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Table des matières



Commission mixte paritaire (Candidatures)

Enseignement supérieur et recherche (Conclusions de la CMP)

Discussion générale

Mme Dominique Gillot, rapporteure pour le Sénat de la commission mixte paritaire

Mme Geneviève Fioraso, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche

Mme Brigitte Gonthier-Maurin

Mme Valérie Létard

Mme Françoise Laborde

Mme Corinne Bouchoux

M. Jacques Legendre

M. David Assouline

Discussion du texte élaboré par la CMP

ARTICLE 38

ARTICLES ADDITIONNELS

Mme Marie-Christine Blandin, présidente de la commission de la culture

Mme Dominique Gillot, rapporteure

Mme Geneviève Fioraso, ministre

CMP (Nominations)

Conseil supérieur de la magistrature (Projet de loi constitutionnelle)

Attributions du garde des sceaux

Rappels au Règlement

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur de la commission des lois

M. Michel Mercier

M. Jacques Mézard

Discussion générale commune

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur de la commission des lois

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois

M. François Zocchetto

Mme Esther Benbassa

M. Jacques Mézard

M. Jean Louis Masson

M. Jean-Jacques Hyest

Mme Cécile Cukierman

M. Thani Mohamed Soilihi

M. Philippe Kaltenbach

M. Michel Mercier

Engagement de procédure accélérée

Organisme extraparlementaire (Candidatures)

Motion d'ordre

Organisme extraparlementaire (Nominations)

Conseil supérieur de la magistrature (Projet de loi constitutionnelle)

Attributions du garde des sceaux

Discussion générale commune (Suite)

M. Jean-Pierre Vial

M. Jean-Yves Leconte

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux

Question préalable sur le projet de loi constitutionnelle

M. Philippe Bas

M. Alain Richard

Discussion des articles du projet de loi constitutionnelle

ARTICLE PREMIER

ARTICLE 2




SÉANCE

du mercredi 3 juillet 2013

124e séance de la session extraordinaire 2012-2013

présidence de M. Jean-Patrick Courtois,vice-président

Secrétaires : M. Jean Desessard, M. Jacques Gillot.

La séance est ouverte à 14h 30.

Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.

Commission mixte paritaire (Candidatures)

M. le président.  - M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre la demande de constitution d'une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de séparation et de régulation des activités bancaires.

J'informe le Sénat que la commission des finances m'a fait connaître qu'elle a procédé à la désignation des candidats qu'elle présente à cette commission mixte paritaire. Cette liste a été affichée et la nomination des membres de cette commission mixte paritaire aura lieu conformément à l'article 12 du Règlement.

Enseignement supérieur et recherche (Conclusions de la CMP)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle l'examen des conclusions de la commission mixte paritaire chargée d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à l'enseignement supérieur et à la recherche.

Discussion générale

Mme Dominique Gillot, rapporteure pour le Sénat de la commission mixte paritaire .  - Il y a presque un an, les Assises de l'enseignement supérieur et de la cherche étaient lancées à votre initiative, madame la ministre. Un débat national a suivi, dans la communauté universitaire puis au Parlement, qui a abordé tous les sujets, toutes les questions, sans tabou ni a priori. Tous les groupes politiques ont apporté leur pierre à l'édifice et su dépasser les clivages idéologiques stériles.

Ce texte est en cohérence avec celui qui porte la refondation de l'école et la priorité accordée à la jeunesse ; il dessine la France de demain en traçant, comme l'a dit Vincent Berger, un « cap de civilisation ». Dans la continuité des Lumières, nous avons oeuvré pour un enseignement supérieur de haut niveau, accessible et attractif, pour une culture partagée qui rendra notre société plus humaine, renforcera le lien social et préparera un avenir meilleur. C'est dans cet esprit qu'a travaillé la CMP.

Le dispositif du Sénat en première lecture sur les cursus en langues étrangères a été conservé. Un rééquilibrage a été opéré entre recherche fondamentale et recherche appliquée. La valorisation des résultats de la recherche se fera désormais au service de la société - la recherche fondamentale ne doit pas être asservie à des impératifs industriels ou commerciaux. Le transfert sera visé lorsqu'il sera possible. La commission mixte paritaire a en outre consolidé les dispositions relatives aux transferts de brevet.

Ce texte promeut l'université inclusive, le partage de la culture scientifique, la formation participative. Le service public de l'enseignement supérieur doit être exemplaire : le respect de la parité, la prise en compte des étudiants en situation de handicap, la résorption de l'emploi précaire ont été affirmés dans les missions sociales des universités.

Les principales évolutions en CMP ont été motivées par l'ambition partagée de conforter l'objectif premier du texte, la réussite de tous les étudiants. Le Sénat a remplacé la suppression de la gratuité des classes préparatoires dans les lycées publics, votée par l'Assemblée nationale, par une inscription conjointe en université, qui ne concerne que les élèves de ces seules classes. Les étudiants en BTS, titulaires d'un bac-pro, seront néanmoins incités à poursuivre leurs études. Ainsi en est-il de l'article 19.

L'objectif demeure d'une formation de qualité tout au long de la vie, simultanément avec la lutte contre le taux d'échec des bacheliers pro et technologiques dans les licences générales, faute de places en BTS ou IUT. Ce projet de loi instaure l'expérimentation d'un nouveau dispositif pour lutter contre les échecs en première année des études médicales ; à la place de l'organisation d'épreuves classantes interrégionales, la CMP a décidé qu'un rapport serait remis sur la réforme du concours de l'internat.

La CMP a étendu aux stagiaires divers droits réservés jusqu'à présent aux salariés ; prévu une gouvernance plus collégiale et plus démocratique des universités - avec notamment le transfert du droit de veto sur l'affectation des enseignants-chercheurs du président du conseil d'administration à une formation restreinte de celui-ci ; confirmé la désignation au suffrage direct des membres des conseils d'administration des communautés d'universités ou d'établissements, mais ouvert la possibilité d'une élection au suffrage indirect lorsque lesdites communautés comportent plus de dix membres et précisé que chaque liste de candidat devra assurer la représentation de 75 % des établissements membres. Le Sénat, suivi par la CMP, a ajouté la possibilité d'un regroupement de type confédéral et laissé aux communautés la liberté de choisir leurs modalités d'organisation.

Pas plus que l'Assemblée nationale le Sénat n'a esquivé la question du recrutement des enseignants-chercheurs. Les Assises avaient conclu à la disparition de la procédure de qualification, trop chronophage et source d'inégalités de traitement. L'amendement de suppression du groupe écologiste a soulevé une réelle émotion, à laquelle nous avons tous été sensibles. La CMP est revenue sur cette suppression mais a refusé d'écarter le débat et donné au Gouvernement deux ans pour proposer un dispositif plus transparent et plus équitable.

La transparence sera exigée des établissements privés pour éviter les diplômes coûteux et sans valeur ; un nouveau cadre sécurisé est offert à ceux d'entre eux, à but non lucratif, qui concourent au service public de l'enseignement supérieur.

La CMP est parvenue à un compromis sur les conditions d'accueil et de séjour des étudiants et chercheurs étrangers, dans l'attente de la loi annoncée par M. Valls. Dès la rentrée 2013, la situation sera améliorée.

Le bicamérisme a enrichi ce projet de loi. Il nous revient de rendre ce texte définitif, qui dessine l'avenir de notre pays ; avec le texte de refondation de l'école et le projet de loi à venir sur la formation tout au long de la vie, elle constitue un projet global de société. Le Sénat a fait prévaloir la notion de recherche au service de la société. Les sciences, toutes les sciences, dures comme humaines et sociales, sont indispensables à la compréhension du monde.

Nous avons eu un débat vaste et approfondi sur tous les sujets et nous avons pris en compte la réalité actuelle, sans nous enliser dans des discussions techniques. Ce projet de loi est de grande qualité. Des échanges sincères et respectueux permettent souvent de dépasser les clivages politiques, pour le plus grand profit de la Nation. Je vous encourage à adopter ce texte, fruit de notre détermination collective, pour nous rassembler dans une ambition nouvelle pour l'enseignement supérieur et la recherche. (Applaudissements sur les bancs socialistes, écologistes et du RDSE)

Mme Geneviève Fioraso, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche .  - La CMP a adopté une nouvelle version du projet de loi. Ce texte a parcouru de nombreuses étapes sans qu'en soient compromis les objectifs premiers : la réussite des étudiants et une nouvelle ambition pour la recherche. Tous les jeunes auront le droit et la possibilité de réussir. Les Écoles supérieures du professorat et de l'éducation (Espe) ne figurent pas dans le texte mais elles y seront mentionnées pour qu'il soit mis en cohérence avec le texte de refondation de l'école.

Toutes les conditions de la réussite étudiante ont été améliorées, qui seront mises en oeuvre avec tous les ministères concernés sous la forme d'une stratégie nationale de l'enseignement supérieur.

Une nouvelle ambition pour la recherche est définie grâce, là encore, à une stratégie nationale en cohérence avec la stratégie européenne 2020. La recherche fondamentale est préservée, et la transformation des découvertes en innovation est encouragée.

Deux objectifs relevant de l'organisation de notre système ont été confortés : la simplification des procédures d'accréditation et d'évaluation et la possibilité de coopérations élargies et plus stratégiques.

L'Assemblée nationale a encadré les nouvelles dérogations à la loi Toubon, renforcé le principe de la tutelle conjointe sur les établissements, prévu une révision de la stratégie nationale tous les cinq ans.

Le Sénat a introduit plusieurs garanties en matière de collégialité, de gouvernance territoriale et d'autonomie des établissements au sein des nouveaux regroupements.

La réforme de l'enseignement supérieur et de la recherche porte un projet de société humaniste. Le Sénat a aussi voulu protéger les diplômes et les étudiants face à des pratiques douteuses et mieux identifier les établissements qui contribuent au service public en définissant un statut pour ceux sans but lucratif. Vous avez récrit l'article 38 et je vous en remercie. Vous avez mieux défini la place des régions. L'article relatif aux transferts a été assoupli et élargi, la notion a pris une nouvelle dimension. Le Sénat a marqué cette loi de son empreinte.

La CMP est parvenue à un accord sur les articles restés en suspens. La procédure de qualification est finalement maintenue, mais tout le monde s'accorde pour dire qu'elle doit être améliorée dans la concertation. Pour les études médicales, l'examen classant reste national. Des rapports d'étape seront soumis au Parlement pour faire le point sur différents sujets.

Je m'engage à régler la question de la présidence du conseil académique par voie réglementaire ; il sera ou le président de l'université ou un membre du conseil présenté par lui ; je pense répondre ainsi à une préoccupation du groupe RDSE... Les étudiants, docteurs et chercheurs étrangers seront mieux accueillis, grâce à des visas pluriannuels. Un projet de loi du ministère de l'intérieur viendra compléter le dispositif. Les stagiaires seront mieux protégés. La possibilité d'une élection au suffrage indirect des membres du conseil d'administration des communautés est maintenue si celles-ci comptent plus de dix membres.

Ce texte a aussi été enrichi par nos échanges réguliers. L'enseignement supérieur et la recherche a bien été au coeur de notre réflexion pour le redressement du pays, redressement intellectuel, redressement par la connaissance et l'accès du plus grand nombre de jeunes à une formation et une qualification de haut niveau, redressement par la recherche et sa diffusion dans le tissu social et économique. Je vous remercie pour la qualité des débats et je vous appelle à voter le texte de la CMP, car il est décisif pour l'avenir de notre pays. (Applaudissements sur les bancs socialistes, écologistes et du RDSE)

Mme Brigitte Gonthier-Maurin .  - Ce texte opère peu de changements par rapport au projet de loi initial. Notre groupe confirmera donc son vote négatif sur un projet de loi qui ne rompt pas avec la logique de la précédente majorité, logique qui a déstructuré notre enseignement supérieur et notre recherche.

L'objectif d'un transfert des résultats de la recherche vers le monde économique reste la pierre angulaire de ce projet de loi. L'obsession économique aboutit à une hiérarchisation des savoirs contre laquelle nous nous élevons. On privilégie la recherche appliquée par rapport à la recherche fondamentale. Ce texte ne prévoit pas une programmation des moyens et des emplois, qui aurait été bien nécessaire. L'autonomie budgétaire des universités en a pourtant conduit beaucoup au déficit, sans parler de la diminution de la part des emplois pérennes.

Le financement par projet n'est pas davantage remis en question. La nouvelle procédure d'accréditation des établissements, qui vaudra habilitation à délivrer les diplômes, est dangereuse et ne s'intéresse pas au contenu de ceux-ci. Les communautés d'universités et d'établissements pourront être constituées d'universités publiques mais aussi privées, ce que nous ne pouvons accepter. L'article 38 a été entièrement récrit. Les regroupements seront obligatoires et les régions y seront systématiquement associées.

La CMP a maintenu l'amendement d'origine centriste déposé à l'article 42 C, qui crée un statut dérogatoire pour les établissements privés à but non lucratif. L'article 43 bis porte atteinte au statut des personnels, ce que nous déplorons. Enfin, nous ne pouvons accepter l'article 49 : l'instance qui remplacera l'Aeres aura peu ou prou les mêmes missions et composition qu'elle, malgré l'opposition unanime des universitaires, alors que l'évaluation individuelle et collective devrait avoir avant tout pour but l'amélioration du travail collectif. Seule avancée notable, le rétablissement de la qualification nationale préalable pour le recrutement des enseignants-chercheurs. La possibilité de transférer aux collectivités les biens immobiliers dédiés au logement étudiant nous inquiète - les grues sont déjà au travail à Antony.

Sans surprise, nous voterons contre ce projet de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe CRC)

Mme Valérie Létard .  - Merci à Mme la rapporteure et à Mme la ministre pour les échanges que nous avons pu avoir. Je tiens également à rendre hommage à nos collègues qui ont enrichi ce projet de loi.

La CMP a duré longtemps, car nos positions respectives étaient assez éloignées. Le groupe UDI-UC a obtenu le maintien d'amendements importants. Les établissements d'enseignement supérieur privés à but non lucratif disposeront d'un nouveau statut, ce dont nous nous félicitons. Les établissements privés devront mentionner leurs statuts et la nature de leurs relations avec l'État dans tous leurs documents. Des statistiques seront régulièrement publiées sur les inscriptions dans les différentes formations et le taux d'insertion professionnelle des étudiants. Les stages ne pourront avoir pour objet l'occupation d'un poste permanent, quelle que soit la structure d'accueil.

Pour la recherche, nous ne voulons pas nous protéger de l'extérieur mais permettre à notre savoir-faire de s'exporter dans le reste du monde. Des communautés d'universités et d'établissements pourront être créées. L'article 38 permettra de créer des structures confédérales. La signature des contrats pluriannuels des communautés d'universités ou d'établissements devra faire l'objet d'une majorité qualifiée.

