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Vous pouvez également consulter le compte rendu intégral de cette séance.


Table des matières



Question prioritaire de constitutionnalité

Déclaration du Gouvernement

M. Manuel Valls, Premier ministre

M. Philippe Adnot

M. Jean-Vincent Placé

M. Jean-Claude Gaudin

M. François Zocchetto

Mme Éliane Assassi

M. Jean-Pierre Caffet

M. Jacques Mézard

M. Manuel Valls, Premier ministre

Engagement de procédure accélérée

Dépôt d'un rapport

Questions prioritaires de constitutionnalité

Agriculture, alimentation et forêt

Discussion générale

M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement

M. Didier Guillaume, rapporteur de la commission des affaires économiques

M. Philippe Leroy, rapporteur de la commission des affaires économiques

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, rapporteure pour avis de la commission de la culture

M. Pierre Camani, rapporteur pour avis de la commission du développement durable

M. Joël Labbé

M. Jean-Jacques Lasserre

M. Alain Bertrand

M. Gérard César

M. Gérard Le Cam

Mme Renée Nicoux

M. Ambroise Dupont

M. Daniel Dubois

Ordre du jour du jeudi 10 avril 2014




SÉANCE

du mercredi 9 avril 2014

82e séance de la session ordinaire 2013-2014

présidence de M. Jean-Pierre Bel

Secrétaires : M. Marc Daunis, M. Jacques Gillot.

La séance est ouverte à 16 h 35.

Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.

Question prioritaire de constitutionnalité

M. le président.  - M. le président du Conseil constitutionnel a informé le Sénat, le 8 avril 2014, qu'en application de l'article 61-1 de la Constitution, la Cour de cassation a adressé au Conseil constitutionnel une décision de renvoi d'une question prioritaire de constitutionnalité portant sur les dispositions de l'article L. 631-15 II du code de commerce (Prononciation d'office de la liquidation judiciaire par le tribunal pendant la période d'observation d'un redressement judiciaire).

Le texte de cette décision de renvoi est disponible à la direction de la Séance.

Déclaration du Gouvernement

M. le président.  - L'ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat, en application de l'article 50-1 de la Constitution.

M. Manuel Valls, Premier ministre .  - (Applaudissements sur les bancs socialistes, écologistes et du RDSE) J'ai plaisir à poursuivre devant le Sénat le débat commencé hier à l'Assemblée nationale et ici même. Lors de ma déclaration de politique générale, j'ai dit l'exigence de vérité et d'efficacité de l'action publique, pour redonner confiance aux Français, leurs préoccupations se sont exprimées lors des élections municipales : chômage, vie chère, feuille d'impôt. Le chef de l'État m'a demandé d'y répondre.

Cela passera d'abord par le renforcement de notre économie. Sans croissance, sans compétitivité, rien n'est possible. En mobilisant toutes les énergies et en rassemblant les partenaires sociaux, il nous faut lutter contre le chômage qui ronge notre société : c'est l'objet du pacte de responsabilité et de solidarité annoncé par le président de la République.

Je veux aussi vous parler de nos territoires, essentiels au redressement de notre pays. Je veux m'atteler à cette question, avec sens du dialogue, mais aussi avec le souci de l'efficacité.

Je veux enfin vous dire, alors que s'ouvre une nouvelle étape du quinquennat, ma vision du travail parlementaire. Nous connaissons tous les souffrances et les doutes qui s'expriment sur nos territoires ; j'ai vu la violence, aussi, qui frappe nos villes et désormais nos villes moyennes et petites, nos villages. Là, on s'inquiète que le temps soit fini où l'on pouvait laisser sa porte ouverte.

Nos campagnes, c'est une part de notre tradition, mais aussi de notre avenir. Nos agriculteurs ont une importance capitale pour notre économie et notre environnement : je veux dire l'engagement du Gouvernement à leurs côtés, alors que vous vous apprêtez à discuter du projet de loi relatif à l'agriculture.

Il y a encore ces territoires touchés par la désindustrialisation, les ouvriers et les cadres qui perdent leur emploi, ces parents qui voient partir leurs enfants vers les villes, voire l'étranger. Je pense aussi aux outre-mer, frappés par le chômage, la crise du logement, la violence.

Depuis dix ans, la France a perdu en compétitivité et en attractivité. La France est une grande puissance diplomatique et militaire, nos soldats sont engagés en Centrafrique et au Mali. Mais pour peser dans le monde d'aujourd'hui, un pays doit aussi être une grande puissance économique. Il faut stimuler nos jeunes pousses, encourager la volonté d'entreprendre.

Le président de la République m'a confié la charge de donner corps au pacte de responsabilité. Beaucoup a déjà été fait, grâce au gouvernement de M. Jean-Marc Ayrault à qui je rends hommage, et les premiers résultats sont là, notamment en ce qui concerne l'insertion professionnelle des jeunes.

Mais il faut aller plus loin. J'ai annoncé hier la baisse de 10 milliards d'euros supplémentaires du coût du travail, après les 20 milliards d'euros du CICE. Elle s'appliquera d'abord aux salaires les plus faibles : l'employeur d'un salarié au smic ne paiera plus au 1er janvier 2015 de charges à l'Urssaf. La contribution sociale de solidarité des sociétés sera supprimée en trois ans et les deux tiers des entreprises concernées ne la paieront plus dès 2015. La surtaxe temporaire d'impôt sur les sociétés, créée par la majorité précédente, sera supprimée dès 2016 et le taux d'impôt sur les sociétés sera ramené à 28 % d'ici 2020. Nous supprimerons de petites taxes à faible rendement dès la prochaine loi de finances. Enfin, dès 2015, les salariés modestes verront baisser leurs cotisations et gagneront ainsi 500 euros par an, soit la moitié d'un 13e mois.

M. Alain Bertrand.  - Très bien !

M. Manuel Valls, Premier ministre.  - Renforcer le pouvoir d'achat, c'est aussi agir sur la feuille d'impôt, notamment pour les ménages devenus imposables sans que leurs revenus aient progressé.

Stimuler la croissance implique aussi de retrouver un équilibre avec notre environnement naturel. Engager la transition énergétique, c'est repenser nos modes de production et de consommation. Les effets seront très concrets pour les Français : leurs factures énergétiques seront réduites.

M. Éric Doligé.  - Des mots !

M. Manuel Valls, Premier ministre.  - Notre consommation d'énergies fossiles sera réduite de 30 %, et l'émission de gaz à effet de serre de 40 % d'ici 2020. Des emplois seront ainsi créés. Grâce à une production économe en énergie, nos entreprises resteront compétitives. Notre balance commerciale s'améliorera.

La part du nucléaire dans la production d'électricité sera ramenée à 50 %. (Applaudissements sur les bancs écologistes)

M. Ladislas Poniatowski.  - Quelle erreur !

M. Alain Fouché.  - Promesse impossible !

M. Manuel Valls, Premier ministre.  - La loi de transition énergétique sera présentée en Conseil des ministres avant l'été.

Redresser la France suppose de s'appuyer sur les territoires. J'ai été maire, je connais les exigences de cette fonction et aussi sa beauté. Je pense à ceux qui ont perdu leur mandat malgré un bilan de qualité. (Applaudissements sur certains bancs socialistes et du RDSE). Les Français attendent beaucoup de leurs élus. Les collectivités territoriales ont un rôle déterminant pour l'avenir des services publics...

M. Francis Delattre.  - Elles n'ont plus de moyens.

M. Manuel Valls, Premier ministre.  - ... mais aussi pour la croissance économique. Leur efficacité peut encore être renforcée, d'où les importantes réformes annoncées hier. Mon but n'est pas de choquer ni de surprendre.

M. Éric Doligé.  - C'est réussi !

M. Manuel Valls, Premier ministre.  - Nous aurons besoin de larges débats. Notre pays vit depuis trop longtemps au-dessus de ses moyens. Partout en Europe, on change. Ici, on en parle et on ne fait rien. Eh bien, ce temps-là est révolu ! (Vifs applaudissements sur les bancs socialistes et du RDSE).

L'empilement des échelons administratifs, l'enchevêtrement des compétences, les financements croisés nuisent à l'efficacité de l'action publique dans les territoires, et tout cela manque de lisibilité pour les Français.

J'ai été frappé par le niveau de l'abstention lors des municipales. C'est un cri d'alarme. L'absence de clarté des missions de chaque collectivité territoriale, le poids de la fiscalité locale ont peut-être aussi joué leur rôle. Je propose donc une réforme territoriale d'ampleur, et rends hommage au travail du Sénat : états généraux de la démocratie territoriale (Mme Cécile Cukierman s'esclaffe), rapport Raffarin-Krattinger. Je propose donc quatre réformes.

M. François Grosdidier.  - Après l'élection présidentielle !

M. Manuel Valls, Premier ministre.  - Si nous le faisons avant les élections de 2015, vous dénoncerez l'habileté. Si nous le faisons après 2015, vous dénoncerez l'illégitimité. Si c'est avant 2017, vous direz qu'il faut attendre. Faites de temps en temps un effort de cohérence ! (Vifs applaudissements sur les bancs socialistes et quelques RDSE)

M. Manuel Valls, Premier ministre.  - Je souhaite d'abord des régions fortes, aux compétences stratégiques, pour soutenir la croissance et l'innovation, et accompagner la transition énergétique. Nous avons besoin de régions d'une taille critique suffisante. Je n'ignore rien des difficultés techniques ou identitaires que cela peut poser. Je fais toutefois confiance à l'intelligence des élus, qui pourront se prononcer par délibérations concordantes de plusieurs conseils régionaux. À défaut, le Gouvernement prendra ses responsabilités, pour aboutir à une nouvelle carte des régions après mars 2015. Nous ferons en sorte qu'elle soit en place au 1er janvier 2017.

Depuis la loi Chevènement, l'intercommunalité a trouvé sa place. Ce sont des résultats concrets : ici un tramway, ailleurs une pépinière d'entreprises. C'est aussi un outil de solidarité entre les communes. En mars, pour la première fois, les citoyens ont désigné directement leurs délégués communautaires. Je souhaite poursuivre le mouvement : une nouvelle carte intercommunale sera élaborée à l'horizon 2018. (Applaudissements sur plusieurs bancs socialistes et du RDSE)

M. Alain Fouché.  - À quelles conditions ?

M. Gérard Larcher.  - Encore une nouvelle carte !

M. Manuel Valls, Premier ministre.  - Des compétences exclusives seront désormais attribuées aux régions et départements, la clause de compétence générale supprimée.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx.  - Il ne fallait pas la rétablir !

M. Manuel Valls, Premier ministre.  - Vous nous reprochez aussi de poursuivre la politique du gouvernement précédent ! Oui, il y a de la continuité, mais aussi des changements. Hier déjà, j'aurais souhaité que l'on commence par l'essentiel avant de se préoccuper de questions électorales. (Applaudissements à droite) Mais vous, aviez-vous changé les structures du pays avec le conseiller territorial ? Non. (Applaudissements sur les bancs socialistes) Nous nous devons de répondre aux préoccupations exprimées par les Français !

J'en viens à l'avenir des conseils départementaux. (Mouvements divers) Je connais la longue histoire des conseils généraux, mais aussi leurs difficultés à remplir leurs missions. Le rapport Raffarin-Krattinger parle de « différenciation ». (M. Francis Delattre s'exclame) Depuis le temps que nous nous connaissons, j'ai appris à apprécier votre modération. Je suis désormais « le Premier ministre de la France » (Exclamations à droite, applaudissements à gauche) Permettez-moi un peu d'humour !

Dans la situation où nous sommes, ne peut-on de temps en temps faire un pas les uns vers les autres ?

M. Bruno Retailleau.  - Ce que la gauche a toujours fait !

M. Manuel Valls, Premier ministre.  - Oui, je tiens à souligner l'apport de M. Raffarin à la réflexion sur les collectivités locales.

L'opposition actuelle a gagné les élections municipales mais ce n'est pas une alternance.

M. François Grosdidier.  - C'en est l'annonce !

M. Manuel Valls, Premier ministre.  - Attendez la présidentielle.

C'est l'honneur du président de la République d'entendre les messages des Français. Vous aviez perdu les élections municipales de 2008 ; vous n'avez pas voulu entendre le message des Français, vous avez vu le résultat en 2012. Changeons d'attitude, apprenons à nous écouter. (Applaudissements sur les bancs socialistes) Il est normal que le Premier ministre en fonction salue le travail d'un ancien Premier ministre, M. Raffarin : cela fait partie des moeurs politiques civilisées. Les Français n'acceptent plus les batailles de chiffonniers ! (Vifs applaudissements sur les bancs socialistes et du RDSE)

À terme, je pense que les conseils départementaux devront être supprimés. D'ici 2021, plusieurs élections permettront de poursuivre le débat. Ce débat doit avoir lieu ! (M. Didier Guillaume approuve) La même idée est partagée par des élus de tous bords.

