Égalité des territoires (Proposition de résolution)
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle la proposition de résolution, présentée en application de l'article 34-1 de la Constitution, relative au développement par l'État d'une politique d'égalité des territoires.
M. Jacques Mézard, auteur de la proposition de résolution . - La République, c'est une chance égale pour chaque citoyen, selon ses capacités, sa volonté de réussir ; c'est la justice, l'égalité, non l'égalitarisme. C'est la déclinaison de l'article premier de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, le socle républicain, le fil rouge de la sensibilité politique que j'ai l'honneur de représenter.
Jamais les sociétés n'ont connu autant de bouleversements, responsables de l'aggravation des fractures sociales et territoriales. D'où cette proposition de résolution sur l'égalité territoriale. Sans prétendre que chaque citoyen de chaque commune doive accéder aux mêmes services, il faut relancer la politique d'aménagement du territoire, restaurer la Datar, revenir à une démarche planificatrice. Il ne faut donc pas plus d'État, mais mieux d'État !
La croissance démographique, un atout en Europe, est cependant anarchique : la crise du logement dans les grandes agglomérations coexiste avec la désertification des territoires ruraux. À chaque étape de la décentralisation, la ruralité a été pénalisée et des distorsions sont aujourd'hui considérables. Les territoires riches sont devenus de plus en plus riches, y compris ceux qui hurlent la bouche pleine, autour de Paris ; les plus pauvres sont devenus de plus en plus pauvres, et c'est là que l'impôt local est le plus lourd, son montant, pour les ménages, dépassant souvent l'impôt sur le revenu. Il est plus léger dans des villes moyennes, encore plus à Paris. La fracture territoriale s'est accrue, créant un profond mal-être de la population, alors qu'il faudrait une véritable démocratie de proximité.
Les élus ruraux, sur la défensive, attendent la prochaine mauvaise nouvelle, le prochain départ de service public... Comment bâtir l'avenir dans un tel climat ? Le PIB régional est du simple au double entre l'Île-de-France et la Basse-Normandie ou l'Auvergne. De telles différences sont inéquitables dans un même pays. La péréquation a trop tardé. Les inégalités se sont creusées entre les grandes métropoles et le reste de la France, entre l'est et l'ouest, entre communes, entre quartiers. L'autonomie financière des collectivités a introduit la compétition entre les territoires, sans produire les effets escomptés, espérés, nécessaires.
La distribution des richesses doit être rééquilibrée, mais pas au prix d'une déresponsabilisation des territoires. Au lieu de soutenir les territoires fragilisés, on a favorisé, avec la fameuse RGPP, ceux qui concentraient déjà les atouts. La crise a été un nouveau coup de poignard -les amortisseurs sociaux sont affaiblis par la disette budgétaire. Les écarts entre départements s'accentueront. La crise du logement frappe des millions de personnes. Les annonces du président de la République, relèvement du pourcentage de logements sociaux obligatoires par commune, construction de 150 000 logements sociaux par an, etc. sont bienvenues, mais il faut surtout saisir cette occasion pour opérer un rééquilibrage.
Que dire de l'accès aux soins ? La ruralité est synonyme de déserts médicaux : 239 médecins pour 100 000 habitants en Picardie, 370 en région Paca ! Dans certains départements, Gers, Alpes-de-Haute-Provence, il faut plus d'une heure pour se rendre à l'hôpital, contre 21 minutes en moyenne au plan national. Le nombre de médecins en zone rurale diminuera encore de 25 % d'ici 2030. Le président de la République a promis des pôles de santé de proximité : nous les attendons, ils sont indispensables.
Les temps de trajet, les moyens alloués au transport scolaire ne sont pas les mêmes selon les académies. L'État consacre 40 % de plus pour former un élève à Paris qu'à Créteil. Il supprime 426 postes à Créteil pour 3 826 élèves en plus, en crée 20 à Paris pour 1 000 élèves de plus. Le coût, pour fabriquer un énarque ou un normalien, est naturellement plus élevé...
