Filière industrielle nucléaire française (Proposition de résolution)
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle la proposition de résolution relative à la filière industrielle nucléaire française, présentée en application de l'article 34-1 de la Constitution, par M. Jean-Claude Gaudin et les membres du groupe UMP.
M. Jean Bizet, auteur de la proposition de résolution. - Le président Gaudin et l'ensemble du groupe UMP ont souhaité soumettre cette proposition de résolution au Sénat afin de faire le point sur la filière industrielle nucléaire française. D'abord, parce que, dans un monde globalisé où règne une vive concurrence, cette filière d'excellence doit être soutenue. La France a atteint un vrai leadership mondial sur tous les maillons de la chaîne : du CEA pour la recherche jusqu'à EDF qui gère, en liaison avec plus de 500 sous-traitants, dont 20 % de PME, un parc nucléaire de 70 gigawatts. La filière représente 2 % de l'emploi total en France, une valeur ajoutée de 34 milliards d'euros, soit 2 % du PIB. Les perspectives de développement à l'international sont réelles : d'après l'Agence internationale à l'énergie atomique (AIEA), le parc mondial augmentera de 50 % d'ici 2030.
Ensuite, nous ne voudrions pas sacrifier cette filière d'excellence sur l'autel d'un accord, si tant est que ce soit un accord, entre le Parti socialiste et les Verts.
M. Didier Guillaume. - Nous non plus !
M. Jean Bizet, auteur de la proposition de résolution. - Puisse ce débat nous permettre d'y voir plus clair...
Troisième raison, l'Allemagne a brutalement décidé, après Fukushima, de sortir du nucléaire d'ici 2020, quoique, depuis 48 heures, elle ait décidé de réactiver certaines de ses centrales en raison des grands froids. Où est la cohérence ? Cette décision aura automatiquement des répercussions au niveau européen, ne serait-ce qu'en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre.
La dernière raison est économique. Quand le mégawatt vaut de 42 à 49 euros pour le nucléaire, 80 pour l'éolien terrestre, 150 à 200 pour l'éolien offshore et 250 à 400 euros pour le photovoltaïque...
M. Ronan Dantec. - Combien pour l'EPR ?
M. Jean Bizet, auteur de la proposition de résolution. - ...pouvons-nous, dans un monde aussi concurrentiel, nous priver de cette énergie peu chère et décarbonée par excellence ? L'Europe peut-elle se permettre d'aggraver son handicap économique face aux pays émergents ? Questions à méditer pour nos collègues écologistes, si sensibles à la nécessité de lutter contre le réchauffement climatique...
La sécurité nucléaire, depuis la loi de 2006 qui a créé l'Autorité de sécurité nucléaire (ASN) et l'Institut de radioprotection et de sureté nucléaire (IRSN), a été renforcée. Son coût, rapporte la Cour des comptes, renchérit un peu celui de l'énergie et doit être intégré. Je profite de l'occasion pour saluer l'excellent rapport de l'Opecst après la catastrophe de Fukushima.
Le nucléaire est un pilier de notre indépendance énergétique. Nous le devons à ceux qui, dès 1978, ont construit Fessenheim ; nous le devrons demain à ceux qui continueront dans cette voie.
S'agissant de la gestion des déchets, question qu'aborde le rapport de la Cour des comptes, Georges Charpak, prix Nobel, me disait il y a quelques années que seraient très certainement découverts un jour les moyens de réutiliser les matières fissiles.
Le temps est venu de prendre des décisions, qui nous engageront pour un demi-siècle. De fait, 22 centrales sur 58 auront plus de quarante ans d'ici 2022. Qu'en faire ? Les prolonger ? Construire des centrales de nouvelle génération ? L'avis de l'ASN sera déterminant. Nous ne devons pas céder à l'émotion pas plus qu'au déferlement médiatique amplifié par les réseaux sociaux...
Pour finir, je veux rappeler que j'avais préconisé avec M. Sutour, avant la catastrophe de Fukushima, la création d'une force d'intervention rapide capable de répondre à tout incident survenant dans une centrale. Je me félicite que l'ASN fasse la même proposition. Je souhaite qu'elle soit déclinée au niveau européen. Il faudrait en outre donner des moyens supplémentaires à l'ASN et à l'IRSN pour que ces organismes puissent mener des missions d'assistance hors de la zone euro.
