Convention OSPAR
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi autorisant l'approbation des amendements des annexes II et III à la convention OSPAR pour la protection du milieu marin de l'Atlantique du nord-est relatifs au stockage des flux de dioxyde de carbone dans des structures géologiques.
Discussion générale
Mme Hélène Conway-Mouret, ministre déléguée auprès du ministre des affaires étrangères, chargée des Français de l'étranger . - La convention OSPAR, née de la fusion des conventions d'Oslo et de Paris, a été signée à Paris le 22 septembre 1992. Ratifiée par tous les États riverains de l'Atlantique du nord-est, plus le Luxembourg, la Suisse, la Finlande et l'Union européenne, elle est entrée en vigueur en mars 1998. Elle a pour objet de fédérer les moyens de connaissance et d'action des parties afin d'assurer la meilleure conservation possible d'une espace marin de 13,5 millions de kilomètres carrés, soit 4 % de la surface des océans de la planète.
La lutte contre le changement climatique est un enjeu crucial du XXIe siècle. Le stockage des flux de CO2 y participe. Les capacités de stockage sous la mer sont abondantes et font de la région une pionnière de la technologie captage-stockage, à l'initiative de la Norvège.
Les modifications adoptées en juin 2007 à Ostende fixaient le cadre de mise en oeuvre de cette technologie tout en préservant le milieu marin. Ce projet de loi vous propose la ratification de deux amendements aux annexes II et III de la convention. Cette ratification n'autorise nullement la mise en exploitation de sites de stockage ; elle établit en revanche un cadre contraignant pour un stockage sûr et pérenne du CO2, sans effet pour le milieu marin, la santé humaine et les autres utilisations de la zone. Chaque site devra faire l'objet d'une autorisation ; aucun permis ne sera délivré sans un processus d'évaluation et de gestion des risques complet et probant, réalisé à la satisfaction des autorités compétentes. Aucun déchet ni substance ne pourra être ajouté au flux de CO2 en vue de son élimination. Un plan de surveillance de très longue durée devra être mis en place par l'opérateur.
La conférence ministérielle de Bergen, en septembre 2010, a rappelé la nécessité d'une ratification de ces amendements dans les meilleurs délais par toutes les parties. La France, partie contractante et État dépositaire de la convention OSPAR, a participé à leur négociation et leur a donné un avis favorable. L'Union européenne a ratifié ces amendements le 23 juillet 2011. La présente ratification rétablit la cohérence juridique entre le cadre communautaire et le droit international applicable en droit interne.
La ratification relève enfin de la nécessaire cohérence entre les engagements et les actes de la France en matière de lutte contre le changement climatique ; dans ce cadre, elle souhaite que soit évalué le potentiel des technologies de captage et de stockage.
La France, qui se propose d'accueillir la conférence des Nations unies sur le changement climatique en 2015, doit faire preuve d'un comportement exemplaire. (Applaudissements sur les bancs socialistes et RDSE)
M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères, en remplacement de Mme Leila Aïcha, rapporteure. - Je vous pris d'excuser l'absence de Mme Aïcha.
Quinze États européens et l'Union européenne sont signataires de la convention OSPAR dont l'objet est la préservation de l'environnement marin dans l'Atlantique du nord-est. La convention a été modifiée pour autoriser sous conditions le stockage sûr et pérenne des flux de CO2 d'origine anthropique dans le sous-sol marin, tout en respectant cette préservation. Tels sont les amendements aujourd'hui soumis à l'approbation parlementaire, qui portent sur les annexes II et III de la convention.
Le premier ajoute à la liste des déchets ou matières dont l'immersion peut faire l'objet d'une autorisation les flux de CO2 résultant d'un captage en vue de leur stockage. Le second traite du stockage du CO2 à partir d'exploitations offshore. Le gaz doit être capté sur son lieu d'émission et acheminé par canalisation et/ou navire jusqu'à une plateforme où l'injection dans le sous-sol pourra être réalisée. Il doit faire préalablement l'objet d'un permis pour une formation géologique précise et pour une qualité de CO2 caractérisée ; la qualité du flux est une contrainte supplémentaire.
