Débat sur la politique étrangère
M. le président. - L'ordre du jour appelle un débat sur des questions de politiques étrangères.
M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. - Je me félicite qu'une date ait enfin pu être trouvée pour l'organisation de ce débat. Il serait bon que notre Règlement soit modifié pour prévoir au moins deux débats par an sur la politique étrangère.
Je m'associe à la douleur des familles de nos jeunes compatriotes lâchement assassinés au Niger. Nous ne devons pas nous tromper d'ennemi : l'ennemi, c'est l'islamisme radical ; son objectif est à la hauteur de son fanatisme : l'instauration d'un califat mondial où s'appliquerait la Charia. C'est contre cet ennemi que nous luttons en Afghanistan, au Sahel et ailleurs, c'est cet ennemi qui nous a déclaré une guerre asymétrique dont les armes sont les attentats suicides, la terreur et les prises d'otages de civils innocents.
La cible principale de cette guerre, ce sont les pays musulmans, qu'il s'agirait de faire basculer dans l'intégrisme. Certes, l'intégrisme islamique ne doit pas être -comme le fut la lutte contre le communisme au temps de la guerre froide- l'alpha et l'oméga de toute politique et justifier toutes les complaisances, mais il nous faut maintenir nos exigences en matière de droits de l'homme, d'égalité des sexes et de démocratie, non pas une démocratie jeffersonienne artificiellement greffée mais une démocratie propre à chaque pays.
Quoique confrontée à de nombreux et redoutables défis, l'Afrique est sur le bon chemin ; son destin nous touche directement : le tiers des 1,8 milliard d'Africains de 2050 sera francophone.
Nous ne nous ingérons pas dans la crise ivoirienne ; notre pays, comme l'ensemble de la communauté internationale, condamne de la manière la plus énergique les tentatives du président sortant, Laurent Gbagbo, pour usurper la volonté populaire, mais nous constatons que le temps joue contre le président élu, Allassane Ouattara.
A propos de la Tunisie, nous avons entendu ces jours-ci des reproches bien tardifs sur notre complaisance qui, si elle existe, est le fait des gouvernements successifs depuis vingt trois ans. Certains procureurs d'aujourd'hui étaient moins diserts naguère. On ne peut à la fois recommander au Gouvernement la non-ingérence en Côte d'Ivoire et l'ingérence en Tunisie ! (M. Jean Bizet approuve ; M. Jean-Louis Carrère proteste) La France reste aux côtés du peuple tunisien pour contribuer à bâtir un avenir qui corresponde à ses aspirations et pour lequel sont morts de trop nombreux de ses citoyens. (Applaudissements à droite)
La partition du Soudan pourrait conduire à des affrontements qui menaceraient la stabilité de toute la région. La suspension des poursuites lancées par la Cour pénale internationale à l'encontre du président Béchir serait, me semble-t-il, un élément à mettre sur la table des négociations pour faciliter une transition pacifique.
Certains parlementaires se jugent mal informés sur les objectifs, la stratégie et les opérations de la France en Afghanistan. Ne pourrait-on imaginer un rapport annuel du Gouvernement au Parlement sur le sujet, comme c'est le cas en Allemagne ou au Canada ?
Nos objectifs me paraissent très clairs : il s'agit d'abord de mener à terme la lutte contre Al-Qaïda et de stabiliser la situation aux portes du Pakistan. A Lisbonne, l'Otan a précisé sa politique d'afghanisation, qui n'a pas à être un désengagement brutal. Il n'y aura pas de victoire militaire sans accord politique de fond.
Même si la transition est une réussite, notre engagement est de long terme, pour assurer la stabilisation du pays. Fixer des échéances de retrait proches et contraignantes serait servir nos adversaires.
Le président Karzaï devrait annoncer cette année la liste des zones à propos desquelles un transfert sera possible dans de bonnes conditions. La création d'un État afghan serait une innovation, dans un pays qui n'a jamais connu d'autorité centrale. La corruption du pouvoir attire nombre d'Afghans vers les rangs du réseau Haqqani.
Point d'Afghanistan pacifié sans un Pakistan stable. La fragilité du gouvernement pakistanais est préoccupante.
