Nouvelle-Calédonie
Diverses dispositions relatives à l'outre-mer
(Procédure accélérée)
M. le président. - L'ordre du jour appelle l'examen du projet de loi organique portant actualisation de la loi n°99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie et du projet de loi portant diverses dispositions relatives aux outre-mer, après engagement de la procédure accélérée.
Discussion générale commune
M. Victorin Lurel, ministre des outre-mer . - Vingt-cinq après la signature de l'accord de Matignon, sous le gouvernement Rocard, et quinze ans après celle de l'accord de Nouméa, sous le gouvernement Jospin, nous allons procéder à la dixième modification de la loi organique du 19 mars 1999. Nous pourrions penser qu'il s'agit d'un texte purement technique et d'un nouvel ajustement devenu banal. Tel n'est pas le cas : il s'agit d'assurer un meilleur fonctionnement des institutions de Nouvelle-Calédonie, tout en respectant l'esprit et la lettre de l'accord de Nouméa.
Nous allons tenir les engagements pris par tous les signataires historiques de l'accord, y compris ceux qui ne sont plus là, comme Jacques Lafleur et Jean-Marie Tjibaou. Cet hommage ne constitue pas un passage obligé pour le ministre que je suis. Les jeunes générations, qui pourraient être oublieuses du passé, doivent savoir que ce territoire travaille aujourd'hui dans la concorde grâce aux hommes qui ont connu la haine et la guerre civile et qui savent que les efforts doivent être constamment renouvelés pour préserver un équilibre fragile.
M. Frogier, qui siège parmi nous, sait les efforts qu'il fallut déployer afin d'aboutir à l'accord de Nouméa pour être l'un de ses signataires historiques.
Ce texte fait suite au dixième comité des signataires de l'accord de Nouméa qui s'est réuni à Paris en décembre dernier. Certains périmètres des transferts de compétence devront être précisés.
Le Gouvernement a entendu les partenaires calédoniens et veut leur donner les moyens de relever les défis économiques, politiques et sociaux à venir. Ce projet enrichit le statut afin d'améliorer l'exercice des compétences du gouvernement local. La collectivité pourra dorénavant se doter d'autorités administratives indépendantes qui pourront réguler, enquêter et proposer des solutions.
Les marchés des outre-mer connaissent des défaillances. Les Calédoniens voulaient une autorité de la concurrence locale de plein exercice pour lutter contre la vie chère.
L'article premier répond à cette demande de régulation des marchés. La commission des lois a été attentive sur ce point. Certains d'entre vous se sont interrogés sur la pertinence d'autorités administratives indépendances. La réalité du territoire justifie la création de telles instances. Bien sûr, il faudra veiller à l'indépendance de cette autorité et éviter les conflits d'intérêt. Votre rapporteure a fait oeuvre utile en enrichissant l'article premier. L'autorité administrative indépendante pourra passer des conventions avec celles de métropole. En 2012, tel avait été le cas avec la commission de régulation de l'énergie (CRE) pour la Polynésie française. J'ai demandé, en janvier 2012, à la CRE un rapport sur le prix de l'électricité à Wallis et Futuna, rapport d'ailleurs excellent.
L'article 2 dotera le président du gouvernement local d'un réel pouvoir de police administrative en matière maritime, aérienne, mais aussi de sécurité civile.
L'article 5 prévoit que la compétence environnementale sera ajoutée au Conseil économique et social local. Mme la rapporteuer s'interroge sur l'articulation avec le comité consultatif de l'environnement actuel -j'y reviendrai.
