Rappels au Règlement
M. Jacques Mézard . - Mon rappel au Règlement est fondé sur les articles 26 et 39 de notre Règlement. M. le président a tiré un bilan positif du travail du Sénat. Le Sénat travaille beaucoup, certes, mais reste à savoir s'il le fait dans de bonnes conditions. Les sessions extraordinaires n'en sont plus : alors que, selon l'article 29 de la Constitution, le Parlement doit se réunir sur un ordre du jour déterminé, leur ordre du jour est à géométrie variable, où l'on retrouve une accumulation de textes de toute nature, à examiner en toute hâte. La commission des lois, en particulier, est soumise à un rythme déraisonnable, qui pèse sur la qualité du travail. Les groupes dits minoritaires peinent à suivre. Ce que nous dénoncions sous la précédente majorité, nous le dénonçons de même aujourd'hui. Le Sénat, chambre de réflexion faite pour améliorer le travail législatif, ne peut poursuivre ainsi, sans que le bicamérisme lui-même ne soit écorné. (Applaudissements sur les bancs RDSE, du centre et sur quelques bancs à droite)
M. François Zocchetto . - Mon rappel au Règlement se fonde également sur les articles 26 et 39 de notre Règlement. Il est légitime de saluer l'effort des uns et des autres, comme l'a fait le président Bel. Mais je m'inquiète de l'inflation des normes. La session extraordinaire n'a plus d'extraordinaire que le nom, tant elle est systématiquement convoquée. Elle devra, cette année, examiner, pour ne pas dire évacuer, 42 textes, selon un ordre du jour déséquilibré -certaines semaines très chargées, d'autres plus légères. L'examen de bien des textes importants ne débute que le mercredi ou le jeudi pour se poursuivre jusqu'au samedi. Qui plus est, ces derniers jours, nous avons reçu deux lettres rectificatives sans que la conférence des présidents se soit réunie. Nous ne pouvons continuer à travailler ainsi. (Applaudissements sur les bancs UDI-UC, RDSE et sur plusieurs bancs à droite)
Réforme de la PAC
M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt . - Je vais vous présenter l'accord passé la semaine dernière entre le Parlement européen, le Conseil des ministres de l'agriculture et la Commission européenne. Je me réjouis de ce débat car c'est une question essentielle, qui touche 500 000 exploitations, un million d'hommes et de femmes, à laquelle les médias se sont peu intéressés.
Cette réforme est le fruit d'une réflexion engagée dès 2003, avec l'idée des aides à l'hectare découplées -soit directement liées aux surfaces et indépendantes des choix des productions. On considérait que ce n'était pas aux pouvoirs publics d'orienter ces choix. Or, quand le prix des céréales s'est élevé, les éleveurs ont choisi de se tourner vers cette production, au détriment de l'élevage. Il a fallu engager des négociations pour trouver un équilibre nouveau entre l'élevage et l'ensemble des productions -la France étant un concentré de l'agriculture européenne, dans sa diversité.
Le débat, avais-je dit, était en jachère. La Commission européenne proposait la convergence des aides, c'est-à-dire le versement d'aides à l'hectare, quelle que soit la production. Un pays comme le nôtre allait, du coup, sortir des DPU, c'est-à-dire des aides différenciées à l'hectare. Il s'agissait de rééquilibrer vers les éleveurs du Massif central et des zones méditerranéennes.
La Commission proposait aussi le verdissement. La France a d'emblée soutenu cette proposition car la question de l'environnement ne saurait être confiée aux États, sauf à pénaliser ceux qui en font le plus par rapport à ceux qui en font moins. Enfin, il y avait une proposition de régulation.
Au cours de la négociation, nous avons fait bouger les lignes. Nous sommes revenus, ainsi, sur la fin des droits de plantation, sur la fin des quotas sucriers dès 2015 ; nous avons plaidé pour les interprofessions, soit l'organisation des filières.
Le choix du couplage des aides, que j'ai défendu, est majeur. Le découplage faisait peser un risque sur l'élevage, où la rentabilité du capital et la productivité du travail sont plus faibles que dans les autres exploitations. Il faut donc une compensation spécifique. Nous sommes passés de 10% à 12 % plus 3 % pour les protéines végétales, afin de garantir son autonomie à l'Europe. Couplage, verdissement, régulation. Tel est le triptyque auquel nous sommes parvenus.
Pour la première fois, les GAEC seront reconnus à l'échelle européenne. Même Jacques Chirac n'y était pas parvenu. Autre avancée, sur les MAE, avec le déplafonnement des aides compensant le handicap. Nous avons voulu rééquilibrer la PAC pour pérenniser l'élevage, qui connaît des difficultés, fixer un objectif environnemental à l'ensemble de l'Europe et réguler les marchés pour aider l'Europe à lutter contre la volatilité des prix.
C'est aussi la première fois que s'engage une politique européenne en faveur de l'installation des jeunes, à laquelle pourront être consacrés des fonds du premier et du deuxième piliers. La France, qui est un grand pays agricole, le restera demain. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. Joël Labbé . - Les négociations furent longues et rudes et vous êtes arrivé à un compromis, qui ne nous satisfait qu'à moitié...
MM. Jacky Le Menn et Yannick Botrel. - C'est cela un compromis !
M. Joël Labbé. - ...sachant qu'aujourd'hui, 20 % des exploitations accaparent 80 % des aides directes et que les 160 plus grandes exploitations se partagent 123 millions, autant que les 100 000 plus petites fermes.
Vous avez su placer la France à la tête des pays souhaitant la régulation. C'est une réussite, alors que le libéralisme gagne et que nombre d'États ne sont pas sur vos positions. Le couplage des aides est une avancée, comme la majoration sur les premiers hectares, qui favorisera l'emploi, mis à mal par le modèle productiviste, de même que le soutien obligatoire aux jeunes agriculteurs.
Mais les jeunes qui s'installent sont nombreux à souhaiter s'orienter vers un autre modèle d'agriculture. C'était l'occasion de faire une PAC plus juste, plus verte, plus jeune. Or, beaucoup de mesures de verdissement sont laissées à l'appréciation des États membres. Alors que l'agro-écologie fait beaucoup parler d'elles, c'est, hélas, le lobby de l'agro-industrie qui a pesé en faveur de la monoculture.