Tous les pays voisins de l'Afghanistan ont une responsabilité majeure dans la stabilité régionale, de l'Inde et la Chine à l'Iran. Nous ne mènerons pas éternellement une guerre par procuration au bénéfice de pays qui refusent de prendre leurs responsabilités.
M. Jean-Pierre Raffarin. - Exact !
M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. - Notre politique afghane est claire et juste. Nous défendons nos intérêts directs car la menace est bien identifiée. Nous nous rendrons une nouvelle fois en Afghanistan dans le cours de l'année 2011 pour mieux juger de la situation et de la mise en oeuvre de notre stratégie sur le terrain, je l'espère avec nos amis du Royaume-Uni.
J'en viens à la politique étrangère et de sécurité commune (Pesc), qui marque le pas. Or dans ce domaine comme dans d'autres, ne pas avancer, c'est reculer. L'Union européenne est plus inexistante que jamais au Proche-Orient, où nous payons sans avoir d'influence véritable. La radicalisation israélienne favorise les tensions et facilite la tâche des extrémistes. Elle véhicule une image très négative de l'Occident auprès des masses musulmanes.
Autre échec européen : à l'ONU, nous ne parvenons pas à obtenir un statut spécifique. Quoique premier contributeur et premier donateur, l'Union européenne n'est pas reconnue à mesure des efforts qu'elle fournit. L'Europe est-elle seulement une impuissance ?
Sur la défense européenne, nous saluons les ambitions de la présidence polonaise. La plupart de nos partenaires sont tentés de désarmer et de s'en remettre à la protection américaine.
Dans son excellent livre au titre interpellateur, M. Chevènement demande si la France est finie. Je partage son diagnostic et ses ambitions : la France ne disparaîtra pas au XXIe siècle. Loyale à ses alliés, elle ne doit se laisser dicter aucune politique qu'elle n'ait approuvé, aucun engagement auquel elle n'aurait souscrit. La France n'est pas finie. Elle reste dans l'Histoire, bien décidée à la faire et non à la subir. (Applaudissements au centre, à droite et sur quelques bancs socialistes)
M. Jean-Louis Carrère. - Très bien !
M. Jean-Marie Bockel. - « L'histoire va le plus souvent lentement », déclarait en 1984 François Mitterrand devant la course aux armements et la persistance des conflits et du sous-développement. Aujourd'hui, la situation globale de la planète n'est pas plus satisfaisante. Mais quelles que soient les difficultés, nous ne pouvons pas nous résigner : c'est le sens de l'engagement de notre pays sur la scène internationale.
Plus de 12 000 militaires français participent à des opérations extérieures, dont une grande partie en Afghanistan. Cette zone reste meurtrière : 53 de nos militaires y ont été tués depuis 2001. Les institutions n'y sont pas stabilisées ; il y a tout de même des signes d'espoir : le travail de nos militaires porte ses fruits auprès de la population.
La France doit rappeler régulièrement nos objectifs. Une stratégie peut être approuvée par la population et comprise par tous, à commencer par nos adversaires, si elle est claire.
Face au terrorisme, nous devons conserver une attitude ferme. Le dénouement de l'affaire nigérienne a été tragique mais quelle autre attitude aurions-nous pu avoir ?
Contre ce terrorisme, il faut développer notre coopération avec les États concernés, sachant que sont aussi en jeu divers trafics, en particulier de la drogue sud-américaine. Il est tragique de voir des pays comme le Mali ou le Niger, qui avaient progressé dans leur développement, être ainsi déstabilisés.
Les événements de Tunisie montrent que les Tunisiens avaient acquis une maturité politique qu'occultait la dictature. La France a manqué de clairvoyance, reconnaissons-le tous ; cela nous aidera à rejouer le rôle qui doit être le nôtre. Je pense en particulier à la réactualisation possible de l'Union pour la Méditerranée, alliant démocratie, sécurité, développement, valeurs à partager autour de ce qui reste mare nostrum... Nous avons tant de choses à nous dire !
On pourrait parler de la Côte d'Ivoire, de la Françafrique.
