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Table des matières
Visite d'une délégation albanaise
Engagement des forces armées en République centrafricaine
M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense
M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères
M. Jean-Yves Le Drian, ministre
Demande de constitution d'une commission spéciale
Programmation militaire (Deuxième lecture)
M. Jean-Yves Le Drian, ministre
M. Jean-Louis Carrère, président et rapporteur de la commission des affaires étrangères
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur pour avis de la commission des lois
M. Jean-Yves Le Drian, ministre
Ordre du jour du mercredi 11 décembre 2013
SÉANCE
du mardi 10 décembre 2013
43e séance de la session ordinaire 2013-2014
présidence de M. Jean-Pierre Bel
Secrétaires : Mme Michelle Demessine, M. Hubert Falco.
La séance est ouverte à 15 heures.
Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.
Hommage à Nelson Mandela
M. le président. - (Mmes et MM. les sénateurs se lèvent)
À quelques moments de l'Histoire, au fil des siècles, s'élèvent des femmes, des hommes qui par leur courage, par leur détermination, donnent confiance et espoir à des millions d'autres. Nelson Mandela était de ceux qui incarnent les grandes luttes de leur temps et changent le cours de l'histoire.
Madiba, Nelson Mandela nous a quittés le 5 décembre.
Dans son combat contre le racisme, contre l'injustice, Nelson Mandela a porté au plus haut ses convictions, ses valeurs, qu'il avait chevillées au corps, de liberté, d'égalité, et de fin des discriminations. C'était un être rayonnant, éclatant, apportant un peu de lumière dans un vingtième siècle trop longtemps marqué par sa part d'ombre.
Nelson Mandela c'est d'abord le militant engagé.
Il participa à la création en 1944 de la Ligue des jeunes du Congrès national africain, l'ANC, avant de se rapprocher du parti communiste sud-africain.
Nelson Mandela, ce fut un révolutionnaire, un homme d'action.
Dans ce pays où Gandhi séjourna plus de vingt ans et où il conduisit ses premiers combats politiques, il mena des actions de désobéissance civile contre des centaines de lois qui retiraient aux Noirs, aux Indiens et aux métis leurs droits et libertés ; contre ce qu'il dénonça comme « un système monolithique, diabolique dans le détail, inéluctable dans son objectif et écrasant dans son pouvoir ». Cette désobéissance lui valut ses premières condamnations. Mais dans la résistance il acquit le sentiment de « marcher droit comme un homme et de regarder tout le monde dans les yeux avec dignité ».
Oui, révolutionnaire et non-violent, il fallut l'horreur du massacre de Sharpeville, le 21 mars 1960, pour qu'il reconsidère les méthodes d'action de l'ANC. Face à la brutalité sanglante de l'apartheid, qui ignorait les revendications légitimes de la population noire, il entra dans la clandestinité. Arrêté à son retour en Afrique du Sud après un voyage dans une douzaine de pays, il est mis en prison le 5 août 1962, pour n'en ressortir que le 11 février 1990, 28 ans après.
À 73 ans, cet homme enfin libre incarnait alors l'avenir de son pays. « Je me tiens devant vous non pas en tant que prophète mais en tant que serviteur de vous, le peuple » déclara-t-il en toute humilité. Son nom avait porté l'espoir de ceux qui luttèrent pendant quarante ans contre l'apartheid.
Parvenu à faire tomber le système ségrégationniste qui avait voulu le briser, Nelson Mandela fut un sage. Sa force, sa grandeur d'âme lui venaient aussi de la culture xhosa, découverte au cours de son adolescence dans la tribu Thembu. Il avait fait sienne l'Ubuntu, cette philosophie de fraternité, fondée sur l'appartenance de chacun à un ensemble plus vaste, à une humanité qui oblige au respect, à la compréhension d'autrui.
Loin de tout esprit de revanche, Nelson Mandela conduisit son pays sur le chemin de la réconciliation.
Devenu le symbole universel de toutes luttes contre le racisme et contre l'oppression, ce « héros au sourire si doux », pour reprendre les mots de Victor Hugo, donna à ces combats un visage. Prix Nobel de la paix, premier président démocratiquement élu de la République d'Afrique du Sud, c'est à Sharpeville qu'il choisit, en 1996, de parapher la nouvelle Constitution de la « nation arc-en-ciel ».
Nelson Mandela resta toute sa vie fidèle à la plaidoirie qu'il prononça lors du procès de Rivonia, il y a un demi-siècle, vouant sa vie à la « lutte pour le peuple africain », pour « l'idéal d'une société démocratique et libre dans laquelle tous vivraient ensemble, dans l'harmonie, avec d'égales opportunités ». Nelson Mandela savait qu'il ne suffit pas d'abolir certaines lois iniques pour faire disparaître les idées qui ont pu conduire à leur adoption. Il était conscient que tout ne vient pas en quelques mois, conscient du chemin qui reste à parcourir pour que chacun vive dans le respect et la dignité qui lui sont dus.
Nelson Mandela nous lègue ce message, cette responsabilité, celle d'oeuvrer encore et toujours pour la liberté, contre les discriminations raciales, pour ces idéaux universels auxquels notre pays est si profondément attaché. (Mmes et MM. les sénateurs applaudissent longuement)
Visite d'une délégation albanaise
M. le président. - (Mmes et MM. les sénateurs se lèvent)
J'ai l'honneur et le plaisir de saluer la présence, dans la tribune officielle, de M. Ilir Meta, président de l'Assemblée de la République d'Albanie. (Applaudissements)
M. Meta est accompagné de Mme Monika Kryemadhe, députée membre de la commission pour l'intégration européenne, de Son Excellence M. Dritan Tola, ambassadeur d'Albanie en France, et de notre collègue M. Bernard Fournier. Je me suis entretenu avec nos deux collègues albanais ce midi, avant qu'ils ne rencontrent des membres du groupe d'amitié.
Leur visite intervient après les élections législatives de juin dernier qui ont permis l'alternance politique en Albanie, et avec la proposition récente de la Commission européenne d'octroyer à ce pays le statut de candidat à l'Union européenne. La France soutient le processus de réformes qui permettra à l'Albanie d'entamer les négociations d'adhésion.
La visite du président Meta et de sa collègue contribue à renforcer les excellentes relations entre nos deux pays et nos deux assemblées. Au cours des derniers mois le Sénat a conduit une coopération intense en faveur du renforcement du Parlement albanais, dans le cadre d'un jumelage qui a abouti à la rédaction de guides de travail dans des domaines comme la procédure législative, le contrôle de l'action gouvernementale et la communication.
Je forme des voeux pour que le séjour des membres de la délégation réponde à leur attente, et je leur souhaite, en mon nom personnel et au nom du Sénat tout entier, la plus chaleureuse bienvenue. (Applaudissements)
Engagement des forces armées en République centrafricaine
M. le président. - L'ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat, sur l'engagement des forces armées en République centrafricaine, dans le cadre du mandat résultant de la résolution 2127 du Conseil de sécurité des Nations unies, en application de l'article 35, alinéa 2, de la Constitution.
Avant que nous n'engagions ce débat, c'est avec une grande émotion que je souhaite rendre hommage aux deux soldats français du 8e régiment de parachutistes d'infanterie de marine de Castres, qui sont morts au combat cette nuit à Bangui. (Mmes et MM. les sénateurs se lèvent)
Le Sénat tout entier salue l'immense courage de ces deux hommes, qui ont fait le sacrifice de leur vie pour défendre les valeurs universelles de liberté et de démocratie. Nous exprimons à leurs familles et à leurs proches nos condoléances les plus attristées. Nous nous associons à leur douleur, ainsi qu'à celle de leurs camarades de régiment.
Nos pensées vont également à cette heure vers l'ensemble des militaires déployés en République centrafricaine pour rétablir la sécurité et protéger les populations.
Mes chers collègues, je vous demande de bien vouloir observer une minute de silence pour honorer la mémoire des deux soldats morts au combat la nuit dernière. (Mmes et MM. les sénateurs observent une minute de silence)
M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense . - Jeudi dernier, le président de la République s'est adressé à la Nation pour annoncer l'intervention des forces françaises en République centrafricaine. La décision d'engager nos forces armées est toujours une décision grave ; nous venons de rendre hommage aux deux soldats du 8e RPIMa de Castres, qui ont fait le sacrifice de leur vie. Je pense à leurs familles et à leurs proches auxquels j'exprime la solidarité de la Nation et transmets les condoléances attristées de l'ensemble du Gouvernement.
En RCA, nos hommes interviennent en soutien de la Mission internationale de soutien à la Centrafrique (Misca), sur la base d'une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies. C'était urgent et nécessaire : quelques heures auparavant, des miliciens commettaient encore des exactions et des massacres dans les rues de Bangui, n'épargnant ni les femmes ni les enfants. L'alarme, que le président de la République avait lancée en septembre à la tribune de l'ONU, était justifiée ; le pays était au bord du gouffre.
Depuis le 24 mars 2013, depuis l'arrivée au pouvoir des rebelles de la Seleka, pillages, viols, exécutions sommaires se sont multipliés dans cet État failli. Plus inquiétant, la spirale de la haine avait pris une tournure intercommunautaire et interreligieuse. L'anarchie qui s'installait menaçait aussi une région déjà fragile, celle des grands lacs. La RCA ne pouvait en aucun cas devenir un nouveau sanctuaire pour les trafiquants et les terroristes. C'est aussi notre sécurité, et celle de l'Europe qui étaient en cause.
À la crise sécuritaire s'ajoute une tragédie humanitaire. La France pouvait-elle ne rien faire, rester sourde aux appels à l'aide des autorités centrafricaines et de ses partenaires de l'Union africaine ? Attendre, c'était prendre le risque d'un désastre ; 70 000 Centrafricains ont déjà dû quitter le pays et 2,3 millions ont besoin d'une intervention d'urgence. Attendre, c'était prendre le risque d'une réponse plus tardive, plus difficile et plus coûteuse.
Après l'intervention du président de la République en septembre devant l'Assemblée générale des Nations unies, la France a saisi le Conseil de sécurité et a obtenu l'adoption à l'unanimité, j'y insiste, de deux résolutions. La résolution 2127 donne mandat à la force africaine de stabiliser le pays et de protéger les civils, et permet aux troupes françaises de l'appuyer. La France a convaincu ses partenaires d'apporter leur soutien politique, logistique et financier à l'effort international de stabilisation.
Le cadre de l'opération Sangaris est donc incontestable. Nos objectifs sont clairement circonscrits : rétablir la sécurité, permettre l'intervention des organisations humanitaires et le déploiement des structures étatiques de base et la montée en puissance opérationnelle rapide de la Misca.
Cette intervention n'a pas vocation à durer, quelques mois sans doute. Comme nous l'avons clairement affirmé au Sommet de l'Élysée, la sécurité en Afrique relève de la responsabilité des Africains. Nos forces sont engagées en appui de la Misca, dont les troupes, venues de tous les pays de la région, passeront de 2 400 à 6 000 hommes.
Il faudra du temps, nous le savons, pour désarmer les milices, former les nouvelles forces centrafricaines, appuyer le processus électoral : ce sera dans la durée le rôle de la Misca. Une opération de maintien de la paix pourra suivre si les Nations unies en décident ainsi, à laquelle l'Union européenne pourra contribuer grâce aux instruments de la politique de sécurité et de défense commune.
Je salue la rapidité avec laquelle se sont déployées nos troupes, qui ont évité des massacres de masse à Bangui ou à Bossangoa. Grâce à la complémentarité entre nos forces prépositionnées et celles en alerte, 1 600 hommes, en deux jours, ont pu sécuriser les lieux où se sont regroupés les réfugiés, tel l'aéroport M'Poko, et nos ressortissants qui sont de l'ordre de 800 ; le désarmement des groupes armés a commencé ; nos forces patrouillent pour rétablir le calme et la sécurité.
Soyons clairs, la République centrafricaine n'est pas le Mali. Pourtant, on entend les mêmes questionnements. Les moyens ? L'opération Sangaris est financée par le budget de l'État grâce à la clause de garantie intégrée dans la loi de programmation militaire. La pertinence de notre intervention ? La France n'est pas le gendarme de l'Afrique mais assume ses responsabilités internationales, répond à l'appel de ses partenaires africains face à une urgence absolue. La création d'une vraie force panafricaine de réaction rapide occupera les prochains mois, cela a été annoncé au Sommet de l'Élysée. L'isolement de la France ? Nous n'agissons pas seuls : le secrétaire général de l'ONU est intervenu pour appeler les États à réagir à la crise centrafricaine et le président du Conseil européen a dit les risques pour la sécurité de l'Europe tout entière ; l'Union européenne nous accompagne dès le début, elle participe au pont aérien entre Douala et Bangui pour acheminer l'aide humanitaire et finance la Misca à hauteur de 50 millions d'euros ; les États-Unis, quant à eux, la financent pour 40 millions de dollars.
