Loppsi (Deuxième lecture)
M. le président. - L'ordre du jour appelle la deuxième lecture du projet de loi, adopté avec modifications par l'Assemblée nationale en deuxième lecture, d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure.
Discussion générale
M. Brice Hortefeux, ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration. - Je remercie les membres de la commission des lois, MM. Hyest et Courtois, d'avoir contribué à l'élaboration de ce texte ambitieux et équilibré.
Pour la huitième année consécutive, la délinquance a baissé en France, grâce à une politique déterminée. Face aux transformations de la délinquance, il faut nous adapter.
Le projet de loi modernisera les moyens des forces de l'ordre et renforcera la réponse pénale.
Au cours des onze premiers mois de 2010, la délinquance a baissé de plus de 2 % : réjouissons-nous en, mais de nouveaux défis doivent être relevés. Les atteintes à l'intégrité physique augmentent moins vite que par le passé mais elles augmentent. Les vols de téléphone portables sont en hausse de 40 % mais leur blocage rendra bientôt leur vol sans intérêt, comme pour l'autoradio naguère.
Nous appliquons notre feuille de route. Dès qu'un problème est identifié, une stratégie ciblée est définie, qu'il s'agisse de cambriolages, de violence contre les personnes âgées, de hooliganisme ou de l'insécurité dans les transports.
La police d'agglomération, bientôt étendue à Lille, Lyon, Marseille et peut-être Bordeaux, modernise le fonctionnement des forces de l'ordre. Depuis le 1er janvier, la police des audiences peut être exercée par des sociétés privées, ce qui permet de réaffecter policiers et gendarmes à leur coeur de métier. Les transfèrements pénitentiaires seront bientôt pris en charge par la Chancellerie, ainsi que -mesure hautement symbolique- la garde statique de ses locaux, place Vendôme.
Pour lutter contre la délinquance, nous fourbissons nos armes. Ce texte modernise les outils opérationnels des forces de l'ordre, comme la vidéoprotection dont l'efficacité est reconnue. Si certains ne sont pas d'accord, qu'ils le disent.
Mme Éliane Assassi. - Nous, et nous assumons !
M. Brice Hortefeux, ministre. - L'Assemblée nationale a défini le juste équilibre : une commission nationale conseillera le Gouvernement et la Cnil pourra prendre des sanctions. Des logiciels de recoupement seront mis en place. La lutte contre la pédopornographie et les trafics sera renforcée.
Les vols et cambriolages au détriment des personnes vulnérables seront plus sévèrement réprimés. Les biens des trafiquants pourront être vendus ou affectés aux forces de l'ordre qui disposeront ainsi de voitures surpuissantes. La sécurité dans les transports en commun sera renforcée : je souhaite que les agents de sécurité puissent conduire les délinquants devant un officier de police judiciaire et soutiens l'amendement de Jacques Gautier.
Près des stades, la sécurité sera renforcée : des mesures énergiques ont déjà été prises pour l'intérieur des stades dès le lendemain de la mort d'un supporter, le 28 février 2010. Je touche du bois mais, pour l'essentiel, le problème est résolu à l'intérieur des stades ; reste la sécurité à l'extérieur. Il n'en demeure pas moins que les familles peuvent enfin profiter des rencontres sportives ! Les préfets pourront déclarer un couvre-feu la nuit pour les mineurs de moins de 13 ans et confisquer le véhicule des délinquants de la route.
Les prérogatives des polices municipales sont accrues. Le partenariat avec les entreprises de sécurité privées sera renforcé : 100 000 embauches sont prévues dans ce secteur dans les dix prochaines années, d'où la nécessité de préciser la réglementation. (M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois, approuve)
Pour lutter contre les violences faites aux personnes, les multirécidivistes condamnés à au moins cinq ans d'emprisonnement pourront être placés sous bracelet électronique. Les peines plancher doivent pouvoir être appliquées aux primo-délinquants ; un débat technique demeure et je serai attentif à vos propositions, notamment à celles de M. Demuynck. Les cours d'assises pourront prévoir une période de sûreté de trente ans pour les personnes condamnées pour homicide contre des personnes dépositaires de l'autorité publique ; la commission veut réserver cette mesure aux crimes commis en bande organisée, ou dans d'autres circonstances aggravantes ; je n'y suis pas favorable.
Le projet de loi prévoit également une prise en charge plus rapide par le tribunal pour enfants. Aujourd'hui, les délais trop longs nuisent à la pédagogie de la sanction et donnent un sentiment d'impunité. (Mme Nathalie Goulet approuve) Le procureur pourrait saisir directement le tribunal à la condition que le mineur soit déjà connu des services de police.
