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Table des matières
Mission d'information (Candidatures)
Mise au point au sujet d'un vote
Débat sur la situation des outre-mer
M. Paul Vergès, pour le groupe CRC
M. Victorin Lurel, ministre des outre-mer
Mission d'information (Nominations)
Mme Françoise Férat, pour le groupe UDI-UC
Organisme extraparlementaire (Candidature)
Organisme extraparlementaire (Nomination)
Lutte contre la contrefaçon (Procédure accélérée - Deuxième lecture)
Mme Nicole Bricq, ministre du commerce extérieur
M. Michel Delebarre, rapporteur de la commission des lois
Ordre du jour du jeudi 27 février 2014
SÉANCE
du mercredi 26 février 2014
79e séance de la session ordinaire 2013-2014
présidence de M. Jean-Pierre Raffarin,vice-président
Secrétaires : M. Marc Daunis, Mme Michelle Demessine.
La séance est ouverte à 14 h 30.
Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.
Mission d'information (Candidatures)
M. le président. - L'ordre du jour appelle la désignation des trente-trois membres de la mission d'information sur la réalité de l'impact sur l'emploi des exonérations de cotisations sociales accordées aux entreprises, créée à l'initiative du groupe communiste, républicain et citoyen.
En application de l'article 8 de notre Règlement, la liste des candidats présentés par les groupes a été affichée. Cette liste sera ratifiée si la présidence ne reçoit pas d'opposition dans le délai d'une heure.
Mise au point au sujet d'un vote
M. Joël Guerriau. - Sur le scrutin n°158 du 25 février dernier, sur l'autorisation de la prolongation de notre intervention en République centrafricaine, notre collègue Vincent Delahaye apparaît comme n'ayant pas pris part au vote alors qu'il souhaitait voter contre.
M. le président. - Dont acte. Cette mise au point sera publiée au Journal officiel et figurera dans l'analyse politique des scrutins.
Débat sur la situation des outre-mer
M. le président. - L'ordre du jour appelle un débat sur la situation des outre-mer.
M. Paul Vergès, pour le groupe CRC . - Merci d'abord au président Bel et à la Conférence des présidents du Sénat d'avoir accédé à notre demande d'organiser un débat sur la situation des outre-mer. La situation, grave et méconnue, doit être portée à la connaissance de la représentation nationale.
Le débat sur le pacte de responsabilité traduit les inquiétudes des Français, des inquiétudes plus vives encore outre-mer, où la crise mondiale aggrave les effets d'une crise structurelle.
Il n'est pas possible de débattre globalement des outre-mer. Leur diversité culturelle, géographique, économique et sociale exige une approche différenciée.
Dans le temps qui m'est imparti, je m'en tiendrai donc à décrire la situation dramatique de La Réunion. S'il y avait plus de 40 % de la population vivant en dessous du seuil de pauvreté, plus de 30 % de la population active au chômage, comme dans notre département, des mesures d'urgence seraient prises en métropole. Je ne nie pas les progrès réalisés, mais des déséquilibres économiques et sociaux demeurent. Le secteur primaire représente 80 % du PIB. Les 20 % les plus riches de la population concentrent 47 % des richesses, les 20 % les plus pauvres s'en partagent 7 %. Sur une population de 830 000 personnes, 343 000 vivent sous le seuil national de pauvreté, 150 000 foyers vivent des minima sociaux, 22 000 à 27 000 ménages attendent un logement.
Et 65 % des agents des communes ne peuvent pas être titularisés, compte tenu du coût des surprimes.
À Pôle emploi, sont inscrits 133 000 chômeurs de catégorie A, 152 100 des catégories A, B, C ; 60 % des jeunes sont privés d'emploi. Une situation hors norme ! C'est le résultat de l'application mécanique d'une même politique depuis 1946, date à laquelle le Gouvernement a décidé d'aligner toute la fonction publique d'État sur le statut colonial. Banques, assurances, sécurité sociale, EDF, télévisions publiques obtiennent dans les années 1950 des surprimes de 30 %, 40 %, 50 % ou 73 % alors que l'égalité sociale a été refusée dans le privé. L'inégalité a été institutionnalisée. La situation s'est aggravée du fait de l'explosion démographique : la population de 150 000 habitants en 1946 passera à un million à l'horizon 2040.
Certes, des lois d'adaptation ont été votées : je pense, en matière économique, aux défiscalisations et allègements de charges prévus par les lois Pons, Perben, Queyranne, Girardin, etc. Cela n'a pas suffi à annuler les effets de l'économie de comptoir colonial : 65 % de nos échanges se font avec des territoires distants de plus de 10 000 kilomètres, nous couvrons nos importations à 6 % seulement. Notre développement n'a pas été suffisamment endogène ; les emplois aidés et autres dispositifs nationaux s'ils ont limité les dégâts sociaux, n'ont fait que retarder l'explosion de la crise structurelle. Si rien ne change, nous irons droit dans le mur, comme on dit. Notre société se délite à cause du chômage de masse.
En 1986, Aimé Césaire, à la tribune de l'Assemblée nationale, disait : « Une société qui ne produit plus et ne travaille plus est un fait historique non un événement conjoncturel ». Une rupture est nécessaire, il faut le répéter inlassablement quand la population passera de 830 000 habitants en 2013 à près d'un million demain, quand 60 % des jeunes n'ont pas d'emploi. L'économie réunionnaise pourra-t-elle absorber les nouvelles classes d'âge alors qu'elle compte déjà 151 000 chômeurs ? Poser la question, c'est déjà y répondre. À moyen terme, l'expiration du dispositif général de l'octroi de mer en juillet 2014, l'application du pacte de responsabilité, la réduction des exonérations de charges spécifiques à l'outre-mer sans parler de la baisse des dotations aux collectivités fragilisent encore notre économie. Le Gouvernement tiendra-t-il compte de notre situation dans l'accord de partenariat entre l'Union européenne et nos pays voisins ? Autre défi : le surendettement de 2 000 des 10 000 PME-TPE qui cumulent une dette globale de 1,2 milliard d'euros.
La Réunion ne manque pas d'atouts, jouons-les maintenant car dans quelques années, l'Inde et la Chine, et plus près de nous, le Mozambique, le Kenya, la Tanzanie connaîtront une forte croissance économique et démographique. La Réunion avec Madagascar, Maurice et les Seychelles, pourrait former un espace francophone de soixante millions de personnes.
C'est une nouvelle frontière pour notre développement, à condition que Madagascar conforte son appartenance à l'espace francophone. Soyons conscients de ces enjeux et créons une université de l'océan Indien qui rassemblera toutes les îles de l'ancien empire colonial. Grâce au brassage des jeunes et au co-développement, La Réunion pourra tirer parti de ses atouts dans les domaines de la santé, de la recherche agricole, de ses richesses maritimes et de la pêche, des énergies renouvelables et de l'adaptation au changement climatique.
À cet égard, la grande conférence sur le climat organisée à Paris en 2015 représente une formidable opportunité. À condition d'élaborer les outils juridiques et fiscaux spécifiques pour un développement stratégique de notre économie. Nous avons des rendez-vous sur l'aide aux entreprises, la réforme de l'octroi de mer, l'acte III de la décentralisation.
Soixante-huit ans après le vote de la loi d'intégration de La Réunion dans la République, dans un environnement mondialisé, la France doit repenser sa relation aux outre-mer. Le moment est venu de jeter les bases d'un nouveau compromis historique qui conciliera notre appartenance à la France et à l'Europe, et notre insertion dans notre environnement géoéconomique.
Comme le disait le premier président de la Ve République, quand il s'agit d'avenir, il faut voir loin, il faut viser haut. (Applaudissements)
M. Pierre Frogier . - J'aurais pu évoquer ce qui va bien en Nouvelle-Calédonie mais je vous parlerai de la radicalisation de la vie politique à l'approche des élections municipales et provinciales.
La Nouvelle-Calédonie est engagée depuis vingt-cinq ans dans un délicat processus de réconciliation. L'année 2014 marque la dernière étape de l'accord de Nouméa : les populations devront choisir leur destin. Ce choix devra se faire dans la sérénité. Or la surenchère à laquelle nous assistons mine le débat démocratique. J'ai tiré la sonnette d'alarme à plusieurs reprises : le durcissement était prévisible. J'ai toujours pensé qu'il ne fallait pas attendre passivement cette année mais prendre des initiatives pour instaurer un climat de confiance et de dialogue. J'avais proposé, dès 2010, la levée des deux drapeaux - mesure symbolique approuvée par une large majorité du congrès. J'ai pris tous les risques au mépris des échéances électorales en suggérant la création de comités de pilotage. À deux mois des élections, les indépendantistes brandissent la menace de radier plus de 6 700 électeurs des listes provinciales. C'est une provocation, qui obéit à une logique d'exclusion : cela reviendrait à geler le corps électoral dans sa composition de 1998, alors que les accords de Nouméa n'avaient fixé qu'une condition de dix ans de présence sur le territoire. Cette réforme ayant été bâclée, il est revenu à la Cour de cassation de se prononcer, dans un arrêt de 2001 sur lequel les indépendantistes se fondent. S'ils obtiennent satisfaction, des électeurs qui ont voté en 2004 et en 2009 seront radiés. C'est absurde, ubuesque ! Vingt-cinq ans après les accords de Matignon, nous voyons éclore des revendications qui vont à l'encontre de la volonté du vivre ensemble, de construire un destin commun en Nouvelle-Calédonie. Face à cela, le Gouvernement se contente d'exhumer un autre arrêt de la Cour de cassation qui contredit celui de 2011. En pure perte ; comme toujours, la solution en Nouvelle-Calédonie est politique avant que d'être juridique.
Aussi ai-je écrit au président de la République et au Premier ministre, les informant qu'au sein des commissions de révision nos représentants s'opposeraient aux radiations et qu'en raison du partage des voix, il reviendrait au représentant de l'État de faire jouer sa voix prépondérante.
M. Philippe Bas. - Très bien !
M. Pierre Frogier. - J'ai déposé une proposition de loi constitutionnelle sur le bureau du Sénat. J'ai également suggéré de réunir le comité des signataires de l'accord de Nouméa, la seule instance au sein de laquelle on aboutisse à un compromis sur les sujets qui fâchent.
L'État en fait partie, ne l'oubliez pas. Si le consensus ne se forme pas, il faudra songer à reporter les élections provinciales. Nous ne pouvons souffrir que ce scrutin soit entaché d'irrégularité.
Enfin, pourquoi cet affront de l'envoi en Nouvelle-Calédonie, c'est-à-dire sur le territoire de la République, d'une mission de l'ONU pour superviser le processus de révision des listes électorales, sinon pour contenter les indépendantistes ? (MM. Christian Cointat et Éric Doligé renchérissent). La Nouvelle-Calédonie est engagée dans un processus exemplaire depuis vingt-cinq ans. L'État doit y jouer tout son rôle. (Applaudissements à droite)
M. Joël Guerriau . - Je me réjouis que Mayotte soit reconnue comme région ultrapériphérique. Soyons vigilants sur l'application aux outre-mer du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. Leur situation appelle une attention particulière.
Premier point, la fiscalité. Quand l'État recherche 53 milliards d'économies, ne réduisons pas les niches fiscales pour l'outre-mer : le rapport de MM. Serge Larcher et Éric Doligé montre leur utilité, ne les modifions pas brutalement. Monsieur le ministre, pouvez-vous nous rassurer sur les intentions de Bercy ? Avez-vous une idée de votre lettre de cadrage budgétaire ? La réforme fiscale annoncée par le Premier ministre comportera-t-elle un volet pour l'outre-mer ?