Les emplois à forte valeur ajoutée se concentrent dans les métropoles, au détriment du reste du pays, on le sait. Les transports en voiture tendent à diminuer dans les villes, où les transports en commun sont performants. En zone rurale, la voiture est indispensable et sans elle l'accès à l'emploi très difficile. Les TER ont été délaissés. Le service public minimal n'est plus garanti. Au-delà des incantations sur le développement durable, il faut offrir des modes de transport à ceux qui aujourd'hui, n'ont d'autre choix que de dépenser leur Smic pour rouler. Il faut des trains, des aéroports en région -je n'y insiste pas...
Certes, il est plus facile de résider dans les quartiers huppés de Paris que dans mon département : un aller-retour en avion pour Paris coûte 500 euros ! Le train, direz-vous ? Je peux vous décrire des trains d'un autre âge, des trains de sénateurs ! (Sourires) J'ai ici les horaires Aurillac-Paris de 1905 -période bénie où les radicaux étaient au pouvoir. (Sourires) La liaison était plutôt meilleure à cette époque ! Espérons que le gouvernement Ayrault fera aussi bien que le gouvernement Rouvier. À l'automne, j'ai écrit au président de la SNCF pour l'informer que nos trains patinaient sur les feuilles mortes.
Mme Nathalie Goulet. - Chez nous aussi !
M. Jean-Claude Lenoir. - En effet !
M. Jacques Mézard, auteur de la proposition de loi. - Ce n'était pas le cas autrefois, car les voies étaient entretenues. Il faut faire des choix, des choix fondamentaux.
Le très haut débit doit supprimer les distances, mais pour ce faire, il faut le développer ! La proposition de loi Maurey-Leroy, adoptée au Sénat, a été rejetée par l'Assemblée nationale : Mme Fleur Pellerin, la ministre de l'économie numérique, l'a considérée comme obsolète, les objectifs inscrits dans le texte ne pouvant être atteints dans le calendrier prévu. La ministre présentera sa feuille de route en février 2013. Il faut aller très vite pour installer la fibre optique partout. Ma région est en pointe, je m'en réjouis et souhaite que la fibre à la maison soit une réalité pour tous.
L'aménagement du territoire exige une certaine planification. Seul l'État a la vision stratégique nécessaire. L'acte III de la décentralisation devra clarifier les compétences. Et la BPI peut être une belle avancée de la politique économique locale.
Le zonage actuel n'a pas répondu aux attentes. Le bilan que tire la Cour des comptes des dix dernières années de politique de la ville est accablant. Les ZUS comme les ZRR sont des échecs. J'ajoute que la distinction entre l'urbain et le rural est obsolète. Mme Cresson a été caricaturée pour avoir voulu délocaliser certaines administrations en région. Elle avait pourtant raison !
Le député Jean-Marc Ayrault proposait en mars 2011 un bouclier rural, espérons que le Premier ministre ne l'oubliera pas.
M. Jean-Claude Lenoir. - On peut en douter !
M. Jacques Mézard, auteur de la proposition de résolution. - Ce Gouvernement va-t-il enfin entendre l'exaspération qui monte de nos territoires délaissés, de ces îles de l'intérieur, de cette France dite péjorativement, « profonde », alors qu'elle a toujours manifesté son fervent attachement à la République ? Pour toutes ces raisons, je vous demande de voter cette proposition de résolution. (Applaudissements à gauche et sur les bancs centristes)
Mme Mireille Schurch . - Ce débat met en exergue les conséquences dramatiques des politiques menées ces dix dernières années. Les précédents gouvernements n'ont eu de cesse de remettre en cause les acquis de la République et de casser les services publics, enfermant chaque jour davantage notre pays dans la crise.
La concurrence entre territoires, le repli identitaire se sont substitués à la solidarité nationale. La RGPP, aveugle et mécanique, se traduisait par le non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux.