Avec une dizaine de régions et des intercommunalités renforcées, la question se posera naturellement. Le rôle d'un département n'est pas le même quand il y a une métropole et dans un territoire rural.

M. Philippe Dallier.  - C'est sûr !

M. Manuel Valls, Premier ministre.  - Assez d'immobilisme ! (Applaudissements sur les bancs socialistes et sur certains bancs du RDSE)

L'État est la colonne vertébrale de la Nation, ce n'est pas une abstraction. C'est lui qui a fait appliquer les principes républicains sur tout le territoire de métropole et d'outre-mer. Je rends hommage aux fonctionnaires et agents publics, qui sont le visage de l'État pour tous les Français. Le maillage territorial des préfectures et sous-préfectures est essentiel, notamment dans les territoires les plus fragiles. Réformer l'État, ce n'est pas déserter les territoires : des solutions innovantes existent, comme les maisons de l'État et de services au public.

Ces réformes ne se feront pas sans vous. J'ai appris à connaître votre Haute Assemblée en siégeant ici en tant que ministre de l'intérieur. Je connais votre souci de représenter au mieux les collectivités territoriales. Je suis attaché à la Ve République, et à son bicamérisme équilibré. (Applaudissements sur plusieurs bancs socialistes et du RDSE)

Nos institutions sont fortes parce qu'elles ont su évoluer. Le socle, c'est le respect mutuel et celui des prérogatives de chacun. Les priorités politiques doivent trouver une traduction dans l'ordre du jour du Parlement. Il faut une loi plus claire, plus rare, moins bavarde.

MM. Charles Revet et Éric Doligé.  - Il y a du travail !

M. Manuel Valls, Premier ministre.  - La loi est l'expression de la volonté populaire. Nous resterons à l'écoute des Français. L'intérêt général seul garantit la longévité des lois.

Nos divergences sont légitimes mais nos priorités sont communes : renforcer la place de la France en Europe et dans le monde. (Les sénateurs socialistes et du RDSE se lèvent et applaudissent)

M. Philippe Adnot .  - Après la forme, le temps est venu d'analyser le fond de la déclaration de politique générale d'hier. Sans confiance, pas de croissance, c'est vrai. Mais pourquoi en sommes-nous là ? La France vit au-dessus de ses moyens, privilégiant l'assistanat et la réglementation.

Entreprises, salariés, travailleurs indépendants, tous apprécieront les baisses de charges et d'impôts. Pas belle la vie ? À ceci près qu'au lieu de 50 milliards, il en manque désormais 70, sans compter le coût de la transition énergétique.

L'État économisera 19 milliards, les collectivités territoriales 10 milliards... Comment feront-elles ? Les autoriserez-vous, comme votre prédécesseur, à augmenter les impôts locaux ? L'ancienne majorité avait augmenté la TVA en contrepartie d'une baisse de charges : cela, c'était courageux ! La vérité, c'est qu'aucune baisse de dépenses n'est envisagée. La Catalogne a interdit ce matin la corrida, vous avez conservé l'art de la muleta. (Sourires) Inciter les régions à se regrouper, pourquoi pas, mais cela ne résoudra en rien l'impasse financière. Supprimer les départements ne dégagera aucune économie, car il faudra toujours payer les routes, les collèges, les Sdis, le RSA...

Vous avez dit que la confiance était nécessaire pour réussir... et vous reniez les engagements du président de la République, qui promettait de maintenir les départements ! Vous ne faites que déplacer la dépense, au lieu de la réduire.

Il est possible de faire baisser les charges des entreprises, de faire participer les collectivités territoriales à l'effort, à condition de ne pas charger la barque chaque semaine, en modifiant par exemple les règles de la commande publique comme l'a fait M. Sapin ! Celle-ci, qui s'élève à 70 milliards d'euros par an, présente un surcoût de 20 % par rapport à la commande privée, soit une source d'économies de 14 milliards. Vous agitez des chiffons rouges pour masquer vos approximations ; la dure réalité vous rattrapera. (Applaudissements à droite)

M. Jean-Vincent Placé .  - Ensemble, nous avons tourné la page Sarkozy. Ensemble, nous avons voté de belles lois : mariage pour tous, Alur, non-cumul des mandats. Nous avons eu de nombreux différends et n'avons pas encore écrit la page du grand changement écologique, démocratique, social.

Asphyxiées par la rigueur budgétaire, nos entreprises sont à la peine. ANI, CICE, TSCG : autant d'acronymes cruels qui paveraient l'enfer où vivent beaucoup de Français. Hélas, nous n'avons pas été entendus par le gouvernement Ayrault ! Notre groupe a même été unanime à refuser de voter le budget, ce qui était une première pour un groupe membre de la majorité.

Les écologistes ont donc préféré, comme en amour, aux mots, les actes. Nous avons nos propres priorités, écologiques d'abord. Le productivisme transforme en poison tout ce que nous mangeons, buvons et respirons. L'égoïsme cupide fait disparaître des organismes vivants depuis des millions d'années. L'homme est devenu un locataire dangereux pour la Terre et pour sa propre espèce.

M. Yvon Collin.  - Et le loup ?

M. Jean-Vincent Placé.  - Les réfugiés climatiques se multiplient. On construit des machines pour remplacer les abeilles pour la pollinisation. Il faut agir et vite. Je suis rassuré de voir Mme Royal rejoindre le ministère de l'écologie.

Osez construire un État stratège ! Oui, il y faudra des moyens. Laissez-nous vous proposer des pistes : cessons de dilapider des milliards dans des projets inutiles, lignes à grande vitesse, aéroports... (Vives exclamations à droite) Pour faire des économies sur la sécurité sociale, agissez donc sur le prix des médicaments ! La République nous est chère. Vivre ensemble, réussir ensemble, voilà ce qui doit guider votre action.

La fin de vie dans la dignité est un sujet qui nous préoccupe également.

Enfin, notre époque appelle de nouvelles Lumières. Osons donner un pouvoir législatif aux collectivités territoriales, osons la proportionnelle, osons l'Europe qui protège les peuples et l'environnement, pas l'Europe du traité transatlantique. Le cap, vous le connaissez, monsieur le Premier ministre ; engager la transition énergétique, avancer sur la décentralisation, mettre en oeuvre la proportionnelle et l'élection au suffrage universel des conseillers communautaires. Votre réforme des collectivités territoriales bénéficiera de notre soutien vigilant, surtout la suppression des conseils généraux. (Exclamations sur divers bancs) En cela, vous nous donnez raison : merci, monsieur le Premier ministre !

M. Joël Guerriau.  - Que n'êtes-vous restés au Gouvernement ?

M. Jean-Vincent Placé.  - Mise en place de groupes de travail avec les parlementaires, davantage d'écoute, ces garanties viennent au bon moment.

La distance que nous avons prise sera-t-elle provisoire ? (« Ah ? » sur les bancs UMP) Tout dépend de ce que vous ferez... Serez-vous le gouvernement d'une véritable transition énergétique ? Ou celui qui continuera à dilapider 3 milliards pour le nucléaire militaire ? Le Gouvernement de l'inertie (marques d'ironie à droite) ou celui qui écrira une nouvelle page - en vert ? Serez-vous le témoin du déclin de la France ou l'acteur qui réveillera la confiance d'un peuple tant malmené ces dix dernières années ? À vous d'en décider !

En 1988, M. Rocard appelait à unir discours et action : vous étiez alors auprès de lui... Monsieur le Premier ministre, nous ne vous délivrerons pas de blanc-seing ni ne vous ferons de procès d'intention. Ni carton rouge ni carte blanche. Faites taire les esprits chagrins, osez les grandes réformes dont le pays a besoin. Retrouvez la confiance entamée des écologistes et surtout celle du peuple qui, comme nous, sera vigilant et exigent. La nôtre ne demande qu'à être totale et enthousiaste. (Applaudissements sur les bancs écologistes)

M. Jean-Claude Gaudin .  - (Applaudissements sur les bancs UMP et plusieurs bancs au centre) Moins de deux ans après son élection, le président de la République a pris acte de la forte sanction que les Français lui ont infligée lors des élections municipales - élections dont il s'était personnellement occupé comme à Marseille avec le succès que l'on sait... (Rires et applaudissements à droite)

Nous voilà donc avec un nouveau Premier ministre et un nouveau gouvernement. L'équilibre socialiste, le départ des Verts, le duo de Bercy au sein de votre Gouvernement dit de combat, tout cela n'a aucune importance. Seules comptent nos règles institutionnelles ; le président de la République est le chef de l'exécutif, le Premier ministre dirige le gouvernement. Dans ce régime parlementaire à dominante présidentielle qu'est la Ve République, on peut dire que la condition du succès d'un remaniement, c'est que le président de la République se soit remanié lui-même... (Applaudissements à droite)

À cause de la déception de nombreux électeurs de gauche et de la colère, de l'exaspération de tous les Français, beaucoup de maires qui avaient géré leur ville dans le socialisme municipal ont payé de leur défaite l'échec du président de la République. C'est à cela que nous devons le changement de Premier ministre, après le jeu de Raminagrobis entre les impétrants auquel s'est livré François Hollande... Peu de gens regretteront le gouvernement de Jean-Marc Ayrault, malgré quelques lois que nous avons soutenues, davantage d'ailleurs que la majorité, comme celles relatives aux métropoles ou à la sécurité.

On peut même dire que, le 31 mars 2014, le président de la République a pris la première décision courageuse de son quinquennat. Reste à savoir quelle est l'ampleur réelle du remaniement présidentiel.

L'histoire est souvent cruelle, cruel aussi un regard dans le rétroviseur... Le 4 juillet 2012, votre prédécesseur, monsieur le Premier ministre, était à votre place, dans son rôle, muni de son certificat de baptême qu'est la déclaration de politique générale. Au nom de l'UMP, j'avais alors dit à Jean-Marc Ayrault : votre victoire vous oblige, la crise vous contraint, mais votre programme vous condamne et votre seule chance est de ne pas l'appliquer... On sait ce qu'il en fut. Les résultats ont été à l'envers des promesses parce que la politique menée était à l'envers de la réalité. La différence aujourd'hui, c'est que le parapluie du bilan de l'équipe précédente n'est plus utilisable ; l'héritage, c'est vous !

Débarrassez-vous de tous les oripeaux idéologiques d'une gauche antédiluvienne, des gadgets et des marqueurs censés plaire à une frange de votre électorat, comme la taxe à 75 %. Débarrassez-vous des contradictions, des contresens, des couacs et des excuses qui consistent à mettre les problèmes de la France sur le dos des autres, l'Europe ou la mondialisation. Et attaquez-vous aux vraies réformes, marché du travail, retraite, assurance chômage.

Nous avons envie de croire que vous le ferez. Nous ne le croyons pas, pas encore, en tout cas pas à partir des déclarations de votre majorité parlementaire, qui ne s'est guère remaniée. Et si c'est vous qui vous êtes remanié en François Hollande, alors c'est l'échec garanti !

Nous sommes inquiets lorsque vous dites que le redressement du pays est en cours. Les Français eux-mêmes n'y croient pas. Il n'y a pas de redressement, mais une aggravation de la situation. Je ne citerai pas les chiffres du commerce extérieur, de la croissance, du matraquage fiscal...

Les manoeuvres dilatoires auprès de Bruxelles nous inquiètent. Voulez-vous gagner du temps ou en perdre ? Cette éternelle défausse sur le bouc-émissaire européen creuse le fossé entre les Français et l'Europe.

Nous sommes inquiets parce que nous croyons que rien ne change vraiment. Après l'annonce du pacte de responsabilité, et maintenant de solidarité, rien n'est clair, le flou demeure, le mystère s'épaissit. Nos concitoyens exigent clarté et précision, ils en ont assez des promesses jamais tenues et des formules toutes faites. Les Français veulent la vérité, ils veulent des actes et des résultats. Or nous ne voyons nul changement de cap, nulle décision courageuse qui enrayerait le décrochage de la France. Même au pied du mur, vous avouez vous-même rester dans la continuité - d'une politique qui a échoué.

Nous, nous proposons un autre chemin, une autre politique. Tirez les conséquences du constat que vous osez enfin faire : ce sont les entreprises qui créent des emplois ; et s'il faut réduire la dépense publique, c'est pour rétablir notre souveraineté. Ceux qui travaillent vivent de moins en moins bien, ils ont le sentiment de payer toujours plus pour les autres. Nous devons donner du sens à la réduction des déficits, car nous le faisons librement. Recentrons l'État sur ses fonctions régaliennes, nous avons besoin d'un État fort et respecté. J'ai cru comprendre que vous souhaitiez déverrouiller les 35 heures : passez à l'action ! (Applaudissements au centre et à droite) Nous craignons que le changement auquel nous assistons ne change rien. Car la question essentielle est celle-ci : qu'est-ce que François Hollande veut faire de la France ? Quelle est sa capacité et celle de son Premier ministre à faire adhérer les Français à des réformes qui ne sont pas défendues par la majorité de la majorité parlementaire ? Seul un changement profond peut redonner espoir aux jeunes.