Enfin, la régionalisation des épreuves classantes de médecine a été abandonnée, ce que je regrette ; c'était une des propositions du rapport Maurey pour lutter contre les déserts médicaux. Un rapport sera remis au Parlement sur cette question.

Même si toutes les mesures ne nous conviennent pas, toutes les avancées dont je viens de parler ont été portées par le groupe UDI-UC. Celui-ci maintiendra son vote de première lecture ; personnellement, je voterai le texte. (Applaudissements sur les bancs socialistes et UDI-UC)

Mme Françoise Laborde .  - Les travaux parlementaires ont été guidés par la volonté d'aboutir à une réforme ambitieuse et opérante de l'enseignement supérieur et de la recherche. Les travaux de la CMP sont l'aboutissement d'un compromis. Mon groupe se félicite du maintien de la procédure de qualification par le CNU pour le recrutement des enseignants-chercheurs ; mais rendez-vous est pris dans deux ans.

Pour la gouvernance des universités, l'article 25 ne nous satisfaisait pas pleinement. Hélas, l'amendement de M. Chevènement n'a pas été retenu par la CMP. Certes, les statuts pourront prévoir que les présidences des deux conseils, d'administration et académique, pourront être confondues. Un exécutif bicéphale est-il pertinent ? Nous ne le croyons pas. Nous nous félicitons des précisions apportées par Mme la ministre : la voie réglementaire ira dans le sens que nous souhaitons.

L'article 38 nous convient - possibilité d'organisation confédérale, place des personnels et des usagers renforcée, révision des statuts à la majorité qualifiée. Les regroupements permettront d'offrir des formations cohérentes. Le mille-feuille institutionnel a été simplifié. Les nouveaux regroupements associeront de plus près les établissements de recherche, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui.

Les personnes publiques pourront mettre à disposition des PME les fruits de leurs recherches. La suppression des modifications apportées au CIR est bienvenue, mieux vaut attendre le prochain rapport de la Cour des comptes sur le sujet.

Le retour de l'État stratège retient toute notre attention : l'aménagement du territoire y gagnera ainsi que l'accès de tous à l'éducation ; la définition des grandes orientations en matière de recherche permettra de répondre aux défis sociaux, économiques et environnementaux. La grande majorité du RDSE approuve le texte de la CMP. (Applaudissements sur les bancs du RDSE et socialistes)

Mme Corinne Bouchoux .  - Nous saluons les évolutions plutôt positives de ce texte, du renforcement des interactions science/société au retour de l'État stratège, en passant par la participation des citoyens à l'élaboration de la stratégie nationale de recherche ou le renforcement de la protection des stagiaires.

Nous nous réjouissons que l'accueil et le séjour des étudiants étrangers ait été consolidé et que l'université ait été placée au centre de la stratégie nationale de l'enseignement supérieur. Parce que le Gouvernement a su nous entendre, nous saluons ce texte enrichi. Nous remercions Mme la ministre pour son écoute et son attention.

Si notre intelligence collective a permis de franchir une étape, ce texte est encore loin de nos attentes. Nous restons inquiets sur les regroupements et nous estimons que ce texte ne s'attaque pas aux conditions d'études ni à la précarité, faute de moyens.

La recherche fondamentale, pourtant indispensable, est traitée de façon trop secondaire. Nous craignons que les sciences humaines et sociales ne soient mises en danger. Où sont les structures capables d'aider nos chercheurs à répondre aux appels d'offres européens ? Le Haut Conseil qui remplacera l'Aeres devrait mieux évaluer les bonnes pratiques plutôt que les équipes et les laboratoires.

Le problème du logement des étudiants n'est pas traité. Enfin, la précarité n'est pas assez prise en compte. Le crédit impôt recherche nous semble critiquable.

Ce texte accommode la LRU mais ne résout pas les questions de fond, de gouvernance et de moyens. Il demeure éloigné des Assises de l'enseignement supérieur et de la recherche. Nous nous abstiendrons. (Applaudissements sur les bancs écologistes et CRC)

M. Jacques Legendre .  - L'heure est venue de nous prononcer sur ce texte. Améliore-t-il le dispositif de la loi du 10 août 2007 ? Vous connaissez mon attachement à la langue française. Je reviens donc sur l'article 2 qui autorise l'usage d'une langue étrangère à l'université.

M. Jean-Claude Lenoir.  - Très bien.

M. Jacques Legendre.  - Ce débat n'est pas mineur, ni purement technique. Il engage le statut international de la langue française, qui n'est certes pas l'hyperlangue qu'est devenu l'anglais mais reste une langue centrale comme l'espagnol, le portugais, l'arabe et bientôt le chinois. Langue partagée par de nombre pays, elle doit être une langue d'accès à la modernité, donc à l'enseignement supérieur.

Or son statut était remis en cause. Prétendre qu'un tel sacrifice faciliterait l'accueil d'étudiants étrangers est un argument fallacieux. Il n'est pas normal de soumettre nos étudiants au diktat d'une langue dominante, quand bien même sa maîtrise est nécessaire, avec de préférence celle d'une autre langue étrangère. Que penseraient les Africains francophones qui viennent étudier en France, s'ils devaient suivre leurs cours en anglais ? Que penseraient des étudiants français à qui notre université proposerait des cursus d'enseignement exclusivement en anglais ? On peut admettre que des non-francophones suivent chez nous des cours dans une langue étrangère ; la loi Toubon le prévoyait déjà. L'important est que ce soit encadré et que des cours de langue française leur soient dispensés. Il nous faut garantir un encadrement suffisant de l'enseignement en langues étrangères pour défendre concrètement la diversité culturelle et linguistique. L'une ne va pas sans l'autre.

Le travail parlementaire a été assez consensuel, en liaison avec Mme André et l'Assemblée parlementaire de la francophonie. L'amendement que j'ai proposé a été validé en CMP. Je m'en réjouis. La rédaction finale de l'article 2 est claire : la langue française demeure la règle, l'anglais l'exception, strictement encadrée. Nous sommes parvenus à une rédaction équilibrée, mais restons vigilants. Les services du ministère ont trop longtemps fermé les yeux sur des violations de la loi Toubon.

Votre texte entend améliorer la LRU. C'est louable, mais prématuré, cinq ans après son application. Sur la gouvernance des universités, le projet de loi reprend l'idée de collégialité, débattue en 2007. C'est déstabilisant pour les universités qui viennent de constituer leur conseil d'administration, lequel devra déléguer une partie de ses pouvoirs au « conseil académique ». Nous avons proposé et obtenu que le président d'université puisse présider ce conseil. Il serait sage que ce soit souvent le cas. L'autonomie suppose un pilotage fort. Il est regrettable que votre projet de loi remette en cause ce principe, laissant le poids des corporatismes bloquer les décisions.

Nous regrettons la suppression de l'Agence d'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (Aeres) et son remplacement par une instance de nature et aux moyens similaires. La suppression, ici encore, de ce qu'a construit l'ancienne majorité a valeur de symbole. Après des débuts difficiles, l'agence a, en six ans d'existence, acquis une reconnaissance européenne et internationale. La rapporteure a relevé cette incohérence. Je salue son travail et son courage.

Les Pôles de recherche et d'enseignement supérieur (Pres) reposaient sur une démarche volontaire. Vous les remplacez par des communautés obéissant à une logique territoriale, ce qui va vers plus de complexité et moins de liberté. L'État entend se préserver de l'autonomie plutôt que l'encourager, au risque d'un rendez-vous manqué. Malheureusement, vous n'avez pas entendu nos arguments, non plus que ceux sur la gouvernance.

Selon l'article 18, des quotas seront obligatoires pour l'accueil de bacheliers professionnels en IUT. Nous partageons votre préoccupation sur l'échec de ces étudiants. Mais vos quotas n'y pourront hélas rien. Ils déplaceront le problème et risquent de déprécier les diplômes délivrés par les IUT. C'est en amont en formation initiale, dès le secondaire, qu'il faut agir. La loi sur la refondation de l'école n'accomplira pas la révolution attendue.

Nous n'avons pas été suffisamment entendus pour émettre un vote positif ni même nous abstenir. Nous voterons contre. (Applaudissements à droite)

M. David Assouline .  - Nous arrivons au terme d'une navette riche, qui a conforté l'ambition gouvernementale. Souvent les débats se nourrissent du choc des convictions, mais s'arrêtent là. D'autres débats se cantonnent à la technique et méconnaissent la profondeur des enjeux. Ce débat-ci a mêlé les deux. Chacun a réaffirmé ses positions de fond mais s'est aussi demandé ce qu'il s'agissait de faire, concrètement. Il y a eu des bougés dans l'hémicycle. Le Sénat a levé des blocages. Le discours à l'instant du président Legendre est exemplaire : il a dit les raisons de son hostilité à ce texte, mais de manière précise, argumentée, constructive, sans hésiter à critiquer aussi le précédent gouvernement.

Il fallait relever le défi de la réussite éducative et de la stratégie nationale de la recherche, mise au service de l'innovation. La méthode fut celle de la simplification, de la gouvernance territoriale, qui sans aller si peu que ce soit contre le caractère national du service public de l'enseignement supérieur et de la recherche, remet en mouvement les territoires au service du développement de l'économie et du savoir. Les objectifs du Gouvernement n'ont été à aucun moment dénaturés et son texte a été enrichi ici. Nous, parlementaires, avons le sentiment de servir à quelque chose tout en allant dans le sens du Gouvernement.

Je suis heureux, bien sûr, de la contribution des sénateurs socialistes. Le transfert des résultats de la recherche ne doit pas s'effectuer uniquement au profit des entreprises. Nous l'avons aussi dirigé vers les associations et fondations reconnues d'utilité publique, relais d'initiatives diverses, enracinées dans notre société. Leurs projets étaient parfois freinés. Ils seront relancés.

Les conditions de l'insertion professionnelle des étudiants, celles de leurs stages, ont été améliorées et encadrées. Je me réjouis que le bureau d'aide à l'insertion professionnelle soit doté d'une nouvelle mission : préparer les étudiants à leur entretien d'embauche.

Je me réjouis aussi de l'adoption de l'amendement autorisant les établissements à passer des conventions hors de leur académie, de l'article additionnel introduisant une initiative du groupe socialiste pour la carte de séjour mention « scientifique, chercheur ». Le Sénat, en attendant la loi défendue par M. Valls pour le compléter, a adopté un dispositif qui renforce dès maintenant l'attractivité de la France à l'étranger et corrige les effets déplorables de la circulaire Guéant.

Les régions seront associées aux politiques d'enseignement supérieur et de recherche, ce qui ne remet nullement en cause leur caractère national. Pour les regroupements, la CMP a abouti à la meilleure rédaction acceptable par les deux assemblées. Les modes de scrutin ont été améliorés, à la suite d'une large concertation. Les débats ont permis d'aboutir.

Les amendements du Gouvernement, loin de revenir sur des décisions majeures, améliorent le texte, dans l'esprit de ce projet de loi, que le groupe socialiste a soutenu sans réserve. Nous sommes fiers du résultat. Ce débat fut exemplaire. Il mérite d'être couronné par un vote positif. (Applaudissements sur les bancs socialistes et du RDSE)

La discussion générale est close.

M. le président.  - En application de l'article 42 de notre Règlement seuls sont recevables les amendements ayant reçu l'accord du Gouvernement.

Discussion du texte élaboré par la CMP

ARTICLE 38

M. le président.  - Amendement n°1, présenté par le Gouvernement.

Alinéa 31

Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :

Parmi ses composantes, la communauté peut comporter une école supérieure du professorat et de l'éducation.

Mme Geneviève Fioraso, ministre.  - Amendement de coordination avec l'article 69 de la loi d'orientation et de programmation pour la refondation de l'école de la République. Je me félicite de la bonne coopération entre le ministère de l'Éducation nationale et mes services pour la mise en place de ces Espe, qui seront intégrées aux universités, dont elles seront une composante. Elles s'inscriront dans un cursus universitaire, en lien avec l'ensemble de la communauté enseignante. Ce travail commun est une innovation.

Mme Dominique Gillot, rapporteure.  - Favorable.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin.  - Nous avons émis un vote positif sur le projet de loi relatif à la refondation de l'école de la République, assorti d'une exigence de vigilance. Les parlementaires pourront-ils être tenus au courant de la mise en place des Espe et savoir ce qu'il en sera de la situation du personnel dédié, notamment des formateurs ?

Mme Dominique Gillot, rapporteure.  - Répondant l'autre jour à une question d'actualité, le ministre de l'Éducation nationale a précisé qu'une communication serait faite début juillet. Cela devrait vous donner satisfaction.

L'amendement n°1 est adopté.

M. le président.  - Amendement n°2, présenté par le Gouvernement.

Alinéa 63

Remplacer le mot :

deuxième

par le mot :

troisième

Mme Geneviève Fioraso, ministre.  - Nous corrigeons une erreur de référence.

Mme Dominique Gillot, rapporteure.  - Favorable.

L'amendement n°2 est adopté.

L'article 38, modifié, est adopté.

ARTICLES ADDITIONNELS

M. le président.  - Amendement n°3, présenté par le Gouvernement.

Avant l'article 56 A

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L'article 83 de la loi n°           du             d'orientation et de programmation pour la refondation de l'école de la République est ainsi modifié :

1° À la seconde phrase du cinquième alinéa, les mots : « ou de l'établissement public de coopération scientifique » sont supprimés ;

2° Au dernier alinéa, les mots : « ou à l'établissement public de coopération scientifique » sont supprimés.

Mme Geneviève Fioraso, ministre.  - Coordination avec l'amendement n°1.

L'amendement n°3, accepté par la commission, est adopté et devient un article additionnel.

M. le président.  - Amendement n°4, présenté par le Gouvernement.

Avant l'article 56 A

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L'article L. 721-1 du code de l'éducation est ainsi modifié :

1° Au premier alinéa, les mots : « soit au sein d'un établissement public à caractère scientifique, culturel et professionnel, soit au sein d'un établissement public de coopération scientifique » sont remplacés par les mots : « au sein d'un établissement public à caractère scientifique, culturel et professionnel » ;

2° Au cinquième alinéa, les mots : « ou de l'établissement public de coopération scientifique » sont supprimés.

Mme Geneviève Fioraso, ministre.  - Même objet.

Mme Dominique Gillot, rapporteure.  - Même avis.

L'amendement n°4 est adopté et devient un article additionnel.

M. le président.  - Amendement n°5, présenté par le Gouvernement.

Avant l'article 56 A

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

À la troisième phrase du II, aux première et seconde phrases du deuxième alinéa du III et au dernier alinéa du III de l'article L. 721-3 du code de l'éducation, les mots : « ou de l'établissement public de coopération scientifique » sont supprimés.

Mme Geneviève Fioraso, ministre.  - Coordination.

