Délimitation des régions (Procédure accélérée)
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral.
Discussion générale
M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur . - (Applaudissements sur les bancs socialistes) L'ouverture de cette discussion s'inscrit dans un contexte où, pour aborder le texte dans des conditions optimales, le Sénat a pris un certain nombre d'initiatives. D'abord, que la commission des lois entende le Gouvernement ; puis, c'est une nouveauté en la matière, que soit créée une commission spéciale, présidée par M. Hyest, dont je salue l'engagement, le travail, la compétence, l'intérêt pour ces questions, qui ont fait avancer la réflexion du Sénat. Je le remercie ainsi que le rapporteur, M. Delebarre, dont les propositions ont donné de l'épaisseur au débat. Après le Premier ministre, je veux redire la totale disponibilité du Gouvernement pour entendre les propositions, les amendements des sénateurs : chacun d'eux fera l'objet d'un débat. Le Gouvernement aborde donc cette discussion dans un état d'esprit ouvert.
La réforme territoriale poursuit quatre objectifs, qui font sa cohérence, et d'abord avoir des régions compétitives au niveau européen, des régions fortes qui investissent pour la croissance, dans la transition énergétique, les transports de demain, l'équipement numérique de tous les territoires.
Nous devons accompagner nos filières industrielles d'excellence, qui ont permis des coopérations entre les régions, organiser le transfert de technologies, donner toute sa place à l'innovation sur des territoires pertinents. L'objectif de la réforme est de dépenser moins en fonctionnement, madame Escoffier, pour investir plus afin d'être plus compétitifs.
Deuxième objectif, rendre plus lisible l'organisation territoriale française. Nous sommes tous ici soucieux de l'intérêt général, passionnés de l'administration locale. Les collectivités locales ont fait oeuvre utile pour développer les services publics, pour investir, pour mener des politiques culturelles et sportives. Pas question de critiquer les élus locaux, de les caricaturer, de les accuser d'être responsables de nos maux.
M. Alain Néri. - Très bien !
M. Gérard Longuet. - Enfin !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. - Cela a été fait par le passé ; ce n'est pas notre approche. Nous voulons une puissance publique plus svelte, plus véloce, plus efficace. Clarifier des compétences, ces sera l'objet du futur texte présenté par Mme Lebranchu.
Troisième objectif, faire monter en gamme l'administration déconcentrée de l'État. M. Retailleau redoutait hier la relégation des territoires ruraux. Cette inquiétude est légitime, il faut y répondre. C'est pourquoi nous modernisons les services publics de l'État au plan départemental - car le département a vocation à demeurer comme instance administrative déconcentrée de l'État. Au cours des sept dernières années, les effectifs de l'administration déconcentrée de l'État ont diminué de près de 5 000.
Après la RGPP, nous voulons les renforcer car nous croyons aux services publics. Davantage d'interministérialité et de souplesse autour des préfets sera un bon moyen de répondre aux besoins des territoires ruraux. (M. Jacques Mézard manifeste son scepticisme)
M. Mézard s'interroge ; je lui réponds que c'est affaire de volonté. Faut-il ignorer ce sujet, après que les coups de rabot de la RGPP ont affaibli les services publics ?
Quatrième objectif, l'intercommunalité. La France compte 36 000 communes : autant que la totalité de l'Union européenne ! Nous voulons favoriser l'émergence de communes nouvelles, la mutualisation des moyens de fonctionnement.
Point d'improvisation donc, mais une vraie cohérence. Face à ces objectifs, des interrogations se sont exprimées.
La première est celle du temps passé à l'expertise et à la concertation préalable. Certains d'entre vous ont indiqué qu'il convenait d'attendre encore. Il est toujours temps d'attendre, car c'est une responsabilité d'engager une réforme, il est difficile de franchir la frontière entre réflexion et action. Mais cela fait dix ans que la réflexion est engagée, par des gouvernements de sensibilités différentes.
En 2009, le rapport Balladur intitulé : « Il est temps d'agir », proposait 15 régions. Nous en proposons 14. Avec 15, on aurait le nombre idéal ; avec 14, ce serait insupportable ! Si vous en voulez 15, déposez un amendement.
M. Éric Doligé. - C'est interdit !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. - MM. Krattinger et Raffarin ont proposé 10 régions. De nombreux rapports, du Sénat, de la Cour des comptes, de députés se sont succédé. N'est-il pas temps d'agir, de tenter la réforme, de proposer une carte ? C'est une tentative, mise sur le métier, de réussir ensemble une réforme utile pour le pays. Dépourvue d'arrière-pensées politiques, notre démarche vise à moderniser pour donner de la puissance à nos collectivités locales, de la légitimité à nos élus, dans un pays en crise. Le Sénat peut-il apporter cette démonstration ? Le Gouvernement croit que cela est possible ; c'est pourquoi il vous soumet ce projet de loi, pour trouver un compromis, et produire ensemble un bon texte.
Ce projet de loi propose de réduire le nombre de régions, en en fusionnant 14 pour en créer 6 tandis que 8 autres resteraient seules. L'objectif est de créer des euro-régions, capables de porter des dynamiques économiques. La taille moyenne des régions passerait de 3 à 4,6 millions d'habitants -à comparer aux Länder et aux régions italiennes, qui tournent autour de 5 millions.
M. Patrice Gélard. - . - Cette comparaison ne veut rien dire !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. - Cela ne veut rien dire ? Un tel raisonnement avait pourtant été utilisé par M. Raffarin.
M. Jean-Claude Lenoir. - Venant de lui, cela ne m'étonne pas.
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Le président Raffarin (Marques d'admiration sur les bancs UMP) disait que ce qui compte, ce n'est pas le nombre mais la taille des régions. C'est l'un des vôtres, et des plus éminents, qui le dit !
Pourquoi chercher toujours le conflit, qui nourrit la défiance des Français envers les politiques, et non le compromis ? Pour notre part, nous voulons chercher ensemble un chemin qui rassemble.
Ce n'est pas la carte que nous voulions, dites-vous. Eh bien, emparez-vous de cette carte, proposez des amendements pour la faire évoluer, ayons un débat démocratique pour produire ensemble une réforme qui réponde à la volonté du plus grand nombre et donne de la force à notre pays.
Voilà pour l'article premier -j'espère que nous en débattrons longuement.
Le deuxième point est celui du tableau, des effectifs des conseils régionaux. J'entends là aussi vos critiques. Nous proposons de diminuer le nombre d'élus parce que nous diminuons le nombre de régions -pas par méfiance à leur égard ! L'opinion ne comprendrait pas qu'on augmente leur nombre. Nous proposons une baisse de seulement 8 %.
Mme Cécile Cukierman. - En moyenne.
M. Bernard Cazeneuve, ministre. - Si cela vous paraît trop, proposez donc des amendements. Il y a aussi la question du nombre minimum de conseillers.