M. Jean-Claude Lenoir. - Désormais, ce sera deux sur trois !
Mme Mireille Schurch. - Nous partageons le constat de M. Mézard : il y a urgence à agir pour redéfinir le pacte républicain du XXIe siècle dans le pays des lumières. Plus d'écoles, plus d'hôpitaux, plus de tribunaux, plus de bureaux de poste, la fibre optique pour tous : nous signons cette liste au Père Noël des deux mains, mais les engagements ont été pris par le Gouvernement dans un sens radicalement opposé : je veux parler bien sûr du traité européen et de la règle d'or, qui imposent la rigueur. Je me dois de rappeler que les auteurs de la proposition de loi eux-mêmes ont voté pour !
L'urgence n'est pourtant pas à rembourser les banques, ni à répartir l'austérité dans l'Union européenne, mais à sortir de ces logiques comptables qui nous mènent droit dans le mur. Rompons avec l'idéologie du déclin, osons remettre en cause la construction européenne telle qu'elle s'élabore actuellement, réformons avec courage la décentralisation, dans laquelle l'État, au lieu de se désengager, mène une action complémentaire de celle des collectivités. Donnez aux élus locaux les moyens de mettre en oeuvre les politiques locales. Attention à l'hyper-régionalisation comme à l'hyper-métropolisation, elles créeront de nouvelles disparités territoriales.
Il faut tordre le cou au dogme de la concurrence libre et non faussée : c'est une impasse ! Le secteur privé ne s'implante que dans les zones rentables, on le voit pour la fibre optique comme pour le rail. De nouvelles nationalisations, même temporaires, doivent être envisagées.
Moderniser l'État, ce n'est pas le priver de son pouvoir régalien mais abandonner l'illusion que le privé est toujours plus performant que le public. Voyez le coût des partenariats public-privé ! Nous ne sommes pas contre l'hyper-ruralité...
M. Alain Bertrand. - Vous avez raison !
Mme Mireille Schurch. - Mais le problème réside dans le gel des dotations aux collectivités : il est temps de revoir les bases de la fiscalité locale, les volumes et les critères des dotations de droit commun... Et que les dotations spécifiques ne viennent pas en déduction dans le total ! Oui à la péréquation, à condition qu'elle ne serve pas à gérer la pénurie, et qu'elle ne soit pas seulement horizontale : elle doit être assise sur une fiscalité nationale. Il faut s'attaquer à la répartition des richesses, créer de nouvelles recettes, avec un pôle public financier qui mette les banques au service des territoires : c'est le rôle de la BPI.
Enfin, dans l'égalité territoriale, les communes ont un rôle central, qui j'espère sera reconnu dans l'acte III de la décentralisation. Nous voulons réaffirmer la primauté du politique sur le financier, des peuples sur les marchés financiers. Voilà pourquoi nous voterons cette proposition de résolution qui relance un débat juste et nécessaire. (Applaudissements sur les bancs des groupes CRC-SPG et RDSE)
Mme Nathalie Goulet . - Cette proposition de résolution sera je n'en doute pas votée par le Sénat tout entier. L'intitulé de vos fonctions, madame la ministre, comporte l'égalité des territoires. C'est une bonne chose, pour l'image. Mais pour l'action, il faut de l'argent, sans lequel une politique des territoires n'est qu'un voeu pieux. Vous avez l'intention de créer un commissariat général aux territoires et un rapport qui va vous être remis suggérera des orientations ainsi que les contours souhaitables de la future institution. Je suis pour ma part hostile aux états généraux, assises, forums ou Grenelle en tout genre, qui n'apportent que des questions, jamais de réponses. Du reste, nous connaissons tous ces problématiques, nous n'avons nul besoin des conclusions d'une quelconque commission.
