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Table des matières
M. François Rebsamen, ministre du travail, de l'emploi et du dialogue social
M. François Rebsamen, ministre du travail, de l'emploi et du dialogue social
M. Manuel Valls, Premier ministre
M. Manuel Valls, Premier ministre
M. Benoît Hamon, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche
Demande d'avis sur une nomination
Mise au point au sujet d'un vote
Décision de l'Assemblée nationale sur la motion référendaire
Délimitation des régions (Procédure accélérée)
M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur
M. Michel Delebarre, rapporteur de la commission spéciale
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission spéciale
Question prioritaire de constitutionnalité (Renvoi)
Délimitation des régions (Procédure accélérée - Suite)
M. Bernard Cazeneuve, ministre
M. Bernard Cazeneuve, ministre
Ordre du jour du vendredi 4 juillet 2014
SÉANCE
du jeudi 3 juillet 2014
3e séance de la session extraordinaire 2013-2014
présidence de M. Jean-Pierre Bel
Secrétaires : M. Marc Daunis, M. Alain Dufaut.
La séance est ouverte à 15 heures.
Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.
Hommage à une délégation
M. le président. - Je salue les représentants de la Fondation Abbé Pierre qui assistent à notre séance après avoir participé à un colloque au Sénat.
Questions d'actualité
M. le président. - L'ordre du jour appelle les questions d'actualité au Gouvernement.
Temps partiel
M. Jean-Léonce Dupont . - Ma question porte sur la réforme des temps partiels. L'application de la nouvelle durée minimale hebdomadaire de travail de 24 heures a été suspendue jusqu'au 20 juin 2014 pour donner un délai supplémentaires aux négociations de branches. Le bilan est mitigé en raison du refus des organisations syndicales de négocier : seuls vingt accords de branche ont été signés, notamment dans le secteur du nettoyage ou de la restauration rapide.
Cette mesure représente un frein à l'embauche, pour les employeurs comme pour les salariés, dans des domaines potentiellement porteurs, comme le secteur médico-social ou le secteur de l'aide à la personne, qui est un gisement d'emplois. En outre, les contrats à temps partiel existants devront être révisés en 2016 : des entreprises devront licencier...
Chaque jour, 1 500 chômeurs viennent s'ajouter aux 3 millions existants. Où veut en venir le Gouvernement ? Il est impératif de libérer les énergies et de favoriser la création d'emploi. Pouvez-vous nous donner des précisions ? (Applaudissements au centre)
M. François Rebsamen, ministre du travail, de l'emploi et du dialogue social . - La loi de 2013 a, en effet, fixé une durée minimale de travail hebdomadaire de 24 heures. Ce fut une avancée sociale importante. Deux dérogations, assorties de contreparties, sont prévues : à la demande du salarié ou par accord de branche.
Très exactement, vingt-deux accords ont été conclus, dans des secteurs aussi importants que la restauration rapide où 63 % des salariés sont couverts. On ne peut donc pas qualifier le bilan de mitigé.
Deux types de dérogations ont été prévues : individuelles ou collectives. Il faut, vous l'avez dit, sécuriser le salarié comme l'employeur, en prévoyant pour le salarié bénéficiant d'une dérogation qui souhaiterait rebasculer sur le régime de 24 heures qu'il aura priorité mais sans automaticité. Ce sera conforme à l'accord national interprofessionnel de janvier 2013. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
Géographie prioritaire
M. Claude Dilain . - Madame Vallaud-Belkacem, ma question portera non sur le football, mais sur la nouvelle carte de la politique de la ville que vous venez de rendre publique. Elle est fondée sur un seul critère, le plus juste, le revenu médian par habitant.
Cette carte était attendue. Cent nouveaux territoires, dont certains en zone rurale comme Dax ou Marmande, entrent dans le périmètre.
Quelle sera l'aptitude des maires en lien avec les préfets à adapter cette carte à la géographie des territoires ? Quel sera le calendrier de mise en oeuvre de la réforme ?
Je félicite Mme Girardin pour son élection.
Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre des droits des femmes, de la ville, de la jeunesse et des sports . - Je félicite aussi Mme Girardin.
Monsieur Dilain, vous qui êtes l'ancien maire de Clichy, je vous rends hommage pour le rôle précieux que vous avez joué dans l'adoption à l'unanimité de la réforme de la politique de la ville au Sénat. Les zonages, trop nombreux et complexes étaient devenus illisibles, nous dévions réformer ! Nous avons publié une nouvelle carte il y a quinze jours qui concentre notre action sur les territoires qui en ont le plus besoin.
À charge désormais aux élus locaux et aux préfets de prévoir le périmètre des zones éligibles et de signer des contrats de ville avec tous les partenaires.
Nous voulons aider au développement économique de ces zones .La Caisse des dépôts et consignations mobilise 400 millions d'euros pour investir et créer des emplois dans ces territoires, sommes qui s'ajoutent aux 200 millions des investissements d'avenir. Nous voulons ensuite poursuivre la rénovation urbaine. Avec l'Anru nous publierons à la rentrée la liste des bénéficiaires des 5 milliards qui y seront consacrés pendant dix ans. Enfin, nous voulons préserver le lien social en maintenant les crédits de la politique de la ville, pour le soutien à la vie associative et l'installation des équipements sociaux nécessaires. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
Insecticides
M. Joël Labbé . - Ma question s'adresse à M. le ministre de l'agriculture, suite à la publication d'une étude internationale et indépendante sur la nocivité des néonicotinoïdes. Il est avéré que ces pesticides sont responsables du déclin des abeilles et d'autres espèces pollinisatrices. Ces molécules neurotoxiques s'infiltrent partout : elles menacent les insectes pollinisateurs mais aussi les oiseaux ou les vers de terre. Les pollinisateurs sont à l'origine de 35 % de la production alimentaire dans le monde.
L'agriculture est dépendante des éco-systèmes. L'agroécologie, au coeur de notre politique agricole, repose sur un subtil équilibre. Ces pesticides sont aussi nocifs pour la santé humaine. Vous avez retiré l'autorisation du Cruiser, entre autres, mais ces interdictions ne vont pas assez loin. J'ai déposé le 19 juin une proposition de résolution visant à l'interdiction de ces pesticides néonicotinoïdes, cosignée par 173 parlementaires. La France prétend devenir leader de l'agroécologie. Que compte faire le Gouvernement pour remédier à cette situation ? (Applaudissements sur les bancs écologistes)
M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement . - Vous avez rappelé la démarche responsable de la France. M. Obama comme M. Cameron ont fait des déclarations sur ce sujet important. Outre l'interdiction du Cruiser, la France a engagé des démarches et obtenu un moratoire de deux ans en Europe sur les semences enrobées de néonicotinoides. Nous allons poursuivre le travail à l'échelle européenne. La France a une responsabilité, mais il faut prendre les décisions collectivement à l'échelon européen. Sachez que nous poursuivons notre action pour une agriculture productive utilisant les mécanismes naturels pour protéger les productions et les personnes. (Applaudissements sur les bancs socialistes et écologistes)
Report du compte pénibilité
Mme Isabelle Pasquet . - Le Gouvernement s'est engagé auprès de la Commission européenne et du Medef à réduire les dépenses publiques et les cotisations patronales. Malgré une mise en oeuvre rapide dans le projet de loi de finances rectificative, les patrons, sous la houlette du Medef, appellent à des réformes, leurs réformes. Or, quand les patrons toussent, la fièvre monte au Gouvernement... Et celui-ci annonce un report du compte pénibilité. Une fois de plus, le Gouvernement cède au Medef, multipliant les allégements de charge. Et pour quels résultats ? Une croissance en berne et un chômage à la hausse. Le bilan est mitigé du côté des salariés : les classes moyennes et populaires qui voulaient rompre avec l'esprit du Fouquet's attendent de voir appliquer l'esprit du Bourget. Ils sont les grands oubliés de votre politique. Quand direz-vous stop à la surenchère du Medef ? (Applaudissements sur les bancs CRC)
M. François Rebsamen, ministre du travail, de l'emploi et du dialogue social . - Contrairement à ce que vous dites, le Gouvernement est attentif au pouvoir d'achat des plus modestes. (Mme Éliane Assassi s'exclame) Avec le projet de loi de finances rectificative et le PLFSS les impôts seront allégés pour 3,7 millions de foyers, 1,9 million d'entre eux cesseront d'être imposables : 1 milliard d'impôt en moins, c'est 1 milliard de pouvoir d'achat en plus. Au 1er janvier 2015, les salariés gagnant 1 500 euros par mois, grâce à la baisse des cotisations sociales, récupèreront 500 euros sur l'année, soit presque un demi treizième mois.
Le Gouvernement est à l'écoute, vous le voyez, des plus modestes et des plus précaires. Il ne cède devant aucun diktat. Vous avez parlé du compte pénibilité ; celui-ci ouvrira dès le 1er janvier 2015 dans l'industrie, en tenant compte du travail posté. Le Gouvernement a simplement voulu profiter de l'année 2015 pour le rendre applicable dans les PME du BTP car la fiche pénibilité dont nous avions hérité était impraticable.
Je regrette, madame la sénatrice Pasquet, que vous n'ayez pas voté cette grande avancée sociale. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
Mme Éliane Assassi. - Ce n'est pas comme ça que vous vous en sortirez !
Réforme territoriale
Mme Anne-Marie Escoffier . - Au moment où s'ouvre le débat sur la réforme territoriale, nous nous interrogeons sur ses objectifs réels. Le président de la République avait souhaité clarifier les compétences entre État et collectivités, et entre collectivités, pour plus d'efficacité. Il faut réaliser des économies mais le chemin reste à trouver. Or, d'après les déclarations relayées par la presse, les économies à attendre seraient de 25 milliards d'euros, puis de 15 milliards d'euros voire de 10 milliards...
M. Alain Gournac. - Zéro économie !
M. Roger Karoutchi. - À la fin, cela coûtera !
Mme Anne-Marie Escoffier. - Comment ont été calculées ces sommes, qui diminuent d'autant la capacité d'investissement des collectivités ?
Ma question est d'ordre purement technique (Sourires) : comment, sur quelles bases, selon quel calendrier calculez-vous ces économies qui impacteront lourdement les collectivités ? « Là où il y a une volonté, il y a un chemin », pour reprendre cette formule empruntée qui à Lao-Tseu, qui à Jaurès, qui à Churchill. Espérons que le volontarisme ne se transforme pas en aventurisme ! (Applaudissements sur les bancs RDSE, CRC et quelques bancs UMP)
M. Manuel Valls, Premier ministre . - Madame la sénatrice ou plutôt madame la ministre...
Mme Éliane Assassi. - Voilà une femme courageuse.
M. Manuel Valls, Premier ministre. - Autorisez-moi à élargir cette question purement technique... (Sourires) Le président de la République a souhaité une réforme ambitieuse des régions, avec une nouvelle carte. Je suis convaincu qu'une majorité existe au Parlement pour l'adopter, rapidement, en raison des échéances électorales et de la nécessité pour tous -élus, acteurs économiques et citoyens- de connaître au préalable la nouvelle carte. Vous connaissez ma détermination à faire aboutir cette réforme. Votre commission spéciale fera des propositions illustrant la sagesse du Sénat.
Les manoeuvres dilatoires ...
Mme Éliane Assassi. - Elles ont un contenu !
M. Manuel Valls, Premier ministre. - ...ont échoué. Le Conseil constitutionnel a confirmé que l'étude d'impact était fiable. L'Assemblée nationale a rejeté la motion référendaire.
Le Gouvernement est déterminé à ce que le Sénat débatte de ce projet sur le fond pour que l'Assemblée l'adopte au cours de la session extraordinaire. Un autre texte vous sera présenté à l'automne sur les compétences des régions et des intercommunalités, qui connaîtront une évolution.
Le principal gisement d'économies se situe sur le bloc communal et intercommunal, comme je l'ai expliqué hier à Clermont Ferrand à l'Association des maires de la région et aux parlementaires.
Le débat porte sur les questions de proximité, de cohésion territoriale et sociale, sur l'avenir des territoires ruraux. La constitution de grandes régions et de grandes agglomérations qui drainent les forces économiques et la population illustre la problématique de l'abandon, de la désertification, du manque de protection, sujet pendant depuis des années. Vous-même, élue de l'Aveyron, le savez bien. Cette question doit être prise en compte par le Parlement, je suis convaincu que le Sénat aura à coeur d'y répondre et d'améliorer le texte, notamment pour ce qui concerne l'avenir des conseils généraux -non les départements qui sont au coeur de la République. Ce débat est central.
Le Gouvernement sera attentif et ouvert aux propositions du Parlement, dont je ne doute pas de la capacité d'imagination. L'exemple du Rhône peut sans doute inspirer d'autres territoires. Il faut oser.
M. Éric Doligé. - Vous avez forcé la porte !
M. Manuel Valls, Premier ministre. - Parce que le sujet est compliqué, parce que nous ne pouvons supprimer les départements pour des raisons constitutionnelles, parce qu'il faut du temps pour transférer les compétences, parce que la question du calendrier des élections est posée, le Gouvernement sera attentif à ce que dira le Parlement. (Applaudissements sur les bancs socialistes ; M. Alain Bertrand applaudit également)
AME
M. François-Noël Buffet . - Ma question s'adressait à Mme Touraine. En commission des finances, le 2 juin dernier, M. Caffet a fait observer que les dépenses d'AME explosaient, passant de 588 à 744 millions d'euros. Ses inquiétudes sont partagées par tous les membres de la commission. S'il n'est pas question de remettre en cause l'AME...
Mme Annie David. - Vous me rassurez !
M. François-Noël Buffet. - ...cette augmentation phénoménale interroge. Nous avions instauré, en 2011, un droit de timbre de 30 euros que vous avez supprimé. Mme Touraine a dit être consciente des fraudes via des filières étrangères et étudier des solutions.
Devant ce constat partagé, quels moyens le Gouvernement entend-il mettre en place pour y remédier ? (Applaudissements sur les bancs UMP)
M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement . - Merci de votre question et du ton posé de vos propos. Vous avez rappelé votre attachement à l'AME, qui permet la prise en charge de patients malades en situation irrégulière, à condition qu'ils résident sur le territoire depuis trois mois. C'est un dispositif de santé publique, pour éviter la propagation des maladies, en même temps qu'humanitaire ; la plupart des pays développés en sont dotés, y compris les États-Unis.
L'augmentation des coûts tient à l'augmentation du nombre de bénéficiaires, dont il semble que certains participent à un détournement de la loi. Il faut renforcer les contrôles. Certains pays n'ont aucune politique sanitaire -notamment contre la tuberculose ; nous travaillons avec eux en amont. Les caisses primaires d'assurance maladie élaborent des statistiques pour mettre au jour les filières éventuelles ; il faut mettre fin aux détournements d'une législation à la fois efficace et généreuse. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
Dialogue social
M. Jean-Pierre Caffet . - Une menace pèse sur la tenue de la grande conférence sociale de la semaine prochaine. Elle tient d'abord, même si elle semble relever de la posture, à la pression des organisations patronales. Pourtant, au travers du CICE et du pacte de responsabilité, le Gouvernement tient ses engagements : 40 milliards d'euros sont mobilisés d'ici 2017 ; aucun gouvernement n'a fait autant pour les entreprises.
Nous pouvons cependant comprendre certaines difficultés d'application et approuvons l'action du Gouvernement pour mettre en oeuvre de façon sécurisée le compte pénibilité et la réforme du temps partiel. Mais le patronat ne peut se livrer comme il le fait à une surenchère permanente, se comporter comme un simple lobby ; son attentisme est peu responsable. La réforme du temps partiel et du compte pénibilité sont emblématiques de la démarche du Gouvernement, fondée sur le dialogue social, pour trouver des solutions équilibrées et assortir les efforts demandés aux français de contreparties et d'avancées sociales.