M. Alain Néri. - Absolument !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. - La question de la représentation des territoires ruraux n'est pas absurde, elle mérite une réponse. Le nombre de conseillers régionaux sera garanti, c'est l'article 7. Nous pourrons en discuter. Le Gouvernement ne cherche pas à imposer une carte à prendre ou à laisser, ce qui aurait été le cas si le texte avait été soumis au référendum. La réforme doit se faire dans le débat, dans l'écoute.
Ce texte comporte d'autres dispositions plus techniques, plus pointues, consécutives à d'autres textes comme la mise en sommeil des conseillers généraux de la métropole lyonnaise ou la suppléance des conseillers départementaux élus en binôme afin que l'empêchement de l'un ne contraigne pas l'autre à démissionner, conformément à la décision du Conseil constitutionnel.
Il y a cent cinquante ans, les communes visaient à installer la République dans chaque territoire. Au lendemain de la Résistance, il y a eu la volonté de doter les territoires d'instruments d'aménagement. Il y a eu, avec François Mitterrand, Pierre Mauroy et Gaston Defferre, la volonté de renforcer l'autonomie des collectivités territoriales. Aujourd'hui, nous voulons donner plus de force à l'administration déconcentrée de l'État et aux services publics, avec des régions fortes, des compétences clarifiées, pour éviter les doublons coûteux.
Mobilisons ces moyens pour investir, moderniser nos services publics et nos infrastructures.
La crédibilité du discours sur les économies suppose de tenir un discours cohérent : on ne peut dire à la fois qu'il faudrait faire non pas 50 mais 100 milliards d'économies et, dans le même temps, prétendre exonérer les collectivités territoriales de tout effort. Dans le plan de 50 milliards d'économies proposé par le Gouvernement, les collectivités locales sont mises à contribution pour 10 milliards. C'est ce que proposait le principal parti d'opposition lors de la campagne de 2012. (Mme Nicole Bricq renchérit) On ne pourra faire ces économies sans modifier les structures.
La fusion des régions ne dégagerait pas d'économies, entend-on dire. Rassembler les services d'achat, les services de ressources humaines, les garages permettra, à terme, des économies d'échelle. Quand le sénateur Godefroy était maire de Cherbourg et moi celui d'Octeville, nous avons fusionné nos deux communes. Nous avons mutualisé sans licencier mais en ne remplaçant pas les départs à la retraite. Les frais de fonctionnement ont baissé de 30 %. Toutes les économies réalisées ont été consacrées à l'investissement.
M. Jean-Pierre Godefroy. - Tout à fait.
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Nous sommes liés à l'obligation de redresser les comptes. Cela ne se fera pas en empêchant la réforme.
C'est avec confiance que je vous présente ce texte. Je ne doute pas que le débat sera de qualité. (Applaudissements sur les bancs socialistes, écologistes et RDSE)
M. Michel Delebarre, rapporteur de la commission spéciale . - Rapporteur de votre commission spéciale, je me trouve dans une situation un peu paradoxale. En effet, votre commission n'a pas adopté de texte lors de sa réunion du 26 juin. Elle a pourtant été le cadre d'échanges constructifs (M. Roger Karoutchi rit), voire de convergences qui ont conduit à l'adoption de 18 amendements dont 12 que j'avais proposés.
Pas de compromis mais une convergence des pensées et des réflexions dans notre Sénat, entre ces quatre murs - moment important ! Votre commission spéciale s'est même laissé aller à redessiner, en pointillé, une carte territoriale rénovée, avec 13 nouvelles régions. Nul doute que nous y reviendrons lors du débat.
Si les travaux de la commission spéciale s'étaient poursuivis, nous aurions accouché d'une autre carte. Hélas, le temps a manqué, une motion référendaire ayant bousculé notre sérénité. (Sourires) Les objectifs de la réforme, connus, correspondent à ceux présentés par le Premier ministre lors de sa déclaration de politique générale. Elle se décline en deux textes qui forment un tout. Le Sénat, qui représente les collectivités territoriales, en est saisi en premier conformément à l'article 39 de la Constitution. La Corse et l'outre-mer ne sont pas concernés : pour avoir connu depuis des années des bouleversements importants, ils représentent un exemple d'expérimentation. Le cas de la métropole de Lyon montre que la réforme est possible.
J'ai reçu trente réponses des présidents de région et de département à ma demande de consultation. La plupart se prononcent en faveur d'une évolution des structures. Toutefois, les inquiétudes s'expriment sur la place des départements. Si les régions s'accroissent, il faut préserver le département, institution de proximité. Les propositions de redécoupage régional convergent sur le regroupement du Poitou-Charentes et du Limousin avec l'Aquitaine ; le maintien du Languedoc-Roussillon et de Midi-Pyrénées dans leurs limites territoriales actuelles ; la réunion de l'Auvergne avec Rhône-Alpes. Les propositions divergent sur le sort des régions Picardie, Champagne-Ardenne, Lorraine, Centre et Pays-de-la-Loire.
Le deuxième point qui émerge concerne la répartition des conseillers régionaux par section départementale. Les inquiétudes sont grandes quant à la représentation équitable des territoires ruraux au sein de conseils régionaux plus importants. Les départements ruraux, mais également les régions, réclament un nombre minimal de conseillers régionaux.
Dans un monde qui évolue, nous devons modifier nos structures. Cette réforme n'est pas justifiée par des économies, difficilement mesurables, mais par la volonté de donner à nos régions une taille critique, comparable à celle des autres régions européennes. Nos régions ne discutent pas sur un pied d'égalité avec la Rhénanie-Westphalie ou la Catalogne, dont le PIB est bien plus important et qui peuvent se préoccuper de leur image et de leur rayonnement.
Notre commission spéciale s'est attachée à définir les principes de cette réforme : meilleure efficacité, amélioration de la démocratie locale, redéfinition des compétences.
La carte a été revue, la commission spéciale a envisagé de rapprocher Poitou-Charentes, Limousin et Aquitaine ; la Champagne-Ardenne et la Lorraine-Alsace qui pourraient constituer un grand Est ; les Pays-de-la-Loire et le Centre...
M. Yannick Vaugrenard. - Ah non !
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. - La vallée de la Loire est si belle, ne la coupons pas en deux !
M. Michel Delebarre, rapporteur. - La Picardie et le Nord-Pas-de-Calais, même si tel n'est pas mon avis. M. Bourquin et M. Mézard ont insisté pour que le Languedoc-Roussillon et Midi-Pyrénées demeurent autonomes. La commission spéciale a supprimé la consultation obligatoire des électeurs en cas de déplacement d'un département d'une région à une autre, car la carte doit rester vivante, correspondre dans un esprit de subsidiarité, aux volontés des élus et des populations.
La commission spéciale s'est aussi interrogée sur le plafonnement à 150 conseillers régionaux. Finalement, elle a fixé un plafond par régions à 170 élus, 180 pour l'Ile-de-France. Cela revient à reprendre la situation présente. Mais il en reste pour considérer qu'au-dessous de 200 conseillers régionaux, l'Ile-de-France serait menacée... (Sourires)
La commission spéciale salue l'instauration d'un nombre minimal de représentants par département au conseil régional, mais elle a repris le seuil de 2 et non de 1, adopté en février 2013. Le Conseil constitutionnel accepterait ce seuil minimal mais se crisperait au-delà. Nous devons tenir compte de sa jurisprudence.