La convergence des aides ne permettra pas un transfert vers l'élevage. Les gros céréaliers restent les grands gagnants. Quant au plafonnement des aides, la mesure a tout bonnement disparu. Elle ne concernait pourtant que 35 000 exploitations sur 13 millions.
La concurrence interne continuera donc à sévir. On s'éloigne ainsi de l'idéal communautaire de solidarité qui était à l'origine de la PAC.
Reste que les États disposent de marges de manoeuvre. Monsieur le ministre, la future loi d'avenir agricole constituera une étape cruciale pour le développement des zones rurales. Va-t-on laisser nos agriculteurs devenir de simples sous-traitants de l'agro-industrie ou en faire, enfin, les moteurs d'une agriculture relocalisée ? Si tel est votre objectif, monsieur le ministre, nous serons avec vous. (Applaudissements à gauche)
M. Jean-Paul Emorine . - L'organisation de ce débat présente beaucoup d'intérêt malgré la brièveté du délai après l'accord de la semaine dernière. Gérard César rappellera les orientations du groupe de travail sur la PAC. J'interviens au nom du groupe UMP, sachant que Jean Bizet participe à la réunion de l'OSCE et n'a pu nous rejoindre à temps.
La PAC est un succès des politiques européennes. C'est une politique commune, en place depuis 1962, qui a toujours su s'adapter aux nécessités économiques. Rappelons-le, à l'heure où le scepticisme européen tient le haut du pavé. Nos collègues eurodéputés du PPE ont souhaité un budget européen plus autonome et plus flexible. Les négociations sur la PAC ont cheminé parallèlement à celles sur le cadre financier pluriannuel. Il est probable que la nouvelle réforme n'entre pas en vigueur avant le 1er janvier 2015, plutôt que le 1er janvier 2014 comme annoncé.
Si nous pouvons comprendre qu'en période de crise, chacun doive faire un effort, reste que, contrairement à ce que dit le Gouvernement, l'agriculture sera fortement mise à contribution dans le nouveau cadre financier pluriannuel, pour 50 milliards globalement, soit un milliard par an pour la France. M. le ministre annonce un milliard de plus sur le deuxième pilier, en se gardant de préciser que c'est sur sept ans et non annuellement.
Cette nouvelle PAC est dans ses principes plus respectueuse de l'environnement, grâce à la convergence des aides et au verdissement.
Comment va fonctionner le nouveau système d'attribution des droits à paiement de base ? Comment garantir qu'il n'ait pas un effet trop brutal la première année ?
Les États pourront affecter une part de l'enveloppe nationale afin d'accorder un paiement supplémentaire aux cinquante premiers hectares ; pour qu'elle remplisse son objectif de compenser la diversité des exploitations, il faudra que les GAEC soient pris en considération.
M. Stéphane Le Foll, ministre. - C'est très important.
M. Jean-Paul Emorine. - Sur le verdissement, tenons compte de la réalité des situations locales pour délimiter les surfaces d'intérêt biologique. Certaines prairies doivent être retournées pour améliorer la flore. Il faut alors prendre en compte la surface toujours en herbe de l'exploitation. La prudence s'impose sur le niveau de jachère, quand on sait qu'il faudra nourrir 9 milliards d'êtres humains en 2050
M. Daniel Raoul. - Eh oui !
M. Jean-Paul Emorine. - Veillons à préserver les filières existantes. Pour le premier comme pour le deuxième pilier, les cofinancements nationaux doivent être à la hauteur. Le Gouvernement doit prendre en charge 65 % des primes de réassurance, incontournables, et pas seulement 50 %.
M. Gérard César. - Très juste !
M. Jean-Paul Emorine. - Continuons de soutenir ce qui marche, en particulier la politique d'installation des jeunes, alors que 20 % de nos chefs d'exploitation ont moins de 40 ans, contre 6 % en moyenne européenne.
N'alourdissons pas la gestion des exploitations et des exigences administratives, qui iraient au-delà de ce que demande l'Union européenne.
Monsieur le ministre, nous avons toujours défendu une agriculture compétitive et nous continuerons car l'agriculture couvre 60 % de notre territoire et elle produit une nourriture de qualité pour nos concitoyens. (Applaudissements au centre et à droite, ainsi que sur quelques bancs à gauche)
Mme Bernadette Bourzai . - Je me réjouis de ce débat quelques jours seulement après l'accord auquel a abouti le dernier trilogue. La PAC est la politique européenne la plus visible de l'Union européenne. Notre Haute assemblée lui a consacré un travail important et dense.
Cette réforme, pour la première fois en codécision avec le Parlement européen, a démarré sous des auspices pessimistes. Vous avez, monsieur le ministre, tout mis en oeuvre pour contredire cette prévision et aboutir dans des délais courts. Vous avez réussi, et cela n'allait pas de soi, grâce à votre engagement, à votre connaissance des dossiers et à la ténacité du président de la République.
Cette réforme n'avait pas vocation à être révolutionnaire mais elle aura des incidences significatives et durables. Vous avez oeuvré pour une PAC plus juste, en faveur de l'élevage et de l'emploi. Je vous en félicite.
M. Roland Courteau. - Très bien !
Mme Bernadette Bourzai. - Ma mission sur la filière viande a confirmé mes convictions en faveur de l'élevage. J'appuie avec force votre détermination dans ce domaine.
Le maintien d'un taux de couplage élevé est un acquis notable. La convergence des aides sera favorable à l'élevage et aux exploitations intensives en main-d'oeuvre. Sur la transparence pour les GAEC, nous avons été, avec Mme Goy-Chavent, maintes fois interrogées, dans la Saône-et-Loire et dans l'Ain, lors de nos déplacements.
Mme Sylvie Goy-Chavent. - Je le confirme.
Mme Bernadette Bourzai. - Vous avez obtenu le relèvement du plafond des aides en zone de montagne ; j'y suis très sensible.
Nous défendons une application progressive de la convergence, mais le maintien d'une échéance programmée à 2020 est satisfaisante. Cette réforme réorientera le développement agricole vers plus de durabilité. Les exploitations agricoles devront davantage protéger l'environnement.
Les avancées vers plus de régulation doivent être soulignées. Je vous fais part des inquiétudes des producteurs laitiers. L'Union européenne serait bien inspirée de revenir à plus de régulation ; même les États-Unis le font !