Ne soyons pas naïfs, dans un monde globalisé où la concurrence fait rage, la France a de grands atouts si elle sait conjuguer compétitivité, sécurité et acceptation sociétale. (Applaudissements sur les bancs UMP)
M. Ronan Dantec. - Peut-être vais-je vous surprendre... Les Verts sont tout à fait d'accord avec le constat posé par l'UMP dans sa proposition de résolution : oui, le consensus français sur le nucléaire s'effrite, la France bientôt va tourner la page. Ce n'est pas le moindre plaisir, pour moi, que de le dire devant vous, qui ai commencé ma vie de militant à Plogoff, en manifestant devant les CRS de Valéry Giscard d'Estaing ; à ce jour, nous avons repoussé tout projet de centrale nucléaire en Bretagne...
Les lobbies ont beau se déchaîner, leur combat est perdu d'avance. C'est peut-être l'Allemagne qui a fait voler en éclats ce consensus -et le mythe de l'indépendance énergétique de la France : elle est venue à notre secours avec sa « réserve nucléaire froide », comme l'Espagne l'a fait avec son éolien ! Peut-être financera-t-elle une part de sa transition énergétique avec l'argent récolté dans l'opération... Dès l'an prochain, grâce à l'augmentation de ses énergies renouvelables de 20 % par an, elle pourra nous vendre une autre énergie. Il n'y a plus guère qu'en France que l'on prétende le débat rouvert en Allemagne ! Et dire que l'on vante à l'envi son pragmatisme ! Merci l'Allemagne ! Siemens s'est désengagé d'Areva et investit dans des technologies d'avenir.
En réalité, les fourmis allemandes, qui développent l'éolien en mer et isolent leurs bâtiments, travaillent pour les cigales françaises, qui continuent de chanter les louanges d'une énergie dépassée. L'efficacité énergétique est une culture, la consommation des foyers allemands est inférieure de 30 % à ce qu'elle est en France, où l'on a promu le chauffage électrique, un désastre, y compris pour les comptes sociaux. Il faut donc sortir du piège avant un prochain krach qui nous ramènerait aux années sombres de la fin de la sidérurgie... Soyons raisonnables !
Mais la France UMP s'entête, comme avant elle l'UDF des années 1970, comme ce matin le président de la République à Fessenheim, tel le Giscard des années Plogoff, autre expert en politicaille perdante. Oui, nous allons sortir du nucléaire, comme tous les pays européens ; ce n'est qu'une question de temps. Arrêtez d'avoir peur de l'avenir ! Fermons la parenthèse de ce programme hasardeux qui fait peser une inacceptable épée de Damoclès sur les générations futures !
M. Éric Besson, ministre auprès du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, chargé de l'industrie, de l'énergie et de l'économie numérique. - Personne pour l'applaudir ?
Mme Laurence Rossignol. - Mais si, moi ; cela ne me gêne pas !
M. Jean Bizet, auteur de la proposition de résolution. - Vive la Drôme et le nucléaire !
M. Didier Guillaume. - Dans les propositions de François Hollande, vous ne trouverez rien d'autre que de la cohérence politique et économique. Le débat mérite mieux que la caricature politicienne qu'en a fait M. Bizet. Je regrette que l'auteur de la proposition de résolution se soit écarté du ton raisonnable de l'exposé des motifs. Peut-on ignorer Fukushima et les interrogations légitimes de nos concitoyens ?
Notre politique est claire : développement de cette filière d'excellence, sobriété énergétique et diversification du mix énergétique. La France a un temps d'avance avec le CEA, l'IRSN, l'ASN, le modèle intégré d'Areva, EDF. Nous devons le conserver.
C'est la raison pour laquelle il faut poursuivre le projet d'EPR à Flamanville, en finir avec la sous-traitance, comme le suggère le rapport de l'Opecst qui sera remis le 15 février, et faire de la transparence une priorité absolue. Nous avons besoin d'un débat national sur l'énergie fondé sur des faits : la raréfaction des énergies fossiles, la sécurité et le coût de la filière, la lutte contre le réchauffement climatique.
Une bonne énergie est d'abord une énergie qu'on ne consomme pas. La crise de ces derniers jours a prouvé la nécessité d'aller vers la sobriété énergétique. Nous sommes fiers d'avoir fait face au pic de consommation... mais nous avons acheté de l'électricité aux Allemands.
Quant à la diversification du mix énergétique, François Hollande entend réduire la part du nucléaire de 75 % à 50 % dans la production d'électricité d'ici à 2025, soit l'équivalent de l'effort allemand. Il a dit qu'une centrale serait fermée durant le prochain quinquennat, celle de Fessenheim -fermeture que le conseil municipal de Strasbourg a votée à l'unanimité. Nous dégagerions ainsi les 10 millions que demande la Cour des comptes pour la sécurité de la plus vieille centrale française et les consacrerons à la recherche sur les énergies renouvelables.