Enfin, les collectivités territoriales de Nouvelle-Calédonie obtiendront le droit de créer des sociétés publiques locales. Le débat budgétaire sera, lui aussi, harmonisé. Je remercie Mme Tasca, M. Sueur et la commission des lois pour le travail accompli. Le Premier ministre sera en Nouvelle-Calédonie à la fin de cette semaine, où il renouvellera les engagements du Gouvernement. Ce texte, je le répète, n'est ni banal ni technique, il est politique au sens le plus noble du terme. Aux Calédoniens, je veux dire que le Gouvernement n'a nullement l'intention de dénaturer la loi organique statutaire, il veut l'enrichir pour faire vivre concrètement l'accord de Nouméa... (Applaudissements sur tous les bancs)
Mme Catherine Tasca, rapporteure de la commission des lois . - Ce projet de loi organique s'inscrit dans la lignée des accords de Nouméa dont nous célébrons le quinzième anniversaire, et qui devint la feuille de route de l'évolution institutionnelle de la Nouvelle-Calédonie. Lionel Jospin avait souligné à cette occasion que depuis les accords Matignon, dix ans s'étaient écoulés et qu'un travail considérable avait déjà été accompli.
Pourtant, des étapes demeurent à franchir d'ici 2014, d'où ce texte. Non, il ne s'agit pas de dispositions techniques. Cette dixième modification de la loi organique de 1999 est une étape importante conduisant la Nouvelle-Calédonie vers une plus large autonomie, en attendant le choix final entre indépendance et autonomie dans le cadre de la République.
Ces modifications interviennent alors que le transfert des compétences non régaliennes doit aboutir avant le référendum d'auto-détermination qui devra intervenir entre 2014 et 2020.
Le choix des Calédoniens et de l'État est de conduire le processus dans la concorde. Le rapport de MM. Cointat et Frimat, de juin 2011, a rappelé que ce transfert était irréversible.
La compétence pour l'enseignement primaire privé et secondaire a été transférée au 1er janvier 2012 et la sécurité de la circulation aérienne et maritime intérieure est passée à la Nouvelle-Calédonie au 1er janvier 2013 ; le droit civil, les règles de l'état-civil et du droit commercial au 1er juillet. La sécurité civile suivra au 1er janvier 2014.
Je salue l'initiative du Gouvernement de créer un dispositif interministériel d'accompagnement. Le comité des signataires joue un rôle majeur dans la recherche du compromis et de la concertation. Le 6 décembre, ce comité a montré la nécessité de toiletter la loi organique, d'où ce texte qui a reçu un accueil favorable du Congrès de la Nouvelle-Calédonie. Des autorités administratives indépendantes (AAI) pourront être créées. L'économie de la Nouvelle-Calédonie, grâce au nickel, est en plein développement, la vie chère et les disparités sociales sont à l'origine de mouvements sociaux qui ont abouti au blocage du port et de l'aéroport de Nouméa. Le 27 mai dernier, un protocole a été signé pour faire baisser les prix de première nécessité, mais il ne s'agit que de mesures transitoires. La loi de pays du 25 mai 2013, qui institue des règles anti-trust, aura force avec la nouvelle autorité de la concurrence locale, dont l'article premier du projet de loi organique autorise la constitution. Des AAI pourront être créées à l'initiative de la Nouvelle-Calédonie mais l'État restera le garant de leur indépendance. Il encadrera le pouvoir des autorités et prévoira les possibles recours contre leurs décisions.
Le Conseil constitutionnel veillera au respect de l'indépendance de leurs membres. Leur nomination sera soumise préalablement à l'accord du Congrès de la Nouvelle-Calédonie, par une majorité positive des trois cinquièmes. Ils seront ensuite irrévocables, comme en métropole.
L'article 2 renforce les moyens juridiques de la Nouvelle-Calédonie : le président du gouvernement local disposera d'un pouvoir de police administrative général et d'un pouvoir de réquisition. La commission des lois a jugé quels actes les plus importants devaient être écartés afin de conserver une réalité au pouvoir de contrôler l'usage de la délégation.