Au-delà de l'urgence, il faut bâtir l'avenir, restaurer l?autorité de l'État et les services publics dans un pays trop longtemps ballotté au gré de pouvoirs faibles et d'ingérences extérieures. C'est ce qu'exprimera ce soir à Bangui le président de la République. Avec les Centrafricains, les pays de la région ont posé les contours d'un processus de transition qui doit mener au plus vite à des élections démocratiques. Les autorités de transition se sont engagées sur cette voie. La communauté internationale sera vigilante.
La décision d'engager nos forces est toujours une décision grave, je l'ai dit. En ces circonstances, l'unité de la nation et des forces politiques est indispensable. Cette unité, nous la devons à nos soldats, au peuple centrafricain, à l'Afrique. La France saura faire preuve de solidarité. Un des plus grands hommes que l'Afrique ait connus disait : « Ce monde doit être celui de la démocratie et du respect des droits humains, un monde libéré des affres de la pauvreté, de la faim et du dénuement, épargné par la guerre civile, débarrassé de la grande tragédie vécue par des milliers de réfugiés ». Cet homme, c'était Nelson Mandela.
La liberté, la paix, la sécurité du peuple centrafricain : cette cause est juste, elle correspond à l'idée que nous nous faisons de la France et de ses valeurs. Soyons rassemblés, comme nous savons le faire, pour la porter. (Applaudissements)
M. Jacques Legendre . - Pour la deuxième fois, le président de la République a engagé les troupes françaises dans une opération extérieure. Je veux, au nom du groupe UMP, adresser un message de soutien à nos soldats et à leurs familles. Ces hommes sont la fierté de notre pays quand ils prolongent notre action diplomatique.
Fallait-il intervenir en République centrafricaine après le Mali ? La France est-elle devenue le gendarme de l'Afrique ? Je connais bien ce pays de 600 000 km², peuplé de 4,5 millions d'habitants, pour y avoir été professeur-coopérant dans un lycée de brousse. L'Oubangui-Chari, comme il s'appelait alors, a été le deuxième territoire africain à rejoindre la France libre en 1940 ; souvenons-nous qu'il a été conduit à l'indépendance par un homme remarquable, l'abbé Barthélemy Boganda qui voulait bâtir les États-Unis d'Afrique latine et avait pour devise « un homme est un homme ». Hélas, il est mort précocement dans un accident d'avion. Depuis, le pays s'est enfoncé dans une spirale de coups d'État et de violences et est au bord de l'effondrement. « Bangui la coquette » est devenue « Bangui la roquette ». À l'heure où nous saluons solennellement la mémoire de Nelson Mandela, pouvions-nous laisser s'installer au coeur de l'Afrique un espace de non-droit où se seraient retrouvés fanatiques, coupeurs de route, trafiquants d'armes et d'ivoire, métastases de Boko Haram ? On peut seulement regretter que nous seuls ayons la capacité et la volonté d'agir ; l'aide de nos partenaires est bien timide... Il faut dire aux Français que la décision d'intervenir est conforme aux intérêts de la France.
La Centrafrique que j'ai aimée n'était pas déchirée par des conflits religieux, pygmées, animistes et Peuls vivaient en bonne entente... Le processus s'est enclenché il y a dix ans, avec l'arrivée du président Bozizé. Il faudra du temps, beaucoup de temps, pour reconstruire un État et y organiser des élections libres. Il faudra accompagner la République centrafricaine dans la durée. Actuellement, les paysans n'osent plus semer en brousse ; ne parlons pas des investissements étrangers, ils ont fui depuis longtemps. Nous n'avons déjà que trop tardé.
Je ne reprocherai pas au président de la République d'avoir engagé nos troupes dès que les conditions en ont été réunies au Conseil de sécurité. Je me réjouis de la révision de 2008 qui nous vaut l'organisation de ce débat qui sera, je le crains, je le crois, renouvelé dans quatre mois. Comment sécuriser dans un temps si court un pays aussi grand que la France face à des combattants seleka dont il ne faut pas sous-estimer la résistance ? Quelque 1 600 hommes suffiront-ils ? La France intervient dans le cadre de l'ONU. Elle est membre de son Conseil de sécurité, c'est une charge et une chance. Nous le devons à la dissuasion nucléaire, à notre armée, à notre réseau diplomatique. Or nos moyens sont de plus en plus contraints : prenons garde à ne pas prendre d'engagements internationaux que nos moyens militaires et diplomatiques ne nous permettraient plus d'honorer.
Parfois, il y a des raccourcis saisissants. Alors que s'achève un nouveau sommet africain, nous voici engagés dans une nouvelle intervention armée et unis dans l'hommage à Nelson Mandela. On le voit bien, la France et l'Afrique ont tissé des liens qui ne sont en rien la Françafrique, mais des liens profonds et particuliers. Je forme le voeu que les jeunes Africains et Français continuent de se rencontrer et de se comprendre, comme j'en ai eu la chance naguère.
La France s'engage une fois de plus par fidélité à ses valeurs. Mais cet engagement ne la dispense pas d'aider ceux qu'elle a rendus indépendants à acquérir les moyens réels de leur indépendance. Un homme politique centrafricain, M. N'Goupandé, avait écrit un livre intitulé L'Afrique sans la France... La France répond une nouvelle fois à l'appel de l'Afrique. L'Afrique n'est pas sans la France. Mais nous devons bâtir une vraie solidarité entre la France, l'Europe et l'Afrique. Pour notre bien commun. (Applaudissements)
M. Jean-Marie Bockel . - Après ce discours émouvant et juste, je veux saluer à mon tour l'intervention des forces françaises en République centrafricaine dans le cadre de l'opération de Sangaris, en appui de la Misca et sous mandat international. Le danger était extrême pour les populations civiles dans un pays livré aux bandes armées depuis l'arrivée au pouvoir de la Seleka. Je rends hommage à nos soldats qui ont fait le sacrifice suprême de leurs vies cette nuit. Comme pour l?opération au Mali, et dans un esprit de responsabilité et d'unité, j'apporte mon soutien à la décision du président de la République. Le premier objectif de notre intervention doit être de rétablir un climat de sécurité, condition du redressement du pays.
Le renforcement du dispositif français ne saurait néanmoins remplacer la force africaine. Cela passe par l'africanisation des forces présentes en République centrafricaine. Je salue la décision de porter les effectifs de la Misca à 6 000 hommes contre 3 600 initialement.
La mise sur pied d'une force africaine d'intervention continue de faire face à des problèmes d'interopérabilité et de financement. Je me réjouis que la France se soit engagée à former 20 000 hommes par an pour qu'elle soit opérationnelle dès 2015 - le sera-t-elle ? Au-delà des déclarations, que compte faire l'Europe pour soutenir notre action militairement, logistiquement, financièrement ? Le Royaume-Uni apportera une aide logistique ; ce matin, les Allemands lui ont emboîté le pas et, si j'ose dire, plus si affinité.
Pourquoi ne pas déployer le groupe tactique européen créé en 2007 et jamais encore mobilisé ? Cela donnerait corps à l'Europe de la défense qui sera à l'ordre du jour du prochain sommet européen.
M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères. - Très bien !
M. Jean-Marie Bockel. - Le pacte républicain signé à Bangui, issu des pourparlers des 6 et 7 septembre derniers, a exclu la violence comme moyen d'accès au pouvoir. Il est temps que ses promoteurs le mettent en oeuvre dans le cadre du processus de dialogue et de réconciliation. La transition politique ne saurait se dérouler sans le désarmement des milices ni la démobilisation des groupes armés.
Enfin, nous devons accélérer l'aide humanitaire. Le pays compte 415 000 déplacés, la moitié de la population a besoin d'aide humanitaire et 1,3 million de personnes d'une aide alimentaire d'urgence. Nous appelons à la convocation d'une grande conférence de bailleurs de fonds.
Le groupe UDI-UC vous apporte son soutien, monsieur le ministre, en espérant la mobilisation de l'Europe et de la communauté internationale et la construction d'une architecture africaine de sécurité. L'Afrique, si convoitée et si diverse, est notre avenir. Traitons-la d'égal à égal, c'était aussi le message de Nelson Mandela ! (Applaudissements)
Mme Michelle Demessine . - Alors que nous rendons hommage à Nelson Mandela, qui voua sa vie à combattre l'inhumanité suprême de l'apartheid et à prôner la réconciliation pour construire une Afrique du Sud libre et démocratique, nos forces sont engagées pour aider à sortir un petit pays du continent du chaos, de l'extrême pauvreté et du sous-développement. Je rends moi aussi hommage à nos deux jeunes soldats qui ont fait le sacrifice suprême de leurs vies.
Les images de la capitale centrafricaine tournent en boucle dans les médias, provoquant des réactions passionnées. Cinq jours après le début de l'opération Sangaris, nous pouvons prendre le temps de la réflexion.
Certes, du point de vue de la légalité internationale, le mandat de la résolution 2127 du Conseil de sécurité est fondé juridiquement et clair : nos forces interviennent en appui de la Misca sous chapitre VII. Mais notre pays est-il le mieux placé pour se faire l'avant-garde de la transition politique et du développement économique en Centrafrique ? On peut en douter quand la République centrafricaine fut longtemps sous notre tutelle ; on nous suspectera d'arrière-pensées et de vouloir défendre nos propres intérêts. Pourquoi persister à agir seuls alors que le président de la République s'est engagé à ne plus s'immiscer dans les crises politiques africaines et à développer des relations d'un type nouveau ?
Pourquoi et comment, avec qui et avec quels moyens voulons-nous gérer cette nouvelle crise ? La déclaration du Gouvernement ne répond pas à ces questions. Contrairement au Mali, le trouble, voire le rejet de notre opinion publique est révélateur : nos compatriotes sont sceptiques sur notre capacité à agir dans ces pays, et s'inquiètent du coût de telles opérations, qui obèrent nos finances publiques, au détriment d'autres priorités. Disons clairement les choses : la faillite de la République centrafricaine, liée à l'effondrement des cours des produits locaux, ne date pas d'hier, et les politiques d'influence discutables de la France ne sont pas pour rien dans ses difficultés, non plus que nos soutiens aux politiques ultralibérales imposées par les institutions financières internationales.
Quelles initiatives diplomatiques notre pays a-t-il pris pour enrayer la montée des violences en République centrafricaine ? S'agit-il seulement de lancer, une fois de plus, en héros solitaire, une opération militaire dans cette région ?
Quelle est votre politique, au-delà des discours convenus sur l'organisation d'élections ? Ces questions, vous ne pourrez éviter d'y répondre quand cesseront les massacres.
Certes, il faut mettre un terme rapidement à ces violences, éviter que s'installe une guerre civile, mais au-delà, traiter les causes profondes des maux de la République centrafricaine : relations néocoloniales, instrumentalisation du territoire centrafricain par le Tchad, extrême pauvreté, exploitation des ressources par de grandes multinationales... (Approbation sur les bancs CRC) Le Gouvernement doit refonder notre politique d'Aide publique au développement (APD). Les résultats de la Conférence de Paris ne sont pas à la hauteur des enjeux. Nous devons nouer de vrais partenariats équilibrés avec les États africains.
Cette intervention ne s'inscrit, hélas, absolument pas dans un tel cadre : nous désapprouvons sa forme et doutons, au fond, qu'elle constitue une réponse appropriée à la crise que traverse la Centrafrique. (Applaudissements sur les bancs CRC)
M. François Rebsamen . - (Applaudissements sur les bancs socialistes) Je veux d'abord rendre hommage à nos deux soldats tombés hier et exprimer toutes nos condoléances à leurs proches, à leur famille et à leurs camarades de combat. Une fois de plus, l'armée française accomplit sa mission avec professionnalisme, ténacité, rapidité, efficacité. Le courage de nos soldats fait écho à celui de leurs prédécesseurs, montés au front il y a un siècle, que nous commémorerons dans quelques semaines.
(« Très Bien ! » sur les bancs socialistes) De nombreuses vies de femmes, d'hommes et d'enfants ont été sauvées, les viols, les exactions et les pillages ont cessé en Centrafrique ; si cela ne compense en rien la vie des militaires, cela justifie, en soi, l'intervention de la France.
La normalisation de la situation en République centrafricaine est toutefois loin d'être acquise. L'intervention française s'impose donc. La France, fidèle à sa tradition de puissance responsable et à ses valeurs humanistes, a eu raison de prendre les devants.
L'enjeu sécuritaire est d'importance. La crise actuelle n'est que le dernier - espérons-le ! - des soubresauts que connaît le pays depuis la décolonisation. Le retrait, en 2000, de la mission onusienne dépêchée en 1998 par le Conseil de sécurité, déjà, n'a pas mis fin à la spirale des troubles enclenchée dès 1996. Les tensions ont persisté. La Seleka, regroupement des déçus du régime Bozizé, n'a fait que les amplifier depuis 2006. À la fin 2012 s'est ouverte une crise majeure.