M. Jean Bizet, auteur de la proposition de résolution. - C'est beaucoup plus cher !
M. Didier Guillaume. - En la matière, la France à quinze ans de retard sur l'Allemagne !
J'appelle la majorité gouvernementale à garder la tête froide. Nous avons besoin, non de coups politiciens, mais de la stratégie de long terme qu'appelle de ses voeux la Cour des comptes ! (Applaudissements à gauche)
M. Aymeri de Montesquiou. - « Énergie de l'apocalypse » pour François Heisbourg, « atome de la paix » pour l'AIEA, l'énergie nucléaire est devenue un sujet idéologique. J'en resterai pour ma part aux faits.
Les perspectives 2050 pour la planète sont préoccupantes. Comme fera-t-elle face ? Les émergents, Chine et Inde en tête, ne renonceront jamais au nucléaire, tandis que les pays en développement aspirent à un meilleur niveau de vie. Aujourd'hui, 1,4 milliard de personnes n'ont pas accès à l'électricité.
Notre filière française nucléaire -comme par parenthèse notre expertise dans le domaine du gaz naturel liquéfié- est un atout considérable pour répondre à cette demande croissante. Peut-être d'ailleurs aurait-on davantage de chance dans les négociations sur le nucléaire avec l'Iran si nous parlions de gaz...
Du coût de l'énergie dépend notre compétitivité. Au nom de quoi nous priver de l'énergie produite par les réacteurs de nouvelle génération, qui coûte seulement 42 à 49 euros au MW -à titre de comparaison, 277 euros pour le photovoltaïque ? Le socle nucléaire est indispensable pour amortir les à-coups du climat et du marché pétrolier. Hier, le prix de l'électricité instantanée a atteint des sommets : 1 938 euros, contre 138 euros pour une journée d'hiver normale.
Les engagements pris par l'Europe sont contraignants, mais l'environnement est notre bien commun ; il faudrait taxer les produits qui ne respectent pas les normes environnementales...
Après Three Mile Island, Tchernobyl et Fukushima, EDF fait tout pour renforcer la sécurité de ses centrales. Comment concilier croissance économique et sécurité ? Plusieurs options sont possibles. L'Allemagne a décidé de sortir du nucléaire, son sous-sol regorgeant de lignite, mais au prix du non-respect de ses engagements en termes d'émissions de CO2. En France, les centrales arrivent en fin de vie. Que faire ? Les démanteler ? Ce n'est pas le choix du président de la République. N'y a-t-il pas de risque à prolonger leur activité ? Et l'EPR ? Quels enseignements tirer du rapport de la Cour des comptes ? Ne faut-il pas accroître notre effort de recherche ?
Les termes de la résolution du président Gaudin sont justes et équilibrés ; nous ne pouvons qu'y adhérer ! (M. Jean Bizet applaudit)
M. Dominique Watrin. - Dès les premières lignes de la résolution de M. Gaudin, qui à juste titre relève l'excellence de notre filière nucléaire, le ton se fait accusateur... On y parle du soi-disant consensus que la gauche aurait fait voler en éclats. Mais depuis dix ans, c'est la droite qui s'est détournée du programme du CNR et de l'héritage gaulliste en tournant le dos à la démocratie sociale, en renonçant à faire disparaître les grandes féodalités économiques et financières, en privatisant le secteur de l'énergie et en le soumettant aux exigences de la rentabilité aux dépens de la sécurité, en démantelant le service public intégré. Résultat, 30 000 emplois supprimés en dix ans au nom de la concurrence libre et non faussée.
Aujourd'hui, 3,7 millions de foyers connaissent la précarité énergétique quand nos prédécesseurs s'étaient battus pour le droit à l'énergie pour tous. Dans ce contexte, une crise de confiance s'est installée, renforcée par le drame de Fukushima. Les citoyens, les travailleurs veulent de la transparence. M. Fillon a refusé l'audit sur la sécurité que demandaient syndicats et associations. On sait que les critères de rentabilité, dans la sous-traitance, posent des problèmes de sécurité : il faut y mettre un terme et offrir à ses salariés les mêmes garanties sociales que celles des entreprises électriques et gazières. L'ASN l'a rappelé : le facteur humain est un des piliers de la sûreté. Mais cette question est soigneusement éludée dans la proposition de résolution comme dans la politique du Gouvernement.
