Violences au sein des couples
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi relative aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants, présentée par M. Roland Courteau et les membres du groupe socialiste.
Discussion générale
M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi. - (Applaudissements à gauche) Le 4 avril 2006 a été promulguée notre proposition de loi visant à lutter contre les violences au sein du couple. Elle a constitué, selon la plupart des associations, une avancée sans précédent : pour la première fois, le Parlement osait affronter un sujet trop longtemps tabou. Cette loi comportait des mesures de prévention et de répression, de lutte contre les mariages forcés, d'accompagnement des auteurs de violences, et de lutte contre le tourisme sexuel ou les violences contre les mineurs.
Depuis, le voile du silence s'est déchiré : les victimes osent enfin parler, dénoncer et porter plainte. La partie n'est pas gagnée pour autant. Mais si la loi ne peut pas tout, elle peut accélérer l'évolution des mentalités. Nous avons donc déposé en juin 2007 une deuxième proposition de loi qui précisait le dispositif précédent. Deux années plus tard, ce texte n'était toujours pas inscrit à l'ordre du jour de nos travaux. Nous l'avons donc allégé sur certains points et l'avons complété sur d'autres. Je remercie le groupe socialiste et son président d'avoir bien voulu en proposer l'examen aujourd'hui.
Le contexte semble assez favorable : la lutte contre les violences conjugales a été déclarée cette année grande cause nationale ; l'Espagne, dans le cadre de la présidence de l'Union européenne, en a fait une de ses priorités pour l'Europe ; le Premier ministre a annoncé vouloir créer un délit de violences psychologiques au sein du couple. C'est l'objet de l'article premier du présent texte. Certes, le repérage de ce type de violence est parfois difficile, mais le psychiatre Roland Coutanceau estime que le délabrement mental de la victime est évident et qu'à partir d'une certaine intensité la violence psychologique peut être mesurée.
Cette violence touche essentiellement des femmes, mais aussi, indirectement, des enfants. Elle est insidieuse, le manipulateur cherchant à obtenir une emprise totale sur sa victime, et devient paroxystique lorsque le conjoint ou concubin parle de séparation. Selon le Dr Feldman, l'usage répété de comportements néfastes a autant, sinon plus d'impact que la violence physique sur la santé de la victime. Injures, brimades, chantage, séquestration, isolement, humiliations concourent à sa démolition morale, et altèrent sa santé mentale et physique. Pour Roland Coutanceau, le sentiment de mépris est plus difficile à supporter que les coups qui l'accompagnent. La maltraitance psychologique serait tout aussi capable de faire disparaître l'élan vital, l'envie de vivre.
Ce sont ces cas extrêmes, ces pressions gravissimes qui s'exercent sur une longue durée, que nous souhaitons cibler. Que peut faire la victime ? Rester et risquer d'être détruite ou partir, se libérer ? Par son emprise psychologique, par la menace chronique, l'agresseur peut empêcher toute velléité d'autonomie et de départ. Dans ce cas, seule la justice peut faire renoncer l'homme à ces violences.
Comme le soulignaient Yaël Mellul et Eliette Abecassis, « lorsque la violence psychologique s'exerce à l'intérieur du couple, la justice reste à la porte ». Les mêmes auteurs montrent que la violence fait perdre à la victime ses capacités de jugement et la conduit à tolérer l'intolérable. « La violence augmente progressivement et la résistance de la victime diminue, jusqu'à devenir simplement une lutte pour la survie. »
C'est pourquoi nous voulons instaurer un délit de violence psychologique au sein du couple et proposons que les auteurs puissent être condamnés à un suivi socio-judiciaire. Nous ne définissons pas la notion de « violence psychologique », car toute énumération serait trop restrictive. Mais le droit en vigueur permet déjà d'en cerner les contours. Les preuves consisteraient en témoignages ou en certificats établis par des psychologues, des médecins ou des psychiatres.
Venons-en à l'article 2. La loi du 4 avril 2006 a renforcé les mesures d'éloignement du domicile commun des auteurs de violences, qu'il s'agisse des conjoints, des concubins ou des partenaires pacsés actuels ou passés. En droit civil, la loi du 26 mai 2004 relative au divorce a permis au juge aux affaires familiales, lorsqu'un des époux ou un enfant est mis en danger par la violence de l'autre époux, de statuer sur la résidence séparée des conjoints et les modalités d'exercice de l'autorité parentale. Ces mesures sont caduques à l'expiration d'un délai de quatre mois si aucune requête en divorce ou en séparation de corps n'a été déposée.
Nous proposons d'étendre la compétence du juge aux cas des concubins et des partenaires pacsés. Le juge pourra décider lequel des deux partenaires continuera à occuper le logement commun -domicile familial et non domicile conjugal- afin de donner un peu de répit à la victime, si elle n'est pas propriétaire ou locataire en titre, et de lui laisser le temps de trouver un autre logement ou un centre d'hébergement. Une erreur s'est glissée dans la deuxième phrase de l'article, qu'il faut lire ainsi : « Sauf circonstances particulières, la jouissance de ce logement est attribuée à celui qui n'est pas l'auteur des violences. »
Les articles suivants concernent la prévention. Nous souhaitons que soit dispensée dans les écoles, les collèges et les lycées, à raison d'une séance mensuelle, une information sur le respect mutuel entre les garçons et les filles et l'égalité des sexes. Comme le disait Romain Rolland, tout commence sur les bancs de l'école.
Nous proposons aussi d'instaurer une journée nationale de sensibilisation aux violences au sein du couple, dont la date pourrait être fixée au 25 novembre, journée internationale pour l'élimination de la violence à l'égard des femmes.
Certains professionnels -médecins, policiers, gendarmes, travailleurs sociaux, avocats, magistrats...- doivent recevoir une formation initiale et continue afin de mieux détecter les violences et d'aider plus efficacement les victimes. Les besoins sont évidents. La qualité de l'accueil dans une gendarmerie ou un commissariat est essentielle pour une personne en état de choc. Quant aux médecins, ils jouent un rôle primordial pour repérer les violences intrafamiliales, conseiller les victimes et éviter les drames.
Une aide juridictionnelle doit être accordée aux victimes sans condition de ressources, comme c'est déjà le cas pour les victimes de tortures ou d'actes de barbarie, de violences habituelles sur mineur ou de viol. Les personnes qui ont subi des violences au sein de leur famille sont bien souvent traumatisées et il faut leur faciliter la tâche au moment où elles s'apprêtent à réagir. Leur dépendance financière vis-à-vis de leur partenaire peut également les empêcher d'engager des poursuites.
