70ème anniversaire de l'appel du 18 juin 1940
M. le président. - L'appel dont nous célébrons le 70ème anniversaire appartient à notre histoire commune.
Il fut pourtant bien singulier -mais, au fond, évident- le destin de ces quatre feuillets, raturés et travaillés dans l'urgence, pour parvenir à un ordonnancement de onze paragraphes d'une rigueur, d'un dépouillement et d'une précision qui rompaient avec l'art oratoire de l'époque.
Elle fut pourtant bien étonnante -mais, au fond, évidente- la destinée de cette adresse au peuple français, qui ne fut guère entendue au moment où elle s'envola vers la France, depuis un studio du 4ème étage de l'immeuble de la BBC, par une soirée londonienne où la lumière de juin avait une couleur grise.
Il fut étrange -mais, au fond, évident- l'écho que rencontra dans notre histoire ce court message prononcé par une voix, alors inconnue, mais dont la détermination était prémonitoire d'un destin qui allait rencontrer celui de la France.
Elle fut admirable -mais, au fond, évidente- la dimension que prit cette exhorte à destination de la France défaite, formulée par un sous-secrétaire d'État à la défense -depuis à peine deux semaines- d'une grande puissance vaincue, général de brigade depuis moins de deux mois.
Cet appel, l'Histoire l'a oublié mais celui qui le prononça ne l'oublia jamais. Cet appel ne fut possible que parce que le Royaume-Uni ne s'y opposa pas. C'était, alors, loin d'être évident. La France était vaincue mais sa flotte constituait une menace pour l'empire britannique.
Mais il y eut le général Edward Spears, affecté aux relations avec la France combattante. Il y eut Duff Cooper, le ministre britannique de l'information. Il y eut Winston Churchill. Il y eut le roi Georges VI d'Angleterre et la reine Elizabeth qui, dans la singularité séculaire de leurs fonctions respectives, manifestèrent un soutien délicat et permanent à la France Libre. Il y eut, tout simplement, le Royaume-Uni.
Qu'avaient-ils en commun ces rares hommes -et ces quelques femmes- isolés qui, dès le 19 juin, se manifestèrent dans les austères locaux de Seymour Place pour rallier ce qui allait devenir la France combattante ?
Qu'avait-elle en commun la France de l'extrême ouest -entre mer et granit-, des marins de l'île de Sein et celle de l'Extrême-Sud -entre sable et savane-, d'un gouverneur du Tchad, originaire de Guyane, du nom de Félix Eboué ?
Qu'eurent-ils en commun ces 1 036 compagnons de la Libération venus d'horizons, de classes sociales et de convictions les plus diverses -dont 13 siégèrent plus tard dans cet hémicycle- et dont seulement 700 survécurent à la guerre ?
Ils n'étaient pas de droite, ces femmes et ces hommes. Ils n'étaient pas de gauche. Ils n'étaient pas du centre. Ils n'étaient pas, loin de là, au lendemain du 18 juin 1940, toute la France. Ils étaient une infime minorité.
Pourtant, déjà, ils étaient toute la France. Car ces femmes et ces hommes croyaient en l'Espoir. Ils croyaient en la Liberté. Ils croyaient en l'Égalité. Ils croyaient en la Fraternité. Ils croyaient en la Résistance contre une idéologie abjecte, dont ils refusaient la présence sur le sol national de la force armée qui en était l'instrument. Ils croyaient en la Résistance aux compromissions, que, déjà, ils pressentaient croissantes, d'un gouvernement faible et, dès l'origine, si peu légitime.
Oui, ces femmes et ces hommes, déjà, étaient toute la France.
Quels furent les ressorts de cette improbable rencontre entre un jeune, et très récent, général de brigade « sans notoriété, ni crédit, ni justification », « limité et solitaire », et un peuple humilié, désemparé, dévasté, occupé, qui errait sur les routes de l'exode ?
Il y eut - sûrement- la force de l'appel intransigeant de cette voix énergique et étrange, venue d'Outre-manche. Cette voix qui appelait à des valeurs qui grandissent : le courage, l'ardeur, l'espoir. Elle était l'antithèse du ressentiment, de la résignation et de la compassion que prônait le gouvernement de Vichy.
Il y eut - sûrement- la fulgurance visionnaire d'un homme d'exception. Cette fulgurance fut politique dans la soudaineté de la réplique formulée, à la demande d'armistice sollicitée, le 17 juin, par le maréchal Pétain. Elle fut politique dans l'analyse tranchante de la nature d'un régime d'emblée marqué par le ressentiment et inspiré par les chefs d'une armée défaite. Elle fut politique dans la définition même de l'envahisseur. Le maréchal Pétain le qualifiait, de manière atténuée, et quasi chevaleresque, « d'adversaire ». Le général de Gaulle, lui, dénonçait d'emblée et sans détours la nature profonde du régime nazi par le terme radical et sans appel « d'ennemi ».
Cette fulgurance fut visionnaire. « L'ennemi serait vaincu par la supériorité des mêmes armes que celles qui lui donnèrent la victoire ». C'est ce qu'il advint. L'ennemi serait vaincu parce que cette guerre « était mondiale » et parce que « La France n'était pas seule ». C'est ce qu'il advint. Grâce à une guerre, qui devint mondiale, grâce à ses alliés, grâce à son empire, grâce à des Français de nationalité mais aussi de coeur ou de circonstances, oui, « la France ne fut pas seule... ».
C'est sans doute beaucoup pour ces raisons que la rencontre entre cet appel et le peuple de France se perpétua dans une longue et belle histoire. Il y eut les sacrifices, le courage, les larmes et le sang de la Résistance. Il y eut la participation des armées de la France combattante à la Victoire. Il y eut, dans une joie immense, le rétablissement de la Liberté, de la Démocratie et des droits fondamentaux, qui furent enrichis d'une dimension sociale nouvelle. Il y eut plus, plus tard, le renforcement de l'autorité de l'État, l'affermissement de la parole internationale de la France, l'essor nouveau de son économie, la gestion -enfin effective- de la douloureuse question de la décolonisation, l'entrée -visionnaire et courageuse- de la France dans un monde marqué par la rivalité est-ouest et par l'émergence de puissances nouvelles, dont le général de Gaulle fut l'un des premiers à déceler les conséquences.
L'appel du 18 juin fut une réponse ponctuelle, forte et lumineuse, à un drame historique. Mais l'appel du 18 juin demeure une référence, dont les valeurs gardent leur puissante actualité.
Ces valeurs sont celles d'une France courageuse, ambitieuse et exigeante. Elles sont celles d'une France clairvoyante, juste et ouverte au monde.
Ces valeurs sont les valeurs de la France que, dans la vigueur de nos différences -et parfois de nos oppositions-, sur tous les bancs de l'Hémicycle, nous aimons et nous servons, tous. (Applaudissements à droite, au centre et sur de nombreux bancs à gauche)
présidence de Mme Catherine Tasca,vice-présidente
La séance, suspendue à 16 h 10, reprend à 16 h 30.