La réindustrialisation ? Nous sommes pour. Mais votre politique n'est pas pour rien dans la destruction de notre tissu industriel. Voyez même Flamanville : les turbines sont fabriquées dans onze pays différents ! Un accord avait été passé chez Alstom, qui ne l'a pas empêché de supprimer peu après une centaine d'emplois à Belfort... La production des ailettes a été délocalisée au Mexique... Les savoir-faire se perdent, la France perd son expertise.
Rien n'est dit, enfin, des déchets nucléaires. Il faut, pour les recycler, investir dans la recherche.
Les choix qui touchent au nucléaire sont immenses : nous appelons à un vrai débat national. (M. Didier Guillaume approuve) C'est au peuple, en dernière instance, de décider. Opposés à votre résolution, nous exigeons, dès à présent, de véritables mesures de sécurité, la maîtrise publique des installations et l'engagement d'une politique industrielle innovante dans le cadre d'une planification écologique, le développement des énergies renouvelables. Nous demandons enfin la transparence : les citoyens doivent être informés, participer aux décisions et pouvoir contrôler celles-ci.
Le groupe CRC votera contre cette proposition de résolution, qui ignore l'exigence d'une maîtrise publique et d'une gestion sociale de l'énergie et n'ouvre pas la voie à une transition responsable. (Applaudissements à gauche)
M. Jacques Mézard. - Notre groupe, avec ses diverses sensibilités, considère depuis longtemps que le développement de la filière nucléaire est positif, comme ce fut constamment la position du gouvernement français. Le rapport de la Cour des comptes relève que le prix de l'électricité à la consommation est 40 % inférieur à la moyenne européenne. (M. Jean Bizet le confirme)
M. Dantec a défendu le modèle allemand. Sur d'autres sujets, c'est plutôt une habitude de la droite... Sortir brutalement du nucléaire n'est ni raisonnable, ni réaliste. Les écologistes défendent une politique de décroissance, qu'ils l'assument.
Développer la filière nucléaire n'exclut en rien le choix d'un mix énergétique. Bien sûr, il y faut plus de sécurité et plus de transparence. Sans cela, certains continueront de spéculer sur les peurs, dans ce domaine comme dans d'autres.
M. Ronan Dantec. - Amalgame !
M. Jacques Mézard. - Les associations qui s'opposent au nucléaire sont aussi contre le photovoltaïque et l'éolien...
Cela étant, nous ne sommes pas dupes des intentions des auteurs de cette proposition de résolution. La question mérite mieux qu'une manoeuvre préélectorale : un large rassemblement. C'est pourquoi nous ne prendrons pas part au vote. (Applaudissements sur les bancs RDSE)
Mme Chantal Jouanno. - Je ne suis pas, pour paraphraser un ancien président de la République, une adepte du « 100 % nucléaire ». Je défends certainement moins le nucléaire que M. Guillaume... On ne peut préjuger, dans aucun sens, des évolutions technologiques. M. Dantec a cité l'Allemagne, mais le Royaume-Uni à l'inverse relance son programme nucléaire.
La sortie du nucléaire ne repose pas sur des arguments écologiques. Le nucléaire, avec les énergies renouvelables, est une énergie décarbonée. Je regrette que la gauche ait ainsi fait reculer l'écologie politique. Quelques grands noms de l'écologie se sont ralliés à la préférence pour le nucléaire contre les énergies fossiles.
Outre économiser l'énergie, l'idée est de développer le mix le plus décarboné possible. L'électricité nucléaire, il est vrai, parce qu'elle est bon marché, nous a poussés à développer le chauffage électrique : c'était une erreur.
M. Ronan Dantec. - Bravo !
Mme Chantal Jouanno. - Mais n'opposons pas les énergies, quand le Grenelle, voté à l'unanimité ici, je le rappelle, a voulu les combiner. L'enjeu est d'abord d'utiliser moins de sources fossiles. La production des énergies renouvelables a progressé de 33 % en trois ans. Nous rattrapons notre retard. Qu'on le veuille ou non, c'est au président de la République qu'on le doit.
Il est impossible de fermer la moitié des réacteurs d'ici 2025 sans renoncer à nos objectifs de croissance et de réduction des émissions de gaz à effet de serre. J'en veux pour preuve le rapport de l'Opecst, adopté à l'unanimité des présents -en l'absence, il est vrai, des élus écologistes.