Enfin, il faudra un jour remédier au manque de places d'hébergement pour les victimes et de centres de soins pour les auteurs de violences. Un vrai problème se pose aussi pour les Français de l'étranger : comme le soulignait Claudine Lepage, nos consulats manquent de moyens.
Le Sénat peut être fier d'avoir joué dès 2006 un rôle de précurseur en la matière. Faut-il encore légiférer ?
« Vingt fois sur le métier, remettez votre ouvrage,
Polissez-le sans cesse et le repolissez », conseillait Boileau. Les dispositions de la loi du 4 avril 2006 et de la présente proposition de loi sont complémentaires. J'ai reçu hier une lettre d'une femme de 28 ans, dénommée Jessica. Elle écrivait : « Il a suffi d'un an pour que les agissements de cet homme détruisent tout en moi. (...) Je ne pensais pas que ce que j'ai vécu aurait autant de répercussions sur ma vie personnelle et professionnelle. Aujourd'hui, j'ai peur. Aujourd'hui, je suis suivie par un psychiatre ; je suis en dépression et j'ai perdu mon travail. Aujourd'hui, j'ai tellement de souffrance en moi... Avec vos collègues sénateurs, aidez les femmes qui vivent de telles situations. Prenez les bonnes décisions. » On ne saurait mieux dire. (Applaudissements nourris à gauche et au centre)
M. François Pillet, rapporteur de la commission des lois. - Le sujet des violences au sein des couples a longtemps été tabou. Cette réalité reste difficile à évaluer, mais elle est désormais reconnue par les pouvoirs publics comme un fléau majeur. Une politique volontariste a été entreprise depuis plusieurs années afin de mieux prévenir et détecter ces violences, d'accompagner les victimes et de prendre en charge les auteurs afin d'éviter la récidive. Ce fut un des axes du plan global contre les violences faites aux femmes lancé en 2005 et renouvelé en 2008. La lutte contre les violences faites aux femmes a été déclarée « grande cause nationale » pour l'année 2010.
D'importants progrès ont été faits : le public et les professionnels sont désormais mieux sensibilisés. Des référents locaux ont été désignés, l'accueil dans les commissariats et les locaux de gendarmerie a été amélioré et près des trois quarts des parquets mènent désormais une action ciblée sur le traitement judiciaire des violences faites aux femmes. Mais les efforts doivent être poursuivis en ce qui concerne l'hébergement des victimes et l'implication des professionnels de santé dans le repérage des violences et la prise en charge des victimes et des auteurs.
Le droit pénal et civil a été adapté afin de mieux protéger les premières et de punir plus sévèrement les seconds. Depuis 1994, le nouveau code pénal prévoit que les peines encourues par les auteurs de violences sont aggravées lorsqu'elles sont infligées par le conjoint ou le concubin de la victime. La loi du 4 avril 2006, dont l'initiative revient à M. Courteau et à Mme Borvo Cohen-Seat, a renforcé la prévention et la répression des violences au sein du couple ou sur des mineurs, reconnaissant explicitement le viol et l'agression sexuelle au sein du couple, de même que le vol s'il porte sur des documents indispensables à la vie quotidienne. Cette loi a étendu la circonstance aggravante que j'ai mentionnée il y a un instant aux partenaires pacsés et aux anciens conjoints, concubins ou partenaires pacsés. Enfin la loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance a prévu que les personnes reconnues coupables de violences conjugales pourraient être condamnées à un suivi socio-judiciaire.
Mais des problèmes subsistent, comme le révèlent les chiffres fournis par les services de police et de gendarmerie, qui restent d'ailleurs bien en deçà de la réalité puisque, selon l'Observatoire national de la délinquance, moins de 9 % des violences conjugales donnent lieu à une plainte. En outre, les statistiques relatives aux homicides au sein du couple n'incluent pas les suicides consécutifs aux violences physiques ou psychologiques.
La présente proposition de loi vise, selon les termes de M. Courteau, à nous faire franchir « une nouvelle étape ». Elle précise d'abord que les violences conjugales peuvent être de nature physique ou psychologique.
Le texte propose de punir plus sévèrement les violences habituelles, de condamner les auteurs à un suivi socio-judiciaire et de permettre l'éviction du domicile du partenaire violent lié à la victime par un Pacs. Il permet l'accès à l'aide juridictionnelle sans condition de ressources. Il instaure une information mensuelle obligatoire sur le respect mutuel et l'égalité entre les sexes dans les établissements scolaires, une journée nationale de sensibilisation aux violences au sein des couples, et une formation initiale et continue à destination des professions concernées. Les conséquences financières pour l'État sont gagées par une taxe additionnelle sur les tabacs.
Le 2 décembre 2008, les députés ont créé une mission d'évaluation de la politique de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes. Son rapport, publié en juillet 2009, a formulé 65 propositions dont une partie a été traduite dans une proposition de loi, cosignée par Mme Bousquet, M. Geoffroy et plusieurs de leurs collègues, qui recoupe les thèmes abordés par M. Courteau : création d'un délit de violences psychologiques ; éviction du conjoint violent lié à la victime par un Pacs ; formation des professions appelées à connaître de violences conjugales. Le texte des députés prévoit également une ordonnance de protection des victimes, une protection accrue des victimes étrangères, ou encore la reconnaissance de la notion de mariage forcé. Il doit être examiné en séance publique le 25 février.
Votre commission souhaite pouvoir étudier ces deux propositions de loi concomitamment, pour parvenir à un texte unique. En conséquence, elle propose d'adopter, à ce stade, une motion tendant au renvoi en commission de cette proposition de loi, en attendant la transmission par l'Assemblée de celle des députés Bousquet et Geoffroy. (Applaudissements à droite et au centre)
M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État à la justice. - Il faut adapter notre arsenal juridique à une délinquance trop longtemps niée. Les violences commises au sein du couple ne sont pas une fatalité ; elles doivent être mieux connues pour être mieux combattues. Cette proposition de loi combine information, répression et protection des victimes. Je salue le travail de votre rapporteur, alors qu'un autre texte, la proposition de loi Bousquet-Geoffroy, est en cours d'examen par l'Assemblée Nationale. Longuement débattu en commission hier, il a été approuvé par tous les groupes, amendé tant par la majorité que par l'opposition et enrichi par les propositions du Gouvernement. Il sera examiné en séance le 25 février, et transmis rapidement au Sénat. Le Gouvernement soutient le renvoi en commission du présent texte, afin d'éviter les incohérences et d'établir un texte unique sur un même sujet.