Le Gouvernement serait sensible à nos préoccupations, à entendre le ministre de l'intérieur. Une question de fond demeure : l'avenir de nos départements. Si les départements sont supprimés, comment sera assumée la coordination entre les territoires ? Les élus sont vigilants. (Applaudissements)
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission spéciale . - Le ministre a rappelé l'histoire de la décentralisation, portée par de grandes lois, telle la loi fondatrice de 1884 sur les communes ou encore celle de 1982 qui jetait les bases d'une République décentralisée. Il faut aussi citer l'action de M. Raffarin, celle de M. Joxe. Ces lois ont favorisé la décentralisation en renforçant l'efficacité publique.
Les EPCI ont été créés ; la création des régions ou établissements autonomes a constitué une étape majeure, même si depuis 2010, on hésite sur le maintien de la clause de compétence générale, ce qui ne me gêne pas car c'est une notion juridique floue. La modernité veut-elle que les institutions les plus anciennes dans notre histoire s'effacent devant les plus récentes ?
Même sans réforme, nos collectivités devront faire des économies entre baisse des dotations et impossibilité d'augmenter les impôts. Rationaliser leur organisation fera réaliser des économies substantielles ? Mais aucune étude sérieuse ne fonde les montants que vous avancez. Je ne m'étendrai pas sur l'étude d'impact, après la décision du Conseil constitutionnel... Je me référerai au rapport annuel que présente M. Guené au nom de l'Observatoire des finances locales.
Les collectivités représentent 21 % des dépenses publiques, mais 71 % des investissements. Attention à ne pas les tuer sinon il n'y aura plus d'investissement public. Le budget des régions n'est que de 27,6 milliards, contre 196 milliards pour le bloc communal. Les régions ne représentent que 4,5 % des effectifs des collectivités territoriales ! Cela relativise les enjeux de la réforme des régions et des économies qu'il faut en attendre...
Ce premier projet de loi modifie la carte des régions et reporte les élections régionales et départementales, d'où l'urgence à le faire adopter. Mais le deuxième texte, sur les compétences, en est indissociable. Ces grandes régions ont-elles un sens si on ne définit pas leurs compétences ? La taille n'est pas tout !
Pourquoi ne pas leur confier l'emploi si elles ont la formation ? Appuyons-nous sur le travail du Sénat, de sa Délégation aux collectivités territoriales, présidée par Mme Gourault, et sur le rapport de la mission commune d'information de MM. Raffarin et Krattinger. Certains prétendent que ce dernier a inspiré la réforme -bien peu.
Au lieu de cela, on nous menace de nous priver de vacances, comme si nous étions des enfants !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. - Je ne veux pas vous priver de vacances !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission spéciale. - Peu m'importe, je n'en prends jamais. Monsieur le ministre, pourrez-vous nous garantir qu'il y aura bien deux lectures dans chaque chambre, comme vous vous y étiez engagé ? Sans navette, il n'y a pas de débat.
Songez à la loi sur les métropoles : l'opposition, lors de la deuxième lecture, a participé à l'élaboration d'un compromis.
M. Jean-Pierre Sueur. - C'est vrai !
M. Jean-Jacques Hyest. - Je regrette ces débats trop brefs et que les auditions et tables rondes organisées par la commission des lois n'aient pu être prises en compte.
Il est dommage qu'on nous impose de débattre dans un temps si bref. Ce sujet intéresse et la lecture d'un quotidien du soir nous le montre avec l'article d'une personnalité éminente, Emmanuel Leroy-Ladurie, qui approuve la carte proposée, ce qui n'est pas mon cas.
Le Sénat a le souci de la proximité, de la qualité des services publics locaux, du respect du principe de subsidiarité, qui concerne aussi l'État. Pascal opposait l'esprit de finesse à l'esprit de géométrie. On ne peut dissocier brutalement les textes. Le Sénat peut trouver un consensus, à condition d'avoir toutes les cartes, et pas une seule, sur la table. (Applaudissements sur les bancs UMP)
Mme Jacqueline Gourault, présidente de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation . - Depuis sa création, en 2009, la délégation aux collectivités territoriales du Sénat a mené une réflexion fournie, dans un esprit d'innovation et de synthèse. En 2013, avec M. Hervé, j'ai publié un rapport de synthèse faisant des propositions sur l'organisation et les compétences des collectivités territoriales.
Je partage le diagnostic de M. Hyest. Les mêmes propositions se retrouvent dans tous nos rapports publiés depuis dix ans : le renforcement des régions ; l'achèvement de l'intercommunalité ; la clarification des compétences entre État et collectivités territoriales ainsi qu'entre collectivités territoriales entre elles ; la réorganisation des territoires urbains ; la réorganisation nécessaire des départements ; la création de communes nouvelles ; la reconnaissance de la diversité des territoires dans l'unité de la République ; la nécessaire réforme des ressources fiscales en raison de l'évolution des compétences. D'ailleurs, ces propositions ont été reprises dans la loi de 2010 et dans la loi sur les métropoles.
La réforme se construit progressivement, en lien avec l'évolution de la société. Dans un monde ouvert et interdépendant, on ne peut s'en tenir à l'organisation héritée de la Révolution.
Nombreux pensent que la réforme est nécessaire. Mais avec quelle méthode ? Je pense, comme en 2009 et 2010, que la question des compétences est première. Ne légiférons pas au petit bonheur, comme nous l'avions fait en 2009 lors de la réforme de la taxe professionnelle.
M. Gérard Longuet. - On met la charrue avant les boeufs.
Mme Jacqueline Gourault, présidente de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation. - Dessinée sur un coin de table bancale, la carte n'est pas satisfaisante. Plus que de la taille, il faut tenir compte de l'histoire, des bassins de vie, des dynamismes régionaux.
Nous avons, en commission spéciale, déposé des amendements pour modifier la carte. Sans doute le calendrier électoral n'est-il pas favorable à la réforme...
M. René-Paul Savary. - En effet !
Mme Jacqueline Gourault, présidente de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation. - ...quand la moitié des sénateurs s'inquiètent de leur réélection.
Pour moi, le Sénat doit imprimer sa marque. C'est pourquoi j'ai voté contre la motion référendaire. Ayons ce débat, avançons en première lecture, ce sera autant de pris. Discuter ne signifie pas signer un chèque en blanc. Malgré ses imperfections, le texte existe. J'aime beaucoup mes petits camarades députés. Il n'empêche, je préfère que le Sénat leur remette une feuille de route plutôt qu'une feuille blanche ! (Applaudissements au centre, sur les bancs socialistes, écologistes et RDSE)
M. Jean Louis Masson . - Le diagnostic est bon, pas la solution. Oui, il faut réduire le millefeuille territorial mais ce texte, qui relève du bricolage improvisé, donne lieu à des cafouillages.
