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Table des matières



Débat sur les conclusions d'une commission d'enquête (Rôle des banques dans l'évasion fiscale)

M. François Pillet, président de la commission d'enquête

M. Éric Bocquet, rapporteur de la commission d'enquête

Mme Corinne Bouchoux

Mme Nathalie Goulet

M. Jacques Chiron

M. Jean-Claude Requier

M. Louis Duvernois

Mme Cécile Cukierman

M. Michel Berson

M. Jean-Yves Leconte

M. Alain Vidalies, ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement

Accès à la justice (Questions cribles)

Mme Cécile Cukierman

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice

Mme Esther Benbassa

M. Stéphane Mazars

M. Jean-Jacques Hyest

M. Yves Détraigne

M. Philippe Kaltenbach

M. Albéric de Montgolfier

Mme Michelle Meunier

M. Christian Cambon

Ordre du jour du lundi 9 décembre 2013




SÉANCE

du jeudi 5 décembre 2013

41e séance de la session ordinaire 2013-2014

présidence de M. Charles Guené,vice-président

Secrétaires : Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, M. Alain Dufaut.

La séance est ouverte à 9 h 30.

Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.

Débat sur les conclusions d'une commission d'enquête (Rôle des banques dans l'évasion fiscale)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle un débat sur les conclusions de la commission d'enquête sur le rôle des banques et acteurs financiers dans l'évasion des ressources financières en ses conséquences fiscales et sur les équilibres économiques.

M. François Pillet, président de la commission d'enquête .  - Je tiens avant tout à remercier la Conférence des présidents d'avoir inscrit ce débat à l'ordre du jour. J'ai eu l'honneur de présider la commission d'enquête sur le rôle des banques et acteurs financiers dans l'évasion des ressources financières, créée à l'initiative du groupe CRC. Rappelons que ce droit de tirage a été institué par la révision constitutionnelle de 2008 dont nous mesurons tout l'intérêt. Tout n'est pas parfait cependant : les délais impartis aux commissions d'enquête sont trop courts pour étudier des sujets aussi complexes. Nous devons à notre rapporteur Éric Bocquet, à son travail et à ses connaissances pluridisciplinaires, un rapport fouillé qui a été adopté à l'unanimité, fondé sur l'expérience de ses précédents travaux sur l'évasion fiscale internationale. Sur un tel sujet, il eût été facile de se laisser aller aux caricatures populistes... M. Bocquet s'en est toujours gardé. Tous, nous sommes convaincus que la première condition de la justice fiscale est que les lois s'appliquent, et s'appliquent à tous.

Dans les périodes troubles que nous avons traversées, les travaux du Sénat ont été utiles ; le contrôle parlementaire est un bien irremplaçable, auquel les membres de la commission d'enquête ont eu le sentiment de contribuer. La multiplication des commissions d'enquête et missions d'information est-elle pour autant satisfaisante ? Le temps d'une réflexion sur des structures plus pérennes et plus collégiales est sans doute venu.

Que dire des conditions de nos travaux ? Ils se sont déroulés dans un temps marqué par des affaires dont certaines ont été judiciarisées, par des initiatives internationales au sein du G8 et du G20 et, au plan national, par le vote de lois pour mieux lutter contre la criminalité financière et la fraude fiscale. La loi bancaire, les lois sur la transparence et la fraude fiscale prolongent les initiatives prises, au beau milieu de la crise financière, par le précédent président de la République pour restaurer l'ordre public financier international. Nous pouvons nous réjouir que nos travaux se soient inscrits dans cette dynamique.

Mieux connaître pour mieux combattre, tel est le titre de notre rapport, tel est l'objet aussi des mesures législatives adoptées récemment. Nous avons fait des propositions pour réduire l'asymétrie d'information entre les administrations publiques d'une part, les entités financières et les réseaux opaques qu'elles mettent sur pied d'autre part.

Si j'ai souligné la continuité politique dans la lutte contre l'évasion des capitaux, soulignons une rupture depuis 2012. Le ras-le-bol fiscal qui s'exprime désormais, craignons-le, pourrait nous faire perdre ce que nous gagnons dans la lutte contre la fraude. Nous reviendrons sur ce qu'il est convenu d'appeler la circulaire Cazeneuve ; mais il est certain que ce combat doit être mené à l'échelle européenne. Le champ libre ne doit pas être laissé aux États-Unis. Méfions-nous des lois votées dans l'urgence, y manquent souvent un regard d'ensemble et l'effectivité quand elles ne sont pas dangereuses... Je vous renvoie à la décision qu'a rendue hier le Conseil constitutionnel... Nous devons nous interroger sur le sens et la logique de nos grands impôts, tirer les leçons de l'expérience de certains de nos dispositifs antifraude, qui ratissent trop large, ou réexaminer les dispositions techniques qui affaiblissent la sécurité des agents économiques comme de l'administration.

Pour finir, le fameux « verrou de Bercy ».

Mme Nathalie Goulet.  - Ah !

M. François Pillet, président.  - Nous avons émis le simple souhait que ce point fasse l'objet, comment on dit dans les parquets, d'un plus ample informé. Le débat reviendra, soyons-en sûrs. Cependant, soyons exigeants : donnons aux services judiciaires les moyens nécessaires et assurons-nous d'une application rigoureuse de l'article 40 du code de procédure pénale. Il est toujours aventureux qu'un pouvoir constitué s'attache à ne pas faire respecter les lois qu'il adopte...

Mieux préparer pour mieux combattre... Nous avons encore de grands progrès à accomplir pour que la finance se conforme à ses nécessités. Je forme le voeu que le Sénat ne se décourage pas et sache se réunir pour faire émerger le consensus. (Applaudissements)

M. Éric Bocquet, rapporteur de la commission d'enquête .  - Je remercie à mon tour la Conférence des présidents d'avoir inscrit ce débat à l'ordre du jour. La mission de la commission d'enquête n'a pas été facilitée par les moyens, en droit comme en fait, dont elle dispose. Nous avons rencontré l'hostilité de ceux que nous dérangions, la fausse indignation de fraudeurs patentés, le témoignage de témoins menacés, parfois de mort.

Au-delà de la réponse judiciaire qui doit répondre à une opinion exaspérée ici par des excès, là par des carences, un contrôle parlementaire permanent et collégial devra, un jour ou l'autre, s'instaurer ; il complétera l'action des services judiciaires. En attendant, le consensus auquel nous avons abouti doit beaucoup à la présidence de M. Pillet.

