Mineurs délinquants (Procédure accélérée -Nouvelle lecture)
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle une nouvelle lecture du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, visant à instaurer un service citoyen pour les mineurs délinquants.
Discussion générale
M. Michel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés. - La CMP n'a pas trouvé de compromis sur ce texte, ce qui ne surprendra personne. Comme lors de la première lecture, vous déposez une motion de question préalable.
Ce texte combine l'exigence de sanction et de réinsertion du jeune, il ne remet nullement en cause la philosophie de l'ordonnance de 1945. En donnant la primauté à l'éducatif, le service citoyen inscrit le jeune dans un parcours de réinsertion. Il ne concerne que les plus de 16 ans, et s'appuie sur le volontariat. Il faut adopter la réponse pénale à la diversité des profils et ne se priver d'aucun outil. L'autorité judiciaire dispose déjà d'une large palette de mesures ; ce texte la complète, pour des jeunes désorientés qui ne sont pas encore de vrais délinquants. Ceux-là représenteront au plus 10 % des effectifs. Je suis convaincu que les majeurs auront un effet d'entraînement positif sur eux. Ces mineurs délinquants bénéficieront d'un suivi adapté, avec une réflexion sur l'acte de délinquance commis.
L'Epide (Établissement public d'insertion de la défense) sera conforté : trois centres accueilleront ces nouveaux pensionnaires dès janvier 2012, quinze dès juin 2012. Il est prêt à accueillir et former des encadrants ; la montée en charge sera progressive jusqu'en octobre 2012. Merci à son directeur général pour son implication.
Mme la rapporteure s'étonne de n'avoir trouvé aucune indication de financement. C'est que le dispositif n'a pas encore d'existence légale. Il ne tournera à plein régime qu'en 2013.
Le texte met, en outre, notre droit en conformité avec la jurisprudence du Conseil constitutionnel sur la composition des juridictions pour mineurs, en en renforçant l'indépendance. S'agissant des modalités de saisine, la requête devant le juge des enfants est conforme à l'exigence de rapidité.
Le service citoyen est un nouveau moyen de prévenir la récidive en privilégiant la réinsertion. Ne nous privons pas de cet outil. (Applaudissements sur les bancs UMP)
Mme Virginie Klès, rapporteure de la commission des lois. - En dépit de son intitulé, cette proposition de loi n'a pas seulement pour objet de créer 166 places en Epide pour des mineurs délinquants : s'y ajoute un cavalier chargé de transcrire des décisions du Conseil constitutionnel -ce qui n'urgeait nullement et n'a pas grand-chose à voir avec le service citoyen. Au reste, qu'a-t-il de citoyen ? Aucun amendement n'a été déposé à droite -c'est étonnant quand la majorité gouvernementale estimait ce texte digne d'être amendé par le Sénat.
Il s'agit de placer les mineurs délinquants, quel que soit le délit commis, en Epide : il s'agit pourtant d'internats mixtes ouverts... Surprenant, et dangereux !
L'Epide est prêt à accueillir des mineurs délinquants ? Oui, à condition d'en avoir les moyens. Il faut 40 à 45 ETP supplémentaires. Sans formation, sans encadrement, sans moyens, elle ne pourra assumer cette nouvelle mission.
Où sont les 8 milliards promis ? La décision n'est pas prise, dîtes-vous. Mais la rumeur enfle...
Mme Nathalie Goulet. - Il ne faut pas se fier aux rumeurs ! (Sourires)
Mme Virginie Klès, rapporteure. - ... selon laquelle on préparerait l'arrivée en grande pompe du premier jeune, à grand renfort de communication !
M. Louis Nègre. - Les voies du Seigneur sont impénétrables !
Mme Virginie Klès, rapporteure. - Les crédits de l'Epide baissent !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. - C'est faux !
Mme Virginie Klès, rapporteure. - Moins 3,4 millions par rapport à 2010. Vous ne pouvez dire que c'est un budget constant...
M. Michel Mercier, garde des sceaux. - Vous ne voulez pas que je vous interrompe pour rectifier, libre à vous.
Mme Virginie Klès, rapporteure. - Quand bien même je me serais trompée dans mes calculs, ces 166 places viennent-elles en sus ou seront-elles prises sur les places destinées aux majeurs non délinquants ? On sacrifie un dispositif qui fonctionne pour se lancer dans une aventure aux résultats plus qu'incertains.
Nous nous étions déjà opposés à ce texte en première lecture, par respect pour l'Epide dont le budget ne cesse de baisser, comme celui de la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) d'ailleurs. On confond rééducation de jeunes délinquants et réinsertion de jeunes volontaires majeurs, on ajoute un cavalier... Tout cela nous invite à réitérer notre motion de question préalable. (Applaudissements à gauche)
Mme la présidente. - Pour tenir compte du déroulement des scrutins, je vais appeler M. Pillet à la tribune dès maintenant.
M. François Pillet. - Après l'impossible entente entre l'Assemblée nationale et le Sénat sur cette proposition de loi, notre position n'a pas varié.
« Lorsque les pères s'habituent à laisser faire les enfants, lorsque les fils ne tiennent plus compte de leurs paroles, lorsque les maîtres tremblent devant leurs élèves et préfèrent les flatter, lorsque finalement les jeunes méprisent les lois parce qu'ils ne reconnaissent plus au-dessus d'eux l'autorité de rien et de personne, alors, c'est là, en toute beauté et en toute jeunesse, le début de la tyrannie. » Cette hantise était déjà celle de Platon, dans la République.