Pour renouer avec la croissance et l'emploi, notre pays a besoin de réformes et plus que jamais de dialogue social. Monsieur le Premier ministre, quelle en est votre conception ? (Applaudissements sur les bancs socialistes ; M. Éric Doligé ironise)
M. Manuel Valls, Premier ministre . - Le dialogue social est plus qu'une méthode, c'est une condition de la réussite des réformes. C'est la meilleure façon de lever les blocages et écarter les risques d'enlisement. Pour cela nous avons besoin de partenaires sociaux forts, capables de dépasser les postures pour prendre courageusement leurs responsabilités. Chacun a pu mesurer les difficultés dans les conflits récents.
Je pense d'abord aux organisations patronales. Les premiers éléments du pacte de responsabilité ont été votés par l'Assemblée nationale, confirmant la trajectoire que j'avais annoncée lors de mon discours de politique générale. M. Rebsamen a répondu sur le compte pénibilité. Nous devions trouver des mesures d'adaptation pour les PME, qui sont pourvoyeuses d'emplois, et au secteur du BTP, si important pour la croissance. Sur le temps partiel, il fallait sécuriser la relation salarié-employeur sans remettre en cause la loi.
Le dialogue social est la clé de la réussite, pour l'emploi et aussi pour l'effectivité des droits. Car nous voulons des droits réels, non des droits virtuels.
Je l'ai dit hier au patronat : plus de postures, engagez-vous, respectez votre parole. J'ai entendu les réactions des organisations syndicales, je sais ce que les réformes de ces dernières années leur doivent ; beaucoup d'accords ont été signés sur le marché du travail, sur les retraites, sur la formation. J'engage les partenaires sociaux à mettre tous les sujets sur la table lors de la conférence sociale qui va s'ouvrir lundi, sans se focaliser sur les mots. Parler de seuils, c'est parler de simplification et aussi de représentation de tous les salariés - ceux de la grande majorité des entreprises de dix à vingt salariés ne sont pas représentés. Parler de simplification, c'est se donner les moyens de garantir l'effectivité des règles, leur complexité est souvent le prétexte pour ne pas les appliquer -au détriment des salariés.
Je fais confiance aux partenaires sociaux, je crois au dialogue social. La conférence sociale sera un moment important pour développer l'emploi, redresser le pays, se mettre d'accord sur une feuille de route -à condition que chacun assume ses responsabilités. Sachez que le Gouvernement assumera les siennes. (Applaudissements sur les bancs socialistes et sur quelques bancs RDSE)
Fessenheim
Mme Françoise Boog . - Ma question s'adressait à Mme la ministre de l'écologie. Je regrette son absence. Elle a affiché ses objectifs de redéfinition du mix énergétique du pays. Elle souhaite plafonner la part du nucléaire à son niveau actuel de 63,2 GW et réduire sa part dans la production d'électricité de 75 % à 50 %.
M. Jean-Claude Lenoir. - C'est impossible !
Mme Françoise Boog. - Élue alsacienne, je suis inquiète. L'Insee a montré qu'avec la fermeture de Fessenheim, 2 000 emplois seraient menacés et que le salaire de 5 000 personnes serait impacté ! Fessenheim fait depuis trop longtemps figure de bouc émissaire.
La fermeture arbitraire de la centrale n'est pas justifiée. L'autorité de sûreté nucléaire, dont l'expertise est internationalement reconnue, a autorisé sa prolongation pendant dix ans, tandis que 260 millions ont été investis pour la sûreté du site. Un récent rapport de l'Assemblée nationale pointe du doigt « le vide de l'action publique, le manque d'impulsion venue d'en haut, l'absence de projet mobilisateur ». Impact économique et financier, sécurisation du réseau d'électricité alsacien et des entreprises électro-intensives de la vallée du Rhin, indemnisation d'EDF et de nos partenaires suisses et allemands...
M. le président. - Veuillez conclure.
Mme Françoise Boog. - Bien des questions restent irrésolues. Il est de promesses qui mériteraient de n'être pas tenues ! (Applaudissements à droite)
M. Frédéric Cuvillier, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche . - Je vous prie d'excuser Mme Royal, retenue...
M. Christian Cambon. - Elle ne vient jamais au Sénat !
M. Frédéric Cuvillier, secrétaire d'État. - Le projet de loi de transition énergétique est examiné par le Conseil économique et social, le Conseil national de la transition énergétique et le Conseil national de l'industrie. Les questions que vous posez y trouveront réponse, par exemple sur l'indemnité à verser à EDF.
Le texte sera définitivement adopté en conseil des ministres fin juillet et viendra au Parlement à la rentrée. Il prévoit notamment le plafonnement de la production d'électricité d'origine nucléaire à son niveau actuel. (Applaudissements sur les bancs socialistes et écologistes)
Taxe de séjour
M. Michel Houel . - (Applaudissements sur les bancs UMP) Ma question s'adressait à M. Laurent Fabius. Il y a quelques jours, à l'issue des assises du tourisme, plusieurs ministres ont plaidé pour le renforcement du secteur ; M. Montebourg a évoqué la remise à niveau de notre offre touristique et les difficultés des hôteliers face aux nouvelles réglementations. Or, contre toute attente, les députés ont voté une hausse du plafond de la taxe de séjour et instauré une taxe additionnelle de 2 euros en Ile-de-France...
M. Roger Karoutchi. - Racketteurs !
M. Didier Guillaume. - On a connu pire !
M. Michel Houel. - ...le Gouvernement s'étant remis à la sagesse. Dans un communiqué, le Quai d'Orsay a jugé impératif qu'on y renonçât. Quelles seront les conséquences de ces nouvelles taxes ? Une hausse des tarifs dont les clients et les hôteliers feront les frais. À Eurodisney, dans mon département, une dizaine de milliers de touristes seraient touchés chaque jour. Les hôteliers ont déjà vu la TVA passer de 5,5 % à 7 %, puis à 10 % et devront mener les audits sur l'accessibilité d'ici à 2015. Sans parler de la pénibilité...
Quelle sera l'attitude du Gouvernement lorsque cette mesure sera examinée au Sénat ? (Applaudissements sur les bancs UMP)
Mme Carole Delga, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, du redressement productif et du numérique, chargée du commerce, de l'artisanat, de la consommation et de l'économie sociale et solidaire . - L'Assemblée nationale a en effet adopté les deux amendements d'origine parlementaire que vous avez évoqués. Le relèvement à 8 euros du plafond de la taxe de séjour, qui nécessite un texte réglementaire d'application, était demandé par nombre de collectivités territoriales ; la taxe additionnelle en Ile-de-France est destinée à financer des actions en faveur de l'économie touristique.
De l'avis unanime, il fallait revoir les modalités de la taxe de séjour. L'Assemblée nationale a mis en place un groupe de travail sur la fiscalité de l'hébergement touristique ; ses travaux seront remis prochainement. Il propose notamment que la taxe de séjour soit proportionnée et ait une assiette plus large.
Il est vrai que ces amendements n'ont pas été concertés avec le secteur et pèsent trop fortement sur les petits hôtels. Ils pénalisent nos concitoyens, qui sont les premiers touristes en France. Le Gouvernement a souhaité une concertation sur ce dispositif qui sera amélioré pour être plus équilibré et ne pas pénaliser une filière créatrice d'emplois. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. Éric Doligé. - C'est vague !
Politique universitaire
Mme Dominique Gillot . - La rentrée universitaire se prépare. Renforcer la responsabilité sociale des établissements d'enseignement supérieur, garantir une gouvernance démocratique et collégiale des universités et de leurs regroupements, construire les meilleures chances de réussite pour tous les étudiants, faire de la qualité de vie étudiante une priorité, tels étaient les principaux objectifs de la loi du 22 juillet 2013. Or, des pétitions circulent, protestations et revendications se font jour, notamment face aux difficultés de regroupement des établissements d'enseignement supérieur -la date butoir est fin juillet. Où en est ce mouvement de regroupement, monsieur le ministre ? Quelles mesures sont prévues pour l'emploi des titulaires de doctorat, l'amélioration des conditions matérielles, sociales et culturelles de la vie étudiante, creuset de l'émancipation et de la réussite des jeunes, dont le Gouvernement a fait sa priorité ? Le Comité stratégique national pour l'enseignement supérieur va remettre son rapport prochainement ; qu'en attendez-vous ?
Bref, quel bilan tirer de la mise en oeuvre de la loi un an après son adoption ? Quelles sont les perspectives pour la rentrée ? (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. Benoît Hamon, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche . - Madame Gillot, je veux saluer votre contribution à la stratégie nationale pour l'enseignement supérieur.
Depuis deux ans, le Gouvernement a fait du budget de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche une priorité. En juillet dernier, Mme Fioraso a fait voter une loi extrêmement importante pour les universités. Elle incite ces dernières à se regrouper pour améliorer la lisibilité de l'offre de formation, optimiser l'organisation de la recherche et favoriser l'innovation, renforcer notre visibilité internationale et l'attractivité de l'offre de formation française. Différentes formules de regroupement sont possibles : la fusion, l'association, la communauté d'établissements -cette dernière formule a été privilégiée. Quinze projets sur vingt ont été déposés au ministère, dix sont stabilisés.
Les deux tiers de moyens nouveaux de l'enseignement supérieur vont à la vie étudiante. A la rentrée prochaine, 77 500 étudiants percevront 1 000 euros de plus de bourse, un effort de 80 millions d'euros ; les étudiants issus des classes moyennes sont concernés, qui n'auront plus à se salarier pour pouvoir étudier -on sait que c'est un obstacle à la réussite universitaire. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
La séance, suspendue à 16 h 5, reprend à 16 h 20.
Demande d'avis sur une nomination
M. le président. - M. le Premier ministre a transmis au Sénat une demande d'avis sur le projet de nomination de Mme Christine Noiville aux fonctions de président du Haut conseil des biotechnologies. Cette demande d'avis a été transmise à la commission du développement durable.
Dépôt d'un rapport
M. le président. - J'ai reçu le rapport du Haut comité d'évaluation de la condition militaire. Il a été transmis à la commission des affaires étrangères.
Mise au point au sujet d'un vote
M. Luc Carvounas. - M. Guérini souhaite préciser qu'il n'a pas pris part au vote sur la motion référendaire.
M. Éric Doligé. - Voilà qui est important !
Décision de l'Assemblée nationale sur la motion référendaire
M. le président. - M. le président de l'Assemblée nationale m'a informé que l'Assemblée nationale, au cours de la deuxième séance du 2 juillet 2014, a rejeté la motion, adoptée par le Sénat, tendant à proposer au président de la République de soumettre au référendum le projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral.
Délimitation des régions (Procédure accélérée)
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral.
Discussion générale
M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur . - (Applaudissements sur les bancs socialistes) L'ouverture de cette discussion s'inscrit dans un contexte où, pour aborder le texte dans des conditions optimales, le Sénat a pris un certain nombre d'initiatives. D'abord, que la commission des lois entende le Gouvernement ; puis, c'est une nouveauté en la matière, que soit créée une commission spéciale, présidée par M. Hyest, dont je salue l'engagement, le travail, la compétence, l'intérêt pour ces questions, qui ont fait avancer la réflexion du Sénat. Je le remercie ainsi que le rapporteur, M. Delebarre, dont les propositions ont donné de l'épaisseur au débat. Après le Premier ministre, je veux redire la totale disponibilité du Gouvernement pour entendre les propositions, les amendements des sénateurs : chacun d'eux fera l'objet d'un débat. Le Gouvernement aborde donc cette discussion dans un état d'esprit ouvert.
La réforme territoriale poursuit quatre objectifs, qui font sa cohérence, et d'abord avoir des régions compétitives au niveau européen, des régions fortes qui investissent pour la croissance, dans la transition énergétique, les transports de demain, l'équipement numérique de tous les territoires.
Nous devons accompagner nos filières industrielles d'excellence, qui ont permis des coopérations entre les régions, organiser le transfert de technologies, donner toute sa place à l'innovation sur des territoires pertinents. L'objectif de la réforme est de dépenser moins en fonctionnement, madame Escoffier, pour investir plus afin d'être plus compétitifs.
Deuxième objectif, rendre plus lisible l'organisation territoriale française. Nous sommes tous ici soucieux de l'intérêt général, passionnés de l'administration locale. Les collectivités locales ont fait oeuvre utile pour développer les services publics, pour investir, pour mener des politiques culturelles et sportives. Pas question de critiquer les élus locaux, de les caricaturer, de les accuser d'être responsables de nos maux.
M. Alain Néri. - Très bien !
M. Gérard Longuet. - Enfin !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. - Cela a été fait par le passé ; ce n'est pas notre approche. Nous voulons une puissance publique plus svelte, plus véloce, plus efficace. Clarifier des compétences, ces sera l'objet du futur texte présenté par Mme Lebranchu.
Troisième objectif, faire monter en gamme l'administration déconcentrée de l'État. M. Retailleau redoutait hier la relégation des territoires ruraux. Cette inquiétude est légitime, il faut y répondre. C'est pourquoi nous modernisons les services publics de l'État au plan départemental - car le département a vocation à demeurer comme instance administrative déconcentrée de l'État. Au cours des sept dernières années, les effectifs de l'administration déconcentrée de l'État ont diminué de près de 5 000.
Après la RGPP, nous voulons les renforcer car nous croyons aux services publics. Davantage d'interministérialité et de souplesse autour des préfets sera un bon moyen de répondre aux besoins des territoires ruraux. (M. Jacques Mézard manifeste son scepticisme)
M. Mézard s'interroge ; je lui réponds que c'est affaire de volonté. Faut-il ignorer ce sujet, après que les coups de rabot de la RGPP ont affaibli les services publics ?
Quatrième objectif, l'intercommunalité. La France compte 36 000 communes : autant que la totalité de l'Union européenne ! Nous voulons favoriser l'émergence de communes nouvelles, la mutualisation des moyens de fonctionnement.
Point d'improvisation donc, mais une vraie cohérence. Face à ces objectifs, des interrogations se sont exprimées.
La première est celle du temps passé à l'expertise et à la concertation préalable. Certains d'entre vous ont indiqué qu'il convenait d'attendre encore. Il est toujours temps d'attendre, car c'est une responsabilité d'engager une réforme, il est difficile de franchir la frontière entre réflexion et action. Mais cela fait dix ans que la réflexion est engagée, par des gouvernements de sensibilités différentes.
En 2009, le rapport Balladur intitulé : « Il est temps d'agir », proposait 15 régions. Nous en proposons 14. Avec 15, on aurait le nombre idéal ; avec 14, ce serait insupportable ! Si vous en voulez 15, déposez un amendement.
M. Éric Doligé. - C'est interdit !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. - MM. Krattinger et Raffarin ont proposé 10 régions. De nombreux rapports, du Sénat, de la Cour des comptes, de députés se sont succédé. N'est-il pas temps d'agir, de tenter la réforme, de proposer une carte ? C'est une tentative, mise sur le métier, de réussir ensemble une réforme utile pour le pays. Dépourvue d'arrière-pensées politiques, notre démarche vise à moderniser pour donner de la puissance à nos collectivités locales, de la légitimité à nos élus, dans un pays en crise. Le Sénat peut-il apporter cette démonstration ? Le Gouvernement croit que cela est possible ; c'est pourquoi il vous soumet ce projet de loi, pour trouver un compromis, et produire ensemble un bon texte.
Ce projet de loi propose de réduire le nombre de régions, en en fusionnant 14 pour en créer 6 tandis que 8 autres resteraient seules. L'objectif est de créer des euro-régions, capables de porter des dynamiques économiques. La taille moyenne des régions passerait de 3 à 4,6 millions d'habitants -à comparer aux Länder et aux régions italiennes, qui tournent autour de 5 millions.
M. Patrice Gélard. - . - Cette comparaison ne veut rien dire !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. - Cela ne veut rien dire ? Un tel raisonnement avait pourtant été utilisé par M. Raffarin.
M. Jean-Claude Lenoir. - Venant de lui, cela ne m'étonne pas.
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Le président Raffarin (Marques d'admiration sur les bancs UMP) disait que ce qui compte, ce n'est pas le nombre mais la taille des régions. C'est l'un des vôtres, et des plus éminents, qui le dit !
