre son camp.
M. Jean-Jacques Lozach. - J'ai noté l'ouverture du Gouvernement sur cette carte. Mais nous devons nous déterminer sur une architecture d'ensemble, à propos de quoi il est difficile d'échapper à des considérations locales. Je ne prendrai pas part au vote sur ce texte.
La première raison est liée au centre de la France. Mariage d'amour ou d'intérêt, on se marie généralement à deux. Nous, on nous propose un mariage à trois, avec Poitou-Charentes et un troisième partenaire. Lequel ? Auvergne ? Centre ? Aquitaine ? Nous sommes quasi unanimes à préférer ce dernier.
Deuxième raison, le rapprochement entre l'échelon départemental et l'échelon régional. Je ne comprends toujours pas, au passage, la modification de la durée du mandat des conseillers départementaux. Je ne suis pas favorable à un bras de fer sur la répartition des compétences. Nous voulons de grandes régions ; le conseil général du XXIe siècle doit intégrer cette dimension. Maintenons un échelon intermédiaire qui assure de la coordination, de la concertation, de la péréquation. (Applaudissements sur quelques bancs UMP)
M. Philippe Kaltenbach. - Nous avons eu un débat riche, long, passionnant.
M. Éric Doligé. - De qualité.
M. Philippe Kaltenbach. - Le vote sur l'article premier va aboutir à une décision stérile, puisque nous ne pourrons pas discuter de la carte proposée par le Gouvernement et l'amender. Le groupe socialiste votera contre ces amendements de suppression. Nous avions déposé des amendements importants, fait des propositions sur le droit d'option pour les départements, sur le maintien des départements en zone rurale.
On nous dit que ce n'est pas le moment, qu'on se reverra cet automne... Tout le monde a bien compris qu'on se réservait jusqu'après les élections sénatoriales. Est-ce digne du Sénat de la République, représentant des collectivités territoriales ? Après le texte sur les métropoles, on va se demander à quoi cela sert de nous saisir en premier des projets de loi relatifs aux collectivités territoriales.
M. François Grosdidier. - La majorité a la mémoire courte. Quelques rappels. Lors de ses voeux de début d'année, cette année même, le président de la République...
M. Didier Guillaume. - Excellente référence !
M. François Grosdidier. - ... disait s'opposer à la suppression pure et simple des départements, gage de solidarité dans les territoires ruraux.
M. Didier Guillaume. - Très bien !
M. François Grosdidier. - M. Valls, par la voix de Laurent Fabius, annonce leur disparition à l'horizon 2020. Vous avez rétabli la clause de compétence générale pour les départements et les régions.
M. Alain Néri. - Et alors ?
M. François Grosdidier. - Et vous reprochez au Sénat son conservatisme. Vous dites qu'il fait le jeu du Front national. Rien ne vous empêchait de modifier la précédente réforme territoriale au lieu de l'abroger. Nous demander de décider des frontières des nouvelles régions sans connaître le sort des départements, sans savoir si c'est depuis Amiens que l'on s'occupera demain du ramassage scolaire sur le plateau de Langres, ce n'est pas sérieux !
Cet automne, au moins, nous devrions savoir quelles compétences ces grandes régions seront appelées à exercer : des compétences stratégiques dans le domaine de l'économie ou de la recherche, ou des compétences de proximité ? Vos déracinez les rocs de la démocratie locale, remparts contre les extrémismes et les populismes : après des cantons surdimensionnés, de grandes régions désincarnées.
Vous refusez la méthode proposée par MM. Bas et Raffarin : discuter d'abord localement, avant de trancher si nécessaire au niveau national. Non, vous préférez l'oukase de la loi.
M. le président. - Concluez !
M. François Grosdidier. - On ne peut pas réformer la France dans ces conditions.
M. Jacques Mézard. - Le RDSE votera ces amendements de suppression. Votre méthode, monsieur le ministre, est aussi brutale que celle du gouvernement Fillon lorsqu'il a supprimé la taxe professionnelle. Chaque fois que nous ne sommes pas d'accord, on nous ressert l'argument selon lequel notre opposition démontrerait que le Sénat ne sert à rien. C'est inacceptable. J'ai souvenance du texte sur les métropoles : le Gouvernement nous a demandé de récrire son texte, mal préparé. Nous l'avons fait !