Vous avez déjà annoncé des mesures pour les filières d'élevage et les industries agro-alimentaires, il vous appartient désormais de transposer les orientations décidées par l'Union européenne dans la loi d'avenir que nous examinerons en 2014 avec enthousiasme et conviction. (Applaudissements à gauche et au centre)
M. Gérard Le Cam . - Ce débat intervient dans le cadre des négociations de la PAC, avant la fin de la présidence irlandaise. On a réussi à déboucher sur un consensus avant cette échéance, même s'il s'agit d'un consensus mou et que les États et les institutions européennes achoppent toujours sur un certain nombre de sujets. Il ressort des informations assez vagues que nous avons eues une profonde déception et une inquiétude certaine quant au devenir de l'agriculture française et européenne. L'austérité, l'ultralibéralisme, la dérégulation ont pris le pas, malgré l'importance stratégique, tant alimentaire qu'économique, des activités agricoles. On le voit aussi avec le mandat donné à la Commission européenne pour négocier un accord de libre-échange avec les États-Unis.
Nous avions demandé que l'agriculture soit extraite de ce mandat. La commission des affaires économiques nous a opposé une fin de non-recevoir. Même la FNSEA y voit « un accord contraire à l'agro-écologie ». Le fait est qu'il risque d'avoir pour conséquence des importations accrues de viande américaine. A Bruxelles, les effets de la libéralisation des marchés agricoles inquiètent. Certains pays, dont le nôtre, essaient de maintenir des garde-fous. C'est le cas pour la gestion des vignes. Le secteur viticole est une richesse pour notre pays.
M. Roland Courteau. - Exactement !
M. Gérard Le Cam. - Nous ne sommes pas satisfaits par la réforme qui se dégage. Il importe de maintenir les outils de régulation de l'offre. Nous contestons la fin annoncée des quotas laitiers et sucriers. Le rendez-vous de 2019 relativise l'équité et la solidarité, qui devraient prévaloir dans le cadre d'une vraie PAC.
Combien d'hectares seront-ils concernés par la prime annoncée ? Les jeunes agriculteurs rencontrent des difficultés à s'installer. C'est encore plus vrai pour les agriculteurs « bio ». J'insiste sur l'élevage, où des milliers d'emplois risquent de disparaître. Il est urgent de faire cesser le dumping social en Europe. Notre collègue Bocquet a mis en évidence l'importance du phénomène du détachement qui fait des « travailleurs low cost ». Depuis 2004, le secteur agricole a connu une augmentation du nombre de salariés détachés plus forte que le bâtiment ou l'hôtellerie : 1 003 % ! Cette distorsion de concurrence sur le dos des travailleurs aura causé à notre filière porcine une perte annuelle de 125 millions d'euros.
Nos éleveurs dénoncent également les problèmes d'étiquetage et réclament une simplification administrative pour les procédures appliquées aux installations classées d'élevage. Ils s'inquiètent aussi des conséquences sur l'emploi de la végétalisation de l'agriculture.
Nous sommes d'autant plus inquiets pour l'avenir de notre agriculture que les négociations en cours sous la tutelle du ministère du commerce extérieur pourraient bien remettre en cause les quelques avancées que vous avez gagnées. (Applaudissements sur les bancs CRC)
M. Jean-Jacques Lasserre . - Ce débat est fondamental, même s'il arrive un peu tard. Tous les jours, dans nos départements, on nous parle de la PAC, dont la France est la première bénéficiaire. En 2010, elle a reçu 19 % de l'ensemble des crédits. Elle en est aussi le plus gros financeur, avec 21,9 milliards.
Notre situation doit être protégée. Le nouveau budget de la PAC s'élève à 373 milliards d'euros pour les six années à venir, en baisse de 7,3 %. C'est dans la traduction nationale que tout va se jouer.
La convergence externe et interne devra conduire à plus de justice, même si seul un accord sur la convergence externe a été conclu. Nous restons attachés à la petite et moyenne exploitation. Il est nécessaire d'éviter le départ des agriculteurs, tout en préservant notre patrimoine national. Utilisez toutes les mesures disponibles pour préserver ces exploitations.
La filière chevaline n'est pas abordée... (Exclamations ironiques sur les bancs socialistes) Elle est une activité essentielle dans certaines zones de montagne.
Une agriculture éco-responsable est souhaitable. Notre groupe a déposé une proposition de résolution sur le droit européen des consommateurs. Mais ne tombons pas dans les clichés, regardons objectivement la contribution de nos agriculteurs à la qualité de l'environnement. Ils sont en vérité les véritables protecteurs de l'environnement. Pensez à l'évolution de la nature dans les zones de grandes déprises agricoles.
M. Daniel Raoul. - Très bien !
M. Jean-Jacques Lasserre. - L'assolement n'est pas possible partout. Dans certains départements, la culture du maïs n'a pas de substitution.
Autres sujets liés qui me tiennent à coeur, les indemnités compensatoires de handicaps naturels et la prime herbagère agro-environnementale, importantes pour les zones de montagne. Je pense aussi aux jeunes agriculteurs. Certaines avancées peuvent être saluées, comme l'obligation de majoration des paiements directs du premier pilier pour les jeunes installés dans tous les États membres. Encore faut-il que la France applique le taux de majoration maximum pour les jeunes dans le premier pilier et augmente le montant des aides à l'installation dans le second.
Nos fonctionnaires régionaux et départementaux auront besoin d'une plage de responsabilités et d'initiatives. L'application aveugle et rigide des dispositifs européens devient insupportable au regard des situations sur le terrain. (Applaudissements au centre et à droite)
M. Alain Bertrand . - Le Gouvernement s'est mobilisée pour défendre cette politique européenne essentielle. La compétitivité semble avoir été privilégiée par rapport à l'environnement. Il est normal que ceux qui bénéficient de prix mondiaux très favorables ne touchent plus des subventions aussi massives...
M. Roland Courteau. - Absolument !
M. Alain Bertrand. - Je salue les avancées en faveur des zones de montagne. L'élevage traverse une crise exceptionnelle. J'ai failli tomber de la chaise en constatant que même la FNSEA en vient à soutenir les éleveurs ! (Sourires) Leur métier mérite une reconnaissance. La cause de l'élevage, c'est celle de la ruralité, de la vie des campagnes, qui forment 80 % de notre territoire.
