Banque publique d'investissement (Conclusions de la CMP)
M. le président. - L'ordre du jour appelle l'examen des conclusions de la commission mixte paritaire du projet de loi relatif à la création de la banque publique d'investissement.
Discussion générale
M. François Marc, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire . - La CMP sur ce projet de loi a abouti à un accord qui reprend l'essentiel des apports du Sénat : vous voyez l'intérêt d'aller jusqu'en CMP...
Des amendements des groupes RDSE, écologiste, CRC et socialiste du Sénat ont été maintenus à l'article premier, relatif aux missions de la BPI. De même à l'article 3, sur la répartition des sièges au conseil d'administration et, à l'initiative du groupe CRC, sur la coopération entre les comités régionaux et les Cese régionaux ; à l'article 6 sur le secret statistique. À l'article 6 bis, la commission des finances n'aura à se prononcer que sur la nomination du directeur général de BPI-Groupe. La vision du Sénat a aussi prévalu aux articles 3 bis et 7 A.
Seuls deux articles ont été retouchés, en premier lieu l'article 3 bis A sur les intérêts financiers à intégrer par la BPI dans le cadre de ses pratiques opérationnelles. Si elle a intégré l'aménagement du territoire dans les missions de la banque, la CMP n'a pas voulu retenir la création d'emplois et le développement des pratiques sociales responsables, ce qu'à titre personnel, je regrette. Un compromis est intervenu à l'article 4 ; la dérogation pour l'outre-mer au principe de représentativité des organisations syndicales et patronales, voulue par M. Desplan, n'a pas été retenue.
Les grands équilibres du projet de loi restent inchangés. Je vous invite donc à adopter ce texte.
M. Benoît Hamon, ministre délégué auprès du ministre de l'économie et des finances, chargé de l'économie sociale et solidaire et de la consommation . - Je me réjouis du large consensus sur ce texte ; à l'Assemblée nationale, le groupe R-UMP s'est résolu à le voter. Le débat parlementaire l'a amélioré. Un équilibre a été trouvé entre le rôle de l'État et celui des régions. Les conflits d'intérêts ont été prévenus, grâce au Sénat, et la représentation du Parlement a été assurée.
À l'article premier, il a été précisé que la BPI favorisera l'amorçage des entreprises et leur offrira un accompagnement global, bien loin de se réduire à un guichet ; elle agira pour la transition écologique et énergétique. Elle n'a pas vocation à se substituer aux banques privées pour financer les entreprises, mais à avoir un effet de levier.
Les deux chambres ont voulu que la BPI soit une institution exemplaire, je m'en félicite.
Sur la gouvernance, un point d'équilibre a été trouvé ; le partenariat prévaudra entre l'État et les régions. Les risques de conflits d'intérêts ont été limités. La BPI anticipe l'acte III de la décentralisation, qui confirmera le rôle de chef de file des régions en matière économique.
Le rôle du Parlement a été renforcé : avis sur la nomination du directeur général, débat sur la doctrine d'intervention de la banque, information sur les grandes lignes du pacte d'actionnaires État-CDC, contrôle sur toute l'ouverture du capital à des personnes morales de droit privé. La BPI ne sera pas un instrument hors-sol, hors de tout contrôle.
Merci au rapporteur pour son travail, ainsi qu'au président Marini.
Avec la BPI, l'union bancaire au niveau européen et la loi bancaire présentée hier en conseil des ministres, nous avons un ensemble cohérent. Ce n'est pas la fin de l'histoire : tout commence. La BPI va se mettre au service des PME, TPE et ETI ; elle sera rapidement en place pour accorder des crédits de trésorerie et préfinancer le CICE. L'économie française en a besoin. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
Mme Marie-France Beaufils . - Une fois n'est pas coutume, la CMP a abouti à un texte commun. Des avancées ont été obtenues sur les finalités assignées à la BPI et sur sa gouvernance. Le développement local et régional sera pris en compte.
Certains de nos amendements n'ont pas -encore ?- été retenus, tout d'abord sur l'articulation entre les différentes composantes de la BPI, FSI et Oséo au premier chef, cette dernière structure étant sa force de frappe principale. Surtout, BPI-Groupe devrait avoir le statut de banque. On peut craindre qu'Oséo, noté AAA aujourd'hui, ait plus de mal qu'auparavant à se refinancer sur les marchés. Cela rendrait le projet de loi inopérant, ce qui serait dommage.