En Europe, les projets de stockage offshore concernent la mer du Nord dans des formations géologiques ayant contenu des hydrocarbures. En Norvège, un projet opérationnel porte sur 0,7 million de tonnes de CO2, voire davantage. Nous manquons de recul mais, selon certaines études, de 20 % à 40 % des émissions de CO2 à l'échelle de la planète d'ici 2050 pourraient être épargnées à l'atmosphère par cette technique. Les capacités de stockage sont évaluées en gigatonnes ! Mais il n'y a pas de miracle. Outre les coûts, les principales interrogations portent sur les risques de fuite de CO2, même si le processus est très surveillé.
Ce protocole masque plus qu'il ne résout le problème du changement climatique...
Mme Évelyne Didier. - Très juste.
M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères. - La lutte contre ce phénomène doit demeurer une priorité nationale et internationale.
La commission des affaires étrangères est très favorable à cette ratification. La grande majorité de ses membres considèrent les possibilités qu'elle ouvre comme une avancée. (Applaudissements sur les bancs RDSE et à droite)
Mme Joëlle Garriaud-Maylam . - De prime abord, il s'agit d'une simple convention internationale. Mais l'impact environnemental potentiel de ces amendements est majeur. Je regrette que l'on n'aborde cette question que sous l'angle du ministère des affaires étrangères parce que cette convention touche d'abord à la protection du milieu marin de l'Atlantique du nord-est, zone de 13,5 millions de kilomètres aussi sensible que stratégique. Les pays riverains développent une coopération destinée à empêcher toute internationalisation des enjeux de l'Arctique. L'Union européenne défend une politique fondée sur la protection et la préservation de l'Arctique, la promotion d'une exploitation durable en association avec les populations locales et une contribution à une meilleure gouvernance. Or cette zone sera de plus en plus convoitée à mesure que les ressources en énergie fossile diminueront, puisqu'elle contiendrait 13 % des réserves mondiales non encore découvertes de pétrole et 30 % de celles de gaz naturel.
Entre 1979 et 2000, la superficie de banquise a réduit presque de moitié. Beaucoup de polémiques ont éclaté sur ce phénomène. Nous ne sommes pas là pour en débattre scientifiquement. Mais nous devons assumer nos responsabilités politiques. Les faits sont là. On ne peut nier que cette fonte de la banquise est plus inquiétante : « notre maison brûle et nous regardons ailleurs » avait déclaré Jacques Chirac à Johannesburg en 2003.
La convention OSPAR de 1991 résulte de la coopération de quinze États du bassin versant de l'Atlantique du nord-est, zone qui représente un poumon blanc pour l'humanité. C'est une zone de stockage naturel du CO2 anthropique, et même un de ses principaux réservoirs, comme l'a montré une étude franco-espagnole récente du CNRS et de l'Instituto de Investigaciones Marinas, un véritable puits de carbone. Or la circulation atlantique méridienne, à l'origine de ce mécanisme naturel de stockage, ralentit, contribuant en cela au réchauffement climatique. D'où ma perplexité quant à ce projet de loi, qui amende une convention censée protéger ce poumon blanc...
M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères. - Pourquoi ne pas le refuser alors ?
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - Depuis 2007, des négociations ont été engagées pour réaliser des stockages de CO2 anthropique dans des structures géologiques sous-marines, que les avancées technologiques rendent possibles. Il est capital d'offrir des garanties maximales de sécurité, tant pour le transport du CO2 par canalisation que par navire. Des naufrages récents ou non de supertankers et porte-conteneurs aussi vastes que vétustes -je pense en particulier à celui de l'Erika- doivent nous inspirer la plus grande rigueur.
Les risques d'infiltration et de fuite ne sont pas non plus négligeables. L'opérateur sera tenu de vérifier la qualité du flux injecté -c'est bien le moins. Certains pays parties à la convention développent des programmes de stockage en mer du Nord ; l'Union européenne finance, de son côté, des projets de recherche ; des projets similaires de stockage sont soutenus par l'administration Obama. Je souhaite que ces nouveaux procédés ne soient pas un bon à polluer davantage ; ces technologies offrent un sursis pour nous permettre de nous engager moins dans le développement des énergies renouvelables que dans la production d'énergies non polluantes.
Je regrette, alors que le Sénat a instauré le préjudice écologique, que nous avons depuis 2011 un groupe politique inspiré par l'écologie et une commission dédiée au développement durable, que cette commission et ses experts n'aient pas été saisis. Il me paraît primordial que l'information du Parlement soit complète. Notre commission des affaires étrangères travaillent beaucoup, et j'en remercie le président Carrère, mais elle ne peut prendre la mesure de tous les enjeux de ce texte. On me rétorquera que notre ordre du jour est saturé, que l'étude d'impact a été réalisée par le ministère des affaires étrangères en 2012 (M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères, le confirme) et que les objectifs sont inchangés... Mais nous aurions pu débattre dans des conditions qui auraient fait davantage honneur au Sénat.