M. Jean-Louis Carrère. - Cela ne nous porte pas chance !
M. Jean-Marie Bockel. - Continuons à soutenir M. Ouattara : la Côte d'Ivoire ne doit pas sombrer dans le chaos. (Applaudissements sur les bancs du RDSE, au centre et à droite)
Mme Michelle Demessine. - Face à la répression meurtrière menée par le dictateur Ben Ali, la France a été honteusement complaisante, allant jusqu'à proposer le savoir-faire de nos services de maintien de l'ordre, comme l'a fait Mme Alliot-Marie.
Le président qui se voulait celui des droits de l'homme est resté silencieux face à la répression policière et l'accaparement des richesses nationales par la famille Ben Ali. Si l'on avait écouté davantage les parlementaires -de gauche surtout- qui ont des contacts en Tunisie...
M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. - Ou des villas...
Mme Michelle Demessine. - ...on n'en serait pas arrivé là. J'espère que les toutes dernières déclarations de soutien au processus démocratique engagé en Tunisie n'arriveront pas trop tard pour corriger cette erreur politique et cette faute morale envers le peuple tunisien.
Les événements du Maghreb illustrent l'échec de la politique d'association aux pays du sud menée par l'Union européenne. La Tunisie était naguère présentée par Bruxelles comme un modèle de développement économique... L'Union européenne doit en tirer toutes les conséquences.
L'actualité, c'est aussi la mort tragique de deux jeunes Français enlevés et assassinés au Niger. J'en ai parlé hier à l'occasion des funérailles d'Antoine et de Vincent. A travers ces crimes, nous payons le prix de l'image dégradée qu'offre notre pays depuis quelques années.
Comment mener une politique d'influence quand on s'aligne sur les États-Unis ? Il faut une réflexion autonome en matière diplomatique et de défense. Or nos positions sont imprégnées des thèses américaines qui définissent un « arc des crises » allant de la Mauritanie à l'Afghanistan, en passant par le milieu de l'Afrique.
M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. - N'importe quoi !
Mme Michelle Demessine. - Quelle est au juste votre stratégie ? L'échec de la tentative de libération des otages appellera une enquête. Il nous faut soutenir l'aide au développement et ne pas nous laisser entraîner dans l'engrenage militaire. Si la France est visée, c'est moins à cause de notre ancienne politique coloniale que de notre alignement sur les Américains.
En dix ans, le conflit afghan a changé de nature. Il n'est plus le nôtre. Maintenir là-bas nos troupes était le prix de notre retour dans l'Otan. Nos militaires ont payé un lourd tribut avec 22 morts ; le président de la République a annoncé qu'ils seraient encore « très sollicités en 2011 ». Il est temps que le Parlement soit saisi de la question.
M. Jean-Claude Peyronnet. - Très bien !
Mme Michelle Demessine. - Il faudrait avoir le courage de dire que cette stratégie n'est pas la nôtre. Prévoyons un retrait progressif, mais à court terme, afin d'inciter le président Karzaï à prendre ses responsabilités. Face à l'inacceptable politique israélienne, l'Union européenne s'efface et s'en remet à l'inefficace action du Quartet.
Je n'ai pas le temps d'aborder la question de la présidence française du G 20 et du G 8. Néanmoins, en fonction de l'image dégradée de notre pays dans certaines régions du monde, je doute fortement de la capacité du président de la République à se faire entendre pour réformer le système monétaire international et réguler les marchés agricoles et ceux des matières premières. (Applaudissements à gauche)
Mme Nathalie Goulet. - Ma préférence naturelle -pour ne pas dire mon héritage familial et politique- me conduirait à vous parler de la Palestine, mais ce sujet ne comporte que des raisons de désespérer. Je pourrais aussi vous parler du Golfe persique, mais il y a tant de fermeté pour les uns, tant de lâcheté pour les autres...
Je parlerai donc des relations entre votre ministère et les parlementaires. Nous pouvons avoir des divergences de vues mais la France doit parler d'une seule voix à l'extérieur. Cela suppose que les parlementaires soient informés.
