Sociétés d'économie mixte à opération unique (Deuxième lecture)
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle la discussion en deuxième lecture de la proposition de loi, modifiée par l'Assemblée nationale, permettant la création de sociétés d'économie mixte à opération unique.
Discussion générale
M. André Vallini, secrétaire d'État auprès de la ministre de la décentralisation, de la réforme de l'État et de la fonction publique, chargé de la réforme territoriale . - Le Sénat a voulu créer des sociétés d'économie mixte à opération unique (Semop) dont le principal avantage est de se composer de deux actionnaires au minimum contre sept dans les sociétés d'économie mixte locales.
Cette structure s'inscrit dans la continuité de la loi du 28 mai 2010 qui a vu la création des sociétés d'économie mixte locales.
Les Semop correspondent à une demande ancienne des collectivités territoriales. Elles sont conformes à la décision de la CJCE du 15 octobre 2009 et au Livre vert de la Commission. En conséquence, les appels d'offres doivent respecter les principes de libre concurrence, de transparence et d'égalité de traitement.
L'Assemblée nationale a substitué à la notion d'actionnaire opérateur celle d'opérateur économique ; elle a précisé que la société devait garder le même objet social durant toute la concession. Les députés se sont attachés à rendre conforme aux procédures de mise en concurrence actuelles la sélection de l'opérateur économique. De même, ils ont replacé le contrat de sous-traitance dans le droit commun. Cela, je veux le souligner, ne posera pas de difficultés. Deux hypothèses : soit la Semop sera libre de choisir les sous-traitants si elle est soumise à l'ordonnance du 6 juillet 2005 et à celle du 15 juillet 2009 ; si ce n'est pas le cas, elle devra recourir à la procédure de mise en concurrence.
En séance, les députés ont récrit l'article premier et autorisé des groupements d'entreprises à répondre à l'appel public de la collectivité. Le Gouvernement, prenant acte de l'équilibre trouvé, a présenté seulement deux amendements, dont l'un prévoit que l'organe délibérant se prononce sur le principe du recours à la Semop.
Je salue les travaux de M. Jean-Léonce Dupont et les auteurs des propositions de loi identiques. La Semop, dont l'intérêt n'est plus à démontrer, procure à la fois la maîtrise politique et la sécurité juridique. Avec ce texte, la France se dote d'un instrument qui se situe un cran au-dessus de ceux qui existent dans le reste de l'Europe, au service des projets locaux. (Applaudissements sur les bancs socialistes, du RDSE, de l'UDI-UC et de l'UMP)
M. Jacques Mézard, rapporteur de la commission des lois . - L'on peut se féliciter du caractère transpartisan de ce texte déposé par M. Jean-Léonce Dupont, auquel je tiens à rendre hommage, identique à une proposition de loi de M. Daniel Raoul et de M. Antoine Lefèvre. Réjouissons-nous de ce consensus, dont on ne sait s'il durera... lors de la réforme territoriale. (Sourires)
M. André Vallini, secrétaire d'État. - On verra !
M. Antoine Lefèvre. - C'est moins évident !
M. Jacques Mézard, rapporteur. - En première lecture, le Sénat avait adopté cette proposition de loi à l'unanimité des suffrages exprimés. L'objectif est de créer une nouvelle forme de partenariat public-privé institutionnalisé, pour reprendre la terminologie européenne. La Commission européenne et la CJCE ont validé ce nouvel outil, qui ne remplace pas les outils traditionnels que sont les sociétés d'économie mixte locales et les sociétés publiques locales.
Il ne s'agit pas non plus de remplacer les partenariats public-privé, ni d'abandonner la délégation de services publics mais de doter les collectivités territoriales d'un nouvel outil, à l'image des sociétés publiques locales créées en 2010 qui, à ma connaissance, fonctionnent bien.
Je sais les inquiétudes des professionnels. Pour autant, le parallèle avec les contrats de partenariat ne tient pas. Les Semop porteront sur des projets moins importants ; les collectivités territoriales pourront y recourir pour faire appel à des entreprises locales : manière de redynamiser l'économie territoriale.
En première lecture, nous avons sécurisé le dispositif en assurant le respect des exigences communautaires en matière d'égalité de traitement, de transparence et de publicité des procédures. Nous avons retenu la dénomination de Semop plutôt que celle de « SEM-contrat ». Nous avons clarifié les différentes étapes de la création d'une Semop et de conclusion du contrat ainsi que la procédure de mise en concurrence pour la sélection de l'actionnaire privé.