L'article 3 traite du pouvoir de police administrative du président de l'assemblée de province sur la circulation routière et l'article 4 de la compétence du Congrès sur la réglementation des terres rares. L'article 5 traite du futur Conseil économique, social et environnemental (Cese), sans supprimer toutefois le comité consultatif de l'environnement. Des dispositions de droit commun des collectivités territoriales sont étendues aux autorités locales. Ainsi les assemblées de province pourront déléguer leur pouvoir à leur président pour passer des marchés publics.
La version électronique du Journal officiel sera valable pour la publication des actes. Dix articles complètent le cadre juridique et financier de Nouvelle-Calédonie. Enfin, certains articles lèvent des ambiguïtés rédactionnelles. A l'article 13, des sociétés publiques locales pourront être créées.
J'en viens à la loi ordinaire : l'article premier prévoit des ratifications d'ordonnances. Le Sénat n'est pas favorable par principe aux ordonnances mais il sait en reconnaître les mérites et ne les approuve qu'après un examen minutieux. Ainsi en alla-t-il pour les deux ordonnances qui posent des problèmes juridiques particuliers : elles portent sur le droit civil qui est, depuis le 1er juillet, de la compétence de la Nouvelle-Calédonie. La commission des lois a considéré que le transfert de compétence n'a pas porté atteinte au pouvoir de ratification, qui est de la compétence exclusive du Parlement.
Ces textes sont très attendus par les Calédoniens, qui nous donnent une leçon de conciliation.
Je me suis entretenue avec les parlementaires de Nouvelle-Calédonie et je leur sais gré de leur contribution.
En ce moment, je tiens à saluer les signataires de l'accord de Nouméa, y compris ceux qui nous ont quittés. Je vous invite à adopter ces deux projets de loi. (Applaudissements)
Mme Aline Archimbaud . - La Nouvelle-Calédonie relève du titre XIII de la Constitution. L'organisation institutionnelle de ce territoire relève de la loi organique. Au terme de la loi de 1999, la Nouvelle-Calédonie dispose d'un large champ de compétences tant en matière économique que sociale. Ce projet de loi organique promet le transfert de certaines compétences : l'article premier permet de créer des autorités administratives indépendantes. Les articles 2 et 3 transfèrent les pouvoirs de police et l'article 5 traite du Cese.
Je veux remercier Mme Tasca, qui a été à l'écoute de nos concitoyens calédoniens.
Deux remarques : je veux alerter sur les conditions d'extraction des terres rares, qui nécessitent des mines à ciel ouvert. Je fais confiance aux responsables locaux.
Je déplore la disposition du chapitre II, relatif aux relations internationales de la Nouvelle-Calédonie.
Notre groupe votera ces deux textes, attentif à ce que l'esprit des accords de Matignon et de Nouméa soit respecté. Le retard pris par le précédent gouvernement doit être rattrapé, l'identité canaque reconnue. Les défis économiques, sociaux, environnementaux et, donc, politiques sont importants. (Applaudissements à gauche)
M. Pierre Frogier . - Merci pour votre présence, mes chers collègues, même si l'inscription de ce texte à la fin du mois de juillet empêche l'hémicycle d'être davantage garni.
Ce texte modifie la loi organique de 1999, ce qui n'est pas anodin. Je vous renvoie à l'article 77 de la Constitution. La loi organique de 1999 a déjà été modifiée à neuf reprises. Nous voilà donc à la dixième modification, qui permettra de mettre en oeuvre les décisions prises par le comité des signataires en décembre 2012. Il s'agit de dispositions techniques, que la commission des lois a améliorées. Certes, la loi organique doit être adaptée, mais vingt-cinq ans après les accords de Matignon, nous assistons à une certaine dénaturation de leur contenu. La provincialisation était déterminante, comme le disait M. Rocard. Avec le temps, les attributions et les prérogatives des pouvoirs ont été vidées de leur substance, du fait des limites posées par le Conseil d'État. Une lecture extensive des compétences ne profite qu'à une seule collectivité, la Nouvelle-Calédonie.