Face à l'opposition des élus de tout bord, vous souhaitez assouplir la réforme des régimes scolaires, mais vous refusez d'y revenir. C'est une bonne réforme, avez-vous dit. (On renchérit sur les bancs socialistes) Mais non ! Elle a désorganisé la communauté scolaire et elle n'est pas financée. Les communes ne peuvent faire face au coût qu'elle représente - près d'un milliard d'euros. Nous demandons sa suspension et la compensation intégrale de ses coûts.

Autre réforme à abandonner d'urgence : la réforme laxiste de Mme Taubira, désarmement pénal sans précédent que vous aviez combattu au ministère de l'intérieur. Vous êtes aujourd'hui Premier ministre : retirez-la ! (Applaudissements sur les bancs UMP)

J'en viens aux 50 milliards de baisse de la dépense publique - qui ne suffiront pas à atteindre les 3 %... Elle sera en partie financée par la baisse des dotations aux collectivités territoriales, qui s'ajoute à celle prévue dans la dernière loi de finances -  8 millions de DGF en moins pour Marseille. Or les dotations de l'État ne sont jamais que des contreparties des compétences et charges transférées. Ce sera une catastrophe pour l'investissement public, dont les trois quarts sont le fait des collectivités territoriales, et pour l'entretien des équipements.

Chacun sait qu'il faut continuer à réformer notre organisation territoriale. Une telle réforme passe par la répartition des compétences et le développement de l'intercommunalité. Mais la décentralisation ne doit pas conduire à opposer État et pouvoirs locaux. Le travail de Jean-Pierre Raffarin et Yves Krattinger repose sur trois principes et d'abord la pérennité du département. Le groupe UMP est opposé à sa suppression (Applaudissements sur les bancs UMP et exclamations sur les bancs socialistes). Pour le supprimer, il faudra une révision constitutionnelle, et vous n'avez pas la majorité des trois cinquièmes ! En plus, j'ai souvenir que le président de la République, dans un discours à Tulle, s'y était opposé... Deuxième principe, la création de grandes régions de taille européenne ; enfin, respect de la subsidiarité entre communes et intercommunalités.

Monsieur le Premier ministre, votre tâche est difficile. Dans votre intervention, il y a le fond et la forme. Assurément, vous maîtrisez la communication, nous nous souvenons de la machine à couacs qu'était le précédent gouvernement... (Rires à droite) Mais la forme est l'arbre qui cache une forêt épaisse et broussailleuse. Les points d'interrogation sont encore nombreux. Vos annonces sont-elles celles de vraies réformes ou de nouveaux atermoiements ? Des économies ou de nouvelles dépenses ? Est-ce la vérité ou un nouveau déni de réalité ?

Nous saurons soutenir le moment venu toute réforme courageuse, tant la gravité de la situation nationale l'exige.

Un jour, hors campagne électorale, vous m'avez questionné sur le secret de ma longévité. Je vous ferai une suggestion. Quand vous vous adressez au Sénat, monsieur le Premier ministre, maîtrisez votre orgueil, dissipez vos alarmes, puisque vous annoncez un destin plein de charme... (Sourires) Si vous nous aviez demandé de voter, nous ne vous aurions pas accordé notre confiance (Mmes et MM. les sénateurs de l'UMP se lèvent et applaudissent longuement).

M. François Zocchetto .  - Merci, monsieur le Premier ministre, pour les voeux de rétablissement que vous avez formulés à l'égard de Jean-Louis Borloo. À mon tour, je vous souhaite courage et abnégation.

Pendant vingt-trois mois, le gouvernement est resté stupéfait par l'ampleur de la tâche, le président de la République s'est déconsidéré par son immobilisme. On a rarement vu pareil fossé entre les paroles et les actes. La défiance mine la société et le pacte républicain. Oui, la France a besoin de changement. Ce que les gouvernements précédents n'ont pu faire, à votre tour de le réaliser.

Selon M. Rocard, ce qui compte c'est ce qui est dit, non celui qui le dit. Les sénateurs centristes seront dans une opposition constructive et ouverts au dialogue. Malheureusement, vos déclarations nous inquiètent. Votre constat est souvent pertinent, mais que d'interrogations sur le fond et la forme !

Vous utilisez à satiété la métaphore du combat. Mais d'abord, qui sont les combattants ? Cette équipe ne diffère guère de la précédente, et les Français se lassent de voir le pouvoir confisqué par un parti. Pas un seul représentant de la société civile dans votre Gouvernement, mais on vient d'y nommer le Premier secrétaire du parti socialiste afin de le remplacer...

M. Henri de Raincourt.  - On s'en est débarrassé !

M. François Zocchetto.  - Comment appliquerez-vous votre programme s'il vous faut à tout propos donner des gages à l'aile gauche de votre parti ? Les communistes refusent la solidarité gouvernementale pour des raisons respectables. Au tour des écologistes de se démarquer de vous. Vous leur aviez pourtant tant donné, tout donné...

Quels sont vos adversaires ? L'ennemi du président de la République, c'était la finance. Et maintenant ? L'assistanat, les méchants européens, les collectivités locales ? Votre principal ennemi, en vérité, c'est vous-même. Les socialistes auraient perdu par manque de pédagogie, pensez-vous. Et si c'était le fond qui était en cause ? Et si vous manquiez de cap ? Hier encore, vous critiquiez la BCE. Foin de boucs-émissaires ! Ne vous trompez pas d'ennemi : le principal obstacle à la réforme, c'est votre majorité - et même quelques membres de votre gouvernement...

M. Didier Guillaume.  - On verra à l'usage !

M. François Zocchetto.  - Quels sont vos objectifs de guerre ? Je salue la révolution intellectuelle à gauche : la diminution du chômage ne se décrète pas à coup d'emplois aidés et de postes dans la fonction publique. Vous donnez enfin des gages aux entreprises et revenez sur le tourbillon fiscal de ces deux dernières années. Notre pays a besoin d'innovation, de sécurité juridique, de stabilité fiscale, de simplification normative. Faites confiance au génie français dont vous avez à juste titre fait l'éloge.

Quel est votre plan de bataille ? Où est la réforme des retraites à points, celle de la fonction publique, celle du marché du travail, la fin des 35 heures ? Le pacte de responsabilité ne nous convainc pas. En la forme, l'idée est simple et séduisante, nous la partageons. Mais votre discours tient plus du tour de magie que de la décision politique. Son financement est prévu à hauteur de 50 milliards d'économies, 19 milliards d'économies au titre des dépenses de l'État, de 10 milliards pour les collectivités territoriales et 10 milliards pour l'assurance maladie. Où sont les 11 milliards manquants ? Donnez à la représentation nationale le détail de ces ressources miraculeuses ! Vous le devez aux Français.

Avec un mécanisme d'emplois aidés à grande échelle, vous fiscalisez sans le dire une branche de la sécurité sociale. Nous n'y sommes pas opposés, mais ce sont 50 milliards supplémentaires... Soyez transparents ; 50 milliards plus 50 milliards : quelle sera notre crédibilité devant nos partenaires européens ?

Votre pacte méconnaît la réalité du fonctionnement des entreprises. L'embauche ne repose pas seulement sur la baisse des charges des entreprises. Je regrette qu'aucun de vos ministres n'ait jamais travaillé en entreprise. Connaissez-vous l'angoisse des entrepreneurs face aux factures et aux charges qu'il faut payer quand l'activité s'essouffle ? À l'inverse de ce pacte, la TVA sociale présente bien des avantages, dont la liberté laissée aux entreprises dans la gestion de leur marge...

J'en viens aux collectivités territoriales. Le président de la République avait demandé un acte III de la décentralisation, nous voyons venir une tragédie en cinq actes... Que de temps à perdre à venir ! Votre calendrier a de quoi surprendre. Vous voulez renverser la table, soit ; mais pourquoi attendre sept ans ? Votre homologue italien s'est, lui, donné six mois ! Le changement, ce doit être maintenant. À l'évidence, rien ne se fera. Et nous n'avons aucune assurance au-delà de 2017...

Réintroduire en janvier la clause de compétence générale pour la supprimer en avril, ce n'est pas sérieux... Vous voulez supprimer les départements après avoir créé les binômes. C'est inviter les Français à élire ceux qui seront chargés d'éteindre la lumière en sortant... ce n'est guère motivant, ni pour eux ni pour les élus... (Applaudissements sur les bancs UDI-UC et UMP) Vous invitez les régions à se regrouper, mais les 21 présidents de région de gauche n'ont pas avancé d'un pouce en dix ans.

M. Manuel Valls, Premier ministre.  - Et alors ?

M. François Zocchetto.  - Vous avez beau jeu de reprendre le rapport Raffarin-Krattinger. Comment peut-on croire que vous ferez confiance aux élus locaux quand vous leur interdisez de participer à la rédaction de la loi en siégeant au Sénat ?

Nous connaissons votre pugnacité, mais les Français ne seront pas longtemps bien disposés à votre égard.

Pas un mot n'a été dit du monde rural. (M. Manuel Valls, Premier ministre, se récrie) Nous demandons l'organisation d'une conférence sur la ruralité contemporaine pour dépasser les clichés et définir des axes de réussite.

Mme Marylise Lebranchu, ministre de la décentralisation, de la réforme de l'État et de la fonction publique.  - Elle aura lieu le 3 juin.

M. François Zocchetto.  - Le reste de votre plan de bataille est marqué par le flou et le non-dit. La réforme pénale est-elle enterrée ou reportée ? Où en est la réforme du Parquet et du CSM ? Comment parler d'ambition énergétique quand rien n'a été fait en deux ans ? Alors que quatre ministres de l'écologie se sont succédé depuis 2012 ?

Les Français ont dit stop, il faut changer de politique. Si nous avions pu le faire, nous n'aurions pas voté la confiance. (Applaudissements au centre et à droite)

Mme Éliane Assassi .  - Monsieur le Premier ministre, votre présence ici procède de la lourde sanction subie par le gouvernement à l'occasion des municipales. Élections locales certes, mais on ne peut éluder la responsabilité politique ultime du président de la République. Les Français ont appelé à un changement de cap. Je vous ai écouté, à aucun moment vous n'avez évoqué les raisons de la victoire de 2012 ; vous avez même eu l'audace ou l'arrogance d'évoquer le discours d'investiture de François Fillon en 2007... Faut-il rappeler les « Moi président, je ne ferai rien comme avant » ? Monsieur le Premier ministre, une légitimité n'est pas qu'institutionnelle, elle est aussi politique. Pour être légitime, il faut tenir ses promesses. Et ne dites pas que vous ignoriez la situation. Toute personne ayant ouvert un journal économique ces dernières années connaît la domination des marchés financiers et du grand capital. Pour mener une politique de gauche, tout le monde savait qu'il faudrait renverser la table. Après les années Sarkozy, celles de l'indécence et du culte de l'argent, le peuple de gauche attendait une rupture. Elle n'est pas au rendez-vous. Dois-je rappeler, au premier tour de 2012, les 4 millions d'électeurs du Front de gauche sans lesquels le président de la République et vous-même seriez encore dans l'opposition ?

La rupture n'est pas venue. François Hollande a claqué la porte au nez de l'espérance en signant le traité Merkel-Sarkozy, qui nous soumet à la règle d'or bruxelloise, au dogme libéral et monétariste qui fondent l'austérité et livre l'euro aux marchés. Nous avons noté votre silence sur l'accord transatlantique qui soumet l'Europe aux États-Unis. Nous le disons fermement, l'urgence, c'est de changer l'Europe pour plus de solidarité, d'égalité et de démocratie, c'est se défaire de la logique libérale qui donne toujours davantage aux actionnaires sans donner davantage de droits aux individus, qui rogne le pouvoir d'achat et réorganise les territoires aux normes de la concurrence.

Les raisons de la déroute électorale, ce sont le chômage, la précarité, l'insécurité sociale, la jeunesse en désespérance. Avec le pacte de responsabilité, le président de la République a acté le prolongement de cette logique, la casse des services publics avec les 50 milliards annoncés de baisse des dépenses publiques. Aucun vernis social ne pourra le masquer. La baisse des cotisations aura pour conséquence le sabordage de la sécurité sociale. C'est un pacte d'irresponsabilité.

