Offre alimentaire en outre-mer
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à garantir la qualité de l'offre alimentaire en outre-mer.
Discussion générale
M. Victorin Lurel, ministre des outre-mer . - Cette importante proposition de loi de santé publique et d'égalité vise à mettre un terme à des pratiques discriminantes. Depuis des années, des aliments vendus outre-mer sont surdosés en sucre, notamment les boissons et les spécialités laitières, ce qui a des effets désastreux sur la santé, avec à la clé une prévalence du diabète et de l'obésité outre-mer.
Depuis des années, les industriels prennent pour argument que les Ultramarins seraient naturellement friands en sucre... Il y a deux ans, l'Assemblée nationale, malgré de multiples enquêtes et preuves, avait rejeté ma proposition de loi à quelques voix près, alors que nous voulions simplement que les taux de sucre soient alignés sur ceux pratiqués dans l'Hexagone. Les arguments ont été les mêmes pour cette proposition de loi : une charte de bonne conduite suffirait ou un décret, d'autant que ce domaine serait réglementaire. Pourtant, rien n'a été fait depuis 2011.
Il y a quelques semaines, quelques chartes ont certes été signées mais les pratiques ont, dans l'ensemble, perduré. Ce texte s'impose donc, d'autant qu'il a été amélioré grâce aux parlementaires. Il ne vise plus seulement à réguler les taux de sucre mais porte aussi sur l'amélioration de l'offre alimentaire outre-mer. En effet, les dates de péremption pour les denrées périssables sont plus longues outre-mer, ainsi en est-il pour les yaourts. Plus de 300 produits frais sont concernés par ces prolongations de dates limites. La date limite de consommation du reblochon est fixée à 35 jours dans l'Hexagone, contre 70 outre-mer. Pour le gruyère râpé, l'écart va de 40 jours à 180 !
Cela pose aussi la question du gaspillage alimentaire, s'il faut en déduire que les dates de péremption seraient trop rapprochées dans l'Hexagone, afin d'inciter à jeter des tonnes de produits non périmés. On peut évoquer la destruction créatrice de Schumpeter, ou l'emploi, mais un débat public mérite d'avoir lieu.
Enfin, les collectivités doivent tenir compte des critères de performances en matière d'approvisionnement direct dans l'attribution des marchés de restauration collective, cantines scolaires, hôpitaux ou restaurants d'entreprise. Il s'agit ainsi de favoriser les producteurs locaux et les circuits courts.
Une meilleure qualité nutritionnelle dès le plus jeune âge est en effet souhaitable. Je salue le travail remarquable du Sénat, notamment la présidente et le rapporteur de la commission des affaires sociales. Je forme le voeu que ce texte soit adopté rapidement. (Applaudissements à gauche)
M. Michel Vergoz, rapporteur de la commission des affaires sociales . - En matière alimentaire, les consommateurs ultramarins sont frappés par deux inégalités. La première concerne les teneurs en sucre : 27 à 50 % de plus de sucre ajouté pour certains yaourts distribués localement ! Les industriels invoquent ce qu'ils appellent le « goût local ». Or il faut limiter les teneurs en sucre pour éviter le surpoids et l'obésité chez les enfants, le diabète, les troubles musculo-squelettiques, les maladies cardio-vasculaires. Selon l'AFSA, le régime alimentaire sucré a « des effets délétères sur la santé de certaines catégories de la population ». Plusieurs organismes prônent une réduction des sucres ajoutés. En 2004, l'OMS a demandé de réduire la teneur en sucre des boissons et encas. Il fallait donc intervenir. La Guadeloupe et la Martinique comptent d'ores et déjà trois fois plus d'enfants obèses que l'Hexagone.
Les timides mesures qui ont été prises ces dernières années restent insuffisantes. Le programme national Nutrition Santé (PNNS), qui existe depuis 2001, et le plan Obésité ont fait l'objet de déclinaisons outre-mer mais les effets tardent à se faire sentir. Le PNNS encouragerait les industriels à améliorer la qualité nutritionnelle de leurs produits. Hélas, une seule charte a été signée...