Que penser des Moudjahidines du peuple, qui sollicitent notre signature dans les rues au nom d'un Iran libre et démocratique ? Est-ce une organisation terroriste ? Voilà typiquement un sujet sur lequel les parlementaires devraient être informés, afin de ne pas signer des textes dont ils mesureraient mal la portée. Moi qui connais bien le sujet, j'ai eu du mal à convaincre des collègues harcelés jusque dans les couloirs de Versailles.
Autre exemple éloquent : la France ne reconnait pas de « république » autoproclamée du Haut Karabakh. Combien de parlementaires le savent ? L'ignorant, beaucoup se rendent là-bas et se trouvent amenés à apporter leur soutien à qui ils ne devraient pas. Pourtant, la position de la France est sans ambiguïté : comme les autres États, même l'Arménie, elle ne reconnaît pas l'indépendance du Haut Karabakh et soutient la souveraineté et l'intégrité territoriale de l'Azerbaïdjan dans ses frontières internationalement reconnues.
Le président de la République avait promis de se rendre en Azerbaïdjan : tiendra-t-il sa promesse ? Quelle place accordera-t-il au Haut Karabakh ? Dans ses fonctions précédentes, Mme Alliot-Marie s'était engagée à ce que soit assuré le service après vote de la loi sur le voile intégral dans les pays arabes : qu'en est-il maintenant ? (Applaudissements à droite et au centre)
M. Jean-Louis Carrère. - (Applaudissements sur les bancs socialistes) Le Parlement, sous la Ve République, est tenu à l'écart de la politique étrangère ; sous la présidence Sarkozy, il est même infantilisé. (On se récrie à droite) Or le Parlement est là pour contrôler l'action du Gouvernement. La mort de deux garçons au Niger a suscité une grande émotion et nous souhaitons vous interroger sur ce sujet : l'opération militaire a échoué. Quelle est la doctrine ?
Pendant la crise tunisienne, sur laquelle Mme Cerisier-ben Guiga nous avait alertés, le Gouvernement a été suiviste. Certaines déclarations auraient dû être évitées, d'autres faites.
Les deux anciens ministres, M. Védrine et M. Juppé -qui siège aujourd'hui au Gouvernement-, ont alerté le public sur l'affaiblissement de l'appareil diplomatique. Madame la ministre d'État, allez-vous reprendre en main les dossiers confisqués par M. Guéant ? Il n'y a pas de place dans une démocratie moderne pour un domaine réservé : M. Sarkozy le reconnaissait lui-même en octobre 2006. Suivez donc son conseil.
Il faut définir notre politique et renforcer notre capacité d'anticipation et d'influence. Le Gouvernement a négligé le Sahel, malgré le Livre blanc, et doit à présent réagir dans l'urgence sur le terrain choisi par l'adversaire. Quel strabisme stratégique !
L'émigration massive et le banditisme proliférant étaient pourtant des indices fiables de la dégradation de la situation. Le terrorisme est le fruit de la misère et de l'injustice. C'est là que la France et l'Europe doivent agir. Mais le tropisme américain du président de la République nous a conduits sur d'autres voies.
Il faut changer de méthodes et d'actions. Obsédé par le désir de coller à la stratégie américaine en Afghanistan et par la réintégration de l'Otan, le président de la République a négligé toute une partie du monde. La France, ces dernières années, s'est faite la complice de dirigeants corrompus, au lieu d'oeuvrer pour la démocratie et le développement. Il faut débattre au Parlement de la poursuite de notre engagement en Afghanistan : la Constitution l'autorise.
Comme le disait M. Jospin, nos objectifs doivent être de construire des institutions démocratiques, de favoriser le développement, d'assécher les trafics, d'empêcher l'essor des organisations terroristes. Le débat sur un retrait doit avoir lieu au Sénat. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. Jacques Gautier. - Ces derniers mois ont été marqués par de vives tensions. Je m'associe à la douleur des familles de nos otages assassinés. Al-Qaïda comme Aqmi mènent une guerre constante contre la France. Notre réponse doit varier selon les circonstances. Soyons solidaires de ceux qui ont la responsabilité de décider !