L'amendement n°5, accepté par la commission, est adopté et devient un article additionnel.

À la demande des groupes socialiste et UMP, l'ensemble du texte résultant des conclusions de la CMP, ainsi amendé, est mis aux voix par scrutin public.

M. le président.  - Voici les résultats du scrutin :

Nombre de votants 348
Nombre de suffrages exprimés 318
Pour l'adoption 161
Contre 157

Le Sénat a adopté.

(Applaudissements à gauche)

Mme Marie-Christine Blandin, présidente de la commission de la culture .  - C'est la deuxième loi importante pour notre commission à être votée en deux semaines, enrichie significativement par le Sénat. Quand nous résistons au Gouvernement, c'est pour son bien ! (Sourires) La deuxième loi concernant la jeunesse. L'urgence fut notre lot, la CMP notre devoir. Les avis furent contrastés ; nous nous retrouverons lors du débat budgétaire. La loi est votée. Je remercie la ministre pour son écoute, la rapporteure pour son travail difficile, laborieux, patient, mais excellent, tous les groupes pour leur engagement. (Applaudissements à gauche)

Mme Dominique Gillot, rapporteure .  - Cette fois, nous en avons terminé, après moult suspense, surprise, euphorie aussi parfois ! L'histoire retiendra cette adoption par le Sénat de la loi relative à l'enseignement supérieur et à la recherche. Nous avons porté au plus haut niveau notre ambition pour la formation de tous les jeunes. Ce résultat est le fruit du travail et de la méthode propres au Sénat, méthodiques, jour après jour, à force d'écoute, de conviction, de rassemblement, d'échanges d'expériences qui ont fécondé et densifié ce texte. Celui-ci est plus riche à présent, parce qu'il est le fruit d'une réflexion partagée. Il satisfait dès la première année du quinquennat l'une des priorités du président de la République. Mission accomplie. D'autres chantiers sont ouverts qui nous donneront l'occasion de nous retrouver. Je joins mes remerciements à ceux de la présidente de la commission. (Applaudissements à gauche)

Mme Geneviève Fioraso, ministre .  - Débat passionné, en effet, mais respectueux. Je m'associe à mon tour à ces remerciements. Il est rare que l'enseignement supérieur et la recherche soient placés au coeur d'un projet politique. Il s'agit de la jeunesse, de l'avenir, de la réussite du plus grand nombre ; la recherche conditionne l'emploi de demain et notre avenir sanitaire, environnemental, sociétal, culturel. C'est toute la noblesse de la politique que de le préparer. Nous avons fait des concessions réciproques, mieux, nous avons progressé ensemble. C'est aussi cela, l'ambition politique, au service de notre jeunesse et de notre avenir. (Applaudissements sur les bancs socialistes et au centre)

CMP (Nominations)

M. le président.  - Il va être procédé à la nomination des sept membres titulaires et des sept membres suppléants de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de séparation et de régulation des activités bancaires. La liste des candidats établie par la commission des finances a été affichée conformément à l'article 12 du Règlement. Je n'ai reçu aucune opposition.

En conséquence, cette liste est ratifiée et je proclame représentants du Sénat à cette commission mixte paritaire : titulaires, MM. Philippe Marini, Richard Yung, Jean-Pierre Caffet, Thani Mohamed Soilihi, Éric Bocquet, Albéric de Montgolfier, Vincent Delahaye ; suppléants, Mme Michèle André, MM. Philippe Dallier, Francis Delattre, François Fortassin, Claude Haut, François Trucy, Yannick Vaugrenard.

La séance est suspendue à 16 h 20.

présidence de M. Jean-Pierre Bel

La séance reprend à 16 h 25.

Conseil supérieur de la magistrature (Projet de loi constitutionnelle)

Attributions du garde des sceaux

M. le président.  - L'ordre du jour appelle l'examen du projet de loi constitutionnelle, adopté par l'Assemblée nationale, portant réforme du Conseil supérieur de la magistrature, et du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, relatif aux attributions du garde des sceaux et des magistrats du ministère public en matière de politique pénale et de mise en oeuvre de l'action publique.

Rappels au Règlement

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur de la commission des lois .  - C'est la première fois que je vois un débat sur un projet de loi constitutionnelle commencer un mercredi en milieu d'après-midi, avant d'être interrompu à plusieurs reprises. L'examen des conclusions d'une commission mixte paritaire, qui a été ajoutée à notre ordre du jour aurait pu attendre lundi. Je suis très mécontent de cette mauvaise organisation de nos travaux et je tenais à ce que ce fût dit en séance publique.

M. Michel Mercier .  - J'associe mon groupe à ce rappel au Règlement. C'est la première fois que l'on annonce l'examen d'une réforme constitutionnelle un mercredi en milieu d'après-midi. La Constitution mérite mieux.

M. Jacques Mézard .  - J'ajoute ma voix à ces rappels au Règlement, en attirant l'attention de notre Haute assemblée sur les conditions dans lesquelles nous travaillons. Il serait opportun que le Gouvernement en tire les conséquences qui s'imposent.

Discussion générale commune

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice .  - Le projet de loi constitutionnelle vise à assurer l'indépendance de l'autorité judiciaire et à garantir son impartialité dans sa fonction de requérir et de juger. Il modifie deux articles de la Constitution et introduit deux articles nouveaux. Le projet de loi ordinaire réorganise les relations entre le garde des sceaux et le parquet général. Il interdit les instructions individuelles dans les affaires pénales. L'Assemblée nationale n'a pas modifié l'équilibre du texte.

Nous alignons le droit sur la pratique en vigueur depuis ma prise de responsabilités. Mon prédécesseur, M. Mercier, l'avait également appliquée. En l'inscrivant dans la Constitution et dans la loi, nous nous rapprochons du standard européen et nous contribuons à une République irréprochable.

Nous assurons l'impartialité des magistrats. Nous avançons par rapport à notre Constitution et la réforme de 2008, qui a supprimé la présidence du Conseil supérieur de la magistrature par le président de la République et sa vice-présidence par le garde des sceaux et permis sa saisine par le contribuable.

À l'usage, ces avancées sont à nuancer. La pratique déjà voulait que le président de la République ne présidât pas le CSM et le garde des sceaux ne le vice-présidât point non plus. Seule onze plaintes déposées devant le CSM ont été jugées recevables et trois ont donné lieu à une audience disciplinaire.

Ce droit ouvert en 2008 n'est donc pas effectif. Plus de 55 % des saisines contestent des décisions de justice. Le CSM n'est en aucun cas un troisième degré de juridiction. Il faut donc rendre effectif ce droit de saisine par le justiciable. La suspicion à l'égard de l'impartialité des magistrats est répandue. Un incident récent a concerné le CSM : trois magistrats qui en sont membres ont signé une tribune à propos du projet de loi. Le président du CSM a jugé de son devoir de les rappeler à l'ordre. Il convient donc d'améliorer l'image de l'institution judiciaire, de démontrer l'impartialité des juges du parquet et du siège. Il est normal que nos concitoyens soient exigeants, voire intransigeants à l'égard de la justice parce qu'ils ont de plus en plus tendance à y recourir pour appeler l'État au secours, pour faire valoir leurs droits, économiques et sociaux en particulier, notamment en matière civile.

Les pouvoirs du CSM sont renforcés par le projet de loi constitutionnelle. L'article 64 de notre loi fondamentale est modifié, afin que le CSM « veille » à l'indépendance de l'autorité judiciaire par ses choix et ses décisions. L'Assemblée nationale a préféré ce terme à « concourt » comme l'avait écrit le Gouvernement.

De même, le régime de nomination des magistrats du parquet sera aligné sur celui des juges du siège. Le statut des magistrats du ministère public sera ainsi renforcé. Diverses propositions ont été faites à l'Assemblée nationale et au Sénat pour aller plus loin, afin de dessaisir le garde des sceaux de son pouvoir de proposition pour les candidatures. Le Gouvernement ne l'a pas voulu, car ces magistrats sont placés sous l'autorité du garde des sceaux, qui est responsable de la politique pénale sur tout le territoire, conformément à l'article 20 de la Constitution. Cette relation entre le garde des sceaux et les magistrats du parquet doit donc être maintenue.

Le régime disciplinaire des magistrats du parquet sera aligné sur celui des magistrats du siège. Il n'était en effet plus logique que le garde des sceaux conserve l'autorité en ce domaine.

Le CSM pourra également s'autosaisir. Jusqu'à présent, le président de la République peut lui demander son avis sur divers sujets et le garde des sceaux l'interroger sur la déontologie des magistrats. C'est en 2008 que le CSM a perdu sa capacité d'autosaisine.

Le Conseil constitutionnel avait en effet estimé, dans une réserve d'interprétation, que le constituant n'avait pas défini les modalités de son autosaisine. Nous rétablissons cette capacité, en la limitant à l'indépendance et à la déontologie des magistrats, en excluant le fonctionnement des juridictions.

Certains d'entre vous souhaiteraient élargir le champ de l'autosaisine, mais le Gouvernement reste prudent en ce domaine. Le CSM pourra s'exprimer sur divers sujets.

Les magistrats pourront également saisir le CSM. Ce dernier estimant que cette disposition est nécessaire, s'est interrogé sur le risque d'avoir à se prononcer par la suite sur des questions disciplinaires ou déontologiques, concernant les mêmes magistrats. Le Gouvernement y avait renoncé. L'Assemblée nationale a inclus cette possibilité. Si vous la confirmez, il faudra travailler sur les conditions de saisine.

Autre évolution majeure : la composition du CSM va évoluer, en étant composée à parité par des magistrats et par des personnalités extérieures. L'Assemblée nationale a voulu cette composition paritaire, parce que la France est l'un des deux derniers pays de l'Union européenne où la composition de cette instance était défavorable à la magistrature, puisqu'il y avait une voix de plus pour les personnalités extérieures. La parité a été préconisée par le rapport Vallini-Houillon, le rapport Vedel, la Commission Balladur, la Conférence des premiers présidents et des procureurs généraux. En outre, cela correspond aux standards européens de la convention européenne sur le statut des magistrats de 1998 qui lie la France. La présidence du CMS sera confiée à une personnalité extérieure. Actuellement, c'est le Premier président de la Cour de cassation qui en assure la présidence. Le Conseil constitutionnel avait émis des réserves d'interprétation en indiquant que le Premier président, comme le procureur général près la Cour de cassation doivent se déporter quand les nominations concernent les magistrats de la Cour de cassation.

L'Assemblée nationale a donné une voix prépondérante au président. Le Gouvernement hésite : le CSM devrait trouver un consensus pour les nominations. Il vous revient de vous prononcer mais le Gouvernement serait partisan d'en revenir à une voix simple.

Le Gouvernement avait prévu une formation plénière totale. L'Assemblée nationale en est revenue à la composition actuelle. Nous avons beaucoup discuté avec le CSM qui estime que la plénière actuelle fonctionne bien et que les clivages ne séparent pas les magistrats et les personnalités extérieures. Comme nous affichons la parité pour l'indépendance et pour éviter le corporatisme, nous acceptons que la formation plénière soit paritaire.

Les personnalités extérieures sont au nombre de huit, dont une vient du Conseil national des barreaux et une du Conseil d'État. Les six autres ne doivent appartenir ni au monde politique et parlementaire, ni au monde judiciaire ni au barreau. Jusqu'en 2008, ces personnalités étaient désignées par le président de la République, le président de l'Assemblée nationale et le président du Sénat. Depuis la réforme de 1993, les magistrats étaient élus et les personnalités extérieures nommées par les autorités politiques.

Parmi les motifs de défiance envers le CSM, il y a ce mode de désignation, ce qui me semble infondé, car les autorités politiques n'ont pas fait de nominations partisanes en puisant dans le vivier des personnes jugées proches de leur sensibilité.

De plus, les personnalités nommées n'affichent pas, dans leur fonction, de conviction politique : ils font corps avec l'institution. L'impartialité doit être réelle mais aussi se donner à voir. Pour lever cette suspicion, nous avons estimé qu'il fallait renoncer aux nominations par les pouvoirs politiques et prévu de constituer un collège de personnalités. Ce collège a fait l'objet de critiques à l'Assemblée nationale comme au Sénat, surtout du fait de la présence du président du Conseil économique, social et environnemental, de défendre des droits etc. On ne peut à la fois voir dans l'indépendance la source du corporatisme et refuser la présence de la société civile.

Le Gouvernement a entendu ces critiques, notamment celles concernant le risque de délégitimation du pouvoir politique. Il vous présentera un amendement pour modifier la composition du collège.

Ce projet de loi constitutionnelle vise à rétablir le lustre de l'institution judiciaire, à créer de la distance entre le CSM et les magistrats pour qu'ils exercent leur métier en toute impartialité.

Le CSM nomme, juge les juges. Il doit donc être et apparaître irréprochable. C'est tout le sens de cette réforme.

J'en viens au projet de loi ordinaire relatif aux attributions du garde des sceaux. Il modifie les article 30 et suivants du code de procédure pénale, résultant de la loi du 19 mars 2004. Ce projet de loi est complémentaire du projet de loi constitutionnelle. Si la définition de la politique pénale revient au garde des sceaux, la conduite de l'action publique relève du parquet. Nous n'avons pas supprimé la relation hiérarchique entre le procureur et le procureur général, entre le parquet et le garde des sceaux. Nous maintenons le parquet à la française. Nous n'avons pas touché à l'ordonnance de 1958 sur l'autorité hiérarchique, car nous estimons que le pouvoir exécutif est responsable de la politique pénale.

Le Conseil constitutionnel reconnaît le ministère public comme appartenant au domaine judiciaire, mais la Cour de cassation comme la Cour européenne des droits de l'homme émettent des réserves. Selon la conception conventionnelle, l'autorité judiciaire est une autorité de jugement ; or les magistrats n'ont pas à prononcer des décisions de privation de liberté. Certes, mais selon notre conception constitutionnelle, ils sont les garants des libertés individuelles et appartiennent bien à l'autorité judiciaire.

Nous renforçons le statut des magistrats du parquet, afin de garantir leur impartialité. Les instructions individuelles sont supprimées. Elles existaient depuis 1958 et jusqu'en 1993, étaient versées au dossier. Le garde des sceaux, responsable de la politique pénale sur tout le territoire, adresse des circulaires générales au ministère public que le procureur général et le procureur déclinent dans leur ressort. Il y a eu des interrogations à ce sujet. Ni le procureur ni le procureur général ne pourront modifier les orientations de la politique pénale.

