Droit de vote des étrangers (Suite)

M. le président.  - Nous reprenons la discussion de la proposition de loi relative au vote des étrangers. Nous abordons la discussion des articles.

Discussion des articles

Article premier

M. Louis Nègre.  - Cette proposition de loi met en péril notre construction républicaine. Le droit de vote est la plus haute manifestation de notre appartenance à la nation. Le traité de Maastricht exige la conclusion de traités entre États membres et la réciprocité. Or vous seriez bien incapables de citer un pays qui accepterait d'appliquer une telle réciprocité pour des étrangers non communautaires.

La France est généreuse, accueillante.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin.  - Allez voir dans les préfectures !

M. Louis Nègre.  - Elle naturalise 356 personnes par jour ! Depuis le début de notre débat à 15 heures, 120 étrangers sont devenus français, en signant la Charte des droits et devoirs des citoyens.

Preuve d'intégration, dans cet hémicycle, Mme la rapporteure confirme notre thèse quand elle dit qu'elle était une immigrée et qu'elle a choisi la France. Elle est désormais française et sénatrice. Un étranger peut, s'il le veut, participer au destin de notre pays, sans que nous ayons besoin de déclencher avec cette proposition de loi des forces centripètes. (Sourires à gauche)

Mais que cache ce texte qui ressort à la veille de chaque élection importante...

M. David Assouline.  - Ah bon ? Quand ?

M. Louis Nègre.  - En 1983, que cherchiez-vous ? Aujourd'hui, que cherchez-vous ? À appliquer d'avance une partie de votre programme, qui vise à étendre le vote des étrangers à toutes les élections locales ?

Suivre les propositions de Terra Nova ? Rassembler l'escadre de pédalos qui s'égaie à tout vat ? Comme le disait le général de Gaulle, « Si nous sommes tous des enfants du Bon Dieu, nous ne sommes pas pour autant des canards sauvages ». La ficelle est un peu grosse. Nous ne tomberons pas dans ce piège grossier. Nous voterons contre cet article politicien tant par son existence que par son essence.

M. Abdourahamane Soilihi.  - Être Français, mesurons ce que c'est. À Mayotte et dans tout l'outre-mer ! Nos compatriotes mahorais et domiens donnaient un peu de la voix ces derniers temps, mais ils revendiquent leur nationalité et leur citoyenneté ! Mayotte est devenu le 101e département français le 31 mars. La lutte contre l'immigration illégale, voilà la priorité ! Comment faire comprendre aux Français de là-bas qu'ils n'ont pas plus de droits civiques que les immigrés irréguliers, 40 % de la population !

Mme Éliane Assassi.  - Quand on n'a pas de papiers, on ne vote pas, ne dites pas n'importe quoi !

M. Abdourahamane Soilihi.  - Que ceux qui voteront cette proposition de loi aillent s'expliquer devant les Mahorais, eux qui sont en première ligne face à l'immigration irrégulière.

Mme Éliane Assassi.  - Tout à fait hors sujet !

M. Abdourahamane Soilihi.  - Je me souviens de notre ministre de l'outre-mer disant : « C'est l'honneur de la France, c'est la fierté de notre pays que de savoir, par-delà les océans, réunir des femmes et des hommes aux histoires et aux cultures différentes dans un projet commun qui nous rassemble tous ».

C'est cela la République, chère au coeur des Français d'outre-mer, qui se souviennent du 4 février 1794, quand, avec la première abolition de l'esclavage, avec des Ultramarins élus à la Convention, la France nous disait ce que c'est que la citoyenneté. (Applaudissements sur les bancs UMP)

Mme Bariza Khiari.  - Ce texte résulte de la volonté de la majorité sénatoriale de mieux inclure les immigrés et de leur montrer l'image d'une République accueillante et apaisée. Pour l'intégrer, il faut connaître l'étranger et le reconnaître, lui permettre de prendre part à la vie de la cité, au lieu de rester à part, lui donner le droit d'avoir des devoirs.