Vous avez gravé dans le marbre le donnant-donnant avec le patronat, sous couvert de restaurer la confiance et donc la croissance. Nous y voyons une tartufferie : vous donnez sans compter au patronat, quant aux salariés, « on verra plus tard, branche par branche » ! (M. François Rebsamen, ministre du travail, de l'emploi et du dialogue social, le conteste) Le pacte François Hollande-Pierre Gattaz est une concession majeure aux marchés et signe la capitulation du pouvoir politique.

Le président de la République a sans doute rompu avec l'excitation sarkozyste, mais il est vite revenu à une conception autoritaire, dirigiste, de la décision publique. Non-respect du Parlement, procédure accélérée, manque de concertation... L'article 49 donne d'ailleurs les mains libres au pouvoir exécutif.

Un autre cap doit être fixé. Changer l'Europe en s'appuyant sur les mouvements sociaux, arrêter les licenciements boursiers et les plans sociaux, sauver la puissance publique de l'emprise des marchés, refonder notre tissu industriel, relancer la croissance, partager autrement les fruits du travail, faire le pari industriel de la transition écologique, mettre à plat la fiscalité et traquer l'évasion fiscale qui nous coûte 50 milliards par an, tous ces chantiers doivent être les priorités d'un gouvernement de gauche. Vous n'avez rien dit des quartiers populaires ni des zones rurales. Le logement doit être déclaré grande cause nationale. La sécurité et la justice doivent disposer de moyens dignes de ce nom.

La Ve République est à bout de souffle. Notre démocratie est malade. Il faut repenser les rôles respectifs du gouvernement et du Parlement, revoir le mode d'élection du président de la République. Et enfin donner le droit de vote aux résidents étrangers aux élections locales. (Applaudissements sur les bancs CRC et écologistes ; Mme Bariza Khiari applaudit aussi)

Vos annonces sans concertation sur les collectivités territoriales ont provoqué une vive réaction des élus locaux. Le Gouvernement a joué la partition des métropoles pour combattre l'ancrage démocratique des communes et départements. Pourquoi ? Parce que ce sont des lieux de résistance aux diktats des marchés et du libéralisme ? Nous nous opposerons à la soumission des territoires au dogme de la mise en concurrence, à la suppression de la clause de compétence générale, pourtant réaffirmée par notre majorité il y a quelques mois.

Élue de la Seine-Saint-Denis, j'en terminerai par la question du communautarisme : le libéralisme, l'idéologie de la concurrence, le désastre social en sont les sources naturelles, qui nourrissent le repli identitaire et la quête d'une solidarité perdue. La bataille pour la laïcité doit être menée au quotidien, sur le terrain. Mais l'école est dans un tel état...

La France est une grande Nation, elle peut porter encore les valeurs de solidarité, de justice et de paix. Nous continuerons à agir pour rassembler tous ceux qui restent attachés à une alternative au diktat des marchés et croient encore à la gauche et à ses valeurs. Nous combattrons toute dérive libérale. (Applaudissements sur les bancs CRC ; Mme Marie-Christine Blandin et M. Edmond Hervé applaudissent aussi).

M. Jean-Pierre Caffet .  - Monsieur le Premier ministre, c'est un honneur de vous accueillir dans cet hémicycle. (Applaudissements sur les bancs socialistes) Votre présence est un geste de respect à l'égard de la Haute Assemblée.

Nous partageons le constat que vous avez dressé. À l'occasion des élections municipales, les Français ont fait passer un message de désarroi et parfois de colère. Ils ont soif de justice, alors que les inégalités se creusent et doutent de la capacité des responsables politiques à trouver des solutions pour sortir de la crise au mieux et au pire éprouvent un sentiment d'abandon.

Un espoir nouveau doit se lever, fondé sur la confiance dans l'avenir, individuel et collectif.

Le redressement est lent, certes, car en dix ans, la dette a augmenté de 500 milliards d'euros, l'excédent commercial s'est mué en déficit abyssal, et notre appareil productif s'est profondément dégradé. Après dix ans de gouvernements de droite, comment faire des miracles, dans un contexte de marasme européen et d'euro fort ? Nous vous soutiendrons pour remettre l'Europe sur le chemin de la croissance.

M. Charles Revet.  - Avec quel argent ?

M. Jean-Pierre Caffet.  - Pour être long et lent le redressement n'en est pas moins perceptible : nos déficits se résorbent, nos comptes extérieurs s'améliorent, le chômage des jeunes est en recul. Depuis vingt-deux mois de nombreuses réformes ont été engagées : retour des enseignants dans les classes, réforme des retraites qui garantit leur financement tout en prenant en compte la pénibilité, réforme de la formation professionnelle, Accord national interprofessionnel (ANI) sur la sécurisation de l'emploi. Ce socle du changement sera déterminant pour l'avenir, et je veux saluer l'action du gouvernement de Jean-Marc Ayrault. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

Vous avez engagé une nouvelle étape du quinquennat, placée sous le triple signe de la vérité, de l'efficacité et de la confiance. Le redressement doit se poursuivre. Cela nécessite un infléchissement de la politique de redressement, en faveur notamment des plus modestes.

La réduction des déficits n'est pas une lubie : c'est la condition de notre indépendance et de la pérennité de notre modèle social. Comment ouvrir de nouveaux droits si l'on ne peut financer ceux qui existent déjà ? 50 milliards d'économies sur trois ans, c'est raisonnable. Aller plus vite serait contre-productif. Nous faisons confiance au Gouvernement pour obtenir de nos partenaires européens un accord sur un redressement durable et soutenable.

Les entreprises doivent redevenir compétitives, car sans compétitivité, pas d'emploi. Les causes du décrochage de notre commerce extérieur sont nombreuses, mais c'est sur le coût du travail que nous pouvons agir le plus vite. Nous saluons les compléments au CICE annoncés hier, en faveur des indépendants et des emplois qualifiés.

Pour soutenir le pouvoir d'achat et la consommation, le Gouvernement s'engage à réduire les cotisations salariales à hauteur de 500 euros par an. Autre bonne nouvelle : l'allègement de la fiscalité de ceux qui sont entrés récemment dans le champ de l'impôt sur le revenu, après la correction de certaines injustices par la dernière loi de finances.

Oui, l'efficacité de l'action publique doit être recherchée. Celle du système éducatif d'abord, pour la jeunesse dont le président de la République a fait sa priorité : la refondation de l'école doit tenir ses promesses d'égalité et d'émancipation.

Les besoins de logements sont également immenses. Beaucoup a été fait depuis deux ans, l'effort doit être amplifié.

Notre pays souffre d'un excès de procédures : la simplification sera poursuivie avec des mesures prises d'ici l'été.

Reste la question de l'organisation territoriale, essentielle à la qualité du service public, et qui ne peut donc être abordée sous le seul angle financier.

Indiscutablement, les collectivités territoriales doivent participer à l'effort de redressement des comptes publics. Mais rappelons que les collectivités territoriales sont peu endettées et bien gérées.

M. Charles Revet.  - Pourquoi donc les supprimer ?

M. Jean-Pierre Caffet.  - Elles sont responsables de 70 % de l'investissement public. Le groupe socialiste approuve l'esprit des mesures annoncées hier, et se réjouit que le rapport Raffarin-Krattinger les ait inspirées. Diminuer le nombre de régions, c'est renforcer leur rôle pour soutenir les entreprises face à la compétition mondiale. Il est bon de faire confiance à l'intelligence régionale, selon une autre proposition du Sénat. Cette réforme perdrait une partie de son sens sans clarification des compétences. Faut-il supprimer la clause de compétence générale ?

M. Roger Karoutchi.  - Évidemment !

M. Jean-Pierre Caffet.  - Nous en débattrons. Supprimer les départements ? Ceux-ci portent l'immense tâche d'assurer la solidarité entre les Français, d'autant plus important en temps de crise. Mais peut-être est-il temps d'évoluer ? Les besoins ne sont pas uniformes. Dans les territoires ruraux et enclavés, que restera-t-il si les départements disparaissent ? Une organisation propre à ces territoires peut être imaginée, au lieu de privilégier un « jardin à la française ».

M. Didier Guillaume.  - Très bien !

M. Jean-Pierre Caffet.  - Que vous ayez reconnu cette diversité, monsieur le Premier ministre, nous a réjouis et rassurés. La confiance est la clé de la réussite politique et du dynamisme économique. Le pacte de responsabilité et de solidarité dessine un nouveau compromis social. C'est un cercle vertueux qu'il faut créer, associant emploi, consommation et croissance.

À ceux qui ne voient aucune perspective, il faut rendre confiance, en effet, en donnant du sens aux efforts demandés à tous. La valeur du travail, la lutte contre les inégalités, la justice sociale, la tolérance doivent être replacées au coeur des valeurs de la République. Comptez sur notre soutien (Applaudissements sur les bancs socialistes et de nombreux bancs du RDSE)

M. Jacques Mézard .  - M'exprimant au nom de l'ensemble du RDSE, de sa majorité qui vous aurait voté la confiance comme de ceux qui ne l'auraient pas votée, je vous adresse nos voeux de réussite, car il y va de l'avenir de la Nation et des Français. Notre liberté continuera à s'exprimer. Nous ne serons pas de ceux qui marchandons notre soutien à chaque texte. Vous connaissez la vision d'homme d'État de Jean-Pierre Chevènement, le souci de justice de Robert Hue, le sens de l'État de Gilbert Barbier. Vous savez que Jean-Michel Baylet vous soutient.

Les électeurs en mars ont sanctionné l'exécutif. Vous avez affirmé une volonté forte de gouverner : il la faut. « Aurons-nous ou n'aurons-nous pas ce gouvernement ? » demandait Clemenceau ; « là est la crise, crise de volonté, crise de vérité ». Oui, nous voulons un gouvernement qui gouverne. C'est d'un choc de compétence dont la République a besoin. Nous n'avons pas entendu les Français réclamer le regroupement des régions, la suppression des départements, la fermeture de Fessenheim, mais l'efficacité en matière d'emploi, d'économie, de fiscalité, de logement, de sécurité. Ce message, vous l'avez entendu, monsieur le Premier ministre. Mais comment ne pas s'interroger sur nos institutions, sur notre monarchie républicaine ? L'anomalie démocratique, ce n'est pas le Sénat, mais l'hyperprésidence, et la marginalisation du Parlement, quand ce n'est pas son mépris.

M. Charles Revet.  - Tout à fait exact !

M. Jacques Mézard.  - Les vraies fractures politiques, et même idéologiques, traversent les deux grands partis de gouvernement. Les Allemands ont su créer une grande coalition quand nous continuons à cultiver des conflits artificiels. À défaut de coalition, que les partis s'écoutent pour mieux écouter les Français. Vous êtes au pouvoir : à vous de donner l'exemple. Nous avons apprécié votre adresse à l'opposition. Il n'est jamais trop tôt pour rassembler, il est souvent trop tard.

Rassembler, c'est d'abord respecter le Parlement. Les derniers mois nous laissent de mauvais souvenirs... Espérons que l'indépendance du Sénat ne vous conduira pas à vouloir le transformer en assemblée de deuxième zone...

La grande majorité du RDSE est favorable au pacte de responsabilité, qui reconnaît le rôle de l'entreprise, sans laquelle il n'y a pas d'emploi. Il est temps de sortir des débats d'un autre temps. Il est urgent de simplifier la création et la gestion quotidienne des entreprises, sans laisser-faire et en garantissant les droits des plus faibles.

Porter la réduction des charges patronales à 30 milliards est judicieux, de même que réduire l'impôt sur les sociétés. Vous avez aussi décidé d'alléger la fiscalité sur les ménages modestes. Vous affirmez la nécessité de réduire la dette publique. Reste un problème arithmétique : sur 50 milliards d'économies annoncées, je m'interroge sur la provenance de 11 milliards, et vos explications seraient bienvenues...

Nous avons toujours défendu avec acharnement la construction européenne. Mais comment obtiendrez-vous des Allemands une baisse de l'euro dont le niveau élevé leur est si cher, mais trop cher pour nous ?

L'école de la République va mal : 10 % des enfants en sortent sans maîtriser lecture ni écriture.

M. Charles Revet.  - Dramatique !

M. Jacques Mézard.  - C'est une faillite dont nous sommes tous responsables. Autre urgence : le logement. Il faut simplifier, réduire les normes.

Une autre priorité transversale devrait être ajoutée à votre agenda : la recherche et l'innovation, sans lesquelles il n'y a pas d'avenir.

Je ne voudrais pas passer pour un adorateur du soleil levant. (Sourires) Aussi aborderai-je deux thèmes sur lesquels nous continuerons à nous exprimer fermement. La transition énergétique d'abord : elle est nécessaire. Mais le meilleur moyen d'y parvenir, c'est de préserver notre industrie nucléaire. (Applaudissements au centre, à droite ; MM. Jean-Pierre Chevènement, Jean-Louis Carrère et Edmond Hervé applaudissent aussi) Le nucléaire et les énergies renouvelables se complètent. Travaillons aux réacteurs de quatrième génération. Ne cédons pas à l'obscurantisme ! Le temps de la condamnation de Galilée est révolu !