Il faut rendre hommage à ceux qui s'attaquent au crime financier, les services comme ces hommes et ces femmes qui, dans la solitude de leur conscience, osent s'opposer à un système plus puissant qu'eux. Dans une économie mondialisée à la financiarisation galopante, l'évasion des capitaux semble une notion bien étrange... Pourtant, à l'heure de l'offshore et de la crise financière, nous devons plus que jamais nous interroger sur ce phénomène multiforme et prédateur, lequel change l'or de l'économie réelle en plomb pour les administrations fiscales et se joue de ce qui reste de la souveraineté des États, profitant de l'opacité des circuits, de la vitesse des opérations et d'un formidable pouvoir de novation.

Prix de transfert, shadow banking, intervention directe des banques dans la législation des États, secret bancaire absolu, ces pratiques témoignent du poids des oligarchies financières dans un monde où les inégalités de richesse s'accroissent, où les élites mondialisées recherchent de plus en plus l'évitement de l'impôt. Les lois que nous adoptons sont vidées de leur sens, il est illusoire d'attendre de la finance la moindre autorégulation. L'évasion devient systémique avec la multiplication de véhicules vantés pour leurs potentialités fiscales, le recours par les personnes morales à des comptes ouverts dans les États non coopératifs, recours nié devant nous par elles mais attesté ? La commission d'enquête a eu à connaître de transgressions avérées. Chacun a entendu parler, peu ou prou, des affaires HSBC ou UBS.

Rapporteur, j'ai été témoin de comportements microéconomiques qui, s'agrégeant, forment des données macroéconomiques qui font des Bermudes, un micro-État, une des plaques tournantes mondiales du secteur de l'assurance. Interrogées sur leur présence dans les paradis fiscaux, les banques ont déclaré ne pas posséder de données sur le sujet. Étrange réponse... Il suffit de se reporter à l'écart entre leur taux théorique d'imposition nominal et leur taux réel...

Oui, il faut mieux connaître pour mieux combattre, accentuer les échanges d'informations et la coopération internationale, aujourd'hui défaillante, dans la lutte contre le blanchiment.

Ne cédons pas à l'image idyllique d'un concert des nations soudées dans le combat contre l'opacité financière. Les actions menées par le G8 et le G20 ont montré leurs limites. Les listes de l'OCDE se sont vidées. Où sont les instruments pour contraindre les États récalcitrants ? Plutôt que d'attendre la lumière des États-Unis, faisons un peu de géostratégie financière. Où en est le Fatca européen ? Doit-on s'attendre à autre chose qu'une alternance de lois douces, sans efficacité, et de lois dures appliquées par les plus forts, dont l'Europe ne serait pas ? Les conventions fiscales permettent-elles l'accès aux informations nécessaires ?

N'oublions pas surtout que la guerre contre l'évasion des capitaux est un art d'exécution. Il faut encore réduire l'asymétrie d'information entre les acteurs financiers et les pouvoirs publics, notamment en ce qui concerne certains produits d'assurance et schémas d'optimisation. Je me félicite du récent vote de l'Assemblée nationale, contre l'avis du Gouvernement ; veillons à ce que les banques ne puissent échapper à leurs obligations d'informations grâce à un périmètre de consolidation habilement choisi.

Où en est-on de la directive Épargne ? De la révision du Fatca européen de l'extension du ficher Ficoba à d'autres actifs ? Le statut du lanceur d'alerte devra être encore sécurisé, le rôle des représentants du personnel renforcé. Nous devrons veiller à empêcher les conflits d'intérêts des commissaires aux comptes et des personnels chargés de la conformité dans les institutions financières superviseurs, à responsabiliser les facilitateurs de l'évasion fiscale internationale en créant une infraction d'incitation à l'évasion fiscale...

Mme Nathalie Goulet.  - Très bien !

M. Éric Bocquet, rapporteur.  - ... à doter l'ACPR de moyens supplémentaires. Est-il acceptable que l'ACPR soit lié par le secret professionnel à l'égard des services fiscaux ? Pourquoi refuser au contrôle fiscal d'interroger Tracfin sur les signalements ? Toujours à propos de Tracfin, pourquoi ne pas l'autoriser à saisir les services judiciaires en cas de soupçon ?

Au-delà, donnons-nous des moyens à la hauteur de nos ambitions ? Songez que les avoirs de certaines grandes banques équivalent au PIB des pays européens les plus développés... Des dossier sont apurés ou oubliés. Monsieur le ministre, pouvez-vous nous informer sur les suites données à l'affaire UBS ?

Insuffisance de moyens, mais aussi insuffisance d'ambitions. Nous l'avons vu dans l'affaire UBS : les contrôles de l'Autorité de contrôle prudentiel ont été pour le moins poussifs. Quand sanctionnera-t-on des professions du droit et de l'argent qui ne jouent pas le jeu des signalements à Tracfin ?

Je conclurai moi aussi par le verrou de Bercy. Finissons-en avec cette raison d'État financière qui affecte les principes du droit, fait fi de l'article 40 du code de procédure pénale, jette la suspicion sur l'action de la puissance publique et la rend opaque.

Mme Nathalie Goulet.  - Très bien.

M. Éric Bocquet, rapporteur.  - Nous appelons à la création d'un Haut-commissariat à la protection des intérêts financiers publics ; pareille institution compléterait utilement la réforme fiscale. (Applaudissements)

Mme Corinne Bouchoux .  - Après la saison 1, la saison 2... Je me réjouis de la bonne humeur dans laquelle nous avons travaillé malgré la gravité du sujet. Depuis la crise financière, l'opinion a pris conscience de la nocivité des paradis fiscaux. La multiplication des affaires a suscité indignation et colère, nourri les populismes dont les extrêmes font leur miel. La dérégulation du marché est unanimement pointée du doigt, avec ses dérives mafieuses ; oui, les mafias existent, nous l'avons constaté lors de notre visite à Nanterre. Elles sont liées aux banques et au BTP.

Depuis la crise, les banques n'ont pas vraiment modifié leurs pratiques. D'après un récent rapport du CCFD, la BNP et HSBC possèdent dorénavant 513 filiales dans les paradis fiscaux, contre 490 en 2010...

Pascal Canfin, dans Ce que les banques vous disent et pourquoi il ne faut jamais les croire, pointait la puissance des lobbies et l'absence d'un contre-pouvoir citoyen. Il s'organise désormais avec la création de Finance Watch et la mobilisation d'ONG telles que CCFD ou Oxfam.