Le lien entre nationalité et citoyenneté est distendu depuis Maastricht. Vous confondez intégration et assimilation, et exigez des étrangers qui veulent participer à la vie de la cité qu'ils deviennent des Français. Langue française maîtrisée dans l'intégration, mais respect de la culture de chacun : une société unie et solidaire passe par la diversité et le respect de la singularité. Nous souhaitons une démocratie vivante.

La liberté, c'est de donner aussi à ceux qui vivent sur notre sol cette liberté élémentaire de participer à la vie de la cité. L'égalité, c'est lutter contre tout ce qui l'entrave et qui reste un combat. La fraternité c'est ce mot du coeur qui se passe de définition.

On a beaucoup parlé de communautarisme. Plus on donnera à ces étrangers l'impression qu'ils ne sont pas les bienvenus dans notre pays, que l'islam est une idéologie à combattre et non une spiritualité. Plus on donnera de l'eau au moulin des plus radicaux de toute sorte. Le problème est bien dans notre attitude, pas dans celle des étrangers, ces « grands souffrants » comme les qualifie Kundera.

La citoyenneté de résidence est pour nous un droit. Il ne s'agit pas de reconnaître des égaux mais d'en faire. Portons sur nous le destin de ces gens, pour construire avec eux un destin commun. Comme M. Mézard, je vous invite au courage, gage de la vitalité de notre société et de son ouverture au monde. (Applaudissements à gauche)

M. Thierry Repentin.  - Quelle hauteur de vues !

Mlle Sophie Joissains.  - On a octroyé progressivement tous les droits participatifs aux étrangers, sauf les droits politiques. Les donner, ce serait les galvauder. Les immigrés tunisiens en France ont voté à 40 % pour le parti islamiste tunisien : que feront-ils dans nos bureaux de vote ? (Exclamations à gauche) Je respecte la liberté de chacun mais voyons les choses en face.

La citoyenneté européenne est supranationale, issue d'un projet commun et d'un idéal partagé. Les étrangers ont la possibilité de voter dans leur pays : leur taux de participation est du reste plus élevé que chez nous. Si la France accordait le droit de vote sans réciprocité, elle se tirerait une balle dans le pied.

Être français, c'est s'approprier une histoire et des valeurs. La couleur, l'ethnie n'ont aucune importance. C'est l'amour de la France qui compte. Face à une douleur sociétale, quels seront les calculs politiques à l'approche des élections ? Et pour certaines factions, ce pourrait être un effet d'aubaine. Depuis soixante ans, nous sommes en paix en Europe, ce n'est pas rien ! (Exclamations à gauche)

Certains thèmes suscitent des réactions viscérales. L'étranger subit l'anathème. Est-ce ce que la gauche veut ? (Protestations à gauche)

Votre démarche a été faite en toute connaissance de cause : elle est dangereuse et irresponsable. (Applaudissements sur les bancs UMP)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - Lamentable.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam.  - La générosité, sous la Révolution française, n'était qu'apparence. Il fallait avoir « bien mérité de l'humanité » et renoncer à toute autre appartenance. Elle exigeait une allégeance totale au nouveau régime ! En outre, en octobre 1793, tous les étrangers appartenant à des pays en guerre avec la France ont été arrêtés et spoliés de leurs biens.

Comment exiger moins de contreparties des étrangers extracommunautaires que des ressortissants européens ? La réciprocité serait bien difficile à organiser, car nombre de pays n'organisent aucun scrutin. Il y aurait donc des inégalités selon les pays d'origine des étrangers.

En Finlande, la participation des étrangers à la vie politique locale, qui peuvent voter depuis quinze ans, est très faible.

M. David Assouline.  - Alors de quoi avez-vous peur ?

M. François Rebsamen.  - N'ayez pas peur, alors !

Mme Joëlle Garriaud-Maylam.  - La faible identification de ces étrangers à la vie politique locale est le principal argument avancé pour expliquer ce phénomène. Est-il raisonnable d'octroyer un droit de vote qui ne répond pas à un besoin profondément ressenti et à une revendication clairement formulée ? Chez nous, l'abstention est suffisamment élevée, ne l'aggravons pas.