MM. Jean-Louis Carrère et Didier Boulaud. - Vous n'avez jamais été solidaires des gouvernements socialistes !
M. Jacques Gautier. - Au Sahel, nos ressortissants sont les cibles des terroristes, mais n'oublions pas les chrétiens d'Égypte et d'ailleurs.
La révolte tunisienne n'est pas religieuse : elle est d'abord due à la cherté de la vie. Les fluctuations des marchés des matières premières et la flambée de leurs prix ont de lourdes incidences.
La France, en raison de liens historiques, est mal placée pour donner des leçons aux pouvoirs en place mais doit contribuer à empêcher les embrasements. Les organisations régionales doivent jouer leur rôle, y compris l'Union pour la Méditerranée qui peine à exister.
M. Jean-Louis Carrère. - C'est le moins que l'on puisse dire !
M. Jacques Gautier. - La Chine, qui prend de plus en plus pied en Afrique à la recherche de matières premières, doit assumer sa part de responsabilité pour la paix. En Afghanistan, la sécurisation de nouvelles zones devrait permettre aux Alliés d'alléger leurs forces. L'État afghan doit promouvoir la justice, le développement, l'éducation et l'indépendance des femmes, mais nous ne pouvons pas exporter dans cette région la démocratie à l'occidentale ni régler tous les maux de la planète.
Évitons les critiques à l'emporte pièces et a posteriori et travaillons dans la durée. Ingérence et paternalisme doivent laisser place à la responsabilisation. Avec modestie et amitié, accompagnons les peuples sur le chemin de la démocratie. (Applaudissements sur les bancs UMP)
M. Soibahadine Ibrahim Ramadani. - Je me réjouis de l'organisation de ce débat.
Ces derniers mois ont été marqués par de nombreuses crises mais aussi par des événements heureux -libération de la dirigeante birmane Aung San Suu Kyi, attribution du prix Nobel de la paix au dissident chinois Liu Xiaobo, report de l'exécution de l'Iranienne Sakineh Mohammadi-Ashtiani condamnée à la lapidation pour adultère.
Aux Comores, la Cour constitutionnelle a validé l'élection du « nouveau président ». Où en est la coopération de la France avec ce pays ?
A Madagascar, le récent référendum a créé une IVe République, mais la crise pourrait rebondir et avoir de lourdes conséquences pour la population. Il faut être vigilant contre la piraterie maritime. Récemment, pour la première fois, une attaque a eu lieu près des côtes comoriennes et, la semaine dernière, un bateau de plaisance a été pris en chasse au large de Mayotte. Il faut renforcer les moyens de l'opération Atalante. Le droit en vigueur est complexe. Comment la France coopère-t-elle avec les États voisins ? (Applaudissements sur les bancs UMP)
présidence de Mme Monique Papon,vice-présidente
M. Yves Pozzo di Borgo. - Face aux crises, il faut réagir en cohérence avec notre politique à long terme. En Côte d'Ivoire, assiste-t-on à la fin de la Françafrique ? Ne vaudrait-il pas mieux coopérer avec le Nigéria, l'Angola, l'Afrique du Sud ?
L'assassinat au Niger de deux jeunes gens qui, par leur courage et leur curiosité, ont donné une belle image de la jeunesse a bouleversé les Français. Il faut se donner les moyens d'éradiquer le terrorisme de la bande sahélienne.
Quel est le rôle de l'Algérie ?
En Tunisie, nous devons accompagner la transition vers la démocratie afin que le nouveau gouvernement ne soit pas un faux-nez de celui que la population vient de rejeter. Les pays du Maghreb ne coopèrent pas assez. L'Union pour la Méditerranée n'a pas rempli ses objectifs.