Pourquoi chercher toujours le conflit, qui nourrit la défiance des Français envers les politiques, et non le compromis ? Pour notre part, nous voulons chercher ensemble un chemin qui rassemble.
Ce n'est pas la carte que nous voulions, dites-vous. Eh bien, emparez-vous de cette carte, proposez des amendements pour la faire évoluer, ayons un débat démocratique pour produire ensemble une réforme qui réponde à la volonté du plus grand nombre et donne de la force à notre pays.
Voilà pour l'article premier -j'espère que nous en débattrons longuement.
Le deuxième point est celui du tableau, des effectifs des conseils régionaux. J'entends là aussi vos critiques. Nous proposons de diminuer le nombre d'élus parce que nous diminuons le nombre de régions -pas par méfiance à leur égard ! L'opinion ne comprendrait pas qu'on augmente leur nombre. Nous proposons une baisse de seulement 8 %.
Mme Cécile Cukierman. - En moyenne.
M. Bernard Cazeneuve, ministre. - Si cela vous paraît trop, proposez donc des amendements. Il y a aussi la question du nombre minimum de conseillers.
M. Alain Néri. - Absolument !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. - La question de la représentation des territoires ruraux n'est pas absurde, elle mérite une réponse. Le nombre de conseillers régionaux sera garanti, c'est l'article 7. Nous pourrons en discuter. Le Gouvernement ne cherche pas à imposer une carte à prendre ou à laisser, ce qui aurait été le cas si le texte avait été soumis au référendum. La réforme doit se faire dans le débat, dans l'écoute.
Ce texte comporte d'autres dispositions plus techniques, plus pointues, consécutives à d'autres textes comme la mise en sommeil des conseillers généraux de la métropole lyonnaise ou la suppléance des conseillers départementaux élus en binôme afin que l'empêchement de l'un ne contraigne pas l'autre à démissionner, conformément à la décision du Conseil constitutionnel.
Il y a cent cinquante ans, les communes visaient à installer la République dans chaque territoire. Au lendemain de la Résistance, il y a eu la volonté de doter les territoires d'instruments d'aménagement. Il y a eu, avec François Mitterrand, Pierre Mauroy et Gaston Defferre, la volonté de renforcer l'autonomie des collectivités territoriales. Aujourd'hui, nous voulons donner plus de force à l'administration déconcentrée de l'État et aux services publics, avec des régions fortes, des compétences clarifiées, pour éviter les doublons coûteux.
Mobilisons ces moyens pour investir, moderniser nos services publics et nos infrastructures.
La crédibilité du discours sur les économies suppose de tenir un discours cohérent : on ne peut dire à la fois qu'il faudrait faire non pas 50 mais 100 milliards d'économies et, dans le même temps, prétendre exonérer les collectivités territoriales de tout effort. Dans le plan de 50 milliards d'économies proposé par le Gouvernement, les collectivités locales sont mises à contribution pour 10 milliards. C'est ce que proposait le principal parti d'opposition lors de la campagne de 2012. (Mme Nicole Bricq renchérit) On ne pourra faire ces économies sans modifier les structures.
La fusion des régions ne dégagerait pas d'économies, entend-on dire. Rassembler les services d'achat, les services de ressources humaines, les garages permettra, à terme, des économies d'échelle. Quand le sénateur Godefroy était maire de Cherbourg et moi celui d'Octeville, nous avons fusionné nos deux communes. Nous avons mutualisé sans licencier mais en ne remplaçant pas les départs à la retraite. Les frais de fonctionnement ont baissé de 30 %. Toutes les économies réalisées ont été consacrées à l'investissement.
M. Jean-Pierre Godefroy. - Tout à fait.
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Nous sommes liés à l'obligation de redresser les comptes. Cela ne se fera pas en empêchant la réforme.
C'est avec confiance que je vous présente ce texte. Je ne doute pas que le débat sera de qualité. (Applaudissements sur les bancs socialistes, écologistes et RDSE)
M. Michel Delebarre, rapporteur de la commission spéciale . - Rapporteur de votre commission spéciale, je me trouve dans une situation un peu paradoxale. En effet, votre commission n'a pas adopté de texte lors de sa réunion du 26 juin. Elle a pourtant été le cadre d'échanges constructifs (M. Roger Karoutchi rit), voire de convergences qui ont conduit à l'adoption de 18 amendements dont 12 que j'avais proposés.
Pas de compromis mais une convergence des pensées et des réflexions dans notre Sénat, entre ces quatre murs - moment important ! Votre commission spéciale s'est même laissé aller à redessiner, en pointillé, une carte territoriale rénovée, avec 13 nouvelles régions. Nul doute que nous y reviendrons lors du débat.
Si les travaux de la commission spéciale s'étaient poursuivis, nous aurions accouché d'une autre carte. Hélas, le temps a manqué, une motion référendaire ayant bousculé notre sérénité. (Sourires) Les objectifs de la réforme, connus, correspondent à ceux présentés par le Premier ministre lors de sa déclaration de politique générale. Elle se décline en deux textes qui forment un tout. Le Sénat, qui représente les collectivités territoriales, en est saisi en premier conformément à l'article 39 de la Constitution. La Corse et l'outre-mer ne sont pas concernés : pour avoir connu depuis des années des bouleversements importants, ils représentent un exemple d'expérimentation. Le cas de la métropole de Lyon montre que la réforme est possible.
J'ai reçu trente réponses des présidents de région et de département à ma demande de consultation. La plupart se prononcent en faveur d'une évolution des structures. Toutefois, les inquiétudes s'expriment sur la place des départements. Si les régions s'accroissent, il faut préserver le département, institution de proximité. Les propositions de redécoupage régional convergent sur le regroupement du Poitou-Charentes et du Limousin avec l'Aquitaine ; le maintien du Languedoc-Roussillon et de Midi-Pyrénées dans leurs limites territoriales actuelles ; la réunion de l'Auvergne avec Rhône-Alpes. Les propositions divergent sur le sort des régions Picardie, Champagne-Ardenne, Lorraine, Centre et Pays-de-la-Loire.
Le deuxième point qui émerge concerne la répartition des conseillers régionaux par section départementale. Les inquiétudes sont grandes quant à la représentation équitable des territoires ruraux au sein de conseils régionaux plus importants. Les départements ruraux, mais également les régions, réclament un nombre minimal de conseillers régionaux.
Dans un monde qui évolue, nous devons modifier nos structures. Cette réforme n'est pas justifiée par des économies, difficilement mesurables, mais par la volonté de donner à nos régions une taille critique, comparable à celle des autres régions européennes. Nos régions ne discutent pas sur un pied d'égalité avec la Rhénanie-Westphalie ou la Catalogne, dont le PIB est bien plus important et qui peuvent se préoccuper de leur image et de leur rayonnement.
Notre commission spéciale s'est attachée à définir les principes de cette réforme : meilleure efficacité, amélioration de la démocratie locale, redéfinition des compétences.
La carte a été revue, la commission spéciale a envisagé de rapprocher Poitou-Charentes, Limousin et Aquitaine ; la Champagne-Ardenne et la Lorraine-Alsace qui pourraient constituer un grand Est ; les Pays-de-la-Loire et le Centre...
M. Yannick Vaugrenard. - Ah non !
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. - La vallée de la Loire est si belle, ne la coupons pas en deux !
M. Michel Delebarre, rapporteur. - La Picardie et le Nord-Pas-de-Calais, même si tel n'est pas mon avis. M. Bourquin et M. Mézard ont insisté pour que le Languedoc-Roussillon et Midi-Pyrénées demeurent autonomes. La commission spéciale a supprimé la consultation obligatoire des électeurs en cas de déplacement d'un département d'une région à une autre, car la carte doit rester vivante, correspondre dans un esprit de subsidiarité, aux volontés des élus et des populations.
La commission spéciale s'est aussi interrogée sur le plafonnement à 150 conseillers régionaux. Finalement, elle a fixé un plafond par régions à 170 élus, 180 pour l'Ile-de-France. Cela revient à reprendre la situation présente. Mais il en reste pour considérer qu'au-dessous de 200 conseillers régionaux, l'Ile-de-France serait menacée... (Sourires)
La commission spéciale salue l'instauration d'un nombre minimal de représentants par département au conseil régional, mais elle a repris le seuil de 2 et non de 1, adopté en février 2013. Le Conseil constitutionnel accepterait ce seuil minimal mais se crisperait au-delà. Nous devons tenir compte de sa jurisprudence.
Le Gouvernement serait sensible à nos préoccupations, à entendre le ministre de l'intérieur. Une question de fond demeure : l'avenir de nos départements. Si les départements sont supprimés, comment sera assumée la coordination entre les territoires ? Les élus sont vigilants. (Applaudissements)
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission spéciale . - Le ministre a rappelé l'histoire de la décentralisation, portée par de grandes lois, telle la loi fondatrice de 1884 sur les communes ou encore celle de 1982 qui jetait les bases d'une République décentralisée. Il faut aussi citer l'action de M. Raffarin, celle de M. Joxe. Ces lois ont favorisé la décentralisation en renforçant l'efficacité publique.
Les EPCI ont été créés ; la création des régions ou établissements autonomes a constitué une étape majeure, même si depuis 2010, on hésite sur le maintien de la clause de compétence générale, ce qui ne me gêne pas car c'est une notion juridique floue. La modernité veut-elle que les institutions les plus anciennes dans notre histoire s'effacent devant les plus récentes ?
Même sans réforme, nos collectivités devront faire des économies entre baisse des dotations et impossibilité d'augmenter les impôts. Rationaliser leur organisation fera réaliser des économies substantielles ? Mais aucune étude sérieuse ne fonde les montants que vous avancez. Je ne m'étendrai pas sur l'étude d'impact, après la décision du Conseil constitutionnel... Je me référerai au rapport annuel que présente M. Guené au nom de l'Observatoire des finances locales.
Les collectivités représentent 21 % des dépenses publiques, mais 71 % des investissements. Attention à ne pas les tuer sinon il n'y aura plus d'investissement public. Le budget des régions n'est que de 27,6 milliards, contre 196 milliards pour le bloc communal. Les régions ne représentent que 4,5 % des effectifs des collectivités territoriales ! Cela relativise les enjeux de la réforme des régions et des économies qu'il faut en attendre...
Ce premier projet de loi modifie la carte des régions et reporte les élections régionales et départementales, d'où l'urgence à le faire adopter. Mais le deuxième texte, sur les compétences, en est indissociable. Ces grandes régions ont-elles un sens si on ne définit pas leurs compétences ? La taille n'est pas tout !
Pourquoi ne pas leur confier l'emploi si elles ont la formation ? Appuyons-nous sur le travail du Sénat, de sa Délégation aux collectivités territoriales, présidée par Mme Gourault, et sur le rapport de la mission commune d'information de MM. Raffarin et Krattinger. Certains prétendent que ce dernier a inspiré la réforme -bien peu.
Au lieu de cela, on nous menace de nous priver de vacances, comme si nous étions des enfants !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. - Je ne veux pas vous priver de vacances !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission spéciale. - Peu m'importe, je n'en prends jamais. Monsieur le ministre, pourrez-vous nous garantir qu'il y aura bien deux lectures dans chaque chambre, comme vous vous y étiez engagé ? Sans navette, il n'y a pas de débat.
Songez à la loi sur les métropoles : l'opposition, lors de la deuxième lecture, a participé à l'élaboration d'un compromis.
M. Jean-Pierre Sueur. - C'est vrai !
M. Jean-Jacques Hyest. - Je regrette ces débats trop brefs et que les auditions et tables rondes organisées par la commission des lois n'aient pu être prises en compte.
Il est dommage qu'on nous impose de débattre dans un temps si bref. Ce sujet intéresse et la lecture d'un quotidien du soir nous le montre avec l'article d'une personnalité éminente, Emmanuel Leroy-Ladurie, qui approuve la carte proposée, ce qui n'est pas mon cas.
Le Sénat a le souci de la proximité, de la qualité des services publics locaux, du respect du principe de subsidiarité, qui concerne aussi l'État. Pascal opposait l'esprit de finesse à l'esprit de géométrie. On ne peut dissocier brutalement les textes. Le Sénat peut trouver un consensus, à condition d'avoir toutes les cartes, et pas une seule, sur la table. (Applaudissements sur les bancs UMP)
Mme Jacqueline Gourault, présidente de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation . - Depuis sa création, en 2009, la délégation aux collectivités territoriales du Sénat a mené une réflexion fournie, dans un esprit d'innovation et de synthèse. En 2013, avec M. Hervé, j'ai publié un rapport de synthèse faisant des propositions sur l'organisation et les compétences des collectivités territoriales.
Je partage le diagnostic de M. Hyest. Les mêmes propositions se retrouvent dans tous nos rapports publiés depuis dix ans : le renforcement des régions ; l'achèvement de l'intercommunalité ; la clarification des compétences entre État et collectivités territoriales ainsi qu'entre collectivités territoriales entre elles ; la réorganisation des territoires urbains ; la réorganisation nécessaire des départements ; la création de communes nouvelles ; la reconnaissance de la diversité des territoires dans l'unité de la République ; la nécessaire réforme des ressources fiscales en raison de l'évolution des compétences. D'ailleurs, ces propositions ont été reprises dans la loi de 2010 et dans la loi sur les métropoles.
La réforme se construit progressivement, en lien avec l'évolution de la société. Dans un monde ouvert et interdépendant, on ne peut s'en tenir à l'organisation héritée de la Révolution.
Nombreux pensent que la réforme est nécessaire. Mais avec quelle méthode ? Je pense, comme en 2009 et 2010, que la question des compétences est première. Ne légiférons pas au petit bonheur, comme nous l'avions fait en 2009 lors de la réforme de la taxe professionnelle.
M. Gérard Longuet. - On met la charrue avant les boeufs.
Mme Jacqueline Gourault, présidente de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation. - Dessinée sur un coin de table bancale, la carte n'est pas satisfaisante. Plus que de la taille, il faut tenir compte de l'histoire, des bassins de vie, des dynamismes régionaux.
Nous avons, en commission spéciale, déposé des amendements pour modifier la carte. Sans doute le calendrier électoral n'est-il pas favorable à la réforme...
M. René-Paul Savary. - En effet !
Mme Jacqueline Gourault, présidente de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation. - ...quand la moitié des sénateurs s'inquiètent de leur réélection.
Pour moi, le Sénat doit imprimer sa marque. C'est pourquoi j'ai voté contre la motion référendaire. Ayons ce débat, avançons en première lecture, ce sera autant de pris. Discuter ne signifie pas signer un chèque en blanc. Malgré ses imperfections, le texte existe. J'aime beaucoup mes petits camarades députés. Il n'empêche, je préfère que le Sénat leur remette une feuille de route plutôt qu'une feuille blanche ! (Applaudissements au centre, sur les bancs socialistes, écologistes et RDSE)
M. Jean Louis Masson . - Le diagnostic est bon, pas la solution. Oui, il faut réduire le millefeuille territorial mais ce texte, qui relève du bricolage improvisé, donne lieu à des cafouillages.
Organiser nos territoires autour de grandes régions et intercommunalités n'a pas de sens. Ou alors il faut conserver un échelon de proximité, le département. Et si on supprime le département, il faut conserver aux régions une taille raisonnable. De même, l'absorption des communes par des grandes intercommunalités est une fausse bonne idée : on perd la proximité. Le seuil de 20 000 habitants donnera naissance à des intercommunalités de plus de 40 kilomètres de diamètre.
Le statu quo n'est pour autant pas justifié. La taille des départements créés sous la Révolution n'est plus adaptée. Michel Debré, dans La mort de l'État républicain, considérait déjà que 50 départements suffiraient au lieu de 100. Une réforme réaliste du millefeuille territorial consisterait non à supprimer un échelon mais à fusionner les collectivités à chaque échelon pour aboutir à une dizaine de régions et 50 départements. Et il faut tenir compte des spécificités : une petite région à forte identité doit être conservée.