La langue est un élément important d'intégration. Cette dimension est au coeur de la législation de nombre de pays ayant accordé un droit de vote aux étrangers non-communautaires. L'Espagne privilégie les ressortissants de pays hispanophones, le Portugal ceux des pays lusophones et le Royaume-Uni les ressortissants du Commonwealth et les Irlandais.

La naturalisation est une voie préférable à un droit déconnecté des autres droits et devoirs, pour maintenir le lien sacré au sein de la nation. La République française vaut mieux que votre proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs UMP)

M. David Assouline.  - En tout cas, elle vaut mieux que votre intervention.

M. Pierre-Yves Collombat.  - La cellule de base de la démocratie communale est un lieu de politique avant d'être un pourvoyeur de services publics contre rétribution fiscale. Que je sache, le Sénat n'est pas le Conseil économique, social et environnemental mais une assemblée politique. On nous propose aujourd'hui de renoncer à ce modèle : en découplant nationalité et citoyenneté et en créant deux sortes de citoyenneté : une citoyenneté nationale de plein exercice, une citoyenneté résidentielle locale. Un ensemble politique bâti selon cette logique est possible puisqu'il existe : les démocraties issues de la tradition monarchique ou impériale qui entendent assurer, non pas la vie en commun d'atomes de citoyenneté mais des communautés de religions et de cultures différentes.

Ces modèles « multiculturels » assurent-ils mieux que le modèle républicain français la paix publique, la coexistence libre, tolérante et réellement équitable ? Les émeutes de 2001, les tentatives d'attentat qui ont eu lieu en 2005 en Grande-Bretagne, les remises en cause du modèle néerlandais en font douter. L'Europe libérale construite autour du marché et d'une bureaucratie juridico- financière dont l'objectif est de se passer du politique et de dissoudre les nations ne voit qu'avantages à la citoyenneté résidentielle. Cette Europe qui entendait unir les peuples est en train de les séparer.

La déliaison de la citoyenneté et de la nationalité a existé dans trois départements français : en Algérie, de 1845 à 1956. Les « indigènes juifs » jusqu'au décret Crémieux de 1870, les « indigènes musulmans » jusqu'en 1946, devaient demander la nationalité, avec des quotas. Cette « monstruosité juridique », cette nationalité sans citoyenneté est aujourd'hui retournée : voici une citoyenneté sans nationalité.

Les bons ou mauvais sentiments ne font rien à l'affaire, ni les programmes sortis ou remis dans les tiroirs. S'il y a de mauvaises raisons de s'opposer à cette proposition, il y en a de principe et finasser avec eux n'a jamais réussi à la République. Je ne crois pas que tordre le modèle républicain puisse être fructueux.

C'est la Grande-Bretagne, et pas la France qui naturalise le plus en Europe, monsieur le ministre. En changeant de politique vous seriez plus crédible, tout comme le gouvernement de M. Sarkozy qui ne fait rien pour améliorer l'intégration.

M. Bruno Retailleau.  - Bravo pour le courage !

M. Claude Léonard.  - Près de chez moi, la moitié des électeurs sont citoyens du Benelux. Ils ont été frustrés de ne pouvoir participer à la désignation de nos grands électeurs.

Que dire alors des étrangers qui seraient cantonnés, demain, au droit de vote municipal ?

Chez nous, la citoyenneté s'est construite autour de l'État-Nation. Elle se définit par l'adhésion à un certain nombre de valeurs, par la participation à une histoire commune, l'engagement pour un avenir commun. Elle est indissociable du droit de vote. En accordant ce droit à des étrangers, vous voulez fragiliser la République.

Rien n'empêche les intéressés de demander la nationalité française. Quant à l'intégration, elle se heurte à des obstacles : structures familiales qui ne sont pas en accord avec nos lois, par exemple.