À l'Assemblée nationale, la commission des lois a conforté la simplification du dispositif en réaffirmant le caractère unique de la procédure. On pourrait gloser longtemps sur son choix de substituer le terme d'opérateur économique à celui d'actionnaire opérateur mais n'y revenons pas. Elle a supprimé la possibilité d'attribuer des contrats de sous-traitance simultanément au choix de l'opérateur économique. Elle a préféré l'établissement d'un document de préfiguration prévoyant les caractéristiques, les modalités et le coût de la structure. Cela rassurera les professionnels.
Ce texte doit aboutir rapidement, afin que les collectivités locales puissent se saisir dès que possible de ce nouvel outil qui ne leur fera pas courir les risques des partenariats public-privé.
Je vous propose d'adopter le texte conforme. (Applaudissements sur les bancs socialistes, du RDSE, de l'UDI-UC, de l'UMP)
M. Antoine Lefèvre . - En deuxième lecture, je serai bref. Je me réjouis que ce texte, identique à celui que j'avais déposé, aboutisse. Il crée, en effet, un partenariat public-privé sécurisé qui existait ailleurs, mais que la France ne connaissait pas. Nos collectivités territoriales ont besoin de cet outil innovant en ces temps difficiles.
Je n'ignore pas les inquiétudes sur la question de la sous-traitance. Nos débats en commission des lois les ont levées, notre rapporteur a reçu les architectes.
Le groupe UMP votera ce texte avec conviction. (Applaudissements à droite, sur les bancs de l'UDI-UC, du RDSE, socialistes)
M. Jean-Léonce Dupont . - À l'automne 2013, une centaine de parlementaires, députés et sénateurs de groupes différents ont pris l'initiative de déposer six propositions de lois identiques pour créer une société que notre rapporteur Jacques Mézard a, et c'est judicieux, rebaptisé la société d'économie mixte à opération unique (Semop). Bon signe, l'acronyme Semop est déjà couramment utilisé.
Le texte que nous examinons ce soir respecte les huit grands principes que nous avions fixés. Parmi eux, citons en particulier la maîtrise publique : la présidence de la structure reviendra à un élu.
Mme Escoffier, que je tiens à remercier particulièrement, puis M. Vallini, M. Mézard et d'autres ont fait des propositions utiles pour simplifier les dispositions et garantir leur appropriation rapide par les élus. Soyons clairs : la Semop sera une entreprise à part entière, et non un contrat pourvu d'un droit idoine, qui ne viendra pas « challenger » les autres formes de partenariat.
À tout vouloir border et reborder, on risque de déborder. Ne cédons pas à la tentation de verrouiller un carcan législatif qui deviendrait rapidement obsolète. Les exemples ne manquent pas. Laissons toute sa place à la liberté d'entreprendre !
Les Semop, qui existent ailleurs en Europe, sont attendues par les élus comme par les entreprises. Elles trouveront leur place, j'en suis sûr, auprès des SEM locales et des sociétés publiques locales portées sur les fonts baptismaux par M. Daniel Raoul. Le Sénat et l'Assemblée nationale ont élaboré un texte court, simple et sécurisé juridiquement. Il est plus que temps de le voter ! (Applaudissements sur les bancs de l'UDI-UC, de l'UMP, du RDSE et socialistes)
Mme Évelyne Didier . - Je ne tiendrai pas les mêmes propos que mes collègues, vous m'en voyez désolée. Que la SEM-contrat devienne Semop et que le dispositif ait été sécurisé ne change rien à notre opposition de principe. Au fond, de quoi cette proposition de loi est-elle le nom ? De la RGPP, suivie par la MAP, qui ont ravagé les collectivités territoriales et leur ont ôté l'expertise. Les Semop représentent-elles vraiment une alternative quand la collectivité territoriale peut détenir seulement 34 % du capital ? À vrai dire, l'appellation de société d'économie mixte est abusive. La Semop se rapproche davantage des partenariats public-privé que des SEM locales ou des sociétés publiques locales. Comment garantir que la collectivité territoriale fera usage du pouvoir qui est le sien avec cette prétendue minorité de blocage ? Au reste, les entreprises ne s'y sont pas trompées : elles accueillent avec enthousiasme ce nouvel outil. Encore et toujours, la privatisation rampante du service public. Et ce sont certainement les mastodontes du BTP, de l'environnement et des transports qui deviendront des partenaires parce que les PME locales n'auront pas les reins assez solides. L'ordre des architectes est très critique sur un montage qui les subordonne aux intérêts marchands.