Les ressources de la BPI étant assez faibles, son impact risque d'être marginal ; pourra-t-elle vraiment aider au développement des entreprises ? D'autant qu'elle devra préfinancer le CICE. Rien qu'en Île-de-France, de très nombreuses entreprises pourraient être concernées par ce dernier.
La BPI n'est pas une solution définitive ni universelle. Elle ne sera que ce que nous en ferons. La réforme bancaire, le devenir de l'épargne réglementée seront, je l'espère, l'occasion de faire le point. (M. François Marc, rapporteur, applaudit)
M. Aymeri de Montesquiou . - L'UDI veut mener une opposition constructive. Nous avons abordé l'examen de ce projet de loi sans préjugé. Les PME représentent 97 % des entreprises françaises et emploient 7 millions de personnes. Or nous sommes face à un paradoxe : notre taux d'épargne, à 16,3 % depuis dix ans, est l'un des plus élevés d'Europe, mais nos entreprises peinent à se financer. Comment canaliser cette manne vers l'économie productive ?
La BPI sera le guichet unique pour les PME en région : fort bien. Mais fallait-il créer une structure regroupant Oséo, le FSI et CDC Entreprises, qui plus est en y associant Ubifrance et la Coface, dont la vocation n'est pas de financer l'économie mais d'accompagner nos entreprises à l'étranger ? Comment la BPI sera-t-elle financée, sinon par agrégation des ressources de ces organismes ? Il ne suffit pas de changer de papier cadeau... Quid de l'impact des normes prudentielles ? De la réunion sous une même direction d'activités et de métiers si différents ? La présence d'élus au conseil d'administration fait craindre des conflits d'intérêts.
Quant à la gouvernance, elle est pléthorique, criblée de conflits d'intérêts potentiels ; la Banque aura tendance à privilégier les projets préfinancés par les régions...
Le gouvernement ne nous a pas écoutés. Nous ne pourrons voter ce projet de loi. (Applaudissements au centre et à droite)
Mme Françoise Laborde . - Une banque publique aidant les entreprises à investir, à innover, à exporter, voilà qui devrait nous rassembler. Nicolas Sarkozy avait un projet moins ambitieux, aujourd'hui l'opposition n'en veut plus...
La CMP a retenu la plupart des apports du Sénat, je m'en félicite. Un amendement du rapporteur général avait rendu aux présidents de conseils régionaux la présidence des comités régionaux de la BPI : c'était juste -mais il n'aurait pas été inutile, comme nous le préconisions, que les autres collectivités territoriales fussent associées à ces comités. Quant au comité national d'orientation, il a été convenu qu'y sera assurée une représentation pluraliste des parlementaires. Mais deux sénateurs représenteront-ils toute notre Haute assemblée ?
Les missions de la BPI ont été précisées à l'article premier, notamment les possibilités de coopération avec la BEI et l'accompagnement des entreprises en phase d'amorçage.
Plusieurs questions restent toutefois posées, d'abord celle de la mobilité des personnels, qui sont inquiets. En outre, comme l'avait noté notre collègue Jean-Pierre Plancade, les TPE s'interrogent sur les outils concrets qui seront mis à leur disposition. Le principe du guichet unique doit trouver une traduction concrète.
La BPI, sans être une baguette magique, servira au développement d'un tissu de PME innovantes, investissant à moyen et long terme, alors que les banques privées privilégient la rentabilité à court terme. Les chantres de l'économie postindustrielle se trompent. Nous souhaitons que le gouvernement intervienne vigoureusement auprès des banques pour qu'elles financent les investissements des collectivités territoriales ; il faut soutenir l'activité sur l'ensemble du territoire. (Applaudissements à gauche)
M. Joël Labbé . - Le projet de loi nous satisfait pleinement. M. Moscovici a entendu les revendications des écologistes. Nous saluons le travail des deux chambres.
L'opposition dit craindre les conflits d'intérêts électoralistes et la pression des élus régionaux ; mais la BPI a pour mission prioritaire d'aider les entreprises innovantes dans les filières d'avenir : ce n'est pas un fonds de secours. Certes, il faudra être vigilant ; mais les élus nationaux et régionaux exerceront leur contrôle.
La parité a été assurée : ce n'est pas un gadget. Le Sénat a aussi réaffirmé la vocation de la BPI à accompagner le développement soutenable. Les régions et les parlementaires seront représentés au sein des instances dirigeantes, mais aussi le personnel et la société civile. Ni les zones rurales, ni les zones urbaines défavorisées, ni l'outre-mer n'ont été oubliées. La BPI doit être ancrée dans les territoires.