Certains socialistes parlent de « démondialisation ». Vous souhaitez une mondialisation du droit de vote à nos élections locales ! (Applaudissements sur certains bancs à droite)

M. Pierre Charon.  - Quand le peuple vote mal, il faut changer le peuple, disait Brecht.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - Vous retournez complètement sa phrase !

M. Pierre Charon.  - La gauche n'arrive plus à parler au peuple et se livre donc à des simagrées. Oui, la France accueille de nombreux étrangers et tous ceux qui vivent sur le sol français sont égaux devant les lois. Mais ce texte nie la souveraineté du peuple français. Vous osez parler de « l'ensemble de nos concitoyens » comme si les étrangers en étaient ! Ne mélangez pas les citoyens français avec vos poétiques « citoyens du monde ».

Personne, selon vous, ne doit être privé du plein exercice de sa citoyenneté ? Certes, c'est pourquoi je me réjouis que les Tunisiens de France aient voté au scrutin tunisien !

Nous tissons progressivement un ensemble politique européen. En revanche, un travail et le paiement des impôts ne suffisent pas à justifier le droit de vote. Il y a 239 456 étrangers à Paris, soit 18 % du nombre des électeurs. Qu'ils votent et les équilibres seront bouleversés. Ne confondons pas aventure et désordre. Donnons plutôt envie aux étrangers qui vivent ici de devenir français. Je me désole de voir la gauche sortir cette triste ficelle. Il est vrai que chaque jour elle se demande comment elle va éviter de se faire rattraper par la patrouille.

On savait la gauche généreuse avec l'argent des autres, elle l'est à présent avec les voix des autres et se roule dans la démagogie. Vous aimez tellement le Front national que vous l'avez fait entrer au Parlement et l'avez encore aujourd'hui attiré devant les grilles du Jardin du Luxembourg. Je n'agiterai pas avec vous ce chiffon rouge.

M. Jean-Claude Carle.  - Notre histoire commune est fondée sur l'égalité de tous devant la loi et l'unicité de la République. Vous rompez le lien entre l'appartenance à la nation et l'exercice des droits civiques. Pour les cotisations et le versement des prestations, le fait générateur est le fait de travailler en France ; les étrangers sont éligibles aux élections professionnelles, syndicales, ils siègent dans des conseils d'administration. Être contribuable n'ouvre pas droit de vote.

Y aurait-il deux « offres » d'élections, locales et nationales ? Non, a répondu le Conseil constitutionnel. On ne saurait distinguer entre les deux car le corps politique est unique, composé des mêmes citoyens. Le maire n'est pas le président d'un syndicat d'habitants !

Si les étrangers ne veulent pas accéder à la nationalité française, ils ne sont pas pour autant privés de citoyenneté puisqu'ils votent dans leur pays d'origine. Il est préférable qu'ils soient naturalisés pour participer à notre vie politique.

Dans une cérémonie de naturalisation, un homme me disait un jour : « C'est un des plus beaux jours de ma vie ! » (Applaudissements à droite)

M. Philippe Bas.  - Réjouissons-nous d'avoir ce débat, qu'il faut trancher -par la négative, en ce qui me concerne. Le droit de vote des Européens serait une étape vers le droit de vote de tous les étrangers ? C'est un contresens historique à dénoncer.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - Commencez par le démontrer !

M. Philippe Bas.  - Le ressortissant européen exerce une citoyenneté européenne, vote aux élections au Parlement européen, il a un passeport à la fois européen et national. Des négociations importantes se déroulent à Bruxelles, qui renforcent le sentiment d'appartenance à notre grande communauté.

Dans la logique de cette proposition de loi, il faudrait prévoir l'élection de députés aux Nations Unies si l'on voulait conforter la citoyenneté du monde. (Exclamations à gauche) Il ne faut pas banaliser le renforcement de l'Union européenne qui justifie la citoyenneté européenne et le vote des ressortissants communautaires aux élections locales. (Applaudissements à droite)

Mme Marie-Thérèse Bruguière.  - Cette proposition de loi balaie une tradition juridique et politique vieille de deux siècles. D'abord, elle ne présente aucune urgence, il y a des problèmes autrement plus importants. Faut-il y voir alors des arrière-pensées politiques ? Ce texte a dix ans et revient avant chaque échéance électorale importante ; il mérite de toute façon mieux qu'une demi-journée de débat. Élue locale depuis longtemps, je connais les préoccupations des populations concernées : l'emploi, le pouvoir d'achat, l'éducation.