Il nous faut mieux connaître et identifier ce fléau. Les chiffres officiels sont difficiles à analyser. La Délégation aux victimes du ministère de l'intérieur a recensé pour 2008 184 décès, dont 156 femmes, tombées sous les coups d'un conjoint ou d'un concubin, mais on ne sait combien ont mis fin à leur calvaire par le suicide, alors que les enquêtes de victimisation se multiplient depuis 2000.
De même, en 2008, les parquets ont enregistré 59 427 affaires nouvelles en matière de violences conjugales, contre 42 574 en 2005. Sur la même période, le nombre de condamnations est passé de 10 684 à16 773. Mais la loi du silence règne chez les victimes, par peur des représailles, par honte ou par ignorance de leurs droits. Selon l'Observatoire national de la délinquance, les plaintes ne représenteraient que 9 % des violences conjugales réellement subies dès lors que la victime vit avec l'auteur au moment des faits !
Le chemin qui reste à parcourir est encore long : meilleure connaissance du phénomène, meilleur accompagnement de la victime, répression accrue des auteurs de ces violences qui touchent tous les milieux sociaux.
Le nouveau code pénal a, en 1994, montré l'attachement des pouvoirs publics à combattre plus fermement ces violences. La loi du 26 mai 2004 relative au divorce, la loi du 12 novembre 2005 relative au traitement de la récidive, la loi du 4 avril 2006 renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple, initiative de M. Courteau, celle du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance, celle du 10 août 2007 renforçant la lutte contre la récidive ont créé une dynamique salutaire. Le sujet n'est plus tabou. Il fait aujourd'hui l'objet de débats, de campagnes de sensibilisation. Le dispositif législatif a atteint un double objectif : la protection de la victime, souvent par l'éviction de l'auteur des violences du domicile, et une répression pénale accrue tant dans la sanction que dans le traitement thérapeutique imposé à l'auteur de violences.
La Chancellerie sensibilise les parquets à cette question, érigée pour 2010 en « grande cause nationale », avec la diffusion d'un guide de l'action publique ou l'expérimentation en Seine-Saint-Denis d'un téléphone portable d'alerte. Beaucoup d'initiatives ont été prises et les magistrats et les enquêteurs peuvent s'appuyer sur un corps législatif solide. Mais beaucoup reste à faire. Il nous faudra améliorer le délai de réponse de la justice, notamment en matière d'éviction de l'auteur du domicile familial ou d'attribution de l'aide juridictionnelle, et renforcer les mesures d'accompagnement pour les enfants.
La présente proposition de loi, comme celle des députés, réaffirme un objectif partagé : garantir la protection de chacun, y compris au sein de la sphère familial. C'est notre responsabilité au service des Français. (Applaudissements à droite et au centre)
Mme Odette Terrade. - Trop longtemps dans l'ombre, la violence au sein des couples est mise en lumière avec cette proposition de loi. Inacceptables, ces violences ont des conséquences dramatiques pour les femmes et leurs enfants, témoins privilégiés et victimes collatérales.
Selon l'Observatoire national de la délinquance, en 2007-2008, 418 000 personnes de 18 à 75 ans, dont 310 000 femmes, ont été victimes de violences physiques ou sexuelles dont le conjoint est l'auteur principal. Les violences physiques et sexuelles commises par un autre membre de la famille augmentent significativement et concernent 250 000 femmes. Des chiffres inadmissibles ! La proposition de loi met en lumière un sujet trop occulté. Intervenir sur la répression fait partie intégrante de la prévention ; en marquant le refus des violences par la société, elle envoie un signal fort à l'ensemble de nos concitoyens.
Isolées, vivant dans la peur et sous l'autorité de leur conjoint, les femmes victimes de violences ne sont que 10 % à porter plainte. Cela illustre la difficulté d'engager des poursuites contre le conjoint. Il convient donc d'améliorer les mesures de protection et d'écoute.
Prise en compte des violences et reconnaissance du viol entre époux, de réelles avancées ont été accomplies, mais il faut avancer d'un pas plus déterminé dans la lutte contre ce fléau. L'Espagne a déjà franchi le cap avec une loi cadre et l'ordonnance de protection, qui offre un arsenal de mesures de protection des femmes et des enfants. Mon groupe a déposé, le 20 novembre 2007, une telle proposition, issue des travaux des associations regroupées au sein du collectif national Droits des femmes. Celui-ci avait été à l'origine des 16 000 pétitions déposées à l'Assemblée nationale et qui ont conduit au texte que nous examinerons le 25 février prochain. En effet, même si de nombreux textes existent déjà, il faut compléter et perfectionner notre dispositif pour une politique audacieuse de lutte contre les violences au sein des couples.
La prévention ne doit pas rester dans l'ombre car sans une prévention pertinente et efficace, c'est la place des femmes dans la société qui est menacée. Véritables phénomènes de société, les comportements violents des hommes sur les femmes s'inscrivent en effet dans des rapports de domination masculine trop souvent tolérée. La sensibilisation doit donc aller bien au-delà de l'extension de la compétence du juge aux affaires familiales aux situations de concubinage et de Pacs et de la formation des acteurs en relation avec les victimes, proposées par M. Courteau. Les femmes subissent des violences parce qu'elles sont femmes ! Nous devons faire disparaître complètement les comportements machistes. La sensibilisation et la formation proposées dans notre texte comme dans celui-ci constituent des enjeux essentiels.
M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi. - Très bien !
Mme Odette Terrade. - La prévention par l'éducation doit modifier les comportements sociaux dès le plus jeune âge. (Approbations sur les bancs socialistes) La lutte contre les violences commence par une révolution éducative et passe par le changement des modèles familiaux.
Devant l'ampleur des violences, les souffrances des victimes et le coût pour la société, rien ne doit rester dans l'ombre. Or les mariages forcés concernent de plus en plus de jeunes filles. La proposition de loi du 27 novembre dernier crée une ordonnance de protection pour les victimes de mariage forcé. Souvent confrontées au chantage familial, elles sont en danger de viol !
M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi. - C'est vrai !
Mme Odette Terrade. - Or la lutte contre les mariages forcés est passée au ministère de l'intégration, au détriment de la protection de l'enfance et de la lutte contre les violences.
