Droits syndicaux en Europe (Proposition de résolution)
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de résolution européenne, présentée en application de l'article 73 quinquies du Règlement, portant sur le respect du droit à l'action collective et des droits syndicaux en Europe dans le cadre du détachement de travailleurs, présentée par M. Yung et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.
Discussion générale
M. Richard Yung, auteur de la proposition de résolution. - Nous voici réunis pour parler d'Europe sociale, et plus particulièrement de la question des travailleurs européens soumis au statut du détachement. On estime leur nombre à un million. Ils sont un des signes tangibles d'une européanisation du marché du travail. Certains événements récents sont liés à leur statut.
En février, des grèves sauvages ont éclaté dans le secteur de l'énergie au Royaume-Uni. Des milliers de travailleurs intérimaires ont protesté contre l'embauche, à des conditions différentes de celles stipulées dans la convention sociale du secteur, de travailleurs italiens et portugais, décidée par une entreprise sous-traitante chargée de l'agrandissement de la raffinerie de Lindsey, qui appartient au groupe Total. Cette affaire a fait l'objet d'une exploitation nationaliste de la part de l'extrême droite britannique.
Les problèmes liés à l'application des règles touchant au détachement des travailleurs ont surgi au moment de l'adhésion de l'Espagne et du Portugal et ont d'abord concerné le secteur de la construction. Plusieurs affaires ont suscité des craintes de dumping salarial.
A la suite d'un arrêt rendu par la Cour de justice des communautés européennes en 1990 à propos d'une entreprise portugaise en France, la Commission, alors dirigée par Jacques Delors, a présenté une proposition de directive sur le détachement des travailleurs. C'est ce texte, adopté en 1996, qui fait l'objet de notre proposition de résolution.
Cette directive est censée offrir aux travailleurs et aux employeurs une plus grande sécurité juridique. Son entrée en vigueur n'a pas dissipé les craintes de dumping social, à preuve le débat sur la directive Bolkestein, le mythe du plombier polonais, qui a beaucoup pesé sur le référendum de 2005.
M. Denis Badré, rapporteur de la commission des affaires sociales. - Malheureusement !
M. Richard Yung, auteur de la proposition de résolution. - Ces craintes ont été relancées par la jurisprudence récente de la Cour de justice des communautés européennes. Dans trois arrêts de 2007 et 2008, elle a reconnu le droit de mener une action collective comme « un droit fondamental faisant partie intégrante des principes généraux du droit communautaire », anticipant ainsi l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne, qui rend juridiquement contraignante la Charte des droits fondamentaux. Mais elle a aussi limité la définition des règles impératives de protection minimale, en rappelant que les travailleurs détachés sont soumis aux normes sociales minimales, légales ou contractuelles, « d'application générale » du lieu de travail et non à l'ensemble des accords collectifs. En outre, elle a placé les libertés économiques au-dessus des droits sociaux et soumis l'exercice du droit d'action collective à un contrôle de proportionnalité -pour sortir du jargon communautaire, à le limiter.
On a vu avec l'affaire Viking ce dont il s'agissait : un armateur suédois met son navire sous pavillon letton et impose à l'équipage des salaires et des conditions de travail à la lettonne ; les marins, gens solides habitués aux coups de tabac, se mettent en grève, font un blocus, bref se défendent et la Cour de justice de les tancer : certes, il y a un principe général du droit de grève mais « vous limitez la liberté de prestation de services et vous avez donc tort au nom du principe de proportionnalité » ! Si ça ne s'appelle pas remettre en cause un droit fondamental...
C'est laisser entendre que la directive a prévu une harmonisation maximale, les salariés détachés ne pouvant obtenir plus que les minima légaux. On donne ainsi du grain à moudre à ceux qui remettent en cause la coordination des politiques sociales au niveau communautaire.
Cette jurisprudence a montré les difficultés d'application de la directive, en particulier pour les pays qui, comme ceux du nord et l'Allemagne, ont à la fois des conventions collectives par branche et par région ou Land. Dans ce cas, la Cour de justice des communautés européennes considère qu'il n'y a pas de convention collective.
Dans une communication du 13 juin 2007, la Commission européenne a constaté que le principal problème dans la mise en oeuvre de la directive résidait dans le manque d'information des travailleurs détachés sur leurs droits, la faiblesse des contrôles, qui diffèrent d'un État à l'autre et, partant, dans la difficulté d'imposer les sanctions que prévoit la directive. Elle a donc appelé les États membres à améliorer leur coopération administrative. Cela nous paraît un voeu pieux vu la faiblesse des effectifs de l'inspection du travail.