Le postulat selon lequel le droit de vote favoriserait l'intégration est erroné. C'est l'intégration qui ouvre les portes à la nationalité française, qui à son tour permet d'exercer le droit de vote. L'étranger n'est pas un citoyen de seconde zone au motif qu'il ne vote pas aux élections locales.

Payer des impôts ouvrirait le droit de vote ? Mais c'est rétablir le suffrage censitaire ! (Mlle Sophie Joissains applaudit) Et faudrait-il supprimer le droit de vote aux français non imposables ?

Le Conseil constitutionnel a estimé, en outre, en 1982, que le droit de vote est de même nature, qu'il s'exerce au niveau local ou national. M. Mazeaud, la même année, évoquait les difficultés d'un conseil municipal composé en majorité d'étrangers dont l'exécutif serait uniquement composé de nationaux...

Il convient donc de maintenir le lien entre nationalité et droit de vote. Je ne saurais donc voter ce texte. (Applaudissements à droite)

Mme Catherine Procaccia.  - Cette proposition de loi est incomplète, je songe aux ressortissants européens qui ne peuvent pas voter aux cantonales. Les Européens participent aux élections, surveillent la régularité des scrutins, mais ne peuvent voter qu'aux municipales. C'est surprenant. En juin 2010, le Gouvernement m'a répondu qu'il fallait réviser la Constitution... Un de mes collègues communistes a conclu qu'il s'agissait d'une anomalie, mais son groupe n'a rien fait pour enrichir la présente proposition de loi... Je comprends mal cette discrimination envers les étrangers communautaires.

Dans nos territoires du Val-de-Marne où Mme la rapporteure a été élue mais qu'elle ne connaît pas, les Européens sont choqués par ce texte ; ils ne comprennent pas pourquoi les étrangers non communautaires auraient plus de droits qu'eux. (Applaudissements à droite)

M. André Reichardt.  - Il existe un lien consubstantiel entre la nationalité et le plus sacré des droits qui est le droit de vote et d'éligibilité. En 1992, il fallait permettre aux Européens de voter aux élections locales, seul aménagement des principes posés depuis deux siècles. Avec ce texte, la réciprocité n'est plus exigée.

L'acquisition du droit de vote est liée à l'acquisition de la nationalité française. Ce n'est pas être étroit esprit de vouloir que son prochain intègre le corps national avant de pouvoir voter. Ce texte fait peu de cas des 130 000 personnes qui chaque année font la démarche volontaire et porteuse de sens de demander leur naturalisation, pour entrer dans notre roman national. Notre politique d'intégration est à la fois ferme et généreuse.

Le fait de résider dans une commune ou de payer des impôts ne peut pas fonder un droit politique. Le droit de vote n'est pas une contrepartie.

Comme les membres de mon groupe, je voterai contre cet article. (Applaudissements à droite)

M. Jacques Legendre.  - Quel débat singulier ! Était-il nécessaire ? Débattre des rapports entre citoyenneté et nationalité n'est pas médiocre. Mais nous voyons bien que cette discussion a été lancée à des fins de tactique électorale... Les manifestants attirés cet après-midi devant nos grilles et défendant des thèses contradictoires ne font pas avancer la cause de l'expression des étrangers sur notre sol.

J'ai entendu des propos sincères, de ce côté-ci comme de ce côté-là ; j'ai aussi entendu quelques remises en cause inacceptables. Il n'y a qu'un peuple français, et pourtant j'ai entendu certains d'entre vous protester... La France, ce n'est pas seulement un territoire où l'on s'installe provisoirement ou durablement. Si certains étrangers ont envie d'être français, je suis heureux que notre pays les accueille, quelle que soit leur origine. Tout à l'heure, j'étais avec des amis africains : ils ne comprennent pas ce débat. Ils ont lutté toute leur vie pour devenir citoyens de leur État. Ils ne souhaitent d'ailleurs pas que les Français chez eux aient un droit symétrique !