Notre législation progresse, mais trop lentement à nos yeux Je me réjouis de la création d'un registre des trusts ou de la meilleure protection des lanceurs d'alerte ; mais je regrette que les amendements écologistes de lutte contre l'optimisation fiscale des grands groupes aient été rejetés lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2014. Il aurait par exemple été normal de refuser le CICE aux entreprises qui fraudent. Tout est question de volonté politique.

Pour la saison 3, pourquoi ne pas suivre Denis Robert, spécialiste de l'affaire Clearstream, pour qui les banques circulent sans immatriculation sur les autoroutes de la finance, et installer sur celles-ci des radars informatiques ?

Au vrai, on peut se demander si ce sujet n'est pas l'arbre qui cache la forêt. Lisez l'ouvrage de M. Naulot : Crise financière. Pourquoi les gouvernements ne font rien. De fait, on peut s'interroger : et si la fraude et l'évasion fiscale n'étaient que le symptôme de systèmes devenus fous ? (M. Éric Bocquet, rapporteur, applaudit)

Mme Nathalie Goulet .  - Nous sommes si peu dans l'hémicycle pour ce débat si important, organisé exactement un an après que Jérôme Cahuzac a déclaré ne pas avoir de compte à l'étranger... Nous sommes entre nous, entre membres de la commission d'enquête ; c'est mieux qu'hier, où j'étais la seule parlementaire à m'être déplacée pour entendre le rapport annuel de Transparency international...

Comme les murs de Jéricho, le verrou de Bercy, que j'évoque puisque c'est M. Vidalies et non M. Cazeneuve qui représente le Gouvernement (sourires), finira par tomber - à mon avis sous le coup d'une question prioritaire de constitutionnalité. Une première a été déposée le 29 novembre dernier, le débat n'est pas clos...

Les lanceurs d'alerte... Pays paradoxal que la France où on voit un ministre pratiquer la fraude fiscale et un fonctionnaire territorial menacé pour avoir dénoncé des marchés publics irréguliers... Au-delà, la coopération internationale a ses limites. Le cas de la Suisse doit être examiné avec sérieux. Il est typique. À la lecture des articles 271 à 273 de son code pénal, on voit que dire la vérité en matière de fraudes fiscale et financière est... illégale. Il serait urgent que la France lance une commission rogatoire pour interroger M. Weil, ancien président d'UBS, qui se trouve en Italie. Sitôt qu'il sera rentré en Suisse, nous ne le pourrons plus. Autre problème, les ports francs suisses où s'entassent impunément tableaux et richesses comme dans l'anonymat de vulgaires consignes.

Faisons évoluer nos formations. Pour l'heure, seule l'école doctorale de Paris I propose des cours. Des personnels formés sont indispensables pour prévenir l'inertie dans la création de certains dispositifs législatifs. De fait, nous pourrons voter toutes les lois que nous voulons ; elles ne seront pas applicables si nous n'avons pas d'enquêteurs et de contrôleurs suffisamment au fait des nouvelles techniques. Monsieur le ministre, le président du Sénat nous a beaucoup déçus en refusant la création d'une délégation permanente dédiée à la protection des intérêts financiers de l'État, lors de la première commission d'enquête. Sans doute faut-il y voir la pression amicale de la commission des finances. Il faudra y revenir.

Je profite de la présence de M. Dallier pour le remercier des travaux qu'il a menés avec M. de Montgolfier sur la fraude à la TVA.

M. Philippe Dallier.  - Merci !

Mme Nathalie Goulet.  - Non à la hausse de la TVA sur les centres équestres, oui à une lutte efficace contre la fraude à la TVA. Bref, monsieur le ministre, nous sommes absolument solidaires et mobilisés sur ce sujet. (Applaudissements)

M. Jacques Chiron .  - Après des mois d'enquête et d'auditions, notre commission d'enquête propose en tout premier lieu de mener et de remporter la bataille de l'information. Par rapport à nos travaux de 2012, nous avons voulu affiner notre diagnostic et mettre l'accent sur le rôle joué par les banques et les acteurs financiers dans la fraude et l'évasion des capitaux.

Comme je l'avais fait lors des débats sur les conventions internationales, je soulignerai l'importance de créer un Fatca européen et de renforcer les moyens de lutte à la disposition de l'administration fiscale comme des services judiciaires. La décision du Conseil constitutionnel hier affaiblit, cela est certain, la lutte contre la fraude commise par les personnes morales.

Seul un échange automatique d'informations à l'échelle européenne peut être efficace. Même certaines banques l'attendent.

La commission d'enquête propose d'étendre la communication des informations bancaires à toutes les banques ayant une activité en Europe. Nous pourrions alors négocier une convention fiscale ambitieuse avec la Suisse, au lieu de Rubik bilatéraux peu efficaces. L'Europe s'est montrée trop tolérante envers des pays, tel le Luxembourg, où l'application du secret bancaire attire les particuliers qui pratiquent l'incivisme fiscal. Ces derniers mois, des signaux positifs sont apparus. La crise financière a suscité une prise de conscience. L'échec des accords Rubik montre que le seuil de tolérance s'est abaissé. Le G8 et le G20 ont réaffirmé l'objectif d'un système d'échanges automatique. Réjouissons-nous aussi que le G20 ait suivi l'OCDE sur la taxation des multinationales qui peuvent aisément se soustraire à l'impôt, notamment dans le secteur numérique.

Au plan interne, le Gouvernement nous a soumis un projet de loi volontariste. Grâce aux efforts de M. Cazeneuve et à sa circulaire de juin, le nombre de régularisations a doublé pour atteindre 8 500 en quatre mois, deux fois plus qu'en quatre ans. Les fraudeurs prennent peur car les mailles du filet se resserrent : je suis plus optimiste que les précédents orateurs, vous le voyez.

La bataille, cependant, est loin d'être gagnée. Certaines de nos propositions de 2012 sont encore à l'étude. Je me réjouis toutefois du consensus qui se dégage parmi nous, pour mieux encadrer la finance. Face à son opacité, nous devons rester unis. (Applaudissements à gauche)

M. Jean-Claude Requier .  - En l'absence de M. Collin, je m'exprime au nom du RDSE sur ce sujet d'importance. Inutile de revenir sur les révélations de ces derniers mois. Les conclusions de cette commission d'enquête méritent toute notre attention.