Organiser nos territoires autour de grandes régions et intercommunalités n'a pas de sens. Ou alors il faut conserver un échelon de proximité, le département. Et si on supprime le département, il faut conserver aux régions une taille raisonnable. De même, l'absorption des communes par des grandes intercommunalités est une fausse bonne idée : on perd la proximité. Le seuil de 20 000 habitants donnera naissance à des intercommunalités de plus de 40 kilomètres de diamètre.
Le statu quo n'est pour autant pas justifié. La taille des départements créés sous la Révolution n'est plus adaptée. Michel Debré, dans La mort de l'État républicain, considérait déjà que 50 départements suffiraient au lieu de 100. Une réforme réaliste du millefeuille territorial consisterait non à supprimer un échelon mais à fusionner les collectivités à chaque échelon pour aboutir à une dizaine de régions et 50 départements. Et il faut tenir compte des spécificités : une petite région à forte identité doit être conservée.
M. le président. - Veuillez conclure.
M. Jean Louis Masson. - Un mot de la carte. Pour l'est de la France, le texte était cohérent dans sa première version : dans la nouvelle mouture, le bon sens a disparu : quel est le lien entre la Picardie et la Champagne-Ardenne ? L'une est desservie par le TGV Nord, l'autre par le TGV Est ; l'une par l'autoroute A1, l'autre par l'autoroute A4...
M. le président. - Votre temps de parole est écoulé.
M. Jean Louis Masson. - Revenons au texte initial plutôt que ce mouton à cinq pattes pour l'est.
M. Ronan Dantec . - Voilà un texte retardé, un texte malmené.
M. Michel Delebarre, rapporteur. - ...mais un texte libéré !
M. Ronan Dantec. - Que de manoeuvres dilatoires ! Le Sénat, représentant les collectivités territoriales de par l'article 24 de la Constitution, doit participer à la réforme. Les écologistes, critiques sur la méthode, souhaitent améliorer ce texte.
Celui-ci s'inscrit dans une réforme d'ensemble, après le texte sur les métropoles. Nous sommes favorables à un acte III de la décentralisation pour renforcer le couple essentiel intercommunalités et régions, garant d'une mise en cohésion des politiques publiques.
Nous défendons depuis longtemps cette vision, pour rompre avec un centralisme qui montre ses limites. Les inégalités territoriales s'aggravent et le statu quo ne résoudra rien. Les élus de terrain, auxquels je rends hommage, n'ont pas les moyens de leur action. Comment défendre les services publics s'ils ne peuvent pas s'appuyer sur des schémas de planification et des financements garantis ? La réforme apporte une réponse. La repousser, c'est se résigner au statu quo.
Toutefois, la méthode n'est pas pertinente. Mieux aurait valu commencer par la définition des compétences. Le débat aurait été plus serein !
Le Gouvernement a choisi de redessiner la carte des régions à la va-vite, sans tenir compte de l'histoire ou des identités. La crainte d'ouvrir la boîte de Pandore de l'auto-détermination des départements a créé des tensions. La dernière valse-hésitation en témoigne.
Prenons le temps au lieu de vouloir l'adoption de ce texte avant le quart de finale du mondial ! Des évolutions sont possibles. Par exemple, le temps des postures semble cesser dans le débat sur la carte de la Bretagne et la place des Pays de Loire. La population s'empare de la question. D'où nos amendements pour favoriser les consultations des populations. Faute de quoi, nous proposerons de repousser à l'automne l'adoption de la carte.
De même le découpage doit tenir compte des particularités locales. Il faut un droit d'option des départements pour rééquilibrer certaines fusions. Nous avons bien avancé sur ce sujet ce matin -j'en remercie M. Mézard. (M. André Gattolin applaudit)
Je soutiens la possibilité d'agir sans nécessairement recourir aux référendums locaux quand il y a consensus entre les élus. La souplesse est rarement un handicap. La loi ne supprime pas les départements. Ils gardent leur compétence en matière d'action sociale, d'égalité d'accès aux services publics, d'égalité territoriale et ont une compétence partagée pour le sport, la culture et le tourisme.
Quitte à m'éloigner de la doxa du groupe écologiste, j'estime que les départements peuvent apporter beaucoup pour les territoires ruraux et mener des expérimentations. Plutôt que de perdre du temps hier, nous aurions pu débattre des échelons infrarégionaux que la Constitution nomme département -le Sénat aurait fait son oeuvre. Un parfum de bicamérisme, en quelque sorte, avec une chambre des territoires...
M. Jean-Pierre Raffarin. - 69 is back !
M. Ronan Dantec. - Enfin, il manque indéniablement un volet démocratique dans ce projet de loi. Nous aurions pu déposer davantage d'amendements.
M. Michel Delebarre, rapporteur. - Nous n'en doutons pas...
M. Ronan Dantec. - Le scrutin direct dans les intercommunalités est un cap que nous aurions pu franchir au Sénat.
Autres propositions en débat, la parlementarisation des assemblées régionales ; le rôle des Ceser ; les rapports entre l'État, les préfets et les collectivités territoriales ; à terme, le bicamérisme local -je n'y reviens pas.
L'article 6 du projet de loi, qui plafonne à 150 le nombre de conseillers régionaux, représente un recul pour la démocratie locale, surtout pour l'Ile-de-France.
MM. Jean Desessard et André Gattolin. - Ah oui !
Mme Cécile Cukierman. - Le problème ne se pose pas seulement en Ile-de-France ! Dans la Loire, il y aura deux élus pour s'occuper de 15 lycées et 14 collèges !
M. Ronan Dantec. - Moins d'élus pour plus de décisions à prendre, l'équation est impossible. Un réseau dense d'élus régionaux est au contraire une clé de la réussite de la réforme. C'est ce qui fera reculer le sentiment de relégation. Donnons plus de pouvoirs aux citoyens ; donnons plus de pouvoirs aux élus locaux ; ils les investiront au service des territoires (Applaudissements sur les bancs écologistes)
M. le président. - La parole est à Jean-Léonce Dupont.
M. Didier Guillaume. - Ah, un président de conseil général !
M. Jean-Léonce Dupont . - Une réforme territoriale est nécessaire. Pour autant, le Meccano territorial ne peut s'élaborer qu'après et seulement après avoir clarifié les compétences et les financements -comme d'habitude, nous préférons jouer au culbuto.
Monsieur le ministre, vous parlez d'économies... A-t-on envisagé que le projet de loi générerait des dépenses supplémentaires ?
M. Éric Doligé. - Très bien !
M. Didier Guillaume. - Et la fusion des départements et des régions ?
M. Jean-Léonce Dupont. - Nous avançons à tâtons : les métropoles, un mode de scrutin avec des binômes que le monde entier est censé nous envier, la suppression de la suppression de la clause de compétence générale...
La carte régionale dont nous allons débattre vaudra pour des années. Ne commettons pas des erreurs fatales. Il n'échappe à personne qu'elle est le résultat de négociations au sein d'un parti devenu ultra-minoritaire dans l'opinion.