Dans l'Orne, nous avons récupéré six postes dans l'éducation nationale. Je m'en réjouis et rien que pour cette raison, j'ai bien fait de m'engager en faveur de M. François Hollande. Mme Touraine a présenté son plan contre les déserts médicaux : cependant, à mon sens, il faut non seulement des carottes, mais aussi le bâton, autrement dit, des mesures coercitives pour faire venir les médecins dans nos contrées rurales... Sur les inégalités numériques, sur les transports -lisez donc le blog des usagers du Paris-Granville- le constat est connu.
Qu'est devenue l'ambition de « réduire le mille-feuille » des compétences ? Le brillant mode de scrutin binominal ne réduira pas le nombre de conseillers généraux, qui n'ont pourtant qu'une utilité réduite, puisque les intercommunalités priment sur les cantons. L'Orne, avec 293 000 habitants, compte 40 cantons ! Il n'en restera que 20 si le texte en projet est voté, mais toujours 40 conseillers généraux. Actuellement 674 cantons comptent moins de 2 500 habitants : supprimez les élus inutiles ! Et réorientez les indemnités en dotations !
Reprenons aussi le travail de notre ancien collègue Gérard Delfau, en défendant la péréquation verticale. Le FPIC créé dans la loi de finances pour 2012 est un bon dispositif, mais il aboutit à certaines situations absurdes, où l'on prélève sur les pauvres et donne aux riches.
Une réforme territoriale avortée, une simplification des schémas intercommunaux, de prochaines élections cantonales dont le mode de scrutin n'est pas très simple : on ne voit pas comment, dans tout ce fatras, mener une politique d'égalité des territoires sans revoir les règles de financement et de compétence -la meilleure preuve en est l'article 16 du projet de loi de financement de la sécurité sociale. Les moyens manquent, comment ferez-vous mieux que vos prédécesseurs ? Allez-vous réunir le comité interministériel d'aménagement du territoire ? Allez-vous préserver la politique des pôles d'excellence rurale ? Revoir les zonages ? Etes-vous impliquée dans l'élaboration de la future loi de décentralisation ? Vous n'aurez pas trop de cinq ans pour mettre bon ordre dans tout cela -à condition de commencer immédiatement. (Applaudissements sur les bancs UDI-UC)
M. Alain Bertrand . - La politique d'égalité des territoires, j'en ai rêvé. Jeune sénateur, élu deux fois l'an dernier, j'aurais voulu voter une loi aujourd'hui. Mais je suis quand même content ! J'espère que Mme la ministre nous fera une grande loi nécessaire à la République, à la justice, à l'aménagement du territoire, à l'égalité des territoires, afin que toute la France respire le même air, vive mieux, soit plus heureuse.
Des écueils doivent être évités, à commencer par la sacro-sainte règle du nombre. Le Lot compte 150 000 habitants ? C'est deux fois plus que nous ! Quand on veut une route, un train, un homme en costume vous demande pour combien de voitures ou de voyageurs. S'il n'y en a pas assez, pas d'infrastructure ! Il faut sortir de la culture du nombre. Ce n'est pas parce qu'on est petit qu'on n'a droit à rien. Autre écueil, considérer que tout est rural en France. Il faut une définition précise de la ruralité et de l'hyper-ruralité -elles ne commencent pas à 10 kilomètres d'une grande ville. Comme l'argent est rare, il faudra définir les zones à forts handicaps, à la campagne comme dans certains quartiers urbains et y concentrer les moyens.
La loi de décentralisation à venir devra prévoir des obligations d'implantation, sinon nous ne nous en sortirons jamais. Pourquoi les ruraux, les habitants des quartiers sensibles n'auraient-ils pas droit à une école d'ingénieur, à un IUFM, à une antenne universitaire digne de ce nom. Cette troisième décentralisation doit être un acte de nouvelle intelligence - new intelligence en anglais- (sourires) avec l'obligation de réorganiser les territoires autour des notions de territoire, d'avenir, de citoyen, de solidarité. J'espère que vous aurez les moyens de mettre cette loi en oeuvre.