Quant au permis à points, son objectif est de faire baisser le nombre de morts et blessés sur les routes. On comptait 10 000 morts il y a quarante ans, 8 000 en 2002, moins de 4 000 aujourd'hui : c'est encore trop.
Les parlementaires veulent réduire le délai de récupération des points ; le Gouvernement veut exclure les infractions les plus graves.
J'ai pour mission d'assurer la sécurité de nos concitoyens partout et pour tous, dans le respect des libertés. Il faut, pour cela, nous adapter. (Applaudissements à droite, au centre et sur le banc des commissions)
M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur de la commission des lois. - De nombreuses dispositions de ce texte font déjà l'objet d'un accord entre les deux chambres : encadrement des fichiers d'antécédents judiciaires, vidéosurveillance, etc.
Le Sénat avait introduit la Cnil dans le dispositif, ce que l'Assemblée nationale a approuvé. Les dispositions sur le couvre-feu des mineurs ont été adoptées par les deux assemblées, comme la plupart de celles sur la sécurité routière.
Sur le permis à points, M. Fouché souhaitait que l'on ramène le délai de trois à un an ; l'Assemblée nationale a préféré une voie moyenne. Nous la suivrons, comme sur ses autres modifications.
S'agissant des polices municipales, nos deux assemblées sont d'accord sur l'essentiel. L'Assemblée nationale a approuvé les dispositions votées par le Sénat à la demande du Gouvernement.
Notre commission s'était opposée à l'extension des peines plancher, pour des motifs d'inconstitutionnalité. Les députés sont revenus au dispositif initial du Gouvernement, qu'ils ont même étendu. Nous maintenons notre position de première lecture.
Sur l'allongement de la peine de sûreté, prévue à l'article 23 ter, la commission reste aussi sur sa position initiale.
Les députés ont rétabli leur disposition sur les poursuites et condamnations des mineurs. Là encore, nous jugeons qu'il y a risque d'inconstitutionnalité. A notre sens, l'imprescriptibilité doit être réservée aux crimes contre l'humanité.
Telles sont nos positions, que je vous demande de suivre. (Applaudissements au centre et à droite)
M. Jacques Mézard. - J'ai écouté avec intérêt le ministre évoquer les statistiques : où trouvera-t-on bientôt les délinquants ? Les lois de « simplification » compliquent tout ; qu'en est-il de l'« orientation » et de la « programmation » de cette Loppsi, dictée par les faits divers ?
Il faut certes être attentif aux bouleversements de la société mais une réponse législative à des faits médiatisés est dommageable car créatrice d'insécurité juridique et contraire à la notion même de politique pénale. Cette avalanche de lois sécuritaires pollue la tâche des magistrats.
M. Roland Courteau. - Très bien !
M. Jacques Mézard. - Le législateur doit d'abord s'interroger sur la pertinence des textes existants. Il va de soi que le code de 1810 ne s'applique que malaisément à la cybercriminalité. Mais multiplier des textes inutiles à des fins de communication politique, c'est jouer avec le feu.
Comme le dit le président d'honneur d'un parti extrémiste, les électeurs préfèrent toujours l'original à la copie. Méfiez-vous !
Mme Éliane Assassi. - Exact !
M. Jacques Mézard. - Nous dénoncions les errements de la garde à vue. La chancellerie nous donne raison. On ne lutte pas contre l'insécurité en en jouant. Ce n'est pas avec seize lois sécuritaires en huit ans qu'on aura un code pénal satisfaisant -d'autant qu'on ne paraît guère s'interroger sur les effets délétères de la délinquance financière.
Le Sénat a fait entendre sa voix ; le message de la majorité de l'Assemblée nationale est, hélas, tout autre : « la délinquance sans scrupule fait régner la terreur ».
Il y a donc une délinquance avec scrupules... (Sourires)
Ce n'est pas en augmentant le quantum des peines qu'on améliorera le fonctionnement de la justice ! On ne peut que déplorer que l'Assemblée nationale ait rajouté une couche sécuritaire à ce texte réactionnel -je n'ai pas dit réactionnaire !
La vidéosurveillance n'est tout de même pas la panacée. L'Assemblée nationale a refusé que la Cnil exerce un contrôle. Puisse la position du Sénat l'emporter ! L'article 23 bis sur les peines plancher a été introduit contre l'avis de la commission ; l'Assemblé nationale en a étendu considérablement le champ. Ce durcissement pose la question de la logique poursuivie, dès lors que la prison ne prépare que fort mal à la réinsertion, sans oublier le problème de constitutionnalité.
