Adaptation au droit européen
(Conclusions de la CMP)
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions de la CMP sur la proposition de loi portant diverses dispositions d'adaptation de la législation au droit de l'Union européenne.
Discussion générale
M. Jean-Paul Émorine, président de la commission de l'économie, en remplacement de M. Bruno Sido, rapporteur pour le Sénat de la CMP. - Le 6 septembre, j'ai déposé avec MM. Longuet et Bizet une proposition de loi tendant à rattraper notre retard dans la transposition de textes communautaires, retard qui fragilise notre position dans les institutions de l'Union européenne comme la sécurité de notre droit et expose la France à des amendes.
Je me félicite donc du vote qui pourra intervenir aujourd'hui.
Le texte d'aujourd'hui assure la coordination législative de trois textes législatifs distincts, la présente proposition de loi, la proposition de loi Warsmann et l'ordonnance du 21 octobre 2010 ; il a été en outre enrichi à l'initiative du Gouvernement pour autoriser celui-ci à transposer plusieurs directives.
Le recours aux ordonnances a suscité certaines critiques, auxquelles je veux répondre. Sur la forme, la délégation législative n'a pas empêché le débat et le Gouvernement a pris soin de présenter ses demandes d'habilitation dès l'examen du texte en commission. Sur le fond, il était urgent d'agir pour éviter des pénalités élevées pour retard de transposition. Je remercie M. le ministre pour l'engagement pris hier devant l'Assemblée nationale de transmettre systématiquement au Parlement les projets d'ordonnances. Le ministre de l'énergie a annoncé de son côté la constitution d'un groupe de travail sur la transposition de la directive « Énergie ». Nous avons également obtenu du Gouvernement qu'il nous transmette un calendrier prévisionnel des directives à prendre. J'ajoute que nous débattrons encore sur le fond lors de l'examen des lois de ratification.
L'Assemblée nationale, puis la CMP, n'ont modifié que la rédaction des dispositions adoptées ici en matière d'urbanisme. L'Assemblée nationale a introduit davantage de souplesse encore dans la procédure applicable aux Scot et Plu pour intégrer les dispositions de la loi Grenelle II ; nous avions ici souhaité donner du temps aux élus. La CMP a repris cette rédaction très opportune.
Remerciant M. Sido pour son travail, j'ai la conviction que cette proposition de loi, contrairement à ce qui est dit, honore le Parlement et illustre sa volonté de se saisir pleinement des questions touchant au respect par la France de ses engagements européens. (Applaudissements sur les bancs UMP)
M. Thierry Mariani, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement, chargé des transports. - Cette proposition de loi permettra de transposer plusieurs textes européens. Elle a vu le jour grâce à MM. Longuet, Bizet et Émorine, que je remercie pour cette initiative à l'origine d'un travail intense et conjugué du Gouvernement et du Parlement.
Ainsi, notre pays respectera ses engagements de transposition. Inévitablement, le texte aborde des sujets disparates. Ayant été dix-sept ans parlementaire, je comprends les réserves suscitées par l'habilitation donnée au Gouvernement de légiférer par ordonnances. Je m'engage à vous communiquer les projets d'ordonnances et à vous informer désormais tous les deux mois de l'état d'avancement des transpositions dans le domaine des transports dont j'ai la responsabilité, afin que vous ne soyez plus contraints de légiférer « l'amende sous la gorge ». (Applaudissements sur les bancs UMP)
M. Michel Billout. - Cette proposition détient sans doute le record du texte adopté le plus vite, après son dépôt le 6 septembre dernier.
M. Jean-Paul Émorine, président de la commission de l'économie. - C'est ça l'efficacité !
M. Michel Billout. - Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'elle devait être souhaitée par le Gouvernement !
Sur la forme, le détournement de l'initiative parlementaire n'est pas satisfaisant ; la législation par ordonnance ne l'est pas davantage, non plus que le recours à la procédure accélérée pour une proposition de loi. Le retard de transposition n'est pas un argument acceptable pour dessaisir le Parlement. Une plus grande implication en amont de la commission des affaires européennes est indispensable.
Dans un rapport élaboré ès-qualité comme président de la Délégation aux affaires européennes, M. Haenel indiquait, en 2007, que la loi de transposition devait être la règle et l'ordonnance l'exception, la solution de dernier ressort. L'engagement du Gouvernement de prendre en considération les observations des parlementaires avant la saisine du Conseil d'État prête à sourire... En définitive, le seul facteur d'unité des dispositions du texte tient à l'absence de liens entre les unes et les autres.
Le titre premier transpose plusieurs directives dans le domaine de l'environnement. La transposition du paquet « climat énergie » aurait mérité un débat approfondi, notamment sur la pertinence du marché des quotas d'émission, dont on peut penser qu'il alimentera la spéculation financière. Nous nous élevons également contre la transposition de directives relatives au marché intérieur de l'électricité et du gaz, qui réintroduit par la fenêtre une disposition que nous avions sortie par la porte de la loi Nome.
Au titre II, nous contestons la transposition fragmentée de la directive « Services », alors que la plupart des États membres ont choisi des lois-cadres. Alors que l'Europe connaît une grave crise, conséquence du renoncement du pouvoir politique face aux marchés financiers, il est temps que l'Union européenne renonce au dogme de l'ultralibéralisme. Nous regrettons que le Gouvernement refuse d'affronter le débat. Nous regrettons aussi la poursuite de la libéralisation du secteur aérien.
Enfin, le dernier titre, qui vise à répondre à l'inquiétude des élus sur l'application de la loi Grenelle II, est clairement un cavalier législatif.