Deuxième inégalité : la date limite de consommation (DLC). Quand elle est fixée dans l'Hexagone à jours à compter de la fabrication, le délai peut être porté à cinquante cinq jours pour le même produit commercialisé outre-mer. On sait pourtant que les produits microbiologiquement périssables sont susceptibles de présenter un danger immédiat pour la santé humaine.
La fixation d'une date plus éloignée répond à une préoccupation commerciale liée au fait que les délais de transport par bateaux sont importants. Du fait de la rupture de la chaîne du froid, la date limite de consommation devrait au contraire être plus rapprochée outre-mer ! Avec ce jeu sur la date limite de consommation, on fait une concurrence déloyale aux produits locaux.
La proposition de loi de M. Lurel avait été rejetée en octobre 2011, à neuf voix près. Ce nouveau texte porte plus largement sur la qualité de l'offre alimentaire outre-mer, et je m'en félicite. Applicable aux territoires visés par l'article 73 de la Constitution, il fixe les teneurs maximales en sucre pour certains produits. Dans le cas où la teneur en sucre des produits distribués dans l'Hexagone diminuerait, il en irait de même outre-mer, dans un délai de six mois. Les agents de la DGCCRF sont chargés du contrôle, ce qui appelle à augmenter les moyens de cette direction.
L'article 2 fixe un délai de transition de six mois à compter de la promulgation du texte. L'article 3 traite des dates de péremption qui ne doivent pas être plus longues outre-mer qu'en métropole. Pouvez-vous nous préciser qu'il s'agit bien des dates limites de consommation et non des dates limites d'utilisation optimale ? L'article 4 incite les entreprises de restauration collective à favoriser la qualité nutritionnelle des aliments qu'elles proposent.
Cette proposition de loi est un pas important pour l'amélioration de l'offre alimentaire pour les territoires ultramarins et l'égalité entre les consommateurs. La commission vous demande de l'approuver. (Applaudissements à gauche)
Mme Annie David . - Cette proposition de loi doit être abordée sous les deux angles de la santé publique et du pouvoir d'achat.
Les chiffres sont terribles : le nombre d'obèses est deux fois plus élevé outre-mer que dans l'Hexagone. Les femmes et les enfants sont particulièrement touchés. La conséquence en est une prévalence supérieure pour les pathologies associées -diabète, hypertension artérielle, maladies cardiovasculaires.
L'État a tenté d'endiguer ce phénomène avec le plan Obésité 2010-2013 et le PNNS 2011-2015, préconisant la réduction de la teneur en sucre ajouté. Hélas, rien n'a été fait. Un même produit d'une même marque comporte toujours plus de sucre s'il est destiné à l'outre-mer. Ces différences peuvent aller jusqu'à 50 %, au nom de l'appétence présumée des Ultramarins pour le sucre. Une approche qui frise le mépris... Au prétexte que l'outre-mer produit du sucre, les populations ultramarines consommeraient plus de sucre ?
En 2009, le PIB ultramarin était inférieur de 75 % au PIB de l'Union européenne. La question du pouvoir d'achat est donc cruciale. Outre-mer, une grande partie de la population vit avec des revenus bien inférieurs à ceux de la métropole, alors que le coût des produits alimentaires y est plus élevé.
Troisième injustice : comment justifier que les dates limites de consommation soient plus éloignées outre-mer qu'en métropole ? Vous avez cité le reblochon, monsieur le ministre : cette inégalité de traitement est d'autant plus inimaginable pour un tel produit.
Il reste beaucoup à faire contre le surpoids et l'obésité. L'article 4 vise à promouvoir les denrées issues des circuits courts. L'intention est louable mais le Grenelle I le prévoyait déjà, sans grands résultats...
Comme l'a souvent dit M. Vergès, la dépendance économique de l'outre-mer découle de l'histoire coloniale. Promouvoir la production locale ? Certes, mais il faut prendre en compte la situation géographique des outre-mer. Nous comptons sur votre action, monsieur le ministre, pour faire prévaloir la spécificité de ces territoires. (Applaudissements sur les bancs CRC)
M. Joël Guerriau . - Le texte traite de la teneur en sucre et des dates limites des produits alimentaires outre-mer. Il est de fait anormal que les teneurs en sucre soient supérieures outre-mer qu'en métropole. La « préférence locale » pour le sucre, invoquée par les industriels, laisse sans voix. La différence des dates limites de consommation est inadmissible.
