Limite d'âge des fonctionnaires nommés dans des emplois à la décision du Gouvernement
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi relatif au maintien en fonction au-delà de la limite d'âge de fonctionnaires nommés dans des emplois à la décision du Gouvernement.
Discussion générale
M. Georges Tron, secrétaire d'État auprès du ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'État, chargé de la fonction publique. - Les ressources humaines de l'État doivent servir au mieux l'intérêt général. Le texte permet au Gouvernement de maintenir en poste certains hauts fonctionnaires au-delà de la limite d'âge de leur corps pour éviter l'effet couperet de la limite d'âge. Léon Blum avait déjà défendu cette solution lorsqu'il était président du conseil. L'expérience est un atout, que la puissance publique doit pouvoir mettre à profit dans des circonstances particulières. Imaginez un ambassadeur atteignant la limite d'âge, alors qu'il exerce dans un pays en pleine crise... Pour le maintenir temporairement en fonction, il faut un texte de loi.
Les possibilités d'un maintien en fonction sont aujourd'hui très encadrées et limitées ; l'état du droit, peu lisible, frappe les fonctionnaires mais épargne les non-fonctionnaires.
En aucun cas, cette loi ne pourrait légitimer le recours à des dérogations systématiques à la limite d'âge. Il s'agira de décisions exceptionnelles, prises au cas par cas et soumises à quatre conditions : la décision doit être exceptionnelle et justifiée par l'intérêt du service ; elle nécessite l'accord de l'intéressé ; son maintien en fonction est limité à deux ans ; la révocation doit pouvoir intervenir à tout moment. Ces garanties réduisent de facto le champ du texte, qui ne concerne que des fonctionnaires nommés à des emplois supérieurs, dont la liste a été établie par un décret de 1985. Environ 600 emplois sont concernés : les dérogations seront donc limitées à quelques cas par an. Il s'agira de décisions exceptionnelles, prises dans des circonstances exceptionnelles et dans l'intérêt du service.
Je salue le travail du rapporteur M. Vial, et espère avoir répondu aux questions que vous pourriez vous poser. (Applaudissements à droite)
M. Jean-Pierre Vial, rapporteur de la commission des lois. - En 2009, les fonctionnaires faisant valoir leurs droits à la retraite étaient âgés en moyenne de 59,7 ans. Cet âge a augmenté avec les réformes successives des retraites. Le départ peut aujourd'hui être reculé pour des raisons familiales ou en raison d'une carrière incomplète. Le cas, médiatisé, du professeur Montagnier, a focalisé l'attention sur les chercheurs du CNRS, qui ne peuvent bénéficier du dispositif « carrières incomplètes ».
Outre les fonctionnaires attachés à la présidence de la République ou à un exécutif territorial, magistrats ou professeurs d'université peuvent se maintenir après 65 ans.
Le projet de loi ne vise que les emplois supérieurs -préfets, ambassadeurs, recteurs, directeurs d'administration centrale- dont le nombre peut être estimé entre 500 et 600. Ces emplois, qui peuvent être occupés par des fonctionnaires ou des non-fonctionnaires, sont des relais importants de la politique gouvernementale. Le couperet de la limite d'âge peut poser problème quand il oblige à se séparer d'un fonctionnaire qu'il est difficile de remplacer immédiatement.
Le nouveau dispositif, bien encadré, ainsi que l'a rappelé M. le ministre, trace aux yeux de la commission une voie médiane entre la suppression de toute limite d'âge et le rétablissement d'une limite d'âge élevée -la limite de 70 ans existait il n'y a pas si longtemps.
La commission propose d'adopter le texte sans modification. (Applaudissements à droite)
M. Jacques Mahéas. - L'objet du projet de loi tient dans son titre. La limite de 65 ans va progressivement atteindre 67 ans. Il s'agit non d'anticiper cette évolution, mais de porter, à terme, cette limite à 69 ans ... Les nominations à ces emplois sont par essence révocables. Le Gouvernement argue qu'il s'agit de faire face à des situations où, du fait de ses qualités et compétences, l'intéressé est difficilement remplaçable à court terme -voire irremplaçable ? Je suis sceptique.
Le texte ne va pas dans le sens d'un rajeunissement des cadres... Quel est le nombre exact de ces emplois ? On parle de 500 à 600 ; mais encore ? Prenons les ambassadeurs, leur moyenne d'âge est de 58 ans ; les postes pourraient être occupés jusqu'à 69 ans... Qu'est-ce qui justifie un délai de deux ans ? Le site des Échos écrivait, malicieusement, que si la valeur n'attend pas le nombre des années, elle n'est pas, pour le Gouvernement, rattrapée par le poids des ans... (Sourires) Conjuguée à la raréfaction des promotions à cause de la RGPP, ce dispositif est un non-sens.
Pourquoi la procédure accélérée ? Nous avons affaire en réalité à une loi de circonstance. Calendrier parlementaire chargé, vote conforme attendu de l'Assemblée nationale, proximité de l'élection présidentielle : il y a là comme de la précipitation...
La presse cite le préfet Lambert de Seine-Saint-Denis, proche de Nicolas Sarkozy, ou encore l'ambassadeur en Italie, ancien conseiller du président Chirac... « Petits arrangements législatifs » écrit Le Monde ; « Une loi pour sauver le super-préfet du 93 » renchérit Rue 89. Élu de Seine-Saint-Denis, je me demande si le préfet est à ce point irremplaçable. Son prédécesseur n'était resté qu'un an ! « Le métier de préfet souffrirait-il d'une crise de vocation ? » s'interroge encore Le Monde. Bref, le préfet rempile au moins jusqu'en 2012... Cerise sur le gâteau, le projet de loi prévoit une application immédiate -point besoin de décret d'application ni d'adaptations outre-mer- et précise qu'il concerne les situations en cours. Tout est bien ficelé pour fêter les 65 ans de M. Lambert ... le 5 juin prochain !