Fin mai, après bien des péripéties, et l'échec des accords de paix de Libreville signés en janvier 2013, cet ensemble composite de combattants, conforté par des puissances étrangères, a été dissout par Michel Djotodia, président autoproclamé du gouvernement de transition, lâchant la bride à une soldatesque de 20 000 hommes, rejoints par des miliciens et combattants de pays voisins, dont les membres des groupes terroristes Boko Haram et de l' Armée de résistance du Seigneur (LRA) du tristement célèbre Joseph Kony.
Nous ne pouvons laisser la République centrafricaine devenir une zone de non-droit dans cette région stratégique, où les frontières sont poreuses et les foyers de tension énormes, entre le Sahel, les grands lacs et la Corne de l'Afrique, voire une base arrière pour le développement des activités terroristes.
L'enjeu humanitaire est immense. Sans qu'il faille utiliser de grands mots tels que celui de génocide, le pays est en proie à des conflits à connotation confessionnelle. La Seleka est majoritairement musulmane, la population majoritairement chrétienne. Les violences sont quotidiennes : arrestations arbitraires, exécutions sommaires, viols, enrôlement d'enfants soldats drogués... On estime à 1,3 million le nombre de personnes nécessitant une aide humanitaire urgente, que les ONG ne sont plus en mesure de leur apporter, à 480 000 le nombre des déplacés, dont 50 000 à Bangui. Le HCR a enregistré 66 000 réfugiés.
Je veux rendre hommage au président de la République, qui a pris acte de la gravité de la situation. Il a déclaré, lors du Sommet de l'Élysée : « Un peuple au coeur de l'Afrique est en souffrance. Il nous appelle. Nous ne pouvons plus laisser les massacres se perpétrer. Cet engagement n'est pas seulement sécuritaire, il doit être humanitaire, car c'est aussi notre devoir. » Nous ne pouvions laisser ce peuple en souffrance à son destin. Dès le 24 septembre, François Hollande a attiré l'attention des Nations unies. La France a travaillé sans relâche, obtenant du Conseil de sécurité la résolution 2121, qui définit le cadre juridique de l'intervention actuelle, puis la résolution 2127, laquelle autorise notre pays à accompagner la montée en puissance d'une force internationale.
La République centrafricaine est aujourd'hui un État failli. Les forces de sécurité ne sont plus capables d'assumer leurs fonctions. L'intervention que nous menons avec nos partenaires recouvre la sécurité, l'aide humanitaire, le soutien politique et la reconstruction économique. Nous avons le soutien de l'ONU et des États africains.
La crise centrafricaine sera à l'ordre du jour du Conseil européen du 19 décembre. 50 millions d'euros ont été ajoutés aux 20 millions déjà engagés en faveur de la République centrafricaine. Mais j'estime que les dépenses de cette nature doivent être sorties du calcul du déficit budgétaire national. La France ne peut agir au nom de l'intérêt européen et international et en être pénalisée.
M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères. - Très bien ! (Applaudissements sur les bancs socialistes et du RDSE)
M. François Rebsamen. - Le citoyen français ne comprendrait pas, et il aurait raison, que nous puissions être sanctionnés pour avoir rempli notre rôle. Monsieur le ministre, je vous demande de relayer cette position au niveau européen.
La France est fidèle à sa mission. Elle soutient l'édification de la paix, dans le respect de la légalité internationale. Mais il revient aux forces africaines d'assurer la sécurité du pays à long terme. Le Sommet de l'Élysée l'a rappelé. La France a su, quasi unanimement, dépasser la tendance actuelle au repli sur soi pour aider un peuple en souffrance. La patrie des droits de l'homme est ainsi fidèle à ses valeurs, soyons-en fiers ! (Applaudissements sur les bancs socialistes, écologistes, du RDSE, UDI-UC et quelques bancs UMP)
M. Jean-Michel Baylet . - Je rends à mon tour hommage aux deux soldats du 8e RPIMa de Castres morts hier à Bangui, Nicolas Vokaer et Antoine Le Quinio, je salue leur courage et leur engagement.
Le Conseil européen des 19 et 20 décembre sera consacré à la politique de sécurité et de défense commune ; je m'en réjouis, ainsi que de la tenue du présent débat, aux termes de l'article 35 de la Constitution.
La situation centrafricaine a été successivement inquiétante, dramatique, puis tragique. Elle est semblable, par certains côtés, à celle du Mali. État faible, tensions interconfessionnelles... Elle s'en distingue toutefois par d'autres aspects.
L'instabilité chronique de la République centrafricaine et la faiblesse, voire l'inexistence de l'État, sont avérés. Le coup d'État de la Seleka du 23 mars 2013 a entraîné l'éclatement du pays et exacerbé les tensions régionales et interconfessionnelles. Les milices d'autodéfense, les anti-balaka, qui se sont constituées depuis ont donné naissance à un véritable chaos. La région entière est déstabilisée. Il fallait intervenir vite pour stopper l'escalade de la violence.
Certains responsables politiques français font mine de s'interroger sur la stratégie du Gouvernement. Le mandat, qui nous est confié par la résolution 2127, est pourtant clair ; il légitimise et encadre notre intervention ; il comporte un volet sécuritaire, un volet humanitaire et prévoit l'accompagnement du pays dans le rétablissement de ses institutions.
Des incertitudes demeurent, notamment sur le désarmement et le repli des forces de la Seleka. Son chef ne devrait, en principe, pouvoir se présenter aux prochaines élections. Le volontarisme de la France, le rôle moteur de sa diplomatie, à l'ONU et sur le terrain, ont été justement soulignés. La réorientation des États-Unis vers l'Asie-Pacifique met notre pays en première ligne en Afrique.
Les priorités de la France ont été resserrées autour du Maghreb, de l'Afrique centrale et subsaharienne, conformément au Livre blanc.
M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères. - Tout à fait !
M. Jean-Michel Baylet. - Je me félicite du maintien des bases militaires françaises et forces prépositionnées en Afrique, au Sénégal, au Gabon, à Djibouti et outre-mer - que le précédent gouvernement avait menacées. Seul ce maillage explique le déploiement rapide de nos forces à Bangui.
La mort de Mandela nous appelle à agir. « Sans sécurité, pas de développement ; sans développement, pas de sécurité » : la doctrine africaine du président Hollande s'affirme. Elle conjugue le règlement multilatéral des conflits avec l'implication des organisations régionales. La France assume les responsabilités qui lui incombent du fait de sa stature internationale et, assumons-le, de son héritage historique. Dès 2015, elle pourrait participer à la création d'une force panafricaine, qui serait un atout pour la sécurité du continent.
Ce débat devra lever les dernières ambiguïtés. Sur notre capacité de projection d'abord, estimée dans le cadre de la loi de programmation militaire de 6 000 à 7 000 hommes répartis sur deux ou trois théâtres d'opération. Or les 1 600 hommes engagés en République centrafricaine s'ajoutent aux 2 800 soldats qui oeuvrent au Mali. Soit, mais nous pouvons nous appuyer sur les 15 000 hommes du format « opérations majeures de coercition en coalition » et sur nos forces prépositionnées.
Sur l'action de l'Union européenne, ensuite. Le prochain Conseil européen devra être l'occasion de créer un fonds de soutien aux interventions que le président de la République a appelé de ses voeux.
Enfin, le soutien à la reconstruction de l'État centrafricain. Les Centrafricains doivent redevenir maîtres de leur destin.
Cette intervention, qui est conforme à la légalité sur le plan international comme à notre Constitution, est pleinement légitime : les radicaux de gauche et le RDSE y apportent leur soutien franc et massif. (Applaudissements sur les bancs du RDSE, socialistes, ainsi que sur quelques bancs au centre)
Mme Kalliopi Ango Ela . - Je me réjouis de ce débat sur l'engagement de nos forces armées ; il est l'occasion de rappeler la position constante des écologistes : il devrait être suivi d'un vote des deux assemblées.
La résolution 2127 votée par le conseil de sécurité à l'unanimité de ses 15 membres donne mandat, pour douze mois, à la Misca, appuyée par des forces françaises « autorisées à prendre temporairement toutes mesures nécessaires », de protéger les civils, sécuriser et stabiliser le pays et créer les conditions pour fournir l'aide humanitaire nécessaire. C'est heureux car, depuis la prise de Bangui par la Seleka en mars dernier, la République centrafricaine, qui vit un drame depuis de nombreuses années, est le théâtre d'insoutenables violences : exécutions, violences sexuelles, enrôlement d'enfants soldats...
Face à cette situation inacceptable, il était urgent de réagir. Les écologistes tiennent à réaffirmer que « la capacité des pays africains d'assurer eux-mêmes leur sécurité est un objectif qui requiert le soutien international et particulièrement européen ».
Si nous nous réjouissons du soutien logistique apporté par plusieurs États européens à la Misca et des 50 millions d'euros supplémentaires débloqués par l'Union européenne, à la demande de l'Union africaine, nous regrettons que la France s'engage à nouveau seule dans cette opération en RCA. L'urgence sécuritaire et humanitaire exige un soutien collectif de nos partenaires européens. L'engagement des forces africaines et l'implication de l'Union africaine sont indispensables.
Je me félicite que le Sommet de l'Élysée ait appelé à une réforme du Conseil de sécurité, renforçant la place de l'Afrique en son sein. Je me réjouis, comme les chefs d'État et de gouvernement réunis à Paris, des « avancées importantes réalisées par l'Union africaine, les communautés économiques régionales et les États africains dans la mise en oeuvre d'opérations de paix africaines, au Mali, en République centrafricaine, en Somalie, en Guinée-Bissau, au Burundi, au Soudan (Darfour), aux Comores. Ces initiatives apportent des solutions africaines aux problèmes africains et doivent être soutenues par la communauté internationale ».
Les sénatrices et sénateurs écologistes réaffirment aussi « l'importance de développer les capacités africaines de réaction aux crises » et saluent l'engagement de la France, lors de ce Sommet, à « soutenir les efforts de l'Union africaine pour parvenir à une pleine capacité opérationnelle de la Force africaine en attente et de sa capacité de déploiement rapide à l'horizon 2015, ainsi que la Capacité africaine de réponse immédiate aux crises (CARIC), décidée par le Sommet de l'Union africaine en mai 2013 ».
Les signalements de violences intercommunautaires n'ont cessé de se multiplier depuis un an : une surveillance plus active de ces exactions est nécessaire.
Nous devons tous prendre la mesure de la complexité de la situation sur place, qui complique la tâche de la Misca. Les groupes évanescents se reformeront et se réarmeront rapidement. Ne tombons pas dans l?écueil d'une vision binaire. Le risque est grand que la République centrafricaine se transforme en base arrière de groupes radicaux.
Rappelons que la résolution 2127 prie le secrétaire général de l'ONU de créer un fonds d'affectation spéciale, mais aussi une commission d'enquête internationale, chargée d'investiguer, pour une durée initiale d'un an, les violations du droit international humanitaire et des droits de l'homme. Elle instaure enfin un embargo sur les armements et matériels connexes à destination de la RCA.
Je salue l'engagement des soldats de la Misca, sous mandat de l'ONU, à la demande du Gouvernement et de la société civile de RCA et des États voisins, étape nécessaire pour éviter une catastrophe humanitaire. La prolifération des groupes armés doit nous inciter à refuser la facilité d'une vision binaire et la perméabilité des frontières avec les États voisins à faire preuve de précaution. La sécurisation du pays, hors des grands axes et des grandes villes, sera délicate.
Je salue le courage de nos troupes et rends hommage, au nom de notre groupe, aux deux soldats du 8e RPIMa tombés hier à Bangui. Cette intervention est d'une difficulté sans précédent. La phase militaire devra laisser la place au plus vite à la phase politique, à l'organisation d'élections démocratiques, au temps du développement. L'État centrafricain est particulièrement affaibli. Sa reconstruction sera un préalable nécessaire à tout développement économique. La constitution de listes électorales ne sera pas simple dans un pays désormais dépourvu d'état civil.
L'aide au développement sera indispensable dans un partenariat mobilisant tous les acteurs, les autres États européens, l'UE, le futur État centrafricain, la société civile, les organisations régionales africaines, les États africains, les ONG. En tant que sénatrice représentant les Français établis hors de France, je pense en particulier aux Français installés en Afrique.
Je veux terminer en citant Les mots étrangers de Vassilis Alexakis, écrivain franco-grec en quête du sango, la langue de Centrafrique : « La mort aussi se lève de bonne heure à Bangui. J'ai mis longtemps à me remettre de cette révélation ». Parce qu'elle s'y lève encore plus tôt depuis le 24 mars dernier, pour les Centrafricains, le groupe des Verts soutient l'intervention française en République centrafricaine.