En mai, le Conseil d'État a estimé que, concernant les logements, les provinces ne pouvaient être compétentes, contrairement à ce qu'il a jugé pour Saint-Pierre-et-Miquelon.
Ne nous éloignons pas de l'esprit initial des accords de Matignon. Faisons attention à ne pas détricoter complètement la loi organique de 1999. Le risque existe qu'à l'Assemblée nationale, des propositions soient émises qui bouleversent les équilibres, comme le recours par le Congrès au référendum, réservé aux seuls citoyens calédoniens, ou l'introduction d'un droit de pétition...
La Nouvelle-Calédonie revient de loin, nous nous devons d'être prudents. Après les affrontements, nous avons choisi la paix, la réconciliation, grâce à un processus exemplaire.
Depuis vingt-cinq ans, ensemble, indépendantistes et partisans du maintien dans la France, nous travaillons à l'avenir de notre territoire, en ayant compris qu'il ne passera pas par les affrontements et la violence mais par le dialogue et par la recherche du consensus. Alors que nous approchons du terme des accords de Nouméa, ne remettons pas en cause ce fragile équilibre ; nous avons l'ardente obligation d'aboutir. Cependant, le temps est compté : 2014 sonnera le dernier mandat de l'accord de Nouméa. L'État a le devoir de rassurer les Calédoniens. J'ai suggéré la création de comités de pilotage qui se réunissent depuis 2010. Parce qu'il n'y a pas d'autres choix que celui de la recherche d'une nouvelle solution consensuelle, j'ai proposé, en 2010, que les deux drapeaux, français et kanak, flottent ensemble.
M. Christian Cointat. - Très bien !
M. Pierre Frogier. - C'était un geste symbolique fort marquant la reconnaissance des deux légitimités qui coexistent en Nouvelle-Calédonie.
En signant les accords de Matignon et de Nouméa, nous avons renoncé au fait majoritaire pour tenir compte des revendications de la population mélanésienne qui représente l'essentiel du camp indépendantiste. Dès lors, un référendum binaire -pour ou contre l'indépendance- serait dénué de sens et n'apporterait pas de solution pérenne ; il risquerait de raviver les tensions entre communautés.
Quels que soient les mérites de l'accord de Nouméa, il est incomplet car il renvoie à plus tard la solution institutionnelle. Nous ne devons pas attendre passivement que le temps passe sinon tout ce qui a été fait n'aurait servi à rien.
Nous devons bâtir le vivre ensemble en Nouvelle-Calédonie et nous avons besoin du soutien de l'Etat. Vous allez accompagner le premier ministre dans son voyage : j'espère, monsieur le ministre, pour paraphraser une formule célèbre, que vous volerez vers la Nouvelle-Calédonie compliquée avec des idées simples !
Je voterai ces projets de loi. (Applaudissements à droite et sur les bancs communistes)
Mme Éliane Assassi . - L'histoire calédonienne n'a pas toujours été paisible mais, depuis vingt-cinq ans, la paix civile s'est indéniablement consolidée.
Le transfert progressif des compétences de l'État vers la Nouvelle-Calédonie était prévu. En vingt-cinq ans, la Nouvelle-Calédonie a stabilisé ses institutions et elle va disposer, avec ce texte, de la possibilité de créer des autorités administratives indépendantes. Pourtant, le « caillou » reste un pays dans lequel le taux de chômage des jeunes est inacceptable : l'État doit le combattre en priorité.
La vie chère est une revendication dans tout l'outre-mer, et notamment en Nouvelle-Calédonie. Après les mouvements sociaux de mai, un accord a été signé mais le compte n'y est pas car les prix restent en moyenne 30 à 40 % plus chers qu'en métropole. Si quelques avancées ont été obtenues, il faudra continuer à combattre les monopoles et les situations oligopolistiques. Il ne faut jamais regarder une question comme épuisée. Le Premier ministre va entamer une tournée dans la zone pacifique. D'après son entourage, il devrait prononcer un discours de grande importance à Nouméa. Il devrait y être question du nickel, qui fut source de tension entre les indépendantistes et Paris.