Le groupe UMP votera ce texte, mais dans quelle mesure répond-il au principe de précaution ? Quelles sont les modalités prévues en cas de fuite de CO2 dans les couches géologiques ? Comment et par qui seront réalisés les contrôles ?
Mme Évelyne Didier . - Je ne sais si je suis une experte mais je fais partie de la commission du développement durable...
M. Robert del Picchia. - Très bien.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - Merci d'être là.
Mme Évelyne Didier. - Les sénateurs CRC soutiennent pleinement l'objectif de la convention. Mais il nous est proposé d'approuver des amendements sur lesquels nous sommes extrêmement réservés. Ce projet de loi, qui émane du précédent gouvernement, n'a pas fait l'objet d'une nouvelle expertise approfondie au regard de l'évolution des savoirs en ce domaine. Alors que le lobbying en faveur de l'exploitation du gaz de schiste bat son plein, nous attendons une réforme du code minier. La question de la gestion des ressources du sous-sol doit être abordée de façon globale.
La méthode de captage-stockage divise experts et ONG. L'Ademe a rendu, le 19 mars dernier, un avis particulièrement réservé, où elle s'interroge sur les capacités réelles du stockage géologique.
La technique est récente...
M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères. - C'est vrai !
Mme Évelyne Didier. - ...elle ne sera disponible à grande échelle au plus tôt qu'en 2030. Que faire d'ici là ? Nos émissions de gaz à effet de serre doivent baisser dès 2015 ; d'ici 2050, elles doivent diminuer de 50 %. Le stockage n'est pas une solution véritable. Il est en outre énergivore : sous couvert d'objectifs louables, on contribue aux émissions. Il est enfin coûteux : pourquoi ne pas consacrer les sommes destinées à la recherche sur le stockage au développement d'énergies renouvelables et à l'efficacité énergétique ? Il ne faudrait pas que le captage-stockage rende plus acceptable les activités industrielles polluantes.
Il est, enfin, risqué : il est impossible de garantir un stockage sûr et pérenne. Ce qui est sûr, c'est que toute fuite aura des conséquences sur le climat, la santé humaine et le milieu marin, que la convention OSPAR a précisément pour but de protéger.
Une fois de plus, nous laissons faire et ensuite, nous tenterons de réparer. Le développement durable consiste à prévenir plutôt qu'à réparer. Les sénateurs CRC s'abstiendront. (M. André Gattolin applaudit)
M. Jean-Claude Requier . - La lutte contre le réchauffement climatique demeure une priorité nationale et internationale. En complément des énergies non carbonées et de l'efficacité énergétique, les techniques de captage et de stockage du CO2 ne doivent pas être négligées. Elles ont vu le jour en Union européenne et en France. La convention OSPAR, acronyme d'Oslo-Paris, a donc été amendée et c'est sur ces amendements que nous sommes appelés à nous prononcer. Ils constituent une avancée importante. Une étude écossaise et norvégienne dévoile des capacités de stockage utilisables pendant des décennies. La France ne fait cependant pas partie des premiers bénéficiaires de ces projets car elle dispose de peu de ressources en la matière ; mais elle a toute sa place grâce à son expertise géologique et industrielle.
Ce projet de loi n'offre pas un chèque en blanc aux industriels, il prévoit des garde-fous : une formation géologique précise doit être visée ; la quantité de gaz doit être identifiée ; la qualité du flux du CO2 doit répondre à des contraintes réglementaires précises. Le cadre juridique strict établi par ces amendements est protecteur. Mais le processus est pour l'instant peu intéressant économiquement. Le surcoût du stockage offshore serait de l'ordre de 41 euros par tonne de CO2 quand l'émission d'une tonne de CO2 est facturée 5 euros sur le marché du carbone -mais son prix va inévitablement augmenter...
M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères. - En effet.
M. Jean-Claude Requier. - Nous devons anticiper pour rester compétitifs. Sortons d'une orthodoxie tétanisante et que nous paierons cher. Le sous-sol offre des perspectives énergétiques nouvelles et nombreuses, qui doivent faire l'objet de débats dépassionnés. L'indépendance énergétique demeure un enjeu stratégique pour notre pays. Les membres du RDSE apporteront leur soutien à ce projet de loi.