En septembre 2012, j'ai publié une circulaire générale puis des circulaires territoriales pour certains territoires, comme la Corse, Marseille, la Nouvelle-Calédonie ou la Guyane. J'en prépare une pour la Guadeloupe, afin d'inciter à travailler systématiquement avec Tracfin, la Banque de France, la chambre régionale des comptes, le tribunal administratif. Les circulaires territoriales sont plus ciblées, plus précises, pour une plus grande efficacité de la politique pénale. Le procureur général a la responsabilité du rapport moral sur son ressort, et il peut publier des rapports particuliers sur des thématiques ciblées, comme l'amiante ou sur des procédures sensibles, pour sortir du bruit médiatique. La Représentation nationale a le droit de savoir ce qu'il en est.

Cette réforme maintient la responsabilité du pouvoir exécutif sur la politique pénale. Je ne doute pas que vous donnerez de la force à ces deux textes et qu'il se trouvera ici une majorité pour les voter. (Applaudissements à gauche et sur les bancs du RDSE)

présidence de M. Jean-Patrick Courtois,vice-président

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur de la commission des lois .  - Ces deux textes ont une même ambition : achever le mouvement engagé il y a vingt ans pour garantir l'indépendance de la justice et lever le soupçon de corporatisme ou de main-mise politique. Se défier de la justice est un commencement de dissolution sociale, écrivait déjà Balzac. Même s'il est infondé, ce soupçon atteint la justice. Il y a urgence. Il n'est jamais trop tôt pour travailler à l'indépendance de la justice.

En accordant au parquet les garanties qui lui manquent, et au CSM de nouveaux pouvoirs, le projet de loi constitutionnelle fait oeuvre utile, comme le projet de loi ordinaire. Il convient de distinguer le statut du parquet de sa fonction.

Il y a vingt ans, nous débattions déjà de l'indépendance des juges. En 1998, une réforme du CSM fut adoptée par nos deux assemblées. Malheureusement, le président de la République renonça à convoquer le Congrès.

En 2008, une importante réforme du CSM a eu lieu, en mettant fin à la présidence de cette instance par le président de la République et en permettant la saisine du CSM par les justiciables. Ce furent des avancées incontestables.

En revanche, rompant avec un principe constamment affirmé depuis 1958, les magistrats étaient mis en minorité au sein du CSM. Cinq ans après, le Gouvernement nous saisit de ce projet de loi pour assurer l'indépendance statutaire du ministère public. Je salue le travail remarquable de l'Assemblée nationale et de son rapporteur.

Je ne reviens pas sur la présentation du projet de loi constitutionnelle, si ce n'est pour rappeler que l'Assemblée nationale a apporté deux modifications au texte : la parité entre magistrats et non-magistrats et l'approbation de la désignation des membres extérieurs par les commissions compétentes du Parlement à la majorité des trois cinquièmes.

Cette réforme est-elle nécessaire et utile ? Oui. Revenir à la parité est sage. La réforme de 2008 avait rompu la tradition suivie jusque là. Le Sénat s'était prononcé, à la demande de M. Hyest, en faveur de la parité pour les instances disciplinaires.

Nous ne pouvons différer la réforme du parquet. La France a choisi l'unité de la magistrature, qui a la même formation, la même carrière et qui est garante des libertés individuelles. La Constitution nous y engage donc et la CEDH nous contraint également à cette réforme. Dans plusieurs arrêts, et encore le 27 juin dernier, elle a estimé que les membres du parquet ne remplissaient pas l'exigence d'indépendance à l'égard du pouvoir exécutif.

Les garanties statutaires doivent donc être renforcées. D'autres garanties sont constitutionnelles, celles qui concernent les nominations. Depuis vingt ans, les pouvoirs du procureur de la République n'ont cessé de s'étendre. En 2005, M. Zocchetto relevait qu'avec les nouvelles missions voulues par la majorité de l'époque, les magistrats du parquet avaient connu un profond changement de leur métier. Jean-Louis Nadal relevait que la fonction des juges était partiellement déplacée. Or cette mutation du rôle du parquet ne s'est pas accompagnée d'une réforme de la procédure pénale. Il fallait donc que le CSM nomme les magistrats.

Depuis plus de dix ans, le Sénat constate la nécessité de revoir le statut du parquet. L'histoire ne doit pas se répéter. En 1998, la réforme a échoué, malheureusement. Dix ans après, la réforme constitutionnelle a manqué l'occasion de renforcer l'indépendance du parquet. Il ne faudrait pas manquer le rendez-vous d'aujourd'hui, qui permettrait de poursuivre le mouvement engagé en 1993.

Ceux qui s'opposent à cette réforme invoquent la stabilité du texte constitutionnel. Certes, mais ce n'est pas parce qu'une norme est récente qu'elle n'est pas inefficiente, et le statut du parquet déficient, expose la France à des difficultés hautement prévisibles.

En outre, on nous dit que depuis 2008, les gardes des sceaux respectent les avis du CSM. Cette constitutionnalisation de l'avis conforme est pourtant indispensable. Les garanties objectives valent mieux que des garanties subjectives. Je salue d'ailleurs M. Mercier et Mme la ministre d'avoir respecté les avis du CSM.

Troisième objection : on nous dit qu'il ne faut pas modifier la composition du CSM. Nous pensons au contraire qu'il convient que ses membres soient tenus à distance du pouvoir politique, comme le prévoit l'amendement du Gouvernement. Il s'agit d'une garantie supplémentaire pour les magistrats du parquet mais aussi du siège et qui sera prise en compte par la CEDH. Cette réforme est donc utile, indispensable même.

Votre commission a souscrit aux avancées proposées par ce projet de loi. Elle vous soumet plusieurs amendements, afin d'asseoir la légitimité et l'autorité du CSM. Elle vous propose qu'une loi organique fixe les incompatibilités ou les restrictions d'activité. L'assiduité des membres du CSM est bonne, mais fort peu prennent des rapports en séance. Or ceux-ci sont nombreux. L'implication dans les tâches est aussi importante que l'indépendance. La loi organique devra veiller à éliminer, pour les magistrats élus, une trop grande influence du pouvoir syndical.

M. Michel Mercier.  - Encore faut-il le faire vraiment !

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur.  - Votre commission a adopté deux amendements pour supprimer le collège et conserver la présidence au Premier président de la Cour de cassation. Le chef de l'ordre administratif et le Premier président de la Cour des comptes n'ont rien à faire dans l'organe chargé de la carrière des magistrats judiciaires.

Sous réserve de ces amendements, la commission vous invite à adopter ce projet de loi constitutionnelle. Cette réforme est indispensable pour conforter l'indépendance du CSM et garantir celle du parquet, dont le statut est fragile. Faisons prévaloir l'intérêt général sur l'intérêt partisan. Nous nous y sommes attachés constamment.

M. Michel Mercier.  - Jusqu'à ce matin !

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur.  - Le projet de loi ordinaire vise à définir les rapports entre la Chancellerie, le garde des sceaux, chargé de faire appliquer la politique pénale, les procureurs généraux et les procureurs de la République.

La seule discussion importante en commission a traité de l'article prévoyant qu'il n'y aurait plus aucune instruction dans les affaires individuelles. Je comprends que si l'on revient sur cette disposition, nous seront cloués au pilori par une presse qui n'attend que cela. La commission a adopté un amendement, selon lequel si le garde des sceaux apprend, dans le cadre de sa responsabilité d'exercer la politique pénale et de la faire appliquer et de ses instructions générales aux procureurs généraux, par l'un d'eux ou par tout autre justiciable qu'un procureur de la République n'applique pas lesdites instructions, il pourra demander au procureur général d'enjoindre au procureur récalcitrant de poursuivre ou de prendre toute réquisition que ces instructions lui demandent de prendre. Je m'en suis remis à la sagesse, même si j'incline vers cette solution. Nous savons tous comment cela peut se passer. Mieux vaut que la loi prévoie et encadre.

Sous réserve de cet amendement et d'autres, je vous demande d'adopter ce projet de loi ordinaire et le projet de loi constitutionnelle. Tous les magistrats du ministère public, ceux du CSM - qui s'est déplacé au Sénat - ceux des organisations syndicales et des associations de procureurs généraux et de la République estiment que ces textes sont essentiels. Ils nous renvoient à notre responsabilité collective et individuelle. (Applaudissements sur les bancs socialistes et écologistes)

M. Jean-Michel Baylet.  - Ça alors !

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois .  - Pourquoi ? Posons cette simple question. Après avoir entendu le remarquable exposé de Mme la ministre et le convainquant plaidoyer de notre rapporteur, pourquoi certains députés ou sénateurs, dont le vote sera décisif, peuvent-ils choisir, peuvent-ils justifier de ne pas faire en sorte que la Constitution soit réformée ?

M. Philippe Bas.  - Reprenez vos arguments de 2008 !

M. Henri de Raincourt.  - C'est vrai !

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois.  - En 2008, la réforme n'instaurait pas l'indépendance du parquet. C'est une grande différence. Si on est pour l'indépendance du parquet, il était logique de ne pas voter la réforme de 2008 et logique de voter celle-ci.

On peut toujours se renvoyer la balle dans cette harassante partie de ping-pong où on se renvoie les uns aux autres les actes précédents et antécédents... Nous n'avons pas voté la réforme de 2008 pour diverses raisons. Cela ne nous empêche pas de dire que l'introduction de la question prioritaire de constitutionnalité fut une bonne réforme... Je regrette de ne pas avoir pu la voter à cause de ce que le texte comprenait par ailleurs...

M. Michel Mercier.  - C'est pareil aujourd'hui !

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois.  - Ce peut être éternellement pareil, tout peut rester immuable... (M. Jean-Michel Baylet s'exclame)

J'ai écouté Jean-Pierre Michel. Je ne vais pas rappeler les arrêts qu'il a évoqués, jusqu'à celui de la semaine dernière, qui condamnent encore et toujours la France parce que les magistrats du parquet ne peuvent être regardés comme une autorité judiciaire - c'est ce qu'indiquent ad libitum ces décisions.

Alors que faire ? On peut considérer que les choses doivent changer, que la France doit cesser d'être condamnée sur ce motif, ce qui n'est ni raisonnable ni acceptable. À l'évidence, il faut faire quelque chose. Je ne citerai pas les personnalités politiques de gauche et de droite qui ont dit qu'il fallait nommer les magistrats du parquet comme ceux du siège... L'UMP pose en position de principe : « nous ne voterons aucune des dispositions du texte ». Est-ce responsable, raisonnable, justifié ? Je ne le pense pas. M. Borloo, président de l'UDI, a déclaré qu'il était pour une stabilité maximum de la Constitution...

M. Henri de Raincourt.  - Il a raison.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois.  - ... et qu'il ne fallait y toucher que quand les enjeux étaient importants. « Je ne vois là rien de considérable » a-t-il ajouté. Pour lui, l'indépendance de la justice n'est pas considérable...

MM. Henri de Raincourt et Christian Cointat.  - Elle existe déjà.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois.  - Même si les gardes des sceaux précédents ont suivi les avis du CSM, je le dis en présence de M. Mercier...

M. Jean-Michel Baylet.  - Collusion...

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois.  - Je salue les efforts du rapporteur, qui a proposé d'en revenir à la nomination des personnalités extérieures, désormais paritaires, par le président de la République, celui du Sénat et celui président de l'Assemblée nationale. Il a proposé de prendre en compte nombre de propositions des groupes UMP et UDI.

Ce matin, dans un effort supplémentaire d'équilibre, un accord est intervenu avec le Gouvernement, madame la garde des sceaux, de sorte que nous prenions en compte à la fin votre position et celle de Jean-Pierre Michel. Tout a été fait pour lever les dotes et favoriser les votes.

C'est une question de responsabilité. On peut dire qu'on ne veut pas offrir à François Hollande la chance de faire une réforme constitutionnelle qui garantisse l'indépendance et la justice de notre pays.

Vous sentez bien ce que cet argument politique...

M. Christian Cointat.  - Ce n'est pas ce qui m'a guidé !

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois.  - Ne vous défendez pas !

M. Christian Cointat.  - J'attaque !

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois.  - ... a d'inadapté...

M. Philippe Bas.  - Vous parlez à notre place !

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois.  - Des magistrats de toutes tendances et appartenances ont écrit « qu'il ne serait pas compréhensible que cette réforme soit empêchée par des considérations étrangères à l'intérêt général (...) avec le risque qu'un échec du processus engagé nourrisse chez les magistrats le sentiment d'une défiance de la représentation nationale à leur égard... ». (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. François Zocchetto .  - J'ai soutenu la réforme de 2008, qui était importante.

M. Christian Cointat.  - Absolument !

M. François Zocchetto.  - Le CSM en est sorti grandi et son autonomie renforcée. Pourquoi remettre si vite l'ouvrage sur le métier ? Le dispositif n'est en place que depuis deux ans et a fonctionné dans des conditions satisfaisantes. En réalité, nous savons tous que la raison première de cette réforme si urgente est le mensonge d'un homme...

M. Philippe Bas.  - Hélas !

M. François Zocchetto.  - ... Jérôme Cahuzac. Qu'a dit François Hollande le 3 avril : « il faut d'abord renforcer l'indépendance de la justice ». La première chose à changer, après cette affaire qui a jeté le discrédit sur toute la classe politique, c'était le CSM ! Il fallait donc le réformer. Le caractère injustifié de cette affirmation n'a pas échappé aux membres du CSM eux-mêmes, qui se sont sentis mis en cause, au point que le président de la République a cru bon de les rassurer, disant qu'ils avaient sa totale confiance. Comprenne qui pourra !

Il s'agissait initialement d'inverser la majorité au CSM, passant de membres nommés, dispersés, aux magistrats, naturellement unis. À qui fera-t-on croire qu'en plaçant le CSM sous le contrôle d'une famille professionnelle unie et syndicalement organisée, on améliorera sa liberté de décision ? C'est le droit de proposition qu'il faut réformer, madame la ministre, le faire passer de la Chancellerie au CSM ...

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - Certainement pas !

M. François Zocchetto.  - Le texte inscrit dans notre Constitution une décision que Nicolas Sarkozy avait mise en oeuvre avant François Hollande : le respect des avis du CSM pour la nomination des magistrats du parquet. Ce n'est pas contestable. Partant de ce constat, notre groupe propose de ne retenir que cet aspect de la réforme. Si le Sénat adopte notre amendement en ce sens, cela aurait une incidence forte sur notre vote final. Mais faut-il réunir le Congrès pour une règle déjà respectée de facto ?

Nous avons une autre proposition, qui concerne les incompatibilités. Est-il acceptable qu'un organe de nomination et de discipline soit composé de magistrats en fonction ? Nous proposons que seuls les anciens magistrats ou les magistrats qui n'exercent plus temporairement leurs fonctions en fassent partie. Autre question en suspens, le mode d'élection des magistrats au CSM ; on peut craindre qu'une volonté de rééquilibrage entre les deux syndicats principaux ne conduise à modifier le collège électoral ; et l'absence de représentation des chefs de juridiction est dommageable - nous aurons un amendement sur ce point.