La France, c'est un peuple et un projet commun. Il est indispensable de continuer à distinguer citoyenneté et nationalité. (Applaudissements à droite)

M. le président.  - Amendement n°4, présenté par Mme Troendle et les membres du groupe UMP.

Supprimer cet article.

Mme Catherine Troendle.  - Opposés au droit de vote des étrangers aux élections locales, nous souhaitons la suppression de cet article. (Applaudissements à droite)

Mme Esther Benbassa, rapporteure.  - Avis défavorable.

M. Claude Guéant, ministre.  - Le Gouvernement soutient avec conviction cet amendement. Cette proposition de loi est une manoeuvre politicienne qui ne peut être dissociée du projet du Parti socialiste, qui prévoit de régulariser les étrangers en situation irrégulière.

Cette initiative n'a qu'un objet : faire monter le Front national. (Exclamations à gauche) M. Jospin, face à cette instrumentalisation, disait en 1999 qu'il ne prendrait pas ce risque ; et, en 2010, qu'il était personnellement favorable au droit de vote aux étrangers, mais que l'unanimité était indispensable pour qu'on n'y voie pas d'arrière-pensées électorales...

Dans notre pays, on ne peut pas être un demi-citoyen ; et pour être citoyen, il faut être Français.

En permettant une représentation communautaire, on favorisera la préférence communautaire, donc le communautarisme. M. Assouline s'est demandé quelle société nous voulions. Oui, là est la question ! À droite, nous voulons que les étrangers adoptent notre mode de vie et qu'ils se sentent bien chez nous.

M. Claude Bérit-Débat.  - Vous ne faites rien pour cela !

M. Claude Guéant, ministre.  - Il ya sûrement des progrès à faire... Il faut limiter l'immigration et encourager les naturalisations.

La gauche souhaite qu'on accueille davantage d'immigrés. Elle insiste sur la valeur de la différence, le droit à la différence. Accuser les différences, c'est porter atteinte à l'unité nationale et républicaine. Tel n'est pas notre choix. (Applaudissements à droite)

À la demande du groupe UMP, l'amendement n°4 est mis aux voix par scrutin public.

M. le président.  - Voici les résultats du scrutin :

Nombre de votants 339
Nombre de suffrages exprimés 339
Majorité absolue des suffrages exprimés 170
Pour l'adoption 166
Contre 173

Le Sénat n'a pas adopté.

(Applaudissements à gauche)

M. le président.  - Amendement n°10, présenté par Mme Benbassa, au nom de la commission.

Alinéa 2, première phrase

Remplacer les mots :

peut être

par le mot :

est

Mme Esther Benbassa, rapporteure.  - Cet amendement renforce la portée du texte, qui en l'état se borne à lever les obstacles constitutionnels à l'ouverture du droit de vote aux étrangers non européens, mais ne consacre pas pleinement celui-ci. En effet, comme l'ont souligné les professeurs de droit que j'ai entendus, l'expression « peut être » n'oblige pas le législateur. Il semble donc nécessaire d'aller plus loin.

L'amendement n°7 est retiré.

M. Claude Guéant, ministre.  - Avis défavorable. Il faut au moins se réserver un minimum de souplesse dans la loi organique.

L'amendement n°10 est adopté.

L'article premier, modifié, est adopté.

Article 2

Mme Joëlle Garriaud-Maylam.  - D'après le rapport, la différence de droits accordés entre les ressortissants européens et les ressortissants extracommunautaires serait choquante. C'est le contraire qui le serait ! Pourquoi accorder les mêmes droits aux étrangers et aux Européens ? À l'heure de la crise de l'euro, nous devons renforcer la citoyenneté européenne.