M. Roland Courteau. - Exactement.
M. Alain Bertrand. - L'Europe doit mener une politique plus volontariste. La PAC a été préservée, ce qui était loin d'être acquis. Vous avez raison de favoriser les exploitations riches en emplois. Les GAEC se réjouissent de leur reconnaissance européenne.
Une fois déterminées les enveloppes nationales, il vous appartiendra, monsieur le ministre, de les distribuer conformément à l'intérêt général. Certaines exploitations reçoivent des montants choquants, alors que les petites exploitations peinent.
Quelles sont les perspectives des taux de refinancement des aides du deuxième pilier ? Il ne faudrait pas que l'on s'achemine vers une renationalisation de la PAC.
L'ensemble du RDSE salue votre action et les avancées que vous avez obtenues ainsi que votre priorité donnée à l'élevage et à la vie de nos campagnes. (Applaudissements à gauche)
M. Yannick Botrel . - Les discussions européennes sont parvenues à leur terme. Le trilogue peut paraître lourd, mais c'est un progrès incontestable de la démocratie représentative.
M. Jacky Le Menn. - Très bien !
M. Yannick Botrel. - Depuis le printemps 2008 et la crise laitière, la situation est de plus en plus difficile. Les distorsions au sein même de l'Europe sont inacceptables. Tous les agriculteurs éprouvent des difficultés et, parfois, de la désespérance. La France a obtenu le maintien du budget de la PAC. C'est au Gouvernement que nous le devons. La PAC précédente a été la source d'inégalités souvent dénoncées.
La majoration des aides aux cinquante premiers hectares, qui bénéficiera aux petits et moyens producteurs, est une bonne mesure. Le couplage est pertinent. Nous souscrivons à la mesure prise en faveur des jeunes agriculteurs, dont les coûts d'installation ne cessent de croître.
Le verdissement a fait débat. En Bretagne, les professionnels plaident pour une agriculture écologiquement productive. Les taux de nitrate dans les cours d'eau bretons ne cessent de baisser. Les attentes à l'égard de l'agriculture sont complexes. L'application des règles de la PAC, avec l'approche tatillonne de l'administration française, a abouti à la destruction du bocage.
Monsieur le ministre, quelle est votre vision de l'avenir de l'installation ?
L'Europe doit se donner les moyens de continuer à agir en faveur de ses productions. L'abandon des restitutions a été annoncé de longue date. En Bretagne, deux abattoirs sont menacés de fermeture, alors même que s'engage le programme régional de rénovation des bâtiments. Les risques d'effondrement de pans entiers de l'économie régionale ne sont pas négligeables. La filière pourrait être déstabilisée par d'importantes destructions d'emplois.
Vous avez obtenu des résultats significatifs. Reste à mettre en oeuvre ces moyens. (Applaudissements à gauche, M. Jean Arthuis applaudit aussi)
Mme Renée Nicoux, coprésidente du groupe de travail sur la réforme de la PAC . - Je me félicite de ce débat. En mai dernier, nous avons adopté une résolution européenne. La gestion des moyens budgétaires de la PAC revient périodiquement.
L'accord du 8 février 2013 sur le cadre financier pluriannuel 2014-2020 réduit de manière substantielle l'enveloppe globale du budget européen pour la prochaine période. Mais l'agriculture ne subira pas la saignée redoutée : les dépenses agricoles de l'Europe seront stabilisées en euros courants à leur niveau de 2013, dans le cadre d'un budget européen historiquement faible, avec des crédits de paiement représentant à peine 0,95 % du PIB communautaire.
Pour la France, l'enveloppe allouée de 56 milliards d'euros sur la période, premier et deuxième piliers confondus, est très proche de la somme obtenue sous la période précédente grâce à un bonus de près d'un milliard d'euros obtenu in extremis sur le deuxième pilier.
La future PAC devrait être plus juste, plus verte, plus efficace. Le projet qui nous est présenté aujourd'hui est loin d'être révolutionnaire. Félicitons-nous de la répartition plus équitable. Il n'est plus possible de justifier le maintien d'écarts trop important entre les agriculteurs.
Le Sénat soutient le verdissement du premier pilier, tout en demandant des précisions sur le non-retournement des prairies permanentes, qui inquiète les éleveurs.
La majoration des aides pour les jeunes agriculteurs est une avancée majeure. Nous défendons une plus grande ambition régulatrice, combat de longue haleine avec une commission marquée depuis vingt ans par une orientation libérale.
Pour autant, la réforme de la PAC confirme le démantèlement en 2017 des quotas sur le sucre, la fin de la régulation de la production laitière et le maintien de filets de sécurité à un niveau bas. Nous avons engagé une réflexion sur l'activation contra-cyclique de la PAC, à l'image de ce que font les États-Unis qui interviennent davantage en cas de crise. Certains de nos partenaires, hélas, ne voient dans les produits agricoles que des produits comme les autres. La bataille sera rude.
Reste une étape importante : les déclinaisons nationales au sein des deux piliers. Mettre l'accent sur l'élevage est essentiel partout où nous disposons de marges de manoeuvre. Vous avez fait avancer les choses et nous comptons sur vous pour une mise en oeuvre efficace de cette nouvelle PAC. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. Gérard César, coprésident du groupe de travail sur la réforme de la PAC . - Notre résolution de mai dernier a fait consensus, je n'y reviens pas. Mais je veux m'attarder sur le sort de la viticulture.
M. Roland Courteau. - Très bien !
M. Gérard César, coprésident du groupe de travail sur la réforme de la PAC. - Malgré une baisse de la production de 15 % en 2012, nous restons le premier pays producteur de vin. Le secteur dégage un excédent de près de 10 milliards en 2012 et nos succès à l'exportation sont réels. Mais la suppression des droits à plantation constitue une réelle menace. Le groupe d'experts de la Commission européenne a travaillé en 2012 pour proposer un nouveau dispositif. Il a fallu être vigilant. L'accord du trilogue nous rassure largement, sachant que des marges de manoeuvre restent aux États pour fixer des taux inférieurs à 1 % par bassin de production.
Les aides sectorielles jouent un rôle essentiel et nous entendons les défendre, alors que nous risquerons de perdre 40 millions de crédits non dépensés. Pouvez-vous, monsieur le ministre, nous en dire plus sur ce point ?