En dépit de ce constat et des arrêts de la Cour, la précédente Commission européenne a refusé de proposer une révision de la directive. Quant au Conseil européen, il a refusé de faire pression. Durant la présidence française, les États membres avaient reconnu qu'il y avait un problème mais jugé qu'on ne pouvait pas le régler. Lors de son audition devant le Parlement européen pour sa réélection, M. Barroso n'a pas proposé de révision de la directive mais un règlement d'application qui préciserait son interprétation..
Ceci nous a laissé un peu perplexes : il s'agit d'un outil juridique que nous ne connaissions pas mais, s'il existe, tant mieux ! Cependant, en quoi un règlement d'interprétation sera-t-il différent de la directive elle-même ? Est-ce que les conditions d'adoption de ce règlement ne seront pas semblables à une modification de la directive elle-même ? Nous sommes donc sceptiques.
Comme le souhaitent le Parlement européen et la Confédération européenne des syndicats (CES), une révision de la directive de 1996 ou l'adoption d'un règlement communautaire serait nécessaire. Dans sa résolution sur les conventions collectives du 22 octobre 2008, le Parlement européen demande une révision de la directive afin que « l'équilibre entre les droits fondamentaux et les libertés économiques soit réaffirmé dans le droit primaire pour contribuer à prévenir un nivellement par le bas des normes sociales ». Cette position est soutenue par l'alliance progressiste des socialistes et démocrates ainsi que par le parti socialiste européen. Il faut donc apporter une réponse politique afin de ne pas laisser un tel sujet à la seule appréciation des juges.
Concrètement, nous proposons d'introduire dans la directive une délimitation temporelle dans la définition du travailleur détaché, la limite actuelle de douze mois ne nous paraissant pas suffisamment claire ; de garantir une information correcte des salariés sur les droits dont ils disposent lorsqu'ils sont détachés dans un autre État membre ; de renforcer les contrôles et les moyens de sanction en cas de non-respect de la directive. Nous vous proposons donc un dispositif assez modeste.
L'adoption d'un texte plus protecteur pour les salariés est non seulement souhaitable mais également possible, même si la coordination des politiques sociales au niveau communautaire reste difficile. Les pays d'Europe centrale ont beaucoup évolué : ceux qui étaient hostiles à de telles démarches sont eux-mêmes victimes d'un certain dumping social de la part d'autres pays des Balkans. Ainsi, les Bulgares prennent le travail des Hongrois !
Outre la révision de cette directive, nous proposons également d'introduire dans les traités une clause de progrès social qui affirmerait la primauté des droits sociaux fondamentaux sur les libertés du marché intérieur. Nous reprenons la clause Monti, du nom de ce fameux commissaire du marché intérieur qui était pourtant acquis aux idées libérales.
M. Denis Badré, rapporteur pour avis de la commission des affaires européennes. - Il était surtout européen !
M. Richard Yung, auteur de la proposition de résolution. - Voilà pourquoi nous avons déposé cette proposition de résolution. (Applaudissements à gauche)
M. Marc Laménie, rapporteur de la commission des affaires sociales. - Sous des aspects techniques, cette proposition aborde une question politique majeure, celle de la protection des droits des salariés et de leurs organisations syndicales dans le cadre du marché unique européen. Historiquement, la Communauté européenne s'est attachée à supprimer les obstacles aux échanges à l'intérieur du marché unique. Elle a consacré, à cette fin, quatre libertés économiques fondamentales : liberté de circulation pour les travailleurs, liberté d'établissement pour les entreprises, liberté de circulation des marchandises et libre prestation de service.
Cette politique d'ouverture des marchés a pour objectif de stimuler la croissance, et donc les créations d'emplois sur le territoire de l'Union. Cependant, dans une Union élargie à 27 États membres, aux niveaux de développement très inégaux, la libéralisation des échanges pourrait conduire, si elle n'était pas encadrée, à une mise en concurrence des systèmes économiques et sociaux préjudiciable aux salariés.