Nous voterons ce projet de loi. (Applaudissements à gauche)
M. Philippe Dominati . - La création de la BPI n'intervient pas dans un contexte anodin. Depuis Bâle III, une nouvelle ère de régulation bancaire et de financement de l'économie s'est ouverte. Ces accords rendent les banques conservatrices ; elles ne satisfont plus les besoins des entreprises. Ce qui est d'autant plus problématique que les États-Unis n'ont pas ratifié les accords ; il ne sert à rien de les accabler, ils ne font que maximiser leurs intérêts. Dans la situation actuelle, à la baisse d'activité des entreprises s'ajoute une crise de financement ; les entreprises ont besoin de fonds propres et de capacités d'investissement.
La BPI est censée répondre à cette crise de financement. Un grand machin... Jusqu'ici, il existait plusieurs acteurs : Oséo, le FSI, CDC Entreprises, le Médiateur du crédit. Entre eux, la division du travail est cohérente et les entrepreneurs identifient aisément le meilleur interlocuteur. Chacun, toutes appartenances politiques confondues, reconnaît les vertus de ces institutions ; le désaccord porte sur le quantitatif : on ne couvrira pas l'ensemble du spectre. Mais le dispositif de la BPI ne répond pas à la question des moyens. Mettre sous tutelle des structures exemplaires alors que la structure mère n'aura pas les épaules assez larges pose problème.
Une simple refondation ne suffira pas à combler les carences, d'autant que vous créez un dinosaure. La seule Oséo sera une filiale de la holding ! La BPI, de surcroît, va se livrer à un travail de banquier sur la base de théories et pas des critères normaux d'un banquier.
Pour contrebalancer l'aspect pharaonique de la chose, vous prétendez décentraliser le dispositif. Donner ainsi toute puissance aux exécutifs locaux, c'est faire entrer des critères subjectifs dans les prêts ? La régionalisation va ouvrir la porte à toutes les petites intrigues, à des subventions déguisées. Les arbitrages reviendront à des conseils régionaux qui sont presque tous dans la main des socialistes. On a en mémoire les 21 millions d'investissement de la Lorraine sur le bimoteur ou ceux de Poitou-Charentes pour Heuliez.
Autre problème, la BPI pourra être actionnaire et prêteuse. Ce pourrait être ravageur. Et l'implication des régions ne fera que compliquer les choses. La BPI pourra prendre des participations. Cela n'augure rien de bon, à voir ce que fait l'État actionnaire : ses actions ont moins progressé que celles du CAC 40 et ses dividendes reculent de plusieurs milliards.
La « Banque publique de l'incurie » gouvernementale : ce n'est pas moi qui développe ainsi le sigle de la BPI, mais Jean-Luc Mélenchon.
L'UMP ne votera pas les conclusions de la CMP. (M. le rapporteur marque son étonnement)
Mme Michèle André . - La majorité sénatoriale ne serait, pour M. Marini, qu'une majorité de rejet. Qu'il s'occupe de l'union de son propre camp, nous nous occupons de celle du nôtre, qui a adopté le texte sur le logement et la création de la BPI, deux textes dont l'urgence est patente, mais que l'opposition s'obstine à rejeter. Nos désaccords initiaux n'ont pas empêché un dialogue de qualité et des avancées réelles sur la forme et les objectifs de la Banque publique d'investissement, afin d'en faire un outil exemplaire, efficace et adaptable, propre à soutenir les entreprises innovantes, l'emploi et le développement territorial. C'est sur cet effet d'entraînement que reposera une part de son efficacité comme interlocuteur unique.
Exemplaire aussi par son mode de gouvernance et de fonctionnement, dont la transparence et l'ouverture ont été améliorés tout au long des débats parlementaires. Nous nous réjouissons aussi de la parité respectée.
À M. Dominati, je rappelle que lors du débat de la loi Raffarin de décentralisation, la compétence économique aux régions a été remise en cause par un amendement Doligé déposé... après que nous avons gagné les élections régionales.
Nous nous réjouissons de l'accord obtenu en CMP même si certains amendements socialistes n'ont pas survécu. Mieux vaut cela qu'une feuille blanche. Le groupe socialiste votera les conclusions de la CMP. (Applaudissements sur les bancs socialistes, écologistes et du RDSE)
La discussion générale est close.
Vote sur le texte élaboré par la CMP
À la demande du groupe socialiste, les conclusions de la CMP sont mises aux voix par scrutin public.
M. le président. - Voici les résultats du scrutin :
Nombre de votants | 345 |
Nombre de suffrages exprimés | 344 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 173 |
Pour l'adoption | 176 |
Contre | 168 |
Le Sénat a adopté.