Depuis Offshore Leaks, les États se mobilisent pour mettre en place un groupe d'échanges d'informations automatiques, à l'instar du Facta américain. Des initiatives semblables se font jour à l'échelle européenne et mondiale. En avril 2013 au conseil des ministres de l'économie, Français, Britanniques, Allemands, Espagnols et Italiens, ont demandé à la Commission un Fatca européen. La Commission européenne le 12 juin a proposé un échange automatique d'informations entre les États membres ; le G8, réuni à Dublin, s'est prononcé dans le même sens et, au sommet du G20 à Saint-Pétersbourg en juillet, l'OCDE a présenté son plan d'action pour lutter contre l'érosion des bases d'imposition ; enfin, en septembre, le Parlement suisse a ratifié l'accord avec les États-Unis sur le Fatca.

En France, nous avons adopté le 26 juillet une loi de régulation bancaire et le 5 novembre une loi contre la fraude fiscale et la grande délinquance financière et économique. Celle-ci a été en partie censurée par le Conseil constitutionnel. La définition d'un délit de fraude fiscale aggravée permettra de sanctionner les intermédiaires.

Si l'échange automatique s'impose, c'est que les solutions précédentes ont échoué - entraide administrative, revue par les pairs... Il ne résoudra pas tout, cependant. Dans les États à la législation opaque, les informations n'existent tout simplement pas. En outre, les moyens des administrations de contrôle doivent être renforcés : le rapport cite le cas de Tracfin. Les compétences techniques des contrôleurs doivent aussi être adaptées.

Le chemin reste donc long. Le meilleur remède reste la dissuasion et la fermeté à l'égard des fraudeurs. (Applaudissements)

M. Louis Duvernois .  - À l'étranger, j'ai pu observer la réalité de l'évasion fiscale. Prenons garde à ne pas la confondre avec l'expatriation. Tous les expatriés ne roulent pas sur l'or, loin s'en faut. Certains détenteurs de gros patrimoines s'installent dans des paradis fiscaux : cela se comprend, vu le matraquage fiscal en France. (M. Michel Berson proteste) Tout laisse à penser que ce phénomène progresse : je salue la pugnacité du président Marini, qui a obtenu des chiffres éloquents de la Direction générale des finances publiques  (DGFP). Ils s'arrêtent en 2011. Il faudra attendre de connaître les suivants. Cela dit, saluons M. Marini pour avoir enclenché une dynamique et espérons que le Gouvernement continuera de coopérer...

L'Assemblée des Français de l'étranger (AFE) a constaté l'impossibilité de connaître le montant des plus-values, mobilières et immobilières de source française des non-résidents, désormais soumis aux prélèvements sociaux.

Le nouveau rapport de M. Bocquet permet de mieux cerner le contexte légal de l'évasion fiscale. Incite-t-on à la fraude ? Le shadow banking regroupe des acteurs échappant aux règles bancaires ordinaires ; il représenterait près de la moitié du secteur régulé, soit 51 trillions de dollars en 2011...

Le groupe UMP a réprouvé la réaction à chaud du Gouvernement au lendemain de l'affaire Cahuzac. La décision du Conseil constitutionnel, hier, nous donne raison.

La commission d'enquête a abouti à des conclusions plus réfléchies. La transparence et l'harmonisation fiscale en Europe sont absolument nécessaires, ainsi que le renforcement de la répression. L'AFE a déjà adopté des recommandations en ce sens ; dont une surveillance plus approfondie des opérations de cession-acquisition-fusion et une approche pragmatique du spectre très large des prix de transfert.

Merci au président Pillet et au rapporteur Bocquet, qui, en dépit de la diversité de leurs opinions, ont su travailler dans un climat constructif et feront, souhaitons-le ardemment, oeuvre utile. (Applaudissements)

Mme Cécile Cukierman .  - Nous avons été bien inspirés de demander la création de cette commission d'enquête.

L'évasion fiscale est désormais au centre du débat public. Le rapporteur Éric Bocquet a mis en lumière les structures et les acteurs de la fraude. Grâce au Sénat, le monde opaque de la finance est désormais un peu mieux connu...

Le rapport montre que les banques ne jouent pas vraiment le rôle qu'on attend d'elles. Selon nous, elles devraient affecter les sommes qu'elles reçoivent au soutien de l'économie. Or trop de PME et TPE peinent à obtenir un crédit pour investir.

Le décalage entre les dépôts et les crédits consentis dans le département de la Loire en témoigne : 16,9 milliards sont disponibles et inutilisés. En septembre 2013, malgré la BPI, malgré la séparation des activités bancaires, plus de 50 milliards d'euros de ressources restent inemployés quand ils pourraient financer les PME et les ETI. L'industrie manufacturière, tout particulièrement, est en délicatesse avec les banques. Il est temps que celles-ci changent de priorités et cessent de privilégier les opérations les plus juteuses à court terme, au détriment de l'intérêt commun.

Les difficultés de notre pays ne tiennent pas au « coût du travail » - détestable expression à la mode - mais dans le décalage entre capacité et besoins de financement. Il est temps de réagir : ce sera la saison 3 de la série... pour reprendre l'image de Mme Bouchoux. Monsieur Vidalies, même si nous nous réjouissons toujours de votre présence, nous regrettons l'absence du ministre du budget ce matin. (Mme Nathalie Goulet renchérit) Aucune solution admissible n'a encore été trouvée au scandale Dexia. Pourquoi ne pas envisager une prise de contrôle publique des établissements défaillants ?

Pour finir, je veux remercier tous les membres de la commission d'enquête, son rapporteur et son président. (Applaudissements sur les bancs CRC)

M. Michel Berson .  - Le rapport fait suite aux travaux déjà engagés par le Sénat sur ce sujet. Nos conclusions de l'an dernier ont été confortées depuis par l'explosion de plusieurs scandales.

En temps de crise et d'efforts budgétaires, ces affaires ont heurté nos concitoyens et alimenté, hélas, la défiance à l'égard du système financier international mais aussi des responsables politiques. Nous devons impérativement mieux connaître les banques et les acteurs financiers, par l'expertise et l'analyse ; nous devons impérativement mieux connaître leur rôle dans l'évasion des capitaux. Je reprends là le titre du rapport : « Mieux connaître pour mieux combattre ». Donnons à la démocratie les armes qui lui sont nécessaires. La commission d'enquête a fait des propositions précises, et parfois techniques, qui seront utiles si elles sont adoptées.