M. le président. - Veuillez conclure.
M. Jean Louis Masson. - Un mot de la carte. Pour l'est de la France, le texte était cohérent dans sa première version : dans la nouvelle mouture, le bon sens a disparu : quel est le lien entre la Picardie et la Champagne-Ardenne ? L'une est desservie par le TGV Nord, l'autre par le TGV Est ; l'une par l'autoroute A1, l'autre par l'autoroute A4...
M. le président. - Votre temps de parole est écoulé.
M. Jean Louis Masson. - Revenons au texte initial plutôt que ce mouton à cinq pattes pour l'est.
M. Ronan Dantec . - Voilà un texte retardé, un texte malmené.
M. Michel Delebarre, rapporteur. - ...mais un texte libéré !
M. Ronan Dantec. - Que de manoeuvres dilatoires ! Le Sénat, représentant les collectivités territoriales de par l'article 24 de la Constitution, doit participer à la réforme. Les écologistes, critiques sur la méthode, souhaitent améliorer ce texte.
Celui-ci s'inscrit dans une réforme d'ensemble, après le texte sur les métropoles. Nous sommes favorables à un acte III de la décentralisation pour renforcer le couple essentiel intercommunalités et régions, garant d'une mise en cohésion des politiques publiques.
Nous défendons depuis longtemps cette vision, pour rompre avec un centralisme qui montre ses limites. Les inégalités territoriales s'aggravent et le statu quo ne résoudra rien. Les élus de terrain, auxquels je rends hommage, n'ont pas les moyens de leur action. Comment défendre les services publics s'ils ne peuvent pas s'appuyer sur des schémas de planification et des financements garantis ? La réforme apporte une réponse. La repousser, c'est se résigner au statu quo.
Toutefois, la méthode n'est pas pertinente. Mieux aurait valu commencer par la définition des compétences. Le débat aurait été plus serein !
Le Gouvernement a choisi de redessiner la carte des régions à la va-vite, sans tenir compte de l'histoire ou des identités. La crainte d'ouvrir la boîte de Pandore de l'auto-détermination des départements a créé des tensions. La dernière valse-hésitation en témoigne.
Prenons le temps au lieu de vouloir l'adoption de ce texte avant le quart de finale du mondial ! Des évolutions sont possibles. Par exemple, le temps des postures semble cesser dans le débat sur la carte de la Bretagne et la place des Pays de Loire. La population s'empare de la question. D'où nos amendements pour favoriser les consultations des populations. Faute de quoi, nous proposerons de repousser à l'automne l'adoption de la carte.
De même le découpage doit tenir compte des particularités locales. Il faut un droit d'option des départements pour rééquilibrer certaines fusions. Nous avons bien avancé sur ce sujet ce matin -j'en remercie M. Mézard. (M. André Gattolin applaudit)
Je soutiens la possibilité d'agir sans nécessairement recourir aux référendums locaux quand il y a consensus entre les élus. La souplesse est rarement un handicap. La loi ne supprime pas les départements. Ils gardent leur compétence en matière d'action sociale, d'égalité d'accès aux services publics, d'égalité territoriale et ont une compétence partagée pour le sport, la culture et le tourisme.
Quitte à m'éloigner de la doxa du groupe écologiste, j'estime que les départements peuvent apporter beaucoup pour les territoires ruraux et mener des expérimentations. Plutôt que de perdre du temps hier, nous aurions pu débattre des échelons infrarégionaux que la Constitution nomme département -le Sénat aurait fait son oeuvre. Un parfum de bicamérisme, en quelque sorte, avec une chambre des territoires...
M. Jean-Pierre Raffarin. - 69 is back !
M. Ronan Dantec. - Enfin, il manque indéniablement un volet démocratique dans ce projet de loi. Nous aurions pu déposer davantage d'amendements.
M. Michel Delebarre, rapporteur. - Nous n'en doutons pas...
M. Ronan Dantec. - Le scrutin direct dans les intercommunalités est un cap que nous aurions pu franchir au Sénat.
Autres propositions en débat, la parlementarisation des assemblées régionales ; le rôle des Ceser ; les rapports entre l'État, les préfets et les collectivités territoriales ; à terme, le bicamérisme local -je n'y reviens pas.
L'article 6 du projet de loi, qui plafonne à 150 le nombre de conseillers régionaux, représente un recul pour la démocratie locale, surtout pour l'Ile-de-France.
MM. Jean Desessard et André Gattolin. - Ah oui !
Mme Cécile Cukierman. - Le problème ne se pose pas seulement en Ile-de-France ! Dans la Loire, il y aura deux élus pour s'occuper de 15 lycées et 14 collèges !
M. Ronan Dantec. - Moins d'élus pour plus de décisions à prendre, l'équation est impossible. Un réseau dense d'élus régionaux est au contraire une clé de la réussite de la réforme. C'est ce qui fera reculer le sentiment de relégation. Donnons plus de pouvoirs aux citoyens ; donnons plus de pouvoirs aux élus locaux ; ils les investiront au service des territoires (Applaudissements sur les bancs écologistes)
M. le président. - La parole est à Jean-Léonce Dupont.
M. Didier Guillaume. - Ah, un président de conseil général !
M. Jean-Léonce Dupont . - Une réforme territoriale est nécessaire. Pour autant, le Meccano territorial ne peut s'élaborer qu'après et seulement après avoir clarifié les compétences et les financements -comme d'habitude, nous préférons jouer au culbuto.
Monsieur le ministre, vous parlez d'économies... A-t-on envisagé que le projet de loi générerait des dépenses supplémentaires ?
M. Éric Doligé. - Très bien !
M. Didier Guillaume. - Et la fusion des départements et des régions ?
M. Jean-Léonce Dupont. - Nous avançons à tâtons : les métropoles, un mode de scrutin avec des binômes que le monde entier est censé nous envier, la suppression de la suppression de la clause de compétence générale...
La carte régionale dont nous allons débattre vaudra pour des années. Ne commettons pas des erreurs fatales. Il n'échappe à personne qu'elle est le résultat de négociations au sein d'un parti devenu ultra-minoritaire dans l'opinion.
M. Didier Guillaume. - On verra lors des prochaines élections.
M. Jean-Pierre Raffarin. - En effet !
M. Jean-Léonce Dupont. - La carte des départements de 1789-1790 a été dessinée après six mois de consultation avec ce que nous appellerions maintenant le terrain.
Choisir son destin, c'est le minimum de la démocratie locale. (M. Didier Guillaume approuve) Toutes les régions s'incarnent dans leur capitale ; leur ôter cette marque, c'est détruire leur politique de développement économique. Autre conséquence du projet de loi, le plafonnement à 150 du nombre de conseillers régionaux : est-ce le nouveau désert français que nous voulons pour le XXIe siècle ? Notre responsabilité est immense. (M. Jacques Mézard approuve)
Enfin, le bricolage du calendrier électoral bringuebalé d'année en année. Ce gouvernement, sans en avoir le monopole, traite les mandats locaux comme des variables d'ajustement.
Mieux vaudrait au contraire faire courir les mandats régionaux jusqu'en 2022 : il leur faudra bien le temps d'un mandat normal. Quant à la réduction du mandat des conseillers départementaux, elle est tout bonnement inadmissible. C'est une façon de supprimer les départements en faisant sauter le verrou constitutionnel. Devant les réactions, on commence à évoquer l'idée qu'on pourrait ne pas traiter de la même manière les départements qui ont une métropole et les départements plus ruraux... Ah l'exemple lyonnais... C'est beau ! C'est lisible ! C'est simple ! En réalité, on a créé un département supplémentaire...
M. Gérard Longuet. - Exactement !
M. Didier Guillaume. - M. Mercier sera content !
M. Gérard Longuet. - Il s'est fait son propre petit département...
M. Jean-Léonce Dupont. - Dans un silence assourdissant sur les moyens financiers, vous programmez la fin des départements pour 2020, véritable provocation pour les élus autant que pour les agents de nos collectivités, dont vous n'imaginez pas les inquiétudes. (On renchérit à droite)
M. Éric Doligé. - Bravo !
M. Jean-Léonce Dupont. - Comment gérer une collectivité pendant cinq ans quand une partie des agents pensera d'abord à son reclassement ?
En 1982, notre assemblée débattait avec passion de la loi du 2 mai 1982 sur la décentralisation. Prenons garde de ne pas fouler aux pieds les libertés locales, que l'acte III de la décentralisation ne se transforme pas en acte I de la recentralisation. (« Très bien ! » à droite)
M. le président. - Veuillez conclure.
M. Jean-Léonce Dupont. - Les masques tombent : M. le ministre de l'intérieur l'a dit, les préfets décideront du sort des territoires ruraux.
M. Didier Guillaume. - Mais non !
M. Jean-Léonce Dupont. - Entre les régions et les intercommunalités, un État autoritaire et impuissant. Belle perspective ! (Applaudissements au centre et à droite)
M. Christian Favier . - Au nom du groupe CRC, je veux d'abord émettre une vive protestation quant à nos conditions de travail sur un texte qu'on dit fondateur, conditions indignes des enjeux comme du Sénat : procédure accélérée, étude d'impact insuffisante -le Conseil constitutionnel l'a reconnu à demi-mot-, saucissonnage des textes... Nulle volonté d'obstruction de notre part avec la motion référendaire mais dénonciation d'un coup de force institutionnel, d'une manipulation politique peu glorieuse, d'une défiance vis-à-vis de la représentation nationale et des élus. Car il s'agit de bouleverser notre contexte institutionnel, rien moins que brader en une semaine une organisation territoriale ancrée depuis deux cents ans dans l'histoire républicaine.
Et le texte est si encadré, si figé que le pouvoir législatif ressemble de plus en plus au rouage administratif d'un exécutif autocratique et sourd à toutes les critiques, réfugié dans sa tour d'ivoire élyséenne...
M. Jean-Pierre Sueur. - Comme ce discours est nuancé...
M. Christian Favier. - On songe au petit horloger de Versailles qui écrivait dans son journal, le 14 juillet 1789 : rien...
Partout, les élus, la population grondent tandis que vous tenez le peuple éloigné... Vous nous présentez, dessinée en petit comité, une nouvelle carte des baronnies dictée par Bruxelles pour réaliser des économies. Suivre les rails de la Commission européenne, si j'ai bien compris, c'est la feuille de route de M. Cazeneuve. Mais les conséquences seront lourdes. Avec le projet de loi, la baisse de l'investissement des collectivités territoriales pourrait atteindre 10 % et 10 000 emplois seraient menacés en Ile-de-France.
À l'inverse de toutes les lois de décentralisation, vous renforcez le rôle des préfets. Nous n'avons rien contre le retour de l'État mais nous ne voulons pas qu'il se fasse contre les assemblées élues. Pourquoi cette concentration, cette organisation verticale, hiérarchique qui semble être l'alpha et l'oméga de votre pensée institutionnelle, alors que tout pousse à de nouvelles formes d'organisation, plus souples et plus collaboratives ? Qui peut croire qu'il y aura plus de démocratie avec moins d'élus et moins d'assemblées ?
Alors, où sont les vrais enjeux ? Mettons-nous les mêmes réalités derrière les mêmes mots ? Quand on parle de régions fortes, est-ce la fin de la République unitaire et la voie ouverte au fédéralisme ? Est-ce la disparition de toute politique économique nationale, d'aménagement du territoire, d'enseignement supérieur ?
Véritable jeu de dupes que le discours sur les communes : on les défend tout en réduisant leurs budgets et leurs compétences au profit d'intercommunalités qui ne sont plus librement choisies. Les communes deviendront bientôt de simples mairies d'arrondissement, a fortiori avec des seuils portés au plus haut pour les intercommunalités et l'élection au suffrage direct des conseillers communautaires...
On ne parle pas encore de supprimer les communes, mais le projet est sans doute dans les cartons. Le président de la République n'a-t-il pas changé d'avis sur les départements en quinze jours ? Six mois après avoir rétabli la compétence générale, on la supprime... Cette versatilité de la parole politique cache mal le projet libéral d'une Europe fédérale des régions, qui éloigne toujours plus les citoyens des centres de décision.
Au nom d'une prétendue lisibilité, nous assistons à un grand chambardement technocratique contraire aux engagements pris par le président de la République lors de la campagne présidentielle et de son discours de Dijon. Loin de la promesse d'un nouvel acte de décentralisation, nous sommes face à un nouveau renoncement, à une nouvelle reculade. Le groupe CRC milite pour une VIè République sociale et démocratique, pour des collectivités locales librement administrées par des assemblées élues aux pouvoirs renforcés, construites sur des coopérations et non sur une intégration contrainte. Cela suppose un débat national et le référendum. Vous n'en voulez pas, nous rejetterons votre texte. (Applaudissements sur les bancs CRC)
M. Michel Delebarre, rapporteur. - On s'y attendait...
M. Jacques Mézard . - M. le ministre, imaginez-vous dans une verte vallée du Massif central présenter les bienfaits de cette réforme à une assemblée d'élus locaux et leur dire que l'échelon de proximité disparaît ...
M. Gérard Longuet. - Cela commence bien !
M. Didier Guillaume. - C'est un poète !
M. Jacques Mézard. - Le monde évolue, le groupe RDSE en a conscience et a montré sa volonté de changement sur la bioéthique, la santé publique, les libertés, dans bien d'autres domaines encore. Nous votons le budget et la réforme pénale. En revanche, nous ne voulons pas de ces textes néfastes pour la nation, le binôme, le non-cumul, aujourd'hui ce texte et celui annoncé. Nous ne contestons pas la baisse des dotations, nous comprenons les enjeux. Mais nous ne voulons pas d'un bouleversement de notre organisation territoriale sans concertation, au mépris du rôle du Parlement. Nous ne voulons pas d'une carte des régions dessinée en quelques heures au sommet de l'exécutif au gré de la puissance ou de la proximité de certains grands élus.
Le groupe RDSE vous propose de revoir votre projet, votre calendrier, en un mot votre copie dans l'intérêt du pays et même du Gouvernement. Victor Hugo qui a siégé -peu mais bien- au Sénat disait : « La forme, c'est le fond qui remonte à la surface. » Ce qui remonte, c'est le non-respect du Parlement et d'abord du Sénat de la République ; ce qui remonte, c'est une méconnaissance des territoires. Oui, nous vivons dans un régime à bout de souffle. Tordons le cou aux arguties de certains zélateurs ânonnant des éléments de langage. Non, ce n'est pas un débat droite-gauche, de très nombreux exécutifs locaux dirigés par des socialistes ont dit leur hostilité tandis que des personnalités de droite ont souhaité la suppression des départements. J'ai obtenu, parce que je les ai demandées, copies des réponses au questionnaire du rapporteur de la commission spéciale : conseils généraux, 18 contre, 6 pour ; conseils régionaux, 2 contre, un pour ; l'ADF y est résolument opposée, son président, à ma connaissance, est pourtant socialiste... J'ai pris connaissance avec intérêt de l'amendement déposé ce matin par le groupe socialiste du Sénat pour le maintien des départements en zone rurale. Nous verrons ce qu'en pense le Gouvernement...
Non, il n'y a pas plus ici un débat entre les prétendus anciens et les prétendus modernes. Notre groupe s'est opposé à Mme Lebranchu quand elle a voulu rétablir la clause de compétence générale ; vous proposez aujourd'hui de la supprimer. Qui est incohérent ? Qui est moderne ? Et ceux dont le seul argument est de dire que puisque le monde change, il faut changer, ne sont pas de vrais réformistes mais de vrais opportunistes...
On discuterait de cette réforme depuis vingt ans ? Non, la carte proposée a été dessinée ex nihilo. M. Krattinger, avec courage, a démontré en commission que ce projet de loi n'était en rien le produit du rapport qu'il a cosigné avec M. Raffarin, et que le Sénat avait approuvé à l'unanimité. (Marques d'approbation sur les bancs UMP) Que ne l'avez-vous lu !
Lors de son discours de Dijon...
M. Didier Guillaume. - Beau discours !
M. Jacques Mézard. - ... comme lors de celui prononcé à Tulle, le président de la République a défendu l'existence des départements. Le Premier ministre, défendant le binôme, a fait ici de même. Qui a changé d'avis ? Qui manque de cohérence ? L'exécutif ou nous ?