Mme la garde des sceaux racontait n'avoir pas retrouvé en métropole le goût du gruyère de son enfance... qui picotait ! S'il doit y avoir une date de péremption différente, celle-ci devrait plutôt être moins éloignée outre-mer que dans l'Hexagone. C'est de la santé de nos compatriotes ultramarins qu'il s'agit !
L'obésité et le diabète sont plus répandus outre-mer que dans l'Hexagone, on l'a dit. Il y a toutefois comme un hiatus entre l'intitulé du projet de loi et son contenu, cantonné à la teneur en sucre et à la date limite de consommation. Sur ces deux sujets, le recours à la loi ne se justifie pas : soit il s'agit du taux de sucre et des dates de péremption, et c'est d'ordre réglementaire, soit le sujet est plus vaste et il faudrait un texte autrement plus ambitieux. Nous attendons une grande loi de santé publique traitant de la qualité alimentaire, qui a d'ailleurs été annoncée. La dernière loi de santé publique date de 2004 ; les choses ont évolué depuis. Où en est-on, monsieur le ministre ?
Nous attendons aussi une véritable réforme pour traiter dans leur globalité des problèmes qui se posent à l'outre-mer. (Applaudissements sur les bancs UDI-UC)
M. Jean-Claude Requier . - La qualité de l'alimentation devrait être un droit imprescriptible. D'ailleurs, nous avons adopté la semaine dernière en texte en ce sens. Il est intolérable que la teneur en sucre et les dates de péremption diffèrent outre-mer, où l'obésité et le surpoids ont des conséquences dramatiques sur la santé. Certes, la réduction de sucre dans les yaourts et les sodas ne règlera pas tout, il faudra aussi faire de la prévention. S'il est utile de voter cette loi, il est indispensable de prévoir des contrôles et des sanctions adaptées. Les chartes sont souvent des coquilles vides. Les agents de la DGCCRF doivent pouvoir intervenir, ce qui implique des moyens accrus. Le projet de loi relatif à la consommation renforce les sanctions contre les fraudes et élargit les pouvoirs de la DGCCRF. Je m'en réjouis.
Cette proposition de loi concerne désormais la qualité alimentaire outre-mer. Les dates limites de consommation devront être identiques outre-mer et dans l'Hexagone. La directive sur l'étiquetage doit être respectée. Les fabricants sont libres de fixer des dates à condition d'assurer des garanties alimentaires aux consommateurs. Mercredi dernier, nous avons examiné une proposition de résolution de nos collègues UDI-UC qui allait dans ce sens.
L'Assemblée nationale a ajouté à cette proposition de loi un article visant à favoriser les circuits courts dans la restauration collective. De fait, l'outre-mer ne consomme que 8 % des 80 000 tonnes de fruits et légumes qu'elle produit. Cet article contribue à garantir une offre alimentaire de qualité dans les cantines et les hôpitaux locaux. Il protège la santé de nos concitoyens et favorise l'économie locale : c'est une mesure de bon sens.
Cette proposition de loi mérite un soutien unanime. L'ensemble de membres du groupe du RDSE la votera. (Applaudissements à gauche)
Mme Aline Archimbaud . - Le sujet est grave ; notre groupe se réjouit qu'il soit traité. A chaque PLFSS, nous rappelons l'importance de la prévention et de la promotion de la santé publique.
Ce texte traite de l'inégalité dont sont victimes nos concitoyens ultramarins en matière alimentaire. Ainsi, dans l'Hexagone, le Fanta orange comporte 9,46 grammes de sucre pour 100 grammes ; le même soda en comporte 44 % de plus en Guadeloupe. C'est inqualifiable, d'autant que les sucres sont des causes bien connues de l'obésité, qui frappe tout particulièrement les Ultramarins. L'enjeu sanitaire est donc extrêmement important.
Je regrette que l'article premier prévoie qu'un arrêté interministériel détermine la liste des produits concernés. Nous craignons des retards, voire des blocages. Soyez vigilant, monsieur le ministre.