Le champ d'action est vaste et complexe. Il ne suffit pas de proclamer 2010 année de lutte contre les violences faites aux femmes ; il faut aussi dégager des moyens pour les éradiquer. (« Très bien ! » à gauche)
Le dernier volet de la proposition traite de l'aide aux victimes, notamment juridictionnelle. La complexité de leur situation implique qu'on les aide dans tous les domaines. La procédure pénale ne doit pas être vécue comme un processus intrusif, violent et abscons. Les victimes ne doivent pas sortir anéanties de leur expérience de la justice.
Ce fléau aux conséquences incalculables nous concerne tous. Les violences concernent l'ensemble de la société. Une loi est nécessaire, qui prenne en compte tous les aspects de la question. La proposition de M. Courteau ne règle peut-être pas tout mais elle constitue un point d'appui pour les victimes et un signe fort à ceux qui perpétuent ces violences intrafamiliales. Nous la voterons : il y a urgence ! (Applaudissements à gauche)
Mme Muguette Dini. - Très longtemps, trop longtemps ignorées, les violences conjugales ont été reconnues au terme d'un long combat mené d'abord par les femmes elles-mêmes. Réprimées pénalement depuis 1994, elles le sont plus largement et sévèrement depuis la loi du 4 avril 2006 portée par M. Courteau et Mme Borvo-Cohen Seat. Le texte d'aujourd'hui revient sur ces sujets graves et je rejoins M. Courteau sur la nécessité d'améliorer le dispositif existant.
En 2005-2006 et au premier trimestre 2007, les cours d'appel de Montpellier et de Nîmes ont jugé 97 affaires de violences conjugales. La grande majorité des prévenus a entre 30 et 50 ans. Mariés ou concubins, ils appartiennent à toutes les catégories socio-professionnelles : militaires, ouvriers oenologues, chefs d'entreprise, agriculteurs, masseurs-kinésithérapeutes, sous-brigadiers de police, plombiers, maçons, gynécologues ; 28 % sont sans emploi et, à Nîmes, 11 % retraités.
Moins de la moitié des victimes se constituent partie civile. Dans 12,5 % des cas, la victime a refusé de porter plainte ou souhaité la retirer en cours de procédure. La cour de Montpellier a rappelé que la plainte de la victime ne conditionnait pas les poursuites -la loi devrait être plus précise sur ce point.
Dans 27 % des cas à Montpellier et 11 % à Nîmes, le conjoint a admis avoir agi sous l'influence de l'alcool. Dans de nombreux cas, les violences ont eu lieu au moment de la séparation ou du divorce.
La loi de 2006 ne retient pas le caractère habituel des violences comme une circonstance aggravante ; il faut changer cela. Pour les coups et blessures, la peine encourue dépend de la durée de l'incapacité totale de travail qui a pu en résulter. Dans la majorité des cas, les violences physiques conjugales entraînent une incapacité totale, établie médicalement. Les services de police ou de gendarmerie demandent un certificat médical lors du dépôt de plainte mais une incapacité de travail de quelques jours n'est pas une preuve suffisante : le droit devra évoluer.
La qualification des agressions sexuelles représente une avancée de la législation, qu'avait initiée la jurisprudence. La question de la preuve ne se pose pas en termes très différents dans le cadre conjugal. Dans les arrêts étudiés, trois époux ont été poursuivis pour coups et blessures et pour agression sexuelle, dont un seul après 2006. Cependant, il n'y a de circonstance aggravante pour cette seconde infraction que si elle a entraîné une blessure ou une lésion car il n'y a pas aggravation de la peine en cas de cumul de circonstances aggravantes. Dans ce cas, la cour a jugé que la violence sexuelle constituait un acte de violence. Nous devons revenir sur cette lacune. En revanche, l'usage ou la menace d'une arme par nature ou par destination constitue bien une circonstance aggravante.
Des enfants sont également en danger. Ils doivent être signalés aux autorités administratives ou judiciaires conformément à l'article 434-3 du code pénal. Des prévenus s'en prennent également à leurs enfants : deux ont été condamnés à Montpellier pour violence à mineur de 15 ans par ascendant, et trois à Nîmes.
Sur 89 condamnations, les juges ont prononcé 80 peines d'emprisonnement, 35 % des prévenus étant condamnés à une peine d'emprisonnement avec sursis simple.
La peine d'emprisonnement avec sursis et mise à l'épreuve est également souvent prononcée. L'obligation de soins concerne 83 % des prévenus condamnés à la mise à l'épreuve. En revanche, l'obligation d'indemniser la victime est plus rarement prononcée, de même que l'interdiction d'entrer en contact avec elle.
Ces arrêts prouvent que la répression pénale de ces violences est bien réelle. Toutefois, il faudrait qu'en amont de la sanction pénale, les victimes puissent vivre en sécurité, ce qui implique un éloignement du mari ou du concubin violent. Depuis la loi du 26 mai 2004 relative au divorce, le code civil permet au juge aux affaires familiales, avant toute procédure de divorce, d'attribuer la jouissance du logement familial au conjoint victime de violences, permettant ainsi une véritable expulsion de l'époux violent. Toutefois, cette disposition n'est pas applicable en cas de concubinage. Il faudrait donc permettre à la victime, parallèlement au dépôt de sa plainte, d'obtenir une mesure d'éloignement de son agresseur, exécutée par les services de police, au besoin sous le contrôle du procureur de la République.
Notre dispositif législatif doit donc encore évoluer pour mieux protéger les victimes de violences conjugales. Des améliorations sont proposées par ce texte. D'autres le seront par la proposition de loi examinée par l'Assemblée nationale le 25 février. Les sénateurs de l'Union centriste approuvent donc le renvoi en commission de ce texte, afin de joindre son examen à celui du texte des députés. (Applaudissements au centre et à droite)
Mme Virginie Klès. - Le domicile est un lieu plus dangereux pour les femmes que l'espace public, les hommes qu'elles connaissent sont plus dangereux que les inconnus. Il s'agit malheureusement de la triste réalité : elle est insoutenable, intolérable. Telle est la routine quotidienne révélée par de nombreuses enquêtes, notamment celle de 2000, d'une femme sur dix qui vit l'insécurité, le danger et la souffrance. Il ne faut pas s'arrêter aux violences physiques qui sont les plus marquantes et les plus visibles. Elles conduisent à la mort une femme tous les deux jours et demi. Mais il existe bien d'autres formes de violences, plus insidieuses, mais tout aussi destructrices et inacceptables : le harcèlement, la domination, la culpabilisation, la possession, l'humiliation. Ces violences-là peuvent mener à la dépression et au suicide.
M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi. - Eh oui !