M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères . - Comme les précédents orateurs, je rends hommage à nos soldats tombés hier, et présente mes condoléances à leurs familles et camarades. Notre peine est profonde ; notre solidarité avec nos troupes sans faille.
Comme au Mali en 2012, la France est en pointe en Centrafrique. Il a fallu deux résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies pour décider d'une intervention. Les combats, pendant ce temps, faisaient rage et prenaient parfois une tournure interconfessionnelle.
Nos soldats sont désormais sur le terrain. Nous leur disons notre confiance.
Je veux insister sur la notion de responsabilité de protéger, qui appartient aux dirigeants ou, en cas de défaillance, à la communauté internationale. L'ONU a seule le droit de recourir à la force, en vertu du chapitre VII de la Charte. Il n'y a pas là de contradiction avec la souveraineté étatique, qui ne justifiera jamais d'opprimer sa population. L'urgence humanitaire justifiait à elle seule notre intervention, qui est à l'honneur de la France, en RCA comme en Libye.
Au-delà, nous ne pouvons laisser l'effondrement de l'État centrafricain entraîner la déstabilisation de la région, qui serait préjudiciable à tout le continent. Nous devons empêcher la République centrafricaine de devenir un sanctuaire de terroristes, après l'Afghanistan, la Somalie, le Yémen et le Mali. Les groupes terroristes menacent, en effet, directement, les intérêts de la France et du monde - voyez la piraterie dans le golfe de Guinée, dont nous débattrons en commission en 2014. Autre raison de mettre un terme aux affrontements ethniques ou religieux et aux trafics en tous genres.
D'aucuns agitent le souvenir de la Françafrique. Le message du président de la République est pourtant clair : action aux côtés des Africains, respect de leur indépendance. La France s'est engagée à soutenir les efforts de l'action africaine dans la constitution d'une capacité de déploiement rapide dès 2015.
Sans anticiper sur le débat que nous aurons tout à l'heure sur la loi de programmation militaire en deuxième lecture, notre assemblée, quasi unanime à soutenir l'engagement de nos troupes en République centrafricaine, montrerait quelque incohérence à s'opposer au texte qui confère les crédits nécessaires à de telles actions. Nous défendons ainsi la sécurité de nos concitoyens. On ne peut affirmer que sécurité et développement sont inextricablement liés sans voter les crédits correspondants.
Mais cette opération pourrait en appeler d'autres. Et les crédits des Opex ont déjà été largement dépassés. Leur surcoût s'élève à 1,26 milliard d'euros en collectif 2013, à comparer aux 630 millions d'euros budgétés initialement et 450 millions provisionnés pour 2014 !
Certes, les dépassements sont couverts par la réserve interministérielle, mais nous touchons aux limites de l'exercice. Nous ne pourrons supporter seuls le poids de ces interventions ad vitam aeternam.
La participation de la France est déjà importante, via l'aide bilatérale et les actions de formation. Nous ne pouvons demeurer seuls sur le terrain militaire. L'ONU devra prendre le relais.
Toutes ces questions, monsieur le ministre, devront être posées à l'occasion du Conseil européen des 19 et 20 décembre prochains. Nous reviendrons demain soir sur nos attentes à cet égard. (Applaudissements des bancs socialistes à la droite)
M. Jean-Yves Le Drian, ministre . - Ce débat a été de grande qualité, depuis les rappels historiques de M. Legendre jusqu'aux évocations littéraires de Mme Ango Ela. Un débat de haute tenue, donc, tant sur la forme que sur le fond, sur tous les bancs.
Je veux me réjouir de la quasi-unanimité de votre assemblée.
Elle donne force à nos soldats, je l'ai observé durant l'opération Serval, comme à la France quand elle défend sa position, qui est singulière, au sein de la communauté européenne et internationale.
Puisque nous parlons de nos soldats, j'ai été très sensible aux mots que vous avez eus pour les soldats Vokaer et Le Quinio tombés à Bangui.
Je les avais rencontrés à Libreville, il y a peu et quelques jours avant à Castres, leurs camarades du 8e régiment parachutiste d'infanterie de marine. Ces deux soldats effectuaient une mission de désarmement, engagée depuis hier matin.
Il s'agit non d'une opération de police, mais d'une opération de guerre. Nous devons désarmer toutes les milices, Seleka et anti-balaka, en attendant que se constitue une armée digne de ce nom.
Chaos humanitaire et effondrement sécuritaire, les intervenants l'ont bien dit, justifient notre intervention. Nous intervenons par solidarité et par devoir, en raison du risque sécuritaire pour ne pas laisser s'installer dans la région une zone de non-droit, un creuset de violences, du type Boko Haram, qui menacerait les États africains comme l'Europe. Madame Demessine, notre mandat est clair : assurer un minimum de sécurité par le désarmement, afin d'acheminer une aide alimentaire qu'on ne peut actuellement apporter.
Vous le savez bien, puisqu'on assassine des gens aux portes des hôpitaux à Bangui. Deuxième objectif : soutenir la Misca, dont les effectifs, à la suite de la décision prise au Sommet de la paix et de la sécurité, seront portés à 6 000. Enfin, assurer la transition politique, qui devra intervenir avant 2015. Ce sont les chefs d'État africains réunis à l'Élysée, qui l'ont affirmé samedi dernier, en adoptant des objectifs plus exigeants que ceux définis par la feuille de route de Libreville, modifiée par celle de N'Djaména.
L'intervention sera forte et rapide. En revanche, cinq jours après son déclenchement, il serait irresponsable de vous donner la date précise de sa fin. L'échéance sera de six mois, peut-être un peu plus ou un peu moins, sachant que nos forces étaient déjà présentes à Bangui depuis le précédent coup d'État.
L'Union européenne ? La résolution de l'ONU s'adresse aux Africains, soutenus par la France. Cela n'empêche pas l'Europe de nous aider. La Grande-Bretagne et l'Allemagne nous apportent leur soutien logistique ; la Belgique s'interroge. Cette crise doit être l'occasion de réfléchir à la mobilisation de nos groupements tactiques ; normalement, ils avaient été constitués pour cela. La France interpellera ses amis européens. M. Rebsamen a proposé d'exonérer les dépenses d'opérations militaires du calcul du déficit budgétaire selon les critères européens : cette idée me convient bien mais je ne suis pas sûr qu'on y réussisse rapidement... Je signale que dans le cadre du projet de loi de finances rectificative il est prévu que le mécanisme Athéna soit utilisé pour faire jouer la solidarité européenne.
Je reviens sur la transition en République centrafricaine. Le président de la République et le Premier ministre ont renoncé à se présenter aux élections à venir. S'il leur reste un semblant d'autorité, qu'il soit utilisé pour appliquer le cantonnement et le désarmement. M. le président de la République, je n'en doute pas, leur tiendra ce discours ce soir.
Oui, madame Demessine, il faut avoir une perspective globale de développement. Une conférence de donateurs se réunira au début de l'année prochaine. Nous n'en sommes pas encore là : il faut commencer par rétablir l'ordre en faisant cesser violences et pillages.
Pour finir, une note d'optimisme. J'ai été frappé de voir la prise de conscience par les chefs d'État et de gouvernement africains de la nécessité de bâtir une sécurité collective en Afrique en constituant une force de réaction rapide, et d'assurer la sécurité du trafic maritime dans le golfe de Guinée. Ainsi, madame Ango Ela, la mort se lèvera peut-être moins tôt en Afrique, et aussi grâce au courage de nos soldats ! (Applaudissements)
Demande de constitution d'une commission spéciale
M. le président. - J'ai reçu, transmise par le président de l'Assemblée nationale, la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, renforçant la lutte contre le système prostitutionnel. Ce texte a été publié le 9 décembre.
En application de l'article 16, alinéa 2 bis, du Règlement, Mme Éliane Assassi, présidente du groupe CRC, m'a saisi aujourd'hui d'une demande de constitution d'une commission spéciale sur cette proposition de loi.
Cette demande a été affichée et notifiée au Gouvernement et aux présidents des groupes politiques et des commissions permanentes.
Elle sera considérée comme adoptée sauf si, avant la deuxième séance qui suit cet affichage, soit à l'ouverture de la séance du jeudi 12 décembre, je suis saisi d'une opposition par le Gouvernement ou le président d'un groupe.
La séance, suspendue à 17 h 20, reprend à 17 h 25.
présidence de M. Jean-Pierre Raffarin,vice-président
Programmation militaire (Deuxième lecture)
M. le président. - L'ordre du jour appelle la deuxième lecture du projet de loi, modifié par l'Assemblée nationale, relatif à la programmation militaire pour les années 2014 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense et la sécurité nationale.
Discussion générale
M. Jean-Yves Le Drian, ministre . - Nous venons de débattre en détail de l'intervention de nos forces en République centrafricaine ; nos regards sont aujourd'hui tournés vers l'Afrique, ils pourront l'être demain vers le Proche et le Moyen-Orient et l'Océan indien, pour ne citer que quelques-uns des foyers de tension qui secouent notre monde. Cette situation souligne l'enjeu de cette loi de programmation militaire que, pari tenu, je vous présente en deuxième lecture avant la fin de l'année. Je m'y étais engagé, nous l'avons bâtie ensemble et dans le consensus, car la défense doit dépasser les clivages partisans. Beaucoup de choses ont été dites ; je veux surtout remercier votre commission de la défense : les moments que j'y ai passés ont été pour moi très stimulants.
Notre priorité est d'abord la bonne exécution de la programmation. Grâce à votre initiative, et dans le respect de la séparation des pouvoirs, le contrôle parlementaire est renforcé avec un débat annuel, des clauses de rendez-vous d'actualisation et, bien sûr, des contrôles sur pièces et sur place qui donnent à vos rapporteurs des pouvoirs sans précédent. Pour sécuriser la programmation, l'Assemblée nationale a inscrit dans le corps de la loi les clauses relatives aux ressources exceptionnelles qui figuraient dans le rapport annexé ; je présenterai quatre amendements à la loi de finances rectificative pour surmonter la difficile fin de gestion en 2013 et 500 millions de ressources exceptionnelles supplémentaires viendront abonder le budget des armées, pour ne pas alourdir le report de charge.
Ainsi, nous respecterons la première période de programmation, pour 500 millions, des équipements militaires prévus dans le rapport annexé : lancement du missile de longue et moyenne portée, nouveau Rafale, nouveaux radars, système Ceres, etc.
Au-delà des aspects financiers, le texte contient des dispositions législatives. Le Sénat en bien des domaines, comme celui du renseignement, a pris une initiative que l'Assemblée nationale a confortée. La solution retenue pour la géolocalisation en temps réel - une autorisation de trente jours plutôt que quatre mois -, identique à celle utilisée pour les interceptions de sécurité de par la loi de 1991, est conforme à la Constitution et respectueuse des libertés. La Commission nationale des contrôles des interceptions de sécurité (CNCIS) voit ses pouvoirs de contrôle renforcés avec le nouvel article L. 246-4. Le même équilibre a été recherché, par votre commission des lois, pour le fichier PNR qui fera l'objet d'autres débats. Plus largement, nous reviendrons sur la protection des données personnelles lors de l'examen de la loi sur les libertés numériques en 2014, qui sera précédée d'une concertation.
Merci à Mme Bouchoux d'avoir clarifié le rôle du Civen (Comité d'indemnisation des victimes d'essais nucléaires).
Il sera transformé en autorité administrative indépendante ; il le fallait car on pouvait suspecter mon ministère d'être juge et partie.
Les députés ont voulu, comme vous, définir clairement notre doctrine de ressources humaines et de déflation des effectifs, qui ne devra pas porter sur les activités opérationnelles, mais plutôt sur le champ administratif au sens large. J'attacherai un grand soin à l'articulation entre armée et territoires comme au lien entre armée et nation. Concrètement, il ne sera pas procédé de façon arithmétique et automatique, pour éviter tout retour en arrière lors des restructurations, ce qui décrédibilise notre politique. Suite aux travaux du Conseil supérieur de la fonction militaire, il a été décidé de renforcer la concertation dans le respect de la spécificité militaire.
En un mot, la dynamique que le Sénat a insufflée à cette loi ne s'est pas démentie. C'est une loi cohérente et équilibrée. Nous aurons, avec une programmation de 190 milliards, les moyens de nos ambitions, sans déclassement stratégique ; une loi solide, également, car elle est claire, équilibrée et responsable. Ce projet de loi n'est pas hors-sol ; il tire les conséquences du Livre blanc : menaces de la force, risques de la faiblesse - nous le voyons en République centrafricaine - dangers de la mondialisation, nous alignons 185 000 militaires et toute une panoplie d'équipements. Nous aurions pu fermer les yeux sur certains risques pour réaliser des économies faciles ; nous aurions pu faire des choix stratégiques sans nous en justifier : nous nous y sommes refusés par souci de sincérité. Cela dit, aucun sujet n'est tabou : parlons de la dissuasion nucléaire, comme l'a proposé la présidente de la commission de la défense de l'Assemblée nationale. Pour moi, elle est un élément indispensable de notre souveraineté, qu'il nous faut adapter aux nouveaux risques et aux nouvelles menaces.