Mon groupe se félicite de l'article relatif aux dates de consommation, qui doivent être harmonisées dans un sens ou dans l'autre. Nous approuvons l'article concernant l'approvisionnement local des entreprises de restauration collective. L'enjeu est tel que le règlement n'aurait pas suffi : il fallait un vote du Parlement.
Nous attendons une grande loi de santé publique, mais il ne faudrait pas en tirer prétexte pour retarder l'adoption de cette proposition de loi. (Applaudissements à gauche)
M. Alain Milon . - (Applaudissements sur les bancs UMP) Cette proposition de loi pose une vraie question de santé publique. La lutte contre l'obésité est un enjeu majeur. Près de 7 millions de Français seraient obèses, deux fois plus qu'il y a quinze ans. Outre-mer, la situation est encore plus grave. L'obésité, qui est un problème comportemental, touche 15 à 20 % des adultes des DOM, 10 % des enfants, contre 3 % en métropole. Au total, un quart des enfants et adolescents et plus de la moitié des adultes sont touchés par la surcharge pondérale. Les conséquences sanitaires sont connues.
La situation exige une mobilisation renforcée ; il faut améliorer la qualité nutritionnelle de l'offre alimentaire, encourager nos concitoyens à modifier leurs comportements alimentaires, promouvoir de saines pratiques alimentaires. Avec la troisième édition du PNNS, la France s'est dotée d'une politique nutritionnelle ambitieuse. Il comprend un volet outre-mer et un plan Obésité. Le secteur de l'alimentation a d'ores et déjà fait des efforts : 33 chartes ont été signées par des centaines d'entreprises. Un programme national a été mis en place en 2010 pour encourager les acteurs à conclure des accords collectifs. Où en est-on ?
Cette proposition de loi vise à éviter qu'un produit de même marque soit plus sucré outre-mer qu'en métropole. Attention toutefois au risque de distorsion de concurrence entre les entreprises françaises et américaines. Il faut sensibiliser les populations pour modifier les comportements.
Le deuxième volet de ce texte traite des DLC. Que compte faire le Gouvernement pour empêcher que les entreprises européennes non françaises ne contournent l'interdiction des doubles DLC.
Troisième volet, la promotion des productions locales dans la restauration collective.
Nous attendons une grande loi de santé publique qui devra traiter, entre autres, de ces sujets. Le présent texte nous semble a minima pour atteindre les objectifs qu'il affiche. C'est pourquoi une grande partie du groupe UMP s'abstiendra. (Applaudissements sur les bancs UMP)
M. Thani Mohamed Soilihi . - Dans nos territoires d'outre-mer, certains produits sont bien plus sucrés qu'en métropole, sans que cela soit lié à des impératifs de conservation ; la prétendue appétence pour le sucre des Ultramarins n'est étayée par aucune étude sérieuse. Le sucre appelle le sucre ; il peut devenir une véritable addiction. Or on connaît ses conséquences sur l'obésité, le diabète, les maladies cardio-vasculaires. Il faut donner aux Ultramarins le choix de se nourrir autrement. La prévalence du diabète à Mayotte a explosé comme le surpoids et l'obésité. Ces nouvelles maladies ont accompagné la transition socio-économique de Mayotte. Les associations comme l'Aide aux jeunes diabétiques jouent un rôle essentiel ; il faut les aider.
Cette proposition de loi rétablit l'égalité, rien de moins. Elle rappelle les bienfaits d'une alimentation saine et équilibrée ; c'est enfin une réponse à la onzième des trente propositions de François Hollande en faveur de l'outre-mer. (Applaudissements à gauche)
M. Félix Desplan . - Le sucre a écrit les premières pages de l'histoire de la Guadeloupe. Trois siècles après, il nous réunit pour mettre fin à une autre injustice. Les Ultramarins n'ont pas droit à la même qualité alimentaire, c'est une injustice, une disparité discriminatoire. Nous avons tous une appétence innée pour le sucre, carburant indispensable, à la fois le meilleur et le pire des aliments. Sa carence peut être fatale, son excès tout aussi dangereux. La consommation de sucre dépasse aujourd'hui les niveaux nécessaires. Doit-on laisser notre destin aux mains de la dictature du sucre raffiné, ce doux poison, ce doux assassin ? Dans le cadre du projet guadeloupéen de société, les élus ont appelé à de nouvelles politiques publiques. Une mauvaise alimentation tue plus que les drogues. Or, le sucre est bel et bien une drogue contemporaine. Il fragilise notre équilibre mental : surconsommé, il influencerait l'humeur et provoquerait la violence et l'agressivité. Peut-on rester les bras croisés ? Les maux dont souffre la Guadeloupe sont nombreux. Éliminons ceux qui viennent de nos assiettes !