Deuxième point : la vie chère. Monsieur le ministre vous avez pris des arrêtés sur le prix des carburants qui améliorent la transparence sur la formation des prix et l'encadrement des marges des pétroliers. Il ne faut pas méconnaître le parti que nous pourrions tirer de l'installation d'hydroliennes. Les frais bancaires élevés demeurent problématiques, ils ont tout de même baissé en Nouvelle-Calédonie.
Troisièmement, le développement économique. Le pacte de responsabilité devrait comporter un volet dédié à l'outre-mer, compte-tenu de ses spécificités. Le développement économique suppose d'investir dans les grands équipements. Monsieur le ministre, que pouvez-vous nous dire sur l'équipement en 4G ?
Dans son rapport rendu le 11 février, la Cour des comptes pointe les défaillances du tourisme...
M. Christian Bourquin. - Méfions-nous de la Cour des comptes ! Elle veut nous dicter sa politique !
M. Joël Guerriau. - ... qu'il faut développer pour faire face à la concurrence des îles tropicales environnantes. L'outre-mer ne manque pas d'atouts : La Réunion pourrait devenir le laboratoire de la transition écologique.
Dernière question, quelle place pour l'outre-mer dans la réforme du code minier ?
Beaucoup d'interrogations, monsieur le ministre, qui témoignent de l'intérêt du groupe UDI-UC pour l'outre-mer. (Applaudissements à droite, sur les bancs UMP et quelques bancs socialistes)
Mme Éliane Assassi . - Je me réjouis de l'organisation de ce débat à l'initiative de mon collègue et ami Paul Vergès. De crise en crise, les ultramarins se sentent ignorés de la métropole et des parlementaires. Je le rappelle : ils sont des citoyens français. S'il fallait leur trouver un dénominateur commun, c'est celui d'appartenir à des sociétés frappées par un chômage de masse.
De là, le sentiment de désespérance. Une récente étude du Collectif des états généraux pour l'outre-mer montre l'angoisse des populations devant l'accroissement et la multiplication des difficultés. Comme sur l'ensemble du territoire national ? Non, car les handicaps des sociétés d'outre-mer sont nombreux.
M. Philippe Bas. - Un peu de respect !
Mme Éliane Assassi. - Cela dit, j'apprécie la détermination du Gouvernement à lutter contre la vie chère : reconduction du Fonds exceptionnel d'investissement (FEI), non-augmentation de la TVA, préservation voire hausse des crédits pour le logement, la jeunesse et l'emploi et des défiscalisations - à l'égard de certaines desquelles je suis, du reste, critique...
M. Jean-Jacques Hyest. - Ah ça oui !
Mme Éliane Assassi. - Pourtant, un budget ne garantit pas une politique.
M. Philippe Bas. - C'est certain !
M. Jean-Claude Lenoir. - Nous le vérifions tous les jours !
Mme Éliane Assassi. - Monsieur le ministre, vous annoncez une « petite révolution » dans un prochain projet de loi. Je crains qu'il ne s'agisse d'une simple déclinaison du pacte de responsabilité... Auquel cas on peut en redouter les effets sur la situation économique et sociale outre-mer. Pourquoi vous êtes-vous engagé à remettre à plat l'ensemble des aides fiscales actuelles ?
La pression migratoire à Mayotte est extrêmement forte, le contrôle des frontières difficile. L'état du centre de rétention administrative, je le sais pour l'avoir visité, est scandaleux. Je compte beaucoup sur la normalisation des relations avec les Comores.
Enfin, il est peut-être temps de changer de modèle économique et de faire évoluer les statuts vers davantage d'autonomie... cette question mérite un grand débat. N'est-ce pas la meilleure réponse à cette insulte à l'avenir qu'est le chômage de masse de la jeunesse ? (Applaudissements sur les bancs CRC)
M. Jean-Étienne Antoinette . - Je me concentrerai sur la situation sanitaire grave des départements français d'Amérique où une nouvelle épidémie de chikungunya sévit : 350 cas à Saint-Barthélemy, 1 380 en Guadeloupe, plus de 1 800 à Saint-Martin dont un décès, 3 034 en Martinique et 14 en Guyane.
Cette épidémie rappelle la catastrophe d'il y a huit ans : plus de 240 000 personnes avaient été touchées, soit un tiers de la population, 203 étaient décédées. Il faut empêcher la maladie de s'étendre.
Le gouvernement précédent avait tardé à réagir. Prenez vos responsabilités, monsieur le ministre, car le chikungunya, loin d'être bénin, est susceptible de récidive et peut laisser des séquelles. Les ARS font surtout appel aux collectivités territoriales pour lutter contre la propagation, mais elles sont incapables de faire face. C'est vis-à-vis de l'Amérique du Sud entière que la France est responsable : notre pays ne doit pas devenir la porte d'entrée de la maladie sur ce continent.
Lutte contre la transmission du virus, amélioration de la prise en charge médicale et recherche sont les trois axes à privilégier. Le premier est le plus urgent. Informons la population et ciblons des zones de contamination. Mais comment faire entendre à une famille pauvre qu'elle doit s'équiper de moustiquaires imprégnées de répulsifs efficaces ? Il faut distribuer ces produits. L'élimination des gîtes larvaires est également indispensable ; il faut pour cela obtenir une dérogation de l'Union européenne - les pesticides autorisés ne sont pas suffisamment puissants. Le ramassage des déchets et des réceptacles artificiels est aussi une nécessité. Pour combattre la dengue, on avait débloqué plusieurs centaines de milliers d'euros pour détruire 2 000 véhicules abandonnés ; un plan identique doit être lancé dans les Antilles et en Guyane.
À la mi-2005, seuls 100 000 euros avaient été débloqués à La Réunion. Il a fallu attendre février 2006 pour que le Premier ministre de l'époque annonce un vaste plan pour combattre le chikungunya à La Réunion : 60 millions d'euros d'aides économiques, 22 millions d'euros pour la réponse sanitaire, 9 millions pour la recherche et 300 000 euros de traitements anti-moustiques gratuits. Selon l'université Pierre et Marie-Curie, cette réponse tardive a coûté entre 44 et 63 millions d'euros. Une épidémie aux Antilles et en Guyane aurait des effets dévastateurs pour les populations comme pour l'économie.
La lutte contre les vecteurs ne suffit pas. Il faut aussi adapter l'offre de soins et augmenter par anticipation le personnel.
Des fonds spéciaux doivent être débloqués. J'ai toute confiance en vous, monsieur le ministre. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. Jean-Claude Requier . - Malgré les 6 000 km qui séparent ma ville de Fort-de-France et les 15 000 km qui la séparent de Papeete, la situation n'y est pas si différente : éloignement, disparition des services publics, fracture territoriale... Voilà pourquoi je plaide pour l'intercompréhension entre ultramarins et métropolitains, de sorte qu'aucun territoire de la République ne soit exclu du développement économique, de la croissance et de l'emploi.
À Cayenne en décembre, le président de la République a souligné que la sécurité est un préalable au développement. Or la Guyane est confrontée à la délinquance liée à l'orpaillage et à la pêche illégale, et la situation n'est guère meilleure dans les autres outre-mer. La campagne « déposez les armes » se poursuit en Martinique. Les renforts promis fin 2013 sont-ils arrivés ?
Autre sujet d'actualité, le blocage récent des stations-services nous rappelle le problème de la vie chère outre-mer. La loi de régulation que vous avez fait voter, monsieur le ministre, produit déjà certains de ses effets. En outre, les députés ont adopté un amendement au projet de loi Pinel pour limiter les blocages des stations outre-mer. Reste que la situation économique et sociale est préoccupante. Le chômage est considérablement plus élevé qu'en métropole : 28 % à La Réunion, 22,5 % en Guadeloupe et en Polynésie française, 21 % en Martinique en 2012. Il a crû de 10 % en Guyane entre décembre 2012 et décembre 2013, à un rythme moins élevé à La Réunion et aux Antilles.
Le Gouvernement s'attache à redresser le pays, à favoriser la compétitivité et l'emploi. Faudra-t-il compléter cet arsenal par des mesures propres à l'outre-mer ? Quid de la régionalisation de l'emploi ?
La Cour des comptes vient de dresser un constat sévère du tourisme outre-mer, estimant que les forts potentiels étaient trop peu ou inefficacement exploités. Mme Pinel revoit la stratégie touristique de la France : c'est l'occasion de rectifier le tir.
Les outre-mer ont également de grands atouts dans le domaine du solaire, de l'éolien, de la biomasse. Énergies renouvelables et transition énergétique seront des secteurs de pointe et de croissance. Monsieur le ministre, vous préparez un projet de loi sur le développement économique de l'outre-mer ; pouvez-vous nous en dire plus ? Vous qui insistez sur la stratégie de filières, quels sont selon vous les filières clés pour la compétitivité ultramarine de demain ? Mettons fin au sentiment d'abandon des ultramarins comme des ruraux et des hyperruraux. (Mme Karine Claireaux applaudit)
Mme Aline Archimbaud . - Merci, monsieur le ministre, d'avoir tenu tête au lobby pétrolier outre-mer. Ce chantage à l'emploi était inacceptable. Les décrets sur les prix de carburants ont été publiés ; 23 millions d'euros seront rendus aux consommateurs d'outre-mer.
Autre lobby : l'industrie chimique. Les Antilles consomment trois fois plus de pesticides que la métropole. Aux termes de la loi Grenelle II, l'épandage aérien doit être exceptionnel ; l'exception est pourtant la règle outre-mer, les dérogations se multiplient. L'expérience de la Guadeloupe prouve que les bananiers se portent bien sans pesticides pourvu qu'on embauche du personnel pour l'effeuillage manuel. Pourquoi d'ailleurs ne pas diversifier l'agriculture locale ? L'avocatier n'a pas besoin de pesticides et résiste aux cyclones. Là encore, les arguments des lobbies sont fallacieux : l'agriculture non chimique génère plus d'emplois. Et l'emploi des pesticides met en danger la pêche et l'aquaculture. Il n'est pas raisonnable d'opposer développement économique et santé alors que des solutions existent. Plus de 1 200 médecins, dont des médecins ultramarins, réclament l'interdiction des pesticides non répertoriés en agriculture biologique et des perturbateurs endocriniens.
Le projet de loi-cadre sur la biodiversité soumet la recherche sur les espèces sauvages à l'autorisation de l'État ou des régions. Or toutes les espèces locales en outre-mer sont considérées comme sauvages. Le risque est de voir cet or vert accaparé par les grands laboratoires. Je vous appelle à être vigilant, monsieur le ministre. (Applaudissements à gauche)
M. Robert Laufoaulu . - Merci à Paul Vergès de donner aux élus ultramarins l'occasion d'exprimer les attentes et les espoirs de leurs mandants. Les outre-mer ont leurs spécificités que la France respecte ; leurs faiblesses que la France s'efforce de combler. Il y a vingt ans, nous rêvions d'un développement fulgurant fondé sur la pêche et le tourisme. Hélas, la crise a surgi. Comment être compétitif face à des pays voisins à la main-d'oeuvre moins chère ?
Wallis et Futuna est entrée dans une phase de décroissance démographique. La vie y est très chère, tandis que 10 % seulement de la population est rémunérée. Je plaidais naguère pour une stratégie de développement, notion qui me paraît plus que jamais d'actualité.