Il ne nous est point agréable de nous opposer à un Premier ministre que nous respectons et à un ministre de l'intérieur dont nous partageons nombre de convictions- vous fûtes à bonne école. Nous le devons pourtant, c'est notre devoir de parlementaires.
Vous avez cité Edgar Faure, monsieur le ministre ; souvenez-vous du titre de ses mémoires : « On a toujours tort d'avoir raison trop tôt ». Il est vrai qu'il parlait aussi « d'indépendance dans l'interdépendance »...
M. Roger Karoutchi. - À propos du Maroc...
M. Jacques Mézard. - Deux projets de loi saucissonnés alors qu'ils n'en font qu'un, un passage en conseil des ministres le 18 juin, cinq jours pour déposer des amendements, une étude d'impact indigente, un examen à la sauvette, une matinée en commission à jouer au Monopoly ou au Rubik's cube... Le tricot, c'est une maille à l'endroit, une maille à l'envers ; ici, on tricote tout à l'envers. D'où notre motion référendaire. Et qu'on nous épargne les cris d'orfraie de ceux qui dans l'opposition défendaient pareille motion sur des sujets moins essentiels.
Il y a dans ce texte un vide sidéral sur la décentralisation, les transferts de compétences - certains ne sont même pas terminés ; pire, vous renforcez le rôle des préfets quand les services déconcentrés de l'État maigrissent.
Une avancée démocratique que de grandes régions ? Non pas ! Déjà, plus personne ne connaît les élus envoyés siéger à la capitale régionale ; ce sera pire demain, le pouvoir sera entre les mains du président et de ses services.
On étouffe les partis minoritaires au profit de l'extrême droite et nous devrions vous en remercier ? Une avancée dans l'organisation territoriale ? Un découpage arbitraire, sans lien avec la réalité ni les bassins de vie. M. le rapporteur ne veut pas de la Picardie dans sa région, non pour des raisons économiques mais pour préserver un résultat électoral. Où sont les économies ? Où est l'avancée quand les territoires ruraux n'auront plus guère de représentants à la région ? On nous dit qu'il suffit d'y envoyer de bons élus ; est-ce à dire que les urbains sont des imbéciles ? (Sourires) Le besoin de proximité, vous le traitez par l'éloignement. Oui, notre société change, pourquoi une organisation uniforme ? À quoi sert un conseil général à Paris sinon à cumuler les indemnités ?
Nous sommes pour de grandes régions, pour la spécialisation des compétences, pour une organisation différenciée, pour le renforcement des intercommunalités et les communes nouvelles...
M. Christian Bourquin. - Ce n'est pas mal !
M. Jacques Mézard. - Le texte sera rejeté par le Sénat. Que le Gouvernement revoie sa copie, choisisse le chemin de la raison et du bon sens. Monsieur le ministre, posez dans la loi le principe d'un nombre maximum de régions, donnez au Parlement un délai pour voter une carte en liaison avec la question des compétences, conservez l'échelon des conseils généraux sauf dans les territoires métropolitains, repoussez les élections si vous voulez : vous n'aurez pas reculé mais fait oeuvre de responsabilité et de rassemblement. C'est ce que nous attendons de vous. (Applaudissements sur les bancs RDSE, au centre et à droite ; M. Christian Bourquin applaudit debout)
M. Jean-Pierre Raffarin . - Je crains que ce texte bâclé ne porte un coup fatal à la décentralisation. Votre projet de loi est un texte aux sept erreurs.
Première erreur, la précipitation. Comment croire à sa légitimité quand on sait comment il a été élaboré, négocié en nocturne à l'Élysée ? Examen dans des conditions qui ne sont pas dignes du Parlement, saisine du Conseil constitutionnel, décision de celui-ci dans la foulée, vote ici de la motion référendaire que l'Assemblée nationale repousse le soir même : quelle rapidité ! Nous aimerions que la navette fût toujours aussi rapide ! (Sourires à droite) Tout cela pour escamoter le débat, parce que l'essentiel, c'est le calendrier électoral. C'est désolant pour les Girondins qui sont nombreux ici.
Bien sûr je souhaite le meilleur destin pour ma région. C'est l'évidence, il est comme celui du Limousin avec l'Aquitaine, je le vis depuis 40 ans ! Mais puis-je décider en trois jours de rattacher l'Alsace et la Lorraine ? Telle région à telle autre ? Quelle légitimité ont ces marchandages entre notables qui ont décidé de rapprocher leurs intérêts ? Je peux vous parler de mon territoire, pour le reste c'est au Parlement de débattre, de décider ensemble avec l'État d'une carte fondée sur une réflexion historique, sociale, économique.
Cette carte nous aurions pu vous la dessiner avec M. Krattinger, dont l'absence est significative... Nous sommes prêts à travailler, mais il nous faut du temps et un peu de confiance... (Applaudissements à droite)
Deuxième erreur, logique inversée : le périmètre avant les compétences. (Mêmes mouvements)
M. Gérard Longuet. - Allez donc parler des huîtres à Dreux !
M. Jean-Pierre Raffarin. - Troisième erreur, je le dis sans arrogance, un déficit de pensée. Deux grandes voies peuvent être envisagées, celle qu'a choisie le Gouvernement précédent avec le conseiller territorial, qui rapprochait département et région ; celle pour laquelle M. Krattinger et moi avons plaidé, la différenciation, la proximité au département, la puissance et la stratégie à la région. Vous faites les grandes régions en abandonnant la proximité...
Quatrième erreur, une concertation bâclée. Nous avions fait un travail considérable, rédigé un rapport voté à l'unanimité ; croyez-vous que cela a été facile ? Et là, pas un coup de téléphone, pas un rendez-vous ! Même pas de mon préfet ! C'est vrai pour tous les membres de la commission ! C'est manquer de respect au Parlement ! (Applaudissements à droite et au centre) Si vous nous confiiez votre réforme, je vous assure que nous réussirions là où vous avez échoué.
Cinquième erreur, créer l'antagonisme entre les territoires. C'est une maladresse. Le Gouvernement précédent avait été particulièrement maladroit et cumulé des erreurs qui lui avaient coûté le Sénat. Vous n'avez pas tiré la leçon de nos échecs, vous vous attaquez en même tant à la carte des intercommunalités, aux départements, au financement, aux rythmes scolaires : vous montez les territoires contre l'État. On s'accommodera des résultats de septembre, mais nous n'acceptons pas de voir le pays divisé.
Sixième erreur, l'absence de vision pour la ruralité. Le conseil général serait pour les ruraux ? Mais ils ont besoin de péréquation, d'équilibre. Isoler la pauvreté, c'est la cantonner dans ses frontières. Les partenariats entre urbains et ruraux sont indispensables. (Applaudissements sur les bancs UMP)
Septième erreur enfin, se pose la question de la place du Sénat dans la République, si vous mettez en cause en supprimant les départements la cellule de base sur laquelle repose notre légitimité. Pour les Français, le département est un espace profondément républicain. Ils y sont très attachés.
Ne pensez pas que pour nous, la région est l'horizon. Notre ambition, c'est la France. Notre légitimité est territoriale, mais notre projet est national ! (Vifs applaudissements sur les bancs UMP)
M. Didier Guillaume . - Nous pourrions partager beaucoup de ce qui a été dit. Nous devons faire confiance au Sénat, à notre propre débat. Quels que soient les projets du Gouvernement, le rôle du Parlement est de débattre et d'amender. Nous croyons à la force du débat, à la force de conviction des sénateurs.
Arrêtons les faux débats, les motions procédurales et débattons du fond. Chacun a sa part de vérité, toutes les positions sont respectables mais tous les excès condamnables. Les positions ont évolué. Je fais partie des nouveaux convertis. Je ne défends plus les positions que défendait naguère le parti socialiste -comme l'UMP ne défend plus les propositions qui figurent noir sur blanc dans le programme écrit par mon excellent collègue de la Drôme Hervé Mariton.
Le Gouvernement nous demande de clarifier et moderniser notre organisation territoriale. Nous voulons aller dans le sens de l'histoire de cette belle décentralisation, naguère combattue, dont tout le monde reconnait aujourd'hui les mérites. La décentralisation s'est construite en 1982 sur le couple commune-département ; puis sont venues les régions. C'est la régionalisation des services de l'État qui a posé le plus de problèmes, en éloignant les décisions du citoyen. Nous sommes prêts à accompagner la réforme mais nous opposerons à toute recentralisation, à tout projet renforçant les pouvoirs du préfet au détriment des élus. (Applaudissent sur plusieurs bancs socialistes)
Veut-on vraiment que rien ne bouge ? Tout n'est pas parfait. Je suis président de conseil général ; depuis dix ans, j'entends l'ADF pleurnicher parce que l'État ne paie pas ses dettes. Vingt à trente départements sont au bord du gouffre, et les investissements baissent. Les régions n'ont plus d'autonomie fiscale. Tout va-t-il si bien ?
M. Éric Doligé. - À cause de qui ?
M. Didier Guillaume. - Nous sommes en l'an I de la clarification. Permettons aux collectivités, qui ont du talent, d'innover. À Valence, il y a trois autorités organisatrices de transport sur le même périmètre. Et on ne changerait rien ? Il ne faudrait pas avancer ? (M. René-Paul Savary s'exclame) Il y a une nécessité démocratique à la réforme, une nécessité économique et une nécessité financière.
Quelle est notre vision de la France des territoires ? D'abord un service public au plus près des citoyens. Le service public est essentiel, c'est le patrimoine de ceux qui n'en ont pas. Peu importe qui l'assume, pourvu que cela marche. Replaçons le service public au coeur du dispositif autour de quatre objectifs : solidarité, efficacité, proximité, diversité. La solidarité est indispensable, la proximité aussi. (Applaudissements sur les bancs UMP) Paris, Lyon, Marseille, ce n'est pas la Lozère ou la Drôme : les territoires sont divers. Peu importe le nombre de régions, du moment que ce sont des euro-régions fortes et stratèges.
M. René-Paul Savary. - C'est déjà le cas !
M. Didier Guillaume. - À l'autre extrémité, la commune et l'intercommunalité. Entre les deux il faut une instance intermédiaire de proximité et de solidarité. La mise en réseau des collectivités locales est indispensable, comme le disait M. Retailleau.
Le Premier ministre a répondu sur les départements et la spécificité de la ruralité, le ministre de l'intérieur s'est dit ouvert sur le sujet. Sommes-nous capables d'avancer ?
Le groupe socialiste propose un socle territorial commun. Nous sommes capables de le dessiner ici, dans la chambre des territoires. Il aurait quatre axes. Le premier, les régions. Prenons le temps, dessinons les nouvelles régions du XXIe siècle. Cela fait vingt ans qu'on en parle.
M. Éric Doligé. - On ne va pas le faire en 48 heures !
M. Didier Guillaume. - Le Sénat ne serait-il pas capable de trouver une majorité sur le nombre minimum de conseillers régionaux ? Je pense que nous pouvons nous mettre d'accord pour dire que les petits départements doivent être correctement représentés.
Sur le droit d'option des départements, ne serions-nous pas capables de trouver une majorité ? Bien sûr que si -à moins qu'il y ait autre chose derrière.
Je ne suis pas favorable à la suppression pure et simple des conseils généraux, notamment dans les zones rurales, mais leurs compétences doivent évoluer. Suite au colloque de Nevers sur la nouvelle ruralité, nous pouvons faire évoluer les conseils généraux. Sont-ils nécessaires dans les grandes métropoles ? Dans l'Ariège, déjà pauvre, les parents paient les transports scolaires au prix fort ; juste à côté, en Haute-Garonne, ils sont gratuits. (Exclamations à droite) C'est pourquoi il faut inventer une nouvelle solidarité, avec une nouvelle fiscalité. (Exclamations à droite)
Cessons de pleurnicher, soyons capables d'avoir une discussion sereine, d'avancer. Nos concitoyens nous regardent.
Pourquoi ne pas expérimenter ? Pourquoi garder 102 départements ? La Drôme et l'Ardèche prennent des délibérations communes sur de nombreux points, mais elles ne sont pas valables tant que chaque assemblée n'a pas délibéré de son côté. Que de technocratie !
Le Sénat doit prendre ses responsabilités. Qui veut tuer son chier l'accuse de la rage, dit le dicton. Il y aura toujours de bonnes raisons, de bons arguments pour ne pas discuter du texte. Non, allons de l'avant, prenons nos responsabilités. Je ne souhaite pas remettre à l'Assemblée nationale le soin de décider de la réforme territoriale. À l'heure qu'il est, le Sénat ne peut passer son tour.
M. Patrice Gélard. - Chantage !
M. Didier Guillaume. - Nous devons être à la hauteur des enjeux de la France. Cela signifie clarifier, moderniser, inventer les nouveaux territoires ! (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. Gérard Larcher . - Ce débat illustre à quel point le Sénat et le Parlement dans son ensemble sont peu respectés. Je veux poser une question au président Bel et au ministre : à entendre le président Guillaume nous parler des compétences, j'en conclus qu'il désapprouve que nous commencions par la cartographie avant d'avoir établi les compétences. Faut-il, dès lors, poursuivre l'examen du texte ? La majorité sénatoriale de septembre 2011 s'est attachée à démolir systématiquement la loi de 2010. Les péripéties de la suppression puis du rétablissement, le 19 décembre dernier, de la compétence générale virent au comique.
Nous nous inscrivons dans l'esprit de la décentralisation. Vous dévitalisez les départements pour mieux revitaliser le préfet ; vous recentralisez. Vous remplacez les élus par les préfets ! Quelle vision de la décentralisation ! (Applaudissements sur les bancs UMP)
Vous instrumentalisez maladroitement le rapport Raffarin-Krattinger : nous voulions éviter un no man's land rural entre des métropoles attractives. Regardez les résultats électoraux dans les zones rurales du Pas-de-Calais ou du Cantal : le Front national obtient plus de 32 % dans les communes de moins de 1 500 habitants ! N'est-ce pas le symptôme d'une France qui se sent exclue, abandonnée ? (Applaudissements sur les bancs UMP)
M. Alain Néri. - Qu'avez-vous fait pendant dix ans ? Rien !
M. Gérard Larcher. - Monsieur Guillaume, comment voulez-vous que nous examinions vos quatre axes dans le temps qui nous est imparti ? Que faites-vous des fonctionnaires territoriaux ? Où est l'étude d'impact ? Le ministre vante l'exemple de Cherbourg-Octeville, où il a appliqué une règle plus dure que le gouvernement Fillon sur le non-remplacement des retraités !
Je reviens à la dimension politique de vos décisions ; vous ne faites plus confiance à l'élu local, qui serait redondant, dépensier. Il faudrait l'éloigner du citoyen.
M. Didier Guillaume. - Cela, c'est ce que disait Sarkozy !
M. Gérard Larcher. - Le Sénat doit représenter toute la France, pas simplement la France rurale ou celle des métropoles. Le vrai handicap c'est l'enchevêtrement des compétences.
M. Patrice Gélard. - C'est vrai !
M. Gérard Larcher. - Attention à ne pas laisser des territoires sur le bord de la route, qu'ils soient ruraux ou urbains. À 20 kilomètres de Trappes, on sait ce que c'est qu'un territoire délaissé ! Alors amender, peut-être, mais sans doute revoir la copie ! (Applaudissements à droite)
M. Henri Tandonnet . - Après les poids lourds du Sénat, je ferai entendre la voix de la modération, dont Albert Camus disait qu'elle était radicale. (Sourires)
Je regrette que notre discussion doive porter sur le texte du Gouvernement malgré l'intense travail de la commission spéciale. Celle-ci a adopté des amendements, mais pas de texte.
M. Philippe Kaltenbach. - La faute à qui ?
M. Henri Tandonnet. - L'UDI semble être le seul groupe à vouloir débattre sur le fond. « Acte III de la décentralisation » ? C'est surtout un acte manqué. Au lieu de s'appuyer sur la réforme territoriale de 2010, le Gouvernement a préféré, par pur dogmatisme, détruire ce qui avait été fait par la majorité précédente. Une réforme efficace est une réforme pensée globalement. Je m'interroge sur la solidité de l'équilibre qui sera trouvé.