Si les propositions du rapporteur sont adoptées, nous aurons évité le pire - ce qui ne veut pas dire que nous les voterons. Le fameux collège de personnalités indépendantes ne contient que des personnes nommées par décret du président de la République ! Jean-Pierre Michel a réfléchi à la présidence du CSM, selon lui, l'un des apports les plus intéressants de la réforme de 2008. M. Mercier y reviendra.

Le projet de loi qui nous est soumis est très éloigné de celui annoncé par le président de la République, notamment en ce qui concerne le CSM qui devait être composé en majorité par des magistrats. Le texte que nous adopterons au Sénat n'aura sans doute pas grand-chose à voir avec celui adopté par l'Assemblée nationale. La révision constitutionnelle ne paraît pas mort-née, mais incertaine...

Oui à la réforme du mode de nomination des procureurs, déjà mise en pratique, non à tout ce qui concerne le fonctionnement et la composition du CSM. Il suffit au Sénat de voter notre amendement n°17 à l'article 2, et la situation sera débloquée. (Applaudissements au centre et sur quelques bancs à droite)

Mme Esther Benbassa .  - Permettez-moi de rendre ici hommage à Guy Carcassonne, ardent constitutionnaliste et fervent défenseur des droits. « La justice », disait Portalis, « est la première règle de la souveraineté » ; et « son indépendance est la première règle de la justice ». Cette indépendance doit être recherchée sans relâche et par tout moyen. La séparation des pouvoirs, si elle fait consensus, appelle la réunion de deux exigences : que le pouvoir politique n'intervienne que par la fixation des normes au respect desquelles le juge est chargé de veiller ; que le juge lui-même évite de franchir la frontière entre opportunité et légalité, ce qui remettrait en cause les conditions de l'exercice, pourtant légal, de ses pouvoirs.

Ces deux textes concourent à la réunion de ces deux exigences fondamentales pour le groupe écologiste.

L'objectif du projet de loi est clair : il empêchera toute ingérence du pouvoir exécutif dans le déroulement des procédures pénales, qui entame la confiance des citoyens envers les magistrats et la justice.

La généralisation de la publicité des instructions générales de politique pénale est capitale. Le groupe écologiste soutient sans réserve ce texte qui met fin à des pratiques dangereuses pour la démocratie. Il faut rappeler que toutes les instructions individuelles doivent être prohibées, quelle que soit leur forme. Des instructions orales ont pu être données dans des affaires récentes sans être versées au dossier...

Nous nous félicitons également du rapport annuel sur la politique pénale prévu par le projet de loi. Madame la garde des sceaux, votre engagement est sans faille pour une confiance retrouvée en la justice. Nous regrettons que l'opposition ne soutienne pas ce texte. L'indépendance de la justice méritait un consensus transpartisan.

La réforme de 2008 a marqué une avancée notable, le retrait du président de la République de la présidence du CSM. Le présent projet de loi constitutionnelle est l'aboutissement des réformes récentes comme le proclame son ambitieux exposé des motifs. Il consacre l'ancrage institutionnel du CSM, qui veille, aux côtés du président de la République, à l'indépendance de la justice ; ses compétences et son organisation sont réformées. Il pourra se saisir d'office de toute question relative à l'indépendance de l'autorité judiciaire et à la déontologie des magistrats. Les magistrats eux-mêmes pourront le saisir. Le groupe écologiste votera avec enthousiasme l'amendement du rapporteur qui élargit les possibilités de saisine aux questions relatives à l'indépendance de la justice. Je rappelle l'attachement des écologistes à la parité entre magistrats et non-magistrats au sein du CSM. Je salue le travail de l'Assemblée nationale en faveur de la parité entre hommes et femmes au sein du collège des personnalités qualifiées.

Ce projet de loi s'inscrit dans l'engagement 53 du candidat François Hollande qui disait : « Je garantirai l'indépendance de la justice et de tous les magistrats. Je réformerai le CSM, j'interdirai l'intervention du Gouvernement dans les dossiers individuels. » Ces deux textes rejoignent les préoccupations de longue date des écologistes. Nous sommes heureux de les soutenir. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Jacques Mézard .  - J'avais cru comprendre que depuis un an la justice fonctionnait en toute indépendance... Est-il fonction plus redoutable que celle de rendre la justice ? Est-il métier qui exige autant de conscience, de responsabilité et de sagesse que celui de magistrat ? Rendre la justice « au nom du peuple français », c'est disposer d'un pouvoir exceptionnel sur ses concitoyens, qui ne devrait supporter ni médiocrité ni routine, imposer beaucoup d'humilité, exiger indépendance, solitude dans la décision. Avec Alain, on peut soutenir que la liberté et la sagesse, c'est le doute...

La justice ne peut-être parfaite, ne l'a jamais été et ne le sera jamais. La suspicion à l'égard de la justice est aussi ancienne que l'exercice de cette dernière. Elle fut le lot de toutes les civilisations : « Selon que vous serez puissant ou misérable... ». Vous connaissez la suite...

Le magistrat doit exercer en « honnête homme ». Nous avons toujours exprimé notre attachement à la séparation des pouvoirs, et la nécessité de donner à la justice les moyens de remplir ses missions. Oui à, l'indépendance des magistrats, non à leur irresponsabilité. Nous nous opposerons toujours à ce qui pourrait s'apparenter à un gouvernement des juges. (« Eh oui ! » à droite) La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen est limpide. Elle est au-dessus du temps qui passe et des instabilités juridiques nées de réformes pas toujours nécessaires.

Que dire de ce texte ? D'abord, qu'il n'est pas le fruit d'une véritable concertation avec les différentes sensibilités politiques représentées au Parlement, ce qui est dommageable quand on prétend en réunir les trois cinquièmes des suffrages... (Sourires à droite)

M. Michel Mercier.  - Très bien !

M. Jacques Mézard.  - La parcours du CSM est déjà fort long. Cinq ans après 2008, on recommence, sans avoir un texte suffisamment clair, synthétique, équilibré, qui évite toute dérive d'interprétation.

Nous apprécions la parité entre magistrats et personnalités qualifiées, la nomination des magistrats du parquet sur avis conforme de la formation compétente. Il en va autrement de la nomination et de la composition du CSM. Nous sommes réservés sur la présence d'un avocat en exercice, du président du Conseil économique, social et environnemental - quand on connaît le mode de nomination des membres dudit Conseil, une telle disposition démontre un réel sens de l'humour... (Applaudissements sur les bancs UDI-UC et à droite)

M. Alain Fouché.  - Oui, cela fait rire !

M. Jean-Michel Baylet.  - En effet.

M. Jacques Mézard.  - Toutes les questions relatives à la justice, son organisation, son fonctionnement, voire son budget, pourront être soumises au CSM... et cela ne relèvera pas de la séparation des pouvoirs, quel que soit le gouvernement en place !

L'autosaisine de portée générale ne se justifie aucunement, si ce n'est pour faire plaisir à une corporation. Madame la ministre, sur la saisine par les justiciables, vous avez été peu diserte. Le simple prononcé du mot « responsabilité » suffit à faire bondir toute la magistrature.

MM. Alain Fouché et Dominique de Legge.  - C'est bien vrai !

M. Jacques Mézard.  - Pareil texte imposait un large consensus - sauf à adresser à l'opinion le message suivant : il n'est pas de notre responsabilité s'il ne recueille pas la majorité nécessaire. Nous ne le voterons pas dans la rédaction qui nous est soumise aujourd'hui. (« Très bien ! » et applaudissements au centre et à droite)

Madame la garde des sceaux, nous souhaitons que vous ayez toute latitude pour déterminer et conduire la politique de justice du Gouvernement. Nous sommes défavorables au contenu du second texte. En application de l'article 20 de la Constitution, « Le Gouvernement détermine et conduit la politique de la Nation »...

M. Jean-Michel Baylet.  - C'est le fondement de la République.

M. Jacques Mézard.  - Il appartient au ministère public d'exercer l'action publique dans le respect des principes d'indépendance et d'impartialité.

Il faut que le CSM traite directement des questions disciplinaires. Ni subordination au pouvoir exécutif, ni émancipation sans contrôle, ni attitude partisane - voyez la récente affaire ayant mis en évidence l'affichage de personnalités dans un local syndical...

Face aux injonctions de la CEDH, vous avez arrondi les angles. Ce sont surtout les conditions de nomination des membres du parquet qui sont en cause. Vous vous en tenez à un système hybride. Votre projet de loi fait du parquet le nouveau maillon fort du système judiciaire. La publication dans tous les cas des instructions générales et leur possible adaptation sont des non-sens.

La suppression des instructions individuelles fera plaisir à une partie de l'opinion mais n'aura aucune conséquence concrète. Votre projet de loi attribue aux procureurs généraux et procureurs de la République un pouvoir d'adaptation des instructions générales du garde des sceaux, ce qui ouvre la voie à une application différenciée de la politique pénale dans notre pays. Il ne devrait en aucun cas revenir aux magistrats d'interpréter une circulaire. Ils sont tenus d'appliquer la politique pénale définie par le gouvernement de la République. Le procureur pourra diligenter à sa guise l'action publique. Il pourra « tenir compte du contexte propre à son ressort ». Risque considérable ! Ou alors il faudrait supprimer le principe de l'opportunité des poursuites. Ce n'est pas votre chemin. Le vôtre ouvre la porte à nombre d'errements.

M. Jean-Pierre Vial.  - Absolument !

M. Jacques Mézard.  - Ce texte n'apporte pas de solutions, il crée de nouveaux problèmes. Nous n'avons pas de divergence de fond sur votre conception de la République, raison pour laquelle nous vous avons soutenue en 2002. C'est pour être fidèles à ces valeurs que nous ne voterons pas ce texte. (Applaudissements sur les bancs du RDSE, au centre et à droite)

M. Jean Louis Masson .  - Dans une démocratie, l'indépendance du système judiciaire est un principe fondamental. Le parquet en fait-il partie ? Je réponds oui. Il convient donc de lui assurer les mêmes garanties qu'aux juges du siège ; si la CEDH considère qu'il n'en fait pas partie, c'est qu'elle estime qu'il ne dispose pas de ces garanties.

On a trop souvent vu des interventions dans les dossiers sensibles... Et pas pour des voleurs de voitures ! C'est toujours sur de tels dossiers que la vie judiciaire française pâtit d'un manque d'indépendance. On a vu un procureur affréter un hélicoptère au-dessus de l'Himalaya... Il faut que cela change.

Je voterai en faveur de la réforme constitutionnelle. Elle ne règlera pas tout. Subsiste le scandale de l'insuffisance des moyens de la justice.

Je regrette que votre gouvernement crée 10 000 postes pour engraisser le mammouth de l'éducation nationale et quelques-uns seulement pour la justice. Le mammouth engraissé ne marchera pas mieux, les enseignants continueront de se plaindre. Il aurait fallu ne leur donner que 5 000 postes et donner les autres à des ministères régaliens comme la justice et la police. (Mme Cécile Cukierman proteste) En outre, il faut que les magistrats fassent correctement leur travail. On peut s'étonner de la lenteur de certaines affaires. Il faut donc voter cette réforme, donner des moyens et éviter une lenteur excessive.

M. Jean-Jacques Hyest .  - On va changer la Constitution ? Ah, on l'a déjà changée souvent... Nous commençons à connaître Versailles, souvent pour des textes sur la justice ; en 1993, en 1999 il y eut une tentative, et en 2008.

Sur les nominations des magistrats du parquet, les deux assemblées avaient voté, une majorité de membres du CSM n'appartenant pas à la magistrature. S'agissant des nominations, c'est moins l'avis conforme qui compte que le pouvoir de proposition. Depuis longtemps, le garde des sceaux ne peut plus s'opposer à l'avis du CSM. S'il s'en avisait, cela ferait un scandale médiatique.

Je veux défendre la révision de 2008. Avant, le président de la République présidait le CSM. Ce n'est plus le cas.

M. Charles Revet.  - Il faut le rappeler !

M. Jean-Jacques Hyest.  - Certes, le CSM est composé de moins de magistrats que de personnalités extérieures mais, même pour les affaires graves, il ne prenait pas de sanctions. L'opinion publique s'est est émue. Il y a eu Outreau, qui a beaucoup contribué au discrédit de la justice, mais aussi les disparus de l'Yonne...

M. Henri de Raincourt.  - Allons bon !

M. Jean-Jacques Hyest.  - ... où tout le monde, parquet, institutions, tribunal, avait failli. Le CSM a eu le courage de prendre des sanctions, mais le vrai pouvoir est du côté du Conseil d'État, qui les a presque toutes cassées.

Les justiciables peuvent saisir le CSM depuis 2008, mais les choses avancent lentement. Au nom de l'indépendance, il semble qu'il ne faille pas sanctionner les magistrats. C'est curieux.

Avant la Révolution, les parlements faisaient des remontrances... Nous en aurons, des remontrances, si le mode de saisine du CSM que vous proposez est conservé. Les syndicats de magistrats ne se privent pas de critiquer les lois, tous les jours. Si d'autres qu'eux s'en prennent aux magistrats, que de cris ! Heureusement que notre parole est libre dans l'hémicycle, sinon nous serions poursuivis. (Sourires)

Cette réforme n'est ni urgente, ni indispensable. S'il ne s'agit que d'obliger le garde des sceaux à suivre les avis du CSM, nous pourrions vous suivre. Quant au comité Théodule que vous réinventez, c'est extraordinaire ! Les non-magistrats se sont parfaitement intégrés, ils font le travail, l'impartialité est totale. Ce travail est d'ailleurs ingrat. Le CSM fonctionne donc bien. Pourquoi le modifier ? Pour des symboles, mais la réalité de la justice, c'est que les parquetiers, les procureurs généraux mènent une vraie politique pénale, sous votre contrôle. S'il ne s'agit que de symboles, nous pouvons vous suivre, mais il faut savoir comment l'indépendance de la justice s'exerce au quotidien.

Un magistrat allemand n'est jamais syndiqué, c'est interdit, ce qui change les choses. Pourquoi ne pas nous rapprocher du système britannique, avec un procureur général de la Nation ? Ce n'est pas vraiment conforme à la tradition française.

Certes, la Cour européenne des droits de l'homme nous contraint. Mais faut-il accepter le modèle voulu par cette institution ? Je crains la contestation du modèle de parquet à la française. Nous devons conserver l'opportunité des poursuites. Évitons le système italien de légalité des poursuites. Il a d'ailleurs été tellement réformé qu'il ne fonctionne plus ; le nôtre marche encore.