M. Didier Guillaume. - On verra lors des prochaines élections.
M. Jean-Pierre Raffarin. - En effet !
M. Jean-Léonce Dupont. - La carte des départements de 1789-1790 a été dessinée après six mois de consultation avec ce que nous appellerions maintenant le terrain.
Choisir son destin, c'est le minimum de la démocratie locale. (M. Didier Guillaume approuve) Toutes les régions s'incarnent dans leur capitale ; leur ôter cette marque, c'est détruire leur politique de développement économique. Autre conséquence du projet de loi, le plafonnement à 150 du nombre de conseillers régionaux : est-ce le nouveau désert français que nous voulons pour le XXIe siècle ? Notre responsabilité est immense. (M. Jacques Mézard approuve)
Enfin, le bricolage du calendrier électoral bringuebalé d'année en année. Ce gouvernement, sans en avoir le monopole, traite les mandats locaux comme des variables d'ajustement.
Mieux vaudrait au contraire faire courir les mandats régionaux jusqu'en 2022 : il leur faudra bien le temps d'un mandat normal. Quant à la réduction du mandat des conseillers départementaux, elle est tout bonnement inadmissible. C'est une façon de supprimer les départements en faisant sauter le verrou constitutionnel. Devant les réactions, on commence à évoquer l'idée qu'on pourrait ne pas traiter de la même manière les départements qui ont une métropole et les départements plus ruraux... Ah l'exemple lyonnais... C'est beau ! C'est lisible ! C'est simple ! En réalité, on a créé un département supplémentaire...
M. Gérard Longuet. - Exactement !
M. Didier Guillaume. - M. Mercier sera content !
M. Gérard Longuet. - Il s'est fait son propre petit département...
M. Jean-Léonce Dupont. - Dans un silence assourdissant sur les moyens financiers, vous programmez la fin des départements pour 2020, véritable provocation pour les élus autant que pour les agents de nos collectivités, dont vous n'imaginez pas les inquiétudes. (On renchérit à droite)
M. Éric Doligé. - Bravo !
M. Jean-Léonce Dupont. - Comment gérer une collectivité pendant cinq ans quand une partie des agents pensera d'abord à son reclassement ?
En 1982, notre assemblée débattait avec passion de la loi du 2 mai 1982 sur la décentralisation. Prenons garde de ne pas fouler aux pieds les libertés locales, que l'acte III de la décentralisation ne se transforme pas en acte I de la recentralisation. (« Très bien ! » à droite)
M. le président. - Veuillez conclure.
M. Jean-Léonce Dupont. - Les masques tombent : M. le ministre de l'intérieur l'a dit, les préfets décideront du sort des territoires ruraux.
M. Didier Guillaume. - Mais non !
M. Jean-Léonce Dupont. - Entre les régions et les intercommunalités, un État autoritaire et impuissant. Belle perspective ! (Applaudissements au centre et à droite)
M. Christian Favier . - Au nom du groupe CRC, je veux d'abord émettre une vive protestation quant à nos conditions de travail sur un texte qu'on dit fondateur, conditions indignes des enjeux comme du Sénat : procédure accélérée, étude d'impact insuffisante -le Conseil constitutionnel l'a reconnu à demi-mot-, saucissonnage des textes... Nulle volonté d'obstruction de notre part avec la motion référendaire mais dénonciation d'un coup de force institutionnel, d'une manipulation politique peu glorieuse, d'une défiance vis-à-vis de la représentation nationale et des élus. Car il s'agit de bouleverser notre contexte institutionnel, rien moins que brader en une semaine une organisation territoriale ancrée depuis deux cents ans dans l'histoire républicaine.
Et le texte est si encadré, si figé que le pouvoir législatif ressemble de plus en plus au rouage administratif d'un exécutif autocratique et sourd à toutes les critiques, réfugié dans sa tour d'ivoire élyséenne...
M. Jean-Pierre Sueur. - Comme ce discours est nuancé...
M. Christian Favier. - On songe au petit horloger de Versailles qui écrivait dans son journal, le 14 juillet 1789 : rien...
Partout, les élus, la population grondent tandis que vous tenez le peuple éloigné... Vous nous présentez, dessinée en petit comité, une nouvelle carte des baronnies dictée par Bruxelles pour réaliser des économies. Suivre les rails de la Commission européenne, si j'ai bien compris, c'est la feuille de route de M. Cazeneuve. Mais les conséquences seront lourdes. Avec le projet de loi, la baisse de l'investissement des collectivités territoriales pourrait atteindre 10 % et 10 000 emplois seraient menacés en Ile-de-France.
À l'inverse de toutes les lois de décentralisation, vous renforcez le rôle des préfets. Nous n'avons rien contre le retour de l'État mais nous ne voulons pas qu'il se fasse contre les assemblées élues. Pourquoi cette concentration, cette organisation verticale, hiérarchique qui semble être l'alpha et l'oméga de votre pensée institutionnelle, alors que tout pousse à de nouvelles formes d'organisation, plus souples et plus collaboratives ? Qui peut croire qu'il y aura plus de démocratie avec moins d'élus et moins d'assemblées ?
Alors, où sont les vrais enjeux ? Mettons-nous les mêmes réalités derrière les mêmes mots ? Quand on parle de régions fortes, est-ce la fin de la République unitaire et la voie ouverte au fédéralisme ? Est-ce la disparition de toute politique économique nationale, d'aménagement du territoire, d'enseignement supérieur ?
Véritable jeu de dupes que le discours sur les communes : on les défend tout en réduisant leurs budgets et leurs compétences au profit d'intercommunalités qui ne sont plus librement choisies. Les communes deviendront bientôt de simples mairies d'arrondissement, a fortiori avec des seuils portés au plus haut pour les intercommunalités et l'élection au suffrage direct des conseillers communautaires...
On ne parle pas encore de supprimer les communes, mais le projet est sans doute dans les cartons. Le président de la République n'a-t-il pas changé d'avis sur les départements en quinze jours ? Six mois après avoir rétabli la compétence générale, on la supprime... Cette versatilité de la parole politique cache mal le projet libéral d'une Europe fédérale des régions, qui éloigne toujours plus les citoyens des centres de décision.
Au nom d'une prétendue lisibilité, nous assistons à un grand chambardement technocratique contraire aux engagements pris par le président de la République lors de la campagne présidentielle et de son discours de Dijon. Loin de la promesse d'un nouvel acte de décentralisation, nous sommes face à un nouveau renoncement, à une nouvelle reculade. Le groupe CRC milite pour une VIè République sociale et démocratique, pour des collectivités locales librement administrées par des assemblées élues aux pouvoirs renforcés, construites sur des coopérations et non sur une intégration contrainte. Cela suppose un débat national et le référendum. Vous n'en voulez pas, nous rejetterons votre texte. (Applaudissements sur les bancs CRC)
M. Michel Delebarre, rapporteur. - On s'y attendait...
M. Jacques Mézard . - M. le ministre, imaginez-vous dans une verte vallée du Massif central présenter les bienfaits de cette réforme à une assemblée d'élus locaux et leur dire que l'échelon de proximité disparaît ...