Il faudra aussi aider les initiatives en milieu rural et dans les quartiers difficiles et obliger l'État et les collectivités à cofinancer les projets qui s'y développent.
Votre mission est noble et permettra de renforcer la République. Celui ou celle qui fera la grande loi que nous attendons portera pour longtemps une partie de l'honneur de la République. Ne parlons pas de l'aménagement du territoire qu'en période électorale. Nous vous aiderons, madame la ministre ! (Applaudissements à gauche)
Mme Élisabeth Lamure . - Cette proposition de résolution est l'occasion de rappeler que la ruralité est un atout pour la France, d'autant qu'elle répond aux attentes nouvelles de nos concitoyens, qui sont de plus en plus nombreux à quitter les villes. Dans les communes rurales, on trouve de plus en plus d'employés et d'ouvriers. L'UMP se bat pour la ruralité depuis des années.
Transformation majeure, le vieillissement de la population exige que nous réfléchissions à l'accès aux soins. Et les nouvelles technologies doivent aussi bénéficier aux ruraux. Enfin, l'État n'agit plus seul mais en partenariat avec les collectivités territoriales. Le Gouvernement précédent avait agi pour un accès égal aux soins sur tout le territoire, avec les maisons de santé, les 400 bourses pour les étudiants en médecine qui acceptent de s'installer dans les zones en défaut, le développement de la télémédecine, complément de la médecine de proximité.
L'accès au très haut débit est indispensable : 2 milliards d'euros ont été mis à la disposition des collectivités territoriales par le Grand emprunt. Les transports publics doivent être améliorés. L'accès à des services publics de qualité implique aujourd'hui de faire évaluer l'offre ; imaginons les services publics de demain plutôt que maintenir à tout prix les services publics d'hier. Nous devons inventer un nouvel accès aux services publics à un prix raisonnable, en développant des lieux d'accueil uniques.
L'activité économique et l'emploi doivent être encouragés. Dans le monde rural, il y a beaucoup d'employés, d'ouvriers. L'artisanat et le commerce doivent y être soutenus, de même que les projets structurants tels les pôles d'excellence rurale.
Le Gouvernement a choisi de placer l'aménagement du territoire sous le signe de l'égalité. En commission, vous avez dit vos grandes ambitions, madame la ministre. Vous avez posé la question des relations entre les centres-villes, les banlieues, les zones rurales, vous avez évoqué la réparation des territoires meurtris. Le groupe UMP ne peut qu'être d'accord avec ces objectifs ambitieux. Reste à savoir comment ils se traduiront dans les faits.
Une commission a été installée pour préfigurer le futur Commissariat général à l'égalité des territoires. Plutôt que de créer une nouvelle structure, pourquoi ne pas réformer la Datar et lui donner davantage de compétences et de moyens ? Des experts se penchent parallèlement sur la politique publique d'égalité des territoires. Quand tout cela débouchera-t-il ?
Les zones rurales sont l'avenir de la France. Mon groupe espère que votre politique s'inscrira dans la continuité de ses prédécesseurs. (Applaudissements sur les bancs UMP)
Mme Nathalie Goulet. - Ah non !
Mme Esther Benbassa . - Nous souscrivons à cette proposition de résolution. La politique menée par la précédente majorité a eu des effets dommageables pour la République. Les inégalités se sont dramatiquement creusées. Les handicaps dont souffrent les quartiers se sont aggravés, le nombre de personnes vivant sous le seuil de pauvreté s'est accru, notamment parmi les jeunes dont beaucoup, dans ces territoires, sont au chômage. Cette réalité engendre le désespoir, le sentiment de relégation et d'abandon. Les inégalités entre territoires sont la marque de l'absence de solidarité. La nouvelle majorité l'a compris et fait de la lutte contre la fracture territoriale sa priorité -dont la création de votre ministère a été le premier signe. L'objectif est clair : M. Lamy l'a rappelé, aboutir sans délai à une amélioration concrète de la vie des 8 millions de nos concitoyens qui habitent dans les quartiers et réduire les inégalités dans tous les domaines. Vous avez vous-même rappelé, madame la ministre, que votre mission était de placer la politique des territoires sous le sceau de l'égalité -ce qui ne veut pas dire uniformité, on ne peut méconnaître les contextes locaux.