Les visites des plus hautes autorités françaises en Océanie montrent que la France prend conscience du tournant géopolitique en cours. Mais l'absence de représentation de la France au niveau ministériel lors du Forum du Pacifique avait été remarquée ; les États-Unis, eux, avaient envoyé la secrétaire d'État, Mme Clinton. Pourquoi ne pas ressusciter les sommets France-Océanie du temps du président Chirac ! (M. Philippe Bas approuve)
M. Bruno Sido. - C'était le bon temps.
M. Robert Laufoaulu. - Nous sommes à 800 km de Fidji et à 1 000 km de Tonga. Pourtant, nos liens sont forts et anciens. L'un des principaux ministres de Tonga est ainsi de ma famille. Intégration ou coopération ? Des projets communs peuvent en tout cas être lancés, dans le domaine des transports par exemple, afin de relancer le tourisme de circuit. Ils ne pourront être menés à bien sans l'implication des élus. La participation de Wallis et Futuna au Forum au même titre que la Nouvelle-Calédonie ou la Polynésie française serait utile. Nous regrettons le temps du président Chirac...
M. Joël Guerriau. - Encore lui !
M. Philippe Bas. - Toujours lui !
M. Robert Laufoaulu. - J'ajoute que le fait que le préfet soit le chef de l'exécutif est mal ressenti par nos voisins, qui y voient un relent de colonialisme...
Vous vous battez courageusement, monsieur le ministre, pour que l'État demeure présent outre-mer. Grâce à votre volontarisme et à votre enthousiasme, nous ne sommes pas laissés de côté.
M. Joël Guerriau. - Un ministre chiraquien !
M. Robert Laufoaulu. - Mais n'oublions pas que l'outre-mer contribue, lui aussi, à l'effort budgétaire national...
Il faut relancer le registre de Mata-Utu, composante du pavillon français, et autoriser sur les navires qui seraient ainsi immatriculés la présence de casinos embarqués. Nous avons besoin de votre soutien, monsieur le ministre, face à votre collègue de l'intérieur, pour modifier les règles.
L'exploration des fonds sous-marins est prometteuse. Mais les élus sont trop peu associés aux négociations en cours comme à la réforme du code minier. Rien ne saurait se faire dans le dos de la population. Nous devons être les premiers bénéficiaires de l'exploitation de nos fonds marins.
M. Frogier a eu raison d'alerter sur la passe difficile que traverse la Nouvelle-Calédonie. Notre dette à l'égard de celle-ci dans le domaine de la santé empoisonne nos relations : l'État doit intervenir et la compenser.
Il faut lutter contre la vie chère : comment peut-on avoir l'électricité la plus chère du monde dans nos territoires où moins de 10 % de la population a un emploi rémunéré ? Où en est l'application de la loi de régulation de l'économie outre-mer à Wallis et Futuna ?
Sur l'avenir de la défiscalisation, je souscris aux propos de Mme Girardin. Il faut trouver un dispositif pour soutenir les énergies renouvelables.
M. le président. - Cher collègue, vous avez largement épuisé votre temps de parole.
M. Éric Doligé. - M. Chirac vous aurait certainement autorisé à terminer votre intervention. (Sourires)
M. Robert Laufoaulu. - Je chuchoterai ma conclusion à l'oreille du ministre. (Sourires et applaudissements)
Mme Karine Claireaux . - Le débat témoigne de l'intérêt que le Sénat porte à l'outre-mer. Vous-même, monsieur le ministre, avez pu mesurer à Saint-Pierre-et-Miquelon, à peine huit mois après votre entrée en fonction, les difficultés auxquelles nous faisons face. Il nous faut garder espoir, rester mobilisés, inventifs et solidaires.
La pêche doit redevenir une activité porteuse. La transformation des produits serait source de valeur ajoutée. Si nous ne retrouverons jamais l'activité d'autrefois, il y a assez de poisson pour nous faire vivre !
L'extension du plateau continental est indispensable pour le développement de l'archipel comme pour la place de la France. Je sais la détermination du Gouvernement dans ce dossier.
Mon archipel peut être la porte d'entrée de l'Europe en Amérique du Nord. Le projet « Grands ports » ouvre bien des perspectives de développement. Nos ports doivent être modernisés, tant pour la pêche que pour la plaisance.
Hélas, l'accord commercial Union européenne-Canada nous sera préjudiciable, qui ne tient pas compte de nos intérêts. Nous avons de nombreux atouts naturels et historiques, mais il est impossible de développer le tourisme quand le prix des billets d'avion reste prohibitif ; le trajet par bateau depuis Terre-Neuve est, lui, aléatoire...
L'État nous aide beaucoup ; une dotation du FEI permettra ainsi à la ville de Saint-Pierre de sécuriser son approvisionnement en eau potable.
Les Saint-Pierrais-et-Miquelonnais doivent aujourd'hui appréhender leurs spécificités non comme des handicaps mais comme une richesse. Je crois au soutien sans faille de ce Gouvernement de gauche pour nous accompagner, afin que tous nos jeunes deviennent des hommes et des femmes libres, capables de construire l'avenir de l'archipel. (Applaudissements à gauche)
M. Christian Cointat . - Comme Verlaine, « je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant » d'une outre-mer aux mille visages « que j'aime, et qui m'aime / Et qui n'est, chaque fois, ni tout à fait la même / Ni tout à fait une autre, et m'aime et me comprend... » (On apprécie sur de nombreux bancs) Oui, je rêve d'une outre-mer qui ne soit plus la cinquième roue du carrosse France mais une terre multiple d'innovation, de dynamisme et d'audace.
Il est temps d'ouvrir les yeux sur les évolutions géostratégiques en cours. Les centres de la planète se déplacent vers l'Asie et le Pacifique. La présence de la France sur tous les continents lui offre d'immenses atouts, sans compter l'influence exercée par les Français de l'étranger. Nous connaissons les contraintes budgétaires, mais les enjeux sont de taille, l'avenir n'attend pas.
Commet disait Churchill, toute vérité trouve son chemin. Oui, l'outre-mer peut être le moteur au lieu d'être la remorque ! Commençons par transformer le rêve en vision collective. Ainsi, si la Nouvelle-Calédonie reste française, pourquoi ne porterait-elle pas avec la Polynésie les intérêts de la France dans cette région du monde ? (M. Pierre Frogier applaudit) Les indépendantistes calédoniens veulent radier 7 000 personnes des listes électorales ; le sort promis au Haut-Commissaire, grand commis de l'État, nous inquiète aussi.
La Guyane, voisine d'un Brésil en plein développement, doit aussi être soutenue. Si le ministère des outre-mer pouvait réunir toutes les ressources de l'État dédiées à ces territoires, cela serait un motif d'espoir !
Une politique bien comprise pour l'outre-mer n'est ni de gauche ni de droite. Les ultramarins ont toute leur place au coeur de la nation ; le moment venu, ils nous feront à leur tour bénéficier de leurs immenses atouts et de leur proximité des centres névralgiques de demain.
« L'avenir n'est pas ce qui va arriver, mais ce que nous allons faire » disait Bergson. Franchissons enfin le périphérique parisien ! Faisons vivre pleinement ces beaux coins de France, aussi loin qu'ils soient ! (Applaudissements sur de nombreux bancs)
M. Georges Patient . - Pauvreté, chômage, insalubrité, insécurité : le constat est le même dans la plupart des outre-mer. Le moment n'est-il pas venu de déclarer le mode de développement actuel en faillite, de mettre l'accent sur les spécificités de tous nos territoires ? Trop souvent, l'économie guyanaise est assimilée aux économies insulaires. Les différences sont pourtant nombreuses. Trop de ressources restent mal exploitées. La croissance rapide de la population, sa diversité, la distinguent. Comment plaquer sur la Guyane un modèle conçu pour des territoires autrefois surexploités, et où il est devenu indispensable de préserver certains espaces ?
Il n'est pas question de mettre en cause notre statut, mais sur le plan économique, la Guyane doit pouvoir se distinguer, faute de quoi elle restera le mauvais élève de la République. C'est tout le sens du pacte pour l'avenir du territoire annoncé par le président de la République.
S'agissant de l'approvisionnement en carburant par la voie routière, la fin du dispositif actuel peut être envisagée ; le Surinam aura d'ici la fin de l'année du carburant à la norme Euro 5. Le bouclier qualité-prix doit être revu, car les consommateurs n'ont pas les moyens de vérifier l'évolution des prix produit par produit. Enfin, vous avez semblé indiquer la semaine dernière à l'Assemblée nationale que l'octroi de mer ne serait prorogé que de quelques mois. Nous attendons des précisions car cette taxe est d'une grande importance pour notre territoire.
M. Serge Larcher . - À l'heure où une timide embellie se dessine sur le continent européen, les voyants sont au rouge en outre-mer, en dépit des efforts budgétaires qui lui sont consacrés et des mesures prises pour lutter contre la vie chère. Qu'en est-il, monsieur le ministre, de l'évolution des prix en 2013 ? Des avancées ont été obtenues à Bruxelles sur la pêche et la fiscalité du rhum traditionnel, dossiers que notre Délégation avait abordé dans des propositions de résolution.
Malgré ces efforts réels, la situation socio-économique reste plus que préoccupante et les défis sont de plus en plus difficiles à relever dans cette période charnière. Faible diversification de la production, forte dépendance aux approvisionnements extérieurs et importance des surcoûts, vulnérabilité climatique, prédominance des TPE, forts différentiels de compétitivité avec nos voisins : toutes ces caractéristiques de nos économies nous créent des difficultés structurelles qu'aggrave l'explosion démographique. En Guyane, il faudrait construire 160 000 logements d'ici 2040, ce qui suppose un rythme annuel de 5 000. On en a construit seulement 3 320 entre 2009 et 2012. La sanctuarisation de la ligne budgétaire unique ne doit pas nous empêcher d'étudier d'autres dispositifs que la défiscalisation ; ce pourrait être un PTZ, comme l'a proposé notre Délégation sénatoriale à l'outre-mer.
Autre source de difficultés, la Commission européenne persiste à imposer une interprétation restrictive du traité de Lisbonne pour les outre-mer. La politique commerciale de l'Union européenne constitue une menace permanente pour nos productions locales : banane, rhum, sucre, pêche. Les dispositifs de compensation ne suffiront pas à sauvegarder ces filières si l'on ne commence pas par faire en sorte d'atténuer les effets dévastateurs du différentiel de compétitivité avec des producteurs qui ne sont pas soumis aux mêmes normes sociales, sanitaires et environnementales. Où en est l'expertise annoncée, concernant la suppression des quotas sucriers en 2017 ?
Nos difficultés peuvent encore être accrues par les évolutions institutionnelles en préparation. Je pense à la mise en oeuvre concrète de la fusion département-région en Martinique et en Guyane, au calendrier institutionnel néo-calédonien, aux évolutions induites à Mayotte par le statut de département et celui de région ultrapériphérique.
La manière dont la Cour des comptes fustige la défiscalisation dans notre secteur touristique, fournit un nouvel exemple de cécité comptable. Comment passer sous silence la question du différentiel de compétitivité avec les pays voisins ? Et celle de savoir comment nos hôtels pourraient apurer leurs dettes ?
Gare à nos TPE lors de la réforme de l'octroi de mer !
Les potentiels ultramarins, notamment dans le domaine de l'économie maritime et de la biodiversité, sont remarquables et nos territoires sont souvent pionniers. Mais on en restera aux belles paroles tant que n'aura pas été relevé le niveau de la formation. Et puis, condition sine qua non pour le développement de nos territoires, davantage de stabilité ! (Applaudissements)
M. Victorin Lurel, ministre des outre-mer . - Je ne pourrai endosser la mission que m'a confiée M. Cointat : passer du rêve à la réalité. Transformer le réel revient aux populations de l'outre-mer. Merci d'abord au groupe CRC et singulièrement à M. Vergès d'avoir inscrit ce débat à l'ordre du jour du Sénat.