Lorsqu'une entreprise détache des salariés dans un autre État européen pour y exécuter une prestation de services, les salariés sont soumis, en application d'une directive de 1996, aux règles protectrices de l'État d'accueil, notamment en matière salariale. Ainsi, un salarié polonais ou lituanien détaché en France bénéficie au moins du Smic ou du salaire minimum conventionnel s'il lui est supérieur. Dans la plupart des cas, la directive a atteint son objectif et a permis d'écarter le risque d'un dumping social. La jurisprudence récente de la Cour de justice des Communautés européennes, qui en a interprété les termes de manière restrictive, a cependant suscité de légitimes inquiétudes en donnant l'impression qu'une primauté était donnée aux libertés économiques au détriment de la protection des salariés et du droit à l'action collective reconnu aux syndicats. Tout d'abord, la Cour de justice a fait valoir que la directive garantit seulement le respect des normes sociales d'application générale, ce qui pose un problème dans les pays où la négociation est très décentralisée et où les conventions collectives s'appliquent seulement dans une entreprise ou dans une localité. Elle a ensuite jugé qu'une action collective menée par un syndicat, comme un mouvement de grève, pouvait être contraire, dans certaines circonstances, à la liberté d'établissement ou à la liberté de prestation de service reconnue aux entreprises. Elle a enfin décidé que le droit à l'action collective des syndicats devait être conforme au principe de proportionnalité.
Dans sa proposition de résolution, le groupe socialiste propose de revenir sur cette jurisprudence en révisant la directive de 1996.
M. Richard Yung, auteur de la proposition de résolution. - Exactement !
M. Marc Laménie, rapporteur. - Il insiste aussi sur la nécessité de mieux informer les salariés détachés sur leurs droits et de renforcer les moyens de contrôle afin de sanctionner plus efficacement les entreprises en infraction. Il préconise ensuite d'insérer dans le traité de Lisbonne une clause de progrès social, qui affirmerait la supériorité des droits sociaux sur les libertés économiques.
En application du Règlement du Sénat, la proposition de résolution a d'abord été instruite par la commission des affaires européennes, puis par la commission des affaires sociales. Les analyses de nos deux commissions sont largement convergentes.
En premier lieu, nous ne sommes pas convaincus qu'une révision de la directive soit le meilleur moyen de remettre en cause la jurisprudence de la Cour de justice. En effet, les différences de niveau de vie au sein de l'Union sont plus importantes qu'elles ne l'étaient au moment où la directive a été négociée, de sorte que les États membres ont aujourd'hui des intérêts très divergents. Dans ces conditions, sommes-nous certains que l'ouverture de négociations aboutirait obligatoirement à un compromis plus favorable aux salariés ? En outre, les États membres les plus concernés par la jurisprudence européenne, en l'occurrence l'Allemagne et les pays scandinaves, ne réclament pas une révision de la directive mais ont préféré adapter leurs règles de droit interne pour tirer les conséquences de la jurisprudence communautaire. Pour sa part, la France est peu affectée par cette jurisprudence car la plupart de nos normes sociales sont d'application générale.
Sur la question du droit à l'action collective des syndicats, nous ne partageons pas non plus l'analyse du groupe socialiste. La Cour de justice n'a pas consacré la primauté des libertés économiques sur le droit syndical. Elle s'est seulement efforcée de concilier ces différents droits et libertés, selon une démarche qui rappelle celle du Conseil constitutionnel. En droit français comme en droit communautaire, le droit de grève n'est pas un droit absolu et son exercice peut donc être encadré. En ce qui concerne le principe de proportionnalité, il reste à apprécier quelle application il trouvera en droit français. S'il consiste simplement à sanctionner l'abus du droit de grève ou le comportement fautif des grévistes, il est compatible avec notre droit national.
Au sujet, enfin, de l'éventuelle inclusion d'une clause de progrès social dans le traité de Lisbonne, je vous rappelle qu'il vient juste d'entrer en vigueur au terme d'un long processus de ratification. Il est donc peu probable que sa modification puisse être envisagée avant plusieurs années. II n'est pas sûr non plus qu'elle soit juridiquement indispensable, dans la mesure où l'article 3 du traité sur l'Union consacre déjà la finalité sociale de la construction européenne : l'Union « combat l'exclusion sociale et les discriminations et promeut la justice et la protection sociales, l'égalité entre les femmes et les hommes, la solidarité entre les générations et la protection des droits de l'enfant. Elle promeut la cohésion économique, sociale et territoriale et la solidarité entre les États membres ». Cette base juridique suffit à assurer un équilibre entre les libertés économiques et la protection des droits sociaux. La charte européenne des droits fondamentaux reconnaît sans ambiguïté le droit des travailleurs à l'action collective, y compris la grève, pour défendre leurs intérêts.