Le Sénat est attaché à la politique de développement rural. Le taux de cofinancement communautaire du deuxième pilier augmente, mais la question du taux de soutien aux RUP reste en suspens. Quid, enfin, des indemnités compensatoires de handicap pour certaines régions ? Un nouveau zonage est prévu pour 2018, mais les États peuvent procéder à un lissage sur plusieurs années ; un supplément de 10 % des surfaces est aussi possible.
Le deuxième pilier pourra être utilisé pour la rénovation des bâtiments d'élevage. C'est un point important. Le verdissement obligera à définir plus strictement l'aide à l'herbe. Le deuxième pilier pourra aussi être mobilisé pour la gestion des risques, dont l'assurance récolte, qui exigera des crédits nationaux à même hauteur, et la réassurance publique. L'aide aux jeunes agriculteurs est l'avenir, sachant que l'élevage risque de décliner faute de combattants. Il faudra jeter toutes nos forces dans la bataille car l'accès au foncier et le financement du capital relèvent de mesures nationales : nous espérons de vous, monsieur le ministre, des réponses positives. (Applaudissements sur les bancs UMP)
M. Stéphane Le Foll, ministre . - Une fois le cadre européen défini, la négociation pour la répartition des aides va s'engager.
Sur la question de l'installation, si l'on retient des aides sur les crédits du premier pilier, ce sont autant de crédits retirés de l'enveloppe globale. C'est pourquoi nous avons prévu un maximum de 2 % du premier pilier, soit, tout de même, 120 milliards d'euros. Pour les aides aux cinquante premiers hectares, j'entends aller au maximum, 60 %. Pour la convergence, il faut arbitrer -le débat doit avoir lieu. Je vais entamer les négociations avec les organisations professionnelles, à la suite de quoi le Parlement sera saisi. Pour les zones défavorisées, les 10 %, monsieur César, nous permettent de couvrir les mêmes zones qu'auparavant. Sur la compensation du handicap, le plafond a été levé, mais, encore une fois, l'enveloppe globale reste ce qu'elle est. Je pense à la Bretagne, avec la question de l'agro-développement. Si des abattoirs ferment, c'est que la production baisse : il faut la stabiliser. Pour les établissements classés, nous devons faire un effort pour le remplacement des anciennes porcheries. Sur cet objectif de double performance, écologique et économique, on doit trouver des accords.
Plusieurs de nos voisins, dont l'Allemagne et la Grande-Bretagne, ne veulent pas de plafonnement. Mais, pour la première fois, il y aura dégressivité des aides. C'est un facteur de redistribution, avec la prime aux cinquante premiers hectares.
Pour que la redistribution n'ait pas lieu au sein du seul élevage, il faut trouver des mécanismes, rééquilibrer les aides, oui, mais sans déséquilibrer les filières.
Les quotas laitiers ? Certes, ils vont disparaître. Mais le débat s'ouvrira en septembre. Laissera-t-on chacun partir sur les marchés internationaux, au risque, en cas de baisse des exportations, de voir tout le monde revenir sur le marché européen -avec la crise qui s'en suivra ? Sur la question des protéines, l'ajout des 2 % est une possibilité nouvelle, toujours dans le cadre de l'enveloppe. Les légumineuses sont éligibles.
Les négociations avec les États-Unis... Dans le mandat sur l'accord à venir, on a beaucoup parlé de l'exception culturelle, mais nous nous battons aussi pour l'agriculture, notamment pour défendre les appellations d'origine et les indications géographiques -sur quoi d'autres pays commencent à nous rejoindre. En Europe, nous avons là-dessus, avec les États-Unis qui défendent avant tout des marques, une différence fondamentale de conception.
Vu la sous-consommation des crédits en matière vitivinicole, la profession demande que les avances puissent être plus importantes. Mais la Commission bloque. J'ai demandé au président de la République que la question soit débloquée lors du sommet européen, et j'espère que nous pourrons aboutir.
Merci de vos interventions de qualité, comme toujours. J'espère qu'à l'heure des choix, une belle majorité s'exprimera. (Applaudissements sur les bancs socialistes et RDSE)
Débat interactif et spontané
M. Jean-Jacques Mirassou . - Les revenus des éleveurs sont notoirement inférieurs à ceux des céréaliers, ainsi que vous l'avez rappelé. Dans les Pyrénées-Atlantiques, le Tarn, les Hautes-Pyrénées et la Haute-Garonne, le pastoralisme participe à l'aménagement du territoire par la valorisation des paysages ; et sa dimension culturelle ne doit pas être négligée. Les représentants de ces éleveurs, malmenés récemment par les conditions climatiques et qui ont parfois perdu leur outil de travail -les pâturages étant recouverts de boues ou de pierres- en même temps que leur possibilité d'accès aux estives, demandent un assouplissement de la réglementation européenne. Comment entendez-vous les tirer de cette situation de détresse ?
M. Stéphane Le Foll, ministre. - Les dégâts liés aux inondations sont majeurs. Les dérogations sur les mesures agro-environnementales seront données ; le travail est en cours pour assurer l'accès aux estives. Sur les primes herbagères aussi, et la compensation du handicap. Tout le calendrier sera revu.
M. Gérard Bailly . - Président du groupe d'étude sur l'élevage, je veux rappeler combien les charges des exploitations, liées à la réglementation comme à l'augmentation du coût des intrants, se sont accrues ces dernières années. Nous continuons à pratiquer des tests de dépistage de l'ESB là où nos concurrents les ont abandonnés. Et la future taxe carbone sur les transports inquiète. Sans compter que le budget 2014 de l'agriculture semble malmené.
Je suis pour une agriculture sociétariale. Des résultats ont été obtenus pour la reconnaissance des GAEC mais tous leurs membres devraient être pris en considération pour les cinquante hectares. Il faut aussi tenir compte des zones de montagne, en difficulté.
Comment admettre, enfin, la distorsion de concurrence que nous inflige l'Allemagne ? Comment nos éleveurs, nos maraîchers, nos arboriculteurs peuvent-ils lutter contre des concurrents qui payent leurs salariés jusqu'au tiers des salaires payés chez nous ?