Autre sujet : le millefeuille territorial. Vous annoncez une nouvelle carte intercommunale, alors qu'on vient d'achever la précédente, la suppression de la clause de compétence générale et des départements... Et dans le même paragraphe, vous prétendez remédier au sentiment d'abandon des territoires ! Vous l'avez reconnu, un département qui comporte une métropole ne saurait être confondu avec un département rural. Recherchons un compromis intelligent entre gauche et droite.

« Il faut savoir ce que l'on veut. Quand on le sait, il faut avoir le courage de le dire. Quand on le dit, il faut avoir le courage de le faire », disait Clemenceau. C'est ce que nous attendons de vous, monsieur le Premier ministre. (Applaudissements sur les bancs socialistes, du RDSE et sur quelques bancs à droite)

M. Manuel Valls, Premier ministre .  - En m'adressant directement à vous, j'ai voulu marquer mon respect du Sénat. Le respect du Parlement sera la marque de ce Gouvernement.

Monsieur le président Gaudin, vous avez connu l'alternance. Face à la situation présente, faisons preuve de retenue et de modestie. Je vous ai senti grisé par la confiance que vous ont témoignée les Marseillais... Croyez-vous que la dette accumulée et notre niveau de déficit, l'état de notre école puissent être imputés à cette majorité ? Je l'ai dit, en dix ans, notre différentiel de compétitivité avec l'Allemagne s'est accru. Nous pouvons poursuivre ces mauvais procès, mais cela ne marche plus, les Français n'y croient plus. Un sursaut est nécessaire.

Les solutions proposées peuvent être différentes mais partons de ce constat. Tous les gouvernements ont recherché des solutions. Entre 2006 et 2012, les impôts ont augmenté de 30 milliards. De même depuis 2012. Pouvez-vous nous faire la leçon ? En quoi votre intervention a-t-elle fait avancer le débat ? Monsieur Gaudin, vous êtes bon pour lancer des piques, mais prenez garde à ne pas abîmer la démocratie.

Une immense majorité d'entre nous est attachée à l'Europe. Eh bien, attention à ne pas voir se reproduire ici les résultats de Hongrie ! Si nous n'arrivons pas ensemble à redresser le pays, nous aurons collectivement échoué. (Applaudissements sur les bancs socialistes et sur plusieurs du RDSE).

Il faut redresser notre industrie - et M. Mézard a raison de souligner l'importance de la filière nucléaire : il ne s'agit pas de la faire disparaître mais de réduire sa part dans la production d'électricité en développant les énergies renouvelables et en préservant l'environnement. Je n'oublie pas la recherche et l'innovation ni la formation professionnelle. Il est insupportable de voir un jeune sur cinq au chômage. Nous n'avons pas d'autre choix que de soutenir les entreprises et nous avons mis 30 milliards sur la table. Sans nos entreprises, grandes et petites, nous ne créerons ni richesses, ni emplois, ni ne rétablirons la confiance. Oui, il y a un problème de coût du travail. Mais le pacte de responsabilité et de solidarité répond aussi aux attentes des salariés. Il nous faut mobiliser les partenaires sociaux - que nous rencontrerons dès vendredi - et les territoires. Les deux dernières années et bien que cela corresponde à une conviction profonde de Jean-Marc Ayrault, nous n'avons pas assez associé les régions à notre politique, elles dont le rôle est si important en matière d'économie, d'innovation et d'environnement. Compte tenu de la situation de notre commerce extérieur, nous avons décidé d'en confier le pilotage au Quai d'Orsay pour affirmer notre diplomatie économique.

La France, cinquième puissance économique mondiale est une grande puissance diplomatique et militaire. Mais dans le monde d'aujourd'hui, la compétition se joue sur la capacité à conquérir des marchés, sur la formation et la recherche...

Monsieur Gaudin, la violence existe dans notre société depuis trente ans, le nombre des cambriolages a explosé depuis cinq ans. Dans nos mairies, nous retenons souvent les mêmes solutions. Je veux m'efforcer d'apaiser la société sur ces questions. Le mariage pour tous fut un grand progrès, mais il a suscité un débat.

M. Jean Bizet.  - Et la loi pénale ?

M. Manuel Valls, Premier ministre.  - Il y a une fracture dans notre pays, notamment communautaire, Mme Assassi a raison.

M. Charles Revet.  - Il ne faut pas l'approfondir !

M. Manuel Valls, Premier ministre.  - L'avons-nous fait depuis deux ans ? Sur la fin de vie, sur l'immigration, il faut construire un consensus, oublier les querelles. Sur la réforme territoriale, merci au président Caffet de son soutien vigilant. M. Zocchetto a invoqué l'exemple de M. Renzi... qui a proposé de supprimer le Sénat ! (Sourires) Sur l'organisation territoriale, nous posons les termes d'un débat. Je connais le rôle de la commune, du conseil général. Mais n'avons-nous pas l'occasion de moderniser ce pays ? Je suis très attentif à la proximité, monsieur Mézard. Mais les institutions actuelles, sur le terrain - préfectures, sous-préfectures et conseils généraux - n'empêchent pas le sentiment d'abandon... Nous avons connu, en matière de décentralisation, de grandes réformes : celle de Pierre Mauroy et de Gaston Defferre, celle des intercommunalités de Jean-Pierre Chevènement, la révision constitutionnelle de Jean-Pierre Raffarin... Mais nous ne pouvons plus nous contenter du rabot permanent, de bricolage. Nous sommes arrivés au bout d'une certaine logique. Nous aurons des désaccords, c'est normal, mais nous avancerons.

Je serai attentif aux propositions du Sénat. Nous sommes à un moment où tout peut basculer, et il nous faut être à la hauteur des exigences du moment. (Applaudissements sur les bancs socialistes, du RDSE et écologistes)

La séance est suspendue à 19 h 30.

présidence de M. Jean-Léonce Dupont,vice-président

La séance reprend à 21 h 30.

Engagement de procédure accélérée

M. le président.  - En application de l'article 45, alinéa 2, de la Constitution, le Gouvernement a engagé la procédure accélérée pour l'examen du projet de loi habilitant le Gouvernement à adopter des mesures législatives pour la mise en accessibilité des établissements recevant du public, des transports publics, des bâtiments d'habitation et de la voirie pour les personnes handicapées, déposé sur le Bureau du Sénat le 9 avril 2014.

Dépôt d'un rapport

M. le président.  - M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre le troisième rapport sur la mise en oeuvre de la stratégie nationale de développement durable 2010-2013, transmis à la commission du développement durable.

Questions prioritaires de constitutionnalité

M. le président.  - M. le président du Conseil constitutionnel a informé le Sénat, le mercredi 9 avril 2014, qu'en application de l'article 61-1 de la Constitution, la Cour de cassation a adressé au Conseil constitutionnel deux décisions de renvoi d'une question prioritaire de constitutionnalité portant sur les articles L. 1242-2 et L. 1243-10 du code du travail (Conclusion et exécution du contrat de travail à durée déterminée). Le texte de ces décisions de renvoi est disponible à la direction de la séance.

Agriculture, alimentation et forêt

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt.

Discussion générale

M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement .  - C'est avec plaisir que je prends la parole pour cette première lecture du projet de loi d'avenir pour l'agriculture devant le Sénat. Je connais l'assiduité, la pertinence, parfois l'impertinence, des sénateurs, leur connaissance de la ruralité.

L'agriculture participe pleinement au redressement productif de notre pays, tant au niveau national que régional. Cette loi ignorerait les dimensions économiques de l'agriculture, dit-on parfois. Comme si celle-ci échappait aux grands enjeux qui sont ceux de l'ensemble de notre économie ! Notre économie a reculé sur les marchés mondiaux. Ce constat est indiscutable ; il vaut aussi pour l'agriculture. Ce secteur sera donc pleinement concerné par le pacte de responsabilité. Le CICE, les baisses de charges, profiteront bien sûr au secteur agricole aussi. L'agriculture est donc partie prenante du redressement de la production en France. Elle a néanmoins une spécificité. L'agriculture n'est pas l'automobile : il n'y a pas que deux grands producteurs. L'agriculture, ce sont des paysages, des circuits plus ou moins courts, des exportations, différents niveaux de gamme, du luxe avec le champagne...

M. Didier Guillaume, rapporteur de la commission des affaires économiques.  - Et la clairette de Die !

M. Stéphane Le Foll, ministre.  - ... aux grandes quantités avec les céréales.

Dans le cadre de la réforme de la PAC, qui sera mise en oeuvre en 2015, nous devons redéfinir le cadre d'exercice de nos producteurs pour préparer l'avenir. Il fallait rationaliser les aides, compenser efficacement les handicaps, engager la mutation environnementale nécessaire. Nous aurons ce débat sur l'agro-écologie. La dimension environnementale doit se combiner avec les dimensions sociale et de compétitivité. Pour réunir cette triple mutation, il faut lancer la dynamique depuis les territoires eux-mêmes.

Les agriculteurs déplorent la quantité de normes à appliquer : nous devons les entendre. Mais ce n'est pas de cela qu'il s'agit avec la préoccupation environnementale : baisser les consommations intermédiaires, consommer moins d'énergies fossiles, de phytosanitaires, d'antibiotiques, c'est bon pour l'environnement mais aussi pour l'équilibre économique des exploitations. Les Groupements d'intérêt économique et environnemental (GIEE) doivent porter cette dynamique, lui donner sens et réalité.

J'ai regardé le documentaire diffusé récemment sur l'histoire de l'agriculture française. J'ai été frappé par la magnifique diversité des terroirs, des hommes, des accents. La mutation de l'Agriculture a connu deux évolutions notables : le machinisme et la création des coopératives d'utilisation de matériel agricole, les Cuma. Il y a eu le remembrement. Habitant une commune de 256 habitants dans la Sarthe, je me souviens du traumatisme que cela fut pour les agriculteurs contraints d'abandonner des terres dont ils étaient propriétaires de longue date. À chaque époque sa responsabilité. La nôtre, c'est la triple mutation économique, environnementale et sociale.

Cette loi porte sur ce sujet. Nous devons aussi penser le développement agricole, favoriser les innovations techniques au moyen de l'enseignement agricole, dont il faut développer toutes les capacités. Nous avons eu des débats sur les OGM ; la recherche est un autre pilier de ce texte. Des changements ont déjà eu lieu à l'Institut national de la recherche agronomique (Inra), avec la création d'une chaire d'agro-écologie. Les services vétérinaires, la forêt, l'agronomie seront repensés pour donner tout son sens au ministère.

Je sais que le Sénat compte de nombreux spécialistes de la forêt. Assurer sa mutation, l'adapter aux évolutions actuelles, voilà notre objectif. Nous devons soutenir les producteurs, mettre en place des GIEE forestiers, pour organiser la production ainsi que la transformation. La forêt est une source d'emplois essentielle.

Je n'oublie pas les outre-mer. Chacun a ses spécificités régionales. Les productions ultramarines doivent également s'adapter aux contraintes environnementales et aux marchés mondiaux.

Ce texte ne néglige pas l'accès au foncier dans la perspective de l'installation des jeunes. Comment renouveler les générations ? D'abord, par la formation. Demain, des gens issus d'autres milieux viendront s'installer à la campagne pour devenir agriculteurs. Nous développerons le hors cadre familial, en favorisant l'installation.

M. Charles Revet.  - Cela s'est toujours fait...

M. Stéphane Le Foll, ministre.  - Pas à ce point. La surface ne sera plus seule prise en compte pour aider à l'installation, car l'important, c'est la capacité de dégager un revenu. L'accès au foncier est un enjeu majeur. Le renforcement des Safer sera l'outil principal pour que nos jeunes puissent s'installer dans les meilleures conditions.

Cette loi donne un cadre, des perspectives ; elle adapte notre agriculture au nouveau système européen, bref elle prépare l'avenir. Elle donnera foi à nos jeunes en notre agriculture, comme nous avons confiance en elle. (Applaudissements sur tous les bancs de gauche)

M. Didier Guillaume, rapporteur de la commission des affaires économiques .  - Je félicite d'abord Stéphane Le Foll pour sa reconduite à ce poste, sa connaissance du terrain et de ses dossiers. Je souhaite la plus grande réussite au ministre de combat qu'il est. (Applaudissements sur les bancs socialistes et du RDSE)

Les négociations relatives à la nouvelle PAC n'étaient pas gagnées d'avance. Aujourd'hui, le verre est plus qu'à moitié plein. On ne peut plus évoquer le budget agricole français sans évoquer le budget européen. Le ministère disposera de nouvelles marges de manoeuvre pour le couplage des aides directes et la modulation des aides en fonction de la surface.