Les cours de ce métal ne doivent pas augmenter d'ici 2014 alors que la Nouvelle-Calédonie dispose de 25 % des ressources mondiales. La Chine est un gros consommateur en même temps qu'un gros producteur de nickel : attention au risque de déstabilisation du développement économique.
Le Premier ministre posera aussi la question de la place de la Nouvelle-Calédonie dans son environnement géopolitique, face aux petits tigres que sont la Corée du sud et la Malaisie. Le territoire a des atouts ; la filière phytoplancton et, plus généralement, le secteur vert devront être développés.
La Nouvelle-Calédonie dispose d'un autre atout : les terres rares qui sont utilisées dans la fibre optique et les nouvelles technologies. Ce serait la source de la quatrième révolution industrielle, l'or noir du XXIe siècle. La Nouvelle Calédonie a du scandium, elle a une carte à jouer. D'autres régions, comme la Guyane ou la Polynésie française, ont aussi des opportunités de développement. Encore faut-il que l'exploitation des ressources soit souhaitée par tous et les bénéfices équitablement partagés entre tous.
Le potentiel est en outre énorme en matière de production d'énergies renouvelables. Toutes les collectivités d'outre-mer ont adopté le mot d'ordre lancé par Jacques Vergès à La Réunion : l'autonomie énergétique.
Le groupe CRC votera ces textes en restant vigilant et salue le travail de la rapporteure. (Applaudissements)
présidence de M. Jean-Patrick Courtois,vice-président
M. Jean-Claude Requier . - Le candidat François Mitterrand a réalisé la 58e promesse de son programme avec la signature des accords de Nouméa ; la Nouvelle-Calédonie bénéficie d'un statut sui generis consigné dans un titre à part de la Constitution. Un tel processus de décolonisation ne garantit pas la concorde. Pour preuve, les conflits autour du drapeau ou les démissions successives du gouvernement. La loi organique du 26 juillet 2011 a apporté une première réponse. Mais les manifestations contre la vie chère de mai dernier ont montré que la paix se construit en permanence.
La variation du prix du nickel, des disparités sociales deux fois plus fortes qu'en métropole ainsi que les prix, en moyenne 34 % plus élevés qu'en métropole, qui pénalisent d'abord les Kanaks, freinent le développement économique de la collectivité. Malgré la signature du protocole de mai dernier, la situation reste potentiellement explosive et pourrait avoir des effets non voulus sur le référendum d'auto-détermination.
Après le transfert des compétences en matière de police maritime, d'enseignement du second degré, de droit commercial ou de droit civil interviendront en 2014 des transferts en matière d''enseignement supérieur et d'administration provinciale régionale et locale.
Pour lutter contre la vie chère, l'autorité nationale de la concurrence a recommandé la création, en Nouvelle Calédonie, d'une autorité locale de la concurrence dotée de pouvoirs de réglementation, de sanction et d'injonction, dont Mme Tasca a légitimement renforcé l'indépendance.
De plus, les provinces pourront déléguer à leur président la passation de marchés publics.
Cette loi organique donne à la Nouvelle-Calédonie les moyens de son autonomie dans l'esprit des accords de Nouméa. Idem pour le projet de loi sur les dispositions relatives à l'outre-mer. C'est pourquoi le groupe RDSE l'approuvera. (Applaudissements)
M. Thani Mohamed Soilihi . - J'avoue ne pas être un spécialiste de la Nouvelle-Calédonie ; reste que le sujet m'a passionné. Si l'outre-mer a toujours été un laboratoire institutionnel, le statut de la Nouvelle-Calédonie, depuis la révision constitutionnelle de 1998, est un modèle sans équivalent. Il est l'héritage d'une histoire complexe, marquée par de violents affrontements autour de l'indépendance du territoire, affrontements qui ont connu leur paroxysme lors de la prise de la grotte d'Ouvéa. Selon la loi organique de mars 1999, traduction juridique des accords de Nouméa, des compétences devaient être progressivement transférées et un référendum d'auto-détermination devait être organisé entre 2014 et 2018.