La crise de 2008 et la faillite de Lehman Brothers ont révélé que le principe Too big to fail n'était pas acquis. Les faillites bancaires déstabilisent toute l'économie : ainsi à Chypre, où les actifs financiers représentaient 750 % du PIB du pays, grâce à une législation accommodante. Pour le seul mois de janvier 2012, on y avait dénombré 1 400 demandes d'ouverture de comptes provenant de Russie. Voyez aussi les Îles Caïmans et le Luxembourg : les investissements transnationaux y ont représenté 2 000 milliards, dans chaque pays, en 2011, quand le Brésil et la Chine réunis représentaient moins de la moitié de cette somme.

L'opacité de l'organisation des banques et de leurs filiales empêche un contrôle efficace. Notre législation a heureusement évolué. Les banques devront désormais détailler l'activité de leurs filiales. La répression de la fraude a été alourdie, les moyens de la brigade financière renforcés. Réjouissons-nous aussi que l'Assemblée nationale ait adopté notre proposition d'imposer la déclaration des schémas d'optimisation fiscale.

Mme Nathalie Goulet.  - Enfin !

M. Michel Berson.  - La protection des lanceurs d'alerte reste insuffisante, comme le montre l'affaire Falciani. Les acteurs financiers devraient être responsabilisés.

La révolution culturelle que nous appelons de nos voeux passe par la transparence et l'échange automatique d'informations, grâce auquel les États-Unis ont obtenu des résultats impensables il y a cinq ans. L'Europe doit agir avec la même détermination. Rappelons qu'en France, la fraude coûte une fois et demie le budget de l'éducation nationale !

Un mot enfin sur le « verrou de Bercy ». Voilà des années que nous réclamons une meilleure collaboration entre l'administration fiscale et la justice. Les pouvoirs de l'une et de l'autre doivent être renforcés.

C'est à l'échelle européenne qu'il faut agir, en harmonisant nos fiscalités et en généralisant la taxe sur les transactions financières. Que la France ne soit pas frileuse.

Je salue moi aussi la qualité de travail de la commission d'enquête, première contribution du Sénat au grand débat national sur la fiscalité. (Applaudissements à gauche)

M. Jean-Yves Leconte .  - Au cours des auditions, les membres de la commission d'enquête ont souvent été saisis de vertiges face à certains témoignages et à l'extension de la fraude. Avec les nouvelles technologies de l'information, le « conflit frontal entre les entreprises transnationales et les États » dont parlait Salvador Allende à la tribune de l'ONU en 1972 est plus que jamais d'actualité.

Mme Nathalie Goulet.  - Cela ne lui a pas réussi...

M. Jean-Yves Leconte.  - Dans un contexte de crise, la fraude est de moins en moins tolérée ; elle suscite un sentiment de révolte et d'injustice. Nos travaux précédents sur les agences de notation avaient mis en évidence le décalage entre les engagements financiers et la situation de l'économie réelle. Il tient au développement des produits dérivés, du trading à haute fréquence... Comment empêcher que la crise de 2008 ne se répète ?

La coopération multilatérale est indispensable. Elle doit être entière. N'acceptons pas que des conventions bilatérales suffisent à échapper à la liste noire de l'OCDE, que des États prétendument vertueux laissent subsister sur leur territoire des paradis fiscaux. Ne signons plus de conventions avec des pays tels que le Panama et le Qatar, simplement pour obtenir des marchés...

Mme Nathalie Goulet.  - Oui !

M. Jean-Yves Leconte.  - Sans quoi, nous retirons toute crédibilité à l'entièreté de l'édifice.

M. Jacques Chiron.  - Très bien !

M. Jean-Yves Leconte.  - Sans convergence fiscale au niveau européen, et avec la Suisse qui nous est liée par de multiples conventions, nous n'arriverons à rien. (M. François Pillet, président de la commission d'enquête, et M. Jean-Claude Frécon le confirment) Il faut en débattre à l'occasion des élections européennes.

Le personnel des organisations financières et ses représentants doivent être protégés, s'ils dénoncent des actes illicites.

Les conflits d'intérêts doivent être mieux prévenus.

L'impôt doit être lisible, faute de quoi l'échange automatique d'informations ne servira à rien.

M. François Pillet, président.  - Très bien.

M. Jean-Yves Leconte.  - Les entreprises ont besoin de stabilité juridique...

M. Philippe Dallier.  - Vous faites bien de le dire !

M. Jean-Yves Leconte.  - ... elles ont besoin d'avoir confiance et d'inspirer confiance : cela, les paradis fiscaux ne peuvent le leur offrir.

Ne tuons pas ceux qui veulent s'installer en France, en imposant des règles trop tatillonnes sur les prix de transfert. Sur ce point, nous sommes allés trop loin. (Applaudissements)

Mme Nathalie Goulet.  - Très bien !

M. Alain Vidalies, ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement .  - Veuillez excuser M. Moscovici, qui n'a pu annuler un déplacement prévu de longue date, l'ordre du jour du Sénat ayant été modifié dans les circonstances que vous connaissez...

Mme Éliane Assassi.  - À qui la faute ?

M. Alain Vidalies, ministre délégué.  - Après un précédent rapport très remarqué, M. Bocquet s'est intéressé cette fois au rôle des banques dans l'évasion fiscale internationale.

Ce sujet, évidemment central, peut être traité sous deux aspects : la lutte contre l'opacité et la lutte contre le blanchiment. Vous l'avez compris, le Gouvernement a fait de la lutte contre la fraude fiscale, devenue intolérable en temps de crise, une priorité. Dans la lutte contre l'opacité fiscale de certains territoires, rien n'est possible sans une action concertée de l'Europe, du G8 et du G20. La France a joué un rôle déterminant dans la mobilisation de la communauté internationale. Le secret bancaire, s'il existe encore, contrairement à ce que l'on a entendu au G20 de Londres, vacille. La nécessité de la transparence fiscale fait dorénavant consensus. Certes, certains râlent. Mais faut-il se plaindre que les États-Unis aient imposé, y compris à leurs partenaires les plus récalcitrants, l'échange d'informations avec la loi Fatca de 2010 ? Je ne le crois pas. Grâce à cette action, l'Europe a avancé. Cela ne nous interdit pas de parcourir du chemin en interne, je pense à la conclusion récente d'une convention sur les successions avec la Suisse. Il est désormais acquis que les États refusant l'échange automatique d'informations, seront inscrits sur la liste des paradis fiscaux. De nombreux orateurs ont évoqué la décision du Conseil constitutionnel. Celui-ci a pourtant validé la quasi-totalité de la loi contre la fraude. Quant au verrou de Bercy, précisons de quoi on parle : il s'agit simplement du délit de fraude fiscale. On a abouti à un juste équilibre entre l'action de l'administration fiscale et celle des services judiciaires.