Ce quinquennat est marqué par le retour de l'État en outre-mer. Dès notre arrivée au pouvoir, nous avons porté une vision structurante, stratégique pour l'outre-mer, qui s'est traduite par la loi sur la régulation : lutter contre la rente, favoriser la concurrence et la transparence pour plus de pouvoir d'achat et d'emploi. Aux crédits d'intervention du ministère s'ajoute une défiscalisation maintenue et mieux encadrée, et l'expérimentation d'un crédit d'impôt potentiellement plus efficace. M. Vergès a raison : les questions financières sont importantes, ce ne sont pourtant que des outils qu'il faut mieux articuler pour mettre en oeuvre une politique globale. C'est l'ambition que je porte avec le plan d'action pour la croissance, le développement et l'emploi.
Non, madame Assassi, la remise à plat ne signifie pas que tous les dispositifs actuels seront remis en cause. Oui, cette politique commence à porter ses fruits : la courbe du chômage des jeunes commence à s'inverser dans nos territoires, sauf en Guyane.
Mme Éliane Assassi. - C'est une plaisanterie !
M. Victorin Lurel, ministre. - Non pas. La situation de nos entreprises s'améliore. Fin 2013, le taux d'impayés a baissé de 3,8 % en outre-mer, soit une dette sociale en baisse de 142 millions d'euros. Ce n'est pas rien. Enfin, l'indice du climat des affaires est meilleur au quatrième trimestre 2013. Dans la sinistrose actuelle, nous devons nous en réjouir. Bien sûr, beaucoup reste à faire. C'est tout l'objet du pacte de responsabilité. Le chômage massif, principal symptôme de la crise, témoigne de l'échec de la politique du précédent gouvernement - osons l'affirmer.
Après la régulation et le déploiement de la Banque publique d'investissement en outre-mer, il faut aller plus loin. C'est pourquoi je réfléchis depuis plusieurs mois à un projet de loi de croissance, de développement et d'emploi. Monsieur Vergès, il ne vous sera pas imposé depuis Paris. J'ai engagé la concertation avec les entrepreneurs ; j'ai reçu le 10 décembre dernier les sénateurs et les députés en janvier. Vous connaissez les grandes lignes du pacte de responsabilité, tout l'enjeu est de définir une déclinaison utile pour l'outre-mer. Le 23 janvier, le président de la République a rappelé que la baisse des charges était déjà effective outre-mer, et s'est dit prêt à adapter le pacte à ces territoires. À nous d'investir cet espace. Faisons mentir Paul Valéry ; toutes les idées simples ne sont pas des idées fausses. Précisons-le d'emblée : nous devrons faire des choix en raison de notre situation budgétaire. Il ne s'agit ni de raboter ni de faire table rase mais de rendre plus efficaces nos moyens qui sont, d'ailleurs, en hausse pour ce qui est des programmes opérationnels européens en 2014-2020. Les fonds structurels, Feder et FSE, des régions d'outre-mer augmenteront de 23 % par rapport à 2007-2013 ; le Feader augmentera, lui, de 31 % et La Réunion bénéficiera de 45 % de cette enveloppe.
Faut-il aller vers des évolutions radicales telles que la sortie des régions ultrapériphériques (RUP) ? Non, faisons avec les contraintes du droit commun. Un gouvernement de gauche ne reviendra jamais sur l'acquis des surrémunérations.
M. Éric Doligé. - Il ne faut jamais dire jamais !
M. Victorin Lurel, ministre. - Le président de la République lui-même l'a exclu. La consommation est un moteur de la croissance, l'étude ancienne de Bernard Mendès France le montrait. Car, monsieur Vergès, depuis 1946, nous menons une politique de la demande outre-mer - sans doute faut-il aussi relancer l'offre. Rien ne sera imposé depuis Paris.
Faisons la chasse aux idées parfois véhiculées par la presse : La Réunion n'est pas moins bien traitée. Cette polémique est blessante quand on met en cause mon impartialité. La Réunion a obtenu 5 000 emplois d'avenir, contre 1 500 en Guadeloupe et Martinique ; malheureusement, elle n'en a utilisé que 3 000.
Non, je n'ai pas déclaré la mort de la canne à sucre. Nous devons penser l'avenir après la disparition des quotas sucriers.
Mme Éliane Assassi. - N'en faites pas une question personnelle !
M. Victorin Lurel, ministre. - Nous avons tout à gagner à augmenter la compétitivité prix et hors prix de la filière.
Nous avons activé le Posei, pour objectiver les situations et identifier les besoins. Les conclusions, bientôt connues, guideront nos travaux pour encourager la chimie verte de cette plante miraculeuse qu'est la canne à sucre.
Le régime fiscal du rhum sera maintenu : le Conseil européen a rendu sa décision il y a quelques jours. Nous envisageons que les sucres bruts soient considérés comme des produits sensibles dans les accords commerciaux.
La fin de l'OCM sucre est connue depuis longtemps.
J'ai entendu que les aides à l'industrie sucrière bénéficieraient davantage aux Antilles qu'à La Réunion. À cela, je réponds que l'État n'est pas responsable de la fixation du prix de la canne. Toutes les aides sont fixées dans les conventions-cadres signées par chaque département. À la Martinique, le prix d'achat est de 80,44 euros par tonne ; à La Réunion, 85 euros par tonne. Foin des polémiques : comme pour le rhum, nous ne gagnerons qu'unis.
L'exposition « Les outre-mer, territoires d'excellence » au ministère met l'accent sur les produits innovants et méconnus dans les filières de la cosmétique, des biotechnologies, de la cartographie, des fibres végétales... Mais nos marchés restent trop étroits. L'insertion dans l'espace régional exige prudence. Se lancer à la conquête du marché caribéen est bien ; ce serait mieux si nous créions auparavant un marché unique antillais, voire antillais-guyanais. De même, La Réunion doit commercer avec Mayotte avant de se lancer à l'assaut de l'océan Indien. Ensuite, on pourra envisager de passer à la grande exportation.
Les économies d'outre-mer sont souvent des « morceaux » - terme que nous n'aimions guère, plus jeunes. Le rétrécissement du monde qu'opère le numérique est, pour nous, une opportunité.
J'espère que, lors de la réunion du comité du plan « France Très haut débit », nos propositions aboutiront. L'Arcep a lancé des appels à projets pour la couverture en 4G ; en ce domaine aussi, nous avançons.
Autre secteur, les énergies renouvelables. Les outre-mer ne bénéficient pas du nucléaire métropolitain ; en revanche, la biodiversité est une richesse à exploiter. La transition énergétique, le président de la République l'a dit, est une formidable opportunité pour l'outre-mer...
M. Jean Desessard. - Très bien !
M. Victorin Lurel, ministre. - ... y compris pour les retombées touristiques. Après la concertation, et je salue la contribution du réseau « Pure Avenir », M. Philippe Martin proposera un projet de loi global sur la transition, qui comportera treize articles dédiés à l'outre-mer, entre autres, la rénovation du bâti, le développement du photovoltaïque en autoconsommation, la création d'une redevance communale en géothermie, l'obligation d'installer des bornes pour les véhicules électriques. Je suis persuadé que le Sénat aura à coeur de soutenir et d'enrichir ce texte.
M. le président. - Je vous prie de bien vouloir vous hâter : l'heure est venue pour le débat avec Mme Pellerin.
M. Victorin Lurel, ministre. - Je ne pourrai donc répondre précisément à chacun. Du moins je souhaite entrer dans les détails à propos de la consultation en Nouvelle-Calédonie, car l'affaire est délicate.
Monsieur Frogier, l'État joue un rôle essentiel dans l'accord de Nouméa de 1998. Il est un partenaire à part entière, neutre mais non inerte ; le Premier ministre l'a dit devant le congrès, je l'ai affirmé à plusieurs reprises. L'année 2014 sera déterminante avec l'organisation des élections. La consultation prévue pour l'accès à la pleine indépendance de la Nouvelle-Calédonie sera organisée au plus tard en 2018, comme cela est prévu dans l'accord. La révision des listes électorales ? Aux garanties de droit commun s'ajoutent celles que vous offre la loi organique du 19 mars 1999 aux articles 188 et 189. Le Gouvernement fera tout pour que les élections se déroulent dans des conditions dont personne ne pourra douter. Une demande de radiation des électeurs est une pratique courante, le Gouvernement ne peut pas préjuger son bien-fondé. Aucune automaticité en la matière : la commission tranchera et sa décision sera susceptible d'un recours gracieux et d'un recours contentieux. La Cour de cassation aura le dernier mot, car la liberté de voter est une liberté fondamentale. L'accord de Nouméa sera strictement appliqué, comme une Constitution.
La définition du corps électoral restreint, soyez-en sûr, sera elle aussi strictement conforme à l'intention des signataires de l'accord de Nouméa. Le Gouvernement ne voit aucun inconvénient à la mission de travail du comité spécial pour les décolonisations de l'ONU ; il ne s'agit pas d'une mission de surveillance et encore moins de supervision. Je le dis avec solennité : non, Paris pas plus que New York ne soupçonne ceux qui travaillent à la révision des listes en Nouvelle-Calédonie. Votre proposition de loi constitutionnelle ? Elle ne pourra pas prospérer pour des raisons d'arithmétique institutionnelle : pesons chacun de nos mots avant d'engager toute action.
Pour conclure, j'ai entendu vos interpellations sur la vie chère. Nous lutterons pour la croissance et l'emploi, contre les lobbies. Nous avons prélevé 25 millions d'euros, 23 millions aux Caraïbes et 2 millions à Mayotte. C'est l'article premier de la loi de régulation économique pour l'outre-mer. Nous avons bien changé de paradigme, aidez-nous à porter notre ambition qui rejoint celle de M. Cointat. (Applaudissements)
Mission d'information (Nominations)
M. le président. - Je rappelle que les groupes ont présenté une liste de candidats pour la mission d'information sur la réalité de l'impact sur l'emploi des exonérations de cotisations sociales accordées aux entreprises.
La présidence n'ayant reçu aucune opposition, je proclame : M. Gilbert Barbier, Mme Patricia Bordas, MM. Martial Bourquin, Jean-Pierre Caffet, Mme Caroline Cayeux, MM. Jacques Chiron, Serge Dassault, Yves Daudigny, Marc Daunis, Mme Michelle Demessine, MM. Jean Desessard, Philippe Dominati, Daniel Dubois, Mmes Anne Emery-Dumas, Frédérique Espagnac, M. Gaston Flosse, Mme Colette Giudicelli, MM. Francis Grignon, Charles Guené, Jean-François Husson, Mme Chantal Jouanno, M. Dominique de Legge, Mme Marie-Noëlle Lienemann, MM. Gérard Longuet, Roland du Luart, Didier Marie, Jean-Jacques Mirassou, Aymeri de Montesquiou, Jackie Pierre, Jean-Pierre Plancade, Hervé Poher, Charles Revet, Dominique Watrin, membres de la mission d'information sur la réalité de l'impact sur l'emploi des exonérations de cotisations sociales accordées aux entreprises.
présidence de M. Jean-Claude Carle,vice-président
Débat sur l'épargne populaire
M. le président. - L'ordre du jour appelle un débat sur l'épargne populaire, à la demande du groupe UDI-UC.
Mme Françoise Férat, pour le groupe UDI-UC . - Par l'expression « épargne populaire », on entend soit l'épargne réglementée, soit l'épargne en général. Nous nous concentrerons sur la première.