M. Alain Gournac. - Très bien !
M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense. - Je me souviens d'un échange fameux entre M. Chevènement et des sénateurs communistes dans cet hémicycle.
Sur l'équipement, nous devons combler nos lacunes en matière de ravitaillement en vol, de drones Male et de transport aérien ; puis soutenir l'effort de cyberdéfense, et renouveler les programmes d'équipements en fin de vie : sous-marins Scorpion et Barracuda, frégates La Fayette et Mirage 2000.
Les crédits de recherche sont au rendez-vous. Nous avons mis l'accent sur l'entraînement des forces. J'ai l'honneur de demander, après de longs mois de travail, un vote conforme du Sénat.
L'inaction est préjudiciable à nos intérêts, la défense est un domaine où nous devons dépasser les clivages partisans. J'espère que vous répondrez aux attentes de la communauté militaire et, plus largement, de la communauté de défense. Elles ont besoin d'un cap, de visibilité. Il importe que la programmation s'applique dès le 1er janvier 2014. (Applaudissements)
M. Jean-Louis Carrère, président et rapporteur de la commission des affaires étrangères . - Ce sujet me tient tellement à coeur que je pourrais en discourir durant des heures. Tenons-nous en donc à des choses simples : les apports du Sénat à ce texte ou plutôt vos apports, chers collègues, à ce texte.
En première lecture, le Sénat a voulu sanctuariser les ressources de la défense en introduisant une clause de revoyure sur les ressources exceptionnelles et une clause de sauvegarde sur les Opex. Notre commission avait également renforcé le contrôle parlementaire de l'exécution avec un contrôle sur pièces et place. Vous pouvez, monsieur le ministre, compter sur notre vigilance : la trajectoire financière, la moins mauvaise possible, devra être respectée. Au reste, elle ne répond pas à nos attentes : d'où la clause de retour à meilleure fortune. Nous reparlerons alors de la programmation des équipements prévue dans le rapport annexe.
Les députés n'ont pas modifié ces trois apports essentiels et je les en remercie.
Qu'ont-ils ajouté au texte ? Des ressources exceptionnelles de 500 millions pour faciliter la fin de gestion de l'année 2013. Vous devrez, tôt ou tard, vous attaquer à cette bosse, formée par ces reports de charges, qui est repoussée d'année en année.
Pour la résorber, il faudra réfléchir au traitement de nos bijoux de famille que sont les participations de l'État dans des sociétés, pour ne les réaliser que s'il n'est vraiment pas nécessaire de les conserver.
Les députés sont revenus sur certaines des avancées que nous avions votées en faveur de la délégation parlementaire au renseignement, dans un sens plus conforme aux attentes du Gouvernement et de certains sénateurs, n'est-ce pas monsieur Gérard Larcher. En ce domaine, par volonté de privilégier le consensus, je n'ai pas déposé d'amendements.
Enfin, l'Assemblée nationale a souhaité ouvrir une réflexion sur le dialogue social au sein du ministère de la défense. De grâce, pas de faux procès ! L'objectif est d'associer les personnels, civils et militaires, à la conduite des réformes. C'est nécessaire pour rompre avec l'effet de ciseau qui veut que la masse salariale s'accroît lorsque les effectifs décroissent.
Pour le reste, l'Assemblée nationale a préservé les apports du Sénat, sur la protection des militaires contre les risques de judiciarisation de leur action dans les Opex, comme sur la géolocalisation en temps réel. Nos propositions sont tout à fait respectueuses des libertés individuelles. Les exigences de protection de la vie privée n'ont pas été abaissées : méfiez-vous, mes chers collègues, des polémiques stériles qu'entretiennent des opérateurs qui n'ont guère de leçons à nous donner...
Les députés sont allés plus loin que nous sur l'indemnisation des victimes des essais nucléaires et les délais de géolocalisation qu'ils ont fait passé de dix à trente jours.
Un seul sujet nous a véritablement opposés : le rythme de livraison des ravitailleurs MRTT. Si notre armée de l'air est extraordinairement performante, rien n'est possible sans MRTT, qui sont l'équivalent de la borne pour les voitures électriques...
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. - Je sais combien vous êtes attachés au rythme de livraison des...
M. Robert del Picchia. - Quatre MRTT !
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. - ... MRTT. Deux ou quatre tout de suite ? J'ai proposé un compromis stimulant, que la question soit posée lors de la révision de 2015... Mais le premier n'est pas commandé... Reste que nous sommes d'accord sur le fond.
M. Jean-Louis Carrère, président et rapporteur. - Nous vous faisons confiance, monsieur le ministre. Cette question devrait être une priorité de 2015 comme du prochain Conseil européen de la défense.
Je veux enfin, et ce n'est pas une clause de style, remercier les rapporteurs de la commission des finances et de celle des lois pour leur importante contribution. Le Sénat, qui était de façon inédite saisi en premier lieu d'une loi de programmation militaire, a su transcender les clivages partisans et démontrer l'intérêt du bicamérisme. Les Français, comme nos militaires, y seront sensibles.
Avec ce texte, la France sera un des rares pays à être capable d'assurer la protection de son territoire et de sa population et d'intervenir hors de ses frontières pour protéger ses ressortissants, défendre ses valeurs et tenir son rang sur la scène internationale. Elle l'a fait au Mali, elle le fait encore en République centrafricaine. Nos militaires ont fait preuve de leur engagement, de leur courage et de leur abnégation ; donnons-leur les moyens de poursuivre leur mission au service de notre pays. C'est pourquoi je vous invite à adopter cette loi de programmation, qui est un grand pas vers la sauvegarde de notre outil militaire. (Applaudissements)
présidence de Mme Bariza Khiari,vice-présidente
M. Jean-Marie Bockel . - Le débat précédent est venu rappeler l'importance de disposer d'un outil militaire performant. Mais serons-nous capables de déployer 15 000 à 20 000 hommes en opérations extérieures dans les années à venir ? Voilà le fond du sujet. En d'autres termes, avons-nous les moyens de nos ambitions ?
Je salue les travaux des deux assemblées. Les discussions ont été intenses. Je me réjouis que notre politique de défense suscite des débats aussi vigoureux.
Le présent texte respecte l'équilibre trouvé en première lecture, les grandes orientations définies ici ont été préservées. Des avancées substantielles sont actées, qu'il s'agisse du renseignement, de la cyberdéfense ou du renforcement des obligations de certains opérateurs en matière de protection de leurs systèmes d'information.
Mais des inquiétudes demeurent : d'abord, l'équilibre budgétaire de cette loi de programmation militaire est incertain. Aucune loi de programmation militaire n'a d'ailleurs été respectée par le passé. Les ressources exceptionnelles à hauteur de 6,1 milliards assureront-elles la pérennité de notre outil de défense, fussent-elles augmentées de 500 millions ? La perspective d'un bras de fer avec Bercy n'est pas à exclure, en dépit des 578 millions au titre de la solidarité interministérielle qui viennent compenser en partie les 650 millions supprimés dans le collectif.
La sous-budgétisation des Opex, qu'a relevée en son temps la Cour des comptes, est aussi préoccupante ; alors qu'elles ont coûté en moyenne 800 millions ces dernières années et à l'heure où la France s'engage en République centrafricaine, les 450 millions du projet de loi de finances pour 2014 paraissent bien faibles... Les dépenses d'équipement jouent classiquement le rôle de variable d'ajustement au profit des Opex et de la masse salariale, avec des conséquences préjudiciables sur un secteur industriel qui emploie 20 000 personnes.
Cet équilibre incertain fait craindre de nouvelles réductions d'effectifs ; la disparition de 33 000 postes risque de bouleverser la cohérence de nos forces, qui doivent demeurer projetables en tous points du globe.
Nous sommes, de plus, bien loin d'une véritable défense européenne. Nous attendons votre feuille de route, monsieur le ministre, dans la perspective du prochain Conseil européen.
Je m'inquiète de la dissolution du 110e régiment d'infanterie rattaché à la brigade franco-allemande - qui m'est chère, vous le savez. L'équilibre de celle-ci est remis en cause. Où en sont les discussions avec notre partenaire allemand en termes d'implantations et de capacité d'emploi ?
Au-delà de ces inquiétudes, la France conserve une défense crédible. Je reconnais les efforts du Gouvernement et les vôtres, monsieur le ministre. « Quand je me regarde, je me désole, quand je me compare, je me console » pourrait-on dire en regardant le budget de la défense de nos voisins européens. Qui pourrait assurer aujourd'hui qu'il ferait mieux ? Sauf à faire d'autres choix dans d'autres domaines...
Nos soldats sont engagés sous les couleurs de la France pour sauver des vies, mais aussi défendre notre influence, nos valeurs, notre place de membre permanent du Conseil de sécurité. Ce texte doit être l'occasion de se rassembler. Notre vote, positif pour la majorité des membres de l'UDI-UC, sera d'exigence. (Applaudissements au centre et à droite)
Mme Michelle Demessine . - L'examen de cette loi de programmation militaire en deuxième lecture prend un relief particulier avec l'intervention française en République centrafricaine.
Nous avons dit en première lecture notre opposition à certaines de vos conceptions stratégiques, monsieur le ministre. Nous plaidons pour une défense nationale progressiste, qui défend les intérêts de la France et de son peuple, qui promeut aussi ses valeurs pour l'émergence d'un monde plus juste et plus solidaire, la paix et le désarmement. Il n'y a à nos yeux guère de différence avec la politique du gouvernement précédent, atlantiste, privilégiant une certaine conception de la dissuasion nucléaire et sa priorité sur les forces conventionnelles. Cette loi de programmation militaire ne modifie en rien la trajectoire passée.
Nous ne la rejetterons toutefois pas en bloc, car notre défense doit, alors que le budget est contraint, assurer la protection de notre territoire, préserver notre statut international et garantir notre autonomie stratégique et financière, qui sont les fondamentaux de la souveraineté. Il faut qu'elle dispose des moyens propres à garantir son efficacité et sa crédibilité.
Nos collègues députés n'ont guère modifié le texte, en préservant les clauses de revoyure, de sauvegarde et de retour à meilleure fortune ainsi que les pouvoirs de contrôle des parlementaires.
Je me réjouis de l'apport de 500 millions supplémentaires de recettes exceptionnelles. Vous avez pris l'engagement que toutes les opérations prévues d'investissement seraient réalisées. Dont acte. Vous avez heureusement obtenu le financement du surcoût des Opex par la solidarité interministérielle à hauteur de 578 millions. J'ai aussi pris note des annonces positives que vous avez faites relativement à l'extension du mécanisme européen Athéna. Je me réjouis enfin des progrès accomplis dans le régime d'indemnisation des victimes d'essais nucléaires, même s'il reste du chemin à parcourir pour que soient reconnues toutes les victimes.
Malgré ces garanties, subsistent des doutes sur la cohérence capacitaire de nos forces et la compatibilité des moyens engagés avec les ambitions stratégiques élevées du Livre blanc. Comment faire avec des choix budgétaires dont la stabilité repose sur des choix que nous contestons ? La poursuite de la baisse drastique des effectifs pèsera sur nos capacités opérationnelles comme sur l'équilibre de nos territoires. Nous contestons la politique de gribouille qui consisterait à compenser le manque de ressources par des cessions de participation de l'État. L'abandon de la maîtrise publique dans des secteurs stratégiques est un risque pour notre souveraineté. Il suffit de voir comment EADS restructure ses activités de défense en sacrifiant ses salariés à l'impératif de rentabilité. L'État actionnaire, dont la position est affaiblie, n'a d'autre solution que de rappeler M. Enders à ses obligations d'accompagnement du plan social...
Cette loi, qui repose sur un équilibre fragile, tente, dans une période complexe et incertaine, de sauvegarder un outil de défense autonome, auquel nous sommes attachés tout autant que vous. Nous prenons également acte de votre volonté de débattre de la dissuasion nucléaire.