Le groupe CRC s'abstiendra à nouveau sur ce texte trop ambigu. (Applaudissements sur les bancs CRC)
M. René Vandierendonck . - Madame Didier, le parti socialiste n'est pas enthousiaste pour le partenariat public-privé vu le risque de consanguinité qu'il recèle.
Mais ce soir, et j'en remercie le président Mézard, tout ce qui de près ou de loin évoquait un cousinage avec le partenariat public-privé a été évacué du texte.
Nous avons effectué un travail « transcourant » comme le fera peut-être la commission spéciale... (Sourires) Pas facile à la commission des lois qui compte entre autres des conseillers d'État. Oui, je vous rends un hommage particulier, monsieur Mézard, ainsi qu'à Mme Escoffier. Elle a bien compris que, dans le débat sur la décentralisation, il y a des déclarations d'amour et des preuves d'amour. Des gestes concrets qui en disent plus longs que les mots. Ici, c'est la sécurité juridique d'un instrument entre la régie - je n'ai rien contre -, et la délégation de service public, - un mode médian : on donne au privé la possibilité de concourir à un service public dont la collectivité conserve le contrôle en cours d'exécution. Je donne rendez-vous, à tous ceux que le sujet intéresse, pour la transposition de la directive sur la commande publique et pour les SEM hydro-électriques lors du projet de loi sur la transition énergétique. Oui, ce jour est une date importante pour l'allègement des normes et la défense du service public. Bravo à M. Dupont ! (Applaudissements sur les bancs socialistes et à droite)
Mme Anne-Marie Escoffier . - Ce texte très attendu donne aux collectivités territoriales un nouvel outil de la commande publique. J'ai salué, dans le même lieu, mais en d'autres temps, la forte mobilisation des élus locaux autour d'un texte facilitateur pour tous les décideurs locaux.
Quelques points me semblaient alors mériter une réflexion complémentaire : le quantum de l'actionnaire public, les conditions de création et les procédures de mise en concurrence en particulier.
Monsieur le ministre, lors de votre baptême du feu, l'Assemblée nationale a adopté ce texte, le 7 mai dernier, dans un consensus que vous vous plaisiez à souligner, jugeant que c'était de bon augure pour la future réforme territoriale ?(Sourires)
Ce texte précise l'unicité de l'opération et l'interdiction faite à la société, à son terme, de se transformer en SEM locale ou en SPL et conforte l'alignement sur le droit commun, en particulier pour la mise en concurrence.
Dans sa forme actuelle, il répond aux interrogations sur l'attribution simultanée de contrats de sous-traitance. Monsieur le ministre, tous les intervenants et partenaires ont compris l'utilité de ce texte, le groupe RDSE l'adoptera. Je forme le voeu qu'il soit aussi opérationnel que celui sur la société publique locale, née dans cette enceinte, dont on ne reconnaît pas suffisamment la sagesse, la connaissance approfondie des collectivités locales, de leurs contraintes, une enceinte qui mériterait d'être plus écoutée. Aujourd'hui, monsieur le ministre, nous avons eu votre oreille et peut-être plus, votre conviction que nous devons agir ensemble pour réussir la réforme de l'action publique. (« Très bien ! » et applaudissements sur les bancs socialistes et à droite)
La discussion générale est close.
Discussion des articles
ARTICLE PREMIER
Mme la présidente. - Amendement n°2, présenté par M. Leconte.
Alinéa 4
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
La création d'une société d'économie mixte à opération unique est soumise aux conditions prévues par l'article L. 1414-2 du code général des collectivités territoriales pour les contrats de partenariat.
M. Jean-Yves Leconte. - Je suis embarrassé de présenter maintenant mes amendements de témoignage sur ce texte de consensus. Je souhaite vous faire part de mes inquiétudes.
Avec la Semop un opérateur pas totalement public interviendra pour une collectivité publique. Il y aura donc un transfert d'argent, un engagement financier hors bilan.
Il serait souhaitable que la procédure de choix de l'opérateur suive le modèle des contrats de partenariat, inscrit au code général des collectivités territoriales.