M. André Gattolin . - Je ne vous étonnerai pas en vous disant l'importance qu'attachent les écologistes à la lutte contre le réchauffement climatique. Le milieu arctique, compris dans la zone considérée par la convention OSPAR, est particulièrement fragile. Plus de 13,5 millions de kilomètres carrés, soit vingt-cinq fois la superficie de la France, sont concernés.
Les développements technologiques en matière de stockage ont poussé à l'adoption de ces amendements à la convention OSPAR. Soit. Il faudra capter le CO2 sur terre, en faire un flux concentré et le transporter jusqu'à des couches géologiques profondes. Faut-il justifier ainsi la construction de nouvelles centrales thermiques au charbon ? Soyons prudents et reconnaissons que cette technologie est encore immature. Certes le GIEC et l'AIE ont estimé possibles des réductions importantes d'émissions mais les risques me semblent peu acceptables. Une fuite massive de CO2 acidifierait les eaux et détruirait la faune et la flore marines. De plus, cette technologie consomme entre 10 % et 40 % de l'énergie produite par une centrale dont elle capterait les émissions de CO2. Le coût de fonctionnement des centrales, et donc de l'électricité, augmenterait sensiblement. De plus, même avec des investissements conséquents, cette technologie ne verra pas le jour avant 2030, au plus tôt, alors que l'urgence environnementale est là.
Faut-il, en confortant ainsi l'utilisation d'énergies carbonées, retarder d'autant notre transition énergétique, alors qu'il est possible de réduire notre facture énergétique grâce aux économies d'énergies et aux énergies renouvelables ?
Nous sommes très réservés sur des investissements dans cette technologie, qui se feraient au détriment du développement des énergies non carbonées ! Ne stoppons pas la recherche mais faisons en sorte qu'OSPAR ne devienne pas « Au secours » !
M. Robert del Picchia. - Chapeau !
Mme Hélène Conway-Mouret, ministre déléguée . - Merci pour le soutien exprimé par la majorité des orateurs.
L'objet de cette convention répond à un impératif de développement durable et de lutte contre le changement climatique. L'Union européenne et de nombreux pays voisins de la France ont déjà ratifié ces amendements. J'ajoute que la France espère accueillir la grande conférence climatique des Nations Unies en 2015.
Ces technologies ne sont pas sans risque, avez-vous dit. Vos questions sont légitimes. La sélection du site géologique de stockage repose sur des études géologiques très poussées ; l'opérateur est tenu d'assurer un suivi de très longue durée et d'apporter sa garantie financière avant le début de l'injection ; les États contrôlent.
Les coûts incombent à l'opérateur. L'autorisation est délivrée par le préfet maritime après accord du ministre et instruction de la Drire.
Sur le territoire français, il n'existe à ce jour aucun projet de stockage offshore. En Europe, des projets concernent essentiellement la mer du Nord, la Norvège, le Royaume-Uni, les Pays-Bas. L'heure n'est pas au déploiement industriel mais à l'évaluation et à la démonstration.
En ratifiant ces amendements, vous ferez en sorte que la France prenne place dans cette réflexion.
M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères . - Je remercie les orateurs pour l'intérêt qu'ils ont manifesté. Je rappelle à Mme Garriaud-Maylam que la conférence d'Ostende remonte à 2007. Qui était président de la République, qui était Premier ministre ? Nous aurions pu réfléchir à tout cela ensemble, dès longtemps, aux arguments, que je soutiens, qu'elle a avancés dans son intervention. Le courage, c'est de chercher la vérité et de la dire. Tous les commissaires UMP ont voté ce texte en commission.
Je me reconnais dans un des arguments de Mme Didier mais dire que nous ne serons pas prêts avant 2030, c'est se fourvoyer ; des expérimentations auront lieu bien avant. Il faudra, bien sûr, que les tarifs, rappelés par M. Requier, évoluent. Il serait bon de faire payer les pollueurs, à qui il n'en coûte que 5 euros aujourd'hui...
J'apprécie l'intervention de M. Gattolin, même si je connais sa sensibilité et son tropisme... J'appelle le Sénat à l'adoption de ce texte.
L'article unique du projet de loi est adopté.
La séance est suspendue à 20 h 35.
présidence de M. Jean-Léonce Dupont,vice-président
La séance reprend à 22 h 35.