Le recours au nucléaire nous a permis de faire face au doublement en trente ans de la consommation, de préserver notre indépendance, favoriser le développement de notre tissu industriel, réduire nos émissions de gaz à effet de serre -nous sommes, là-dessus, très en deçà des allemands, dont j'ajoute qu'ils ont des ressources de lignite pour 350 ans. Si elle ramenait à 20 % la part du nucléaire, la France ne pourrait qu'accroître massivement ses importations de gaz, soit 100 milliards de facture énergétique et un recul de son indépendance énergétique.
M. Didier Guillaume. - Ce n'est pas vrai !
Mme Chantal Jouanno. - C'est dans le rapport de l'Opecst.
Outre le doublement des émissions de gaz à effet de serre, 410 000 emplois seraient en jeu. Et plutôt que de vouloir moins d'emplois dans le nucléaire et plus dans les énergies non renouvelables, pourquoi ne pas créer des emplois dans les deux secteurs ?
De toute manière, le développement des seules énergies non renouvelables ne suffirait pas à compenser la fermeture des réacteurs. Des obstacles technologiques persistent, en particulier pour le photovoltaïque et pour l'éolien en mer. D'autre part, la déconnexion entre lieux de production et de consommation rend nécessaire un grand développement des réseaux, sachant qu'il faut dix ans pour construire des lignes à très haute tension. Enfin, nous ne pourrons massifier ces énergies sans progresser sur le stockage de l'électricité. Autant dire que la substitution d'énergies renouvelables à l'énergie nucléaire n'est envisageable qu'à moyen terme : il faut au moins vingt-cinq ans pour une transition entre énergies.
L'Office envisage un ajustement, en fin de vie des réacteurs, au moment préconisé par l'Autorité de sûreté nucléaire. Si l'on remplaçait deux réacteurs d'ancienne génération par un de nouvelle génération, la part d'électricité d'origine nucléaire se trouverait abaissée à 50 % à 60 % de la production totale actuelle vers 2050, puis à 20 % ou 30 % vers 2100. Cette trajectoire équilibrée n'est crédible que si la sécurité fait figure de priorité absolue, quel qu'en soit le coût.
Renforcer la sûreté nucléaire passe par une unification des moyens de l'Autorité de sûreté nucléaire et une limitation du recours aux cascades de sous-traitance, des efforts supplémentaires de formation du personnel, de transmission des compétences.
Limiter notre consommation énergétique doit être un enjeu des évolutions technologiques, du côté d'internet et de la voiture électrique.
Entre éthique de la conviction et éthique de la responsabilité, il est un chemin : le rapport de l'Opecst le trace, il est conforme à l'intérêt général. (Applaudissements à droite et au centre)
M. Jean Bizet, auteur de la proposition de résolution. - Très bien.
Mme Laurence Rossignol. - Cette proposition de résolution m'a fait remonter d'une génération en arrière, tant son plaidoyer est rétrograde. On fait comme s'il n'y avait pas eu Fukushima. Pas de place pour le doute, ni pour une analyse comparée des choix français et de ceux des autres pays.
Le nucléaire français lutterait contre le réchauffement climatique ? Les émissions de CO2 ne connaissent pas les frontières. Le nucléaire ne représente que 5 % de l'approvisionnement énergétique mondial et cette proportion n'évoluera pas sensiblement.
L'exportation ? Nos concitoyens veulent-ils voir proliférer les centrales sur leur sol ? J'en doute. Ils ne sont pas prêts à faire de la France le grenier nucléaire de l'Europe. Il y a d'ailleurs des incertitudes sur les carnets de commande : à qui vendra-t-on ? On ne voit d'acheteurs de nos centrales que dans des pays non démocratiques -hormis l'Inde, qui est bien une démocratie mais ne veut pas d'une autorité indépendante nationale. Il serait irresponsable de vendre des centrales à des pays qui refusent les contrôles.
La proposition de résolution parle d'une modification « sensible » de notre prix. Mais en réservant la prééminence au nucléaire, comme par le passé. Or, que constate-t-on ? La France consomme plus d'électricité, sans consommer moins de pétrole. Notre modèle est la surconsommation : consommer beaucoup pour produire beaucoup.
Nous avons pris un gros retard pour les énergies non renouvelables, avec une politique erratique sur le photovoltaïque. Dans les années 80, France photo et France voltaïque figuraient parmi les quatre leaders mondiaux. Comment ne pas voir dans leur échec la main nuisible du lobby nucléaire ? Si le nucléaire peut être un atout, le tout nucléaire est un handicap. C'est pourquoi François Hollande parle d'une réduction de la part du nucléaire à l'horizon 2025.