Tracfin a adressé à l'administration fiscale 400 notes de renseignements entre octobre 2009 et le 31 décembre 2012, ce qui a abouti à des rappels de 500 millions d'impôts et à des plaintes pour fraude fiscale. L'administration, elle, a effectué 572 signalements à Tracfin en 2012.

Vous avez raison de souligner que l'abus de droit est une notion cruciale pour mener à bien les redressements. L'Assemblée nationale en a élargi la portée en seconde partie du projet de loi de finances, en même temps qu'elle a imposé la déclaration préalable des schémas d'optimisation fiscale.

Mme Nathalie Goulet.  - Nous l'avions aussi demandée.

M. Alain Vidalies, ministre délégué.  - Quant à la circulaire Cazeneuve, elle a mis en place une procédure de régularisation fondée sur la transparence et le droit commun - contrairement aux procédures antérieures - et sa pertinence n'est plus contestée. Depuis sa publication, la cellule de régularisation a traité 9 000 dossiers ; on ne peut que s'en réjouir.

La législation a-t-elle toujours un temps de retard sur la technicité de la fraude ? Avec la loi contre la fraude fiscale, que le Conseil constitutionnel a presque entièrement validée, nous nous dotons de moyens indéniablement renforcés.

L'échange d'informations sur demande a effectivement montré ses limites. Il faut en venir à l'échange automatique. Au niveau européen, après la directive épargne, une nouvelle directive portant sur l'ensemble des revenus et imposant l'échange automatique d'informations est en cours de discussion. Au G20, l'échange automatique a été reconnu comme standard, la France a beaucoup pesé en ce sens.

Au plan interne, le Gouvernement prend acte de la décision du Conseil constitutionnel, qui a jugé prématuré le critère de l'échange automatique par l'inscription ou non sur la liste des États non coopératifs, mais sa détermination reste entière.

Madame Goulet, je salue votre plaidoyer pour les lanceurs d'alerte. Quand nous les défendons au sein de l'Europe, on nous oppose parfois les déclarations faites dans cet hémicycle qui les assimilent à des délateurs et nous renvoient aux « heures les plus sombres de notre histoire »... Ces mots ne sont pas de vous, je le sais. Je voulais seulement souligner que notre tâche n'en était pas facilitée. On ne peut pas plaider pour l'échange automatique d'informations et mépriser les lanceurs d'alerte.

Monsieur Duvernois, je récuse l'expression de matraquage fiscal. Au reste, il s'agit d'un tout autre débat qu'il faudrait inscrire aussi dans notre histoire récente...

Oui, monsieur Chiron, si la bataille contre la fraude n'est pas gagnée, l'étau se resserre - entre autres, grâce à l'action de la France. Ce n'est pas une question technique, mais politique. Sont en cause la justice et le respect du pacte républicain (Applaudissements à gauche et au centre)

Le débat est clos.

La séance est suspendue à 11 h 50.

présidence de M. Jean-Pierre Bel

La séance reprend à 15 heures.

Accès à la justice (Questions cribles)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle les questions cribles thématiques sur l'accès à la justice et la justice de proximité.

Mme Cécile Cukierman .  - En touchant les tribunaux d'instance, la réforme de la carte judiciaire, menée sans concertation, a mis à mal les tribunaux les plus proches des citoyens.

Le rapport Borvo-Détraigne, prolongé par les travaux de M. Détraigne et Mme Klès, envisageait la création d'un tribunal de première instance rassemblant la quasi-totalité des juridictions de première instance. Madame la ministre pouvez-vous nous rassurer sur le maintien d'un service public de la justice au plus proche des Français et sur la spécialisation des magistrats ?

Il ne semble pas non plus pertinent de revenir sur la spécificité française qu'est l'existence de tribunaux spécialisés de première instance, comme les juridictions sociales, les prud'hommes, les tribunaux pour enfants.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice .  - Je vous rassure : aucun tribunal de proximité ne sera supprimé, pas plus que nous ne reviendrons sur la spécialisation des magistrats. Aucun site ne sera fermé, pas même les maisons de la justice et du droit. Le président de la République s'y est engagé.

La consultation est en cours. Cela prend du temps. Les 10 et 11 janvier, à l'Unesco, nous présenterons nos orientations relatives aux juges et aux juridictions du XXIe siècle, ainsi qu'à la modernisation de l'action publique. J'informerai le Parlement en temps réel de nos réflexions. Vous êtes d'ailleurs invités à cet événement, car votre parole compte. L'objectif de notre réforme reste de servir au mieux nos concitoyens.

Mme Cécile Cukierman.  - Merci de votre réponse. Les élus locaux se sentent parfois dépourvus lorsque le service public de la justice est menacé sur leur territoire. Nous souhaitons bien sûr être associés aux travaux que vous conduirez.

Mme Esther Benbassa .  - L'article 13 de la Convention européenne des droits de l'homme garantit le droit à un recours effectif devant un tribunal. Sur ce fondement, de nombreuses associations plaident pour l'instauration d'un recours collectif ou Class action. Vous avez-vous-même, madame la ministre, plaidé pour un tel mécanisme.

La loi sur la consommation fait un premier pas dans ce sens. J'ai déposé une proposition de loi instaurant un recours collectif en matière de discrimination et de lutte contre les inégalités ; elle sera examinée le 13 décembre. Dans quels domaines et quels délais pensez-vous qu'une telle disposition, conforme aux recommandations de la Convention européenne, puisse être introduite dans notre droit ? (Applaudissements sur les bancs écologistes)

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - Le projet de loi sur la consommation permet déjà d'engager une Class action pour des préjudices sériels de faible importance.

Nous devons veiller à ce que ces procédures ne pénalisent pas les plaignants, qui, lorsque la procédure est individuelle, ont droit à une réparation intégrale.

M. Jean-Jacques Hyest.  - C'est bien le problème !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - Nous y travaillons. Avec la ministre des droits de la femme et le ministre de l'intérieur, nous avons commandé un rapport à Mme Pecaut-Rivolier, conseiller référendaire à la Cour de cassation.

Mme Esther Benbassa.  - Chaque génération fait avancer le droit, qui n'est pas immuable. Ce texte doit être le fondement des procédures de demain, dans les champs de la santé et de l'environnement par exemple. Avec M. Kaltenbach, rapporteur de ma proposition de loi, nous poursuivons nos efforts dans ce sens, pour nos concitoyens.