Malgré nos divergences et nos critiques de fond, le groupe CRC, maintiendra donc son abstention. (Applaudissements sur les bancs écologistes et sur quelques bancs socialistes ; MM. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois, et Jean-Louis Carrière, président et rapporteur, applaudissent aussi)
M. Jean-Pierre Chevènement . - Le vote de ce texte marquera la fin positive d'un long marathon, puisque les 190 milliards de crédits de la défense se trouvent préservés. Je me suis exprimé sur le fond du texte en première lecture, je n'y reviendrai pas. Je veux saluer le travail considérable et l'implication constante du président Carrère, me réjouir des avancées conservées par l'Assemblée nationale, comme les clauses de revoyure et de sauvegarde, et me féliciter de la majoration potentielle de recettes exceptionnelles de 500 millions, de l'abandon du fameux logiciel Louvois ou du dégel d'une grande partie de la réserve de précaution. Je mesure la ténacité dont il vous a fallu faire preuve, monsieur le ministre, pour obtenir ces bons résultats. Vous avez hérité d'une « bosse » de 3 milliards de la gestion précédente, qui pèse lourd...
Le surcoût des Opex, avec les opérations Serval et Sangaris, sera à coup sûr supérieur à 450 millions. Je rends hommage à mon tour aux deux soldats tombés hier. Le président de la République a annoncé que l'intervention en République centrafricaine serait courte ; nous savons pourtant qu'il est plus facile d'obtenir un billet aller qu'un billet retour... On le voit au Mali, où le deuxième tour des législatives est prévu dimanche prochain. Il incombe aux autorités de ce pays de mettre en oeuvre par le dialogue les accords de Ouagadougou. La formation de troupes africaines de maintien de l'ordre est désormais un objectif essentiel ; il faudra penser à financer la formation de 20 000 soldats par an...
La bonne exécution de cette loi de programmation militaire n'est pas garantie. La réalisation des ressources exceptionnelles peuvent prendre du temps... Et leur part dans les crédits 2014, 2015 et 2016 n'est pas négligeable.
Les dépenses consacrées à la défense devraient, en toute logique, être déduites de celles prises en compte pour mesurer les déficits au sens européen, puisque l'Europe a depuis longtemps montré son impotence en la matière.
Pouvez-vous confirmer les propos du délégué général à l'armement sur les perspectives de vente à l'exportation des Rafale, et préciser où en est la coopération avec le Royaume-Uni et d'autres pays européens, notamment en matière de drones ?
J'approuverai, comme la totalité du groupe RDSE, ce texte. Reste à nous battre pour qu'il soit intégralement respecté. (Applaudissements à gauche)
Mme Corinne Bouchoux . - La loi de programmation militaire fixe les priorités opérationnelles et les choix majeurs pour 2014-2019. La défense reçoit chaque année 31,4 milliards, c'est le troisième poste du budget de l'État. La priorité accordée au renseignement ou à l'entraînement, l'abandon du logiciel fou Louvois sont à saluer.
Mais l'occasion d'adapter notre outil à nos priorités stratégiques aura été manqué. La dissuasion nucléaire pèsera 23,3 milliards sur la période et n'a fait l'objet d'aucun débat en séance : c'est dommage. Il faut s'interroger sur la pertinence d'une force aussi coûteuse que désuète. Le contexte international a changé depuis 1989, mais nous nous cramponnons à un outil qui ne répond plus aux menaces contemporaines. Nous sommes opposés à son maintien en l'état. Paul Quilès, homme politique responsable, comme Michel Rocard, posent ouvertement la question. Pourquoi ne pas conserver la composante sous-marine et arrêter en dix ans la composante aérienne ? Les économies de l'ordre de 1 à 1,5 milliard pourraient être utilisées au désendettement ou au renforcement de nos unités déployées sur le terrain dans le cadre de nos engagements internationaux. N'oublions pas les engagements de la France en faveur du désarmement. À un an et demi de la conférence de révision du traité de non-prolifération, il eut été bon de débattre de la dissuasion.
Le dispositif d'indemnisation des victimes d'essais nucléaires, s'il a progressé, demeure insuffisant. Le logiciel semble conçu pour éliminer les dossiers : 12 seulement sur 840 ont trouvé une issue positive. Pourquoi ne pas admettre l'examen de ceux-ci au cas par cas ? Il ne faut pas s'attendre à une multiplication des demandes ; beaucoup de victimes, hélas, sont mortes et les survivants ne peuvent pas toujours faire le lien entre leur maladie et leur participation aux essais. Et 10 millions de crédits de paiement sont inscrits à la mission « Anciens combattants »...
L'article 13 n'offre pas toutes les garanties qu'une démocratie exigerait.
M. Jean-Louis Carrère, président et rapporteur. - Je vous l'ai pourtant expliqué.
Mme Corinne Bouchoux. - En conséquence, à une exception près, le groupe des Verts ne pourra voter le texte. (Applaudissements sur les bancs écologistes)
M. Gérard Larcher . - Le débat que nous avons eu sur l'intervention en République centrafricaine a démontré que notre défense était bien le bras armé de notre diplomatie. La défense est la première garantie de notre crédibilité et le gage de notre siège au Conseil de sécurité. Le vote de la résolution 2127 est intervenu la veille du Sommet de l'Élysée pour la paix et la sécurité en Afrique ; en 1994, le sommet franco-africain de Biarritz, organisé à l'initiative de François Mitterrand, posait déjà la question d'une force africaine d'intervention rapide. Qu'en reste-t-il ?
La loi de programmation apparaît sous-dotée au regard de ses ambitions. Je salue à mon tour le courage et le comportement exemplaire de nos soldats et rends hommage aux deux militaires tombés hier. La France ne peut pas déroger à ses obligations morales et humanitaires. Certes le président de la République a rappelé la nécessité pour l'Afrique d'assurer sa propre sécurité lors du Sommet de l'Élysée. Pourtant, les soldats français sont encore et toujours les premiers sur le terrain pour protéger les populations civiles. L'Europe, malgré les discours de MM. Barroso et Van Rompuy, laisse la France seule, comme elle l'a fait lors de l'opération Serval. Nos alliés n'engagent pas leurs forces, bien qu'ils entretiennent eux aussi des liens historiques et culturels avec l'Afrique ; mais ils ne remettent nullement en cause la légitimité de notre intervention en République centrafricaine...
Si je salue le travail considérable de la commission et de son président, je crains que cette nouvelle loi de programmation militaire, avant même son adoption, ne soit déjà dépassée. Je sais, monsieur le ministre, que vous parcourez les casernes et les garnisons ces derniers jours. Il est bon que vous vous préoccupiez de la vie quotidienne des militaires, vu l'atmosphère du Conseil supérieur de la fonction militaire de juin dernier. Mais le Gouvernement vous prive de 820 millions pour la fin de la gestion 2013, presque entièrement sur des crédits d'équipement prétendument sanctuarisés... Vous en appelez alors aux ressources exceptionnelles en 2014. D'où viendront-elles ? Comment seront-elles utilisées ?
Nous commencerons l'année 2014 avec un report de charges de 4 milliards, soit un semestre de crédits d'équipements hors dissuasion nucléaire. Comment assurer la bonne exécution du texte dans ces conditions ?
Alors que nous déployons de plus en plus de soldats sur des théâtres de plus en plus nombreux, la défense assure 60 % des efforts de réduction des effectifs publics. Est-ce cohérent ? Est-ce juste ? Les dépenses d'équipement jouent, comme chaque année, le rôle de variable d'ajustement au bénéfice de la masse salariale et des Opex. (M. Jean-Louis Carrère, président et rapporteur de la commission des affaires étrangères, le conteste)
Bien sûr, nous reconnaissons votre volontarisme, monsieur le ministre. Je sais ce que c'est de se battre pour des crédits. Nous sommes tous aux côtés de nos soldats, mais cela ne peut suffire à réunir le consensus sur les moyens des temps futurs. Le groupe UMP votera majoritairement contre ce texte. (Quelques applaudissements à droite)
M. Daniel Reiner . - Les débats ont été longs, depuis l'élaboration du nouveau Livre blanc, et intenses. Je me réjouis qu'ils aboutissent à l'adoption de cette nouvelle loi de programmation militaire. L'exercice a été véritablement démocratique, les deux chambres y ayant apporté leur touche. Un équilibre a été trouvé. Les apports de l'Assemblée nationale ont été opportuns, l'autre chambre a, comme le Sénat, cherché à sécuriser les ressources ; la majoration de 500 millions des ressources exceptionnelles est bienvenue.
Je regrette que le suivi médical des militaires de retour d'opération n'ait pas force de loi. L'Assemblée nationale a souhaité accorder la carte du combattant aux militaires en Opex, préciser le temps de travail des marins mineurs, conforter les droits des requérants devant la commission d'indemnisation des victimes des essais nucléaires, améliorer l'expression sociale des militaires. C'est heureux. Je ne parlerai pas du logiciel Louvois, il y aurait trop à dire...
La loi de programmation militaire repose sur des bases fragiles. L'annulation de crédits opérés par la loi de finances rectificative le démontre. La vigilance des parlementaires, qui disposeront de moyens supplémentaires de contrôle, s'imposera.
La définition du modèle d'armée 2025 est conforme aux ambitions de notre défense comme à nos moyens financiers ; elle exigera des efforts supplémentaires pour sauvegarder l'essentiel.
La révision de nos contrats opérationnels est réaliste, en particulier sur le maintien de notre capacité de projection dans le cadre des opérations de coercition sur plusieurs théâtres. Je salue à mon tour la mémoire de nos deux soldats morts au champ d'honneur à Bangui - le 8e RPIMa nous avait magnifiquement reçus, Jacques Gautier et moi-même.
Des priorités ont été dégagées : renseignement et cyberdéfense, connaissance et anticipation - pour paraphraser Nabokov qui écrivait « Science et connaissance, art et anticipation, les deux couples qui se cachent bien des choses, mais quand ils se comprennent, rien au monde ne les surpasse » - recherche et technologie, entretien programmé et MCO : les crédits d'équipement progressent par rapport à la loi précédente.
M. Jean-Louis Carrère, président et rapporteur. - Absolument !
M. Daniel Reiner. - Il faudra rechercher la mutualisation avec d'autres pays d'Europe. L'A400M est un cas d'école. Nous avons travaillé la question avec Jacques Gautier et Bertrand Auban. L'avion vient d'entrer en service en France, ce sera le cas dans quelques mois en Grande-Bretagne. Comment croire que nous ne parvenions pas à un accord de soutien partagé avec nos amis anglais ?
Cette loi de programmation militaire, qui préservera notre outil militaire, reste pourtant un édifice fragile. Je me réjouis de l'inscription de la clause de revoyure et du renforcement des moyens de contrôle du Parlement. Vous pouvez compter, monsieur le ministre, sur notre soutien et notre vigilance. Nous veillerons à ce que cette loi de programmation militaire soit, pour une fois, respectée ! Le groupe socialiste la votera. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. Jeanny Lorgeoux . - Chère Michelle Demessine, j'ignore ce qu'est une défense nationale progressiste ; je ne connais que la défense nationale...
La DGSE, service de renseignement extérieur, assure une présence là où les canaux diplomatiques s'arrêtent ; elle maîtrise le spectre complet des modes de recueil du renseignement. La loi de programmation consacre le rôle fondamental de celui-ci et lui consacre 3,4 milliards de crédits cumulés pour la période 2014-2019-dont 1,2 pour la DGSE. Cet effort singulier inclut la mise en oeuvre des grands programmes de renseignement satellitaires, Musis et Ceres, et des drones Male, la modernisation des modalités de recueil et de traitement des informations et la progression des effectifs du renseignement. Il faut le souligner, nos moyens restent inférieurs à ceux de la Grande-Bretagne et de l'Allemagne.
Saluons l'équilibre trouvé entre des objectifs contradictoires : renforcement du contrôle parlementaire, mais protection de l'anonymat de nos agents ; renforcement de la sécurité nationale par l'accès aux données de connexion et la géolocalisation, mais sauvegarde des libertés individuelles. À cet égard, l'objectif des dispositions de l'article 13 est de pourchasser des terroristes, non de s'immiscer dans la vie privée des citoyens. Big Brother, comme son nom l'indique, c'est au-delà de l'Atlantique ; c'est là que les angoisses numériques doivent s'exprimer...
Après ce bref coup de projecteur, je veux rendre hommage à l'agent Denis Allex tombé en Somalie après un long calvaire ainsi qu'aux 6 000 agents civils et militaires de la DGSE, dont le métier souterrain et périlleux est méconnu.
Dans le domaine du renseignement comme dans d'autres, monsieur le ministre, vous vous employez à raison à construire l'avenir ! (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. André Trillard . - Ma première pensée va évidemment à nos soldats et je salue le sacrifice des deux militaires qui sont tombés hier.