On nous a dit qu'en fermant ses centrales, l'Allemagne se condamnait au blackout en cas de grand froid. Le grand froid est là et c'est l'Allemagne qui nous fournit de l'énergie. Sa capacité en éolienne est équivalente à dix réacteurs nucléaires.
M. Roland du Luart. - Elle rouvre ses centrales.
Mme Laurence Rossignol. - Faux. Lisez le communiqué du responsable du réseau électrique allemand dans Le Monde.
M. Roland du Luart. - Peut-on faire confiance à ce journal ?
Mme Laurence Rossignol. - Puisque Mme Merkel soutient le président-candidat, j'espère qu'elle lui expliquera que l'on peut fermer une centrale sans se mettre à « pédaler » pour produire de l'énergie, comme il l'a dit si finement ce matin. (Applaudissements à gauche)
M. François Fortassin. - Ce débat méritait des effectifs mieux fournis que ceux d'un jeudi après-midi. M. Mézard vous a dit que nous ne tomberions pas dans le traquenard électoral. La filière nucléaire, ses 300 à 400 000 emplois et son rayonnement international ne peuvent pas être sacrifiés. La France est exemplaire en matière de sûreté, et la question du prix, 40 % inférieurs à la moyenne européenne, ne peut pas être évacuée.
M. Aymeri de Montesquiou. - Bien sûr.
M. François Fortassin. - Sans parler du bilan carbone.
M. Roland du Luart. - C'est le bon sens !
M. François Fortassin. - Comment le diminuer en réduisant la part du nucléaire ?
M. Aymeri de Montesquiou. - Schizophrénie.
M. François Fortassin. - Certes, il faut réduire la part du chauffage électrique, mieux isoler les bâtiments. De là à vouloir réduire toute notre consommation d'énergie ! Une faible consommation d'énergie est synonyme de sous-développement (MM. Jean Bizet et Roland du Luart approuvent) Et les énergies renouvelables ne résolvent pas les problèmes des besoins hivernaux.
M. Jean Bizet, auteur de la proposition de résolution. - C'est le bon sens.
M. Ronan Dantec. - Quand le vent vient de l'est, les éoliennes tournent : ça aussi, c'est le bon sens !
M. François Fortassin. - Un mot, monsieur le ministre, sur le solaire. Mettons à profit les toits des bâtiments commerciaux et industriels pour y installer des panneaux solaires. Quant à l'éolien, j'y suis favorable sur le plateau continental, là où il ne blesse pas les regards. Nous ferons des progrès considérables si nous parvenons un jour à stocker l'électricité. On n'y est pas encore tout à fait. (Applaudissements)
M. Éric Besson, ministre auprès du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, chargé de l'industrie, de l'énergie et de l'économie numérique. - Merci à M. Bizet d'avoir souligné le leadership de la France et les atouts de la filière : indépendance énergétique, prix plus bas, réduction des gaz à effet de serre, balance extérieure améliorée par une moindre dépendance aux importations. Sans parler des coopérations avec les pays en développement.
M. Dantec, avec beaucoup de bonhomie, a enfilé les poncifs. Le « consensus imposé », dites-vous ? Par qui ? De Gaulle, Pompidou, Giscard, Mitterrand, Chirac, Sarkozy, ont-ils donc imposé quoi que ce soit aux Français ? À quoi attribuez-vous le peu de succès du discours d'Eva Joly ?
Deuxième poncif, le lobby, lequel ? J'ai rencontré tous les responsables du nucléaire, et je ne vois pas où est le lobby. J'applique la politique voulue par le président de la République : efficacité énergétique et développement durable. Les électeurs, c'est le seul lobby que je connaisse.
La France est exportatrice nette d'électricité, y compris à l'égard de l'Allemagne depuis sa décision de sortie du nucléaire. Les pays dotés de centrales thermiques, plus faciles à mettre en route, peuvent ponctuellement nous dépanner, mais je vous rassure : nous redeviendrons exportateurs dès la semaine prochaine.
Vous avez cité Siemens : l'entreprise estime le coût de la décision allemande à 1 700 milliards d'euros. Voilà qui en dit long sur l'effort d'investissement exigé. Les dirigeants allemands reconnaissent que l'électricité coûtera plus cher, qu'il faudra importer plus de gaz, que les émissions de gaz à effet de serre augmenteront, mais se disent convaincus que d'ici 15-20 ans, la situation se rétablira. Cette prévision se discute mais le propos a le mérite de l'honnêteté -que je n'ai pas trouvée ici. Un Français émet huit tonnes de CO2 par an, un Allemand onze tonnes. Point.