Mme Virginie Klès. - Une femme sur dix : cela veut dire que chacun d'entre nous en connaît, sans forcément les avoir reconnues. Ce sont des confidences difficiles à recevoir, parce que ces femmes se cachent, que la culpabilité est inversée et aussi, sans doute, parce que nous nous sentons démunis : que dire, que faire face à ces drames cachés ? N'avons-nous pas un devoir d'ingérence ? Mais pour quoi faire et comment ? Les femmes concernées sont de tous âges, de toutes catégories sociales. Souvent, c'est le mari ou le compagnon qui est l'auteur des faits, mais ça peut être un fils, un gendre, un père, un beau-père, un cousin ou un neveu. Et puis, la victime n'est pas toujours une femme : la compagne ou le compagnon peut se retourner contre un homme ; le fils peut se retourner contre son père. Que dire à ces hommes, quelle honte cachent-ils, Comment faire pour les sortir de leur silence ?
Le devoir d'ingérence se pose avec encore plus d'acuité pour les enfants, car ils grandissent dans deux univers différents, où les valeurs sont inversées. Les enfants assistent, impuissants, à l'affrontement, à la violence, à l'acceptation de choses inacceptables au sein du couple. Or, ce modèle bat en brèche ce qu'ils apprennent à l'école et les valeurs de la République. Comment ces enfants peuvent-ils se construire correctement ?
Pour ces hommes et pour ces femmes, les élus et le monde associatif doivent se mobiliser pour combattre ce fléau totalement inacceptable. Nous avons besoin d'une nouvelle enquête pour comparer, dix ans après, la situation. Les parlementaires doivent disposer d'un rapport tous les deux ans pour évaluer les progrès et les dysfonctionnements, pour mettre en commun les expériences afin que les victimes et les auteurs soient pris en charge à court, moyen et long terme. Il faut reconstruire les personnalités et éviter la réitération des faits, redonner des repères aux enfants pour qu'ils puissent se construire correctement.
En France, pays de la Déclaration des droits de l'Homme, nous ne devons pas en rester au déclamatoire : nous devons passer au concret.
Le renvoi en commission vers lequel nous nous dirigeons ne doit pas être un renvoi définitif, qui sonnerait comme un glas, un adieu ou un abandon. Ce renvoi doit être l'occasion d'un vrai rassemblement entre l'Assemblée nationale et le Sénat, entre la gauche et la droite, entre les hommes et les femmes pour lutter contre ce fléau. Ce combat, qui fait l'unanimité dans cet hémicycle et qui a été déclaré grande cause nationale 2010 par notre Premier ministre, devra se traduire dans les faits : ne passons pas à côté. Il en va de notre responsabilité. (Applaudissements à gauche et au centre)
Mme Françoise Laborde. - Ce n'est pas la première fois que nous abordons le sujet dramatique des violences au sein des couples et plus particulièrement celles faites aux femmes. De nombreux textes pour la prévention et la lutte contre ce fléau social ont déjà été votés. Pourtant, de gros progrès restent à faire en matière de prévention. Les études ne laissent pas place à l'optimisme. II y a dix ans, l'enquête nationale sur les violences faites aux femmes en France estimait que 10 % d'entre elles étaient victimes de violences -physiques, sexuelles, psychologiques- au sein de leur couple, soit 1,3 million de femmes, tous âges et toutes situations matrimoniales confondus. En 2008, 157 femmes sont mortes sous les coups de leur conjoint soit un décès tous les deux ou trois jours... Ces chiffres sont insoutenables et ils ne retracent que la partie visible de l'iceberg des violences subies par les femmes. Disposer de données précises est un exercice complexe. Ces violences ont lieu à huis clos, au coeur du foyer familial. Le plus souvent, elles ne font malheureusement pas l'objet de plaintes. Elles sont protéiformes, et touchent les femmes dans leur intégrité physique et dans leur liberté.
Pourtant, moins de 9 % des femmes victimes de violences conjugales porteraient plainte. Ces actes restent donc un sujet tabou et d'une ampleur considérable et indigne. L'Observatoire national de la délinquance a mené deux enquêtes sur les victimes, en 2007 et 2008, qui donnent davantage de précision : 4,9 % des femmes et 4,7 % des hommes de 18 à 60 ans déclarent avoir subi au moins un acte de violence physique durant les deux dernières années. Mais parmi les 870 000 femmes victimes de violences physiques, 60 % les subissent dans le cadre de leur ménage alors que 66 % des hommes victimes de violences physique les ont subies hors ménage.
Il y a donc bien une spécificité de la violence au sein des couples. Pour autant, les femmes subissent d'autres formes de violences : celles dans l'espace public, au travail ou coutumières, comme le mariage forcé et les mutilations sexuelles. Notre devoir est de protéger ces femmes et leurs enfants. Ces derniers sont à la fois les premiers témoins et les victimes de ces violences. Nous devons améliorer l'arsenal juridique afin de rendre plus réactifs et efficaces non seulement les dispositifs d'accueil, de soin, d'hébergement et de réinsertion sociale, pour les victimes, mais aussi les dispositifs de prise en charge sanitaire, sociale ou psychologique des auteurs de violences. L'un ne va pas sans l'autre.
Il en va du respect de notre pacte républicain, qui repose sur le principe de l'égalité des droits entre tous les citoyens, quel que soit leur sexe. La société toute entière en ressortira grandie. Cette proposition de loi va dans ce sens. Notre collègue Roland Courteau est à l'origine de la loi de 2006 renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises contre les mineurs. Je tiens à saluer son engagement efficace et persévérant, au service de la défense du droit des femmes.
Le travail de ces dernières années a révélé l'ampleur de ce fléau social. Un rapport du Gouvernement relatif à la politique nationale de lutte contre les violences au sein des couples doit désormais être remis au Parlement tous les deux ans. II a été rendu, en mars 2009, avec un an de retard. Mes collègues du groupe RDSE seront attentifs à ce que ce retard ne se répète pas, à l'avenir. Ce rapport révèle ainsi que depuis 2007, la mise en place d'un numéro d'appel unique a porté ses fruits, tout comme celle de référents de proximité. Le satisfecit vaut aussi pour le travail de fourmi réalisé par les associations d'aide aux victimes ou les réseaux tels que les centres d'information des droits des femmes ou la Fédération solidarités femmes. Citons aussi les efforts entrepris au sein des hôpitaux, des tribunaux, des commissariats et des gendarmeries, efforts qui contribuent à identifier des violences qui ne l'étaient pas auparavant. Ce rapport insiste sur la nécessaire implication des préfets dans les commissions sur les violences faites aux femmes et la clarification du rôle des différents acteurs locaux que ce soit les collectivités locales, les travailleurs sociaux, les services publics ou encore les associations. Quant aux conditions du premier accueil, ce rapport pointe l'insuffisance ou l'inadéquation des structures d'accueil sur certains territoires
Pour sauver les victimes de ces violences, le législateur doit donc lutter, en profondeur, contre cette plaie, que ce soit par la prévention ou le durcissement de l'arsenal répressif. Ce nouveau texte nous propose notamment d'aggraver les peines encourues lorsque les violences conjugales, physiques ou psychologiques, sont commises de façon habituelle.