Je n'ai jamais cru que la réalisation de promesses électorales était forcément une excellente chose, pour améliorer le sort de la justice. Celle-ci a besoin de moyens, de moderniser ses méthodes de travail, pas de querelles de symboles. C'est pourquoi nous n'avons pas l'intention de revenir sur la révision de 2008, alors que tant de textes se bousculent à notre ordre du jour. Que le CSM continue de fonctionner pour le bien des magistrats, de la justice et surtout, des Français. (Applaudissements à droite)

Mme Cécile Cukierman .  - La fonction des magistrats est de transformer le droit en justice. Nous devons donc veiller à leur indépendance. Nous devons nous acquitter d'une dette plus que bicentenaire, qui remonte à Montesquieu et à l'élaboration de la séparation des pouvoirs. Nous devons maintenant assurer leur totale indépendance.

La réforme de 2008, voulue par Nicolas Sarkozy, a été marquée par sa défiance à l'égard des magistrats. C'est pourquoi elle n'a pas réussi à renforcer l'indépendance de la magistrature. Une nouvelle étape sera encore nécessaire, que nous voulons inscrire au coeur de la VIe République.

Nicole Borvo proposait un conseil supérieur de la justice qui reprenait les attributions du CSM et consacrait le réel pouvoir de la justice, sous contrôle citoyen. Une proposition similaire a été formulée lors de la campagne du candidat François Hollande.

La justice doit être placée dans le champ d'un réel pouvoir indépendant. Plus qu'une promesse électorale, cette réforme est nécessaire pour mettre un terme à la défiance de nos concitoyens envers la justice.

L'article 64 de la Constitution doit faire du CSM le seul garant de l'indépendance de la justice. Faut-il faire du parquetier un juge à part entière ? Il doit faire l'objet d'une profonde réforme. Votre projet de loi constitutionnelle propose une réelle avancée, notamment en matière de nomination, d'autosaisine du CSM, de parité entre magistrats et non-magistrats. Il serait possible de renforcer la cohérence de ce projet de loi constitutionnelle. Nous proposons de revoir la procédure de nomination des magistrats du parquet, en l'alignant sur celle du siège. Le CSM devrait également avoir un pouvoir de proposition pour toutes les nominations, comme cela existe dans d'autres pays. Ainsi, l'exécutif n'interviendrait plus dans ces nominations. Nous souhaitons cela mais nous avons compris que ce n'était pas d'actualité.

Le projet de loi est incohérent sur un point : le parquet met en oeuvre la politique pénale du Gouvernement, ce qui justifie qu'il soit placé sous l'autorité de l'exécutif. Cela ne convainc pas car l'exercice des poursuites est une mission aussi grave que celle de juge. Le plaider coupable donne au parquet un pouvoir de plus en plus important. Les membres du ministère public doivent être aussi indépendants que les magistrats du siège. Nous y viendrons progressivement.

J'en viens au projet de loi ordinaire : certains d'entre nous pensent que les instructions individuelles sont toujours nécessaires pour accompagner l'autorité de la justice, mais ce pouvoir d'intervention est inacceptable. Le pouvoir exécutif n'a aucune légitimité de donner instructions sur des affaires particulières. L'interprétation d'une telle instruction ne peut être que politicienne.

Avant de créer le parquet financier, on ne peut conserver les instructions individuelles. Le pouvoir politique doit prendre ses responsabilités. Faisons confiance aux procureurs pour prendre les bonnes décisions. En cas de manquements, très rares à n'en pas douter, le citoyen peut saisir le CSM. L'indépendance ne veut pas dire l'irresponsabilité. Une réelle indépendance ne naîtra pas de la simple suppression des instructions individuelles mais du mode de nomination des magistrats, qui doit être irréprochable...

M. Jean-Jacques Hyest.  - Il l'est déjà !

Mme Cécile Cukierman.  - Nous soutiendrons ce projet de loi constitutionnelle pour ses avancées. En revanche, le second texte ne revêtirait plus aucun intérêt, si les instructions individuelles réintroduites par voie d'amendement en commission des lois étaient maintenues. Nous voterions alors contre ce texte, non pas contre celui qui nous est présenté, mais tel qu'il serait ainsi dénaturé.

M. Thani Mohamed Soilihi .  - Un sondage réalisé par l'Ifop en 2011 montrait que la confiance entre les concitoyens et la justice était rompue. Les Français voulaient une justice plus indépendante, qui se tienne à distance des deux excès que sont le corporatisme et la politisation. Le candidat François Hollande s'était engagé à mettre le CSM à l'abri du pouvoir politique. Ces textes permettent d'atteindre cet objectif.

Le CSM a été créé en 1883 pour aider le chef de l'État à être le garant de l'indépendance judiciaire. La révision de 1993 a accru ses attributions pour les magistrats du siège et du parquet ; celle de 2008 a modifié sa présidence et sa composition.

Ce texte comporte des avancées remarquables. Il instaure le principe de la double parité entre magistrats et non-magistrats et entre hommes et femmes pour les personnalités qualifiées. L'essentiel de cette réforme porte sur la nomination des membres du parquet. Le Gouvernement devra suivre les avis du CSM. Cette pratique avait été instaurée par Mme Guigou puis suivie par M. Mercier et Mme Taubira. Elle mérite d'être constitutionnalisée : un usage n'est pas une obligation de faire.

Cette réforme permet au CSM de s'autosaisir de questions relatives à l'indépendance et la déontologie des magistrats. En outre, les magistrats pourront le saisir sur les questions de déontologie.

Les attaques récentes contre la légitimité de l'autorité judiciaire sont inadmissibles. Je salue le Gouvernement, qui a mené cette réforme dans la concertation, et le rapporteur, qui a présenté des amendements intéressants. Cette réforme s'inscrit dans le prolongement de celle de 1993 et devrait dépasser les blocages politiques. Le renforcement de l'indépendance de la magistrature devrait nous rassembler sur tous les bancs de l'hémicycle.

Cette réforme est indispensable pour changer le regard des Français à l'égard de leur justice. Dépassons les clivages stériles pour mettre un terme à l'ère du soupçon.

Le projet de loi ordinaire et le projet de loi constitutionnelle se complètent et marquent une vision différente de la justice. Le second texte ouvre la voie à de nouveaux rapports entre le parquet et la Chancellerie. Le garde des sceaux oriente la politique pénale ; le parquet mène l'action publique. La loi doit être la même partout et pour tous. Nos concitoyens estiment qu'il existe une justice à deux vitesses. À Mayotte, ce sentiment est particulièrement prégnant ; l'affaire des fadettes y a provoqué un véritable séisme.

Ce projet de loi empêche toute immixtion de l'exécutif dans le domaine du parquet. Vous avez mis fin aux instructions individuelles, madame la garde des sceaux, par votre circulaire générale du 18 septembre 2012. Le gouvernement en place ne doit pas donner l'impression qu'il protège ses amis. La suppression des instructions individuelles ne règlera pas tout, des instructions orales seront toujours possibles, mais les magistrats pourront s'y opposer.

Ce texte marque une rupture avec la loi de mars 2004, qui avait renforcé le pouvoir hiérarchique du ministre sur le parquet. Notre parquet répondra ainsi à la jurisprudence de la CEDH.

Nous voterons donc en faveur de ces textes et nous espérons qu'il en ira de même pour tous les autres groupes. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Philippe Kaltenbach .  - Élu des Hauts-de-Seine, je puis vous dire que le tribunal de Nanterre, le deuxième de France, a une activité hors normes. Or, le précédent procureur de la République y avait été nommé contre l'avis du CSM. Les principaux syndicats de magistrats s'étaient élevés contre sa nomination : « Sans mettre en cause les compétences de ce magistrat, il est regrettable que le système de nomination des procureurs soit ainsi entaché d'une certaine suspicion ». C'est à cette suspicion qu'il faut mettre un terme, afin de restaurer la confiance. Cette réforme nous mettra en accord avec les recommandations de la Cour européenne des droits de l'homme. Elle vise à institutionnaliser l'indépendance de la justice. Ce projet de loi permettra de mieux régler les rapports entre la Chancellerie et le parquet.

En 2008, la réforme avait semblé inachevée, même si elle marquait des progrès. Nous vous proposons de l'achever. La transparence doit être la règle, avec des moyens adéquats alloués à la justice.

En février 2012, le président de la République déclarait que l'indépendance de la justice n'est pas un privilège pour les magistrats mais une exigence pour nos concitoyens. C'est chose faite : plus aucun démantèlement de dossier, plus aucune délocalisation d'affaires n'ont eu lieu depuis un an.

Franklin D. Roosevelt estimait que gouverner c'est mettre les balances de la justice égales pour tous. Dans l'intérêt du justiciable, nous devons voter cette réforme qui oeuvre pour l'indépendance de la justice. J'espère que nous serons rejoints par tous les groupes. (Applaudissements à gauche)

M. Michel Mercier .  - Ce texte, au départ habilement, mais malencontreusement, mêle deux réformes, celle du CSM et celle du statut du parquet. Il n'est jamais bon de mélanger les choses. J'ai écouté avec intérêt le remarquable exposé du président Mézard. Je partage beaucoup de ce qu'ont dit Jean-Jacques Hyest et François Zocchetto. La réforme du statut des membres du parquet est urgente. Aussitôt nommé place Vendôme, je me suis fixé comme règle de suivre les avis du CSM pour les nominations des membres du parquet. Vous avez fait de même, madame la ministre, et je vous en félicite.

Il faut aller vite. La jurisprudence de la Cour de Strasbourg n'est pas capitale. Elle reproche au parquet à la française ses conditions de nomination et de discipline ; il est facile d'y répondre. Elle critique aussi le fait que le parquet est « partie poursuivante ». Vous n'y pouvez mais car c'est son essence même.

M. Jean-Jacques Hyest.  - Eh oui !

M. Michel Mercier.  - Ce qui justifie l'urgence de cette réforme, c'est ce qui se passe en France, ce que dit le Conseil constitutionnel. Le procureur aujourd'hui ne mène pas seulement l'action publique. Il est aussi juge. Il décide en matière pénale, sans doute pas dans les affaires les plus importantes mais quand même dans 60 % des affaires.

Il faut donc rapprocher la situation des magistrats du parquet de ceux du siège, sur les plans de la nomination et de la discipline. D'où notre amendement, déposé avec François Zocchetto, qui renforce leur statut. C'est l'essentiel de la réforme. Le reste, ajouté pour des raisons diverses sur lesquelles je ne m'arrêterai pas, peut empêcher cette réforme nécessaire.

Mme Jacqueline Gourault.  - Très bien !

M. Michel Mercier.  - Sur le CSM, François Zocchetto a dit l'essentiel. J'ai eu la chance de présider pour la dernière fois l'ancien CSM et de travailler avec le nouveau. C'est le jour et la nuit. Le nouveau CSM fonctionne de façon très libre. Je me suis toujours conformé à ses avis. En revanche il est nécessaire que le garde des sceaux garde son pouvoir de proposition. Si on l'en dépouille, le ministre de la justice ne sera que le ministre de la loi, comme en Italie.

Nous sommes prêts à réformer le statut des membres du parquet. Le CSM fonctionne bien. Pourquoi le modifier ? Le rapporteur de la commission des lois a bien compris qu'il fallait trouver une majorité. Monsieur le président de la commission des lois, c'est à vous de trouver les moyens de constituer la majorité constitutionnelle. M. le rapporteur a fait des efforts ce matin en commission mais vous les avez cassés. (Mme Cécile Cuckierman s'exclame)

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois.  - On a fait un compromis avec le Gouvernement.

M. Michel Mercier.  - Comme vous voulez ! Mais c'est vous qui êtes au pouvoir. L'amendement présenté par la garde des sceaux est habile. On crée un comité pour désigner les personnalités membres du CSM. Elles sont toutes nommées par décret du président de la République. Quelle indépendance ! Le rapporteur avait une meilleure proposition. Vous avez préféré les socialistes de l'Assemblée nationale à ceux du Sénat, mais cela ne fait pas les trois cinquièmes. À vous de former la majorité ! Si cela ne se fait pas, cela sera de votre faute. Ce n'est pas le coût de Versailles qui doit nous empêcher d'y aller. Si l'on ne réforme pas le statut du parquet en juillet, c'est parce que le Gouvernement et sa majorité n'auront pas constitué la majorité constitutionnelle nécessaire et nous le regretterons. (Applaudissements à droite et au centre)

Engagement de procédure accélérée

M. le président.  - En application de l'article 45, alinéa 2, de la Constitution, le Gouvernement a engagé la procédure accélérée pour l'examen du projet de loi relatif à l'arrêté d'admission en qualité de pupille de l'État, déposé sur le Bureau de l'Assemblée nationale le 3 juillet 2013 ; du projet de loi organique portant actualisation de la loi du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie et du projet de loi portant diverses dispositions relatives aux outre-mer, déposés sur le Bureau du Sénat le 3 juillet 2013.

Organisme extraparlementaire (Candidatures)

M. le président.  - Je rappelle que M. e Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir lui faire connaître le nom de deux sénateurs désignés pour siéger au sein du Conseil national des professions du spectacle, en application de l'article 3 du décret du 25 avril 2013.

La commission de la culture a fait connaître qu'elle propose respectivement les candidatures de Mme Maryvonne Blondin comme membre titulaire et de M. Alex Türk comme membre suppléant pour siéger au sein de cet organisme extraparlementaire.

Ces candidatures ont été affichées et seront ratifiées, conformément à l'article 9 du Règlement, s'il n'y a pas d'opposition à l'expiration du délai d'une heure.

Motion d'ordre

M. le président.  - Nous reprendrons nos travaux à 22 h 10.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois.  - Merci d'avoir pris en compte les contraintes de la commission des lois, qui siège depuis ce matin et qui va se réunir immédiatement.

La séance est suspendue à 19 h 40.

présidence de M. Charles Guené,vice-président

La séance reprend à 22 h 25.

Organisme extraparlementaire (Nominations)

M. le président.  - Je rappelle que la commission de la culture, de l'éducation et de la communication a proposé deux candidatures pour le Conseil national des professions du spectacle

La présidence n'a reçu aucune opposition dans le délai d'une heure prévu par l'article 9 du Règlement. En conséquence, ces candidatures sont ratifiées et je proclame Mme Maryvonne Blondin comme membre titulaire et M. Alex Türk comme membre suppléant du Conseil national des professions du spectacle.

Conseil supérieur de la magistrature (Projet de loi constitutionnelle)

Attributions du garde des sceaux

M. le président.  - Nous reprenons l'examen du projet de loi constitutionnelle, adopté par l'Assemblé nationale, portant réforme du Conseil supérieur de la magistrature, et du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, relatif aux attributions du garde des sceaux et des magistrats du ministère public en matière de politique pénale et de mise en oeuvre de l'action publique.

Discussion générale commune (Suite)

M. Jean-Pierre Vial .  - Le projet de loi constitutionnelle relève d'une belle ambition, l'indépendance de la justice, mais je crains qu'il n'opacifie et complexifie le fonctionnement de celle-ci.