Comment parler d'agriculture sans évoquer ceux qui en vivent ? Agriculture et agroalimentaire sont désormais regroupés au sein du ministère de Stéphane Le Foll, car ce sont deux piliers de notre économie.

La loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche qu'avait défendue M. Le Maire comptait nombre d'aspects positifs ; il fallait seulement aller encore plus loin. Celle-ci ne la remet pas en cause, elle franchit un pas supplémentaire.

Fils et filles d'agriculteurs pour la plupart, nous connaissons l'histoire de nos campagnes, les difficultés rencontrées par les producteurs. N'opposons pas les cultures entre elles, le bio au conventionnel, la plaine à la montagne, les circuits courts et les longs, l'enseignement agricole public et le privé... Cette loi cherche à gagner sur deux tableaux : production et respect de l'environnement. Personne ne pourra s'abstraire de l'agro-écologie. Nous devons continuer à produire plus, mais il faut aussi produire mieux : c'est une demande de l'Europe et de nos concitoyens.

Cette loi ne tourne pas le dos à la compétitivité, qui fait l'objet de ses premiers articles. L'agriculture de demain doit être productrice, rémunératrice, nourrir nos concitoyens et continuer de contribuer au rééquilibrage de notre commerce extérieur. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

Si nous partageons ce constat, nous irons dans le bon sens. La jeunesse est l'avenir de notre agriculture. Les moins de 40 ans représentent moins d'un quart de nos agriculteurs. La moyenne d'âge des agriculteurs est supérieure à 50 ans. Si nous ne faisons rien, nous allons vers la fin de notre agriculture. Quatre cinquièmes des installations se font hors cadre familial. Des mesures fortes pour le renouvellement des générations et l'accès au foncier sont indispensables : elles figurent dans ce texte. L'enseignement agricole tient dans ce cadre une place centrale. Notre enseignement agricole, public comme privé, est un joyau qui garantit presque systématiquement un emploi. Ce texte promeut un enseignement dynamique, celui dont nous avons besoin.

L'innovation ne se décrète pas. Elle peut prendre des formes diverses : amélioration variétale, gestion des intrants, biocontrôle, semis, autonomie fourragère... Les initiatives foisonnent. Les GIEE sont les outils adéquats pour les soutenir. L'innovation passe par la recherche autant que par les territoires. Nous devons avancer de concert avec les autres pays d'Europe en la matière.

Le Premier ministre, cet après-midi, nous a invités à éviter les exclusives et à avoir de vrais débats. Sur les OGM, par exemple, nous devons aller de l'avant. N'ayons pas peur du dialogue.

Nous avons abordé ce texte sans dogmatisme, avec pragmatisme. « Est-ce bon pour les agriculteurs ? » est la seule question qui nous a guidés. La commission a assigné aux GIEE un triple objectif, économique, environnemental et aussi social. Le bail environnemental a été modifié pour ne pas handicaper les jeunes agriculteurs.

Sur la compensation agricole, il faudra sans doute aller plus loin : les agriculteurs devront pouvoir récupérer et vendre les terres à des fins d'intérêt général. Le registre des agriculteurs actifs a été opportunément modifié.

Sur la clause miroir pour les coopératives agricoles, nous avons fait un pas en avant. La procédure de reconnaissance des Groupements agricoles d'exploitation en commun (GAEC) a été simplifiée.

La place essentielle du vin dans le patrimoine national est réaffirmée. Le rôle des commissions de consommation des espaces agricoles, rebaptisées CDPENAF, est maintenu ; les fédérations de chasseurs y ont été admises. Les agriculteurs doivent pouvoir se loger à côté de leurs terres ; ce n'est pas du mitage que dire qu'ils ne doivent pas faire 25 kilomètres pour aller travailler.

Le rôle des laboratoires départementaux d'analyse est enfin reconnu. Les outre-mer ne sont pas oubliés. Le comité stratégique du développement agricole aura un rôle essentiel.

Le loup doit cesser d'être un sujet d'inquiétude. (Applaudissements sur divers bancs) En tant que fils d'éleveur d'ovins, je connais bien la question. L'élevage de montagne sèche et la présence du loup sont incompatibles, il faut l'affirmer clairement. Renégocions la convention de Berne : le loup n'est plus une espèce en voie de disparition. Nous ne voulons pas son éradication ; pas non plus celle des éleveurs.

Cette loi n'est sans doute pas la dernière dans le domaine agricole. Elle est néanmoins fondatrice et sera le phare de l'agriculture de demain. Tous les groupes ont apporté leur pierre à l'édifice. Le monde agricole n'attend pas que les politiques s'écharpent en leur proposant des dispositifs clés en main, ils veulent les moyens de relever les défis.

Cette loi permettra à l'agriculture française d'être encore une agriculture d'avenir. (Applaudissements à gauche)

M. Philippe Leroy, rapporteur de la commission des affaires économiques .  - J'évoquerai essentiellement les questions forestières. Je veux dire en préambule le plaisir qui a été le mien à travailler avec Didier Guillaume, qui a démontré une grande compétence, celle d'un futur ministre de l'agriculture après une alternance.

M. Jean-Marc Todeschini.  - En 2017 ?

M. Philippe Leroy, rapporteur.  - J'ai dit après une alternance ! (Sourires)

Monsieur le ministre, vous avez compris ce qui était dans le rapport Caullet concernant la forêt.

M. Stéphane Le Foll, ministre.  - C'est que je l'ai lu !

M. Philippe Leroy, rapporteur.  - On pourrait presque vous croire. (Sourires) À votre crédit, la loi de finances pour 2014 a notamment créé une action n°13 au sein du programme 149, intitulée Fonds stratégique de la forêt et du bois, excellente mesure appréciée par tous les acteurs. Quinze ans après la suppression scélérate du fonds forestier national, ce nouveau fonds devrait permettre le renouvellement du foncier. Doté de 25 millions, il sera officialisé par le projet de loi que nous discutons ce soir.

Nous avons souhaité aller plus loin, en créant un Compte d'affectation spéciale (CAS) à même de pérenniser son existence. « Compte d'affectation spéciale » est un bien gros mot, qui fait pâlir les technocrates de Bercy, lesquels y voient une atteinte au principe de non-affectation. Un tel compte d'affectation spéciale est pourtant nécessaire, compte tenu des délais de production des cultures sylvicoles. Ce fonds sera doté des produits de la vente en Europe de quotas carbone.

La forêt représente une richesse patrimoniale irremplaçable pour la France, un fort potentiel économique, environnemental et social. Elle s'autofinance à près de 100 %, et ne coûte guère au contribuable.

Les premiers écologistes d'Europe, au XVe et XVIe siècle, étaient les forestiers. Ils parlaient de « rendement soutenu » et les Anglais de sustainable development. On voit d'où vient le protocole de Kyoto !

Le texte aborde aussi le développement de la propriété forestière. La forêt française est essentiellement privée, et atomisée dans les mains d'une myriade de petits producteurs. Ces petites forêts constituent un remarquable réservoir de biodiversité. De nombreuses années seront nécessaires pour traiter la question des petites propriétés ; fruit de différentes vagues d'exode rural. Nous avons besoin de solutions diversifiées, de nature à porter remède au morcellement forestier. Il faudra nous entendre avec les différentes catégories professionnelles : experts forestiers, gestionnaires, coopératives professionnelles... Je les connais bien, et les appelle à la patience.

La forêt française se porte bien ; elle gagne de nombreux hectares chaque année. Les agriculteurs ont tort de s'en plaindre : elle progresse essentiellement sur des terres délaissées par l'agriculture.

La filière bois regroupe plus de 450 000 personnes ; on ne récolte que 60 à 70 % des 100 millions de mètres cubes produits chaque année. Mais elle produit essentiellement du bois feuillu, qui n'intéresse guère le marché européen. Elle n'est plus adaptée aux nouveaux usages - panneaux, pâte à papier. Riche en feuillus, peu en résineux, notre pays doit importer ces derniers. Cela nous coûte cher.

Notre déficit est grand en matière de formation, d'enseignement et de recherche. Innovons dans l'utilisation des feuillus. Nous importons même des ingénieurs forestiers, de Belgique ou de Suisse, car la France ne fabrique plus de bons ingénieurs sylvicoles.

La France peut rester un grand pays forestier, s'appuyer sur sa recherche, prendre exemple sur la gestion de la forêt guyanaise qui n'est pas encore entièrement pillée par les orpailleurs.

Ce projet de loi va dans le bon sens, même s'il faudra l'améliorer, notamment en ce qui concerne les amours compliquées entre sylviculteurs et chasseurs... Ils se détestent ou s'adorent, sont souvent de la même famille. En province, pour éviter qu'un dîner tourne mal, on dit qu'il faut éviter de parler de politique et de chasse ! Le sujet est souvent abordé avec mauvaise foi - des deux côtés. J'ai proposé deux amendements après en avoir discuté avec les fédérations nationales de chasseurs et de propriétaires.

Monsieur le ministre, vous n'accepterez pas le principe du CAS, je ne vous en veux pas car c'est sans doute impossible pour l'instant. Mais il faudra avancer : il faut cent millions pour relancer la machine forestière.

Reste une question qui fait peur à tout le monde, celle du défrichement dans les zones surboisées. Le projet de loi entend protéger les forêts contre le défrichement. Mais dans certains villages de montagne, le taux de boisement est si élevé qu'il rend la vie impossible : d'où mes amendements qui font frémir les orthodoxes de l'administration forestière... (Applaudissements)

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, rapporteure pour avis de la commission de la culture .  - La commission de la culture s'est saisie pour avis du titre IV sur l'enseignement agricole. Une grande majorité de nos amendements ont été intégrés au texte, grâce à un travail constructif avec la commission des affaires économiques.

L'enseignement agricole est un levier essentiel pour transformer nos systèmes de production. Plus que la course à la performance économique, le souci de la performance sociale et écologique doit être au coeur de cet enseignement. La promotion de l'agro-écologie et de l'agriculture biologique fera désormais partie de ses missions. L'article 26 précise sa participation au développement durable ; une stratégie nationale pour l'enseignement agricole sera en outre élaborée.

La commission approuve aussi la lutte contre les inégalités entre jeunes urbains et ruraux, avec la création d'une voie d'accès spécifique, des classes préparatoires professionnelles, à la formation d'ingénieur agricole. Le ministre de l'agriculture pourra désormais fixer un taux minimal de bacheliers professionnels agricoles dans les sections préparant au BTSA ; un accompagnement spécifique leur sera proposé, pendant agricole de la loi relative à l'enseignement supérieur et à la recherche du 22 juillet 2013.

Sur l'Institut agronomique, vétérinaire et forestier (IAVF), notre déplacement à Maisons-Alfort a confirmé nos doutes. La commission a d'abord proposé la suppression de cet institut, la réflexion devant être approfondie ; dans un deuxième temps, elle a proposé des amendements pour en préciser le statut et les missions, qui ont été retenus par la commission des affaires économiques. L'IAVF serait un EPNA, les organismes de recherche y seront intégrés, les fondations tel que l'Institut Pasteur pourraient y adhérer, des partenariats pourraient être conclus avec les écoles supérieures de l'enseignement et du professorat. Sous réserve de l'adoption de nos trois nouveaux amendements en séance, la commission a donné un avis favorable au projet de loi. Je reste cependant convaincue de la nécessité de reporter la création de l'IAVF. Les inquiétudes de l'intersyndicale font écho à mes interrogations. Je souhaite que le débat se poursuive. (Applaudissements à gauche)

M. Pierre Camani, rapporteur pour avis de la commission du développement durable .  - L'agriculture française est en difficulté, mais la ferme France demeure l'une des plus performantes du monde. Ce projet de loi vise à donner un nouvel élan à notre agriculture, en promouvant conjointement la performance économique et la performance environnementale. L'ancienne présidente de l'Inra, Marion Guillou, a recensé les innovations visant à diversifier les productions et à réduire la consommation d'intrants.

La commission du développement durable s'est particulièrement intéressée aux grands principes énoncés par les premiers articles, ainsi qu'à la lutte contre la consommation des espaces agricoles, aux encouragements à réduire l'usage de produits phytosanitaires et d'intrants, et aux questions forestières.

La création des GIEE marque un tournant historique et la modernisation des outils fonciers est bienvenue. La commission du développement durable a discuté de la nécessité d'intégrer dans les Scot le potentiel agronomique des territoires, afin d'éviter la déperdition des terres agricoles les plus productives. Malgré le coût et les difficultés opérationnelles, je suis persuadé que ce serait utile.