Il faut absolument améliorer la sensibilisation et l'information afin de toucher un plus grand nombre de nos concitoyens. Nous avons déjà pu voir de poignantes campagnes de sensibilisation ; cela doit continuer. Notre collègue souhaite imposer une information sur le respect mutuel et l'égalité des sexes dans les écoles, les collèges et les lycées. Je soutiens cette initiative avec d'autant plus d'ardeur que ce monde m'est tout à fait familier. Le respect d'autrui et, en particulier, celui de l'autre sexe, doit s'enseigner dès le plus jeune âge. La campagne de sensibilisation du plus grand nombre doit de toute urgence être complétée par une formation spécifique des acteurs de terrain : travailleurs sociaux, personnel médical et judiciaire chargé d'accueillir et d'accompagner les victimes.
La violence psychologique habituelle dans le couple n'est pas encore pénalisée par la loi. Insultes, humiliations, menaces, intimidations, mépris... Autant de blessures invisibles mais indélébiles. La preuve est difficile à produire. Mais puisqu'il n'y a pas de violence physique sans violence psychologique, préalable puis concomitante, comment laisser celle-ci impunie ? Une condamnation en amont serait susceptible de sauver des vies.
Après la reconnaissance, en 2002, du délit de harcèlement moral dans la sphère professionnelle, il est temps que la violence psychologique soit elle aussi reconnue comme un délit, dans la sphère privée, là où elle peut prendre une ampleur encore plus dramatique. Cette avancée, attendue de longue date, requiert une prise de conscience collective de la nécessité de lutter contre le fléau social des violences conjugales.
M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi. - Très bien !
Mme Françoise Laborde. - L'Assemblée nationale vient d'inscrire à son ordre du jour une proposition de loi similaire à celle dont nous discutons aujourd'hui, issue des travaux de la mission présidée par Danielle Bousquet. Il est dommage que le nom de M. Courteau n'apparaisse pas, alors que sa persévérance dans ce combat lui donnait une légitimité particulière. (Applaudissements sur les bancs socialistes) Mais il serait bon que les deux textes puissent être discutés conjointement. A cette condition et à cette condition seulement, le groupe RDSE votera la motion de renvoi. (Applaudissements sur de nombreux bancs)
Mme Gisèle Gautier. - La problématique dont nous discutons reste hélas un phénomène planétaire et récurrent. En dépit d'une évolution législative récente qui va dans le sens d'une protection plus étendue des victimes et une plus grande répression à l'égard des auteurs, il reste beaucoup à faire pour la prévention et pour la protection des enfants.
La sécurité est la première préoccupation des Français, elle fait partie des droits de l'Homme et conditionne tous les autres. Nous avons connu quatre grandes étapes législatives : celles de 1994, de 2004 et de 2006 dues à M. Courteau, puis celle de 2007. Toutes ont permis des avancées significatives, quoique insuffisantes au regard des statistiques qui nous sont transmises.
C'est la raison pour laquelle, après le plan global lancé en 2005, un second plan triennal a vu le jour pour 2008-2010 présenté par Mme Létard, alors secrétaire d'État à la solidarité. Il prévoyait de mobiliser les conseils départementaux, d'agréer 100 nouvelles familles d'accueil ainsi que d'intensifier la formation des professionnels de santé et des forces de police, en matière d'accueil et d'écoute. Nous avions eu l'occasion, lorsque je présidais la Délégation aux droits des femmes, de nous rendre dans un commissariat de Tours ; nous y avions constaté l'amélioration et l'efficacité des moyens humains et logistiques mis en place pour accueillir les victimes.
Les violences conjugales ont été déclarées « grande cause nationale » le 25 novembre par le Premier ministre. Ce label est décerné, chaque année à des organismes à but non lucratif, et ils sont nombreux, auxquels nous devons rendre hommage. Ce label va permettre de sensibiliser tous les publics, par le biais de différents médias. Il ne faut pas relâcher nos efforts : l'Observatoire de la délinquance dénombre 11 000 femmes victimes de violences physiques en 2008, sachant que 80 % des victimes de ces violences développent des syndromes post-traumatiques, les violences physiques étant d'ailleurs le plus souvent précédées de violences psychiques.
M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi. - C'est vrai.
Mme Gisèle Gautier. - Ces actes ont des conséquences gravissimes sur le logement, l'absentéisme au travail, la vie personnelle et familiale. Les conséquences directes ou indirectes de ces violences ont un coût socio-économique qui dépasse les 2 milliards. Il y a quelques années, on parlait d'un milliard ; il semble qu'on en soit à deux. Je reste convaincue qu'une prévention active diminuerait ce coût avec ces souffrances.
Ce douloureux problème touche aussi les enfants, témoins malgré eux. Devenus adultes, ils reproduisent les mêmes schémas, par anxiété. Des programmes de sensibilisation au respect de l'autre pourraient aider à casser ce cycle.
M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi. - Très bien !
Mme Gisèle Gautier. - Si nous soutenons la démarche de M. Courteau, je suis d'accord avec le rapporteur : une proposition de loi, portant sur un thème similaire, a été déposée à l'Assemblée nationale et doit faire l'objet d'un examen en séance publique le 25 février.
Mme Gisèle Printz. - Et ici ?
Mme Gisèle Gautier. - Cette proposition de loi présentée par des députés UMP et socialistes fait suite aux travaux d'une mission d'information. Je me réjouis donc que, sur ce sujet, nous dépassions les clivages partisans. Mieux vaut que ces deux propositions de loi puissent être examinées ensemble. Leurs dispositions ont le même objet, avec un dispositif juridique différent. La proposition de loi des députés va plus loin sur certains points, avec la mise en place d'une ordonnance de protection des victimes, une protection renforcée des étrangers et une lutte accrue contre les mariages forcés. C'est ce que j'appelle de mes voeux à la fois au nom du groupe UMP mais aussi en ma qualité de référent français dans la lutte contre les violences à l'égard des femmes au sein du Conseil de l'Europe. Nous veillerons, bien entendu, à ce que cette proposition de loi soit examinée le plus rapidement possible ; l'urgence s'impose.