M. Gérard Longuet. - Cela commence bien !
M. Didier Guillaume. - C'est un poète !
M. Jacques Mézard. - Le monde évolue, le groupe RDSE en a conscience et a montré sa volonté de changement sur la bioéthique, la santé publique, les libertés, dans bien d'autres domaines encore. Nous votons le budget et la réforme pénale. En revanche, nous ne voulons pas de ces textes néfastes pour la nation, le binôme, le non-cumul, aujourd'hui ce texte et celui annoncé. Nous ne contestons pas la baisse des dotations, nous comprenons les enjeux. Mais nous ne voulons pas d'un bouleversement de notre organisation territoriale sans concertation, au mépris du rôle du Parlement. Nous ne voulons pas d'une carte des régions dessinée en quelques heures au sommet de l'exécutif au gré de la puissance ou de la proximité de certains grands élus.
Le groupe RDSE vous propose de revoir votre projet, votre calendrier, en un mot votre copie dans l'intérêt du pays et même du Gouvernement. Victor Hugo qui a siégé -peu mais bien- au Sénat disait : « La forme, c'est le fond qui remonte à la surface. » Ce qui remonte, c'est le non-respect du Parlement et d'abord du Sénat de la République ; ce qui remonte, c'est une méconnaissance des territoires. Oui, nous vivons dans un régime à bout de souffle. Tordons le cou aux arguties de certains zélateurs ânonnant des éléments de langage. Non, ce n'est pas un débat droite-gauche, de très nombreux exécutifs locaux dirigés par des socialistes ont dit leur hostilité tandis que des personnalités de droite ont souhaité la suppression des départements. J'ai obtenu, parce que je les ai demandées, copies des réponses au questionnaire du rapporteur de la commission spéciale : conseils généraux, 18 contre, 6 pour ; conseils régionaux, 2 contre, un pour ; l'ADF y est résolument opposée, son président, à ma connaissance, est pourtant socialiste... J'ai pris connaissance avec intérêt de l'amendement déposé ce matin par le groupe socialiste du Sénat pour le maintien des départements en zone rurale. Nous verrons ce qu'en pense le Gouvernement...
Non, il n'y a pas plus ici un débat entre les prétendus anciens et les prétendus modernes. Notre groupe s'est opposé à Mme Lebranchu quand elle a voulu rétablir la clause de compétence générale ; vous proposez aujourd'hui de la supprimer. Qui est incohérent ? Qui est moderne ? Et ceux dont le seul argument est de dire que puisque le monde change, il faut changer, ne sont pas de vrais réformistes mais de vrais opportunistes...
On discuterait de cette réforme depuis vingt ans ? Non, la carte proposée a été dessinée ex nihilo. M. Krattinger, avec courage, a démontré en commission que ce projet de loi n'était en rien le produit du rapport qu'il a cosigné avec M. Raffarin, et que le Sénat avait approuvé à l'unanimité. (Marques d'approbation sur les bancs UMP) Que ne l'avez-vous lu !
Lors de son discours de Dijon...
M. Didier Guillaume. - Beau discours !
M. Jacques Mézard. - ... comme lors de celui prononcé à Tulle, le président de la République a défendu l'existence des départements. Le Premier ministre, défendant le binôme, a fait ici de même. Qui a changé d'avis ? Qui manque de cohérence ? L'exécutif ou nous ?
Il ne nous est point agréable de nous opposer à un Premier ministre que nous respectons et à un ministre de l'intérieur dont nous partageons nombre de convictions- vous fûtes à bonne école. Nous le devons pourtant, c'est notre devoir de parlementaires.
Vous avez cité Edgar Faure, monsieur le ministre ; souvenez-vous du titre de ses mémoires : « On a toujours tort d'avoir raison trop tôt ». Il est vrai qu'il parlait aussi « d'indépendance dans l'interdépendance »...
M. Roger Karoutchi. - À propos du Maroc...
M. Jacques Mézard. - Deux projets de loi saucissonnés alors qu'ils n'en font qu'un, un passage en conseil des ministres le 18 juin, cinq jours pour déposer des amendements, une étude d'impact indigente, un examen à la sauvette, une matinée en commission à jouer au Monopoly ou au Rubik's cube... Le tricot, c'est une maille à l'endroit, une maille à l'envers ; ici, on tricote tout à l'envers. D'où notre motion référendaire. Et qu'on nous épargne les cris d'orfraie de ceux qui dans l'opposition défendaient pareille motion sur des sujets moins essentiels.
Il y a dans ce texte un vide sidéral sur la décentralisation, les transferts de compétences - certains ne sont même pas terminés ; pire, vous renforcez le rôle des préfets quand les services déconcentrés de l'État maigrissent.
Une avancée démocratique que de grandes régions ? Non pas ! Déjà, plus personne ne connaît les élus envoyés siéger à la capitale régionale ; ce sera pire demain, le pouvoir sera entre les mains du président et de ses services.
On étouffe les partis minoritaires au profit de l'extrême droite et nous devrions vous en remercier ? Une avancée dans l'organisation territoriale ? Un découpage arbitraire, sans lien avec la réalité ni les bassins de vie. M. le rapporteur ne veut pas de la Picardie dans sa région, non pour des raisons économiques mais pour préserver un résultat électoral. Où sont les économies ? Où est l'avancée quand les territoires ruraux n'auront plus guère de représentants à la région ? On nous dit qu'il suffit d'y envoyer de bons élus ; est-ce à dire que les urbains sont des imbéciles ? (Sourires) Le besoin de proximité, vous le traitez par l'éloignement. Oui, notre société change, pourquoi une organisation uniforme ? À quoi sert un conseil général à Paris sinon à cumuler les indemnités ?
Nous sommes pour de grandes régions, pour la spécialisation des compétences, pour une organisation différenciée, pour le renforcement des intercommunalités et les communes nouvelles...
M. Christian Bourquin. - Ce n'est pas mal !
M. Jacques Mézard. - Le texte sera rejeté par le Sénat. Que le Gouvernement revoie sa copie, choisisse le chemin de la raison et du bon sens. Monsieur le ministre, posez dans la loi le principe d'un nombre maximum de régions, donnez au Parlement un délai pour voter une carte en liaison avec la question des compétences, conservez l'échelon des conseils généraux sauf dans les territoires métropolitains, repoussez les élections si vous voulez : vous n'aurez pas reculé mais fait oeuvre de responsabilité et de rassemblement. C'est ce que nous attendons de vous. (Applaudissements sur les bancs RDSE, au centre et à droite ; M. Christian Bourquin applaudit debout)
M. Jean-Pierre Raffarin . - Je crains que ce texte bâclé ne porte un coup fatal à la décentralisation. Votre projet de loi est un texte aux sept erreurs.
Première erreur, la précipitation. Comment croire à sa légitimité quand on sait comment il a été élaboré, négocié en nocturne à l'Élysée ? Examen dans des conditions qui ne sont pas dignes du Parlement, saisine du Conseil constitutionnel, décision de celui-ci dans la foulée, vote ici de la motion référendaire que l'Assemblée nationale repousse le soir même : quelle rapidité ! Nous aimerions que la navette fût toujours aussi rapide ! (Sourires à droite) Tout cela pour escamoter le débat, parce que l'essentiel, c'est le calendrier électoral. C'est désolant pour les Girondins qui sont nombreux ici.