Après bien des annonces, cette loi de programmation militaire se révèle décevante. La seule constance du Gouvernement réside dans la communication et la surenchère en faveur de la puissance technologique. En somme, moins d'hommes, mais suréquipés... Nous devons certes rattraper notre retard en matière de drones... Mais la défense, c'est d'abord des hommes et des femmes auxquels nous devons exprimer notre reconnaissance autrement qu'en nous inclinant devant les monuments aux morts. On ne peut attendre d'eux qu'ils soient toujours plus performants avec des conditions moins favorables que celles faites aux autres corps de fonctionnaires, des moyens en baisse et des équipements vieillissants. Vous ne pourrez pas résoudre ce malaise avec l'arme d'apparat qu'est le dialogue social. L'armée a besoin d'un espace de parole, mais uniquement en son sein et pour elle. Si on ne préserve pas sa spécificité, c'en sera fini d'elle.
Enfin, je veux attirer votre attention sur la compétition industrielle pour les dotations publiques et la concurrence accrue entre les trois armes, parfois attisée ici-même. Monsieur le ministre, vous êtes garant de l'unité de notre armée.
Mme la présidente. - Veuillez conclure !
M. André Trillard. - Je voterai contre cette loi de programmation militaire, en toute conscience. (Applaudissements sur les bancs UMP)
M. André Vallini . - Oui, la France doit rester digne de son histoire et lucide sur son avenir. Lors d'un déplacement à l'ONU, en octobre dernier, nous avons mesuré que la réactivité de François Hollande au Mali est appréciée face à la pusillanimité de Barack Obama en Syrie. Si les Français le savaient mieux, ils en seraient fiers. Ce texte équilibré donne à la France les moyens de respecter ses engagements internationaux et d'assumer la protection de son territoire, la dissuasion et sa capacité d'intervention extérieure, au prix d'un effort budgétaire très important. L'Europe, pour qu'elle ne se résume pas à un grand marché, et devienne une puissance, ne doit pas désarmer, dans un monde qui se réarme, et se doter d'une capacité défense autonome.
En attendant, nos efforts militaires et financiers, aujourd'hui en République centrafricaine et demain en Libye, doivent être mieux reconnus par Bruxelles. D'autres l'ont dit avant moi, M. Rebsamen, comme M. Carrère. Nous devons absolument desserrer cet étau car il est plus facile à certains pays d'être compétitifs au plan économique et exemplaire au plan budgétaire quand ils sont passifs, voire inexistants sur un plan militaire. (Applaudissements sur les bancs socialistes et sur plusieurs bancs à droite)
M. Jacques Gautier . - Je salue l'action déterminée et la passion de M. Carrère...
M. Christian Bourquin. - Bravo !
Mme Nathalie Goulet. - C'est vrai !
M. Jacques Gautier. - ... ainsi que les efforts qu'a déployés M. Reiner pour trouver un terrain d'entente avec les députés. (M. Jean-Louis Carrère, président de la commission, applaudit) Les reports de charges ne sont pas chose nouvelle : ils explosent depuis 2009, passant de 700 millions d'euros fin 2009 à 3,6 milliards d'euros fin 2013. Il est essentiel de réduire cette bosse au-delà de la clause de revoyure.
Je souhaite que vous obteniez le respect de la trajectoire de cette loi de programmation militaire. Il faudra peut-être en venir à des cessions de participations d'État, comme je le demandais en première lecture. Faute de quoi, nous devrons faire le deuil de notre capacité militaire.
Après le Mali, la France intervient en République centrafricaine. Je m'en félicite, tout en déplorant qu'elle intervienne seule. Son effort doit être reconnu, par l'activation des groupements tactiques, ou par une compensation, y compris financière. (Applaudissements à droite) Le gel de 7 % des crédits militaires, décidé par Bercy, jette un doute sur la sincérité des budgets que nous votons. Il faudra réformer nos procédures, pour plus de transparence.
Il y a toute apparence que Bercy ne table pas sur un retour de la croissance. Au-delà, cela nous enjoint à réfléchir à la sincérité des budgets que nous votons.
Monsieur le ministre, l'Assemblée nationale n'a pas dénaturé ce texte. Vous y avez introduit un amendement de 500 millions d'euros. Rien ne serait pire pour moi que de ne pas le voter quand nos forces sont engagées sur le terrain. Je m'abstiendrai donc en rêvant, pour la défense d'une grande coalition à l'allemande, en amont ! (Applaudissements à droite, au centre et sur les bancs socialistes)
M. Gilbert Roger . - Avec 190 milliards d'euros de crédits sur l'ensemble de la programmation, les crédits de la défense sont sanctuarisés. Peu de pays peuvent se prévaloir, comme la France, d'une telle capacité militaire. Néanmoins, parce que notre armée doit participer à la maîtrise de la dépense publique, une déflation modeste de 23 500 postes est prévue. J'insiste sur la nécessité d'un accompagnement social et économique de long terme, tout en saluant la décision courageuse du ministre d'en finir avec le système Louvois. La loi de programmation militaire prévoit 150 millions d'euros d'accompagnement économique pour mener les restructurations dans les territoires les plus fragiles. Le mouvement devra être expliqué, vous avez commencé de le faire, monsieur le ministre. C'est important pour le moral des troupes, autant que le déblocage immédiat de 30 millions d'euros que vous avez obtenu.
Subsistent néanmoins des inquiétudes sur le gel de 820 millions d'euros de crédits pour la fin de l'année 2013.
Pour finir, je veux saluer le dialogue transpartisan qui a présidé à l'élaboration de ce texte. (Applaudissements sur les bancs socialistes ; M. Jacques Gautier applaudit aussi)
M. Xavier Pintat . - Nous devons tout faire pour protéger notre armée, garante de notre souveraineté.
L'Assemblée nationale a peu modifié le texte issu du Sénat. Dont acte. Elle est pourtant revenue sur le seul ajout provenant de l'UMP : la modification du calendrier de livraison des avions ravitailleurs.
Surtout, nous apprenons, entre les deux lectures, que nous commencerons l'année 2014 avec un report de charge de 3,6 milliards d'euros - un chiffre que j'aurais préféré découvrir dans un rapport parlementaire plutôt que sur le site de La Tribune.
Cela dit, regardons la réalité en face. La précédente majorité, à laquelle j'appartiens, a diminué l'effort en faveur de la défense de 1,75 % à 1,5 % du PIB. La réalité aussi, c'est que la clause de retour à meilleure fortune ne jouera pas : l'effort sera, non pas de 1,3 % mais de 1,1 % en 2019. Pourquoi donc cette réduction constante ? Sans doute parce que l'armée est une grande muette ; certainement aussi parce que nous n'anticipons pas les reports budgétaires dans la programmation.
M. Jeanny Lorgeoux. - C'est spécieux !
M. Xavier Pintat. - Cela ne peut continuer. Ce n'est pas aux armées de porter seules le fardeau budgétaire, sous prétexte qu'elles ne peuvent protester publiquement. D'aucuns défendent la cession des participations de l'État. En tout cas, une autre politique est possible. Elle exigera un fort engagement des parlementaires, afin que nous obtenions, monsieur le ministre, des arbitrages qui vous ont été refusés.
Pour terminer, la nouvelle rédaction de l'article 13 provoque l'indignation des internautes. Un tel procédé, qui déborde le cadre de la lutte contre le terrorisme, en généralisant l'accès et l'interception administrative des documents détenus par les fournisseurs d'accès et les hébergeurs, n'est pas acceptable dans le pays des droits de l'homme.
Contrairement à ma position en première lecture, et dont je suis fier, je ne voterais pas ce texte en deuxième lecture.
M. Jeanny Lorgeoux. - C'est bien dommage !
Mme Nathalie Goulet. - Démagogue !
Mme la présidente. - Merci aux orateurs d'avoir respecté leur temps de parole. Cela me permet de la céder au rapporteur pour avis de la commission des lois.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur pour avis de la commission des lois . - Je tiens à dire avec beaucoup de force, à la suite des campagnes qui se sont développées ces derniers jours, que l'article 13, voté par le Sénat après un long travail, qui a associé M. Carrère et M. le ministre, puis adopté par la commission de la défense, la commission des lois de l'Assemblée nationale et l'Assemblée nationale elle-même, ne contient que des dispositions permettant de combattre le terrorisme dans des conditions respectueuses des libertés individuelles. Je défie quiconque de me prouver le contraire.
D'abord, une autorisation du Premier ministre et non plus du ministre de l'intérieur, sera requise, contrairement au régime actuel des fadettes. Ensuite, s'agissant de la géolocalisation, les trois ministres compétents - celui de l'intérieur, de la défense et celui responsable des douanes - devront adresser une demande écrite au Premier ministre qui devra répondre également par écrit. C'est aussi une garantie nouvelle. Troisièmement, nous renforçons considérablement les pouvoirs de la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS). La Cnil, que nous avons entendue, se prononcera sur le décret. Enfin, on nous accuse d'élargir le champ des interceptions alors que nous n'avons fait que reprendre, dans le nouvel article L.241-2 du code de la sécurité intérieure, les dispositions de la loi du 10 juillet 1991. Ces réactions sont, au vrai, symptomatiques de notre société. Après l'Association des services internet communautaires (Asic), qui regroupe des majors du web, on s'inquiète des libertés.
M. Jeanny Lorgeoux. - Qu'ils lisent les textes !
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur pour avis de la commission des lois. - On nous accuse de je ne sais quoi, alors que ce texte n'apporte que des garanties nouvelles. Que les majors du web commencent par balayer devant leur porte : après tout, ce sont elles qui ont fourni des données à la National Security Agency (NSA), après avoir fait des milliards grâce aux données personnelles des utilisateurs. (Applaudissements)
M. Jean-Yves Le Drian, ministre . - Quelques réponses à des questions précises. Concernant les reports de charges, la situation n'est pas nouvelle. Quand je suis devenu député en 1978, j'ai siégé à la commission de la défense. Déjà, on nous demandait de pousser la bosse. Elle n'est pas de 4 milliards, mais de 3,6 milliards, monsieur Larcher, grâce aux 500 millions supplémentaires que j'ai obtenus.
Monsieur Reiner, nous discutons avec les Britanniques d'une mutualisation sur l'A400M. Ils se verront prochainement livrer leur premier appareil.
Monsieur Chevènement, si tout va bien, nous discuterons et validerons, lors du Conseil européen du 19 décembre prochain, l'élaboration d'un drone d'observation. Cela s'ajoutera au club d'utilisateurs des Rippers.
Beaucoup s'inquiètent de la réalité des ressources exceptionnelles. Nous les avons détaillées dans le rapport annexé, c'était une première ; le Sénat a placé des clauses de sauvegarde partout, ce qui devrait vous rassurer, de même que les 50 millions d'euros que j'ai obtenus.
Monsieur Bockel, j'ai attribué à la brigade franco-allemande le premier régiment d'infanterie, qui est historique, de Sarrebourg. Le 111e régiment d'infanterie de Donaueschingen a été dissous en raison de son coût. Reste à trancher la question, toujours pendante, de la mobilisation de cette brigade sur des théâtres extérieurs, peut-être, à l'avenir, le Mali.
Monsieur Trillard, je subis tous les mois les distorsions du système Louvois, qui explique en grande partie la baisse du moral des troupes.
Enfin, monsieur Gautier, il faudra construire les groupements tactiques européens qui ont fait défaut pour l'intervention en République centrafricaine.
La discussion générale est close.
Mme la présidente. - Je propose de passer immédiatement à la discussion des articles. (Marques d'approbation aux bancs de la commission et du Gouvernement)
Discussion des articles
ARTICLE 2
Mme Leila Aïchi . - Alors que nous discutons du nouveau format de nos armées, prenons conscience de la menace que constitue le dérèglement climatique pour la paix dans le monde. C'est un enjeu dans les zones de tension comme le Soudan, la Somalie, le Nigéria, la mer de Chine méridionale, le Moyen-Orient. Le président de la République l'a reconnu lui-même dans son discours lors du Sommet de l'Élysée, en parlant d'une « urgence pour l'environnement et aussi pour la sécurité ». Le concept de « défense verte », fondé sur une approche préventive, redéfinit la vision militaire classique. La France ne doit pas prendre de retard. Elle doit adapter son diagnostic stratégique et sa diplomatie à ces nouvelles menaces.
Faisons tout pour prévenir les conflits en luttant par la démocratie contre le braconnage et le trafic d'espèces protégées, qui représentent 20 milliards de dollars dans le monde, en lien avec des réseaux mafieux et terroristes. Ils faisaient d'ailleurs l'objet d'une table ronde lors du Sommet de l'Élysée, les militaires tiennent de plus en plus compte de cette menace environnementale. Érigeons-le en risque stratégique et dotons-nous d'une véritable feuille de route opérationnelle.
Comment se traduira cette nouvelle orientation pour les prochaines années ? Quelle sera la traduction concrète dans notre modèle d'armée et notre action diplomatique, nos traités bilatéraux, devant sans doute de plus en plus inclure une clause environnementale ?