A l'époque, on croyait les tensions extrêmes apaisées. Les grands mouvements sociaux contre la vie chère et le chômage des jeunes, notamment kanaks, de 2011 et du printemps dernier, ont prouvé le contraire : les Calédoniens veulent un dispositif de lutte contre la vie chère analogue à celui de la loi Lurel, que j'ai eu l'honneur de rapporter pour la commission des lois. Les récentes pluies diluviennes vont accentuer la crise économique dans l'archipel.
Le projet de loi organique est donc le bienvenu. Il clarifie les compétences et, conformément à l'engagement du Premier ministre devant le comité des signataires le 6 décembre dernier, autorise la Nouvelle-Calédonie à créer des autorités administratives indépendantes. Elles seront utiles dans le domaine sensible qu'est la concurrence. Nous ne pouvons qu'adhérer aux propositions de Mme Tasca, dont je salue le travail, pour renforcer l'indépendance de la nouvelle autorité locale de la concurrence.
Avant d'en venir au second texte, un mot des conditions déplorables de détention à la prison de Nouméa. Les mutineries y sont récurrentes. A la suite des observations du contrôleur général des lieux de détention et de l'Observatoire international des prisons, Mme Taubira a annoncé un plan d'urgence de 32 millions pour la rénovation et l'extension de la prison, une rupture avec le coûteux et inadapté projet de construction d'un nouvel établissement porté par l'ancienne majorité. Elle a également envoyé une mission sur place. Pouvez-vous nous en dire davantage, monsieur le ministre ?
Concernant le projet de loi ordinaire, outre que le Sénat est hostile aux ordonnances, je signale que la nouvelle allocation de logement social prévue pour les Mahorais n'est pas adaptée. J'ai déjà alerté Mme la ministre des affaires sociales. Le taux est trop bas, les ménages ne peuvent assumer les loyers demandés. Ce qui explique les logements sociaux vides... Et sans doute le fait que les logements programmés ne trouveront pas, en l'état, preneur.
Sous réserve de ces observations, le groupe socialiste votera ces deux textes. (Applaudissements)
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. - Très bien !
M. Robert Laufoaulu . - Pour avoir vécu mon adolescence en Nouvelle-Calédonie, je mesure les progrès accomplis depuis les accords de Nouméa. Le sang y avait coulé mais des hommes de bonne volonté ont su tendre la main et engager un processus de réconciliation auquel peu de monde croyait.
Wallis et Futuna compte 13 500 habitants. Mais en Nouvelle-Calédonie, la communauté wallisienne est forte de 30 000 à 35 000 personnes. Depuis les accords de Nouméa, on pense aux communautés qui ont su construire les bases d'un avenir commun, mais notre communauté peine à trouver sa place. L'idée d'une sorte de représentation spécifique a été lancée, pour favoriser son intégration ; puisse-t-elle prospérer dans l'harmonie.
Quant au second texte, il ratifie plusieurs ordonnances. Mais qui paiera l'extension des compétences ? L'ordonnance du 25 janvier 2013 prévoit la mise en place d'un statut particulier pour les agents de la fonction publique d'État et de la fonction publique territoriale. Il faut ménager un droit d'option pour réussir cette réforme. (Applaudissements)
M. Jean-Étienne Antoinette . - Je concentrerai mon propos sur les ordonnances qui complètent la loi du 27 juillet 2011 sur les collectivités uniques de Guyane et de Martinique. La fusion département-région au sein d'une collectivité unique ne constitue pas à elle seule une solution aux difficultés économiques et sociales. D'ailleurs, le ministre n'a pas choisi cette voie pour la Guadeloupe. Nous gagnerons à la simplification du millefeuille territorial si les moyens suivent. Quant au transfert des personnels, une charge de 1 million pour les gens d'église pèsera sur la nouvelle collectivité unique de la Guyane. Rien n'est prévu, s'agissant de la fusion des personnels au sein de la collectivité unique, pour le nouvel organigramme des services. L'idée d'un comité technique commun a fait long feu. L'inquiétude des agents sera-t-elle prise en compte ? Quid de la nouvelle organisation ?