En France, nous épargnons en moyenne de 15 % à 16 % de nos revenus, cela représente plus de 4 262 milliards d'euros, un des chiffres les plus importants au monde. Il y a les titres financiers, l'assurance-vie et les dépôts bancaires, mais il y a aussi l'épargne populaire, réglementée, qui absorbe 415 milliards d'euros, soit plus que la dépense de l'État, l'équivalent de cinq années de déficit public !
Avec plus de 95 millions de livrets d'épargne ouverts, tous les Français sont concernés.
Par l'intermédiaire de la Caisse des dépôts et consignations l'épargne réglementée corrige les imperfections du marché et oriente notamment des fonds vers le logement social.
Depuis six ans, des réformes successives ont ouvert le Livret A à l'ensemble des banques, puis doublé son plafond. Il est temps de faire le point.
En 2008, il y avait 50 millions de Livret A ; en 2013, plus de 64 millions. Au 1er janvier 2008, le paysage restait déterminé par une idée simple : des livrets d'épargne grâce auxquels les plus modestes peuvent épargner et tous les Français constituer une réserve de précaution parfaitement liquide. L'encours total était de 140 milliards d'euros, soit 4 % de l'épargne totale des Français.
Le rapport Camdessus, en 2007, laissait pourtant présager une rupture dans le financement du logement social à l'horizon 2012. La loi de modernisation de l'économie (LME) a rendu toutes les banques compétentes : l'augmentation du nombre de livrets qui en a résulté l'a évitée.
Le doublement du plafond en 2012 a dopé la collecte. En moins de six ans, le Livret A a gagné 14 millions de titulaires, pour arriver à 266 milliards d'euros d'encours.
Le Livret de développement durable (LDD) compte, lui, 25 millions de livrets pour 101 milliards d'encours. Il faut se féliciter de ces résultats.
Deux défis sont à relever.
La lisibilité, d'abord : il faut préciser les objectifs de l'épargne populaire. La Caisse des dépôts et consignations servit d'abord à éponger la dette des guerres napoléoniennes ; elle sert désormais à préparer l'avenir. Mais l'inégale répartition des livrets sur le territoire et parmi les ménages montre qu'il y a des progrès à faire en termes d'information et d'accessibilité bancaire.
L'épargne populaire reste le reflet des inégalités. « Enrichissez-vous par le travail et par l'épargne » : le slogan reste d'actualité.
En 2013, 20,7 milliards d'euros de prêts nouveaux sur fonds d'épargne ont été consentis pour financer des projets d'avenir et la construction du logement social, contre moins de 5 millions d'euros par an au début des années 2000. Les élus locaux en connaissent la nécessité alors que les dotations aux collectivités territoriales diminuent.
Je m'interroge néanmoins. Une masse de 170 milliards d'euros collectée par les banques au titre de l'épargne populaire ne transite pas par le mécanisme de transformation de la Caisse des dépôts et consignations. Comment ces sommes sont-elles gérées ?
Entre septembre et novembre 2013, une décollecte de près d'un milliard d'euros a été observée. C'est symptomatique des craintes des épargnants, à commencer par celle pesant sur la rentabilité des placements. La révision du mode de calcul des intérêts est à l'étude. Dans le même temps, l'assurance-vie a retrouvé de l'attrait à la suite du rapport Berger. La proposition de loi Eckert sur les contrats en déshérence fait écho à celle de M. Maurey.
L'autre crainte tient aux signaux contradictoires envoyés par le Gouvernement. Peut-on encourager les Français à épargner et à consommer à la fois ?
Revenons à l'usage que les Français font du Livret A : faire face à des imprévus comme le changement d'une chaudière...
L'hypothèse d'une fiscalisation des fonds d'épargne ou de leur soumission à des prélèvements sociaux, émise pendant la crise par le FMI, a laissé des traces. D'autant que la dernière loi de finances a présagé l'effondrement de cette forteresse qu'est l'épargne réglementée.
C'est grâce à cette manne financière que la France garde la confiance de ses créanciers, malgré sa dette publique. Voulons-nous que cette épargne soit convertie en bas de laine ?
Il serait dommageable de condamner par les prélèvements le produit de l'effort des générations : c'est une ligne rouge à ne pas franchir.
M. Charles Revet. - Très bien !
Mme Françoise Férat. - Le Parlement doit jouer son rôle. La Cour des comptes étant placée sous sa protection, pourquoi ne pas prévoir une séance solennelle dédiée à l'image de celle organisée pour le dépôt du rapport de la Cour des comptes ? (Applaudissements au centre et à droite)
M. Joël Guerriau . - Les premières formes de l'épargne populaire remontent au XIXe siècle et à la Révolution industrielle. Les caisses d'épargne ont vu le jour en 1818, les instituteurs d'alors formèrent leurs élèves à l'épargne.
M. Charles Revet. - Et avec efficacité !
M. Joël Guerriau. - Au XXe siècle, priorité a été donnée au logement social, par un cercle vertueux de solidarité entre générations.
L'épargne populaire ne l'est vraiment que si chacun a accès aux services bancaires. La LME a étendu l'épargne réglementée à toutes les banques, tout en imposant à la Banque postale des obligations spéciales. Cette politique volontariste a porté ses fruits : fin 2012, la Banque postale détenait 19 des 64 millions de livrets en France, la moitié ayant un encours de moins de 150 euros. Il existe des produits dédiés aux plus fragiles, comme le Livret d'épargne populaire (LEP). Le nombre de ces livrets était resté stable depuis 2002 malgré la crise... Il a été envisagé d'ouvrir le LEP à sept millions de foyers supplémentaires.
Le rapport Camdessus de 2007 était pessimiste sur le financement du logement social. Heureusement, la LME est venue, et les encours sont désormais en excédent. En 2012, 14,9 milliards d'euros de prêts ont été consentis par la Caisse des dépôts et consignations en faveur du logement social et de la politique de la ville, dont 12,4 milliards de prêts directs et 2,5 milliards de prêts indirects. Entre 2011 et 2012, la Caisse a ainsi financé la construction de plus de 105 000 logements, la réhabilitation de 210 000 logements.
Les résultats sont cependant insuffisants pour atteindre l'objectif de 150 000 logements par an. S'agissant du parc locatif social, il continue de progresser. N'oublions pas les rénovations, ni l'accession à la propriété.
Il appartient aux pouvoirs publics de veiller à ce que les épargnants continuent de participer à cette grande entreprise de progrès qu'est le logement social.
Mme Éliane Assassi . - Le taux de centralisation des dépôts est fixé de manière à couvrir au moins la moitié des prêts consentis par la Caisse des dépôts et consignations au bénéfice du logement social. Le solde sert à financer les PME et les travaux de rénovation du bâtiment : c'est le code monétaire et financier qui le dit.
Le candidat Hollande avait promis le doublement du plafond des livrets A et de développement durable, et leur rémunération au moins égale à l'inflation.
Vaines promesses... Le Gouvernement a changé son fusil d'épaule depuis qu'une décollecte a été observée.
Des établissements philanthropiques telles que la Société générale, la BNP proposent désormais ces livrets pour mieux vendre leurs services bancaires... Qui peut croire qu'ils emploieront cette ressource pour financer les PME plutôt que pour acheter des produits dérivés ?
Cette ressource est défiscalisée, pour un coût moyen de 8,20 euros par an pour le Livret A qui rapporte moins de 290 euros d'intérêts annuels au plafond.
Rien à voir avec le juteux cadeau de 11 000 euros fait aux 40 000 personnes recourant à l'ISF-PME qui coûte le double de l'exonération pour les 24,6 millions de détenteurs du Livret de développement durable...
Nous ne pouvons pas nous permettre de réduire encore la rémunération du Livret A. Le Gouvernement doit aussi s'expliquer sur l'emploi de ces fonds, alors que des millions de Français sont mal logés, dans des gourbis infâmes, alors que la transition écologique se fait attendre. Seules la Banque postale et les caisses d'épargne continuent, pour l'instant, à centraliser leurs dépôts auprès de la Caisse des dépôts et consignations. On peut toujours avoir une BPI, si c'est pour rendre 30 milliards aux aventuriers de la finance ! Qu'est devenue la proposition que soutenaient autrefois le groupe socialiste du Sénat et de l'Assemblée nationale d'obliger les collecteurs à mieux centraliser les sommes auprès de la Caisse des dépôts et consignations ?
Pour donner une chance à l'épargne populaire, abrogez le décret publié dans la torpeur de l'été dernier. Entre la finance sans limite et la satisfaction des besoins collectifs, il va falloir choisir. (Applaudissements sur les bancs CRC)
M. Jean Desessard. - Lever l'ambiguïté !
M. Yannick Vaugrenard . - En dix ans, l'encours de l'épargne réglementée a progressé de 55 %. Sa rémunération a une forte incidence sur les capacités de financement des entreprises et du logement social.
Depuis 2011, les établissements de crédits centralisent auprès de la Caisse des dépôts et consignations une partie des encours, en moyenne 65 %. Le président de la République s'était engagé à doubler le plafond des livrets A et du développement durable, afin de pourvoir aux besoins du logement social : c'est chose faite. Le rapport Berger-Lefebvre plaide pour une affectation d'une part du produit de la hausse des encours au financement des entreprises. Le relèvement des plafonds a fait craindre aux banques une perte d'épargne fiscalisée et liquide, mais elle a été compensée par la mise à disposition de nouveaux fonds par la CDC.
Si l'on avait appliqué strictement les règles, le taux d'intérêt du Livret A aurait dû baisser à 0,75 %. Mais le Gouvernement a justement considéré qu'une baisse trop brutale aurait réduit les dépôts.
La loi de finances rectificative pour 2013 a élargi le bénéfice du LEP à 3,3 millions de personnes supplémentaires : c'est satisfaisant.
La Cour des comptes a constaté les carences de la loi sur les contrats d'assurance-vie et de capitalisation en déshérence, l'insuffisance des contrôles et des sanctions. Les encours concernés sont évalués à 4 milliards d'euros. Les sommes reversées à l'État au titre de la déchéance trentenaire sont maigres...
La proposition de loi Eckert vise donc à renforcer les droits de propriété des épargnants, et à protéger les intérêts financiers de l'État.
L'épargne populaire est un sujet d'importance, alors que le pouvoir d'achat se contracte. Le Gouvernement et le Parlement en sont conscients, je m'en félicite. (M. Jean Desessard applaudit)
M. François Fortassin . - La création des caisses d'épargne par le philanthrope Benjamin Delessert en 1818 devait servir les intérêts des classes populaires : elles ont manifesté leur méfiance devant ce désintéressement. Deux siècles plus tard, les choses ont bien changé, et les livrets d'épargne réglementée ont rencontré un franc succès auprès d'une large partie de la population.
Il est heureux que le Gouvernement ait maintenu le taux de rémunération du Livret A à 1,25 %. Les plus modestes peuvent ainsi se constituer une épargne de précaution. Mais l'épargne dépend du revenu. Or la crise réduit celui des ménages. L'encours moyen du Livret A, de 3 400 euros environ, est bien loin du plafond... Seul le retour de la croissance améliorera les choses.
Le Gouvernement donne priorité à la lutte contre le chômage : nous le soutenons. Le RDSE n'est pas moins attaché à la justice fiscale.