Malgré son titre, je n'ai pas vu dans votre proposition de loi de mesures permettant de prendre en compte les conséquences désastreuses que ce type de violences engendre sur l'équilibre affectif, psychologique et physique des enfants.
M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi. - C'était dans mon texte de 2007.
Mme Gisèle Gautier. - Les membres du groupe UMP seront particulièrement attentifs à ce que des dispositions comme l'éducation à la non-violence à l'école soient intégrées au nouveau dispositif législatif.
Vous aurez compris que le groupe UMP votera la motion de renvoi en commission. (Applaudissements sur les bancs UMP ; M. Pierre Fauchon applaudit aussi)
M. Laurent Béteille. - Comme plusieurs d'entre nous aujourd'hui, je suis membre de l'assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, où ce sujet a été maintes fois traité, en liaison avec le Comité des ministres. Ce sujet grave entre tout à fait dans les missions de l'assemblée de Strasbourg.
Le phénomène n'est pas nouveau, il existe depuis la nuit des temps mais il a longtemps été tabou, du fait de la honte et de la crainte.
M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi. - En effet.
M. Laurent Béteille. - La prise en compte est récente et l'on mesure encore mal l'étendue du problème. Dans le milieu familial, les témoignages ne sont pas possibles et l'on manque de preuves. Les procédures aboutissent rarement, la justice est empêchée, les preuves matérielles étant rares. Cela n'est pas satisfaisant mais peut-on demander à la justice de condamner sans preuve ?
Il est bon de débattre souvent de ce sujet afin de réfléchir à la meilleure voie d'action, dans un domaine si délicat et choquant. Il est abominable que des violences soient commises dans un milieu dont on attend au contraire protection. Quant aux enfants, traumatisés, ils en subissent les conséquences leur vie durant. De façon diabolique, ils sont incités à reproduire les mêmes actes. A l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, le chiffre de 80 millions de femmes concernées dans les 47 États membres a été évoqué. Résolutions, recommandations aux États, conventions adoptées : la sensibilisation a été réelle et 40 parlements nationaux ont modifié leur législation. Je songe à la Suède. (M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi, approuve) Le texte est utile et bienvenu. La logique est de réunir les deux propositions de loi mais la réflexion est nécessaire. Il est difficile, en cette matière, d'être efficace et d'éviter les erreurs. Un débat en commission des lois sera tout à fait profitable. (Applaudissements)
Mme Nicole Bonnefoy. - (Applaudissements sur les bancs socialistes) Depuis de nombreuses années, les pouvoirs publics nationaux, européens et internationaux ont pris conscience de la nécessité de légiférer. En France, il y a eu la loi Courteau, d'avril 2006, puis la mission d'évaluation emmenée par Mme Bousquet. Malgré ces progrès, de réelles difficultés demeurent. Interrogées par l'Insee dans le cadre d'une étude Cadre de vie et sécurité, plus de 800 000 personnes ont déclaré avoir subi des violences physiques ou sexuelles dans le cadre de leur vie familiale -dans plus de 50 % des cas, par le conjoint actuel. Or les chiffres officiels sont bien souvent parcellaires. Les violences au sein du couple et de la famille sont difficiles à appréhender. Les femmes victimes d'agressions n'osent pas porter plainte, soit par peur, soit par un conditionnement psychologique qui les conduit à accepter l'intolérable. L'Observatoire national de la délinquance a calculé que le nombre de plaintes représente moins de 9 % des violences conjugales subies. A cela s'ajoutent les lacunes de la détection et un accompagnement psychologique et juridique insuffisant. C'est pourquoi l'article 5 de la proposition prévoit que les victimes de violences conjugales bénéficieront de l'aide juridictionnelle sans condition de ressources.
Nous sommes confrontés à un fait social majeur et il faut poursuivre l'effort de prévention et de répression. L'article premier tend à insérer dans le code pénal la notion de violence psychologique, oubliée jusqu'alors mais qui représente les trois quarts des violences recensées en France... Cette forme de violence précède souvent les violences physiques et a des conséquences lourdes, parfois irrémédiables, sur la santé physique et psychique de la victime. Elle affecte aussi l'entourage et toute la vie familiale, sociale, relationnelle et professionnelle. Harcèlement moral, mépris, isolement, insultes, humiliations en public ou en privé... La persécution morale peut se révéler aussi meurtrière que la violence physique. Des professionnels du droit sont dubitatifs sur un tel délit, difficile à prouver ; mais des psychiatres ont précisé qu'à partir d'un certain degré, cette violence est mesurable.
La proposition de loi marque des progrès certains. Les professionnels de santé en contact avec les enfants de victimes témoignent des répercussions que ceux-ci subissent, l'impact sur leur développement et sur leur fonctionnement cognitif et émotionnel : difficultés d'intégration, repli sur soi, troubles des apprentissages, comportements agressifs ou violents, dépression, propension à se poser en victime. A l'âge adulte, ils auront plus de difficultés que d'autres à s'intégrer socialement et ils reproduiront parfois ces comportements violents à l'égard de leurs proches. Les articles 2 et 3 visent donc à mieux protéger les enfants en élargissant au concubin les dispositions sur l'éloignement de l'auteur des violences et en créant à l'école une séance mensuelle d'information sur le respect mutuel entre les sexes -sans oublier une journée nationale de sensibilisation. L'école a un rôle clé à jouer dans la prévention des violences afin d'éviter que certains comportements ne s'ancrent dès le plus jeune âge. Nous pouvons espérer ainsi lever le tabou et encourager les enfants, victimes ou témoins de tels actes, à comprendre la nécessité d'en parler. La défenseure des enfants a mené une grande consultation nationale auprès des collégiens et des lycéens : ceux-ci souhaitent des campagnes d'information et de prévention dans les établissements.