Il en va de même pour la fusion des patrimoines. Qu'en est-il de l'affectation des biens mis à la disposition des services de l'État ? L'arrêté du 30 juin 1948 n'apporte pas de réponse. Des anomalies demeurent : le régime juridique singulier de ces biens et la condition exorbitante des biens domaniaux de l'État, en particulier en Guyane. L'ordonnance devrait prévoir un inventaire contradictoire sur l'affectation de ces biens, leur gestion par l'État, le respect de ses obligations d'entretien et un possible retour en pleine propriété, avec soulte, à la collectivité unique. Quant au domaine privé de l'État, il est non exploité, non constaté et non évalué, ce qui permet à l'État, en Guyane, d'échapper à la taxe sur le foncier non bâti. La question de la dévolution des patrimoines fonciers publics n'est pas traité -service minimum.
L'ordonnance 2012-1397 est une simple copie du modèle régional pour les règles budgétaires. On aurait pu attendre mieux pour un territoire qui a tant besoin de ressources pour se développer.
La troisième ordonnance, sur la pêche, est plus positive, notamment en matière de lutte contre le pillage des ressources ou d'aquaculture. Malheureusement, le silence règne encore sur un fonds d'accompagnement à la hauteur des enjeux. Je rappelle que la Guyane est le seul territoire où il n'existe pas d'établissement de formation aux métiers de la mer.
Qu'en est-il de la fiscalité sur les énergies fossiles, de la valorisation des puits carbone, du plafonnement de la part superficiaire de la DGF dans le seul département de Guyane ? Qu'en est-il de la ponction unilatérale de 27 millions sur l'octroi de mer destiné aux communes, que la Guyane subit seule depuis 1974 ?
La récente réunion de travail organisée par le ministère donne néanmoins des raisons d'espérer. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
Mme Karine Claireaux . - La présence de trois collectivités sur le petit territoire de Saint-Pierre-et-Miquelon pose question depuis quelques années : l'enchevêtrement des compétences et la crise de la pêche depuis 1992 font obstacle à notre développement, qui passera obligatoirement par un renouveau de notre activité maritime.
Les élus locaux, quelles que soient les difficultés, soutiennent la création d'une fonction publique territoriale pour les 320 agents. Faute de création du centre de gestion prévu, des difficultés demeurent toutefois.
Plusieurs pistes ont été envisagées. Activer le centre de gestion prévu serait coûteux. Mieux vaut créer un centre de gestion et de formation adapté, comme celui de la Polynésie française, mais cela suppose une modification législative.
Autre point sur lequel je souhaite attirer votre attention : les collectivités territoriales, jusqu'il y a peu, accordaient des subventions à l'enseignement privé -le décret du 16 janvier 1939 modifié ne l'y autoriserait pourtant pas. Pour financer la mission catholique qui scolarise 470 élèves, j'avais déposé un amendement, hélas déclaré irrecevable par la commission des finances. Comment faire pour permettre à la collectivité, qui en a la volonté et les moyens mais non la possibilité juridique, de financer les écoles privées ? La question est urgente. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. Victorin Lurel, ministre . - Je salue la vigilance de Mme Tasca : elle a beaucoup fait pour que les dispositions du projet de loi organique soient conformes en tout point à notre droit.
Merci à Mme Archimbaud de son soutien et de ses commentaires sur les terres rares.