Les nationaux devraient pouvoir jouir de leurs droits dans leur pays d'origine. Pour les expatriés, c'est plus important que d'obtenir le droit de vote dans son pays de résidence. Beaucoup de nos collègues ont cité en exemple l'Irlande. Sachez que les ressortissants irlandais habitant à l'étranger n'ont pas le droit de vote dans leur pays de nationalité...

M. André Reichardt.  - Contrairement à ce que soutient la gauche, la nation française n'est pas une entité abstraite ni une construction intellectuelle. (Exclamations à gauche) Cette proposition de loi est une forme d'hérésie constitutionnelle. (Oh ! à gauche) L'article 3 de notre Constitution ne peut être méconnu.

Notre pays est unitaire. La souveraineté ne se subdivise pas, elle ne se décompose pas. Ne confondons pas souveraineté et organisation administrative. Le vote ne peut être dissocié de la nationalité.

Cet article 2 ne changera rien : comment imaginer que des États, parfois très éloignés de la démocratie, puissent exercer par l'intermédiaire de leurs ressortissants, des pressions sur notre pays ? Nous demandons la suppression de l'article 2. (Applaudissements à droite)

M. Claude Léonard.  - En marge du rapport figure une note sur les droits de vote accordés, ou non, aux étrangers chez nos voisins. Pas de droit de vote en Allemagne, en Autriche, en Italie. En Espagne et au Portugal, le droit de vote est accordé sous condition de réciprocité et de durée de résidence. D'autres pays n'ont que la condition de durée de résidence, Belgique, Danemark, Pays-Bas ou Suède...

Au Luxembourg, l'intégration de la communauté portugaise s'est bien passée... jusqu'à ce que le droit de vote leur soit accordé et se développent des sentiments xénophobes.

Il n'est ni souhaitable ni possible d'accorder ce droit de vote. Mais rien n'empêche ceux qui veulent s'impliquer davantage dans la vie de la cité de solliciter leur naturalisation ; ce sera une grande joie pour nous de les accueillir. (Applaudissements à droite)

M. le président.  - Amendement n°5, présenté par M. Buffet et les membres du groupe UMP.

Supprimer cet article.

M. François-Noël Buffet.  - Voici le dernier acte de la scène qui s'est jouée aujourd'hui. Depuis 2008, la gauche aurait pu demander et obtenir l'inscription de ce texte à l'ordre du jour, dans une de ses niches parlementaires ; elle aurait aussi pu convoquer un référendum sur le sujet lorsque le président de la République était de son bord. Elle ne l'a pas fait.

Le droit de vote est lié à la citoyenneté, il ne s'achète pas. Lorsqu'on veut être français, on demande à être naturalisé et on l'est. (Applaudissements à droite)

Mme Esther Benbassa, rapporteure.  - Avis défavorable par coordination.

M. Claude Guéant, ministre.  - Le Gouvernement est très favorable à cet amendement.

L'amendement n°5 n'est pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°11, présenté par Mme Benbassa, au nom de la commission.

Rédiger ainsi cet article :

La première phrase de l'article 88-3 de la Constitution est ainsi modifié :

1° Les mots : « peut être » sont remplacés par le mot : « est » ;

2° Le mot : « seuls » est supprimé.

Mme Esther Benbassa, rapporteure.  - Amendement de coordination avec mon amendement n°10.

L'amendement n°8 est retiré.

M. Claude Guéant, ministre.  - Défavorable.

M. Jean-Jacques Hyest.  - Avec cet amendement, il y aurait égalité totale entre ressortissants européens et non communautaires, alors que nous avons rappelé les traités européens, qui instaurent, entre autres, la réciprocité. Il y a bien une citoyenneté européenne spécifique. Avec cet amendement, vous signifiez que les traités ratifiés par la France n'ont plus de sens (Applaudissements à droite)

L'amendement n°11 est adopté.

L'article 2, modifié, est adopté.