M. Stéphane Mazars .  - Le droit au recours nécessite un accès effectif au juge. Or la réforme de la carte judiciaire, menée dans la précipitation, s'est faite au détriment des citoyens, dans une perspective étroitement comptable.

Le projet de loi sur la collégialité de l'instruction subit un nouveau report. Les pôles d'instruction ne devront pas être créés sur une base seulement comptable. La proximité du service public de la justice doit aussi être un critère. Un maillage territorial trop lâche remet aussi en cause le principe de libre choix de son avocat. Comment celui-ci pourra-t-il être proche de son client sans être trop éloigné du lieu de jugement ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - Distinguons la question de la proximité de celle de la collégialité de l'instruction. Nous ne prenons pas en compte les chiffres seuls : la proximité est un critère essentiel du maillage de la justice.

Je me suis rendue à Rodez... (M. Jean-Jacques Hyest s'exclame) Ailleurs aussi ! Certes, je ne peux me rendre en tout point du territoire. Vous connaissez mieux le terrain que moi ; à vous de m'y guider !

M. Jean-Claude Lenoir.  - Très bien ! Nous devons travailler ensemble.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - Ce projet de loi sur la justice aménage les conditions de collégialité de l'instruction. Déposé sur le Bureau de l'Assemblée nationale, il n'est pas encore inscrit à l'ordre du jour. Nous aurions été prêts à l'appliquer dès le 1er janvier 2014 puisque j'ai pour principe qu'une loi votée doit être appliquée. J'ai demandé un amendement au projet de loi de finances pour 2014 pour que soit reportée d'un an l'application de ce texte pour lequel j'ai procédé aux plus larges concertations.

M. Stéphane Mazars.  - L'Aveyron a été le département le plus touché par la réforme Dati. Ç'a été un plaisir de vous y guider, madame la ministre. Nous devons garder à l'esprit les droits des justiciables, de choix de son avocat et d'accès à la justice.

M. Jean-Jacques Hyest .  - Le rapport Klès-Détraigne fait d'intéressantes propositions sur les juridictions de l'instance. La capacité du législateur à définir les périmètres de chaque contentieux sera déterminante.

Vous n'êtes pas revenue, madame la ministre, sur la réforme de la carte judiciaire, à une exception près...

M. Jean-Claude Lenoir.  - À Tulle !

M. Jean-Jacques Hyest.  - Cette réforme était nécessaire : la précédente remontait à 1959. Quitte à me faire des ennemis, je dirai que j'aurais voulu que l'on aille plus loin sur les cours d'appel.

Les rapports sont nombreux, qui devraient nourrir votre réflexion. Attendez-vous la grand-messe de janvier pour faire évoluer notre carte judiciaire ? Comment parer aux risques d'inconstitutionnalité de mesures touchant au libre accès à la justice et à l'inamovibilité des magistrats ? Comment garantir, notamment, le principe sacré d'inamovibilité des magistrats du siège ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - Nous venons de prendre connaissance de l'incident en Isère, monsieur Vallini. Les services judiciaires se rendent immédiatement sur place.

La réforme de la carte judiciaire était sans doute nécessaire, mais elle a créé des déserts judiciaires. Nul ne peut s'en accommoder. J'ai fait procéder à une réévaluation objective des situations ayant fait l'objet de remarques du Conseil d'État. Tulle est la seule préfecture ayant perdu son TGI, il faudrait se demander pourquoi !

L'excellent rapport Klès-Détraigne propose des pistes intéressantes. Nous devons travailler ensemble. Vous êtes tous invités à l'événement de janvier prochain. Ce ne sera pas une « grand-messe » mais l'occasion de mettre les intelligences ensemble. Ma méthode est celle-ci : l'écriture commune de la réforme.

M. Jean-Jacques Hyest.  - Je me méfie des conférences, des consensus.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - À tort !

M. Jean-Jacques Hyest.  - La loi s'écrit ici ! C'est également le Parlement, et le Sénat en particulier, qui évalue les politiques publiques. Notre expertise est nécessaire. Je respecte les magistrats dans leur activité juridictionnelle mais ils sont aussi capables que d'autres de corporatisme. Demander à des professionnels de se réformer, c'est enterrer les réformes.

Je participerai sans doute à la conférence de janvier, mais ce ne sera qu'un éclairage supplémentaire.

M. Yves Détraigne .  - Notre rapport a proposé une démarche pragmatique, en fusionnant les tribunaux de proximité en un seul tribunal de première instance, accompagné de la création d'un guichet de greffe unique. Cela suppose de rapprocher les procédures, de mutualiser les effectifs des greffes. Il faudra aussi mener à son terme le développement du greffe en ligne « Portalis ». Où en est-on de ce chantier majeur ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - Les groupes de travail ne rassemblent pas que des magistrats, monsieur Hyest : des gendarmes, des policiers, des avocats, des universitaires y sont aussi. Vous avez en effet la main sur la confection de la loi. Nous vous proposerons un texte aussi solide que possible.

Monsieur Détraigne, votre remarquable rapport est un outil majeur de nos travaux. Nous avons quasiment achevé l'interconnexion de l'application Cassiopée, qui sera étendue aux cours d'appel en 2014. Son coût s'élèverait à 60 millions. Pour « Portalis », qui doit être une application performante, nous avons prévu 41 millions d'euros. Elle sera opérationnelle dans quatre ans sur tout le territoire.

M. Yves Détraigne.  - Je vous remercie pour cette réponse, mais la justice du XXIe siècle requiert des moyens supplémentaires.

M. le président.  - Je vous remercie de votre brièveté.

M. Ladislas Poniatowski.  - Si la ministre répond à la réponse du parlementaire, on n'en finira jamais !

M. Philippe Kaltenbach .  - Depuis 30 ans, les gouvernements successifs ont renforcé le droit des victimes. Je rends hommage à Robert Badinter, en particulier. Des faiblesses demeurent : difficulté à se porter partie civile, manque de moyens des bureaux d'aide aux victimes, baisse des subventions des associations. L'indemnisation des victimes est trop variable.

M. Béchu et moi-même vous remettrons bientôt un rapport à ce sujet. Qu'entendez-vous faire, madame la ministre ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - J'ai déjà commencé à lire votre rapport, fort intéressant. Le Gouvernement s'est engagé en faveur des victimes : pour la première fois depuis 2010, le budget de l'aide aux victimes a augmenté, de 25,8 % en 2013 et encore de 8 % en 2014 ; les bureaux d'aide aux victimes ont été généralisés. Nous en avons créé une centaine. Une étude est en cours, pour ajuster leurs moyens. Des mesures ont déjà été prises : équipement, permanences...