Ce texte résulte d'un dévoiement de l'initiative parlementaire. Nous refusons que le Parlement soit transformé en chambre d'enregistrement. Nous ne pouvons accepter ce dispositif au moment où les citoyens européens paient une crise qu'ils n'ont pas provoquée ! Par manque de courage, le Gouvernement se cache derrière sa majorité pour continuer de mener une politique qui a conduit la France et l'Europe à la récession.
Mme Bariza Khiari. - Ce texte met à bas le mythe de l'hyper-parlement auquel jeune parlementaire, j'ai eu la faiblesse de croire. Notre institution devient malléable et corvéable à merci. Avec ce texte qui s'est transformé, comble de la supercherie, en proposition de loi d'habilitation, nous sommes les complices d'un hara-kiri parlementaire. Le Gouvernement a joué au coucou dans cette affaire.
Corvéables nous le sommes, car des dispositions analogues figurent dans trois véhicules législatifs différents et nous avons dû participer de mauvais gré à cette course à l'échalote, où la proposition de loi la plus rapidement votée gagnerait et ferait tomber les autres ! Quatre des huit articles du texte initial figuraient dans la proposition de loi Warsmann ; beau contre-exemple de la simplification du droit.
Certes la transposition de directives européennes a pris du retard et la France a déjà versé 30 millions d'euros de pénalités -un peu moins que le budget du tourisme... Tandis que le Gouvernement fait des économies sur la CMU et s'accroche au bouclier fiscal, la décence voudrait qu'il prît ses responsabilités et ne mît pas la France en situation de payer en raison de son incurie. Je ne peux croire qu'il vienne de découvrir le fonctionnement des institutions de l'Union... Toujours est-il que la crainte de sanctions financières nous oblige à légiférer avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête.
Au demeurant, le plus coûteux dans le retard de transposition est la moindre crédibilité de la France. Au moment où le moteur de l'Europe est grippé, les États membres fondateurs devraient être exemplaires, qu'il s'agisse du respect des calendriers et procédures ou de la qualité du débat démocratique. Le déficit démocratique entretient le désamour européen.
A cet égard, la transposition fractionnée, en tous petits morceaux, de la directive « Services » n'est pas de nature à relancer l'envie d'Europe. La méthode est scandaleuse pour la clarté du débat citoyen. Comme le relevait le président Bizet dans son rapport d'information, « l'éclatement de transposition en plus d'une dizaine de textes permet de noyer le débat et d'éviter la mobilisation des acteurs sociaux ». On sait d'où vient la directive « Services »... Je tiens à rendre hommage au travail d'Evelyne Gebbhart, eurodéputée allemande membre du SPD, qui a eu la lourde charge de conduire les négociations autour de la refondation du texte Bolkestein. Il a porté ses fruits puisque le principe du pays d'origine a été supprimé et que les services d'intérêt général ont été retirés du champ d'application de la directive.
Le Gouvernement a refusé une loi-cadre, il nous inflige maintenant l'ordonnance. Dans une note de fin 2007, le service juridique du Sénat faisait le bilan de la législation par délégation : 29 lois d'habilitation de 1981 à 2003, 38 de 2004 à 2007... Les homologations législatives multiplient, sous prétexte d'encombrement législatif. Or, nous nous passerions volontiers d'examiner chaque année une loi sur l'immigration, nous pourrions ne pas nous intéresser à la sécurité des manèges ni aux chiens dangereux, toutes matières de nature réglementaire. A force de transformer le Parlement en relais médiatique d'une politique d'affichage, le Gouvernement, par la cadence qu'il nous impose, nous interdit de travailler dans la sérénité.
Comment discuter au fond le texte hétérogène et touffu d'aujourd'hui ? Le texte de la CMP n'a plus rien à voir avec la proposition de loi initiale. Si je conviens que pour certaines dispositions l'intervention du législateur n'est pas utile, il en va tout autrement pour le paquet « Climat énergie ». La proposition de loi d'habilitation en procédure accélérée est un monstre législatif.
Je terminerai par des points de satisfaction. L'adoption de notre amendement sur les Scot et les PLU est un réel soulagement pour les collectivités locales ; surtout, je me félicite de la suppression de la condition de nationalité pour les géomètres-experts, pour l'introduction de laquelle je remercie M. Hervé Maurey. Je me réjouis que seule la condition de diplôme soit retenue. Les discriminations légales légitiment les discriminations illégales. La proposition de loi que j'avais déposée, votée ici à l'unanimité, relative à la suppression des conditions de nationalité, a connu un sort peu enviable à l'Assemblée nationale. Mais je constate que ses articles sont repris un à un au fil des textes. Il est même assez réjouissant de vous voir aujourd'hui, monsieur le ministre, défendre un article que vous avez tant critiqué lorsque vous étiez député...
M. Thierry Mariani, secrétaire d'État. - Je me bonifie.
Mme Bariza Khiari. - Au total, le groupe socialiste souhaite qu'une telle aberration législative ne se reproduise pas. Il votera contre ce texte. (Applaudissements à gauche)
Vote sur l'ensemble
M. Pierre Hérisson. - La France a totalisé la moitié des condamnations pour défaut de transposition. Cette situation est source d'incertitude juridique, sans parler de l'image de notre pays et du mauvais signal envoyé aux pays candidats ou aux nouveaux États membres.
On peut regretter que l'initiative parlementaire doive se substituer à celle du Gouvernement, mais le temps est compté. Le réalisme et l'efficacité doivent primer. Espérons qu'à l'avenir le Gouvernement déposera des projets de loi en temps et en heure !
Conscient de l'urgence et de ses responsabilités, le groupe UMP votera la proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs UMP)
Les conclusions de la CMP sont adoptées.