Le président de la République a porté la grande idée de l'égalité des territoires. Lors de sa conférence de presse du 16 mai, il a assuré qu'il ferait en sorte que « là où il y a problème d'inégalité, nous fassions davantage ». Cette promesse d'égalité n'est pas une nostalgie mais une ambition. Réconcilions tous ceux qui font la France, traduisons cette belle idée en actes concrets. Je voterai donc cette proposition de loi, qui traduit un des engagements de François Hollande. (Applaudissements à gauche)
M. Maurice Antiste . - La prévalence du surpoids, de l'obésité et du diabète type 2 se développe. Aux causes multifactorielles s'ajoute, outre-mer, le problème de la teneur élevée en sucre des produits alimentaires de consommation courante. En Martinique, un enfant sur quatre est atteint d'obésité. Une canette de soda y contient 14 grammes de sucre ajouté, contre 10 grammes dans l'Hexagone. L'Afssa a pourtant obtenu la suppression de la collation nationale dans les écoles et une circulaire a tenté d'interdire les distributeurs de produits sucrés dans les écoles -sans succès : les proviseurs et les parents y ont vu le moyen d'empêcher les élèves de sortir aux interclasses.
La consommation excessive de sucre justifie pourtant des mesures comparables à celles prises contre le tabac et l'alcool. Le sucre raffiné provoque un affaiblissement des défenses immunitaires. Je ne parlerai pas de la prétendue appétence des Ultramarins pour le sucre, véritable aberration.
La DLC, qu'il faut distinguer de la date limite d'utilisation optimale (DLUO), est portée jusqu'à 60 jours outre-mer pour que les produits restent plus longtemps en rayon. La durée de vie d'un produit dépend de ses caractéristiques physico-chimiques : il est anormal qu'un produit fabriqué en métropole affiche une DLC plus longue que les produits locaux ! Cette concurrence déloyale est une injustice, je me réjouis que la proposition de loi impose une DLC commune. Je m'inquiète toutefois des conséquences de ce texte sur le pouvoir d'achat outre-mer : l'alignement des DLC pour les yaourts et autres denrées périssables risque d'entraîner une hausse des prix de 250 %, à l'heure où le Gouvernement lutte contre la cherté de la vie outre-mer. Que compte-t-il faire pour éviter une telle hausse des prix ? (Applaudissements à gauche)
M. Serge Larcher . - C'est la première fois que nous évoquons ces sujets dans cet hémicycle. En tant que président de la délégation à l'outre-mer, je m'en félicite, tant le problème est important. Les députés ont élargi le champ de la proposition de loi à la question de la DLC, je m'en réjouis. Ce texte arrive à point nommé. Plus les normes sont rigoureuses, plus les scandales se multiplient ! Dans les Antilles, la chlordécone, véritable poison, altérera la santé des dix générations à venir. Nous mourrons aussi des choix alimentaires qui sont faits. Les produits consommés outre-mer sont en effet plus sucrés que ceux vendus en métropole. Cela répondrait à une attente des consommateurs, disent les industriels. Mais il ne faut pas confondre attente et besoin, ou attente et habitude ! Les « îles à sucre » ont été marquées par la monoculture de la canne jusqu'aux années 1960. Avant les moyens de réfrigération modernes, le sucre -comme les épices et le sel- était aussi un moyen de conservation. Tout cela n'est pas sans conséquences sur le goût. Il est donc vital de modifier les habitudes alimentaires. Passés une première frustration, nous serons capables de nous adapter. Enfin, la prétendue préférence pour le suce n'est pas recevable car aucun argument commercial ne peut primer sur des considérations de santé publique. Je voterai donc ce texte. (Applaudissements à gauche)
M. Jacques Cornano . - La santé publique n'est pas le seul enjeu. La gestion des déchets et le gaspillage alimentaire relèvent tout autant du développement durable. Le problème sanitaire posé par les DLC est bien plus vaste et concerne la gouvernance de l'économie locale. Comment favoriser la production locale et le contrôle des produits ? L'article 4 va dans le bon sens mais il faut aller encore plus loin. La réflexion doit être poursuivie pour arrêter des mesures plus ambitieuses. Il faut résister aux lobbies, sans stigmatiser l'industrie agroalimentaire. Aux pouvoirs publics de faire cesser des pratiques qui ont profité d'un vide juridique. Est-il normal que les producteurs ultramarins soient soumis aux mêmes normes d'hygiène que les producteurs métropolitains ? Le milieu environnemental et climatique n'est pas le même...