M. Stéphane Le Foll, ministre. - Sur cette dernière question, je rappelle que l'initiative revient aux États ; les choses n'ont guère bougé depuis dix ans... Il faut en effet revoir la directive Détachement. En Allemagne, le débat a été ouvert sur le salaire minimum par le SPD, la chancelière Merkel ne l'a pas fermé... J'espère que le dossier va avancer. C'est aussi l'absence de convention collective dans certains secteurs qui pose problème.
S'agissant du budget 2014, mon objectif est que la part de l'effort que prend mon ministère ait le moins d'impact possible pour les agriculteurs. Il faut rechercher un équilibre entre politique nationale et politique européenne.
M. Claude Bérit-Débat . - Je m'associe à ceux qui ont salué les résultats de la négociation qui a été l'occasion, pour le Gouvernement, sous l'autorité du président de la République, de défendre notre modèle agricole en tenant compte des besoins des exploitants et des exigences du développement durable.
Les avancées sur l'élevage, sont marquantes. Comme pour les droits de plantation, demande forte des viticulteurs. Reste cependant, pour moi, une inquiétude liée à la question de l'Inao sur notre département. Vous m'avez assuré que vous veillerez à l'équilibre de sa présence territoriale, mais je veux vous dire combien le sujet est important pour mon département, ses viticulteurs et ses producteurs de fruits et légumes.
M. Stéphane Le Foll, ministre. - J'ai dit combien le Gouvernement était actif sur la question des appellations. Le sujet de l'Inao a mobilisé la Dordogne, le Maine-et-Loire, d'autres départements encore. Son directeur a présenté un projet de réorganisation. Il faut un équilibre entre efficacité de la gestion et présence dans les régions où les productions de qualité sont importantes. J'ai enregistré la demande, et je vais m'en occuper.
Mme Sylvie Goy-Chavent . - Élue de l'Ain, où l'agriculture compte plus de 5 000 exploitations, je veux saluer le travail des agriculteurs qui jouent un rôle majeur pour le développement territorial et le rayonnement de la France. Une part des mesures proposées dans le réforme de la PAC va dans le bon sens, comme l'obligation de majoration des paiements directs pour les jeunes installés ou la possibilité pour les États de mettre en place des aides couplées à hauteur de 13 % du montant du premier pilier. Quand allez-vous appliquer ce taux de majoration maximum pour les jeunes dans le premier pilier et augmenter le montant des aides à l'installation dans le second ?
Autre sujet, celui des GAEC, sur lequel vous avez avancé. Mais les inquiétudes sur le terrain restent grandes sur le niveau et le modèle de redistribution du soutien direct. La convergence à partir de 2015 serait une forme d'uniformisation par le bas et pourrait entraîner une baisse du soutien à l'hectare pour nos agriculteurs, en particulier les plus fragiles d'entre eux. On ne peut voir une DPU par hectare à 250 euros... On pourrait, à l'inverse, l'augmenter pour les cinquante premiers hectares quitte à la diminuer au-delà, par exemple de 300. Qu'en pensez-vous ?
M. Stéphane Le Foll, ministre. - L'installation requiert des moyens. Une politique à l'échelle européenne appuyée sur le premier pilier est désormais possible. Nous utiliserons aussi le deuxième. Mais, encore une fois, l'enveloppe est contrainte. Nous nous sommes donné un objectif de 10 000 installations.
Sur les DPU, les cinquante premiers hectares ont un effet redistributif mais qui baisse au-delà des cent hectares, quelle que soit l'exploitation. L'objectif est de concentrer les aides là où c'est le plus nécessaire. Une UTA en élevage, c'est autour de 50 hectares ; en céréales, c'est 200...
M. Michel Le Scouarnec . - La France, avec une collecte de plus de 20 milliards de litres, est le deuxième producteur européen de lait. Les 30 centimes actuels ne suffisent pas à couvrir les coûts de production -et je ne parle pas de la volatilité des prix. Les quotas laitiers avaient l'avantage de maintenir les prix. Les laiteries poussent les producteurs à augmenter leurs volumes dans les zones de production intensive, là où les animaux se nourrissent davantage de farines que d'herbe, ce qui n'est pas sans conséquence sur la pollution et les émissions de gaz à effet de serre.
Les acteurs du Morbihan préconisent la révision du mode de fixation du prix pour éviter un décalage dans le temps du mode de calcul. Ils attendent des actes forts du Gouvernement pour consolider la filière. Quelles sont vos intentions ? Quelle nouvelle gouvernance pour l'après-quotas ?
M. Stéphane Le Foll, ministre. - Sur l'après-quotas, on n'a pas encore abouti. Certains pays ne veulent en aucun cas y revenir. On peut craindre de voir revenir la production excédentaire en Europe en cas de retournement du marché international. Nous essayons, dans ce débat, de trouver des alliés, d'arriver au débat de septembre avec une plate-forme.
Sur la question des prix, la modification de la loi de modernisation de l'économie, votée à l'Assemblée nationale, intègre l'évolution des coûts de production, ce qui doit éviter l'effet de ciseaux habituel. Nous allons revoir les contrats laitiers, pour y intégrer des clauses de sauvegarde et des mesures spécifiques pour les jeunes. L'organisation de la filière pourrait aussi être plus transversale. Vous savez qu'un médiateur a été nommé, les 25 euros pour 1 000 litres sont actés ; mais j'entends qu'il y a des problèmes d'application avec des coopératives...
M. Jean-Claude Lenoir. - Je le confirme !
M. Stéphane Le Foll, ministre. - Cela vaut aussi pour la production caprine et les 60 euros pour 1 000 litres... Le ministère s'est engagé dans une discussion globale. Nous allons appliquer le même système de médiation pour le porc. (Applaudissements à gauche)
M. Yvon Collin . - L'accord du 26 juin amorce une redistribution plus équitable des aides entre régions et entre exploitants. Il fallait mettre fin aux effets d'aubaine au profit des gros agriculteurs, qui ont délégitimé la PAC.
Mais je m'inquiète du manque de régulation de la production laitière, qui a beaucoup souffert ces dernières années. Une conférence sur l'après-quotas doit se tenir en septembre. Avez-vous déjà, monsieur le ministre, quelques pistes pour l'après-2015 ?
M. Stéphane Le Foll, ministre. - Je l'ai dit, nous nous efforçons de trouver des alliés pour aborder la discussion européenne en position de force. Nous avons mis en place un médiateur, modifié la LME. Nous entendons aussi améliorer la contractualisation -qui doit aussi s'appliquer aux coopératives.