Enfin, n'oublions pas que l'épargne réglementée a pour objet de financer des projets d'intérêt général : logement social, politique de la ville mais aussi infrastructures, santé... Il faudra mobiliser les fonds pour construire 150 000 logements par an.
L'épargne reste trop peu orientée vers le financement de l'économie. Cela s'explique en partie par l'aversion au risque des ménages, renforcée par la crise. La réforme de l'épargne réglementée mise en oeuvre par le Gouvernement vise donc à la mettre au service de l'économie et notamment des PME. À présent, la stabilité est indispensable pour gagner la confiance des investisseurs et des épargnants.
L'épargne populaire a aussi servi à constituer un parc automobile important. Combien de grand-mères ont ainsi payé la mobylette de leur petit-fils ?
Le RDSE réaffirme son attachement à cette forme d'épargne, qui devrait profiter des réformes entreprises.
M. Jean Desessard . - Qu'est-ce que l'épargne populaire ? Le Livret d'épargne populaire ? L'ensemble des livrets d'épargne réglementée ? Toute épargne est-elle « populaire » ?
Pourquoi l'UDI-UC a-t-elle voulu ce débat ? À l'Assemblée nationale, M. de Courson réclame une réforme de la fiscalité de l'épargne réglementée.
Mme Muguette Dini. - Nous ne sommes pas d'accord.
M. Jean Desessard. - Il argue que la défiscalisation a coûté 665 millions d'euros en 2013, au bénéfice des ménages aisés principalement. Mais j'ai entendu Mme Férat prendre la défense de ces livrets. (M. Joël Guerriau le confirme) Pas moins de 65 % des encours de l'épargne réglementée sont centralisés ; 35 % sont gérés par les banques, qui doivent les affecter au financement des PME et de la rénovation thermique : à vérifier...
Les sommes centralisées financent le logement social et c'est pourquoi le Gouvernement a décidé de doubler le plafond du Livret A. Un débat sur la défiscalisation est légitime, mais il vaudrait mieux s'intéresser à l'assurance-vie ! Quelque 1 400 milliards d'euros d'encours fin 2012, c'est bien plus que les 385 milliards d'encours cumulés du Livret A, du LDD et du LEP. L'assurance-vie est beaucoup plus rentable, et les encours ne sont pas fléchés en fonction d'une utilité sociale. Certes, on a créé un label « ISR », investissement socialement responsable, mais restons lucides sur son impact réel : 54,6 milliards d'euros seulement ont été placés dans ces fonds en 2012.
Les prélèvements obligatoires sur l'assurance-vie ne sont opérés qu'en cas de mouvement de fonds. Au vu des sommes en jeu, il conviendrait d'opter pour le fléchage : en 2012, nous proposions de flécher 3 % des encours d'assurance-vie vers la BPI. La transition écologique, elle aussi, a besoin d'un sérieux coup de pouce. L'assurance-vie doit être mise au service de toute la société. (Applaudissements à gauche ; Mme Muguette Dini applaudit aussi)
M. Dominique de Legge . - À mon tour de remercier le groupe centriste. Le sujet peut être envisagé d'un point de vue technique, mais c'est aussi une question politique qui ne peut se résumer au Livret A.
L'épargne, à laquelle les Français sont historiquement attachés, s'est développée durant les Trente Glorieuses. Au milieu des années 1970, le taux d'épargne a atteint un pic, à 20 % du revenu, contre 11 % à la fin des années 1980. Il représente désormais 15 % pour atteindre une somme équivalente à cinq fois le PIB ou à plus de huit fois les revenus disponibles. L'épargne est immobilière à 60 % et financière à 40 %, cette dernière représentant deux fois la dette publique du pays. La France n'est pas seule à avoir un taux d'épargne élevé ; l'Allemagne et la Belgique en ont un encore plus fort.
Depuis 2012, et après l'année record de 2011, on assiste à une décollecte de l'assurance-vie ; et pour la première fois, la collecte nette de celle-ci a été moins élevée que celle du Livret A. Cela s'explique par un climat anxiogène, mais aussi par la hausse des prélèvements obligatoires. C'est là que le sujet devient politique. Le matraquage fiscal de 2012 a fait reculer le pouvoir d'achat de 0,9 % cette année-là et de 0,1 % au troisième trimestre 2013. En 2014, contrairement aux affirmations sur la pause fiscale, 12 milliards de prélèvements obligatoires supplémentaires toucheront essentiellement les classes moyennes et populaires. Comment, dans ces conditions, demander aux Français d'épargner ? Baisse du quotient familial, hausse des cotisations retraite, réforme de la participation, assujettissement à l'impôt sur le revenu d'un grand nombre de produits financiers, harmonisation à 15,5 % du taux des prélèvements sociaux sur certains contrats d'assurance-vie : toutes ces mesures, qui semblent dictées par des considérations idéologiques et ne touchent pas les riches qui, eux, ont placé leurs capitaux hors de nos frontières, ont transformé le souhait de devenir propriétaire en rêve presque inaccessible.
Le groupe UMP, fort heureusement, a limité vos projets sur l'assurance-vie. Globalement, l'épargne fluctue en fonction de la santé de l'économie. La théorie de la réserve de précaution a pourtant ses limites quand on touche au pouvoir d'achat ; et les Français ont été contraints de puiser dans leur épargne pour consommer. C'est là que le bât blesse. Il faut briser ce cercle vicieux maléfique : moins de pouvoir d'achat, moins d'épargne, moins de capacité d'investissement des entreprises. Au troisième trimestre 2013, le taux de marge brute des entreprises a atteint son plus bas depuis 1985, le niveau le plus faible de la zone euro...
Le groupe UMP salue le premier pas que constitue la réorientation de l'assurance-vie vers l'économie avec les nouveaux contrats euro-croissance. Mais actions et obligations continuent de faire peur. Il faudrait aller plus loin en encourageant la prise de risque par une fiscalité attractive plutôt que la rente. Le problème est politique, oui, car les déclarations virulentes sur la finance nuisent à la confiance. La création du PEA-PME est intéressante, même si elle est destinée aux investisseurs avertis ; mais le plafond est moitié moindre que celui du PEA et certains supports ne sont pas éligibles...
Moins de pression fiscale, moins de charges pour les entreprises, voilà la voie qu'il faut suivre - le préalable est évidemment la baisse de la dépense publique. Je veux croire que c'est celle du pacte de responsabilité.
Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée auprès du ministre du redressement productif, chargée des petites et moyennes entreprises, de l'innovation et de l'économie numérique . - La France a la chance d'être l'un des pays de la zone euro où l'épargne des ménages est la plus abondante. Le Gouvernement s'emploie à l'orienter vers l'économie.
L'épargne est abondante, donc. En 2013, les Français ont épargné 65 milliards, soit 15,6 % de leurs revenus ; leur patrimoine s'élève au total à 12 000 milliards d'euros, dont un tiers de patrimoine financier. C'est là la première source de financement de notre économie.
Mettre ces sommes au service de la croissance, c'est tout l'enjeu du pacte de responsabilité après le lancement du PEA-PME et les facilités données aux ETI pour accéder aux financements de marché, le relèvement du plafond du PEA, l'augmentation de 50 % de celui du Livret A et le doublement de celui du LDD, l'amélioration des conditions d'accès au Livret d'épargne populaire.
Enfin, le Gouvernement a renforcé la protection des épargnants, gage de confiance. Nous avons tiré les enseignements de la crise et mènerons dans l'année une réforme pour encourager les financements participatifs comme le crowdfunding.
Madame Férat, vous avez évoqué la réforme de 2008 - la généralisation de la distribution du Livret A - d'où est venu un regain dans la diffusion de ce dernier ; cette réforme a contribué à éviter une rupture du financement du logement social. Merci d'avoir rappelé que le Gouvernement y a fortement contribué en relevant les plafonds du Livret A et du LDD. Je ne partage pas votre analyse : ces produits sont connus et largement diffusés. Les 30 milliards non centralisés sont bien fléchés, par la loi, vers le financement des PME - les encours sont même supérieurs à ce qui est exigé - de même que l'enveloppe de 30 milliards décidée par le président de la République ; il importe que les banques jouent leur rôle de financement de l'économie. Les résultats sont probants, la production de crédit fin 2013 est plus dynamique.
Oui, monsieur Guerriau, la question du droit au compte est fondamentale. La loi de régulation bancaire a marqué un progrès ; nous attendons de toutes les banques, et non seulement de la Banque postale, qu'elles agissent pour l'accès à un compte bancaire pour tous.
Madame Assassi, le Gouvernement a tenu ses engagements. Le relèvement des plafonds des Livret A et LDD a abouti à une collecte plus importante et, donc, à un niveau plus élevé des fonds centralisés. Le Gouvernement a toujours veillé à ce que le Livret A conserve une rémunération supérieure à l'inflation ; mais il ne faut pas oublier que le niveau du taux pèse sur celui des prêts consentis par la CDC aux bailleurs sociaux.
Monsieur Vaugrenard, merci de votre soutien. Le Gouvernement a tenu les engagements pris par le président de la République. Il a en tête, quand il s'agit d'épargne, la protection des épargnants mais aussi le financement de l'économie et des investissements des collectivités territoriales après le retrait de Dexia. La proposition de loi de M. Eckert sera présentée au Sénat en avril, le Gouvernement a soutenu le travail des parlementaires ; il fallait régler la question des comptes et contrats en déshérence, trop longtemps laissée en suspens. Le texte y apporte une solution complète et extrêmement concrète, qui ramènera la confiance. Ce sera l'oeuvre de la majorité et du Gouvernement.
Monsieur Fortassin, merci de votre soutien. Vous avez rappelé le volontarisme de la politique du Gouvernement et l'objectif de la grande réforme de l'épargne réglementée : la stabilité.
Monsieur Desessard, le Gouvernement n'entend pas revenir sur la défiscalisation des livrets d'épargne. Nous avons réformé l'assurance-vie dans la loi de finances rectificative pour 2013 avec la création des contrats euro-croissance dont les sommes seront fléchées vers le financement en capital des PME, la construction de logements et de l'économie sociale et solidaire.
Monsieur de Legge, merci de votre présentation complète de l'état des lieux. Je ne peux pas vous suivre sur le matraquage fiscal et je ne polémiquerai pas plus avant ; chiffres à l'appui, MM. Moscovici et Cazeneuve ont montré qu'en 2012 et 2013 il était principalement le fait du précédent gouvernement... Le Gouvernement est à l'oeuvre pour accélérer la construction de logements, relâcher la pression dans les zones tendues, mobiliser le foncier public pour le logement social. Vous avez salué la création du PEA-PME : il pourra se cumuler avec le PEA, les deux plafonds s'additionnant.
Merci à la représentation nationale de son intérêt pour ce sujet éminemment important et merci à tous de vos interventions. Le Gouvernement est mobilisé pour le développement des entreprises et la croissance. (Applaudissements sur les bancs socialistes, du RDSE ; M. Michel Le Scouarnec applaudit aussi)
Organisme extraparlementaire (Candidature)
M. le président. - Le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation d'un sénateur appelé à siéger au sein du conseil d'orientation de l'Agence de la biomédecine.
La commission des affaires sociales a fait connaître qu'elle propose la candidature de Mme Catherine Deroche. Cette candidature a été affichée et sera ratifiée s'il n'y a pas d'opposition à l'expiration du délai d'une heure.
La séance est suspendue à 19 heures.
présidence de M. Charles Guené,vice-président
La séance reprend à 21 h 30.