Il nous faudra tirer le bilan de cette loi pour vérifier qu'elle est bien appliquée et sanctionner ceux qui la contournent. En attendant, ce texte est une avancée, il traduit le volontarisme du Gouvernement à l'égard des outre-mer. Je le voterai. (Applaudissements à gauche)
M. Michel Vergoz, rapporteur . - Le diagnostic est partagé, même si MM. Guerriau et Milon divergent sur les solutions. Je veux témoigner de notre bonne foi. Mon cher collègue Guerriau, nous avons épuisé les voies de concertation. Il y a eu trois PNNS depuis 2011. Le PNNS est doublé d'un plan Obésité. Pour pas grand-chose...Trente-trois chartes ont été signées ; une seule concernait La Réunion, sur le sel ; les industriels ne sont pas allés jusqu'au bout de la démarche.
La loi de santé publique que vous appelez de votre voeu ? Il fallait la faire en 2009, comme le précédent gouvernement s'y était engagé. Depuis, la situation s'est aggravée. Ne pas agir rapidement relève de la non-assistance à population en danger. Seule la régulation publique peut agir. C'est une question de respect envers les Domiens. Produits plus chers, plus sucrés, plus vieux : c'est la triple peine. Le Gouvernement y apporte des réponses pragmatiques.
M. Victorin Lurel, ministre . - Je remercie tous les intervenants, la présidente de la commission et le rapporteur. L'article 3 relatif à la DLC mérite des précisions, que j'apporterai tout à l'heure.
Il y a entre nous, messieurs Guerriau et Milon, une différence philosophique. L'obésité serait un problème comportemental, a dit M. Milon.
Si la responsabilité individuelle est réelle, on ne peut ignorer les habitudes imposées. M. Larcher a raison de distinguer habitudes et attentes. Les personnes à petits revenus achètent en fonction de leurs ressources. Dans les années 50 et 60, je mangeais de la canne à sucre et je n'avais pas le sentiment de manger trop sucré ! On ne peut nier les impositions structurelles. Aujourd'hui, les gens veulent mieux consommer, à des prix raisonnables. Il faut d'abord améliorer la qualité, favoriser le développement écologique et soutenable, encourager la production locale. Nous espérons que celle-ci se développera. Vous avez tous reçu des industriels une documentation édifiante qui indique que des produits importés par avion seraient plus chers. Ce n'est pas probant du tout. Attention aux choix imposés à des consommateurs en situation de faiblesse.
Je participe à la rédaction de la future loi Consommation, qui renforcera les pouvoirs de la DGCCRF, monsieur Requier. La grande loi de santé publique viendra au mieux au 1er septembre 2014. Vu la situation, il fallait agir vite ; ma proposition de loi date de 2011 ! Depuis, rien.
Si la signature de chartes s'accélère, c'est que les industriels pressentent que ce texte va être adopté.
Le sujet serait d'ordre réglementaire ? Non, car il s'agit de la libre administration des collectivités territoriales et de la liberté de commerce. L'argument ne tient donc pas.
Je m'engage, madame Archimbaud, à ce que le seul arrêté ministériel nécessaire soit pris rapidement. La loi a été réécrite pour éviter trop de lenteurs. Je vous annonce que les deux derniers décrets de la loi LRE seront bientôt publiés.