La précédente majorité avait exigé que les instructions individuelles soient écrites, afin qu'elles figurent au dossier et soient connues de toutes les partie, notamment de la défense. C'était sage et nécessaire. Quant aux instructions générales, elles ont toujours existé mais n'ont été consacrées qu'en 2004. Notre formation politique a toujours voulu rationaliser l'utilisation de ces instructions écrites. Nous ne pouvons accepter la suppression pure et simple des instructions individuelles, car cela risque de sonner le grand retour des instructions orales et la remise en cause de l'équilibre de notre organisation pénale.

Ce projet de loi touche à notre ordre judiciaire, héritier d'une tradition jacobine et centralisatrice. Sa singularité est posée dès le premier alinéa de l'article 64 de la Constitution qui précise que : « Le président de la République est garant de l'indépendance de l'autorité judiciaire ». Autrement dit, l'autorité judiciaire exerce la compétence qu'elle tient de la Constitution au sein de l'État et non à son côté. Les institutions qui mettent en oeuvre la contrainte doivent être rattachées à l'État. Or dans le cas présent, l'État, c'est la Chancellerie, le garde des sceaux c'est vous, madame. C'est dire que le garde des sceaux doit être au sommet de la hiérarchie du ministère public. L'organisation hiérarchisée est indispensable, les instructions individuelles n'en sont qu'une expression. L'inadéquation de cette réforme est d'autant plus criante que notre système est fondé sur l'opportunité des poursuites. En outre, notre ordre judiciaire laisse une grande latitude aux magistrats du parquet - la plume est serve mais la parole est libre. Pour ces raisons, nous ne faisons pas de la non-intervention de la Chancellerie dans les affaires individuelles le baromètre de la bonne santé de la justice et de son indépendance. Ce n'est pas contre les instructions particulières qu'il faut oeuvrer mais contre l'inflation législative et le manque de moyens - dans ces situations les procureurs sont demandeurs d'instructions individuelles...

Vous partez du postulat selon lequel toutes les interventions de la Chancellerie sont de nature politicienne, alors qu'elles sont de nature technique et politique - au sens de la doctrine de !'État. Inutile donc de crier au loup alors que les instructions sont là pour faire respecter le droit. Dans une infime minorité des cas, les instructions individuelles sont indispensables. Elles ne sont estimées qu'à une dizaine par an.

Il faut rappeler les trois principes de l'instruction individuelle : son caractère positif, son caractère écrit, son insertion dans le dossier. Le garde des sceaux ne disposera plus que des circulaires ou des instructions générales. Mais imaginons un grand procès qui porte sur les crimes contre l'humanité, un conflit social qui est l'occasion de comportements mettant en cause la sécurité publique, une décision de justice, qui suscite l'incompréhension et l'émotion du pays. Dans le meilleur des cas, le procureur général devra assumer seul alors qu'il revient au garde des sceaux de se prononcer ; au pire, nous aurons un manque de cohérence dû à des orientations divergentes de parquets généraux différents.

Le projet de loi remet en cause l'indispensable chaîne hiérarchique de la justice. Vous demandez au Parlement de voter à l'aveugle et vous privez le garde des sceaux de ses pouvoirs.

Et puis, quelle définition donner au terme individuel ? La fin de ces instructions créera un vide. Vous avez préféré une solution ambivalente. Mais nous voulons que vous conserviez vos attributions. Nous voulons un garde des sceaux garant de la politique pénale du Gouvernement. C'est pourquoi nous ne voterons pas ce projet de loi. (Applaudissements à droite)

M. Jean-Yves Leconte .  - Ces deux textes majeurs confirment les engagements du président de la République. Il n'y a pas de justice sans indépendance de la justice. C'est le sens de la réforme de ce soir.

Depuis la loi du 30 août 1883, le CSM n'a connu que de rares réformes, l'une en 1993 et l'autre en 2008, sans parler de la réforme ambitieuse, mais avortée de 1999. Celle de 2008 s'est faite dans une période où l'exécutif parlait des magistrats comme des petits pois, tous de la même couleur et sans saveur. La nomination de M. Mercier apaisa les choses.

Cette réforme renforce les compétences du CSM et modifie son mode de désignation. On se souvient de celle du bien nommé procureur Courroye...

Les compétences tout d'abord : le CSM obtient de nouveaux pouvoirs en matière de nomination et en matière disciplinaire. Avec la fin des instructions individuelles et la transparence des instructions générales, c'est l'ensemble des relations avec le parquet qui sera revu.

Le CSM revient à la parité. M. Badinter disait en 2008 qu'il fallait éviter le corporatisme et la politisation. M. Michel a voulu décorporatiser et dépolitiser le CSM afin de rassembler les votes. Il a proposé que les nominations des membres du CSM passent devant les commissions des lois des deux assemblées et nécessitent, pour être approuvées, de recueillir les trois cinquièmes des votes. Le passage des nominations une par une permet d'éviter les marchandages. Notre rapporteur a voulu également éviter de bloquer des nominations.

L'indépendance de la justice a valeur européenne. Nous devons donc revoir notre architecture juridique, pour éviter que la capacité des juges français d'enquêter et de prendre des décisions ne soit un jour bloquée. L'indépendance de la justice est de plus en plus indispensable face au terrorisme ou à la délinquance financière. Il faut de nouveaux outils pour mener les enquêtes, mais qui ne doivent pas être liberticides.

La réforme du CSM s'inscrit au coeur de notre pacte républicain et de l'équilibre de nos institutions. Chacun doit avoir le sentiment que la justice est là pour le protéger. Cet enjeu justifie un débat sans a priori. Il nous revient d'enrichir le texte, afin de donner à la magistrature les garanties indispensables. (Applaudissements sur les bancs socialistes et écologistes)

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux .  - Je vous remercie pour la qualité de ce débat, même si je relève quelques contradictions dans les propos de certains... Mes remerciements vont d'abord au président et au rapporteur de la commission des lois.

M. le rapporteur a rappelé que seule la compétence des magistrats importerait pour leur nomination. La suspicion est injuste mais elle est là. Il faut y répondre, surtout lorsqu'il s'agit de l'institution judiciaire. À notre honneur, à M. Mercier et à moi-même, nous avons respecté les avis du CSM. Pourquoi ne pas l'écrire dans notre Constitution ? Pourquoi s'en remettre au discernement des gardes des sceaux successifs ? Notre droit continental est écrit, codifié.

Pourquoi une réforme après celle de 2008, il y a cinq ans ?

M. Philippe Bas.  - Elle n'est entrée en vigueur qu'en 2011...

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - Ce n'est pas moi qui ai fait traîner la loi organique... Pourquoi fustiger à cette tribune le corporatisme des magistrats et dans le même mouvement refuser une réforme de l'instance qui les nomme ?

M. Jean-Jacques Hyest.  - Ce sera pire !

M. Michel Mercier.  - Je n'ai jamais eu un mot contre les magistrats !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - Je ne vous vise pas...

M. Philippe Bas.  - Qui visez-vous ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - Des propos de tribune.

Avant les échéances présidentielles, 50 % des cours d'appel ont connu des changements. Je veux parler avec la plus grande prudence. Nous ne pouvons ignorer la suspicion généralisée, même si elle est injuste. Vous avez critiqué, pour certains, le faible nombre de saisines recevables, mais plus de 57 % d'entre elles contestent des décisions de justice et s'apparentent à la recherche d'une sorte de troisième jugement. Ou bien on accepte cet état de fait, ou bien on essaie de remédier au problème. C'est ce que nous faisons.

M. Mézard m'a froissée, presque blessée en prétendant que ce texte avait été élaboré sans concertation. En 2012, les groupes parlementaires ont été consultés par le Premier ministre.

M. Jacques Mézard.  - Je vous répondrai. Ce fut un simulacre !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - Les consultations ont eu lieu. Depuis octobre 2012, j'ai proposé aux groupes de m'auditionner, je me suis présentée devant les groupes CRC, socialiste et UDI-UC.

Il faut parvenir à un bon équilibre entre les risques corporatistes, qui existent, je ne le nie point, et la politisation. M. Hyest estime que cette réforme n'est pas urgente. Nous avons le souci de ne pas légiférer dans l'urgence. (On rit à droite)

M. Philippe Bas.  - On verra pour le texte sur la transparence de la vie politique !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - M. Zocchetto nous a expliqué que cette réforme du CSM est motivée par une affaire récente. C'est faux !

M. Philippe Bas.  - C'est le président de la République lui-même qui l'a dit !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - Mais le calendrier ne tient pas. Le texte a été annoncé en juin 2012, les consultations ont commencé en octobre. Vous liez cela à un événement survenu en mars.

M. Philippe Bas.  - Pas nous ! Et c'est le président de la République qui l'a dit.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - C'est une idée fixe ! M. Mézard a élevé le débat au niveau adéquat, en rappelant, au début de son intervention, que les magistrats rendent la justice au nom du peuple français. Il n'est pas banal de prononcer, en son nom, une décision qui peut aboutir à priver autrui de sa liberté. C'est une mission extrêmement élevée, qui a sa grandeur et ses servitudes. Ayant rappelé cela, M. Zocchetto estime qu'une vraie réforme aurait consisté à confier au CSM jusqu'au pouvoir de proposition, sans la moindre intervention du pouvoir. Ces deux exigences sont antinomiques !

Dès le 31 juillet 2012, j'ai soumis à transparence les postes de la haute hiérarchie, ce qui n'était pas le cas auparavant. Les postes, les candidatures, les choix du garde des sceaux sont publiés. Tous les dossiers des magistrats sont désormais ouverts au CSM, afin qu'il puisse se prononcer en toute connaissance de cause.

M. Vial parlait du risque de voir se multiplier les instructions orales. Tous les exemples que vous avez imaginés ont un caractère collectif et concernent des troubles à l'ordre public - s'il est facile de donner des instructions générales, c'est bien dans ces cas ! Certains sénateurs ont rappelé la réforme de 1999 qui visait à aligner le régime de nomination des magistrats du parquet sur celui des magistrats du siège et mettait fin aux instructions individuelles. Le projet de loi a été retiré, mais nous avons vécu un quinquennat sans instructions individuelles. Y a-t-il eu, pour autant, une quelconque catastrophe ? Rien ne s'est effondré... Les instructions orales ne seront pas données, car un magistrat qui en recevrait ne manquerait pas de le faire connaître - la presse est libre en France.

Monsieur Mercier, vous êtes d'accord sur l'urgence de réformer le statut du parquet.

M. Michel Mercier.  - Tout à fait !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - Peut-être vos dernières réserves pourront-elles être levées à l'issue du débat... J'ai consulté plusieurs d'entre vous...

M. Michel Mercier.  - Pas moi ! Pas nous !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - Je suis venue devant votre groupe.

M. Michel Mercier.  - Ce n'est pas suffisant ! Vous invitez vos amis à déjeuner et nous rien, n'est-ce pas, monsieur Vidalies ? (Sourires)

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - Je crois avoir dit l'essentiel.

Je ne veux pas mettre en cause le CSM ni des nominations ou des non-nominations. Nous devons faire en sorte que l'inquiétude de nos concitoyens soit levée pour qu'ils retrouvent confiance dans leur justice. (Applaudissements à gauche et sur les bancs RDSE)

La discussion générale commune est close.

Question préalable sur le projet de loi constitutionnelle

M. le président.  - Motion n°12 rectifiée bis, présentée par M. Hyest et les membres du groupe UMP.

En application de l'article 44, alinéa 3, du Règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi constitutionnelle  portant réforme du conseil supérieur de la magistrature (n° 625, 2012-2013).

M. Philippe Bas .  - À peine la révision de 2008 entrée en vigueur, vous proposez de changer les attributions et la composition du CSM, sans même avoir pris le temps d'évaluer la précédente réforme. Notre loi fondamentale est en passe de devenir le texte le plus instable de la République... Ce n'est pas de nature à conforter la confiance de nos concitoyens dans nos institutions.

Au chapitre de l'utilité, ni les nouveaux pouvoirs confiés au CSM ni ceux retirés au président de la République et au garde des sceaux ne peuvent faire l'unanimité. Cette révision pour la forme est au mieux d'ajustement. Elle ne s'impose donc pas. De plus, loin d'avoir été amélioré par l'Assemblée nationale, le texte a été dégradé sur plusieurs points essentiels.

Les principes fondamentaux de notre organisation judiciaire sont très stables, ils ont été affirmés par la Révolution française. S'il faut les adapter à notre temps, il faut le faire avec prudence. Les pères fondateurs de la République avaient à l'esprit l'indépendance de la justice mais aussi que le pouvoir des représentants de la Nation ne pouvait être entravé par des juges s'érigeant en contre-pouvoir. Ils n'étaient pas insensibles à l'influence de Montesquieu ; le juge doit appliquer la loi avec neutralité, la justice sans le droit est une forme insupportable de tyrannie. C'est dire que ce n'est pas au juge judiciaire d'assigner des limites au pouvoir exécutif ; en contrepartie, l'exercice de juger ne tolère aucune intervention du pouvoir politique. Indépendance et neutralité vont de pair. La République ne reconnaît pas et ne doit pas reconnaître de pouvoir judiciaire. Les juges ne peuvent entrer en conflit ni avec l'exécutif ni avec le Parlement.

Or, dans ces deux projets de loi, nous sentons une sorte de défiance à l'égard des fonctions constitutionnelles du président de la République, du garde des sceaux, du conseil des ministres. On ne saurait partager ce sentiment sauf à participer à l'érosion de la confiance dans l'impartialité de l'État. Au lieu de prendre acte de l'air du temps et de la disqualification de l'exécutif, on serait bien inspiré de reconnaître et d'assumer les missions de l'État et des autorités qui le représentent.

Être un juge indépendant, c'est être indépendant des autorités de l'État mais aussi des groupes de pression, des corporatismes, des puissances de l'argent, des syndicats, des médias.

M. Jean-Pierre Vial.  - Très bien !

M. Philippe Bas.  - Comment garantir cette indépendance ? Par le juge lui-même, bien sûr. Mais pour défendre l'efficacité de la justice, il doit être protégé par l'État. On comprend que la Ve République ait préféré faire dépendre cette protection du chef de l'État lui-même plutôt que des partis politiques représentés au Parlement. Mais le Gouvernement a songé à imiter le modèle qui a prévalu entre 1946 et 1958... Il fait la part belle à une nouvelle noblesse de robe. Le mode de nomination des personnalités extérieures est pour le moins baroque. La commission des lois s'est ralliée à un amendement du Gouvernement qui conserve ce système.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois.  - Il y a de jolies musiques baroques... (Sourires)

M. Philippe Bas.  - La nomination par une majorité qualifiée des trois cinquièmes dans les commissions des lois des deux assemblées n'est pas satisfaisante. C'est un recul de 67 ans en arrière.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois.  - Au contraire ! Il faudra que majorité et opposition soient d'accord.