Notre ambition est d'assurer la protection de nos concitoyens contre une insécurité grandissante due aux mineurs, et de prendre en compte l'avenir de ces derniers. Il ne s'agit nullement de les stigmatiser mais de leur faire prendre conscience du délit commis. Depuis l'ordonnance du 2 février 1945, le droit pénal des mineurs est fondé sur la conviction profondément humaniste que le mineur est un être en construction, à protéger, qui ne doit pas être traité comme un adulte.
La violence des mineurs est de plus en plus grave, elle touche les biens et les personnes, de façon de plus en plus barbare et dégradante. Déshérence, ignorance, misère sociale sont autant de causes. Même les filles n'hésitent plus à commettre l'indicible. Face à cette situation, l'urgence était d'améliorer les délais de la réponse pénale et l'efficacité de la sanction. Pour les mineurs multirécidivistes, les centres éducatifs fermés (CEF) sont une réussite et doivent être pérennisés. Mais il faut aussi donner aux primo-délinquants les moyens de ne pas s'enferrer eux-mêmes. Les aider -car nous les respectons-, tel est l'objet de la proposition de loi Ciotti.
Le mineur donnera son accord avant d'intégrer un Epide. L'encadrement s'inspirera du modèle militaire. La qualité du travail est attestée par les résultats d'insertion de l'établissement : 80 % des jeunes volontaires sont réinsérés dans la vie active, sachant que 30 % des volontaires viennent de quartiers difficiles.
Le sport et l'instruction civique font partie intégrante du programme. Redonner des repères, réveiller la volonté, restaurer l'estime de soi, mens sana in corpore sano ; voici les buts louables de l'Epide. L'expérience s'avérant concluante, ne pas offrir cette chance aux primo-délinquants serait irresponsable de notre part. Ce ne sera en tout état de cause qu'un outil supplémentaire.
Une déstabilisation des Epide ? Le consentement du mineur accueilli, allié à la prévision d'ouverture de places, garantit que ce ne sera pas le cas. Du reste, les problèmes de marginalisation sont souvent identiques entre les volontaires actuels et nos primo-délinquants.
L'article 6 n'est nullement un cavalier : il interdit que le juge des enfants qui a instruit l'affaire préside la juridiction de jugement.
La réforme n'aurait pas été préparée ? La création de 166 places a été annoncée dès le début de l'année et les 8 millions d'euros seront répartis entre les ministères concernés : défense, emploi, justice, ville.
Nous refusons de céder aux incantations et voterons le texte issu de l'Assemblée nationale. (Applaudissements sur les bancs UMP)
Mme Éliane Assassi. - Le Gouvernement vient à peine de bouleverser le droit pénal des mineurs que voici la proposition de loi Ciotti. Il ne s'agit nullement d'un service citoyen, mais de flatter l'opinion publique en invoquant la rigueur militaire. (Protestations sur les bancs UMP) M. Ciotti assume d'ailleurs son caractère ouvertement populiste. (Même mouvement) Les militaires, les magistrats, les professionnels de la jeunesse ne sont guère convaincus et dénoncent cet affichage. M. Ciotti oublie que l'Epide vise avant tout la réinsertion de jeunes marginalisés et repose sur le volontariat. Les pensionnaires délinquants seront stigmatisés, au détriment de l'efficacité.
Cette proposition de loi s'inscrit dans une orientation idéologique constante : les parents seraient démissionnaires, la délinquance de jeunes s'aggraverait. Mensonges ! La part de la délinquance des mineurs stagne, voire baisse. On oublie que ces mineurs sont des enfants en danger.
Plutôt que de s'attaquer aux causes réelles du malaise, le Gouvernement détricote l'ordonnance de 1945. L'aspect éducatif, la spécificité des procédures et des juridictions : voilà ce que vous sapez, année après année ! En sept ans, sept rapports ont été commandés sur la délinquance des mineurs, sans concertation avec les acteurs. Mieux aurait valu consacrer cette énergie à mettre en oeuvre l'ordonnance de 1945. Ce texte n'est qu'un nouvel aveu d'impuissance. (Applaudissements sur les bancs CRC)
M. Jean-Marie Bockel. - La procédure accélérée a son intérêt sur ce sujet, comme la décision du Premier ministre du 22 septembre de créer 166 places en Epide. Il faut que les budgets suivent, c'est une priorité.
Comme M. Zocchetto en première lecture, je regrette l'abus de la procédure par la majorité, qui veut interdire tout débat. C'est dommage : nous aurions sans doute pu faire converger nos positions, proposer des sections spécialisées au sein des Epide, encadrer le nombre de délinquants mineurs par établissement... Le sujet méritait une discussion de fond. L'idée d'accueillir des mineurs délinquants en Epide n'est pas mauvaise en soi mais elle appelle une vraie préparation quand le nombre de places est déjà limité.
Auteur d'un des nombreux rapports sur la prévention de la délinquance des mineurs, je sais que le sujet est complexe. Les propositions sont nombreuses ; il faut des moyens adaptés et pérennes. Ce texte a le mérite d'amorcer la discussion avec tous les acteurs, dont les collectivités territoriales.
Fondés en 2005, les Epide sont une réussite. J'y étais favorable dès le départ et voulais en accueillir un à Mulhouse. On n'accueille encore que 2 000 jeunes : c'est trop peu. Il faut aller plus loin.
L'accueil des mineurs primo-délinquants, même non volontaires, mérite réflexion. Le dispositif est certes coûteux, mais moins que les conséquences de la délinquance. Pourquoi ne pas prévoir des mesures incitatives ?
Je suis très favorable à cette mesure dans son principe. Il faut progresser, avec des mesures simples et peu coûteuses : trinômes dans les lycées, rôle du juge des enfants. J'espère, monsieur le ministre, que vous tracerez des perspectives. (Applaudissements sur les bancs UCR)