Nous savons puiser dans notre potentiel éolien : nous l'avons fait avant-hier, à 57 %, mais la veille 12 % seulement, par manque de vent. Croyez-vous que les Français acceptent de ne se chauffer qu'au gré du vent ? Le propre du renouvelable, c'est l'intermittence.
M. Jean Bizet, auteur de la proposition de résolution. - Très bien !
M. Éric Besson, ministre. - Sans le nucléaire, il faut l'appui de centrales thermiques si l'on veut assurer la continuité de l'approvisionnement.
M. Ronan Dantec. - Le thermique, c'est aussi la biomasse !
M. Éric Besson, ministre. - Le chauffage électrique est, dites-vous, une aberration. Sans doute avons-nous été tentés de n'investir qu'insuffisamment, mais nous y remédions. Reste que, hors le nucléaire, l'alternative est le gaz, qui doit être importé. Or M. Poutine vient de déclarer que le gaz russe doit d'abord bénéficier aux Russes.
Nous ne voulons pas sortir du nucléaire, a dit M. Guillaume. J'ai avec lui une solidarité drômoise.
Mme Laurence Rossignol. - M. Guillaume ne mérite pas ça !
M. Éric Besson, ministre. - Vous voulez 24 réacteurs sur 58 d'ici à 2025.
M. Didier Guillaume. - Ce n'est pas la position du candidat.
M. Éric Besson, ministre. - C'est ce qu'il a dit officiellement au Bourget. Je cite l'évangile ! (Marques d'agacement sur les bancs socialistes) Si l'on arrête les réacteurs de 40 ans -24 sont concernés- sans construire de réacteurs de nouvelle génération, que fait-on sinon sortir du nucléaire ? Quand bien même on ajoute que la sortie sera progressive, douce.
M. Ronan Dantec. - Merci !
M. Éric Besson, ministre. - Je ne fais que dire ce qui est, vous le savez parfaitement mais vous refusez d'appeler un chat un chat. Vous avez obtenu un accord législatif avec les socialistes, c'est la seule chose qui vous intéresse.
Mme Laurence Rossignol. - Ces politicailleries ne sont pas de mise dans un tel débat !
M. Éric Besson, ministre. - Lors de la dernière réunion de l'AIEA, j'ai souligné que nos besoins énergétiques seraient multipliés par deux d'ici à 2050. Le ministre indien a dit par dix. Ce n'est pas un hasard si les pays émergents lancent des programmes nucléaires.
Le rapport Énergie 2050, monsieur de Montesquiou, sera disponible dès lundi. La force d'intervention rapide ? La France veut la développer sans attendre, pour son compte, et nous plaidons à l'international.
Je me retrouve, monsieur Watrin, dans certains de vos propos, notamment quant à l'impact sur l'emploi. Mais vous parlez de 30 000 emplois supprimés : je ne sais pas d'où vient ce chiffre que j'ai déjà entendu. Le Gouvernement a relevé les tarifs sociaux et les a rendu automatiques, dès janvier, pour les bénéficiaires de minimas sociaux. La sous-traitance n'est pas un mal en soi : il faut l'encadrer, c'est le rôle de l'ASN. En mai 2011, j'ai demandé aux exploitants de remettre annuellement un rapport.
M. Mézard a rappelé que la question des infrastructures est centrale. On ne veut pas du gaz de schiste, certains ne veulent pas d'éolien, et on plaide pour l'interconnexion, en se heurtant à chaque fois à des résistances -comme s'y heurtera l'Allemagne. L'équivalent de Fessenheim, ce serait 2 000 éoliennes, chiffre vertigineux, a rappelé le président de la République ce matin.
Mme Jouanno a dit de façon subtile et nuancée sa sensibilité personnelle. Elle est presque moins favorable au nucléaire que M. Guillaume mais elle précise que le nucléaire comporte moins d'inconvénients que les énergies fossiles -dont dépendent 51 % de notre consommation finale : là est le vrai problème. Je souscris à ce qu'elle a dit sur les économies d'énergie.
Nous ne sommes pas isolés, ni dans le monde, ni en Europe, madame Rossignol : seize pays sur vingt-sept ont réaffirmé la place du nucléaire.
Mme Laurence Rossignol. - Vous oubliez de dire quand.
M. André Gattolin. - Combien de pays continuent de le développer ?
M. Éric Besson, ministre. - Vous dites que le nucléaire ne sert à rien dans le mix pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. Vous n'expliquez pas pourquoi.
Mme Laurence Rossignol. - Je l'ai dit amis vous ne voulez pas entendre. Le volume du nucléaire ne dépassera pas 5 % dans le mix mondial, ce n'est pas suffisant pour changer la donne !