La période est difficile à gérer pour les agriculteurs, fin annoncée des quotas, volatilité des prix liée à la mondialisation, régulation difficile. D'où la nécessité de construire un cadre qui donne aux producteurs plus de visibilité et de stabilité.
M. Gérard César . - Il est inacceptable que les pouvoirs publics condamnent la consommation de vin au motif qu'elle serait dangereuse. De l'interdiction de la publicité à la fiscalité dite comportementale, tout y est. Et c'est un secteur dynamique qui est fragilisé... C'est de manière pragmatique et responsable qu'il faut aborder la question avec les professionnels, pour une consommation responsable. Le vin n'est pas responsable du phénomène de binge drinking...
A Vinexpo, vous avez entendu les inquiétudes liées aux mesures de rétorsion dont nous menace la Chine. Certains importateurs chinois ont déjà pris des mesures coercitives contre des viticulteurs bordelais. Que compte faire le Gouvernement pour soutenir la filière ?
M. Stéphane Le Foll, ministre. - J'ai dit ce que je pensais de la fiscalité comportementale : je n'y suis pas favorable. (« Très bien ! » à droite) Il n'y a pas de binge drinking avec le vin, un élément qualitatif incontournable. (« Très bien ! » et applaudissements à gauche) Si on est attaché à la viticulture, à la qualité, à la marque France, il faut assumer.
Sur la question chinoise, il faut d'abord que l'Europe parle d'une seule voix. La Chine, en annonçant des mesures de rétorsion sur les voitures, après le vin, a fait un appel du pied. La négociation est possible. En tout cas, nous nous mettons en ordre ; il n'y a évidemment pas de dumping sur le vin.
M. Roland Courteau . - L'accord du trilogue sur le maintien du système de régulation des plantations de vigne jusqu'en 2030 nous satisfait ; l'erreur de 2008 est enfin réparée. Le groupe d'étude du vin du Sénat et l'Anev s'en réjouissent. Je salue l'action du Parlement européen et l'appui de nos commissions des affaires économiques et européennes. Nous vous avons alerté, vous nous avez écoutés et avez agi avec succès.
Les aides à l'hectare sont indispensables pour la survie de la viticulture dans certains départements, où la vigne est le dernier rempart avant la friche. Quelques mesures envisagez-vous ? Le recours à l'article 38 ? Les aides agro-environnementales du deuxième pilier ? Sur l'Inao, nous vous faisons confiance.
M. Stéphane Le Foll, ministre. - L'accord a été obtenu grâce à l'appui du Sénat et de l'Assemblée nationale, ainsi que du Parlement européen. L'union fait la force.
Le sujet des aides à l'hectare pose un certain nombre de problèmes. Si on donne des aides, il faut les donner à tous les vignobles, pas seulement à ceux de la Méditerranée, jusqu'en Champagne ou à Bordeaux ! (Mouvements divers) Et ces aides permettraient-elles de faire face à la crise ? Je n'en suis pas sûr. L'organisation commune de marché vitivinicole est donc, pour moi, la solution, à condition que ceux qui en ont le plus besoin en profitent le plus... C'est le moyen de reconquérir le marché européen et de se positionner sur les marchés émergents. J'ai vu ce que les viticulteurs du Languedoc-Roussillon ont fait pour améliorer la qualité de leurs productions, pour exporter. Nous avons des atouts. Il s'agit de leur donner essor.
M. Jean Boyer . - La montagne, ce ne sont pas seulement les grandes espaces, ce sont aussi les pâturages et les éleveurs -dont je fus. L'agriculture de montagne a des atouts mais aussi des handicaps.
Demander la compensation des handicaps géographiques et climatiques n'est pas aspirer à un quelconque privilège. Les organisations agricoles demandent d'activer au maximum le couplage et de mener une politique ambitieuse pour les zones défavorisées, de simplifier et de définir une politique européenne cohérente. Il y a le vouloir et le pouvoir. L'agriculture de montagne peut-elle espérer, monsieur le ministre ? (Applaudissements sur les bancs RDSE et au centre)
M. Stéphane Le Foll, ministre. - Elle est reconnue. Il sera tenu compte de l'occupation du territoire. Des aides comme la prime nationale à la vache allaitante seront intégrées au niveau européen. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. François Fortassin . - Au moment du Grenelle II, j'ai fait voter un amendement à l'unanimité, indiquant que les ruminants doivent être nourris à l'herbe. (« Très bien ! » à droite) S'il avait été appliqué à l'époque, point de vache folle ! Une vache ne s'y trompe pas : entre l'herbe du pré et le contenu de son auge, elle n'hésite pas.
M. Stéphane Le Foll, ministre. - Vous avez cette passion de l'herbe... (sourires) et de la prairie. Je la partage ! Le verdissement de la PAC va dans ce sens. Après votre amendement, vous avez obtenu satisfaction : dans les 30 % consacrés au verdissement doit est incluse la préservation des prairies permanentes et des herbages. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. Jean-Claude Lenoir . - Les éleveurs de l'Ouest sont inquiets. Soyez très ferme sur la convergence, qui aura un impact très négatif. Dans mon département, cela signifie 30 % en moins sur les DPU dans les années qui viennent.
Les responsables du monde de l'élevage lancent un cri d'alarme. Dans le recouplage, donnez la priorité à l'élevage ! Entendez les manifestants du 23 juin. C'est toute la filière qui est menacée. Moins de bêtes, c'est moins de travail dans les abattoirs. Quel est votre message aux éleveurs, monsieur le ministre, pour qu'ils retrouvent espoir ? (Applaudissements à droite)
M. Stéphane Le Foll, ministre. - Au titre de la convergence, la Commission européenne proposait un transfert du grand ouest vers la Méditerranée. Les céréaliers n'étaient pas touchés. Pour éviter une perte majeure pour les élevages laitiers, nous avons instauré cette étape des cinquante premiers hectares.