Organisme extraparlementaire (Nomination)
M. le président. - Je rappelle que la commission des affaires sociales a proposé une candidature pour un organisme extraparlementaire. La présidence n'ayant reçu aucune opposition dans le délai d'une heure prévu par l'article 9 du Règlement, je proclame Mme Catherine Deroche membre titulaire du conseil d'orientation de l'Agence de la biomédecine.
Lutte contre la contrefaçon (Procédure accélérée - Deuxième lecture)
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion en deuxième lecture de la proposition de loi, modifiée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, tendant à renforcer la lutte contre la contrefaçon.
Discussion générale
Mme Nicole Bricq, ministre du commerce extérieur . - Il y a un peu plus de trois mois, le Sénat a adopté à l'unanimité cette proposition de loi qui renforce la lutte contre ce fléau mondial qu'est la contrefaçon. Le manque à gagner pour notre fiscalité, représente 6 milliards d'euros par an. Le 4 février, l'Assemblée nationale s'est elle aussi prononcée à l'unanimité, en confirmant le dispositif adopté par le Sénat, qui assure à tous les types de droits de propriété intellectuelle le niveau de protection le plus élevé.
Le fichier prévu par l'article 13 sera plus précisément encadré. La Cnil s'est autosaisie de ce texte le 23 janvier dernier. L'Assemblée nationale a défendu la transmission de toute donnée nominative, et a limité à deux ans la conservation de ces données, durée nécessaire et raisonnable.
Je souhaite que les douanes et les opérateurs puissent déterminer ensemble les conditions de leur coopération rendue nécessaire par l'e-commerce. En France, 117 500 sites de e-commerce sont actifs pour un chiffre d'affaires de 45 milliards. D'après des statistiques récentes, la France progresserait moins vite que d'autres contrées en ce domaine. J'ai confiance en les Français, nous rattraperons rapidement notre retard. En Europe, près de 55 000 sites marchands s'adressent à plus de 250 millions de clients en ligne, pour un chiffre d'affaires de 312 milliards d'euros.
Concernant les semences dont la France est le premier exportateur mondial - il est bon de le rappeler en ces temps de salon de l'agriculture, l'Assemblée nationale a confirmé que les semences de ferme ne constituent pas une contrefaçon.
M. Michel Delebarre, rapporteur de la commission des lois. - Très bien !
Mme Nicole Bricq, ministre. - La protection des obtentions végétales garantit la durabilité de l'activité de 72 entreprises, de 9 000 emplois et de 17 800 agriculteurs multiplicateurs de semence.
Le budget de recherche afférent est de 240 millions d'euros par an. Le projet de loi d'avenir de l'agriculture vous offrira l'occasion d'en débattre. Le décret ajoutant 13 espèces aux 21 prévues par la réglementation européenne pouvant faire l'objet de semences de ferme paraîtra bientôt. Le colza, le lupin, le pois seront désormais de la liste. Les engagements sont tenus.
Le Sénat a été saisi de l'alignement du délai de prescription sur celui de l'action civile, pour le paiement des droits d'auteur.
M. Jean-Jacques Hyest. - Très bien !
Mme Nicole Bricq, ministre. - Grâce à l'adoption de cette proposition de loi, la France se conformera au nouveau règlement européen du 26 juin 2013 qui est entré en vigueur au 1er janvier de cette année. Hier, le Parlement européen s'est prononcé en session plénière sur le paquet Marques. Reste à convaincre le Conseil, qui doit statuer pour que s'engage au plus vite le trilogue entre Commission, Conseil et Parlement.
J'ai signé en Turquie un accord de coopération afin de renforcer nos échanges entre services. Notre arsenal de lutte contre la contrefaçon est bon. Avec cette proposition de loi, nous l'améliorons encore. Selon la chambre de commerce des États-Unis, qui a habituellement la dent dure contre la France, notre pays est en troisième position pour la protection de la propriété intellectuelle, derrière les États-Unis et le Royaume-Uni. Protéger les innovations des entreprises est un facteur d'attractivité du territoire.
Je rends hommage au travail du Sénat, au dialogue constructif entre le Gouvernement et le Parlement, bon exemple de ce que nous faisons ensemble pour rendre notre pays plus compétitif. La France est en pointe. Merci à vous tous. (Applaudissements sur tous les bancs)
M. Michel Delebarre, rapporteur de la commission des lois . - Autant le dire d'emblée, votre commission des lois est satisfaite de cette rédaction que nous proposons d'adopter conforme. J'ai eu des échanges approfondis avec le Gouvernement et le rapporteur de l'Assemblée nationale Jean-Michel Clément, que je remercie.
Le texte adopté par l'Assemblée nationale est proche des préoccupations du Sénat. Il est, il faut le rappeler, issu d'une proposition de loi déposée par Richard Yung le 30 septembre 2013, celle-ci reprenant les dispositions d'un texte adopté par notre commission à l'initiative de Laurent Béteille en 2011, qui n'a jamais été inscrit à l'ordre du jour du Sénat.
La question des semences de ferme a détourné les débats de l'Assemblée nationale de l'objet même du texte. Je redis ici qu'en aucun cas ce texte ne modifie le fond du droit applicable aux obtentions végétales et à la dérogation prévue pour les semences de ferme. Le projet de loi d'avenir de l'agriculture, que nous examinerons en avril, sera l'occasion de le confirmer. Toutefois, afin de répondre aux inquiétudes infondées sur les semences de ferme, trois amendements ont été adoptés lors de la navette, un au Sénat, à l'initiative de Nicole Bonnefoy, deux à l'Assemblée nationale. Non, les semences de ferme ne sont pas des contrefaçons, elles sont exclues des procédures visées par ce texte. Je déplore que ce sujet nous ait éloignés de l'enjeu actuel de ce texte : le développement économique et l'emploi, qui sont menacés par la contrefaçon.
Sur vingt-et-un articles en navette, huit ont été adoptés conformes par l'Assemblée nationale : les articles 9, 10, 14, 15, 16 bis, 17 et 18. J'insiste sur l'article 16 : il a aligné les délais de prescription en matière civile figurant dans le code de la propriété intellectuelle sur le droit commun de cinq ans, conformément à la position du Sénat après de longs échanges.
Les articles modifiés par l'Assemblée nationale l'ont été d'une manière qui ne remet pas en cause les orientations de première lecture du Sénat. C'est ainsi que les députés ont aligné le régime de la propriété intellectuelle et artistique sur celui de la propriété industrielle. Nous nous rallions sans nous renier à cette solution.
L'article 13 instaure une obligation de transmission aux douanes des données relatives aux colis transportés par les prestataires de services postaux et les entreprises de fret express, à des fins de contrôle par la mise en place de traitements automatisés de ces données. L'Assemblée nationale a renforcé l'encadrement voulu par le Sénat.
Les échanges entre rapporteurs ont abouti à une rédaction de l'article 10 conforme des textes organiques relatifs aux collectivités d'outre-mer.
Ce texte doit entrer en vigueur le plus rapidement possible. Aussi convient-il de l'adopter conforme. (Applaudissements)
Mme Éliane Assassi . - La contrefaçon a pris une dimension nouvelle ces dernières années : elle détruirait en France 38 000 emplois par an et causerait un manque à gagner fiscal de 6 milliards d'euros. La lutte contre la contrefaçon doit avant tout protéger les consommateurs et l'emploi. Nous soutenons les principales dispositions de ce texte.
Cela dit, quelle sera l'efficacité des nouvelles mesures juridiques à disposition des services des douanes, qui sortent meurtris de la RGPP ? Ils sont au bord de la rupture. En 2014, leur budget est encore en baisse. Il importe certes de renforcer l'arsenal juridique, mais aussi d'augmenter les moyens humains et juridiques.
Sur les semences de ferme, nous avons soutenu l'action de la Confédération paysanne visant à introduire une exception agricole. À l'Assemblée nationale, un amendement a été adopté afin d'affirmer que l'utilisation de ces semences de ferme n'est pas une contrefaçon. Ce débat n'est pas clos pour autant.
Nous ne souhaitons pas importer un système où les firmes de l'agrochimie polluent les cultures et poursuivent ensuite les agriculteurs pour contrefaçon. La Cour suprême des États-Unis a donné raison à Monsanto contre un producteur de soja de l'Indiana que le géant de l'agrochimie accusait d'avoir enfreint ses brevets par l'utilisation de graines transgéniques. La haute juridiction a considéré que la protection intellectuelle « ne permet pas à un agriculteur de reproduire des graines brevetées en les plantant et en les récoltant sans détenir une permission du propriétaire du brevet ». Notre inquiétude est grande pour notre agriculture, face à la tendance actuelle de breveter, non des inventions, mais des découvertes, et de les transformer en outil mercantile, au lieu de les utiliser pour favoriser la construction d'un modèle agricole alternatif vertueux sur les plans social et environnemental.
L'atteinte aux libertés publiques que constitue la transmission des données personnelles aux douanes nous inquiète aussi. Nous en appelons à la plus grande vigilance. La lutte contre la contrefaçon doit freiner les délocalisations afin de repenser notre modèle d'échanges économiques avec les pays en voie de développement. (Applaudissements à gauche)
M. Michel Delebarre, rapporteur. - Très bien !
M. Stéphane Mazars . - Une mission interministérielle a été créée en janvier dernier pour lancer une « marque France » dans le cadre du pacte national pour la compétitivité. Selon son président, M. Lentschener, « il s'agit de consolider un récit national économique dont nous sommes fiers ». Cette proposition de loi y contribue, afin de valoriser notre savoir-faire. Le coût fiscal de la contrefaçon est estimé à 6 milliards d'euros par an, sans compter les 38 000 pertes d'emploi induites.
Les consommateurs seront mieux informés et protégés du jeu de dupe de certaines marques : « made in territoires de France » plutôt que made in France. Je pense à la commune de Laguiole. Nous choisissons de valoriser notre tissu productif. Le préjudice pour les victimes sera mieux compensé. Les douanes verront leurs moyens d'enquête renforcés. Les perquisitions seront facilitées. Les agents des douanes disposeront de procédures plus souples et plus efficaces.
Nous saluons la précision apportée par l'Assemblée nationale sur l'intervention d'un expert en cas de saisie-contrefaçon, simple faculté.
Sans créer de dommages et intérêts punitifs, ce texte expose le contrefacteur à des pénalités plus élevées qu'auparavant. La dentelle de Calais, les santons de Provence, les mouchoirs de Cholet : préservons la créativité française, source de richesse et voie de sortie durable de la crise. (Applaudissements à gauche)
Mme Hélène Lipietz . - Les écologistes participeront à la clôture de la navette en votant eux aussi ce texte conforme.
M. Michel Delebarre, rapporteur. - Très bien !
Mme Hélène Lipietz. - Pour une fois, j'ai évité de le noyer sous de nombreux amendements. Toutefois, je proposerai deux amendements d'appel...
M. Michel Delebarre, rapporteur. - Aïe ! (Sourires)
Mme Hélène Lipietz. - La sécurité des consommateurs est souvent mise en danger par des produits contrefaits. Les écologistes sont attachés à la qualité de l'industrie française. C'est pourquoi nous avons voté ce texte en contrepartie de la garantie qu'il ne se retournerait pas contre les agriculteurs. Cette affaire a ravivé les inquiétudes sur l'appropriation indue du vivant, le débat n'est pas clos.
La commission de la culture a aussi son mot à dire sur la propriété intellectuelle, ainsi que la commission des affaires économiques. La plupart des économistes s'accordent sur la valeur de l'innovation : les brevets deviennent des objets spéculatifs pour les grandes entreprises de nouvelles technologies, qui cherchent à noyer leurs concurrents sous des poursuites aux enjeux colossaux. On voit le conflit entre Apple et Samsung. C'est pire encore dans le domaine des médicaments.