Vote sur l'ensemble

Mme Catherine Tasca.  - Dans ce débat, nous avons beaucoup évoqué notre histoire et la citoyenneté. Il y a lieu de nous en réjouir. Mais je me bornerai à évoquer le présent et l'avenir. Jusqu'à quand continuerez-vous à considérer que les étrangers en situation régulière, qui apportent à la France leur force économique et leur renfort démographique, n'ont pas gagné le droit de voter sur leur territoire de résidence ? À les maintenir en lisière de la vie publique alors que beaucoup sont parents d'enfants français ?

Cette proposition de loi trouble certains, mais marque un réel progrès démocratique ; elle ne peut que fortifier notre vivre ensemble, qui en a grand besoin.

Les flux migratoires ne feront que croître. À nous d'y voir une chance. Nous devons changer le regard de notre société sur l'étranger. La naturalisation ? Mais vous niez l'importance de la collectivité de proximité, le rôle de la commune dans l'apprentissage de la vie démocratique.

Vous démontrez ainsi votre incapacité à faire évoluer nos institutions. L'histoire jugera de votre conservatisme et de votre acharnement à multiplier les barrières entre la communauté nationale et les étrangers qui ont choisi de vivre durablement, pacifiquement et régulièrement chez nous.

Nous voterons avec conviction cette proposition de loi. (Applaudissements à gauche)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - Je veux rappeler à M. Buffet que nous avons essayé plusieurs fois de discuter de ce texte, mais qu'on nous l'a toujours refusé, notamment en 2006.

Vos arguments ne sont pas convaincants. Comment ne pas évoquer une communauté de destin avec nombre d'étrangers appartenant à notre ancien empire colonial ? La France les a fait venir, ils ont construit la France d'après-guerre, ils ont donné des fils et des filles à la France et vous leur refusez une communauté de destin ? Cela ne tient pas ! Ils sont souvent francophones. Du reste, Philippe Séguin disait qu'il était favorable au vote des francophones aux élections locales.

La citoyenneté européenne est une construction qui n'existe pas en droit. Et qu'est-ce que la citoyenneté dans la cité, sinon y vivre, y travailler, y envoyer ses enfants à l'école ? Dès 1992, nous avons souligné cette injustice, par rapport aux étrangers qui vivent depuis longtemps sur notre sol. Ils ont conquis des droits. En 2006, 63 % de Français étaient favorables au droit de vote des étrangers. Depuis, cette majorité se confirme. Si les étrangers n'ont pas la nationalité, c'est souvent pour des raisons qui ne tiennent pas à eux. Leurs enfants sont français.

La France n'a pas été à l'avant-garde pour accorder le droit de vote aux femmes et celles-ci ont encore peu de place en politique. J'ose espérer que cette fois notre pays ne pendra pas encore du retard sur le droit de vote des étrangers aux élections locales. Nous envoyons un signal fort, notamment en direction des jeunes. La nouvelle majorité du Sénat peut être fière de son travail. (Applaudissements à gauche)

La proposition de loi est mise aux voix par scrutin public de droit.

M. le président.  - Voici les résultats du scrutin :

Nombre de votants 340
Nombre de suffrages exprimés 339
Majorité absolue des suffrages exprimés 170
Pour l'adoption 173
Contre 166

Le Sénat a adopté.

(Mmes et MM. les sénateurs de gauche se lèvent et applaudissent longuement)

Prochaine séance demain, vendredi 9 décembre 2011, à 9 h 30.

La séance est levée à minuit.

Jean-Luc Dealberto

Directeur des comptes rendus analytiques

ORDRE DU JOUR

du vendredi 9 décembre 2011

Séance publique

À 9 heures 30

1. Suite de la proposition de loi garantissant le droit au repos dominical (n° 794 rect., 2010-2011).

Rapport de Mme Annie David, fait au nom de la commission des affaires sociales (n° 89, 2011-2012).

Texte de la commission (n° 90, 2011-2012).

À 15 heures et le soir

2. Proposition de loi relative à l'exploitation numérique des livres indisponibles du XXe siècle (n° 54 rect., 2011-2012)

Rapport de Mme Bariza Khiari, fait au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication (n° 151, 2011-2012)