En accord avec les groupes politiques, la commission a décidé de n'adopter aucun texte afin que le débat en séance porte sur la rédaction initiale. Le groupe socialiste a fait savoir qu'une version amendée, tenant compte des observations de la commission, n'obtiendrait pas son aval.
Nous sommes favorables à la protection des salariés contre le dumping social mais nous divergeons sur la méthode. Le moment est d'ailleurs mal choisi : la Commission européenne a ordonné deux études sur la transposition de la directive et ses effets socio-économiques, dont les conclusions sont attendues pour le premier semestre de 2010 ; il serait utile que le Sénat en ait connaissance avant toute décision.
La France n'est pas le pays le plus affecté par la jurisprudence de la Cour ; d'autres États, qui y seraient mieux fondés, n'exigent pas que la directive soit révisée.
C'est pourquoi la commission recommande le rejet de la proposition. Notre débat permettra à tous les groupes de s'exprimer.
M. Bernard Frimat. - Ben voyons !
M. Marc Laménie, rapporteur. - La question est difficile car elle concerne aussi bien le droit social que le droit européen. (Applaudissements à droite et au banc des commissions)
M. Alain Gournac. - Bravo !
M. Denis Badré, rapporteur pour avis de la commission des affaires européennes. - Le débat au sein de la commission des affaires européennes sur cette proposition de résolution fut ouvert et fort intéressant. Nous partageons à maints égards la position de la commission des affaires sociales ; nous avons d'ailleurs coordonné nos investigations afin de fonder nos réflexions sur une base commune.
Les inquiétudes exprimées par les auteurs de la proposition sont tout à fait légitimes : le droit communautaire ne doit pas favoriser le dumping social ni remettre en cause le droit de grève ; nous avons fait preuve de vigilance à cet égard lors de l'élaboration de la directive sur les services. Mais ce texte me semble inspiré par un point de vue trop pessimiste sur les évolutions récentes.
Ses auteurs se fondent sur un constat que nous sommes très près de partager : la jurisprudence de la Cour de justice des communautés européennes subordonne les droits sociaux aux libertés économiques. Il faut veiller à ce que cette jurisprudence ne s'éloigne pas de l'esprit de la directive de 1996, d'autant plus que le traité de Lisbonne a rééquilibré le poids respectif des impératifs de développement du marché intérieur et de progrès social.
Ils proposent de réviser la directive : sur ce point, je suis plus circonspect. Certes, il faut regretter l'interprétation très restrictive donnée par la Cour de la notion de règles impératives minimales. Mais ne négligeons pas le principe de réalité, fondement de la méthode Schuman ! (Marques d'irritation sur les bancs socialistes) Aucun État membre ne réclame aujourd'hui la révision de la directive, pas même ceux qui sont directement touchés par les arrêts de la Cour !
Mme Annie David. - C'est bien normal : ce sont les salariés qui sont touchés !
M. Denis Badré, rapporteur pour avis. - Bien au contraire, ces pays cherchent à adapter leur modèle de relations sociales à la jurisprudence de la Cour (exclamations à gauche) : la Suède a annoncé des mesures en octobre et l'Allemagne en avril.
Je rappelle que la directive fut adoptée à une époque où l'Union comptait 15 membres, aux niveaux de développement voisins. Entre les 27 membres actuels, en revanche, il existe des disparités marquées. Une révision de la directive pourrait aller à l'encontre de l'objectif recherché par les auteurs de la proposition, ce qu'aucun de nous ne souhaite ! Le noyau dur de la directive recouvre d'ailleurs environ la moitié du code du travail, sans compter les dispositions d'ordre public : ne jetons pas le manche avec la cognée !
Au plan juridique, il ne paraît pas nécessaire de réviser la directive. Les arrêts de la Cour concernent des États dont le modèle social est très éloigné du nôtre : le modèle nordique ou rhénan est fondé sur des négociations collectives décentralisées aboutissant à des conventions spéciales ; les notions de « salaire minimum » ou de « règles impératives minimales prévues par la loi ou des conventions collectives d'application générale » ne s'y appliquent donc pas. J'ajoute qu'une révision de la directive ne suffirait peut-être pas à infléchir la jurisprudence de la Cour, qui se réfère avant tout au texte des traités.