La réparation des territoires meurtris, la restauration de la solidarité entre les territoires, le rétablissement d'un égal accès aux services publics sont indispensables. Le groupe écologiste votera cette proposition de résolution car assurer l'égalité des territoires, c'est garantir un meilleur accès à l'emploi, au logement, à la santé, à l'environnement, en assurant un maillage interactif entre les centres-villes, les banlieues et les territoires ruraux.
À la fracture territoriale, il faut répondre par une cohésion fluide. Tout cela dépend d'une décentralisation qui ne serait pas décrétée par Paris. La réforme nécessaire vient d'être engagée, avec la collaboration de tous les acteurs concernés. Nous espérons que les effets de votre politique seront bientôt visibles. La tâche est immense, mais nous n'avons pas le droit à l'erreur : l'extrême droite est toujours prête à surfer sur les attentes déçues, et les échéances électorales ne sont pas loin. (Applaudissements à gauche)
M. Michel Teston . - Mes collègues ont rappelé que les dernières décennies ont été marquées par l'absence de politique d'aménagement du territoire et l'aggravation des inégalités. Nous avons pris acte de la création de votre ministère, reconnaissance de l'existence de la fracture territoriale.
Les auteurs de la proposition de résolution souhaitent la restauration des services publics sur l'ensemble du territoire, l'égalité des chances en termes de santé, d'emploi, d'enseignement, de transport, de très haut débit ; le droit à l'avenir pour tous.
Ce texte rejoint la proposition de loi visant à instaurer un nouveau pacte territorial, déposée par le groupe socialiste, qui avait fait l'objet d'un renvoi en commission par la majorité précédente. Elle proposait une organisation de l'offre des services publics respectant les principes d'équité territoriale et de proximité. Mon groupe partage donc l'objectif de cette proposition de loi. Mais le Gouvernement a déjà entamé la reconquête du territoire : préfiguration d'un Commissariat général, plan de Mme Touraine contre les déserts médicaux, nouveau plan de couverture en très haut débit, annonce de l'acte III de la décentralisation, création de la BPI, refondation de l'école.
Les infrastructures ont longtemps été considérées comme les seuls moyens permettant de désenclaver les territoires. Le développement des technologies numériques a changé la donne. Quant à la remise à plat du schéma national des infrastructures des transports, elle devrait permettre de faire le point sur les territoires les plus enclavés, qui doivent devenir prioritaires.
Sur le désenclavement numérique, le plan Fillon était bien trop timide et faisait la part trop belle aux opérateurs ; le Fonds d'aménagement numérique du territoire n'a jamais été alimenté. L'État doit reprendre la main : les collectivités territoriales doivent pouvoir agir si les opérateurs ne tiennent pas leurs engagements. Certains crédits du Grand emprunt peuvent encore être utilisés. Et il ne sera peut-être pas nécessaire de créer une nouvelle taxe puisqu'un recours a été déposé contre la taxe Copé ; si elle était annulée, elle pourrait servir à alimenter le Fonds. J'ajoute qu'il ne devrait pas être impossible de faire participer les opérateurs au déploiement dans les zones peu denses, dans la mesure où la logique de l'aménagement du territoire n'est pas celle de la concurrence. L'État doit s'assurer que les opérateurs respecteront leurs engagements dans la 4 G.
Le groupe socialiste votera donc cette proposition de résolution. (Applaudissements à gauche)
M. Jean-Claude Lenoir . - Ministre de l'égalité des territoires, votre titre sonnait de façon prometteuse, madame Duflot, lorsque vous fûtes nommée...