M. Jean-Louis Carrère, président et rapporteur. - Madame Aïchi, depuis que vous siégez à la commission de la défense, vous éveillez nos consciences, notamment la mienne. Je souscris à votre approche ; nous devons prendre en compte les nouveaux risques : stress hydrique, déséquilibres démographiques, auxquels nous pourrions ajouter accaparement des ressources par certains pays émergents. Le Livre blanc reconnaît les menaces que fait peser la fonte des glaces en Arctique. Un amendement à l'article 2 a été adopté à l'Assemblée nationale ; le président de la République a inclus un volet consacré au changement climatique au sommet des chefs d'État africains. La conférence climat pourrait, à son tour, évoquer ces enjeux.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. - Un amendement a été pris en compte à l'Assemblée nationale. Je vais dans votre sens et souhaite approfondir ces sujets.
Mme la présidente. - Amendement n°7 rectifié, présenté par Mme Bouchoux et les membres du groupe écologiste.
Après l'alinéa 29
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
Dans cette perspective, le Gouvernement remet au Parlement, avant le 31 décembre 2019, un rapport sur le coût du démantèlement des composantes sous-marine et aéroportée de la dissuasion nucléaire.
Mme Corinne Bouchoux. - Je salue les interventions tout à fait pertinentes de Mme Aïchi et la courtoisie de M. Carrère et du ministre.
Cet amendement vise à nous faire connaître ce coût, certainement colossal...
Mme la présidente. - Amendement n°8 rectifié, présenté par Mme Bouchoux et les membres du groupe écologiste.
Alinéa 40
Supprimer cet alinéa.
Mme Corinne Bouchoux. - Rouvrons le débat sur la place de la dissuasion nucléaire dans notre stratégie de défense : il ne doit pas être réservé à des experts mais se tenir en séance publique.
M. Jean-Louis Carrère, président et rapporteur. - Avis défavorable sur ces deux amendements.
Nous devons néanmoins essayer d'aller dans le sens souhaité par Mme Bouchoux s'agissant du prix réel du démantèlement, et j'appelle de mes voeux un débat serein et nourri sur la dissuasion nucléaire, chacun connaissant ma position.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. - Je me suis déjà exprimé sur ces questions. Même avis que M. Carrère.
L'amendement n°7 rectifié n'est pas adopté, non plus que l'amendement n°8 rectifié.
L'article 2 est adopté.
L'article 3 est adopté, de même que les articles 3 bis, 4, 4 bis, 4 ter, 4 quater, 4 quinquies.
ARTICLE 4 SEXIES
Mme la présidente. - Amendement n°9 rectifié bis, présenté par Mme Bouchoux et les membres du groupe écologiste.
Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :
Ce rapport précise spécifiquement les coûts de l'ensemble des programmes afférents à chaque composante de la dissuasion nucléaire.
Mme Corinne Bouchoux. - C'est la même inspiration.
M. Jean-Louis Carrère, président et rapporteur. - Avis défavorable. Partons du principe que l'on aura un large débat sur la question.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. - Même avis.
L'amendement n°9 rectifié bis n'est pas adopté.
L'article 4 sexies est adopté.
Les articles 4 septies, 5, 6, 7, 8, 10 et 11 sont adoptés.
ARTICLE 13
Mme la présidente. - Amendement n°11 rectifié ter, présenté par Mme Bouchoux, M. Gattolin, Mmes Benbassa, Blandin et Lipietz et M. Placé.
Supprimer cet article.
Mme Corinne Bouchoux. - On ne me soupçonnera pas de soutenir les majors, nous avons été interpellés par des citoyens qui sont, pour certains, des geeks. De plus, la Cnil a été entendue, mais peut-être pas saisie pour avis. Nous ne contestons pas l'objectif de lutte contre le terrorisme, mais nous sommes troublés et nous demandons la suppression de cet article, le temps que les choses soient remises à plat.
M. Jean-Louis Carrère, président et rapporteur. - Puisque mon collègue et ami, M. Sueur, ne vous a pas totalement convaincue, je vais faire assaut de pédagogie en rappelant que nous souhaitons un vote conforme pour une mise en application de la loi dès janvier 2014...
Initialement, cet article ne concernait que la géolocalisation en temps réel, dispositif qui nécessitait une clarification légale car la Cour de justice européenne avait demandé l'adoption d'une loi « particulièrement précise ». Le régime des fadettes, qui relevait de l'article 6 de la loi du 23 juillet 2006, a été aligné sur celui plus protecteur des interceptions de sécurité inscrit dans la loi du 10 juillet 1991.
Le nouveau régime est plus adapté aux besoins des services et plus protecteur des libertés. La demande d'accès aux informations devra être adressée au Premier ministre et non plus au ministre de l'intérieur. Elle sera contrôlée par la CNCIS, présidée par un magistrat. La Cnil a été consultée par le Gouvernement pour la rédaction du projet de loi ; certes non sur la rédaction actuelle de l'article, issue d'un amendement parlementaire.
Nous avons nous-mêmes auditionné la Cnil, qui devra en outre donner son avis sur le décret en Conseil d'État pris en application de cet article. J'ajoute que les commissions des lois et de la défense de l'Assemblée nationale ont accepté ce mécanisme, en ne modifiant que le délai d'autorisation, ramené de quatre mois à 30 jours. Vous le voyez, nous sommes animés par le souci du respect des libertés individuelles. Par conséquent, avis défavorable à cet amendement.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. - Le président Carrère a rappelé que le Sénat avait souhaité, dans sa sagesse...
Mme Nathalie Goulet. - Légendaire !
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. - ... de revoir le régime global des interceptions de sécurité. Le régime proposé est équilibré. Le débat que vous souhaitez ouvrir, pardonnez-moi, est tout à fait tardif. Le Conseil constitutionnel a validé le régime instauré par la loi de 2006.
En revenant à la loi de 1991, l'article 13 renforce le contrôle politique, démocratique et technique. La Cnil se prononcera sur le décret d'application et le dispositif pourra être réexaminé dans le cadre du projet de loi sur le renseignement.
Le régime proposé est un bon équilibre entre protection des libertés et efficacité de la lutte contre le terrorisme.
M. Jean-Louis Carrère, président et rapporteur. - Soumettre cet amendement au vote n'a pas de sens : il sera repoussé. Compte tenu de ces arguments, mieux vaudrait le retirer.
Mme Corinne Bouchoux. - Nous sommes sensibles à la précision de vos réponses ; cependant, toutes nos inquiétudes ne sont pas levées. Nous avons connu des scandales, au temps de notre jeunesse, à propos d'écoutes téléphoniques. Par principe, nous maintenons notre amendement.
Mme Nathalie Goulet. - Le Sénat a toujours été soucieux de la protection de la vie privée, le récent rapport Escoffier-Détraigne en témoigne encore. On peut certes s'émouvoir qu'il soit question de l'accès aux données dans la loi de programmation militaire. MM. Sueur et Carrère ne peuvent pas être soupçonnés d'être liberticides. À cet égard, leur carrière parlementaire est sans tâche. Nous ne pouvons que leur faire confiance. Je voterai contre cet amendement.
L'amendement n°11 rectifié ter n'est pas adopté.
L'amendement n°2 n'est pas défendu, non plus que l'amendement n°1.
L'article 13 est adopté.
ARTICLE 14
M. Jacques Berthou . - La cybersécurité et la cyberdéfense représentent des enjeux majeurs. Nos systèmes informatiques sont vulnérables. L'État doit jouer son rôle dans la protection de nos centres vitaux pour notre sécurité nationale et notre souveraineté. Il s'agit là de priorités identifiées par le Livre blanc.
Le Gouvernement a décidé de renforcer les moyens de toute la chaîne de commandement. L'Anssi verra ses effectifs augmenter, ainsi que son budget après l'adoption de la loi de finances pour 2014. Avec cette loi de programmation, l'État pourra prendre des mesures défensives en cas d'attaque.
Il faut rappeler à tous les acteurs économiques le danger des cyberattaques. Le cadre juridique est adapté pour nous donner les moyens de sauvegarder nos intérêts fondamentaux. Je voulais le saluer.
L'amendement n°3 n'est pas défendu.
L'article 14 est adopté.
Les articles 15, 16 bis, 16 quater, 16 quinquies, 16 sexies, 18, 19, 22 A, 22, 24, 25 et 26 sont successivement adoptés.
L'article 28 bis demeure supprimé.
Les articles 28 ter A, 28 ter B, 28 ter, 28 quater, 28 quinquies, 29, 33 bis, 33 ter et 34 sont successivement adoptés.
Intervention sur l'ensemble
M. Dominique de Legge . - Je ne doute pas de votre sincérité, monsieur le ministre, mais ce texte comporte des incertitudes : nous démarrons mal la programmation, du fait des reports de charges, de 3,6 milliards... Les recettes exceptionnelles seront au rendez-vous, peut-être, mais sans doute pas dans les délais prévus. Sans parler des crédits, en l'absence de croissance. Le budget de la défense ne sera pas équilibré. D'autant que vous ne proposez que des déclarations d'intention sur les Opex. Vous aggravez l'externalisation de fonctions de soutien, au risque de menacer l'autonomie de nos armées.
Enfin, l'effort de justice appelé de ses voeux par le président de la République n'est pas respecté, puisque ce sont les armées qui supportent l'essentiel des efforts de réduction des effectifs.
Pour toutes ces raisons, nombre de membres du groupe UMP voteront contre ce texte.
À la demande de la commission et du groupe UMP, l'ensemble du projet de loi est mis aux voix par scrutin public.
Mme la présidente. - Voici les résultats du scrutin n°90 :
Nombre de votants | 345 |
Nombre de suffrages exprimés3 | 08 |
Pour l'adoption | 162 |
Contre | 146 |
Le Sénat a définitivement adopté.
Prochaine séance demain, mercredi 11 décembre 2013, à 14 h 30.
La séance est levée à 20 h 40.
Jean-Luc Dealberto
Directeur des comptes rendus analytiques
Ordre du jour du mercredi 11 décembre 2013
Séance publique
De 14 h 30 à 18 h 30
Présidence : M. Jean-Claude CARLE, vice-président
Secrétaires : M. Marc Daunis - M. François Fortassin
1. Proposition de loi tendant à créer des sociétés d'économie mixte contrat (n° 81, 2013-2014).
Rapport de M. Jacques Mézard, fait au nom de la commission des lois (n° 199, 2013-2014).
Texte de la commission (n° 200, 2013-2014).
2. Proposition de loi relative au financement du service public de l'assainissement par des fonds de concours (n° 840, 2012-2013).
Rapport de M. Jean-Claude Frécon, fait au nom de la commission des finances (n° 186, 2013-2014).
Résultat des travaux de la commission (n° 187, 2013-2014).
En outre, à 14 h 30 :
- Désignation des vingt-et-un membres de la commission d'enquête sur les modalités du montage juridique et financier et l'environnement du contrat retenu in fine pour la mise en oeuvre de l'écotaxe poids lourds.
- Désignation des trente-trois membres de la mission d'information sur l'accès aux documents administratifs et aux données publiques.
À 21 h 30
Présidence : M. Charles Guené, vice-président
3. Débat préalable à la réunion du Conseil européen des 19 et 20 décembre 2013.
Analyse du scrutin public
Scrutin n° 90 sur l'ensemble du projet de loi, modifié par l'Assemblée nationale, relatif à la programmation militaire pour les années 2014 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense et la sécurité nationale.
Résultat du scrutin
Nombre de votants :345
Suffrages exprimés :308
Pour :162
Contre :146
Le Sénat a adopté.
Analyse par groupes politiques
Groupe UMP (132)
Contre : 124
Abstentions : 8 - MM. René Beaumont, Alain Chatillon, Marcel-Pierre Cléach, Robert del Picchia, André Dulait, Jacques Gautier, Philippe Paul, Christian Poncelet
Groupe socialiste (127)
Pour : 125
N'ont pas pris part au vote : 2 - M. Jean-Pierre Bel, président du Sénat, Mme Bariza Khiari, présidente de séance
Groupe UDI-UC (32)
Pour : 17
Contre : 7 - MM. Vincent Capo-Canellas, Daniel Dubois, Jean-Léonce Dupont, Mmes Françoise Férat, Chantal Jouanno, M. Hervé Maurey, Mme Catherine Morin-Desailly
Abstentions : 7 - MM. Jean-Paul Amoudry, Vincent Delahaye, Yves Détraigne, Mmes Sylvie Goy-Chavent, Valérie Létard, MM. Hervé Marseille, Henri Tandonnet
N'a pas pris part au vote : 1 - Mme Jacqueline Gourault
Groupe CRC (20)
Abstentions : 20
Groupe du RDSE (19)
Pour : 19
Groupe écologiste (12)
Contre : 11
Abstention : 1 - Mme Leila Aïchi
Sénateurs non inscrits (6)
Pour : 1 - M. Pierre Bernard-Reymond
Contre : 4
Abstention : 1 - M. Philippe Adnot