Le redécoupage des régions proposé est hélas tributaire de considérations politiques, au détriment de la cohérence. La notion de bassin de vie est absente du texte, alors que les outils statistiques existent. C'est une erreur de vouloir regrouper des régions intermédiaires, dépourvues de vraie capitale. Il aurait fallu raisonner à l'échelle des départements, non par régions figées. Ce redécoupage aurait nécessité un dialogue avec les collectivités territoriales pour saisir les enjeux de chaque territoire : notre groupe souhaite apporter de la souplesse ; nos amendements prévoient que deux départements limitrophes puissent demander une modification de frontières sans référendum. Il devrait en aller de même pour la fusion de régions : il faut un minimum d'affectio societatis.
Un mot sur les territoires ruraux. Certes, de grandes régions pourront faire beaucoup pour l'industrie ou les infrastructures. Mais elles n'ont pas réussi à limiter la fracture entre les métropoles et les territoires ruraux, trop souvent laissés pour compte. C'est pourquoi nous souhaitons une meilleure représentation des territoires ruraux dans les conseils régionaux. Oui à une intercommunalité correspondant à des bassins de vie, oui à une décentralisation tournée vers l'avenir.
Notre soutien reste conditionné à l'acceptation de l'assouplissement que nous proposons pour les rattachements de départements et les fusions de régions. (Applaudissements sur certains bancs UDI-UC)
La séance est suspendue à 19 h 40.
présidence de M. Charles Guené,vice-président
La séance reprend à 21 h 40.
Question prioritaire de constitutionnalité (Renvoi)
M. le président. - M. le président du Conseil constitutionnel a informé le Sénat, le jeudi 3 juillet 2014, qu'en application de l'article 61-1 de la Constitution, le Conseil d'État a adressé au Conseil constitutionnel une décision de renvoi d'une question prioritaire de constitutionnalité portant sur l'article 1613 bis A du code général des impôts (Contributions perçues au profit de la Caisse nationale de l'assurance maladie des travailleurs salariés). Le texte de cette décision de renvoi est disponible à la direction de la séance.
Délimitation des régions (Procédure accélérée - Suite)
M. le président. - L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral.
Discussion générale (Suite)
Mme Cécile Cukierman . - La gazette des communes écrivait, la semaine dernière, au sujet du projet de loi qui nous réunit, que « nommer les choses, c'est déjà prendre le pouvoir sur elles ». Parler de réforme territoriale au lieu de décentralisation, c'est aller à l'encontre de ce qu'attendaient les élus locaux qui ont contribué à faire basculer le Sénat à gauche. Nous verrons bien si cette bascule, en 2011, était effectivement historique.
Les états généraux de la démocratie territoriale, après avoir suscité de l'espoir, ont créé de la frustration. Pourquoi ne pas être parti de cette dynamique pour renforcer la décentralisation et travailler la loi, dans la durée, avec les élus locaux ?
Vous voulez faire entrer dans notre pays, par la fenêtre, le fédéralisme qui profite toujours aux plus riches, aux plus compétitifs. Une petite fenêtre, entre la fin de l'année scolaire et la Coupe du monde...
Je ne citerai pas la longue liste des départements et régions qui réclament une consultation démocratique sur ce texte. Pourquoi construire la boîte avant d'en définir le contenu ? Vous dites, monsieur le ministre, vouloir des régions fortes, compétitives. En quoi une région Auvergne-Rhône-Alpes, avec 150 élus contre 166 à la seule région Rhône-Alpes actuellement, sera-t-elle plus dynamique ? En quoi grossir les régions et dévitaliser les départements répond-il aux attentes des Français ?
On nous fera passer pour des ringards, pour des has been comme on dit maintenant. Nous voulons une réforme, mais pas celle-ci, qui brise l'unicité de la République, indispensable à la solidarité entre citoyens.
Nous restons disponibles pour un vrai dialogue, comme nous l'étions pour faire confiance à l'intelligence territoriale par la création des conférences d'exécutifs comme lieux utiles de concertation ; en revanche, nous combattons l'autoritarisme étatique. Faire mieux avec moins, ce n'est pas possible. De super-conseillers régionaux aux compétences élargies mais moins nombreux n'auront pas les moyens d'accomplir leurs nouvelles missions.
Le discours dominant de ceux qui appellent à la réforme de l'État, qui l'ont déjà privé de moyens avec la RGPP et le MAP est dangereux.
Les tenants des grandes régions le sont moins lorsqu'il s'agit des leurs... On se demande avec qui la Picardie pourrait fusionner ; pour PACA et le Nord-Pas-de-Calais, il n'est question que des régions qui pourraient les rejoindre... Restent deux régions que personne ne veut absorber, au nord de Paris et à l'ouest du Massif central.
M. Bourquin, président de Languedoc-Roussillon, veut rester seul, comme M. Rousset en Aquitaine, M. Auxiette propose de fusionner avec la Bretagne mais non avec le Centre, quand M. Urvoas crie à la dilution de l'identité bretonne...
Tout va très bien mais il faut que je vous dise... Le bruit court, monsieur le rapporteur, que la proposition de rattacher la Picardie au Nord-Pas-de-Calais vous a conduit à vous abstenir sur votre propre rapport. Pourtant, on aurait ainsi créé une région de 6 millions d'habitants et vous vous seriez ouvert les portes du sud picard...
Nous ne voulons pas de ce résultat à la finale : décentralisation : 0, fédéralisme : 1. L'urgence est à la décentralisation, à la cohésion sociale dont ont besoin les hommes et les femmes de notre pays. (Applaudissements sur les bancs CRC)
M. Michel Delebarre, rapporteur. - Ça, c'est envoyé !
M. Jean-Pierre Sueur . - Je ne comprends pas pourquoi il faudrait que le Sénat rende une page blanche. Beaucoup ont fait des propositions d'améliorations. Comment comprendre que l'assemblée qui représente les collectivités territoriales n'ait rien à dire ?
Nous sommes au coeur d'une grande mutation. La France du XIXè siècle était articulée autour des départements et des communes.
La France du XXIe siècle sera articulée autour de régions et de communautés efficaces -et j'inclus dans le terme les métropoles, les communautés urbaines et les communautés de communes, si importantes en milieu rural. Personne ne défend le statu quo, je le constate.
Plutôt que de régions fortes, parlons de régions efficaces. L'efficacité n'est pas liée au nombre d'hectares et nous n'aurons pas trop de quatre lectures pour peaufiner la carte, comme nous avons commencé à le faire en commission spéciale.
On entend dire que les régions comportent des métropoles, des infrastructures ; que la France a besoin de régions efficaces pour l'économie et l'emploi : voyez le rapport Raffarin-Krattinger.
M. Jean-François Husson. - On ne sait pas ce que cela veut dire.
M. Jean-Pierre Sueur. - C'est pourtant simple ! Tout le monde est d'accord pour saluer le succès des intercommunalités. Il faut les renforcer, avec pragmatisme : on ne peut pas faire la même chose à la montagne qu'en plaine, par exemple.
Je suis attaché comme à la prunelle de mes yeux aux 36 700 communes de France. Nos 550 000 conseillers communaux connaissent chaque rue, chaque maison, chaque école, bref, le terrain ; ils incarnent la proximité. Qu'aurions-nous à gagner à les licencier ? Les intercommunautés s'occupent, elles, des compétences partagées.
Quant aux départements, j'ai entendu beaucoup de propos convergents. Il est envisageable que le modèle de la métropole lyonnaise, déjà inscrit dans la loi, soit généralisé dans les cas semblables. Mais dans les zones rurales, toutes sortes de solutions sont imaginables, comme des fédérations d'intercommunalités, ou le maintien des départements. Rompons avec le postulat de l'uniformité. Il ne faut plus décentraliser de manière centralisée !
M. Didier Guillaume. - Vous avez tracé la feuille de route.
M. Jean-Pierre Sueur. - Sur tous ces points, nous sommes tous d'accord. Reste à débattre des modalités. Si nous rendons page blanche, cela signifiera que le Sénat n'a rien à dire ! Ce serait, pour employer une métaphore d'actualité, marquer un but contre son camp. (Applaudissements sur les bancs socialistes et écologistes)
Mme Anne-Marie Escoffier . - Inutile de revenir sur les critiques déjà formulées contre ce texte. Son élaboration précipitée est contraire à la méthode revendiquée par le président de la République, fondée sur le dialogue et la recherche d'un consensus de bon aloi.
Qui refuserait de voir la nécessité d'améliorer le fonctionnement des services déconcentrés de l'État et des collectivités territoriales pour mieux servir les Français ? Qui ne voudrait participer à la bataille d'un nouvel aménagement du territoire ?
Mais nous cherchons encore l'objectif réel de ce texte. Votre intervention, monsieur le ministre, comme celle du Premier ministre, m'ont rassurée, rassérénée ; je dois le dire.
Des régions fortes, une clarification des compétences de l'État déconcentré et des collectivités territoriales, une juste place aux territoires dans toute leur diversité : pourquoi a-t-il fallu attendre si longtemps pour entendre ce discours apaisé et apaisant ?
L'objectif premier n'était-il pas de reporter les élections, pour préparer la disparition des départements -ce qu'il fallait habiller constitutionnellement par un redécoupage des régions ?
Cette carte n'en a pas fini de susciter ire et interrogations. Pour y avoir réfléchi dans d'autres fonctions, je crois que le périmètre des nouvelles régions ne peut reposer sur le seul critère démographique.
Les seuils rigides sont inadaptés. L'histoire, la culture peuvent fédérer une région mais, aujourd'hui surtout, sa surface financière et sa capacité de promouvoir le développement et d'attirer les talents. Encore faudrait-il aux régions des moyens financiers suffisants... Cette question financière ne peut être passée sous silence : en l'étudiant à l'occasion d'un autre texte, nous nous exposons à l'incohérence.
Incohérence, ce mot est revenu à plusieurs reprises dans nos débats pour parler de la décision de supprimer les départements. La décision a beau ne pas être écrite, elle a été prise. Voyez l'amendement qu'ont présenté nos amis socialistes en commission ce matin : maintien des départements ruraux...
La suppression des conseils généraux mérite débat. Qui assurera leurs compétences ? Que faites-vous de la proximité ? Quant aux intercommunalités, elles doivent se construire sur la base d'un vrai projet, dans un bassin de vie.
Vous n'avez pas affaire à des sénateurs obtus, convaincus de détenir la vérité. Nous voulons travailler avec vous à une organisation territoriale rénovée, adoptée aux besoins d'aujourd'hui : les propositions qu'a faites mon ami Jacques Mézard tout à l'heure en témoignent. (Applaudissements sur les bancs RDSE ; plusieurs sénateurs UDI-UC et UMP applaudissent aussi)
M. Éric Doligé . - La douceur de votre ton, monsieur le ministre, contraste avec la brutalité de votre texte. Depuis quelques semaines, vous soufflez le chaud et le froid. Naguère, le Premier ministre disait qu'il n'était pas question de changer quoi que ce soit au texte. Finalement, quelques ouvertures apparaissent, peut-être grâce à l'opposition et la mobilisation sur nos bancs comme dans les territoires. Au Sénat nous ne sommes pas à l'école. M'entendre dire que si je ne vote pas, on va me coller tout l'été, cela ne me plaît pas ! Et un sénateur de votre majorité que nous serions privés d'une deuxième lecture : une menace encore ?
Le président de la République, ancien président de conseil général, s'était engagé en janvier à sauvegarder les départements, quatre mois plus tard, il dit l'inverse et tout le monde baisse les yeux. Moi, cela me gêne.
À Nevers, M. Vallini en a pris pour son grade, de la part d'élus de gauche... Et il s'est contenté de répondre qu'on pouvait faire des économies sur l'entretien des routes !
Le rapport Raffarin-Krattinger proposait certes de regrouper des régions, mais en maintenant les départements -dont le nombre pourrait varier, M. Guillaume l'a évoqué.
Que dire de la région « Limouchar » Limousin, Centre, Poitou-Charentes ? On a marié d'office des départements et des régions, qui ne le voulaient pas... Le président de la région aura face à lui 13 préfets ! Comment pourra-t-il se faire entendre ? L'État aura la main sur toutes les décisions importantes, comme sur le redécoupage des cantons.
Le 16 mai, j'ai reçu un document sur la prévention des risques psycho-sociaux dans la fonction publique territoriale. Que faites-vous des fonctionnaires des départements ? (Protestations sur les bancs socialistes) Ils sont inquiets.
M. Didier Guillaume. - Ça dépend de ce qu'on leur dit !
M. Éric Doligé. - Je n'ai rien eu à leur dire, ils l'ont perçu comme cela. Dans mon département il y a 2 600 fonctionnaires et 10 000 personnes employées dans des établissements dépendant directement du financement du département. Dans un autre document qui m'est arrivé en avril, Mme Lebranchu nous expliquait les bienfaits des départements...
Nous aimerions avoir des réponses claires à nos questions : existera-t-il un droit d'option, pourra-t-on découpler élections régionales et départementales ? Si le Gouvernement est ouvert, et si nous avons du temps pour travailler, nous dessinerons une carte équilibrée. (Applaudissements à droite et au centre ; MM. Jacques Mézard et Christian Bourquin applaudissent aussi)
M. Daniel Dubois . - Après le mariage pour tous, voici le mariage forcé, qui ne satisfait personne...
M. Alain Néri. - Si l'Auvergne !
M. Daniel Dubois. - ...en préservant quelques baronnies proches du pouvoir. La procédure suivie est détestable : une carte dessinée sur un coin de table, un projet de loi soumis à la procédure accélérée, aucune concertation avec les élus locaux en dépit de la loi.
Le rapport Raffarin-Krattinger concluait qu'il était impossible de définir les frontières de nouvelles régions sans une concertation approfondie. Les vrais enjeux sont absents du projet du Gouvernement : l'avenir du bassin parisien dans la mondialisation, le potentiel de nos littoraux, le choix de métropoles d'équilibre dans chaque région.
La première question qui aurait dû se poser, c'est celle de la répartition des compétences. La seconde, c'est celle des moyens humains et financiers pour les exercer : modernisation du statut de la fonction publique, fiscalité locale, dotations...
Autre question : celle de la réforme de l'État, au niveau central et déconcentré.
Enfin, il aurait fallu tenir compte des traditions culturelles et historiques des territoires.
Aucune réponse n'a été apportée à ces questions. En Picardie, toutes les assemblées locales comme les habitants s'opposent au mariage forcé avec Champagne-Ardenne -le contrat de mariage est léonin. Vos plaidoiries n'y changeront rien, monsieur Cazeneuve. Que dire du maintien en l'état de la Bretagne et du Nord-Pas-de-Calais si cher à notre rapporteur ?
M. Vallini avait pourtant trouvé l'argument massue : il fallait attendre de la réforme des économies de 12 à 25 milliards d'euros. Ces chiffres sont fantaisistes.
Au début du quinquennat, déjà, on reportait les élections départementales pour procéder au charcutage des cantons.
M. Alain Néri. - Adressez-vous à M. Marleix ! C'est lui le maître dans l'art du charcutage !
M. Daniel Dubois. - De qui se moque-t-on ?
Depuis 1996, la procédure du changement de chef-lieu est clairement encadrée et soumise à l'avis des élus. Pourquoi en changer ? Relisez l'article L. 41-22-2 du code général des collectivités territoriales. La question n'est pas anodine car la capitale régionale hébergera le conseil et les services de la région. C'est tout un symbole. Des milliers d'emplois sont à la clé. Consulterez-vous les élus d'Amiens si vous transférez le chef-lieu à Chalons ou à Reims ? J'ai bien compris qu'il ne peut être question de Lille pour notre rapporteur...
Cette réforme est menée avec l'énergie du désespoir pour grappiller quelques points de popularité dans les sondages. La France a certes besoin de se réformer, encore faut-il que la réforme soit efficace, comprise et admise. (Marques d'impatience sur les bancs socialistes) Écoutez au moins la conclusion.