La commission a souhaité sécuriser le transfert bienvenu à l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) des délivrances d'autorisations de mise sur le marché (AMM) des produits phytosanitaires. Les cultures maraîchères comme les fraises, dont la saison commence, requièrent des décisions rapides, ce que ne permettait pas la double distinction des dossiers par le ministère et l'Anses. Le transfert devrait avoir lieu dans le strict respect de la séparation entre évaluation et gestion des risques. La commission a souhaité doter les inspecteurs de l'Anses de pouvoirs d'inspection et de contrôle, modifier la composition du conseil de suivi créé par les députés et en rendre publics les avis, enfin autoriser le ministre à prendre en cas d'urgence une mesure de retrait ou d'interdiction. Ainsi, le pouvoir politique restera responsable. Reste la question des moyens de l'Anses, aujourd'hui insuffisants.

La commission se félicite que le projet de loi encourage la réduction de la consommation d'intrants. L'innovation au sein des GIEE y concourra. Dans mon département, une charte a été conclue afin de maîtriser les flux de pollen et de protéger les abeilles comme l'agriculture biologique de la dispersion des pesticides. Les résultats sont au rendez-vous. Pareilles expériences volontaires et innovantes sont encouragées par le texte.

Un mot enfin sur la forêt. La commission a supprimé le schéma d'accès à la ressource forestière, qui pèserait lourdement sur les communes. L'obligation d'introduire du bois dans les constructions neuves, introduite par les députés, serait inconstitutionnelle... ou augmenterait les importations. (M. Roland Courteau : « c'est vrai ! »)

Cette loi ouvre l'agriculture vers la modernité économique et environnementale. (Applaudissements sur les bancs socialistes et écologistes)

M. Joël Labbé .  - Monsieur le ministre, je salue votre capacité d'écoute, ainsi que celle des rapporteurs, même si pour nous le compte n'y est pas tout à fait...

Ce projet de loi a pour projet affiché de faire de la France le leader européen de l'agro-écologie, un an après le colloque que j'ai organisé au Sénat. L'agro-écologie, science, mouvement social et pratique agricole, ne se résume pas à une vision techniciste de l'agriculture. Elle suppose de rompre avec les modèles existants pour aller vers une agriculture plus locale, moins standardisée, qui apporte un revenu équitable aux agriculteurs en développant les filières courtes. Cela suppose la souveraineté alimentaire de chaque grande région du monde. Cela suppose aussi des politiques publiques plus territorialisées, mieux adaptées aux agrosystèmes locaux. Cela n'est pas simple, car il faut mobiliser la société. La responsabilité est collective : elle est politique.

Le politique, les politiques doivent imposer leurs vues aux lobbies de l'agrochimie, de l'agro-industrie, de l'agro-business. C'est indispensable pour répondre à la désespérance sociale du monde rural et au décrochage des territoires périphériques.

Le modèle agricole breton a atteint et même dépassé ses limites, on le voit tous les jours. Continuer sur cette voie, c'est s'interdire le développement d'une économie territoriale qui ne soit ni prédatrice ni destructrice mais créatrice de valeur ajoutée et de qualité de vie. La multiplication des dérogations sur l'élevage de porc par exemple, le renflouement permanent d'un système à bout de souffle, les solutions court-termistes comme le développement massif de la méthanisation ne vont pas dans le bon sens. Quant à la prétendue vocation agro-exportatrice de la France... Avec des produits bas de gamme, comment rester compétitifs ? Plus de 40 % de la viande de poulet consommée en France est importée - notamment du Brésil. Grandiose ! Ou triste, plutôt. Nous restons également dépendants des protéines végétales importées, alors que le soja OGM concerne un million d'hectares en Amérique latine, au détriment des cultures vivrières et de la forêt... Le modèle productiviste, sous couvert de nourrir la planète, l'affame.

Le projet de loi envoie un message positif, incite au changement, dont il reconnaît la dimension individuelle et collective. Mais nous inviterons le Sénat à aller plus loin. Les modèles agro-écologistes et agro-industriels sont en concurrence ; refuser de choisir entre eux, c'est choisir la loi du plus fort.

M. Jean Desessard.  - Très bien !

M. Joël Labbé.  - Nous prônons la reconnaissance des associations têtes de réseaux, moteurs de l'innovation ; une formation pluridisciplinaire et conforme au principe agro-écologique ; l'autonomie décisionnelle des agriculteurs et dans leur exploitation - je pense au droit inaliénable à ressemer ; la sortie des PNPP de la liste des produits phytosanitaires. Pour préserver la terre nourricière, nous plaidons pour la limitation drastique des pesticides, l'interdiction des produits phytosanitaires cancérigènes, mutagènes et reprotoxiques ainsi que des épandages aériens.

Les nouveaux installés de tous âges doivent être soutenus : nous plaidons pour la progressivité des cotisations sociales, la reconnaissance des cotisants solidaires, la création de fonds de cautionnement publics.

L'agriculture doit être ouverte sur la société : nous proposons le renforcement des projets alimentaires territoriaux et la prise en compte de l'agriculture dans le diagnostic des Scot.

Enfin, en ce qui concerne la forêt, la présomption de garantie de gestion durable par la bonne pratique, sans volet social et environnemental, accroîtra encore la concentration de la filière : il faudra y revenir.

Le projet de loi pose ainsi des bases pertinentes pour demain produire et consommer autrement, vivre autrement. Quelle déconvenue cependant si nos efforts étaient anéantis par la signature en l'état du traité commercial transatlantique ! Ce serait la voie ouverte au boeuf aux hormones et au poulet javellisé... Nous comptons sur vous, monsieur le ministre. (Applaudissements sur les bancs socialistes et écologistes)

M. Jean-Jacques Lasserre .  - Je salue le travail intense des rapporteurs, à l'écoute des organisations comme des sénateurs.

Les agriculteurs se désespèrent : crise de l'élevage, insuffisance des installations, déprise agricole... La situation est gravissime, dans certains cas le point de non-retour est atteint. L'intitulé de ce projet de loi nous donnait quelque espoir, mais à la lecture, on ne voit pas d'élan, pas de souffle nouveau... C'est plus un toilettage du droit en vigueur qu'une véritable loi d'avenir.

Il fallait rechercher un équilibre entre performance économique et performance environnementale ; ici, l'économie est presque absente. Or la compétitivité agricole est primordiale.

Sur la clause miroir, on revient de loin ; un compromis semble avoir été trouvé. De même, sur le foncier, le débat a été engagé sereinement. De même sur le registre des agriculteurs.

Malgré ces avancées, il y a de grands oubliés, comme les OGM. La recherche est capitale dès aujourd'hui ! Plutôt que de traiter le sujet globalement dans le cadre de ce texte, nous examinerons une proposition de loi en procédure accélérée sur une seule variété... Allons-nous examiner une nouvelle proposition de loi pour chaque OGM ?

M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques.  - PGM !

M. Jean-Jacques Lasserre.  - Autre oubliée, la PAC, notamment sa partie « verdissement » ; les obligations d'assolement seront catastrophiques pour certaines régions en monoculture.

Les attributions du médiateur entre agriculteurs et distributeurs sont mal définies : il manque un cadre contractuel ferme.

Le texte est muet sur la couverture des risques, alors que toutes les régions du pays ont été touchées par des catastrophes. Le dispositif en vigueur a encore des lacunes.

À quand la simplification administrative en matière agricole ? Je pense à la loi sur l'eau, appliquée de manière irréfléchie dans des régions entières...

Nous restons donc un peu sur notre faim, et nous déterminerons en fonction de la suite des débats. (Applaudissements sur les bancs UDI-UC ; M. Didier Guillaume, rapporteur, applaudit aussi)

M. Alain Bertrand .  - À mon tour de féliciter M. Le Foll, qui est un bon ministre. Ce projet de loi apporte des réponses opportunes à beaucoup de questions, mais suscite aussi des inquiétudes. La notion d'agro-écologie choque les agriculteurs, dans les campagnes le mot ne veut rien dire : retourner le sol, utiliser des pesticides, n'est-ce pas indispensable ? Je préfère donc la notion d'agriculture raisonnée.

M. Labbé veut aller encore plus loin. J'en appelle, moi, au bon sens. La vie de milliers d'agriculteurs qui travaillent dur est en jeu ! Certains touchent moins de 10 000 euros par an de prime là où certains céréaliers en sont à 200 000 ou 300 000 euros... Le Premier ministre rappelait les savoir-faire immenses de notre pays. Notre agriculture fait partie de nos atouts, elle contribue à notre balance commerciale ; certaines filières doivent pouvoir faire mieux grâce à des stratégies industrielles - je pense au lait.

Les Safer marchent bien...

M. Stéphane Le Foll, ministre.  - Elles sont renforcées !

M. Alain Bertrand.  - Je souhaiterais que leur droit de préemption soit encore élargi. Le défrichement... J'entends des histoires de cornecul, comme dit mon préfet... (Sourire) À Mende, ville de 14 000 habitants, la bataille avec la Direction départementale des territoires a duré un an - pour pouvoir déboiser une trentaine d'hectares sur une zone d'activité. De mauvais pins sylvestres d'un côté, des centaines d'emplois de l'autre...

Quant au loup... (Exclamations amusées)

M. Jean Desessard.  - Quand il y a un loup, il y a du flou !

M. Alain Bertrand.  - Le cormoran, qui pille nos rivières et fait des dégâts, est toujours classé comme espèce protégée par l'Europe, alors qu'il y en a des millions en Afrique ou en Asie ! Pour le loup, il faut faire preuve de bon sens avant que la situation ne dégénère.

Je voterai cette loi avec plaisir, mais il faut encore l'améliorer. (Applaudissements sur les bancs socialistes et du RDSE)

M. Gérard César .  - La majorité et l'opposition ne défendent pas des visions antagonistes de l'agriculture. Dans ce texte, le Gouvernement redouble d'efforts sémantiques pour réconcilier sa majorité, déchirée entre promoteurs et détracteurs de l'agro-écologie... Un dénominateur commun à tous, cependant : la satisfaction de la demande intérieure. Il est incompréhensible que la France importe la moitié des fruits et légumes qu'elle consomme, 20 % de la viande bovine, la majorité de la viande ovine. Nous perdons des parts de marchés, alors que les pays émergents pénètrent les marchés européens. La France est passée du deuxième au cinquième rang mondial en termes d'exportation agroalimentaire, derrière les USA, l'Allemagne, les Pays-Bas et le Brésil.

Notre potentiel est énorme, il est sous-exploité. C'est un immense gâchis. La question de savoir si la réponse doit être agrobiologique ou non est vaine. Tous les leviers de la reconquête devront être activés. Pourquoi passer tant de temps sur la notion d'agro-écologie, qui n'est pas même précisément définie ?

Le GIEE nous laisse perplexes. De quelles majorations d'aides publiques les exploitants bénéficieront-ils ?

L'article 4, relatif au bail environnemental, privilégie la coercition. Ses dispositions rendront inévitablement le foncier agricole moins accessible. Heureusement, l'amendement du rapporteur Guillaume prévoit la situation du maintien des pratiques. Mais tous les exploitants agricoles ne seront pas en mesure, lors de la conclusion du bail, d'en satisfaire toutes les clauses, même si celles-ci ont été respectées par un autre exploitant. Qu'adviendra-t-il en outre pour les agriculteurs qui s'étaient engagés au respect de clauses contraignantes et qui, faute de viabilité économique, veulent changer de production ?

Nous restons opposés à l'article 4 qui incarne une écologie punitive. Nous défendrons un amendement de suppression.

Monsieur le ministre, vous avez proposé une médiation sur la clause miroir : où en êtes-vous ? Où en est l'application du CICE aux coopératives agricoles ? Vu le refus opposé par Bruxelles, allez-vous leur appliquer par anticipation la baisse des cotisations familiales ? Où en est, enfin, la négociation relative au libre-échange transatlantique ? Il serait paradoxal de favoriser l'agro-écologie tout en acceptant un traité qui ne répond pas à ses exigences...

L'article 7 est relatif à la contractualisation et au rôle du médiateur. Sur ce terrain, nous pouvons nous retrouver. Quelle garantie que le médiateur ne sera pas simple spectateur ?

À l'article 10 bis les organismes chargés des AOP ou IGP et l'Inao pourront s'opposer à l'enregistrement d'une marque en cas de risque d'atteinte au nom ou à l'image, y compris pour les produits similaires : nous nous en réjouissons comme de l'inscription du vin au patrimoine culturel, gastronomique et paysager.

Le conseil d'administration des Safer doit inclure deux associations agréées de protection de l'environnement, pourquoi donc ?

En conclusion, au lieu d'une écologie incitative, vous promouvez une écologie punitive. Au lieu de diminuer les charges, vous les augmentez.

M. Daniel Raoul.  - Allons !

M. Alain Bertrand.  - Je suis agriculteur. Je sais de quoi je parle ! Vous verrez les taxes arriver... Nous réservons, pour l'heure, notre vote. (Applaudissements sur les bancs UMP)

La séance, suspendue à 23 h 35, est reprise à 23 h 45.