Le prix Nobel Joseph Stiglitz, que le président Sarkozy, dans sa très grande sagesse, avait chargé de rénover les indicateurs de croissance, a dit : « Le remplacement du modèle actuel par un système de récompense soutenu par l'État constituerait une solution au niveau élevé des prix et à la mauvaise orientation de la recherche ». Suivons-le ! (Applaudissements à gauche)
M. Michel Delebarre, rapporteur. - C'est bien.
M. Jean-Jacques Hyest . - L'adoption conforme proposée par le rapporteur repose sur un vaste consensus. Inutile d'entrer dans les profondes ramifications techniques de ce débat ; je ne vise personne, madame Lipietz ! La contrefaçon est destructrice de valeurs et d'emplois en Europe comme en France. Elle entraîne des profits illicites considérables. En 2012, la valeur des contrefaçons saisies atteignait 287 millions et 65 % d'entre elles provenaient d'Asie.
Destinée à lutter contre l'explosion de la contrefaçon, cette proposition de loi nous satisfait pleinement. Elle est conforme aux préoccupations que nous avons régulièrement exprimées, manière de répondre à ceux qui demande sempiternellement à quoi sert le Sénat.
Dans le cadre de l'évaluation des politiques publiques, désormais inscrite dans notre Constitution par la révision de 2008, le rapport Béteille-Yung a abouti à une proposition de loi déposée par M. Béteille, rapportée par M. Yung - voilà quelle était la répartition des rôles. Le Sénat l'a adopté et puis on en était resté là. Cette fois, M. Béteille n'étant plus au Sénat, M. Yung a heureusement repris ce texte, enfin inscrit à notre ordre du jour.
Je ne puis m'empêcher de mentionner l'article 16 qui remet un peu d'ordre dans le maquis des délais de prescription en matière d'action civile ; l'Assemblée nationale a bien voulu accepter la position du Sénat - c'est heureux.
La spécialisation des tribunaux en matière de propriété intellectuelle est nécessaire : il faudrait clarifier la compétence exclusive du tribunal de grande instance de Paris. Les TGI compétents devront disposer des ressources humaines adéquates.
Les modifications apportées par l'Assemblée nationale aux articles 2 et 5, ainsi qu'à l'article 13 sont utiles. La commission des lois est vigilante sur la protection des données personnelles. L'Assemblée nationale en est à adopter des amendements « didactiques ». Fallait-il discuter à nouveau des semences de ferme ? Monsieur le rapporteur, le sujet reviendra dans la loi d'avenir de l'agriculture - une de plus ! Des lois agricoles, j'en ai vu beaucoup. (M. Jean-Claude Frécon approuve) Une de plus, cela ne peut sans doute pas faire de mal. Pour rassurer, on fabrique des lois « didactiques », explicatives. On a beau répéter, certains persistent à n'être pas convaincus. Nous sommes pourtant le premier exportateur mondial de semences. Il faut bien renouveler les variétés : 600 nouvelles chaque année. Un équilibre s'impose entre recherche, propriété intellectuelle et pratique de certains agriculteurs. Mais les semences de ferme ne sont pas l'objet de ce texte.
Agissons avec rapidité pour lutter contre la contrefaçon : le groupe UMP votera cette proposition de loi, heureux aboutissement du travail du Sénat. (Applaudissements)
Mme Nicole Bonnefoy . - Le 20 novembre dernier, ici même, les groupes ont tous reconnu la qualité de ce texte. Deux mois plus tard, il en fut de même à l'Assemblée nationale. Je salue la qualité du travail réalisé par les auteurs et rapporteurs de ce texte. Des réponses ont été trouvées, positives, qui justifient un vote conforme aujourd'hui.
La contrefaçon touche notre pays, nos concitoyens, nos entreprises, nos emplois, près de 40 000 en France, mais aussi les recettes fiscales, la sécurité et la santé des consommateurs. Le nombre de médicaments contrefaits a doublé dans le monde en quelques années. Le nombre de saisies de ces produits a triplé en France. Le trafic de produits contrefaits représente 30 % des revenus de la criminalité organisée. Il fallait améliorer et organiser les moyens légaux accordés aux douanes, aux policiers, aux services chargés de débusquer et de réprimer la contrefaçon. Des vides juridiques sont comblés, les procédures sont actualisées et harmonisées. L'action pénale sera simplifiée et les peines alourdies. Il en résultera un droit simplifié et clarifié. Ce texte manifeste la volonté des pouvoirs publics de combattre et punir la contrefaçon. Ce message suscite notre adhésion commune. Ce texte mérite d'être soutenu par chacun de nous ce soir. (Applaudissements)
M. Michel Delebarre, rapporteur. - Très bien !
M. Richard Yung . - Je me réjouis de l'accord trouvé entre les deux rapporteurs du Sénat et de l'Assemblée nationale. Il y a assez peu de décrets à prendre pour que la loi s'applique. Cela devrait aller vite.
Sur les semences de ferme, j'ai mesuré un fossé d'incompréhension, car la proposition de loi n'avait pas vocation à traiter de ce sujet. Ce privilège de l'agriculteur est immémorial. La loi française dit qu'il peut garder une « part raisonnable » de ses graines pour réensemencer. Pour 21 espèces végétales, un droit européen, existe, couvert par un accord interprofessionnel. L'inquiétude a surgi au sujet des autres espèces.
L'amendement adopté à l'Assemblée nationale comblera ce vide. Nous avons donc fait le tour de ce débat...
M. Jean-Jacques Hyest. - Hélas, non !
M. Richard Yung. - La question évoquée par Mme Assassi aux États-Unis ouvre un autre débat. Demain, j'irai au salon de l'agriculture pour rassurer les agriculteurs.
Le texte vise à mieux lutter contre la contrefaçon ; ensuite, il faudra trouver des solutions pour combattre la cyber-contrefaçon, devant laquelle nous sommes assez démunis. Nous devons avancer sur la spécialisation des magistrats ; le sujet est délicat pour le Conseil supérieur de la magistrature, nous n'y échapperons pas pour autant. Je signale que Düsseldorf vient de créer une deuxième commission spécialisée. C'est là que vont les producteurs européens, ainsi qu'à Munich. La lutte contre ce fléau doit se déployer à l'échelon européen car, pas plus que le nuage de Tchernobyl, la contrefaçon ne s'arrête pas aux frontières.
Merci... !
M. Michel Delebarre, rapporteur. - Et à la prochaine fois ! (Sourires)
La discussion générale est close.
Discussion des articles
M. le président. - Seuls les articles modifiés par l'Assemblée nationale restent en discussion.
L'article premier est adopté, de même que les articles 2, 3, 4 et 5.
ARTICLE 6
M. le président. - Amendement n°1 rectifié, présenté par M. Labbé et les membres du groupe écologiste.
Après l'alinéa 9
Insérer deux alinéas ainsi rédigés :
...° La section 3 du chapitre V du titre Ier du livre VI de la deuxième partie est complétée par un article L. 615-23 ainsi rédigé :
« Art. L. 615-23. - Les articles L. 615-1 à L. 615-10 et L. 615-12 à L. 615-16 ne s'appliquent pas aux semences, plants, animaux ou préparations naturelles produits à la ferme par un agriculteur pour ses propres productions agricoles ou fermières. » ;
Mme Hélène Lipietz. - Pourquoi revenir sur les semences paysannes ? Parce que la loi n'est pas assez pédagogique. J'ai reçu un courrier de la coordination rurale hier encore... Manifestement, nous avons un problème d'explication de texte. Les agriculteurs inquiets ne sont pas plus bêtes que les autres Français, ils ont réellement peur pour l'essence même de leur métier. C'est tout de même nouveau, la brevetabilité des semences, cela a déboussolé des pratiques ancestrales.
L'amendement n°1 rectifié est retiré.
L'article 6 est adopté.
L'article 7 est adopté, de même que les articles 8, 11, 12 et 13.
ARTICLE 19
M. le président. - Amendement n°2, présenté par Mme Lipietz et les membres du groupe écologiste.
Après l'alinéa 1
Insérer quatre alinéas ainsi rédigés :
...° Le titre Ier du livre IV de la deuxième partie est complété par un chapitre ainsi rédigé :
« Chapitre III
« Ministre en charge de la propriété industrielle
« Art. L. 413-2. - Lorsque l'un des modes de protection de la propriété industrielle a pour effet de porter atteinte à l'intérêt général, la protection peut être suspendue par décret du ministre en charge de la propriété industrielle pris après avis de l'institut national de la propriété industrielle. »
Mme Hélène Lipietz. - J'avais déposé cet amendement en première lecture : il s'agit de donner droit aux pays du sud qui ont développé des contrefaçons pour soigner le sida. Comme le dit le prix Nobel d'économie Joseph Stiglitz, « l'efficacité économique suppose le libre accès au savoir ». Et de proposer un système de récompense plutôt que le modèle actuel, lequel restreint le champ des possibles. Nous aurons bientôt à rouvrir le débat sur la contrefaçon. Elle peut, aussi, se révéler bonne, en particulier pour les déshérités.
L'amendement n°2 est retiré.
L'article 19 est adopté, ainsi que l'article 20.
La proposition de loi est définitivement adoptée.
M. le président. - À l'unanimité.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. - Sur quatre textes dont notre commission des lois était saisie en trois jours, nous nous sommes retrouvés. Il y a de quoi s'en féliciter quand certains prétendent qu'aucune loi ne sortirait de notre enceinte. Il y a des textes qui sont rejetés, c'est la démocratie ; d'autres sont adoptés, après des débats approfondis. Merci à Mme Lipietz d'avoir, en renonçant à ses amendements, contribué à notre consensus sur un vote conforme.
Cela fait longtemps que notre commission travaillait sur ce sujet ; j'en sais gré à MM. Béteille et Yung ainsi qu'au président Hyest. La contrefaçon représente 10 % du commerce mondial, 38 000 emplois détruits en France, 6 milliards d'euros de manque à gagner en fiscal, nous devions voter d'urgence cette proposition de loi ! (Applaudissements)
Mme Nicole Bricq, ministre. - À mon tour de saluer la ténacité de M. Yung qui ne s'est pas laissé abattre après le départ de M. Béteille. Je veux aussi saluer mon collègue Vidalies, qui a réussi à inscrire ce texte à un ordre du jour très encombré. On le doit en partie à la détermination de votre commission, qui s'était prononcée à l'unanimité.
Non, le débat n'est pas clos sur la propriété intellectuelle. Je signale à Mme Assassi que le régime des certificats d'obtention végétale est celui que reconnaît l'OMC ; il s'impose donc aussi aux États-Unis.
Merci à tous.
Prochaine séance demain, jeudi 27 février 2014, à 10 heures.
La séance est levée à 22 h 45.
Jean-Luc Dealberto
Directeur des comptes rendus analytiques
Ordre du jour du jeudi 27 février 2014
Séance publique
À 10 heures
Présidence : M. Jean-Claude Carle, vice-président
Secrétaires : M. Jean Boyer - Mme Odette Herviaux
1. Débat sur le bilan des 35 heures à l'hôpital
De 15 heures à 15 h 45
2. Questions cribles thématiques sur la laïcité
À 16 heures
3. Conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi relatif à la formation professionnelle, à l'emploi et à la démocratie sociale (n° 395, 2013-2014)
Rapport de M. Claude Jeannerot, rapporteur pour le Sénat (n° 394, 2013-2014)