Le groupe centriste participera à l'examen de ce texte pour le faire évoluer dans le bon sens. Il y va de l'avenir de notre pays. (Applaudissements au centre et sur plusieurs bancs UMP)
M. Jean-Pierre Sueur. - C'était très convivial !
M. Philippe Kaltenbach . - Enfin, nous en venons au fond, après tant d'obstacles : constitution d'une commission spéciale...
M. Gérard Larcher. - Ce n'est pas un obstacle mais un moyen de travailler !
M. Philippe Kaltenbach. - ...rejet de l'étude d'impact, motion référendaire.
Les opposants au texte parlent d'une mauvaise réforme... à laquelle ils ne veulent apporter aucune modification. Pourtant, la chambre haute a toute latitude pour faire évoluer le projet de loi ! Le groupe socialiste y est favorable et M. le ministre a dit lui aussi le souhaiter. J'espère donc que nous ne rendrons pas copie blanche.
M. Jean-Pierre Sueur. - Très bien !
M. Philippe Kaltenbach. - Comme Mme Gourault, j'ai toute confiance en mes collègues députés mais c'est d'abord à nous d'imprimer au texte notre marque !
Remplissons pleinement notre rôle, ne laissons pas passer le train de la réforme territoriale, remplissons notre devoir de législateur.
D'ailleurs, la semaine dernière, la commission spéciale avait fait des propositions constructives. Allons-nous nous renier quand beaucoup demandent ici la réduction du nombre de régions ?
C'est vrai, les élections sénatoriales auront lieu bientôt...
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission spéciale. - On le sent, on le sait !
M. Philippe Kaltenbach. - ...mais ne nous privons pas d'un débat nécessaire sur les régions. Créées il y a cinquante ans, elles doivent évoluer. J'y crois comme je crois aux métropoles...
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission spéciale. - Cela va rassurer !
M. Philippe Kaltenbach. - Le groupe socialiste est ouvert à la discussion, le président Guillaume l'a dit. Nous sommes favorables à un redécoupage de la super région Centre. Je vois Mme Bonnefoy opiner du chef.
M. Jean-Pierre Raffarin. - Elle a raison! Il faut dire non à la carte du Gouvernement avant de dire oui à la sienne !
M. Philippe Kaltenbach. - Le groupe socialiste est ouvert, je le dis, comme au droit d'option pour les départements. Cet amendement ne pourrait-il pas nous regrouper tous ? Je le crois, encore faudrait-il débattre des articles. Nous sommes également favorables à une meilleure représentation des territoires ruraux au sein des régions, comme le demande M. Mézard.
M. Jacques Mézard. - Vous n'avez pas compris ma proposition !
M. Philippe Kaltenbach. - Ne laissez pas passer le train, il pourrait ne pas repasser !
M. Jean-Claude Lenoir. - Il est en train de dérailler !
M. Philippe Kaltenbach. - Il y a quelques mois, nous sommes parvenus à un beau travail sur les métropoles.
M. Jacques Mézard. - La procédure accélérée n'avait pas été engagée !
M. Philippe Kaltenbach. - Le groupe socialiste est ouvert au dialogue, il souhaite que le débat aille à son terme. J'ai entendu beaucoup de critiques, j'aimerai désormais entendre des propositions ! (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. René-Paul Savary . - Je vais tenter de ne pas être redondant. Le ministre m'a charmé avec son discours : j'avais l'impression d'être revenu en 1986 quand le budget des régions était à 80 % pour l'investissement et 20 % pour le fonctionnement, celui des départements à 70 % pour le fonctionnement et 30 % pour l'investissement... Oui, nous voulons des régions fortes, stratégiques, pour développer l'emploi, pour l'environnement, la formation, les grandes infrastructures. Encore faut-il qu'il y ait du contenu... À vous entendre, nous aurions les collèges et les routes. La nouvelle région Picardie-Champagne-Ardenne, c'est 600 collèges, 400 lycées, 15 000 personnels, 40 000 kilomètres de routes... Cela va-t-il vraiment nous tirer vers le haut ? Croyez-vous qu'on gère les TER de la même façon en Champagne-Ardenne, 54 habitants au km2, qu'en Alsace, 220 habitants au km2 ou en Picardie, 99 habitants au km2 ? On voit bien que d'un côté il y aura des recettes et de l'autre des dépenses...
M. René-Paul Savary. - Même chose pour le numérique.
M. Alain Néri. - Vous êtes contre ?
M. René-Paul Savary. - Les schémas départementaux sont déjà en place, vous ne gagnerez rien à mutualiser.
M. Alain Néri. - Et le transfert des TOS et des agents des DDE ?
M. René-Paul Savary. - Et puis, il y a la question du chef-lieu de région. On ne gardera pas plusieurs capitales, d'où des transferts de personnels ; 600 personnes à la préfecture, 50 à 60 à la gendarmerie, 400 au rectorat...
M. Bernard Cazeneuve, ministre. - Dans ce cas-là, on ne peut faire aucune réforme !
M. René-Paul Savary. - Il faut garder le département, qui a fait ses preuves, qui incarne la proximité, la mutualisation, la subsidiarité.
M. Philippe Kaltenbach. - Plaidoyer pro domo !
M. René-Paul Savary. - Quant aux intercommunalités d'au moins 20 000 habitants... Il y en aura six dans mon département, l'une d'entre elles en représentera le quart -soit six mini-départements qui n'auront pas la taille critique...
M. Didier Guillaume. - Débattons pour faire évoluer le texte !
M. René-Paul Savary. - Monsieur le ministre, j'ai besoin d'être rassuré. C'est une aberration de parler des frontières avant de parler des compétences ! (Applaudissements à droite)
M. Jean-Claude Lenoir. - Très bien !
M. Philippe Kaltenbach. - Un autre projet de loi a été adopté le 18 juin en conseil des ministres !
M. Claude Dilain . - Dans ce débat passionné et passionnant, je retire deux convictions : la réforme est nécessaire, le Sénat doit en être le principal artisan...
M. Didier Guillaume. - C'est la sagesse !
M. Claude Dilain. - Tout le monde veut une réforme territoriale, nous y travaillons depuis des années ; les observateurs nationaux et étrangers la demandent.
M. Jean-Claude Lenoir. - Le conseiller territorial, par exemple...
M. Claude Dilain. - Mais la réforme territoriale, ce n'est pas seulement une question de découpage ; c'est aussi la clarification des compétences, la simplification des procédures.
M. Jean-François Husson. - Ah, le choc de simplification !
M. Claude Dilain. - Il est toujours dangereux de remettre à demain ce que l'on peut faire aujourd'hui...
M. Jacques Mézard. - ...et surtout de changer de position tous les trois mois !
M. Claude Dilain. - Nous tournons autour de cette réforme territoriale depuis trop longtemps, agissons. Si le projet du rapport Raffarin-Krattinger est parfait, rien ne nous empêche de le reprendre, le Gouvernement n'y est pas hostile !
M. Éric Doligé. - Chiche !
M. Claude Dilain. - Ne rendons pas copie blanche. Bien que je sois sénateur seulement depuis trois ans, j'ai quelques souvenirs amers. Le Sénat avait balayé d'un revers de main la proposition du Gouvernement sur la métropole du Grand Paris. Quand le texte nous est revenu de l'Assemblée nationale, certains ont grincé des dents et regretté de lui avoir envoyé une page blanche. Sur un sujet d'une telle importance, ne commettons pas la même erreur. Il est vrai que ce sera difficile, parce nous sommes dans une situation de conflits d'intérêts légitimes ; mais nous avons une porte de sortie, c'est l'intérêt général.
Quand la patrie était en danger, Danton demandait de l'audace, toujours de l'audace, encore de l'audace.
M. Jacques Mézard. - Et surtout de la compétence !
M. Claude Dilain. - Aujourd'hui, la France n'est peut-être pas en danger mais elle a besoin d'un nouveau souffle. Alors je dirai : du courage, toujours du courage, encore du courage ! (Applaudissements sur les bancs socialistes)
Mme Caroline Cayeux . - Nous voilà réunis en urgence autour d'un texte élaboré dans la précipitation. Le romancier américano-russe Isaac Asimov disait : « Souvent les gens prennent leurs propres lacunes pour celles de la société qui les entoure et veulent la réformer faute de se réformer eux-mêmes ». Le Gouvernement ne fait rien d'autre. Pour réagir à la débâcle électorale, il nous propose un texte bâclé qui n'est qu'un acte de communication.
Le redécoupage des régions avant la clarification des compétences, c'est poser la toiture avant les fondations. Alors la maison n'est pas très solide...
M. Jean-Claude Lenoir. - Bien sûr !
Mme Caroline Cayeux. - Les élus locaux, nous en sommes tous, sont convaincus de la nécessité de la réforme. Ils veulent cependant être écoutés, respectés. Pourquoi avoir écarté par dogmatisme le conseiller territorial qui avait deux visions, départementale et régionale ? Vous remplacez le millefeuille par 999 feuilles... Les économies à en attendre viendront dans dix ans, après que la réforme aura beaucoup coûté...
On veut fusionner des régions qui n'en ont pas envie avec des élus qui n'ont pas l'habitude de travailler ensemble. Les citoyens ne se retrouveront pas dans cette nouvelle communauté de destin. Ni la Picardie ni la Champagne-Ardenne ne veulent de ce mariage forcé qui est un contresens territorial, économique, social et humain ; nous regardons vers l'ouest, eux vers l'est. Quitte à réformer, faisons-le de manière rationnelle.
Comment en est-on arrivé là ? Après avoir satisfait vos amis, géré leurs affinités et leurs refus, restaient deux régions ; vous ne saviez qu'en faire, hop, vous les avez regroupées... Et cela a fait un nouveau communiqué à l'AFP...
Beau cadeau, le report des élections départementales lors des fêtes de fin d'année ! Pourquoi pas le 15 août ? Vous n'avez pas tiré les leçons de vos fiascos électoraux. Cerise sur le gâteau, ou plutôt sur le millefeuille : les candidats aux élections départementales, auxquels vous demanderez de se présenter pour se faire ensuite hara-kiri, feront campagne sur le thème : votez pour moi, je disparaîtrai bientôt. Une tromperie démocratique...
Cette réforme fait l'impasse sur la ruralité ; elle occulte nos cultures, nos habitudes de vie ; elle s'inscrit dans le droit fil de la mondialisation qui éloigne toujours des citoyens les centres de décision. Quel est l'élu en lequel les Français ont le plus confiance ?
Nombreuses voix à droite. - Le maire !
M. le président. - Veuillez conclure.
Mme Caroline Cayeux. - La France n'est ni l'Allemagne ni les États-Unis ? Elle est la France, avec son histoire. (Marques d'impatience à gauche)
Notre organisation, aussi imparfaite soit-elle, s'est construite au fil du temps et des équilibres territoriaux ; la bouleverser de façon aléatoire, c'est un détestable coup d'État territorial. Oui, ce texte devait être soumis au référendum. Monsieur le ministre, nous vous demandons d'entendre la voix des territoires, portée par le Sénat...
M. le président. - Votre temps de parole est épuisé.
Mme Caroline Cayeux. - Retirez votre projet de loi et méditez cette formule de Tocqueville : le moment le plus dangereux pour un mauvais gouvernement est d'ordinaire celui où il commence à se réformer ! (Applaudissements à droite)
M. Patrice Gélard . - Les socialistes nous adjurent d'adopter un texte.
M. Jean-Pierre Sueur. - Non, de discuter !
M. Patrice Gélard. - Encore faudrait-il que nous puissions débattre sur des bases différentes de celles qui nous sont proposées et que nous n'ayons pas le couteau sous la gorge... Peut-être aussi manquons-nous actuellement d'imagination...
M. Philippe Kaltenbach. - C'est un aveu !
M. Patrice Gélard. - Nous discutons de ce texte devant un Sénat qui sera bientôt renouvelé par moitié ; ceux qui le voteront n'auront pas à l'appliquer... Incongruité supplémentaire, ceux qui le mettront en oeuvre ne seront élus qu'en décembre 2015.
On se réfère dans l'étude d'impact à un modèle européen. Soit, mais il n'en existe pas : fédéralisme allemand, modèle britannique sui generis avec des cantons moins forts que nos régions mais aussi l'Ecosse, le Pays de Galles et l'Irlande du Nord, régions slovènes imposées par Bruxelles... J'en déduis que chaque région pourrait avoir un régime spécial : l'Alsace comme la Catalogne ou le Frioul...
Mme Jacqueline Gourault. - La Bretagne !
M. Christian Bourquin. - Le Languedoc-Roussillon ?
M. Philippe Kaltenbach. - C'est contraire à l'unicité de la République !
M. Patrice Gélard. - Enfin, monsieur Kaltenbach, et la Corse ?
Avec ce projet de loi, c'est la fin de la belle idée du Grand Paris : l'ouverture sur la mer, d'autres régions s'en chargeront...
Croyez-vous que l'on maintiendra deux ou trois cours d'appel, deux ou trois rectorats par grande région ? Comment le recteur s'occupera-t-il de la rentrée scolaire ?
M. Didier Guillaume. - Cela fait longtemps qu'il ne le fait plus.
M. Patrice Gélard. - Soit, mais il tranche. Rien non plus dans l'étude d'impact sur le transfert des personnels.
On nous demande de construire sur un terrain meuble avec des matériaux friables...
M. Didier Guillaume. - Renouvelables !
M. Patrice Gélard. - Reprenons tout à zéro ! (Applaudissements sur les bancs UMP)
M. le président. - La parole est à Mme Bonnefoy.
M. Jean-Pierre Raffarin. - Ah, la pauvre Aquitaine !
Mme Nicole Bonnefoy . - Tout le monde est d'accord pour dire qu'il faut revoir la carte régionale. Mais le redécoupage doit répondre à des cohérences territoriales et aux attentes des citoyens. Ce n'est pas le cas de ce que le Gouvernement nous soumet. La région Grand-ouest n'a aucune réalité naturelle, économique, humaine. La Charente regarde vers l'Aquitaine, la ligne grande vitesse renforce encore nos liens et nous rapproche de Bordeaux. Le Limousin souhaite également ce rapprochement : un grand sud-ouest formé de nos trois régions. D'où notre amendement et celui pour le droit d'option des départements et le maintien des conseils départementaux en zone rurale après 2020.
À nos collègues de l'UMP et à leurs alliés de circonstance, qui ne sont pas les seuls dépositaires des intérêts des collectivités territoriales, je veux le dire : le Gouvernement propose une carte, cessons l'obstruction pour bâtir la réforme sur un socle territorial commun. À nos confrères de l'UMP du sud-ouest, sortons des postures politiques pour mettre en accord nos actes et nos discours ! (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. Éric Doligé. - Que devient le Centre ?
M. Philippe Bas . - Je m'oppose à ce projet de loi...
M. Bernard Cazeneuve, ministre. - Parce que vous êtes de droite !
M. Philippe Bas. - ...pour six raisons au moins. D'abord, le deuxième report des élections départementales. Vous ne respectez pas une règle de base de la démocratie selon laquelle l'électeur doit savoir combien de temps durera le mandat de celui qu'il élit.
M. Philippe Kaltenbach. - Vous n'avez donc jamais reporté d'élections ?
M. Alain Néri. - Et la dissolution ?
M. Philippe Bas. - Ensuite, je ne partage pas le fétichisme des euro-régions.
M. Jean-Pierre Sueur. - Vous avez raison !
M. Philippe Bas. - Personne, en Europe, n'a créé arbitrairement de grandes régions. Les régions sont ancrées dans une réalité culturelle qui fait que leurs habitants peuvent s'y identifier.
Ce texte revient ensuite sur trente ans de décentralisation. Dotées de semelles de plomb, vos régions désormais responsables d'une grande partie des missions exercées par les départements, vont s'enliser. Le centralisme régional n'a rien à envier au centralisme d'État... Défenseur des libertés locales, je ne peux pas l'accepter.
Vous construisez des régions de gestion au lieu de régions de mission, chargées de compétences aussi locales que l'entretien des routes ou des collèges -des colosses aux pieds d'argile.