J'en viens à l'autre proposition du groupe socialiste : introduire une clause de progrès social dans les traités européens. C'est l'équilibre même de la construction européenne qui est en jeu, et pas seulement les droits des travailleurs détachés. La clause Monti fut insérée dans le règlement de 1998 sur la libre circulation des marchandises dans un contexte favorable au libéralisme, alors que les traités ne garantissaient pas l'équilibre entre droits sociaux et libertés économiques. Depuis, le traité de Lisbonne a accordé à la charte des droits fondamentaux une valeur juridique égale à celle des traités, ce que ses détracteurs peinent à reconnaître : cela suffira sans doute à faire évoluer la jurisprudence de la Cour. Il est d'ailleurs peu probable que les États, échaudés par l'expérience du traité de Lisbonne, s'engagent dans un processus de révision des traités sur un sujet aussi sensible. En revanche, moi qui suis chargé de représenter notre Haute assemblée au sein de l'assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, j'attends beaucoup du dialogue avec la Cour de justice et la Cour européenne des droits de l'homme.
Les récents arrêts comportent d'ailleurs un versant positif : ils reconnaissent au droit à l'action collective le statut de droit fondamental, inscrit parmi les principes généraux du droit communautaire, et ils réaffirment que l'Union a non seulement une finalité économique mais aussi une finalité sociale. Plutôt que d'ouvrir le chantier périlleux d'une révision, recherchons un compromis : le mieux est parfois l'ennemi du bien !
Le président Barroso a lui-même évoqué une solution au problème d'interprétation et d'application de la directive de 1996 dans son discours d'investiture devant le Parlement européen : c'est bien la preuve que les plus hautes autorités européennes cherchent à progresser, en clarifiant voire en complétant la directive sans la fragiliser.
Je suis d'accord avec les auteurs de la proposition pour dire qu'il faut améliorer l'information des travailleurs et renforcer les sanctions contre les contrevenants. Certains amendements du groupe CRC-SPG, qui vont dans le même sens, me paraissent recevables. Le Gouvernement doit y oeuvrer, ainsi qu'à une meilleure coopération administrative entre États membres. Les arrêts de la Cour nous invitent également à rendre plus accessibles le contenu des conventions collectives, en les traduisant dans les diverses langues de l'Union.
La commission des affaires européennes, conformément à l'accord passé entre les groupes politiques, a choisi de ne pas apporter de modifications à la proposition de résolution et de la transmettre telle quelle à la commission des affaires sociales. (Applaudissements à droite et au banc des commissions)
Mme Annie David. - Le groupe CRC-SPG a accueilli cette proposition de résolution avec des sentiments partagés. Il est évidemment favorable à toutes les initiatives parlementaires visant à renforcer les droits individuels et collectifs des travailleurs et, en l'espèce, à faire respecter le droit à l'action collective et syndicale des travailleurs européens détachés.
Nous soutenons notamment la demande d'introduction d'une clause de progrès social faisant primer les droits sociaux sur ceux du marché intérieur.
Cependant, la démarche de nos collègues socialistes est à nos yeux contradictoire, voire tente de concilier l'inconciliable. La dérive libérale et la remise en question des droits sociaux au sein de l'Union européenne, constatées et dénoncées dans cette résolution, résultent de choix politiques approuvés par le Parlement européen. Or le Parti socialiste européen (PSE) a voté la plupart des textes qui ont abouti à la situation que vous déplorez aujourd'hui. Nos positions respectives sur l'Union européenne et le traité constitutionnel sont bien connues. Nous avons été le seul groupe à appeler à voter non lors de sa ratification en 2005. Non pas que nous soyons contre l'idée d'une Union européenne mais nous avons rejeté l'Europe du marché et de la concurrence libre et non faussée.
M. Denis Badré, rapporteur pour avis. - Il y avait aussi la charte des droits fondamentaux.
Mme Annie David. - Je vous saurais gré de ne pas m'interrompre. C'est de cette Europe que vous constatez aujourd'hui les abus et les reculs pour les salariés, au risque d'un nivellement de leurs droits par le bas. Nous ne pouvons la cautionner. La jurisprudence récente de la Cour de justice de l'Union européenne est le révélateur d'une construction européenne qui prétend concilier développement économique et promotion des droits sociaux mais qui fait primer le premier sur la seconde. Plutôt que de nous abstenir, nous avons préféré saisir cette occasion pour tenter de changer ce qui peut l'être. Dans quatre arrêts de la Cour, et non trois, les droits du marché l'ont emporté sur ceux des salariés. Si le droit de mener une action collective est considéré par la Cour comme « un droit fondamental », elle soumet son exercice à des restrictions qui l'obligent à s'effacer devant un autre principe jugé plus fondamental encore, le libre exercice des prestations de service.