M. Éric Besson, ministre. - La force d'intervention rapide, c'est la France qui l'a proposée.
Tous les objectifs du Grenelle seront atteints : dans l'éolien, le photovoltaïque, les économies d'énergie. Connaissant vos responsabilités au sein du Parti socialiste, je m'étonne de n'avoir rien entendu sur vos préconisations. Comment fermerez-vous ces 24 réacteurs ? À quel rythme ? Par quoi les remplacerez-vous ? Quels prix pour les consommateurs ?
Mme Laurence Rossignol. - Patience ! On vous expliquera.
M. Éric Besson, ministre. - Vous vous êtes bien gardée de le faire.
Mme Laurence Rossignol. - Vous aurez un grand débat sur l'énergie, M. Hollande le veut. Même vous y serez invité.
M. Éric Besson, ministre. - Jamais le Gouvernement n'a accrédité la rumeur selon laquelle l'Allemagne aurait relancé ses centrales nucléaires.
Mme Laurence Rossignol. - Effectivement, elle a rouvert des centrales à gaz.
M. Éric Besson, ministre. - M. Fortassin a tenu des propos de bon sens, notamment sur l'éolien et le solaire. Le Gouvernement va lancer un appel d'offres pour deux fois 3 000 MW d'éolien offshore.
Attention à ne pas confondre transition énergétique et sortie du nucléaire ; pour une réduction des énergies carbonées, il faut un socle nucléaire stable et transparent, une filière industrielle forte.
Mme Laurence Rossignol. - Laquelle ?
M. Éric Besson, ministre. - Cessez de m'interrompre ! Il fallait mieux expliquer vos choix à la tribune.
Mme Laurence Rossignol. - J'ai parlé sept minutes. Cela fait plus d'une demi-heure que vous occupez la tribune et dix minutes que vous commentez mes propos : ils ne devaient pas être si vides que vous le dites !
M. Éric Besson, ministre. - L'ASN a rappelé la nécessité de renforcer encore la sûreté nucléaire, nous y veillerons. C'est dans un même souci de transparence que le Premier ministre a demandé un rapport à la Cour des comptes sur le coût du nucléaire. Ses conclusions sont claires : il n'y a pas de coût caché. Fin d'un mythe...
Le nucléaire, après l'hydroélectricité, est bien l'énergie la plus compétitive. Ceux qui espéraient que la Cour démontre le contraire en sont pour leurs frais. D'où le discours très clair que M. le président de la République a tenu ce matin à Fessenheim en faveur du nucléaire. J'ajoute que le partenariat voulu entre EDF et Areva est désormais réalité.
Nous n'accepterons pas que l'on sacrifie un parc nucléaire dont l'ASN considère qu'il est en parfait état de marche. Aussi, soutenons-nous et l'esprit et la lettre de la proposition de résolution. (Applaudissements sur les bancs UMP)
À la demande du groupe UMP, la proposition de résolution est mise aux voix par scrutin public.
Mme la présidente. - Voici les résultats du scrutin :
Nombre de votants | 331 |
Nombre de suffrages exprimés | 331 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 166 |
Pour l'adoption | 171 |
Contre | 160 |
Le Sénat a adopté.
Prochaine séance lundi 13 février 2012, à 15 heures.
La séance est levée à 18 h 15.
Jean-Luc Dealberto
Directeur des comptes rendus analytiques
ORDRE DU JOUR
du lundi 13 février 2012
Séance publique
À 15 heures et, éventuellement, le soir
1. Proposition de résolution relative à l'application de certaines dispositions de la loi du 9 juillet 2010, concernant les violences faites aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants, présentée en application de l'article 34-1 de la Constitution (n° 200, 2011-2012)
2. Conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi relative à l'exploitation numérique des livres indisponibles du XXe siècle (n° 327, 2011-2012)
Rapport de Mme Bariza Khiari, rapporteure pour le Sénat (n° 326, 2011-2012).
3. Conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi portant réforme des ports d'outre-mer relevant de l'État et diverses dispositions d'adaptation de la législation au droit de l'Union européenne dans le domaine des transports (n° 329, 2011-2012)
Rapport de Mme Odette Herviaux, rapporteure pour le Sénat (n° 328, 2011-2012).
4. Conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi fixant au 11 novembre la commémoration de tous les morts pour la France (n° 317, 2011-2012)
Rapport de M. Marcel-Pierre Cléach, rapporteur pour le Sénat (n° 316, 2011-2012).