Le risque de concurrence déloyale entre entreprises françaises et étrangères a été évoqué. Les produits intéressés sont peu nombreux. Il s'agit de niches, comme les desserts industriels. Les circuits rapides se font à partir des ports français : les produits étrangers partent avec un handicap concurrentiel en matière de délais. Nous favorisons les produits locaux frais, sans volonté protectionniste.
Une directive européenne permet à tout État européen d'édicter des dispositions nationales plus restrictives en matière de DLC : elles s'appliqueront à toutes les entreprises européennes.
L'augmentation des prix ? Regardez la liste qui vous a été envoyée par l'industrie, qui prétend que les prix doubleraient. Les chiffres méritent d'être analysés ; l'argument ne tient pas. J'y reviendrai à l'article 3, sur lequel je ferai une déclaration interprétative. (Applaudissements à gauche)
La discussion générale est close.
Discussion des articles
ARTICLE PREMIER
M. Jacques Cornano . - La possibilité offerte aux producteurs de fixer librement le taux de sucre de leurs produits est un scandale sanitaire. La surconsommation de sucre outre-mer est le résultat direct de la volonté d'accoutumer le consommateur ultramarin à des taux de sucre élevés. Que chacun assume ses responsabilités ! Une étude d'ampleur sur l'impact sanitaire de ces pratiques s'impose. Le rapport de l'Assemblée nationale souligne que le plan Obésité ne trouve pas de traduction concrète outre-mer et rappelle la nécessité d'une éducation nutritionnelle spécifique à l'outre-mer.
M. Jean-Étienne Antoinette . - Le bien manger et le bien boire appartiennent au socle culturel commun à la métropole et à l'outre-mer. La complexité des circuits et une traçabilité incertaine conduisent à des disparités inacceptables, d'autant qu'elles découlent de la pression des industriels et de la finance. Les précédents gouvernements sont complices. Les producteurs ne doivent pas poursuivre leurs pratiques malsaines. L'article premier améliorera les choses et permettra un alignement effectif entre la métropole et l'outre-mer. La préférence locale sera encouragée ; la gauche humaniste aux affaires était seule à même de placer l'homme et les territoires au coeur des préoccupations de nos compatriotes.
M. Joël Guerriau . - Le groupe UDI-UC votera cette proposition de loi, après avoir entendu les arguments du rapporteur et de nos collègues ultramarins unanimes. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
L'article premier est adopté ainsi que l'article 2.
ARTICLE 3
M. Jacques Cornano . - Il faut relever le défi du gaspillage alimentaire, qui appelle une réflexion d'ensemble. La double DLC relève-t-elle d'un scandale environnemental, économique et social, auquel cas les pouvoirs publics sont aussi responsables que les industriels ? Il faut réfléchir en amont et reprendre toute la méthodologie sur laquelle s'appuient les industriels. Nous devons répondre aux objectifs sanitaires poursuivis. Les études scientifiques ne font quasiment jamais référence à l'évolution des produits dans le contexte des outre-mer. Pourquoi ne pas rédiger un guide de bonnes pratiques qui prendrait en compte les spécificités ultramarines, à l'élaboration duquel le ministre deS outre-mer comme les collectivités concernées seraient évidemment associés ? Ce guide aiderait les industriels à maîtriser la sécurité sanitaire et à respecter leurs obligations.
M. Serge Larcher . - La teneur plus élevée en sucre de certains produits n'est pas la seule inégalité subie par les consommateurs ultramarins, puisque les DLC ne sont pas les mêmes outre-mer qu'en métropole.
Est-il sans danger pour la santé humaine de conserver des produits jusqu'à 60 jours après leur fabrication ? L'allongement de la DLC outre-mer pénalise les produits locaux, dont la DLC est plus courte. J'approuve donc cet article 3 mais le dispositif sera-t-il efficace ? Ne concerne-t-il que la DLC ou aussi la DLUO ?