M. Didier Boulaud. - Elle n'existe pas !
M. Yves Pozzo di Borgo. - Avec qui l'Europe veut-elle établir un partenariat stratégique ? Je suis convaincu qu'il faut nous tourner vers la Russie. Au niveau bilatéral, comment poursuivre l'élan de l'année France-Russie ? A l'échelon communautaire, je souhaite que les ressortissants russes soient dispensés de visa : les Russes sont curieux de connaître l'Europe et le monde. (Applaudissements à droite et au centre)
M. Jacques Berthou. - L'assassinat de deux Français au Niger et la révolution tunisienne nous obligent à revoir notre politique africaine. Au Sahel, la France a perdu toute influence, laissant le champ libre aux trafiquants et aux extrémistes. La Chine nous remplace pour piller les matières premières. Elle peut le faire parce que la politique du Gouvernement est inconsistante. Le discours de Dakar du président de la République n'a rien arrangé. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
Nous saluons la chute de la dictature tunisienne et attendons des élections législatives démocratiques. Quelle complaisance du gouvernement français à l'égard de M. Ben Ali, considéré comme un rempart contre l'islamisme !
M. René Beaumont. - Et vous ?
M. Jacques Berthou. - La proposition de Mme Alliot-Marie d'aider les forces de sécurité tunisiennes est choquante.
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. - On me prête des propos que je n'ai pas tenus !
M. Jacques Berthou. - Nous sommes désormais alignés sur les États-Unis : quelle influence peut donc, dans ces conditions, être la nôtre au Proche-Orient et au Pakistan ? L'Union pour la Méditerranée est un échec.
M. Jacques Blanc. - C'est pourtant une belle ambition !
M. Jacques Berthou. - Elle n'arrive même pas à réunir son deuxième sommet. Il faut y associer toute l'Europe.
Il est temps de redonner du lustre à notre politique étrangère ! (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. Robert del Picchia. - Je suis étonné par les déclarations de certains donneurs de leçons... Qui avait prévu la chute du régime tunisien ? Lorsque les dictatures communistes se sont écroulées, certains dirent qu'ils l'avaient bien vu venir... Il n'est pas facile de gouverner...
M. Didier Boulaud. - Si vous ne voulez pas le pouvoir, laissez-le !
M. Robert del Picchia. - En Tunisie, une fois le calme revenu, l'Union européenne ne pourrait-elle mettre en place un partenariat avancé comme avec le Maroc ?
Il est difficile pour une puissance moyenne d'exercer seule une influence mondiale : il faut jeter les bases de la diplomatie européenne. Le service d'action extérieure est un instrument crucial. Nous ne serons crédibles que si nous agissons efficacement à nos frontières, par exemple dans les Balkans. Nos liens avec la Turquie, dont l'adhésion à l'Union européenne est inopportune, doivent être renforcés.
L'Union pour la Méditerranée peine à exister car les conflits entre certains pays membres s'accentuent. Pourtant, la coopération entre les deux rives de la Méditerranée est plus que jamais indispensable.
L'Union européenne doit jouer un plus grand rôle, grâce notamment à l'influence coordonnée des diplomaties française, britannique et allemande. Un transfert de compétences au niveau supranational, tel est le sens de la construction européenne depuis cinquante ans.
Nous ne devons pas rester inertes face aux persécutions dont sont victimes les chrétiens d'Orient. (Mme Nathalie Goulet approuve) Les aspirations à la pureté religieuse, sociale et raciale doivent être combattues : voilà le message de la vieille Europe. (Applaudissements sur les bancs UMP)
M. Jean-Etienne Antoinette. - Notre diplomatie se tourne aujourd'hui vers l'Est, oubliant l'Amérique latine et centrale, mis à part le Brésil. Les étudiants latino-américains en France sont beaucoup moins nombreux que ceux venus d'Asie et notre coopération économique est dérisoire, concentrée en plus sur quatre pays, Brésil, Mexique, Chili et Argentine.
La Guyane fait pourtant de la France un pays américain. Un investissement diplomatique et économique y est indispensable. Il faut faire évoluer le statut des populations du Maroni et de l'Oyapock, dans les relations avec le Surinam et la Guyane.
Fallait-il attendre un drame pour intervenir à Haïti, à qui nous étions si étroitement liés ? La reconstruction est en panne alors que la France aurait dû jouer un rôle majeur.
La lutte contre l'immigration clandestine, le développement de nos départements américains imposent une vision à long terme.