Bien sûr je souhaite le meilleur destin pour ma région. C'est l'évidence, il est comme celui du Limousin avec l'Aquitaine, je le vis depuis 40 ans ! Mais puis-je décider en trois jours de rattacher l'Alsace et la Lorraine ? Telle région à telle autre ? Quelle légitimité ont ces marchandages entre notables qui ont décidé de rapprocher leurs intérêts ? Je peux vous parler de mon territoire, pour le reste c'est au Parlement de débattre, de décider ensemble avec l'État d'une carte fondée sur une réflexion historique, sociale, économique.
Cette carte nous aurions pu vous la dessiner avec M. Krattinger, dont l'absence est significative... Nous sommes prêts à travailler, mais il nous faut du temps et un peu de confiance... (Applaudissements à droite)
Deuxième erreur, logique inversée : le périmètre avant les compétences. (Mêmes mouvements)
M. Gérard Longuet. - Allez donc parler des huîtres à Dreux !
M. Jean-Pierre Raffarin. - Troisième erreur, je le dis sans arrogance, un déficit de pensée. Deux grandes voies peuvent être envisagées, celle qu'a choisie le Gouvernement précédent avec le conseiller territorial, qui rapprochait département et région ; celle pour laquelle M. Krattinger et moi avons plaidé, la différenciation, la proximité au département, la puissance et la stratégie à la région. Vous faites les grandes régions en abandonnant la proximité...
Quatrième erreur, une concertation bâclée. Nous avions fait un travail considérable, rédigé un rapport voté à l'unanimité ; croyez-vous que cela a été facile ? Et là, pas un coup de téléphone, pas un rendez-vous ! Même pas de mon préfet ! C'est vrai pour tous les membres de la commission ! C'est manquer de respect au Parlement ! (Applaudissements à droite et au centre) Si vous nous confiiez votre réforme, je vous assure que nous réussirions là où vous avez échoué.
Cinquième erreur, créer l'antagonisme entre les territoires. C'est une maladresse. Le Gouvernement précédent avait été particulièrement maladroit et cumulé des erreurs qui lui avaient coûté le Sénat. Vous n'avez pas tiré la leçon de nos échecs, vous vous attaquez en même tant à la carte des intercommunalités, aux départements, au financement, aux rythmes scolaires : vous montez les territoires contre l'État. On s'accommodera des résultats de septembre, mais nous n'acceptons pas de voir le pays divisé.
Sixième erreur, l'absence de vision pour la ruralité. Le conseil général serait pour les ruraux ? Mais ils ont besoin de péréquation, d'équilibre. Isoler la pauvreté, c'est la cantonner dans ses frontières. Les partenariats entre urbains et ruraux sont indispensables. (Applaudissements sur les bancs UMP)
Septième erreur enfin, se pose la question de la place du Sénat dans la République, si vous mettez en cause en supprimant les départements la cellule de base sur laquelle repose notre légitimité. Pour les Français, le département est un espace profondément républicain. Ils y sont très attachés.
Ne pensez pas que pour nous, la région est l'horizon. Notre ambition, c'est la France. Notre légitimité est territoriale, mais notre projet est national ! (Vifs applaudissements sur les bancs UMP)
M. Didier Guillaume . - Nous pourrions partager beaucoup de ce qui a été dit. Nous devons faire confiance au Sénat, à notre propre débat. Quels que soient les projets du Gouvernement, le rôle du Parlement est de débattre et d'amender. Nous croyons à la force du débat, à la force de conviction des sénateurs.
Arrêtons les faux débats, les motions procédurales et débattons du fond. Chacun a sa part de vérité, toutes les positions sont respectables mais tous les excès condamnables. Les positions ont évolué. Je fais partie des nouveaux convertis. Je ne défends plus les positions que défendait naguère le parti socialiste -comme l'UMP ne défend plus les propositions qui figurent noir sur blanc dans le programme écrit par mon excellent collègue de la Drôme Hervé Mariton.
Le Gouvernement nous demande de clarifier et moderniser notre organisation territoriale. Nous voulons aller dans le sens de l'histoire de cette belle décentralisation, naguère combattue, dont tout le monde reconnait aujourd'hui les mérites. La décentralisation s'est construite en 1982 sur le couple commune-département ; puis sont venues les régions. C'est la régionalisation des services de l'État qui a posé le plus de problèmes, en éloignant les décisions du citoyen. Nous sommes prêts à accompagner la réforme mais nous opposerons à toute recentralisation, à tout projet renforçant les pouvoirs du préfet au détriment des élus. (Applaudissent sur plusieurs bancs socialistes)
Veut-on vraiment que rien ne bouge ? Tout n'est pas parfait. Je suis président de conseil général ; depuis dix ans, j'entends l'ADF pleurnicher parce que l'État ne paie pas ses dettes. Vingt à trente départements sont au bord du gouffre, et les investissements baissent. Les régions n'ont plus d'autonomie fiscale. Tout va-t-il si bien ?
M. Éric Doligé. - À cause de qui ?
M. Didier Guillaume. - Nous sommes en l'an I de la clarification. Permettons aux collectivités, qui ont du talent, d'innover. À Valence, il y a trois autorités organisatrices de transport sur le même périmètre. Et on ne changerait rien ? Il ne faudrait pas avancer ? (M. René-Paul Savary s'exclame) Il y a une nécessité démocratique à la réforme, une nécessité économique et une nécessité financière.
Quelle est notre vision de la France des territoires ? D'abord un service public au plus près des citoyens. Le service public est essentiel, c'est le patrimoine de ceux qui n'en ont pas. Peu importe qui l'assume, pourvu que cela marche. Replaçons le service public au coeur du dispositif autour de quatre objectifs : solidarité, efficacité, proximité, diversité. La solidarité est indispensable, la proximité aussi. (Applaudissements sur les bancs UMP) Paris, Lyon, Marseille, ce n'est pas la Lozère ou la Drôme : les territoires sont divers. Peu importe le nombre de régions, du moment que ce sont des euro-régions fortes et stratèges.
M. René-Paul Savary. - C'est déjà le cas !
M. Didier Guillaume. - À l'autre extrémité, la commune et l'intercommunalité. Entre les deux il faut une instance intermédiaire de proximité et de solidarité. La mise en réseau des collectivités locales est indispensable, comme le disait M. Retailleau.
Le Premier ministre a répondu sur les départements et la spécificité de la ruralité, le ministre de l'intérieur s'est dit ouvert sur le sujet. Sommes-nous capables d'avancer ?
Le groupe socialiste propose un socle territorial commun. Nous sommes capables de le dessiner ici, dans la chambre des territoires. Il aurait quatre axes. Le premier, les régions. Prenons le temps, dessinons les nouvelles régions du XXIe siècle. Cela fait vingt ans qu'on en parle.