Les distributeurs de produits alimentaires outre-mer estiment que les prix augmenteront obligatoirement. Qu'en pensez-vous, monsieur le ministre ? Rien ne peut primer sur l'objectif de santé publique. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
présidence de M. Didier Guillaume,vice-président
M. Victorin Lurel, ministre . - J'ai été intéressé par le rappel historique de M. Desplan. Lorsque des inquiétudes se font jour sur l'augmentation des prix, n'oublions pas que le transport aérien concerne aussi les produits ultramarins qui viennent en métropole ; les consommateurs métropolitains acceptent de payer un peu plus cher nos bananes... Je rappelle que peu de produits sont concernés : les desserts et la charcuterie. Avec cette mesure, la production locale sera favorisée. L'objectif, à terme, est qu'elle supplante les importations. Ici, nous donnons les moyens de développer les productions locales avec les entreprises de restauration collectives. Pourquoi des DLC courtes ? Pour favoriser, développer la consommation. Avec la restauration collective, il y a un vrai marché à prendre, ce qui permettra de créer des entreprises, des emplois et de réduire les émissions de gaz à effet de serre.
Il faudrait faire le bilan des accords économiques conclus entre les outre-mer et les territoires voisins. Les produits de la Caraïbe peuvent entrer librement aux Antilles, mais 200 produits ne peuvent entrer chez nos voisins. Cette asymétrie est acceptée par la Commission européenne, qui a le pouvoir de négociation en la matière. Le député Serge Letchimy s'est vu confier une mission sur le sujet. Il faudra revenir sur cette situation et essayer de s'en émanciper dans certains domaines ; quoi qu'il en soit, la Commission européenne doit mieux tenir compte des spécificités de nos territoires ultramarins, qui appartiennent à l'Europe.
Je veux faire une déclaration interprétative de l'article 3 pour que les choses soient claires. L'interprétation du rapporteur est exacte : seul les DLC sont concernées, non les DLUO. Les inquiétudes des industriels sont sans fondement. L'article ne vise que les produits périssables dont la durée de commercialisation n'excède pas quelques jours ou quelques semaines.
Sur le seul champ de la DLC, certains distributeurs ont soulevés des arguments économiques : l'allongement serait nécessaire pour exporter par voie maritime, la voie aérienne étant plus chère. La liste de 300 produits qu'ils soumettent est au coeur du problème : pour une trentaine de desserts industriels, la différence de DLC n'est que de quelques jours. Faut-il vraiment des dates différentes ? Quand la DLC est de 17 à 21 jours en métropole et de 25 jours outre-mer, l'ajustement est plutôt fin... Pourquoi jeter les produits après 17 jours en métropole s'ils sont encore bons après 25 ? On voit aussi des produits laitiers avec une DLC à 25 jours en métropole qui passe à 50, voire 60 jours à l'export. Je m'interroge... Les 25 jours seraient suffisants pour une mousse au chocolat mais pas pour un yaourt... Allonger la DLC à l'export du jambon de Paris de 23 jours, est-ce raisonnable ?
Il ya mieux -ou pire... La DLC peut être portée à six mois pour du gruyère râpé ! Un camembert voit sa DLC portée de 21 à 70 jours pour l'export, le reblochon de 35 à 120 jours. Des plaques de beurre passent de 35 à 365 jours à l'export : « Passées les bornes, il n'y a plus de limites », comme disait Alphonse Allais !
Si ces dates sont exactes, je crains que la santé alimentaire ait peu à voir dans cette affaire. Preuve, comme pour la surconsommation de sucre, qu'il s'agit essentiellement d'une affaire de profit. (Applaudissements sur les bancs socialistes et écologistes)
L'article 3 est adopté.
ARTICLE 4
M. Jacques Cornano . - Cet article qui vise à promouvoir les circuits courts est le bienvenu. Nous faisons déjà tout notre possible pour que les producteurs locaux puissent vendre leurs produits frais ; il faudra aussi aller plus loin et viser les produits locaux transformés et ceux issus de l'agriculture biologique.
L'article 4 est adopté.
L'ensemble de la proposition de loi est adopté.
M. Victorin Lurel, ministre. - Je vous remercie pour ce vote. J'ai bien entendu M. Cornano sur l'article 4 ; l'extension qu'il demande pourra être examinée dans le cadre du projet de loi que porte M. Le Foll. Nous voulons passer d'un modèle intensif à un modèle agro-écologique.