Si cet amendement était adopté, il n'y aurait pas de vote conforme, mais je tenais à exprimer mon doute. Je salue le travail du rapporteur et du Gouvernement.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Retrait ou rejet. Vous voulez absolument assimiler ces Semop à des partenariats public-privé. Nous en avons longuement débattu en commission des lois. Votre crainte n'a pas lieu d'être : la collectivité publique établira un document de préfiguration de la constitution de la future SEM et de son projet. Faisons confiance à l'intelligence territoriale ; continuons de le dire, même si cela n'est pas entendu. Multiplier les contraintes ne rend service ni à nos collectivités, ni à l'économie de notre territoire. Un vote conforme serait un signe positif pour les élus locaux.
M. André Vallini, secrétaire d'État. - Pour les mêmes raisons, avis défavorable. Si nous créons ce soir, à l'initiative du Sénat, un nouvel outil, c'est justement pour éviter les risques que font courir aux collectivités les partenariats public-privé. Vos craintes sont légitimes et respectables mais infondées... Le Gouvernement soutient la création des Semop. L'exécutif fait, lui aussi, confiance à l'intelligence territoriale, il sait le sens des responsabilités des élus locaux et leur souci de bonne gestion.
M. Jean-Yves Leconte. - Par réalisme, je m'incline... puisque tout le monde ou presque appelle à un vote conforme. Mon souci était de poser un verrou pour conjurer les risques inhérents aux partenariats public-privé, instruit par l'expérience financière de certaines collectivités.
L'amendement n°2 est retiré.
Mme la présidente. - Amendement n°3, présenté par M. Leconte.
Après l'alinéa 9
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsque le contrat confié à la société d'économie mixte à opération unique a pour objet la réalisation d'une opération de construction ou de développement de logement, ou la gestion d'un service public incluant la construction d'un ouvrage, le choix de l'équipe de maîtrise d'oeuvre fait l'objet d'une mise en concurrence indépendante, par la collectivité ou le groupement de collectivités à l'initiative de la constitution de la société à économie mixte à opération unique.
M. Jean-Yves Leconte. - Après notre collègue communiste je veux rappeler que les architectes sont inquiets des conséquences pour les villes et l'urbanisme de l'action d'opérateurs qui pourraient ne plus s'appuyer sur des maîtres d'oeuvre indépendants répondant aux conditions posées par la loi sur l'architecture.
Cette inquiétude peut paraître étrange de la part d'un sénateur représentant les Français de l'étranger. Justement, je voyage dans beaucoup de pays aux règles d'urbanisme anarchiques et j'en vois les conséquences.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Encore une demande de retrait, ou rejet. Le texte soumis au vote du Sénat est en parfaite adéquation avec les lois sur l'architecture.
Vous voyagez beaucoup, dites-vous. Nous, initiateurs de ce texte, sommes tous des élus locaux responsables d'exécutifs locaux. Songez-y, vous qui êtes contre le cumul des mandats. Nous avons l'expérience, sur le terrain ; nous faisons appel à des entreprises, à des maîtres d'oeuvre. Le maître d'ouvrage, croyez-nous, décide, commande, a un projet et paie.
Les architectes sont inquiets ; je sais pour avoir moi-même exercé une profession libérale que certains corporatismes s'expriment ; mais nous pouvons les rassurer car toutes les garanties sont apportées.
M. André Vallini, secrétaire d'État. - Je vous demande également de retirer cet amendement. Nous avons perçu les inquiétudes, en particulier des architectes, qui se sont beaucoup manifestés auprès des parlementaires et du Gouvernement. Je rappelle que la loi sur l'architecture n'est nullement remise en cause par ce texte. Je tiens à mon tour à les rassurer.
M. Jean-Yves Leconte. - Je vais retirer cet amendement aussi, sans être convaincu. La richesse du Sénat tient aux expériences différentes qu'il réunit. Les conditions d'appel aux maîtres d'oeuvre ne sont pas les mêmes, avec la Semop, que pour les autres opérations de construction. Recourir à un maître d'oeuvre indépendant demeure une garantie pour le suivi du cahier des charges car la collectivité n'a pas forcément les compétences pour le faire.
L'amendement n°3 est retiré.
L'article premier est adopté.
Les articles premier bis, premier ter et 14 sont adoptés.
L'ensemble de la proposition de loi est définitivement adopté.
M. Antoine Lefèvre. - Bravo au président Dupont !
Prochaine séance demain, jeudi 19 juin 2014, à 9 heures.
La séance est levée à 23 h 30.
Jean-Luc Dealberto
Directeur des comptes rendus analytiques