M. Philippe Bas.  - La justice ne saurait être partisane ni être suspectée de pouvoir l'être en raison de la composition politique d'une partie du CSM. La rédaction alambiquée que vous proposez pour l'article 64 de la Constitution montre d'ailleurs votre embarras. Comme vous n'avez pas choisi entre les deux solutions proposées, il vous faut continuer à réfléchir. Et entre temps l'article 64 doit rester en l'état : laissez le CSM assister le président de la République plutôt que de franchir une étape supplémentaire dans la mise à l'écart de celui-ci, au profit d'une institution indispensable, mais dont l'autorité ne peut approcher la sienne. Nous ne voulons pas d'une coquille vide - ou alors supprimez toute référence au président de la République à l'article 64.

Que le garde des sceaux assume à ciel ouvert ses instructions individuelles ou générales au parquet me paraît très sain ; c'est une conséquence nécessaire du principe de l'opportunité des poursuites, que personne ne remet en cause. Il est légitime que l'appréciation de l'opportunité ne soit pas laissée au seul libre arbitre des magistrats du parquet. La cohérence doit être assurée sur l'ensemble du territoire national. La parole du parquet restera libre et la position du ministère public n'est pas décisionnelle. Les formations de jugement ne sont pas en cause. Pour des besoins d'affichage politique contestables, des gouvernements pusillanimes renonceraient à leur mission de protection de la société et d'application des lois...

M. Jean-Pierre Vial.  - Très bien !

M. Philippe Bas.  - Je ne voudrais pas revoir l'entourage de gardes des sceaux chuchotant à l'oreille des procureurs ce que leurs maîtres ne voulaient plus dire au grand jour... Au pays de Tartuffe, il est des pratiques que les bonnes intentions proclamées ne suffisent pas à abolir. Prenons le temps d'une concertation approfondie et d'une évaluation de la révision de 2008. (Applaudissements à droite)

M. Alain Richard .  - Il y a quelque plaisir à échanger à la suite de l'intervention de Philippe Bas. L'objet limité de cette révision est bien connu. Nous confrontons nos idées autour de deux questions : quelle doit être la composition du CSM ? Offre-t-elle des garanties d'indépendance ?

L'autre question porte sur la tutelle des magistrats du ministère public. Son enjeu dépasse nos frontières. L'une des motivations décisives de cette réforme est de remédier à la précarité de la reconnaissance internationale de notre système judiciaire. La CEDH s'est prononcée à plusieurs reprises, et en des formations différentes dans lesquelles la tradition continentale était bien représentée, ce n'est pas un affreux complot anglo-saxon. Ses décisions n'ont eu que des effets limités mais nous sommes de plus en plus interdépendants car nous concluons de plus en plus d'engagements de coopération judiciaire.

Comment continuer à faire évoluer notre système judiciaire sans consolider la reconnaissance internationale de la validité de nos procédures judiciaires ? Ce ne sont pas des affaires de voleurs de poules, il s'agit de criminalité transnationale d'une grande gravité. La question n'est pas secondaire. Il y a là au moins une raison de faire que l'on ne peut écarter d'un revers de main.

En droit interne, le Conseil constitutionnel a mis des limites très strictes aux missions du ministère public dans la défense des libertés individuelles, à proportion justement de son indépendance. La composition du CSM est ici aussi un élément décisif. La Cour européenne des droits de l'homme oppose deux griefs principaux : le déficit d'indépendance du parquet et son rôle d'autorité de poursuite. Ce dernier peut être contré par des dispositions procédurales.

Philippe Bas a poussé un peu loin le raisonnement en prétendant que la question de l'avis conforme était mineure, tout en manifestant une référence au pouvoir exécutif qui est une appréciation singulière de la neutralité de l'institution présidentielle, certes cohérente avec sa logique gaulliste. Il y aura une véritable codécision sur la nomination des magistrats du parquet.

Notre collègue a succombé à la tentation - tout à fait honorable - d'entrer dans la discussion, quand il a critiqué le texte de l'Assemblée nationale. Ouvrons donc le débat ! Si la motion était adoptée, comment expliquer à nos concitoyens que nous tenons à ce que la nomination des membres du parquet soit sous l'influence du pouvoir exécutif ? Rendons-nous service collectivement, en n'adoptant pas cette motion. Interrompre le débat ici serait une faute contre l'esprit. La conclusion de M. Bas n'est pas en accord avec ses prémisses. Celles-ci nous ont donné toutes les raisons de continuer la discussion. Donnons-lui satisfaction. (Rires. Applaudissements à gauche)

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur.  - Cette question préalable sous-entend qu'il ne faut rien changer.

M. Philippe Bas.  - Voilà !

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur.  - La réforme de 2008 ne garantissait pas le statut du parquet. La réforme avortée par le président Chirac ne l'abordait pas non plus. Il faut donc revenir aujourd'hui sur le métier. Nous y sommes contraints par un arrêt rendu à l'unanimité encore la semaine dernière contre la France. Le parquet reçoit de plus en plus de pouvoirs juridictionnels. Si nous ne garantissons pas mieux l'indépendance de ses membres, les recours afflueront à la Cour européenne des droits de l'homme. Il est urgent de faire cette réforme. En 2008, le Gouvernement ne fut pas convaincu par les arguments du Sénat et du président Hyest.

Nous ne touchons pas à la réforme de 2008.

M. Jean-Pierre Michel, rapporteure.  - Nous la menons jusqu'au bout, nous faisons ce que M. Hyest n'a pu obtenir alors, ni le président Chirac en 2003.

Pour ces raisons de pur fait qui n'ont rien à voir avec les élucubrations de M. Bas, je vous demande de ne pas voter cette question préalable.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - M. Richard a démontré la contradiction incluse dans la défense de la motion, hormis l'argument d'autorité sur le caractère récent de la précédente réforme, qui ne tient pas. Cette question préalable n'est pas fondée. M. Richard a bien montré combien il importe que le Sénat délibère. Notre parquet est régulièrement mis en cause comme autorité judiciaire, ce qui fragilise notre justice alors que de plus en plus de conventions reconnaissent mutuellement les décisions de justice.

Poursuivons la discussion.

La motion n°12 rectifié bis est mise aux voix par scrutin public de droit.

M. le président.  - Voici les résultats du scrutin :

Nombre de votants 347
Nombre de suffrages exprimés 314
Pour l'adoption 136
Contre 178

Le Sénat n'a pas adopté.

Discussion des articles du projet de loi constitutionnelle

ARTICLE PREMIER

M. le président.  - Amendement n°30, présenté par Mme Cukierman et les membres du groupe CRC.

Rédiger ainsi cet article :

Les deux premiers alinéas de l'article 64 de la Constitution sont ainsi rédigés :

« Le Président de la République veille au respect de l'indépendance du pouvoir judiciaire.

« Le Conseil supérieur de la magistrature assure, par ses avis et ses décisions, la garantie de cette indépendance. »

Mme Cécile Cukierman.  - La justice a été considérée longtemps comme le bras armé de l'exécutif. Réaffirmer l'indépendance de la magistrature est indispensable à la démocratie. Le CSM doit être le seul garant de l'indépendance du pouvoir judiciaire. Je m'en tiens à cette formulation, doutant qu'une modification de forme convienne au rapporteur, compte tenu de notre désaccord de fond. Dans une réforme en profondeur, ce ne serait plus le président de la République mais le Parlement qui veillerait à cette indépendance.

M. le président.  - Amendement n°1, présenté par M. J.P. Michel, au nom de la commission.

Alinéa 2

Après le mot :

magistrature

rédiger ainsi la fin de cet alinéa :

assure le respect de cette indépendance.

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur.  - Il faut relire la Constitution. L'amendement de Mme Cukierman procède à des modifications importantes, contraires à notre Constitution, car elle emploie les mots « pouvoir » judiciaire au lieu d'« autorité » judiciaire.

M. Philippe Bas.  - Absolument.

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur.  - Personnellement, je n'aime pas le mot de « veille » qui sous-entend que quelque chose va se passer. Je préfère la rédaction de la commission. Avis défavorable aussi à l'amendement du Gouvernement s'il ne tombe pas.

M. le président.  - Amendement n°38, présenté par le Gouvernement.

Alinéa 2

Remplacer les mots :

par ses avis et ses décisions

par les mots :

dans le cadre de ses attributions

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - L'amendement reprend le texte initial du Gouvernement. Pour mettre une distance entre le pouvoir politique et la magistrature, il fallait que le CSM n'assiste plus le président de la République, mais ait un rôle plus marqué, exprimé par un verbe plus actif. Dans un premier temps, nous avons proposé « concourt ».

M. Jean-Jacques Hyest.  - Ce n'est pas mal !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - N'est-ce pas ? Il faudra y revenir. Je rectifie mon amendement en ajoutant « concourt ». Il pourrait ainsi faire tomber les autres amendements. Dans quel ordre votez-vous ?

M. le président.  - Dans l'ordre d'appel des amendements ! (Sourires)

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - Alors, que chacun garde ses forces pour le troisième amendement ! (On s'amuse)

M. le président.  - Ce sera donc l'amendement n°38 rectifié.

Alinéa 2

Remplacer les mots :

veille, par ses avis et ses décisions

par les mots : concourt, dans le cadre de ses attributions

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur.  - Je reste défavorable. La garde des sceaux s'entête, parce qu'elle revient à son texte initial. Le président de la République est garant de l'indépendance des magistrats. Le Conseil assure le respect de cette indépendance, pas avec ou au côté du président de la République.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - C'est la Constitution qui le dit ! Ou alors il faut supprimer le premier alinéa de l'article 64.

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur.  - Le conseil est indépendant. Je maintiens l'amendement de la commission.

L'amendement n°30 n'est pas adopté.

M. Jean-Jacques Hyest.  - Le projet du Gouvernement laisse le président de la République « garant ». Cela ne garantit rien. Le CSM n'est pas le seul organe qui assure le respect de l'indépendance. Il y concourt. Le texte d'origine du Gouvernement est plus conforme à la réalité. Il me convenait. En matière disciplinaire, le Conseil d'État est l'instance de recours des décisions du CSM. Celui-ci n'est que l'un des organes qui concourent à garantir l'indépendance de la justice. Je ne voterai pas l'amendement du rapporteur.

M. Philippe Bas.  - Je partage intégralement ce qui vient d'être dit. Quelle est la différence entre « garantir l'indépendance » et « assurer son respect » ? Notre rapporteur pourrait tout de même expliciter la formulation de son amendement.

Cela dit, je ne suis pas favorable à la verrue, au kyste, à l'excroissance qui figure dans le texte du Gouvernement. Comment le CSM pourrait-il intervenir en dehors du « cadre de ses attributions » ?

M. Thani Mohamed Soilihi.  - Cette question a été longuement débattue en commission des lois. L'article 64 de la Constitution précise que le président de la République est garant de l'indépendance judiciaire, en raison de sa légitimité d'élu au suffrage universel direct. Le CSM est là pour assurer à ses côtés cette indépendance. C'est en ce sens que la commission des lois s'est prononcée. Je demande que l'on s'en tienne là et que l'on adopte la rédaction du rapporteur.

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur.  - Le président de la République n'est plus membre du CSM. Mais il est le garant de son indépendance, par exemple en cas d'application de l'article 16 sur les pouvoirs exceptionnels. Le CSM assure quotidiennement le respect de son indépendance.

L'amendement n°1 n'est pas adopté.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - J'ai entendu l'objection de M. Bas et, pour y répondre, je rectifie derechef mon amendement. Si le CSM peut émettre autre chose que des avis et décisions, je reconnais que « dans le cadre de ses attributions » est redondant. Je supprime cette formule et j'écris : « Le CSM y concourt ».

M. Christian Cointat.  - Dans ces conditions, je vote cet amendement.

M. le président.  - Ne peut-on en améliorer la formulation ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - L'article 64 se lirait ainsi : « Le président de la République est garant de l'indépendance de l'autorité judiciaire. Le CSM concourt à garantir cette indépendance ».

M. le président.  - Ce sera l'amendement n°38 rectifié bis.

L'amendement n°38 rectifié bis est adopté.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois.  - La formulation n'est pas géniale...

L'article premier, modifié, est adopté.

ARTICLE 2

M. le président.  - Amendement n°15 rectifié, présenté par M. Hyest et les membres du groupe UMP.

Supprimer cet article.

M. Jean-Jacques Hyest.  - Je m'en suis expliqué : nous ne souhaitons pas modifier la composition du CSM.

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur.  - Défavorable. La nouvelle composition du CSM renforce son indépendance, partant, celle de l'ensemble des magistrats.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - Cet article récrit, restructure l'article 65 de la Constitution en le rendant plus cohérent. C'est l'article qui contient la réforme. Aussi votre amendement est-il une autre version de la question préalable.

M. Jean-Jacques Hyest.  - C'est le jeu.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - Certes. Je suis contrariée d'avoir à émettre un avis défavorable.

À la demande du groupe socialiste, l'amendement 15 rectifié est mis aux voix par scrutin public.

M. le président.  - Voici les résultats du scrutin :

Nombre de votants 343
Nombre de suffrages exprimés 293
Pour l'adoption 134
Contre 159

Le Sénat n'a pas adopté.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - Me référant à l'article 44, alinéa 6, du Règlement du Sénat, je demande la priorité pour l'amendement n°39 rectifié et les sous-amendements nos35 rectifié et 42.

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur.  - Favorable.

MM. Michel Mercier et Jean-Jacques Hyest.  - Nous nous y opposons.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois.  - Cela permet de gagner du temps.

M. le président.  - Je mets aux voix cette demande de priorité.

La priorité est acceptée.

M. le président.  - Compte tenu de l'heure, je vous propose de poursuivre la discussion demain matin.

Prochaine séance aujourd'hui, jeudi 4 juillet 2013, à 9 h 30.

La séance est levée à minuit vingt-cinq.

Jean-Luc Dealberto

Directeur des comptes rendus analytiques

ORDRE DU JOUR

du jeudi 4 juillet 2013

Séance publique

À 9 HEURES 30

1. Suite du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, relatif aux attributions du garde des sceaux et des magistrats du ministère public en matière de politique pénale et de mise en oeuvre de l'action publique (n° 626 rectifié, 2012-2013).

Rapport de M. Jean-Pierre Michel, fait au nom de la commission des lois (n° 675, 2012-2013).

Texte de la commission (n° 676, 2012-2013).

À 15 HEURES

2. Questions d'actualité au Gouvernement.

À 16 HEURES 15 ET LE SOIR

3. Projet de loi de règlement du budget et d'approbation des comptes de l'année 2012 (n° 710, 2012-2013).

Rapport de M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances (n° 711, tomes I et II, 2012-2013).

4. Déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat, sur l'orientation des finances publiques.

5. Suite éventuelle de l'ordre du jour du matin.