Le champ d'application de la surveillance judiciaire est étendu ; le couvre-feu pourra être déclaré à l'égard des mineurs, même à titre individuel. Le Sénat avait introduit un recours au juge ; l'Assemblée nationale est revenue sur cette disposition, engageant ainsi une dérive inquiétante.
De la période de sûreté aux peines plancher, et bientôt aux jurys populaires en correctionnelle, vous multipliez les manifestations de méfiance systématique et épidermique à l'endroit de la magistrature. Vous auriez tort de rester sourds aux propos du procureur général Nadal.
M. Brice Hortefeux, ministre. - A quinze jours de la retraite...
M. Jacques Mézard. - Le thème de la sécurité est transformé en thème de rupture alors qu'il devrait être de rassemblement. J'avais parlé, en première lecture, de force tranquille. Cessez de justifier votre absence de résultats par une prétendue inadaptation des lois alors que le problème touche aux moyens. Protéger les citoyens n'est pas les surveiller mais leur rendre confiance. (Applaudissements à gauche)
Mme Éliane Assassi. - Si délinquance il y a, ce serait à cause de la gauche et des magistrats ! Le mal national serait la complaisance, dont seraient coupables tous sauf vous, qui empilez les textes, et... le Front national. Si le nombre de délinquants augmente, c'est la faute aux parents « complaisants » et pas, entre autres, aux 66 000 postes supprimés dans l'éducation nationale.
La France irait mal à cause de la perte des valeurs du bon vieux temps, des bons Français qui, eux, ne sont pas des délinquants, à la différence, bien sûr, des étrangers.
Avec 12 000 postes supprimés, la police est à bout de souffle. Vous envoyez de la poudre aux yeux et installez 60 000 caméras de vidéosurveillance, pour un taux d'élucidation qui atteint 3 % au mieux.
Poursuivant votre politique de division généralisée, vous cherchez à opposer le peuple aux magistrats, qui ne rendent pas la justice que vous voudriez. Vous contestez ainsi une décision de justice concernant des policiers. C'est dangereux pour l'État de droit.
Pour justifier les jurys populaires en correctionnelle, vous parlez de rapprocher la justice des citoyens, alors même que vous supprimez barreaux et cours.
A mon tour, je reprends les propos du procureur Nadal sur le « mépris » pour la justice qui « avilit l'Institution » et « blesse la République ». Est-il permis d'agiter le code pénal avec aussi peu de délicatesse ?
En première lecture, vous aviez cité Marc Bloch et L'étrange défaite. A l'Assemblée nationale, M. Ciotti a jugé nécessaires les mesures que vous proposez dans « cette guerre de mouvement contre la délinquance ». Moyennant quoi, les mesures dérogatoires au droit commun se multiplient. A quand l'état d'urgence ?
Vous espérez entretenir l'hostilité des milieux populaires contre la délinquance du petit peuple pour masquer la dépénalisation de la délinquance financière et faire accepter votre politique de répression.
Le Front national avait lancé le discours de la complaisance, il reprend le discours populiste, voire ouvriériste, tenu par Nicolas Sarkozy en 2007. Vous êtes avec eux, nous sommes contre eux et contre vous. Une guerre de mouvement suppose une infanterie légère ; malgré votre philosophie martiale, vous faites passer la RGPP.
Vous supprimez des milliers de postes dans la police et la gendarmerie. Cette prérogative régalienne n'a pas à être déléguée à des policiers municipaux ou à des sociétés privées de sécurité. Cette externalisation se poursuit sans relâche : il y a 170 000 agents privés de sécurité pour 220 000 policiers et gendarmes... Vos arguments financiers ne tiennent pas la route, à preuve les dépenses consenties pour installer 60 000 caméras et assurer leur visionnage.
Votre agrégat hétéroclite est révélateur de la vision que vous voulez imposer, bien loin de la politique transversale que nous prônons. (Applaudissements à gauche)
M. François Zocchetto. - Ce texte dense a crû en volume : de 46 articles, on est passé à 110 lors de la deuxième lecture à l'Assemblée nationale. Notre première lecture avait été marquée par le dépôt d'un grand nombre d'amendements du Gouvernement ; nous étions toutefois parvenus à un équilibre -que l'Assemblée nationale a mis à mal. Les députés ont écarté tous les garde-fous que nous avions mis en place.
Notre commission des lois a su faire preuve de persévérance et d'obstination.
Des peines plancher appliquées à des primo-délinquants ? J'avais été rapporteur d'un texte sur de telles peines pour les récidivistes, que le Conseil constitutionnel n'a admis qu'en raison de la circonstance objectivement aggravante que constitue la récidive.