Ne reste-t-il rien de l'ambition du général de Gaulle qui voulait que la France aide l'Amérique latine à s'installer dans le progrès, l'équilibre et la paix ? (Applaudissements à gauche)
M. Jacques Blanc. - Il est triste que des querelles sémantiques, des positions parfois excessives fassent oublier que nous savons faire émerger des consensus, comme au sein du groupe d'amitié France-Tunisie du Sénat.
Lors de notre réunion du 13 janvier, nous avons adopté à l'unanimité une résolution condamnant la répression en Tunisie, reprenant en cela le propos tenu la veille par le président Larcher et soutenant ceux qui, dans ce pays, luttaient pour les libertés publiques ; nous avons souhaité que la France et l'Union européenne pèsent de tout leur poids pour le respect des droits fondamentaux.
Chacun est dans son rôle. Le Gouvernement ne peut prêter le flanc à une accusation d'ingérence... Chacun connaît nos relations avec la Tunisie et souhaite que ce peuple, ami de la France, bénéficie de la démocratie. Le Gouvernement a ses positions ; le Sénat a aussi la capacité de se faire entendre.
Le président de la République a de grandes ambitions, comme l'UMP. Reprenez ses propos sur l'Union pour la Méditerranée ! Bien sûr, on ne peut aboutir sans que soient réglés des problèmes comme celui des relations entre Israël et la Palestine. Mais est-ce la faute de la France ? Les socialistes n'ont pas été meilleurs. (On ironise sur les bancs socialistes) Nous devons apporter notre contribution au développement des pays méditerranéens pour répondre aux aspirations de leur jeunesse. Je crois profondément à l'Union pour la Méditerranée ! (Applaudissements à droite et au centre) J'ai contribué à ce que le Comité des régions d'Europe ait porté des messages en ce sens.
Ne réglons pas de petits comptes qui n'intéressent personne, portons haut et fort le message de la France pour la Méditerranée ! (Applaudissements à droite et au centre)
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État, ministre des affaires étrangères et européennes. - Je salue l'initiative du Sénat avec ce débat, certes un peu abrégé par les contraintes d'horaires.
Les crises dictent nos urgences. En Côte d'Ivoire, la situation est complexe ; il est indispensable de maintenir la pression sur Laurent Gbagbo. Nous encourageons une solution négociée, africaine, ivoirienne de préférence. La France ne fait pas obstacle à la préparation d'une intervention militaire africaine mais ce ne doit être que l'ultime option. Recompter les bulletins ne serait pas une solution, si longtemps après l'élection, pas plus que refaire celle-ci dans la situation de violence et de tension d'aujourd'hui.
Deuxième crise, celle de nos otages assassinés au Niger. Les pays sahéliens sont les premières victimes du terrorisme et nous devons coopérer avec eux, comme avec ceux du Maghreb. Notre politique a pour objectifs le renforcement des capacités de sécurité des pays concernés, le développement, qui ferait disparaître le terreau propice au terrorisme, la protection de nos ressortissants. Non, monsieur Berthou, notre politique n'est pas inconsistante face à la Chine, qui ne s'intéresse qu'aux matières premières -incitant les pays en cause à se tourner vers nous.
La Tunisie ? Mes propos de la semaine dernière étaient clairs ; s'ils ont été mal compris, je le regrette. J'ai dit ma sensibilité aux souffrances du peuple tunisien, à l'heure où des manifestants étaient abattus par la police. Il est inadmissible que mes propos aient été isolés de leur contexte et sciemment déformés par certains, qu'une polémique ait été créée qui n'avait pas lieu d'être. J'ai déploré l'usage excessif de la force et les tirs à balles réelles ; j'ai dit qu'on pouvait gérer les manifestations même violentes sans ouvrir le feu. C'est dans ce cadre que j'ai dit que la France était prête pour l'avenir à aider les forces de l'ordre tunisiennes à contenir pacifiquement les manifestations. Il est inenvisageable que la France prête un concours direct aux forces de l'ordre d'un autre pays. Mes fonctions successives le prouvent : je connais nos lois et sais qu'une telle intervention serait illégale et contraire à nos principes.