M. Éric Doligé. - On ne va pas le faire en 48 heures !
M. Didier Guillaume. - Le Sénat ne serait-il pas capable de trouver une majorité sur le nombre minimum de conseillers régionaux ? Je pense que nous pouvons nous mettre d'accord pour dire que les petits départements doivent être correctement représentés.
Sur le droit d'option des départements, ne serions-nous pas capables de trouver une majorité ? Bien sûr que si -à moins qu'il y ait autre chose derrière.
Je ne suis pas favorable à la suppression pure et simple des conseils généraux, notamment dans les zones rurales, mais leurs compétences doivent évoluer. Suite au colloque de Nevers sur la nouvelle ruralité, nous pouvons faire évoluer les conseils généraux. Sont-ils nécessaires dans les grandes métropoles ? Dans l'Ariège, déjà pauvre, les parents paient les transports scolaires au prix fort ; juste à côté, en Haute-Garonne, ils sont gratuits. (Exclamations à droite) C'est pourquoi il faut inventer une nouvelle solidarité, avec une nouvelle fiscalité. (Exclamations à droite)
Cessons de pleurnicher, soyons capables d'avoir une discussion sereine, d'avancer. Nos concitoyens nous regardent.
Pourquoi ne pas expérimenter ? Pourquoi garder 102 départements ? La Drôme et l'Ardèche prennent des délibérations communes sur de nombreux points, mais elles ne sont pas valables tant que chaque assemblée n'a pas délibéré de son côté. Que de technocratie !
Le Sénat doit prendre ses responsabilités. Qui veut tuer son chier l'accuse de la rage, dit le dicton. Il y aura toujours de bonnes raisons, de bons arguments pour ne pas discuter du texte. Non, allons de l'avant, prenons nos responsabilités. Je ne souhaite pas remettre à l'Assemblée nationale le soin de décider de la réforme territoriale. À l'heure qu'il est, le Sénat ne peut passer son tour.
M. Patrice Gélard. - Chantage !
M. Didier Guillaume. - Nous devons être à la hauteur des enjeux de la France. Cela signifie clarifier, moderniser, inventer les nouveaux territoires ! (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. Gérard Larcher . - Ce débat illustre à quel point le Sénat et le Parlement dans son ensemble sont peu respectés. Je veux poser une question au président Bel et au ministre : à entendre le président Guillaume nous parler des compétences, j'en conclus qu'il désapprouve que nous commencions par la cartographie avant d'avoir établi les compétences. Faut-il, dès lors, poursuivre l'examen du texte ? La majorité sénatoriale de septembre 2011 s'est attachée à démolir systématiquement la loi de 2010. Les péripéties de la suppression puis du rétablissement, le 19 décembre dernier, de la compétence générale virent au comique.
Nous nous inscrivons dans l'esprit de la décentralisation. Vous dévitalisez les départements pour mieux revitaliser le préfet ; vous recentralisez. Vous remplacez les élus par les préfets ! Quelle vision de la décentralisation ! (Applaudissements sur les bancs UMP)
Vous instrumentalisez maladroitement le rapport Raffarin-Krattinger : nous voulions éviter un no man's land rural entre des métropoles attractives. Regardez les résultats électoraux dans les zones rurales du Pas-de-Calais ou du Cantal : le Front national obtient plus de 32 % dans les communes de moins de 1 500 habitants ! N'est-ce pas le symptôme d'une France qui se sent exclue, abandonnée ? (Applaudissements sur les bancs UMP)
M. Alain Néri. - Qu'avez-vous fait pendant dix ans ? Rien !
M. Gérard Larcher. - Monsieur Guillaume, comment voulez-vous que nous examinions vos quatre axes dans le temps qui nous est imparti ? Que faites-vous des fonctionnaires territoriaux ? Où est l'étude d'impact ? Le ministre vante l'exemple de Cherbourg-Octeville, où il a appliqué une règle plus dure que le gouvernement Fillon sur le non-remplacement des retraités !
Je reviens à la dimension politique de vos décisions ; vous ne faites plus confiance à l'élu local, qui serait redondant, dépensier. Il faudrait l'éloigner du citoyen.
M. Didier Guillaume. - Cela, c'est ce que disait Sarkozy !
M. Gérard Larcher. - Le Sénat doit représenter toute la France, pas simplement la France rurale ou celle des métropoles. Le vrai handicap c'est l'enchevêtrement des compétences.
M. Patrice Gélard. - C'est vrai !
M. Gérard Larcher. - Attention à ne pas laisser des territoires sur le bord de la route, qu'ils soient ruraux ou urbains. À 20 kilomètres de Trappes, on sait ce que c'est qu'un territoire délaissé ! Alors amender, peut-être, mais sans doute revoir la copie ! (Applaudissements à droite)
M. Henri Tandonnet . - Après les poids lourds du Sénat, je ferai entendre la voix de la modération, dont Albert Camus disait qu'elle était radicale. (Sourires)
Je regrette que notre discussion doive porter sur le texte du Gouvernement malgré l'intense travail de la commission spéciale. Celle-ci a adopté des amendements, mais pas de texte.
M. Philippe Kaltenbach. - La faute à qui ?
M. Henri Tandonnet. - L'UDI semble être le seul groupe à vouloir débattre sur le fond. « Acte III de la décentralisation » ? C'est surtout un acte manqué. Au lieu de s'appuyer sur la réforme territoriale de 2010, le Gouvernement a préféré, par pur dogmatisme, détruire ce qui avait été fait par la majorité précédente. Une réforme efficace est une réforme pensée globalement. Je m'interroge sur la solidité de l'équilibre qui sera trouvé.
Le redécoupage des régions proposé est hélas tributaire de considérations politiques, au détriment de la cohérence. La notion de bassin de vie est absente du texte, alors que les outils statistiques existent. C'est une erreur de vouloir regrouper des régions intermédiaires, dépourvues de vraie capitale. Il aurait fallu raisonner à l'échelle des départements, non par régions figées. Ce redécoupage aurait nécessité un dialogue avec les collectivités territoriales pour saisir les enjeux de chaque territoire : notre groupe souhaite apporter de la souplesse ; nos amendements prévoient que deux départements limitrophes puissent demander une modification de frontières sans référendum. Il devrait en aller de même pour la fusion de régions : il faut un minimum d'affectio societatis.
Un mot sur les territoires ruraux. Certes, de grandes régions pourront faire beaucoup pour l'industrie ou les infrastructures. Mais elles n'ont pas réussi à limiter la fracture entre les métropoles et les territoires ruraux, trop souvent laissés pour compte. C'est pourquoi nous souhaitons une meilleure représentation des territoires ruraux dans les conseils régionaux. Oui à une intercommunalité correspondant à des bassins de vie, oui à une décentralisation tournée vers l'avenir.
Notre soutien reste conditionné à l'acceptation de l'assouplissement que nous proposons pour les rattachements de départements et les fusions de régions. (Applaudissements sur certains bancs UDI-UC)
La séance est suspendue à 19 h 40.
présidence de M. Charles Guené,vice-président
La séance reprend à 21 h 40.