Merci, monsieur Mézard, pour votre intervention de qualité. Les territoires ruraux sont dynamiques, animés par des personnes volontaristes et qui n'ont pas hésité à accompagner les restructurations nécessaires. Voyez ce qui s'est passé en matière scolaire, pour les gendarmeries, pour la carte judiciaire. Je vous renvoie à l'exemple de mon département en matière de justice : nous avons pris des initiatives pour rendre possible l'accès au droit de tous. Rien n'est fatal.
En zone rurale, nous devons payer pour le numérique, comme pour la présence médicale ; des pôles de santé sont en construction, d'autres fonctionnent déjà. Les services à la personne se développent, grâce notamment au bénévolat. En matière d'accès à la culture, le fossé se comble grâce à des politiques très dynamiques. De même pour le logement des jeunes, des apprentis en particulier -j'ai un dossier dont je vous entretiendrai.
Enfin, tout le monde est d'accord pour dire que les transports coûtent très cher en zone rurale, nous payons les infrastructures des grandes villes, aussi nos routes et les péages. À l'intérieur des territoires, beaucoup de personnes dépensent une bonne partie de leur salaire pour se rendre sur leur lieu de travail. Avec un chèque-carburant payé pour moitié par l'employeur et exonéré de charges, sur le modèle de la carte orange, le coût serait divisé par deux pour le salarié.
M. Mézard souhaite le retour des radicaux au pouvoir. Peut-être y a-t-il d'autres solutions en attendant le grand soir... (Sourires) Celle que je préconise, c'est la contractualisation, entre l'Europe, qui doit pouvoir intervenir, l'État, les régions, les collectivités, notamment les intercommunalités, pour élaborer une stratégie ambitieuse de reconquête.
Aujourd'hui, vivre en zone rurale coûte plus cher que vivre en zone urbaine. Il faut restaurer une réelle égalité des chances. (Applaudissements sur les bancs UMP)
Mme Odette Herviaux . - La création de votre ministère, madame la ministre, consacre le constat de la fracture territoriale. Il fallait promouvoir l'égalité des droits -plutôt que des chances- de tous les citoyens. Cette proposition de résolution est bienvenue.
La transformation de la Datar a conduit à la remise en cause de la politique de coopération entre l'État et les collectivités. Le constat est simple et souvent désolant : depuis des années, des espaces entiers ont été abandonnés par les pouvoirs publics. Nous devons préserver leur spécificité et rétablir leurs droits aux services publics. Au niveau infrarégional, le phénomène de métropolisation a accentué les déséquilibres. L'étude de l'Insee sur les bassins de vie est très parlante ; en Bretagne, le plus petit s'étend sur 18 km² en bordure de côte, la plus grand en centre Bretagne fait 800 km²...
Nous avions défendu une proposition de loi sur l'aménagement du territoire, M. Teston l'a rappelé. La continuité territoriale et la situation des territoires insulaires ne sauraient être ignorées. Voulons-nous avoir encore des habitants sur ces îles dans 30 ans ? La spécificité des territoires ultramarins doit aussi bénéficier de toute l'attention du Gouvernement.
Parler d'égalité des territoires, c'est défendre l'égalité des droits de tous nos concitoyens. Chacun doit avoir la conviction qu'il dispose des mêmes droits ; pour beaucoup de territoires, une restauration est nécessaire, surtout en matière de justice, d'éducation et de santé.
Le droit à la santé devra être rétabli. L'État doit aussi veiller à sa fonction redistributrice en veillant au maintien de capacités locales d'animation et d'expertise comme à la péréquation. Le projet de loi de finances 2013 portait plusieurs engagements forts, je regrette que nous n'ayons pu en débattre jusqu'au bout.