L'allongement de la peine de sûreté pour les assassins de détenteurs de l'autorité publique ? Les présidents Hyest, About et Longuet avaient élaboré un compromis qui n'avait certes rien de laxiste : nous tenons à conserver la hiérarchie des peines. La modification imposée par les députés remet en cause la proportionnalité.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - La peine est individuelle !
M. François Zocchetto. - Sur le délai nécessaire pour reconstituer le capital de points du permis de conduire, tous les groupes sont divisés. Il faut éviter d'envoyer un mauvais signal. Personnellement, je suis très circonspect. Les chiffres sont parlants : le nombre de tués sur la route a fortement diminué, grâce à l'impact pédagogique de la législation adoptée. Faisons très attention !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. - Très bien !
M. François Zocchetto. - Le droit actuel prévoit qu'un étranger peut encourir une peine complémentaire d'interdiction du territoire français. Cela date des années 1970 ; l'amendement de l'Assemblée nationale n'introduit pas là une nouvelle peine. Il faut que le président de la cour d'assises puisse avertir les jurés de la possibilité de prononcer cette peine complémentaire.
Sur l'imprescriptibilité, la commission des lois a la grande sagesse de maintenir sa position constante : l'imprescriptibilité est et doit rester réservée aux crimes contre l'humanité.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. - Absolument !
M. François Zocchetto. - Ce texte important était attendu car la délinquance évolue sans cesse du fait de l'imagination des délinquants et des innovations techniques. Une large majorité de l'Union centriste votera donc le texte proposé par notre rapporteur. (Applaudissements à droite et au centre)
M. Alain Anziani. - Les mois passent, les sessions se succèdent, les textes sécuritaires s'empilent. On en est à seize depuis 2002. Cette inflation s'inscrit-elle dans une vision globale ? Est-elle suivie d'effets ? Est-il utile de créer des délits spécifiques quand le code pénal suffit ? Est-il décent d'incriminer les sans-logis quand le logement est un droit reconnu ?
M. Jean-Pierre Sueur. - Très bien !
M. Alain Anziani. - J'aurais préféré que ce débat s'ouvre sur une orientation fondamentale : le respect de la séparation des pouvoirs. Or, le ministre de l'intérieur a jugé « disproportionnée » la condamnation des policiers de Bobigny.
Les propos du procureur général Nadal doivent recevoir le plus grand écho dans le pays. M. Hoterfeux veut-il « blesser la République » ? Je ne le crois pas, je ne lui ferai pas cette injure. Mais il doit respecter la séparation des pouvoirs. Avec ce texte, vous inventez une programmation rétroactive -avec des crédits renvoyés à l'annexe. La vidéosurveillance et les fichiers policiers sont sans doute utiles, mais vous supprimez tous les garde-fous. Les infractions commises sur internet n'ont pas besoin que l'on invente de nouvelles incriminations : le code pénal suffit.
Votre méthode commence à être bien connue : un fait divers, une émotion, une loi. Cela n'a pas grand-chose à voir avec la sécurité : c'est du populisme.
Le couvre-feu pour les mineurs sera inefficace puisqu'inapplicable. La comparution immédiate des mineurs récidivistes relève d'une logique d'abattage quand il faudrait de l'individualisation.
En première lecture, M. Courtois écrivait, en page 15 de son rapport, que les coups et blessures volontaires s'étaient accrus de 40 % depuis 2002. Comment alors nous dire que cette politique sécuritaire rencontre des résultats remarquables ?
Le 30 juillet dernier, le Conseil constitutionnel a pointé les difficultés rencontrées par les OPJ et déploré qu'on ait doublé leur nombre, aux dépens de leur formation. Le Conseil déplore une dégradation ; vous l'aggravez !
L'État se désengage en matière de sécurité. Vous avez supprimé 9 000 postes de policiers et gendarmes -la gauche en avait créé 5 000 entre 1997 et 2002. Quand il y a déjà 170 000 agents de sécurité privés pour 220 000 policiers et gendarmes, parler d'en créer encore 12 000 par an, c'est aller vers quoi ?
Ce texte réprime les plus démunis.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. - Vous ne pouvez pas dire cela !
M. Alain Anziani. - « La délinquance appelle la répression, certes, mais où sont les repères ? », demandait le procureur Nadal, quand ceux qui rappellent que les prévenus ont des droits sont accusés de se ranger dans le camp des assassins, ou que l'on bafoue la présomption d'innocence ? Et le scandale est encore plus grand quand ces protestations politico-corporatistes sont relayées au plus haut niveau, au mépris de la séparation des pouvoirs ! (Vifs applaudissements à gauche et sur les bancs du RDSE)
La séance est suspendue à 19 heures 30.
présidence de M. Jean-Léonce Dupont,vice-président
La séance reprend à 21 heures 30.