Monsieur Frogier, je vous ai écouté attentivement car vous êtes l'un des signataires des accords de Nouméa. Nous ne devons y toucher qu'avec une main tremblante et nous nous sentons dépositaires de leur esprit et de leur lettre qu'avaient voulue des gouvernements avec lesquels nous avons un ADN commun. Si le calendrier est un peu contraint, c'est que nous voulons que le texte soit voté avant la réunion du comité des signataires, en octobre. Le Gouvernement est attentif au rôle particulier des provinces. Il veut trouver une solution consensuelle sur la question du drapeau.
Il est trop tôt pour parler d'un référendum « couperet ». Nous en rediscuterons après les élections de mai 2014 qui renouvèleront le Congrès. Le Gouvernement ne fera pas défaut aux élus.
Madame Assassi, j'ai apprécié votre éloge des atouts que présente l'économie des outre-mer. Leur développement doit être effectivement encadré, le Gouvernement s'est engagé à valoriser leur formidable potentiel toute en préservant les équilibres sociaux et environnementaux. La question institutionnelle ne doit pas masquer les questions économiques et sociales ; je note avec satisfaction que le Congrès calédonien s'est saisi des questions de la concurrence et de la vie chère.
Merci à M. Mohammed-Soilihi de son soutien et de celui du groupe socialiste. Depuis l'an dernier, la situation très dure à la prison de Nouméa a évolué. La garde des sceaux a publié, le 18 mars, une circulaire de politique pénale spécifique pour limiter l'incarcération aux cas où elle est nécessaire et individualiser l'exécution des peines. Elle a lancé la restructuration complète de l'établissement, qui comptera à terme 447 places contre 238 aujourd'hui. Une antenne pourrait être créée à Koné, ce qui répondrait aux problèmes de surpopulation carcérale et de vétusté de l'établissement de Nouméa. Nous attendons les conclusions de la mission que Mme Taubira a diligentée sur place.
Monsieur Laufoaulu, l'ordonnance du 25 janvier 2013 crée un véritable statut de droit public pour les agents concernés. Les deux décrets prévus seront examinés par le Conseil d'État après une concertation avec les représentants des personnels.
La création d'une collectivité unique, monsieur Antoinette, n'est en effet pas une fin en soi. Le débat public en Guadeloupe n'a pas permis, pour le moment, d'arriver à cette solution. Je sais que les parlementaires -j'en ai été un- ne sont guère favorables aux ordonnances. S'agissant de la fusion des personnels, les élus seront consultés, il ne devrait pas y avoir de problème. Sur le régime juridique des patrimoines et l'affectation des biens, je suis à la disposition des élus pour lever les difficultés techniques. Je partage, cela dit, une partie de vos observations. Merci de votre appréciation sur l'ordonnance « pêche ». La lutte contre la pêche illégale ne relèvera jamais d'une ordonnance... L'État a décidé de reconquérir l'espace maritime qui relève de la souveraineté nationale et y met des moyens, bâtimentaires comme satellitaires.
Les inquiétudes des fonctionnaires ? Le ministre que je suis vous entend. La fusion s'accompagne de tous les droits de chacun, dans le cadre d'un dialogue permanent. Et puis il y a les syndicats ! Mon expérience m'a appris qu'après les municipales, on n'a pas toujours le temps d'organiser dans de bonnes conditions les élections des CAP et des CHSCT.
Madame Claireaux, nous discuterons de votre amendement sur le centre de gestion de Saint Pierre-et-Miquelon. Le Gouvernement est favorable à votre autre amendement, frappé par l'article 40. Nous devrons trouver un autre véhicule pour le faire aboutir. (Applaudissements)
La discussion générale est close.
Échec en CMP
M. le président. - J'informe le Sénat que les commissions mixtes paritaires chargées de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière et du projet de loi organique relatif au procureur de la République financier ne sont pas parvenues à l'adoption d'un texte commun.