M. Gérard Le Cam .  - Ce texte traite d'un sujet passionnant, comme tout ce qui touche à l'agriculture et la ruralité. J'en traiterai en partant du local pour arriver au mondial car les solutions doivent, en la matière, partir d'en bas, non de la mondialisation destructrice à l'oeuvre.

Réélu dans ma commune costarmoricaine qui compte plus de 80 exploitations, j'ai proposé une aide à l'installation de 3 000 euros, qui s'ajoute aux 3 000 euros de l'intercommunalité, et l'exonération de taxe foncière pour les jeunes. Sans ces mesures nos bourgs se dépeupleront et nous n'aurons plus que quelques estancias à la mode bretonne. Je dénonce au passage la suppression de la clause de compétence générale et la diminution des dotations aux collectivités territoriales. Quand le gouvernement fait les poches des communes, il met en danger ses élus, perd le Sénat de gauche, menace l'emploi.

L'écotaxe a été le détonateur mais la crise en Bretagne est profonde : prix à la production insuffisamment rémunérateurs, baisse des volumes produits, gestion capitalistique à courte vue, concurrence allemande et européenne, bas salaires dans l'industrie agroalimentaire, pour des cadences élevées ; il ne faut que six secondes pour abattre et transformer un porc ! On est dans Les Temps modernes de Charlie Chaplin ! Le pacte pour la Bretagne est une première réponse mais la Bretagne est un des garde-manger de la France, et son agriculture doit être relancée. Les productions sont à la baisse, les revenus des agriculteurs également. Les inégalités ne cessent de croître : 79 000 euros en moyenne pour les céréaliers, 15 000 pour les éleveurs les moins bien lotis. Le temps de travail est inversement proportionnel au revenu, ce qui n'incite guère les jeunes à choisir la voie de l'élevage...

Le projet de loi ambitionne de traiter de nombreux aspects du problème. Nous le soutenons, bien que tout n'y soit pas.

Le verdissement prétendu de la PAC se réduit à du green washing.

Nourrir neuf milliards de bouches en 2050 reste un défi. Plus d'un milliard d'individus souffrent de la faim. Laisser faire le marché, c'est courir à la catastrophe. Nous devons infléchir les choses. Des réorientations sont possibles. L'aide alimentaire sauve des vies mais ne règle pas les problèmes au fond.

Le titre préliminaire fixe des objectifs ambitieux, mais élude la dimension internationale des changements nécessaires. La compétence exclusive de l'Union européenne en matière commerciale n'empêche pas la France de porter haut son message dans les enceintes internationales. L'agro-écologie devrait être retirée du champ de l'accord transatlantique.

La France a fait du soutien à l'élevage un axe fort de sa politique. L'accord envisagé lui nuirait pourtant également. Sans rupture avec la logique de libéralisation et de déréglementation il sera impossible d'atteindre les objectifs fixés. Il faut assurer un ancrage territorial de la production et de la transformation, sécuriser l'abattage local.

Nous saluons la création des GIEE. Pour renforcer cet outil, il faut garantir une offre de conseils gratuite et diversifiée aux agriculteurs. Le regroupement foncier doit être un des objectifs des GIEE. Enfin il faut s'assurer que l'augmentation de l'aide va aux exploitants et non aux personnes morales.

L'article 4 participe au verdissement nécessaire du secteur agricole. Attention toutefois à ne pas trop contraindre les agriculteurs.

L'article 6 garantit la transparence des contrats dans les coopératives agricoles. Nous vous proposerons de renforcer la présence des salariés dans les organes de direction et d'assurer une meilleure représentation syndicale.

L'article 7 apporte des réponses timides aux relations déséquilibrées entre producteurs et distributeurs. Cette loi d'avenir ne doit pas éluder la question des prix et revenus. On peut agir sur les prix. Il fut un temps où la gauche soutenait ici un coefficient multiplicateur sur tous les produits périssables.

Une conférence bisannuelle organisée par les interprofessions pourrait fixer des prix rémunérateurs indicatifs. Nous plaidons aussi pour le relèvement du seuil de revente à perte et l'encadrement des conditions de déréférencement, véritable épée de Damoclès sur la tête des producteurs.

Le titre II apporte des outils intéressants. Le rôle des collectivités territoriales ne doit pas être oublié : veillons à ne pas les dessaisir au profit de commissions sans légitimité démocratique.

L'article 13 conforte les sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural. Cela va dans le bon sens.

L'article 15 place au niveau régional le schéma d'orientation agricole : c'est opportun.

L'article 14 prépare l'avenir. Mais nous devons aider davantage financièrement les personnes engagées dans des formations. Garantissons en outre un haut niveau de protection sociale à tous ceux qui vivent de l'agriculture.

Nous nous opposons au transfert de la compétence de délivrance des autorisations de mise sur le marché à l'Anses : l'État doit garder la main.

Nous demanderons également la suppression de l'IAVF.

Nous soutiendrons l'objectif de durabilité de la forêt publique, mais le rôle de l'ONF doit être précisé, et les missions des agents cesser d'être dénaturées par la marchandisation de la forêt.

Nous nous efforcerons de vous convaincre d'adopter des mesures plus ambitieuses. (Applaudissements sur les bancs CRC et écologistes)

Mme Renée Nicoux .  - Cette loi d'avenir est l'occasion de remettre à l'honneur une population et des territoires qui se sentent oubliés. Pourtant, les terres agricoles et forestières représentent 80 % de la superficie de l'hexagone, et notre industrie agroalimentaire est l'une des premières en Europe.

Les avancées obtenues à l'issue des négociations sur la PAC n'étaient pas gagnées d'avance. Que le président de la République et le ministre en soient remerciés. La France a défendu une agriculture respectueuse de l'environnement. Le verdissement de la PAC aura un impact écologique et économique conséquent.

Une partie des aides a également été recentrée vers l'installation des jeunes.

Cette loi assure le développement économique et écologique nécessaire à la pérennité de notre filière. Une agriculture plus économe en énergie, en eau, en engrais, en produits phytosanitaires et vétérinaires répond aux attentes sociétales comme aux enjeux écologiques.

Le développement des filières sera facilité grâce à la création du GIEE et à la rationalisation des aides. Entraide, expérimentations, commercialisation des produits seront facilitées par ces nouveaux groupements, qui apportent également une solution au problème de l'isolement en milieu rural.

Les structures existantes sont aussi renforcées. La gouvernance des coopératives agricoles sera clarifiée. La contractualisation doit être étendue à d'autres secteurs que la production ovine ou des fruits et légumes.

La loi s'engage à préserver le foncier agricole et les espaces forestiers, notamment grâce aux Safer, dont l'information sera améliorée. Leur droit de préemption leur permettra de remplir efficacement leurs missions.

Le contrôle des structures permettra de lutter contre les regroupements abusifs d''exploitations.

Mise en place d'une couverture sociale adaptée, modernisation des critères d'installation, vont dans le sens d'une reconnaissance accrue du rôle des jeunes agriculteurs pour aller vers une agriculture diversifiée créant de la valeur ajoutée.

La formation était un enjeu clé. L'enseignement agricole, de bonne qualité, doit accompagner les mutations des pratiques culturales.

Cette loi pose les jalons essentiels d'un renouveau des pratiques agricoles et de l'agro-écologie. Nous voterons ce texte qui présente un modèle ambitieux d'agriculture pour l'avenir de notre pays. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Ambroise Dupont .  - Je commencerai en vous félicitant, monsieur le ministre, pour votre reconduction dans vos fonctions.

Malgré les lois successives, le secteur agricole continue à subir les effets de la crise et de la compétition mondiale. L'embargo russe sur le porc européen, au prétexte de la découverte de peste porcine sur des sangliers en Lituanie et sur fond de tensions politiques en Ukraine, a porté un coup rude à nos régions exportatrices, qui sont exemptes de cette maladie : que peut-on faire ?

L'un des moyens d'accroître les revenus des agriculteurs consiste à valoriser leurs produits en les attachant à leur terroir. Renforçons les politiques d'attribution de labels, en veillant à ne pas accroître la confusion des consommateurs. Merci monsieur le ministre d'avoir accepté de participer au Festival des AOC de Cambremer, que j'ai créé il y a vingt ans.

La France a choisi de soutenir en priorité l'élevage. Je m'en réjouis. Mais ce n'est pas suffisant. Comment seront réparties les aides entre filières et entre les petites exploitations et les grandes qui exportent ?

Les territoires ruraux sont vivants : assouplissons les règles relatives à l'habitat isolé sur les terres agricoles.

La filière équine est absente de ce projet de loi alors qu'avec d'autres ici je me bats pour faire reconnaître son caractère agricole. L'impact du relèvement du taux de TVA est lourd pour les centres équestres. Ramené à 10 %, il demeure fixé à 20 % pour l'enseignement et le dressage, il fragilisera un nombre croissant d'acteurs et encouragera le travail au noir. À l'heure de la sécurisation des filières et des scandales de la viande de cheval, la question de la traçabilité des chevaux se pose. Le groupe Cheval du Sénat déplore la dérégulation du commerce de chevaux. Le comité stratégique que je préside travaille sur la filière des courses en France, secteur économique et filière sportive d'excellence dans notre pays. Le nouvel établissement public des Haras du Pin est de nature à le soutenir. Mais l'installation d'une déchèterie à proximité inquiète.

La filière représente 75 000 emplois. Préservons son caractère d'excellence. (Applaudissements sur divers bancs)

M. Daniel Dubois .  - Permettez-moi de vous féliciter à mon tour, monsieur le ministre, pour votre reconduction. Vous connaissez bien le secteur. Les enjeux sont de taille.

Je remercie également M. Labbé pour sa définition de l'agro-écologie, que vous aviez quelque peu idéalisée.

M. Didier Guillaume.  - Il vaut mieux écouter le ministre !

M. Daniel Dubois.  - Certes mais M. Labbé est un spécialiste. Reste que ce texte manque de souffle. L'agriculture est un des secteurs majeurs de notre économie, qui évolue en permanence. Accompagnons-le pour qu'il gagne en compétitivité. Nous avons de bonnes terres, un climat favorable, des personnes qualifiées... Qu'attendons-nous pour valoriser notre filière ? Elle représente 19 % de la production européenne. La demande croît au niveau mondial. Au lieu de gagner des parts de marché, nous en perdons, notamment face à l'Allemagne.

La compétitivité de l'agriculture ne se mesure pas sur un seul secteur, mais sur toute la filière. Abaissons le coût du travail, et simplifions les normes, cela profiterait à tous les acteurs. Le président de la République a annoncé un tel choc de simplification. N'en maintenons pas éloignée l'agriculture. L'administration est encore trop tatillonne, supprimons la double déclaration sur l'engrais minéral, abandonnons l'idée d'une écologie punitive. Qui peut croire que les agriculteurs sont hostiles à l'écologie, alors que la nature est leur bien le plus précieux ?

En Allemagne, le produit d'un méthaniseur représente 20 % des revenus de celui qui l'exploite. Qu'attendons-nous pour lever les obstacles à l'installation de ces équipements dans notre pays ?

Je proposerai la création d'un observatoire de la compétitivité de l'agriculture française. Nous défendrons la transparence sur les prix et les marges : le name, blame and shame est plus efficace que les amendes. L'élimination des distorsions de concurrence facilitera les négociations à Bruxelles et limitera l'inflation des normes. Donnons de l'air à notre agriculture ! Je salue le travail des rapporteurs au fond.

Nous proposerons néanmoins des amendements au texte de la commission, dont je souhaite l'adoption. (Applaudissements sur les bancs de l'UDI-UC)

Prochaine séance aujourd'hui, jeudi 10 avril 2014, à 9 h 30.

La séance est levée à minuit et demi.

Jean-Luc Dealberto

Directeur des comptes rendus analytiques

Ordre du jour du jeudi 10 avril 2014

Séance publique

À 9 h 30

Présidence : M. Jean-Claude Carle, vice-président

Secrétaires : Mme Michelle Demessine - M. François Fortassin

1. Suite du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt (n° 279, 2013-2014)

Rapport de MM. Didier Guillaume et Philippe Leroy, fait au nom de la commission des affaires économiques (n° 386, tomes I et II, 2013-2014)

Texte de la commission (n° 387 rectifié, 2013-2014)

Avis de Mme Brigitte Gonthier-Maurin, fait au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication (n° 344, 2013-2014)

Avis de M. Pierre Camani, fait au nom de la commission du développement durable, des infrastructures, de l'équipement et de l'aménagement du territoire (n° 373, 2013-2014)

À 15 heures

Présidence : M. Jean-Pierre Bel, président du Sénat

2. Questions d'actualité au Gouvernement

À 16 h 15 et le soir

Présidence : M. Charles Guené, vice-président

3. Suite de l'ordre du jour du matin