Vous voulez de grandes régions, nous sommes nombreux à l'approuver. En revanche, vous supprimez en même temps l'échelon départemental de proximité, sans dire par quoi vous le remplacerez.
La commission spéciale a adopté une carte en trois quarts d'heure, ce n'est pas raisonnable. Imaginons cependant que cette carte fût venue en débat en séance. Le Gouvernement y aurait-il donné un avis favorable ?
M. Philippe Kaltenbach. - Ne votez donc pas la suppression ! C'est incohérent.
M. Jacques Mézard. - Je crains que l'accumulation de vos interventions ne donne pas de vous l'image d'une cohérence supérieure à la mienne.
La plupart de nos collègues socialistes ont voté contre la séparation du Languedoc-Roussillon et de Midi-Pyrénées. Et vous, monsieur le ministre, qu'en diriez-vous ? Vos réponses, loyales, ne nous satisfont pas. Vous anémiez les territoires. On rasera peut-être gratis mais, au bout du compte, on sera rasé ! (Applaudissements sur les bancs du RDSE)
M. Jean-Claude Lenoir. - Tondus ! (Sourires)
M. Philippe Bas. - Nous ne nous sommes pas reconnus dans les propos que vous nous avez prêtés, monsieur le ministre. Je vais donc tenter de vous réexpliquer notre position.
Nous ne sommes pas favorables à la disparition des départements, échelon de service et de proximité. Leur suppression, que vous dites reportée à 2020, commence maintenant, avec l'évidement de leurs compétences. Quant aux régions, chaussées de semelles de plomb, elles seront enlisées dans des compétences de proximité. La question des frontières ne peut être abordée séparément de celle des compétences.
Nous n'acceptons pas non plus que la carte des régions soit redessinée sans aucune concertation avec les élus. Cette concertation n'est-elle pas obligatoire en cas de redécoupage des cantons ou des communes ?
Impossible, sans doute, d'aboutir à un parfait consensus. Toutefois, s'abstenir de toute concertation, c'est construire sur de mauvaises fondations pour des dizaines d'années. Vous pouvez fort bien engager le dialogue sans reporter l'entrée en vigueur de cette réforme ! (Applaudissements sur les bancs UMP)
M. Jean-Claude Lenoir. - Favorable à une réorganisation territoriale, je voterai cependant ces amendements. L'absence de concertation nourrit la défiance. On prête à François Mitterrand l'adage « Il faut donner du temps au temps » ; il vient en fait de Cervantès, dans Don Quichotte. À l'origine, vous prévoyiez une seule lecture, et une adoption avant la fin juillet.
M. Alain Néri. - Eh bien, le Gouvernement a donné du temps au temps !
M. Jean-Claude Lenoir. - Effectivement, vous nous avez donné jusqu'en novembre. Sommes-nous des êtres supérieurs pour décider du sort des collectivités territoriales sans en discuter avec les élus ?
À titre personnel, je suis satisfait par la réunion des deux Normandie. Cependant, un parlementaire vote la loi pour toute la nation. Laissez-moi vous faire une proposition : suspendons la discussion de ce texte, et remettons-la à l'automne, conformément au calendrier que vous vous êtes vous-même fixé.
À la demande des groupes CRC et UMP, les amendements identiques nos37 rectifié ter, 53 rectifié ter et 105 sont mis aux voix par scrutin public.
M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°210 :
Nombre de votants | 342 |
Nombre de suffrages exprimés | 329 |
Pour l'adoption | 177 |
Contre | 152 |
Le Sénat a adopté.
En conséquence, l'article premier est supprimé.
Les amendements nos139 à 66 rectifié n'ont plus d'objet.
M. Michel Delebarre, rapporteur. - Cet article premier était le coeur de ce projet de loi. Les articles 2, 4 et 6, qui lui sont politiquement liés sans l'être juridiquement, n'ont plus lieu d'être. J'invite le Sénat à les supprimer. Quant à l'article 12, que pense le Gouvernement de son maintien ?
M. Bernard Cazeneuve, ministre. - L'examen de l'article 12 doit être maintenu, car le report des élections s'explique également par la nouvelle répartition des compétences dont vous discuterez avec Mme Lebranchu et M. Vallini.
M. le président. - Beaucoup d'entre vous m'ont demandé de suspendre la séance à 18 heures. Y a-t-il des oppositions ?
M. Jacques Mézard. - La mienne mais qu'importe.