Avant même la transposition de la directive « victimes », j'ai lancé une expérimentation sur l'indemnisation des victimes L'inspection générale des services judiciaires rendra en outre un rapport sur le sujet. L'individualisation doit être préservée, même si des référentiels sont nécessaires.

M. Philippe Kaltenbach.  - Les victimes ont besoin d'autant d'attention que les auteurs d'infractions. C'est une question de justice.

M. Albéric de Montgolfier .  - Votre politique  manque parfois de cohérence et de lisibilité. Vous avez reporté la réforme de l'aide juridictionnelle, ce qui met en difficulté avocats et justiciables. Malgré cette reculade, la question reste d'actualité, puisque le projet de loi de finances prévoit une baisse de 32 millions d'euros de crédits.

Devant le Conseil national des barreaux, vous avez annoncé que vous exploreriez chaque piste, à charge pour eux de les récuser. Devons-nous attendre de nouvelles taxes ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - Trois procès en deux minutes, bel exploit !

Vous qui saluez l'engagement des avocats, vous n'avez pas revalorisé d'un centime d'euro l'unité de valeur pendant le précédent quinquennat ! Le rapport du Luart de 2007, déjà, parlait d'un « système à bout de souffle » et, en cinq ans, vous n'avez rien fait.

Notre méthode n'est pas la vôtre. Nous travaillons avec les professionnels, nous mettons des pistes sur la table, et nous en discutons. Vous avez fragilisé l'aide judiciaire, nous la consoliderons, car c'est une question de solidarité envers tous les justiciables, y compris les plus pauvres.

Vous n'avez rien dit des 35 euros du droit de timbre que vous aviez instauré, véritable entrave pour l'accès à la justice. Nous avons dû abonder le budget de la justice de 60 millions d'euros pour le supprimer. (Applaudissements à gauche)

M. Albéric de Montgolfier.  - La CMP sur le projet de loi de finances ne pourra que constater la baisse des crédits... Nous resterons vigilants.

Mme Michelle Meunier .  - Les femmes, en France, continuent d'être victimes de violences : 80 % des victimes de violences sexuelles sont des femmes, souvent mineures. La loi du silence protège les violeurs, qui appartiennent la plupart du temps à l'entourage de la victime, ce qui explique la rareté des plaintes et, plus encore, des condamnations : moins de 2 % des viols donnent lieu à des poursuites.

Il n'y a aucune fatalité à ce fléau. La justice, grâce au rôle pédagogique de la sanction, a son rôle à jouer, à condition de ne pas apparaître aléatoire, obsolète, inégalitaire. Comment le Gouvernement compte-t-il appliquer la convention d'Istanbul sur l'accompagnement des victimes ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - Je connais votre engagement, madame la sénatrice, sur cette question dramatique. J'ai réuni deux fois le Conseil national d'aide aux victimes ; il ne l'avait pas été depuis 2010. La Chancellerie participe au plan interministériel de lutte contre les violences faites aux femmes. Nous étendons l'application de l'ordonnance de protection, généralisons le téléphone de grand danger, et travaillons sur l'éviction du conjoint violent et toutes les manières de prévenir la réitération. Une circulaire sera bientôt diffusée, pour former les magistrats, les policiers et gendarmes, les assistants sociaux, au recueil des plaintes en la matière.

La convention d'Istanbul a été transposée en droit français.

Sur la correctionnalisation des viols, j'ai lancé une étude car elle est scandaleusement fréquente, même si elle se fait souvent avec l'accord de la victime. Le viol est un crime.

Mme Michelle Meunier.  - Merci, madame la ministre. Évaluons les dispositifs sur le terrain.

M. Christian Cambon .  - Le candidat Hollande s'était engagé à renforcer la justice de proximité, celle du quotidien. Deux jugements sur trois concernent des faits simples, parfois dramatiques : divorces, surendettement, petits litiges...

Or les citoyens ont du mal à accéder à la justice. Plutôt que de vous lancer dans des réformes à l'utilité douteuse, plutôt que de libérer les délinquants, que n'apportez-vous des réponses concrètes à ce problème ? (Approbation à droite ; protestations à gauche)

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - Votre question a deux vertus. La première est de rappeler que 70 % des procédures relèvent de la justice civile, celle qui concerne le plus les citoyens, pour des problèmes souvent mineurs, certes, mais qui importent à tout un chacun. Sa deuxième vertu est de dresser le bilan du quinquennat précédent. Notre gouvernement a rompu avec votre politique, en relevant le budget de la justice de 4,3 % en 2013 et 1,7 % en 2014, et en mettant fin à la RGPP. 500 emplois sont créés cette année.

M. Jean-Jacques Hyest.  - Et la justice ne se porte toujours pas mieux !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - Vous avez accru la désertification judiciaire et rallongé les délais. Nous réparons la justice. Pourquoi refuser de voir les réalités ? Pourquoi ne pas débattre ensemble des moyens d'améliorer le service public de la justice ?

M. Christian Cambon.  - Comme à son habitude, le Gouvernement se contente de parler du passé alors qu'il a été élu pour préparer l'avenir. Vous maniez en outre des contre-vérités : la RGPP ne s'est pas appliquée à la justice ! (Mme la garde des sceaux le conteste vigoureusement) Nous en reparlerons.

Prochaine séance, lundi 9 décembre 2013, à 16 heures.

La séance est levée à 15 h 55.

Jean-Luc Dealberto

Directeur des comptes rendus analytiques

Ordre du jour du lundi 9 décembre 2013

Séance publique

À 16 heures et le soir

Présidence : M. Thierry Foucaud, vice-président

M. Jean-Claude Carle, vice-président

Secrétaires : M. Jean Desessard, M. Jean-François Humbert

- Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, d'habilitation à prendre par ordonnances diverses mesures de simplification et de sécurisation de la vie des entreprises (n° 28, 2013-2014).

Rapport de M. Thani Mohamed Soilihi, fait au nom de la commission des lois (n° 201, 2013-2014).

Avis de M. François Patriat, fait au nom de la commission des finances (n° 164, 2013-2014).

Avis de M. Yannick Vaugrenard, fait au nom de la commission des affaires économiques (n° 184, 2013-2014).

Avis de Mme Laurence Rossignol, fait au nom de la commission du développement durable (n° 185, 2013-2014).

Texte de la commission (n° 202, 2013-2014).