L'article 4 met en place des programmes de formation, initiale ou continue, auprès des médecins, des policiers, des gendarmes, des magistrats, des travailleurs sociaux afin qu'ils sachent établir un lien entre certains signes de souffrance physique ou psychologique et les violences conjugales. J'espère que cette proposition de loi de bon sens fera consensus. De nombreuses associations se battent depuis longtemps pour la création d'un délit de violences psychologiques au sein du couple et pour l'instauration de campagnes de sensibilisation à destination des enfants, des adultes et des professionnels de santé. Je rappelle que M. Fillon lui-même a annoncé vouloir intégrer le délit de violence psychologique dans la législation française et a décidé de faire des violences conjugales une grande cause pour 2010. J'espère que vous voterez ce texte lorsque nous serons amenés à l'examiner. (Applaudissements à gauche)
M. Yannick Bodin. - Il y a cinq ans était adoptée la proposition de loi de notre persévérant collègue M. Courteau. (Murmures flatteurs) Pour la première fois, le Parlement se prononçait à l'unanimité sur ce sujet. Le texte a marqué de grandes avancées et a suscité une prise de conscience par l'opinion publique. La parole a été libérée, le nombre de plaintes a explosé.
L'augmentation du nombre de plaintes est également liée à la meilleure formation des forces de l'ordre et des professionnels en contact avec des femmes.
Cette première pierre étant posée, nous devons aller plus loin en renforçant les sanctions, en améliorant la prévention et l'aide aux victimes : c'est l'objet de cette proposition de loi.
Je centrerai mon propos sur la prévention, qui est le mot clé et qui doit concerner tous les âges. La violence faite aux femmes trouve son terreau dans des représentations sociales qui opèrent dès le plus jeune âge. Un sondage Ipsos montre que 29 % des garçons de primaire estiment que les tâches ménagères ne doivent pas être partagées équitablement entre les parents, alors que 92 % des filles jugent qu'elles doivent l'être. Les faits divers regorgent de violences faites aux jeunes filles par leurs congénères masculins, de jeunes machistes irrespectueux envers les filles qu'ils n'hésitent pas à frapper. C'est donc dès le plus jeune âge qu'il faut inculquer le respect de l'autre sexe, qu'il faut se préoccuper de former des citoyens qui ne traiteront pas les femmes comme des objets sur lesquels il serait loisible de passer ses nerfs !
Toute l'équipe pédagogique est concernée par ce devoir civique. Voyez cette anecdote d'un garçonnet de 4 ans qui tirait les cheveux d'une fillette et qui a eu cette réponse quand on lui a demandé une explication : « Parce que c'est une fille ! ». La tâche est immense ! Elle implique une bonne formation des maîtres et nous avons de quoi nous inquiéter, Monsieur le ministre, lorsque nous voyons la réforme de la formation prévoir que la professionnalisation des maîtres sera évaluée désormais sur les seuls savoirs académiques !
Je pense utile que les enseignants soient accompagnés par les associations qui luttent depuis longtemps pour le respect des femmes : les rectorats seraient bien inspirés d'encourager les contacts entre les équipes pédagogiques et ces associations. Cette mission pourrait également être confiée aux jeunes qui feront le service civique, tel que nous venons de le créer.
La formation de tous les acteurs sociaux, médicaux et judiciaires, telle que prévue à l'article 4, est essentielle. Des progrès ont été accomplis, l'accueil dans les commissariats et les gendarmeries prend mieux en compte la spécificité des violences conjugales.
M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi. - C'est vrai !
M. Yannick Bodin. - Mais la bataille est loin d'être gagnée ! On constate encore de grandes inégalités dans la qualité d'accueil, dans l'accès à la formation. Les associations de mon département me rapportent les inégalités de réponses judiciaires aux violences faites aux femmes : il faut mieux former les magistrats et encourager leurs relations avec les associations qui accueillent les victimes.
M. le président. - Veuillez conclure !
M. Yannick Bodin. - Je rends hommage à ces associations, qui n'ont pas attendu la loi de 2006 pour agir ! Nous devons les aider, j'espère que cette proposition de loi ira dans ce sens.
La lutte contre les violences faites aux femmes est une grande cause nationale cette année, c'est une bonne initiative. Mais les grandes déclarations ne suffisent pas, la prévention, dès l'école maternelle, ne saurait se passer de moyens supplémentaires pour l'éducation nationale. C'est à cette condition que nous continuerons la lutte, que nous avancerons dans ce combat de l'égalité entre les hommes et les femmes et que nous ferons reculer les violences faites aux femmes : ce sera un pas en avant pour notre civilisation ! (Applaudissements à gauche)
La discussion générale est close.
Renvoi en commission
M. le président. - Motion n°1, présentée par M. Pillet, au nom de la commission.
En application de l'article 44, alinéa 5, du Règlement, le Sénat décide qu'il y a lieu de renvoyer à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale, la proposition de loi relative aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants (n° 118, 2009-2010).
M. François Pillet, rapporteur. - Notre débat a été très intéressant et largement consensuel. L'Assemblée nationale a inscrit un texte sur le même sujet à son ordre du jour, le 25 février, sur la base des conclusions d'une commission spéciale : ce serait dommage de se priver des réflexions de nos collègues députés et de lancer notre propre texte, qui risquerait de faire double emploi avec celui que l'Assemblée nationale nous communiquera. Mieux vaut donc renvoyer cette proposition de loi en commission, où nous pourrons intégrer les excellents articles de M. Courteau au texte de l'Assemblée nationale : il en va de la célérité même de la loi et de la qualité du travail législatif.
M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi. - Nous aurions préféré aller au bout de notre démarche, pour que, comme en 2005, le Sénat montre la voie, d'autant que notre proposition de loi date de juin 2007, mais elle n'a pas pu trouver sa place dans notre ordre du jour. Les députés ont pris une initiative, c'est tant mieux, car notre objectif commun est bien de lutter contre ce fléau de la violence faite aux femmes. Même s'il n'y a aucune raison de donner la priorité à l'initiative de l'Assemblée nationale, nous allons renoncer à la nôtre, la mort dans l'âme, pour attendre le texte qui nous sera transmis : au moins, nous serons certains de ne pas froisser la susceptibilité de nos collègues députés ! (Applaudissements et sourires à gauche)
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. - Ce qu'il faut éviter, c'est que les deux textes en discussion ne se rencontrent jamais, car on ne pourrait pas s'assurer de les discuter ensemble. Le seul moyen, c'est le renvoi en commission : nous les discuterons alors tous les deux et nous pourrons intégrer vos propositions au texte de l'Assemblée nationale.
M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État. - Je salue le travail de M. Courteau et je me félicite de l'engagement commun des deux chambres sur cette question importante. Le Gouvernement souhaite également aller au bout de la démarche, dans les meilleurs délais ! (Applaudissements à droite)
La motion est adoptée.