Il faut limiter les pertes pour les DPU, afin que les petites surfaces ne soient pas pénalisées. La limitation des handicaps concerne aussi la Normandie. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. Jean Arthuis . - La PAC fait peser de lourdes menaces sur l'élevage. Céréaliers et éleveurs ne jouent pas dans la même cour. Les céréaliers interviennent sur un marché mondial où les cours sont en hausse ; les éleveurs sont soumis à l'impérialisme de la grande distribution, qui tire les prix vers le bas. Mais notre compétitivité est en cause. L'heure d'ouvrier en Mayenne coûte 10 euros de plus qu'en Allemagne, qui nous a dépassé dans toutes nos productions ! Il est essentiel qu'un salaire minimum s'impose en Allemagne.
Mais la France ne peut attendre de l'Europe qu'elle mène les réformes structurelles qui lui incombent au premier chef, comme la suppression des 35 heures ou la TVA sociale. Les éleveurs ont besoin de perspectives claires. (Applaudissements au centre)
M. Stéphane Le Foll, ministre. - Les 35 heures, en agriculture...
M. Jean-Paul Emorine. - C'est 70 heures !
M. Stéphane Le Foll, ministre. - Le CICE s'applique aux industries de main-d'oeuvre, dont les abattoirs font évidemment partie. Personne ne nie le problème de compétitivité.
Sur le « clivage » élevage-céréales, il est vrai qu'il y a un désavantage en rentabilité et en production au détriment de l'élevage, même si le lait est aussi soumis à un marché international. Cela dit, je ne me plains pas de ce que le marché des céréales se porte bien. Il faut compenser et rééquilibrer. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. Robert Tropeano . - La réforme de l'OCM vitivinicole a inquiété l'ensemble de la filière. Les élus des territoires concernés sont fortement mobilisés. Monsieur le ministre, grâce à votre volontarisme, l'Europe est revenue sur sa décision. Pouvez-vous nous en dire plus sur l'évolution de nos structures de régulation ? Quelle sera la gouvernance ? La gestion des autorisations ne pourrait-elle être assurée par les services des Douanes ?
M. Stéphane Le Foll, ministre. - Je répète que je ne puis faire d'exception pour le Languedoc. Il nous faut une stratégie globale. Pour la gouvernance, elle s'organisera autour de FranceAgrimer et de son conseil spécialisé.
M. Jean-Luc Fichet . - Les emplois agro-alimentaires sont menacés en Bretagne. J'ai visité un abattoir de volailles moderne, avec de bonnes conditions sociales. Le conseil d'administration m'a demandé rendez-vous parce qu'ils se sentent menacés par les restitutions.
La production porcine est limitée par la question des ZES (zones d'excédents structurels). Soyons vigilants sur l'environnement, en raison du problème des algues vertes, mais levons quelques verrous !
M. Stéphane Le Foll, ministre. - J'ai une stratégie : allons vers la prise en compte de l'azote total. Il est impensable qu'en situation d'excédent d'azote animal, la Bretagne continue à acheter de l'azote minéral. La question écologique doit être intégrée mais elle doit aussi être envisagée de façon dynamique. Je comprends que les fermetures successives de Doux et Gad pèsent sur le moral des Bretons ; c'est pourquoi je m'en tiens à cette stratégie globale.
M. Daniel Dubois . - Je reviens sur le problème de la compétitivité. La PAC compense les handicaps, certes, mais l'agriculture française recule dans la compétition mondiale, même si, heureusement, pour l'instant, nos exportations ne sont pas en cause. Comment sauvegarder la compétitivité de notre agriculture ?
M. Jean-Louis Carrère. - Vaste question !
M. Stéphane Le Foll, ministre. - On ne va pas sauvegarder sa compétitivité comme cela, c'est compliqué. Il y a la compétitivité coûts et hors coûts, la stratégie de qualité, la production d'appellations... Les abattoirs, c'est de l'agriculture ?
M. Daniel Dubois. - Quand même !
M. Stéphane Le Foll, ministre. - Non, de l'industrie ! les 35 heures concernent les salariés. Pour la compétitivité coûts, il a fallu attendre que ce gouvernement crée le CICE. Je suis là pour garantir la compétitivité de notre agriculture, pour l'aider à développer toutes ses potentialités, pour valoriser tous ses atouts.
M. Philippe Bas . - J'étais avec les éleveurs de mon département sur le pavé parisien, il y a quelques jours. Ils sont très inquiets. Sur les négociations européennes, ils sont pragmatiques : ils savent qu'elles sont difficiles mais ils voient que les résultats ne sont pas à la hauteur des attentes.
La situation des producteurs de lait est plus difficile encore qu'en 2008 et 2009 en raison de la dégradation de leurs comptes d'exploitation. La loi d'orientation agricole devra mieux encadrer la répartition des marges.
M. Jean-Louis Carrère. - Que ne l'avez-vous fait plus tôt ? Vous découvrez les effets du libéralisme ?
M. Stéphane Le Foll, ministre. - Tout cela ne date pas d'hier ! J'espère que les prises de position des socio-démocrates allemands infléchiront les positions de Mme Merkel.
Nous avons fait ce qu'il fallait pour maintenir le budget pour la France, avec une légère baisse tout de même.
Sur le premier pilier, on a touché, en 2013, 8 milliards d'euros. Entre 2014 et 2020, on touchera 7,7 milliards.
Sur le deuxième pilier, l'année de référence 2013 nous a rapporté 1,3 milliard. Et, en moyenne, entre 2014 et 2020, nous toucherons 1,4 milliard d'euros. Au total nous passerons de 9,3 à 9,1 milliards par an. Nous avons sauvé l'essentiel. Reste à répartir intelligemment. (Applaudissements à gauche)
M. Jean-Claude Requier . - Alain Bertrand a salué à juste titre la réforme de la PAC et l'action du Gouvernement et du président de la République. J'exprime les réserves du groupe RDSE pour l'insuffisante régulation : « des prix, pas des primes » demandent les agriculteurs. Tous les grands producteurs, à l'instar des États-Unis, ont déployé des filets de protection efficaces pour leurs agriculteurs. La disparition des quotas laitiers en 2015 nous inquiète. La contractualisation doit être adossée à des mesures de gestion de l'offre, avec des accords.
M. Stéphane Le Foll, ministre. - On peut considérer à juste titre que la régulation est insuffisante. L'OCM du marché unique est imparfaite. J'aurais souhaité aller plus loin. Mais il fallait trouver des majorités, y compris au Parlement européen. Demeure néanmoins une base sur laquelle s'appuyer pour éviter des déstabilisations. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
Le débat est clos.