L'inféodation, ensuite : où sont passées la neutralité, l'indépendance, le service de l'État qu'on vantait naguère ? Ces situations sont-elles d'autre part si imprévisibles ? Ne sait-on pas quand tombe le 65e anniversaire des intéressés ?
Des situations dérogatoires existent. Pourquoi ce projet de loi ? Le Monde suggère que Nicolas Sarkozy ne peut se passer de certains hauts fonctionnaires zélés. On évoquera peut-être demain M. Aillagon et son maintien à Versailles... À ma connaissance, l'arsenal existant couvre tous les cas, sauf un...
On invoque les non-fonctionnaires, qui échappent à la limite d'âge. Selon le rapporteur, ils seraient peu nombreux ; l'étude d'impact ne les dénombre d'ailleurs pas -c'est curieux.
Était-il nécessaire de légiférer ? Non, je l'ai montré. Quelques personnes tout au plus seraient concernées. Pourquoi cette mesure n'a-t-elle pas été discutée lors de la réforme des retraites ? Faut-il voter autant de textes que de cas particuliers ? Les lois individuelles nous feront passer de l'état de droit à l'état de passe-droit ! Le groupe socialiste votera contre.
Mme Éliane Assassi. - Selon le Gouvernement, le droit actuel manque de cohérence, les non-fonctionnaires n'étant pas frappés par la limite d'âge. Dès lors, pourquoi les fonctionnaires concernés ne feraient-ils pas valoir leurs droits à la retraite, pour poursuivre leurs fonctions sous un régime de droit privé ? Mais cela ne vaudrait pas pour les préfets...
La réduction drastique des moyens et la stigmatisation de la fonction publique vont dans le même sens. Le Gouvernement peine-t-il à trouver des hauts fonctionnaires pour mettre en oeuvre sa politique ? On se souvient de la fronde de certains ambassadeurs, jugeant dans Le Monde que la voix de la France n'était plus audible...
À qui profite ce projet de loi ? Nous avons trouvé la réponse dans un « confidentiel » du Figaro du 26 avril : le préfet Lambert est indispensable au président de la République. Il aura 65 ans le 5 juin ; il y avait donc bien urgence...
Parlons-en, donc. Quel est le bilan du préfet Lambert en Seine-Saint-Denis ? Ou plutôt, quel est le bilan de la politique de Nicolas Sarkozy en matière de lutte contre l'insécurité ? Je ne doute pas des qualités de M. Lambert, qui est un homme de terrain. Mais élue du département et présidente d'une association d'élus, je ne suis pas sûre que son bilan justifie tant de louanges, notamment dans la lutte contre le trafic des stupéfiants ; ce ne sont pas les discours ni les interpellations de petits dealers qui l'empêchent de prospérer !
Comment pourrait-il en être autrement, vu l'inadaptation des forces de police aux besoins de la Seine-Saint-Denis ? Les élus le disent, mais aussi les policiers. Les défilés de CRS originaires d'autres départements ne peuvent effectuer un bon travail de proximité. La force de la fonction publique est dans la mobilisation constante des fonctionnaires, leur formation, leur proximité avec les citoyens.
Nous voterons contre ce texte.
La discussion générale est close.
Discussion de l'article unique
M. le président. - Amendement n°2, présenté par M. Mahéas et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.
Supprimer cet article.
M. Jacques Mahéas. - Un fait divers se produit ? Une loi sécuritaire est présentée. Quelques cas individuels sont repérés ? Un texte spécifique est proposé.
Ce n'est pas une façon de diriger la France.
M. Jean-Pierre Vial, rapporteur. - C'est un amendement de suppression : l'avis ne peut être que défavorable.
M. Georges Tron, secrétaire d'État. - La qualité éminente de certains hauts fonctionnaires justifie qu'ils restent en fonction, pour une durée qui n'a rien de scandaleux et selon une procédure rigoureuse.
J'ai cité les conditions qui encadrent le dispositif.
Avis défavorable, en remerciant les orateurs d'avoir évité les attaques ad hominem.
L'amendement n°2 n'est pas adopté.
Vote sur l'article unique
M. Jacques Mahéas. - M. le ministre ne m'a pas convaincu. (On fait mine de s'étonner sur les bancs de la commission et du Gouvernement)
La Seine-Saint-Denis, unique objet de ce texte ! Son préfet n'est en fonction que depuis un an ; son prédécesseur n'est pas resté plus longtemps.
Les exceptions aux règles ravissent certains grammairiens ; vous semblez appliquer ce principe aux textes législatifs : la réforme des retraites vient à peine d'être votée !
Encore heureux que l'on ait échappé à un texte sur le gouverneur de la Banque de France : il aboutirait immédiatement à 70 ans !
L'article unique du projet de loi est adopté.
Prochaine séance, aujourd'hui, vendredi 13 mai 2011 à 14 h 30.
La séance est levée à 3 h 40.
René-André Fabre,
Directeur
Direction des comptes rendus analytiques
ORDRE DU JOUR
du vendredi 13 mai 2011
Séance publique
À 14 heures 30 et, éventuellement, le soir
- Suite du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, relatif aux droits et à la protection des personnes faisant l'objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge (n° 361, 2010-2011 ; texte de la commission, n° 488 rectifié, 2010-2011).
Rapport de Mme Muguette Dini, fait au nom de la commission des affaires sociales (n° 487, 2010-2011).
Texte de la commission (n° 488 rectifié, 2010-2011).
Avis de M. Jean-René Lecerf, fait au nom de la commission des lois (n° 477, 2010-2011).