Et faisant cela, vous déstabilisez la collectivité et pénalisez les Français les plus vulnérables car ce sont les départements qui leur viennent en aide. Le président de la République dit son attachement aux départements, puis veut les supprimer... Et trois semaines après, parce qu'on lui a expliqué que c'était impossible au regard de l'article 72 de la Constitution, promet de les préserver jusqu'en 2020 tout en les vidant de leur substance.
Enfin, l'incohérence -dans le temps comme dans le contenu. Rétablissement puis abolition de la clause de compétence générale, proclamations d'attachement aux départements avant leur suppression masquée...
La méthode est mauvaise qui déséquilibre notre système territorial, enfle démesurément les régions et transforme les départements en coquilles vides. Vous compromettez durablement le succès de toute réforme territoriale et l'adhésion des Français. Le groupe UMP s'opposera à ce projet de loi. (Applaudissements à droite)
M. Jean-Jacques Lozach . - La mondialisation tout comme l'accélération technologique imposent une réorganisation territoriale qui doit être menée avec doigté et diplomatie.
Nous débattons du calendrier électoral. Or, les rendez-vous électoraux doivent avoir un sens et un fondement démocratique. Si ce n'est pas le cas de celui de décembre 2015, nous assisterons à un nouveau malentendu entre le peuple et sa représentation. La peur du décrochage ruine certains territoires, a dit le ministre ; mais si demain, il n'y a plus rien entre les régions et les intercommunalités, comment ferons-nous ? Il n'y aura plus d'investissement public. Le secteur du BTP est inquiet. En d'autres termes, simplification ne signifie pas nécessairement suppression. La réalité du conseil général n'est pas la même en milieu rural qu'en milieu urbain. Ne raisonnons pas en institutions superposées mais en structures au service de nos concitoyens. Le département peut être l'échelon qui met de l'huile dans les rouages de la ruralité. Le mouvement des nouvelles ruralités, que M. Guillaume a cité cet après-midi pour mon plus grand plaisir, ne dit pas autre chose. Le maintien d'un conseil général redéfini réduit les risques de tutelle des régions sur les communautés de communes, de cloisonnement, de perte de projets innovants, de normalisation des performances.
L'objectif n'est pas de bâtir des régions identitaires mais des régions économiquement fortes. Soit, mais les deux sont liés. Pourquoi casser les dynamiques existantes ? Je pense à l'identité du Massif central, qui s'affirme, à son organisation spatiale autour de l'axe de la RCEA.
M. le président. - Veuillez conclure.
M. Jean-Jacques Lozach. - L'essentiel n'est pas dans le redécoupage mais dans les compétences et les moyens, dans les priorités, dans le contenu des politiques publiques, aussi dans la capacité des élus à se faire entendre. Comment accepter que des territoires ruraux ne soient plus représentés à la région que par un ou deux élus ?
M. le président. - Veuillez conclure.
M. Jean-Jacques Lozach. - La RGPP a été un facteur de recentralisation insidieuse ; veillons à ce que la réforme n'ait pas les mêmes conséquences. Le débat n'est pas verrouillé, nous pouvons encore construire un pacte de confiance entre l'État et les collectivités territoriales. Les Français en ont besoin. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. Jean-François Husson . - Pour la troisième fois en un peu plus d'un an, nous débattons d'un projet de loi qui brutalise l'organisation territoriale décentralisée de la République : si l'enjeu n'était pas si grave, on pourrait parler de comique de répétition...
Nous aimerions croire que le Gouvernement n'est pas une girouette abandonnée à un vent tourbillonnant. Avec le projet de loi sur les métropoles, premier volet de la grande réforme engagée, au détour duquel la clause de compétence générale était rétablie, on nous disait que la gauche décentralisatrice était de retour, que le changement était en marche... À peine le texte voté, M. Ayrault changeait d'avis et annonçait la suppression de la clause générale de compétence -suppression actée dans un projet de loi qui remplaçait les deux autres volets... Navigation improvisée... Mais on n'avait pas tout vu... Il a fallu attendre le discours de politique générale pour entendre M. Valls annoncer une réforme en décalage radical avec les engagements de campagne de François Hollande...
M. Éric Doligé. - Valls à quatre temps !
M. Jean-François Husson. - ... et avec le texte voté quelques mois plus tôt. Fin de la clause générale de compétence, suppression des départements et, pour couronner le tout, redécoupage des régions... Ni les élus ni les citoyens n'ont été entendus. Le texte a été rédigé entre amis, sur un coin de table, au prix d'arrangements dignes de la IVe République dans la cinquième puissance du monde.
Une réforme d'une telle ampleur méritait mieux. Nous voulons tous adapter notre territoire aux enjeux d'aujourd'hui. Mais avec quelle stratégie et quels moyens ? Selon quel calendrier ? Que ne vous êtes-vous inspiré des études de la Datar et d'autres grands organismes ?
Si la France a besoin de réduire son déficit public, en quoi cette réforme y contribue-t-elle ? Ne s'agit-il pas de faire porter aux collectivités territoriales tout le poids de la baisse du déficit ?
La France doit être un pays uni dans sa diversité. Au lieu de réduire la fracture territoriale, vous la creusez.
Cessez d'improviser ! Les sans-voix, les voix de l'abstention doivent être entendues comme des voix de colère et de défiance. (M. Gérard Larcher approuve) Le président de la République a reçu mandat du peuple pour réformer le pays, pas pour le chahuter au gré de quelques responsables socialistes. Vous nous appeliez à avoir de l'audace. Eh bien, vous avez l'ardente obligation de réformer.
M. le président. - Concluez.
M. Jean-François Husson. - La France méritait mieux que ce travail bâclé. (Applaudissements sur les bancs UMP et certains bancs du RDSE)
M. Yannick Vaugrenard . - Il eût été logique d'évoquer, en même temps que les frontières, les compétences des régions et leurs moyens. Mais la nécessité de doter la France de grandes régions fortes est incontestée. Nous ne saurions tarder ni nous enfermer dans le court-termisme : l'horizon doit être à 40 ou 50 ans.
Les régions de l'Ouest-Atlantique doivent se rassembler. L'union du Poitou-Charente, de l'Aquitaine et du Limousin va dans le bon sens. Faisons de même pour la Bretagne et les Pays de la Loire, sous peine que l'ouest devienne le Far West, souffrant toujours plus de sa périphéricité, comme toutes les régions qui, de l'Écosse au Portugal forment ce que la Datar d'Olivier Guichard appelait justement « l'Arc atlantique » de l'Europe.
Nous avons l'habitude de travailler en commun : pôles de compétitivité, lobbying commun dans l'espace régional européen, une université commune, des politiques de pêche et d'aquaculture... Cette union ne ferait que formaliser une réalité.
Les populations le demandent : 67 % des Ligériens, 63 % des Bretons, ainsi que les acteurs économiques. Certains élus hésitent. Le temps les convaincra. Nous leur devons le respect, mais aussi aux générations futures. Tout démantèlement des régions existantes balaierait le travail accompli depuis des décennies. Si nos deux régions devaient rester séparées, ce ne saurait être que pour un temps. L'unité de la France n'implique pas sa diversité.
Osons l'expérimentation à géométrie variable ! Soyons, comme disait Pierre Mauroy, les « héritiers de l'avenir » ! (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. Michel Boutant . - La question de l'organisation territoriale de la France remonte à la Révolution, à Condorcet, à Sieyès. Pendant que parlementaires et conseillers de toute sorte rédigent moult rapports, s'accomplit implacablement l'oeuvre de réorganisation que ni la droite ni la gauche n'abandonne : effacer les départements de la carte, les dévitaliser, voire les exploser façon puzzle.
L'État a montré l'exemple en supprimant les directions départementales, les DDE, DDA et autres DDJS, au profit de directions régionales : Drac, Drire, Direccte... On a vu fleurir des directions inter-régionales de plus en plus éloignées des territoires. C'est tourner le dos à la décentralisation. Pourtant, vers qui s'est tourné l'État pour transférer le personnel des collèges, pour financer les allocations individuelles de solidarité, faisant supporter par les départements ces 42 milliards de plus entre 2002 et 2013 ? Vers qui pour financer les travaux de la LGV Sud-Europe-Atlantique ? Et les routes nationales ? Les départements. Encore et toujours. Ils l'ont accepté en maugréant parfois, tout en élaborant des budgets équilibrés et en continuant à investir.
Certes, pour être moderne et renouer avec la croissance, il faut réduire le millefeuille, dégraisser le mammouth. Mais les transferts de compétences en réduiront-ils le coût ? J'en doute. J'ai l'impression d'assister à un mouvement des plaques tectoniques, voire technocratiques. À la grande surprise de certains, population et élus se sont emparés de la question. Les quatre conseils généraux de ma région ont voté, à mon initiative, à l'unanimité moins une voix et deux abstentions, pour la formation d'une région Poitou-Charente-Limousin-Aquitaine.
Les départements restent un échelon utile à la solidarité. Je refuse que l'on jette l'anathème sur les élus. Oui à la réforme à condition qu'elle soit efficace et qu'elle soit compatible avec l'état des finances de notre pays. (Applaudissements sur la plupart des bancs)
M. Éric Doligé. - Bravo !
M. Jean-Pierre Raffarin. - Excellent ! Vive le Poitou-Charentes !
M. Didier Guillaume. - Applaudi par tous !
Mme Michelle Meunier . - Gageure d'intervenir en dernier dans cette discussion générale de quatre heures... J'irai donc droit au but : je soutiens sans ambages cette réforme. Mais plus que les frontières, ce sont les compétences des collectivités territoriales qui intéressent les Français. Comment répondre au plus près et au plus juste aux besoins des citoyens ? L'évolution de notre organisation territoriale n'a de sens que si elle répond à cette question.
La région Pays de la Loire est récente, certes, mais elle a connu de belles réussites. Sans vouloir verser dans l'autosatisfaction, c'est la région où le chômage et la pauvreté sont le plus faibles, où les créations d'emplois industriels sont les plus nombreuses, où le soutien à la recherche est le plus fort, et c'est la première région sportive. Les Ligériens y sont d'ailleurs attachés.
Le statu quo proposé par le Gouvernement est peut-être une occasion manquée. La fusion avec la Bretagne a un sens géographique, démographique, économique, industrielle, culturelle. Elle s'impose, tant les coopérations sont déjà nombreuses. Beaucoup d'acteurs se sont exprimés en ce sens : présidents de chambres d'industries, maires de Nantes, de Rennes et de Brest.
Cette réforme est, dans son ensemble, un véritable plus pour nos régions et nos concitoyens. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
La discussion générale est close.
M. Bernard Cazeneuve, ministre . - Merci de vos contributions extrêmement utiles. Je ne pourrai naturellement répondre, même brièvement, à chaque orateur mais relèverai quelques critiques.
Certains se sont adressés à ce qu'ils imaginent être la majorité d'après les élections sénatoriales... Je regrette que l'on s'abandonne ainsi aux charmes de la politique sous sa forme la plus clivante. Vous avez parlé des scores du Front national : ayant gouverné dix ans, vous en portez peut-être une part de responsabilité. Surtout, analysons son succès et combattons-le ensemble !
Les Français se désolent qu'au lieu de rechercher des compromis, nous laissions la politique partisane reprendre ses droits. Nous, à gauche, l'avons fait aussi. Je le regrette.
La vie politique ne peut être une perpétuelle entreprise de démolition, avec toutes ses outrances et ses excès. J'en ai entendu au cours de ce débat. On a parlé de recentralisation parce que nous donnons des pouvoirs supplémentaires aux préfets des départements : énorme mensonge. Quelle compétence est retransférée à l'État ? Aucune. Il aurait fallu revenir sur les lois de décentralisation. Le faisons-nous ? Non, nous transférons de l'État central à l'État territorial ; cela s'appelle la déconcentration.
M. Didier Guillaume. - Très bien !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. - Nous corrigeons ainsi les effets de la RGPP qui a conduit les services déconcentrés à l'aporie.
Sans doute la carte proposée peut-elle être revue. Mais, monsieur le Premier ministre Raffarin, vous ne pouvez considérer que la réforme est inopportune et absurde après avoir vous-même écrit que ce qui importait était la taille des régions. C'est ce dont la politique meurt : cette façon de dire le contraire aujourd'hui d'hier.
M. Jean-Pierre Raffarin. - Je n'ai pas dit ce que vous me faites dire.
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Je vous ai cité littéralement.
M. Jean-Pierre Raffarin Nous défendions le département que vous supprimez !
M. Bernard Cazeneuve, ministre . - Vous dites dans votre rapport que nous avons besoin de grandes régions : cette idée, nous la reprenons, voilà tout ce que je dis. Je ne prétends pas que nous reprendrions toutes vos propositions mais que nous en reprenons certaines. Quant à la suppression des départements, j'ai déjà répondu hier à M. Retailleau que le président de votre parti la prônait naguère.
Si les périmètres proposés ne vous conviennent pas, proposez-en d'autres plutôt que de pratiquer la polémique à outrance contre un projet qui a pour tort principal de n'être pas le vôtre.
Sur les départements, le Gouvernement a une position simple, qui ne doit pas être travestie. Nous voulons des intercommunalités fortes, dans la continuité de ce qu'on fait les gouvernements précédents. À l'horizon 2020 -ce n'est pas dans le présent projet de loi, ce n'est pas demain matin- si nous avons réussi à en créer les conditions, nous supprimerons les conseils départementaux. Six ans pour y réfléchir, est-ce trop peu ?
Oui, des services seront appelés à se regrouper. Oui, certaines capitales régionales perdront ce statut. Si on le refuse, on ne peut faire aucune réforme ! On ne peut exiger 100 milliards d'euros d'économies sans réorganisation territoriale. Nous, nous ferons 50 milliards parce que la situation de notre pays, grave, l'exige.
Avec de grandes régions, on craint l'absence de proximité. C'est oublier que les intercommunalités peuvent évoluer, ainsi que l'organisation de l'État et les relations entre collectivités territoriales. Votre argument revient à dire qu'il ne faut rien changer ! Dans votre petit canton de Saint-Pois, monsieur Bas...
M. Jean-Pierre Raffarin. - Il n'y a pas de « petits cantons » !
M. Bernard Cazeneuve, ministre - Dans le célèbre canton de Saint-Pois, vous avez Cherbourg-Octeville au nord, Saint-Lô à l'est, Coutances à l'ouest et, pour le reste, une poussière de petites intercommunalités. Ne pensez-vous pas que les services pourraient être mieux rendus dans la Manche, que l'on répondrait plus efficacement aux besoins des citoyens en renforçant les intercommunalités ?
M. Philippe Bas. - Qui le conteste ?
M. Bernard Cazeneuve, ministre. - Je suis convaincu qu'un chemin existe pour trouver un consensus et faire aboutir cette réforme que le pays attend depuis longtemps et que les gouvernements précédents n'ont pas faite. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission spéciale. - La commission attend la réponse : y aura-t-il deux lectures dans chaque chambre ?
M. Bernard Cazeneuve, ministre. - Je me suis exprimé devant la commission des lois. Les comptes rendus des réunions font foi. Contrairement à ce que j'ai observé ici, entre hier et aujourd'hui, nous ne varierons pas de position. Il n'y a pas de revirement à attendre du Gouvernement. (Marques d'ironie à droite)
Prochaine séance aujourd'hui, vendredi 4 juillet 2014, à 9 h 30.
La séance est levée à minuit vingt-cinq.
Jean-Luc Dealberto
Directeur des comptes rendus analytiques
Ordre du jour du vendredi 4 juillet 2014
Séance publique
À 9 heures 30, à 14 heures 30 et le soir
Présidence : Mme Bariza Khiari, vice-présidente
Secrétaires : M. Jean-François Humbert
Mme Catherine Procaccia
Suite du projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral (Procédure accélérée) (n°635, 2013-2014)
Rapport de M. Michel Delebarre, fait au nom de la commission spéciale (n°658, 2013-2014)
Résultat des travaux de la commission spéciale (n°659, 2013-2014)