Le président de Rohan a eu raison de dénoncer ceux qui prédisent le passé. Dois-je rappeler à M. Berthou qu'en 1997, M. Jospin recevait M. Ben Ali et faisait l'éloge de la situation en Tunisie ? Qu'en 2008, M. Strauss-Kahn se félicitait de la réussite de l'économie tunisienne et recevait une haute décoration des mains de M. Ben Ali ? Cela ne sert à rien de polémiquer !
M. Jean-Louis Carrère. - Que faites-vous donc ?
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. - La France est aux côtés du peuple tunisien. A ce jour, la situation sécuritaire est contrastée ; un gouvernement d'union nationale a été constitué mais plusieurs ministres en ont démissionné. L'aspiration des Tunisiens à la démocratie suppose l'organisation d'élections libres. Si l'union pour le Maghreb doit être consolidée, c'est aussi pour cette raison.
L'engagement de la France s'inscrit aussi dans la durée et dans le cadre européen, afin de sortir de la crise économique et d'accroître notre influence collective. Il faut, pour cela, aller vers davantage de convergences en matières sociale et fiscale, réduire les écarts de compétitivité. L'Union européenne doit s'affirmer comme un acteur global, une puissance dans la mondialisation ; elle doit, pour cela, s'appuyer sur ses nouveaux acteurs stables et renforcer la défense européenne - celle-ci n'est pas entamée, bien au contraire, par notre retour dans le commandement intégré de l'Otan.
Je pars demain pour le Proche-Orient. Il faut ouvrir à l'Union européenne et aux pays arabes modérés les négociations de paix. Dans cette perspective, l'Union pour la Méditerranée n'a rien perdu de son utilité ; le secrétariat est installé à Barcelone ; programme de travail -eau, recherche, enseignement supérieur- et budget sont en place.
Le partenariat avec la Russie est un bon moyen d'accroître notre poids dans le monde. Le succès de l'année croisée France-Russie doit être approfondi.
Je suis à la disposition du Sénat pour répondre à vos questions sur l'Afghanistan. Notre démarche consiste à transférer au fur et à mesure tous les pouvoirs au gouvernement afghan.
La situation au Pakistan s'est détériorée depuis quatre ans. Nous devons réfléchir à la meilleure façon de soutenir les institutions démocratiques de ce pays.
L'opération Atlante a permis de réduire le nombre d'actes de piraterie réussis dans l'océan Indien, mais ils se multiplient. J'ai demandé à M. Lang de me faire des propositions.
Nos relations avec l'Afrique doivent effectivement passer par des modalités qui rompent avec d'anciennes pratiques. Nous soutenons les organisations régionales et privilégions une coopération multidimensionnelle. Je suis prêt au débat qu'a souhaité le président de Rohan sur les accords déjà passés.
Les Comores sont entrées dans une nouvelle phase ; la France, qui n'a pas à se préoccuper des personnes, félicite les vainqueurs du processus démocratique en cours... Les auteurs du viol d'une magistrate à Mayotte ont été identifiés ; les juges d'instruction se sont rendus pour la cinquième fois aux Comores et le processus d'extradition est engagé. A Madagascar, la France plaide pour une sortie de crise pacifique et la fin rapide de la période de transition.
Depuis la condamnation de Mme Sakineh, la France appelle sans relâche à sa libération ; elle est très préoccupée par la situation de ses proches.
Non, la France n'est pas devenue une petite puissance économique. Nos entreprises sont au premier plan mondial. Notre politique d'influence doit être globale, en associant tous les acteurs aux côtés de l'État, publics et privés, collectivités locales, parlementaires... Je proposerai à M. de Rohan la collaboration de diplomates. Cette politique suppose un ministère modernisé, avec des moyens -que M. Carrère votera, je n'en doute pas...
J'attache une très grande importance à l'Amérique latine, trop négligée depuis des décennies. Je n'ai pas le temps de développer davantage...
Face aux enjeux de la mondialisation, l'unité de la nation est notre premier atout. Cette exigence est aussi la vôtre, comme de tous ceux qui croient et travaillent à la grandeur de la France. (Applaudissements au centre et à droite)
La séance est suspendue à 16 heures 55.
présidence de M. Gérard Larcher
La séance reprend à 17 heures.