Les élus locaux sont dans une situation très inconfortable, pris dans l'étau des restrictions budgétaires et des besoins de leurs concitoyens. La politique de la ville, la conférence environnementale et l'acte III de la décentralisation doivent être cohérents entre eux. Il nous appartiendra de promouvoir les principes de subsidiarité et de chef de file ; plutôt qu'un partage définitif des responsabilités, nous plaiderons pour la co-construction de responsabilités partagées.
Cette proposition de résolution a évoqué beaucoup de ces problématiques, nous la voterons avec enthousiasme. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
Mme Cécile Duflot, ministre de l'égalité des territoires et du logement . - Je suis très heureuse de m'exprimer devant vous sur ce sujet. Le Gouvernement a créé le ministère de l'égalité des territoires : belle ambition politique, lourde tâche aussi. Croyez bien que je ne me contenterai pas de paroles, mais que des actes viendront.
Les fractures territoriales s'aggravent entre les régions, mais aussi entre les bassins de vie ou les quartiers. Il est urgent d'y répondre, mais pas par un claquement de doigts venu de Paris. Dix ans de mise en concurrence des territoires, dix ans d'absence de vision politique d'aménagement du territoire laissent de profonds stigmates.
Un diagnostic précis est donc indispensable. La méthode que nous avons retenue, c'est de prendre le temps de la réflexion pour bâtir un travail solide et durable. À peine avais-je été nommée à la tête de ce ministère que j'ai voulu prendre à bras-le-corps la question de l'égalité des territoires. J'ai commandé à une équipe d'universitaires un rapport sur le sujet, qui me sera remis en février 2013 ; chaque contribution d'universitaire fera l'objet d'un contrepoint par le regard d'un élu. Parallèlement, je réfléchis aux modalités d'intervention de l'État sur les territoires, y compris outre-mer. Une mission de préfiguration du commissariat général est en cours, ainsi qu'une réflexion sur les missions d'appui de mon ministère auprès des collectivités territoriales.
Des concertations ont été lancées pour refonder l'école, les assises de l'enseignement supérieur ont eu lieu, M. Valls a lancé les ZSP, Mme Bertinotti entend développer les services de la petite enfance sur tout le territoire. La BPI permettra de mieux répondre aux besoins des PME de chaque région, tandis que se développera une nouvelle politique des pôles de compétitivité ; et je n'oublie pas les emplois d'avenir.
Nous voulons développer les capacités propres à chaque territoire en misant sur le numérique. C'est est une chance inestimable, car il s'appuie sur la créativité de tous. Le futur projet de loi de décentralisation y fera toute sa part. Le socle des compétences figurera également dans ce texte.
Les territoires meurtris devront être réparés. L'accès aux services pose, lui, la question de la mobilité. Le schéma national des infrastructures de transport est en cours de réexamen. La présence des services publics en région a été pensée, ces dernières années, ministère par ministère ; le résultat est connu... Le Gouvernement entend rompre avec cette méthode mais continuer la modernisation de l'appareil administratif en organisant la présence des services publics de façon cohérente. Que signifie « accéder aux services » ? Il faut réfléchir au bouquet de services rendus : pour qui, comment, dans quels délais ? Je m'engage à favoriser la mutualisation pour renforcer le maillage du territoire en services au public -sans oublier les services publics. Il faut mettre en cohérence les politiques publiques au service de l'aménagement du territoire, mettre en facteur commun tous les outils de contractualisation. Les outils européens, les contrats de territoire participent à cette réponse aux besoins des territoires meurtris.
C'est moi, monsieur Bertrand, si les circonstances le permettent, qui viendrai défendre devant vous une loi pour l'égalité des territoires, après une large concertation, à laquelle vous serez associés. J'aurai besoin de vous. Vous avez été les premiers à dénoncer les fractures du pays, je pense que vous serez les premiers à vouloir les réparer. Je ne vois donc que des avantages à l'adoption de cette proposition de résolution. (Applaudissements à gauche)
La proposition de résolution est adoptée.
Mme la présidente. - C'est l'unanimité. (Applaudissements à gauche)