L'adoption de la directive de 1996 a constitué un progrès par rapport à la convention de Rome de 1980 en imposant le droit du travail du pays d'accueil pour les travailleurs détachés au lieu de celle du lieu de résidence habituelle, c'est-à-dire la « moins-disante ». Cette directive donne corps au vieil adage selon lequel « A Rome, fais comme les Romains », mais la Cour de justice l'a presque entièrement vidée de sa substance et toutes les actions menées par des salariés sont condamnées comme contraires au principe de libre exercice des prestations de service. Aujourd'hui, malgré les déclarations d'intention des textes fondateurs, les droits économiques priment sur les droits sociaux. Il faut trouver un juste équilibre, mais la hiérarchie des normes doit favoriser les salariés.
Souhaitant construire une Europe des peuples, nous vous proposerons de compléter cette résolution en améliorant l'information des travailleurs détachés en développant la coordination entre les administrations des États membres et en renforçant l'effectivité des sanctions en cas de violation des textes communautaires. Nous souhaitons en outre que le droit à action collective soit intégré dans le noyau dur que tout État doit accorder à un salarié détaché. Il faut améliorer les conditions de vie et de travail de nos concitoyens européens et créer en quelque sorte l'Europe du mieux-disant social. (Applaudissements sur les bancs CRC et plusieurs bancs socialistes ; Mme Françoise Laborde applaudit aussi)
Mme Catherine Tasca. - Par cette proposition, nous souhaitons lutter contre le dumping social et promouvoir l'harmonisation des droits au sein de l'Union. Alors que la nouvelle commission Barroso prépare son programme législatif, nous devons aborder les problématiques relatives aux droits d'un million de travailleurs détachés. La directive de 1996 étant remise en cause par plusieurs arrêts de la Cour de justice, nous en proposons la révision afin de réaffirmés ses objectifs initiaux.
La directive fixe des règles applicables dans le pays d'accueil. Par ce noyau dur, elle consacre le principe d'égalité de traitement entre travailleurs sur un même lieu afin de lutter contre le dumping social. Toutefois, l'information comme les contrôles sont insuffisants et les sanctions prévues par la directive sont peu appliquées. Face à ces difficultés, les États n'ont d'autre solution que d'améliorer la coopération administrative. En outre, trois arrêts récents de la Cour de justice remettent en cause l'objet, le contenu et le champ d'application de la directive. L'exercice du droit de grève est subordonné à la liberté d'établissement par l'arrêt Viking, à la négociation collective par l'arrêt Laval et à l'existence d'un salaire minimum par l'arrêt Rüffert. En interprétant la directive d'une façon très restrictive, ces décisions opposent la libre prestation de services aux droits sociaux et nuisent à l'égalité de traitement entre les travailleurs.
La directive vise à garantir aux travailleurs détachés une protection minimale en termes de rémunération et de conditions de travail et non à faciliter la circulation transnationale des prestations de service. Afin de réaffirmer la volonté du législateur, il faut préciser le champ d'application de la directive : s'agit-il d'une harmonisation minimale laissant les États libres d'élever le niveau de protection des salariés ou ce noyau dur n'est-il qu'un plafond préfigurant un nivellement par le bas ? La Cour remet en question les systèmes de conventions collectives négociées entreprise par entreprise, qui ne définiraient pas un droit d'application générale tel que l'exige la directive. Le modèle scandinave d'autorégulation et de négociation sociale est ainsi contesté. Une révision de la directive permettrait de soustraire les droits des travailleurs détachés aux aléas de la jurisprudence et de garantir une sécurité juridique suffisante.
En commission des affaires européennes, nous nous sommes accordés sur la réalité des remises en cause de la directive et sur leurs conséquences. Néanmoins, certains objectent que ces atteintes ne concerneraient que les pays nordiques. Or, non seulement elles sont contraires au considérant 12 de la directive qui met à égalité législation et conventions collectives mais plusieurs développements récents invalident cette hypothèse. Au Royaume-Uni, au début de l'année, des grèves se sont produites dans une raffinerie pour protester contre l'emploi de travailleurs portugais et italiens à des conditions différentes de celles offertes aux ouvriers locaux. L'Allemagne connaît les mêmes phénomènes. Remettre en cause le traitement à égalité de la loi et des conventions collectives ouvrirait une brèche dans le dispositif porté par la directive.
D'autres craignent que, si l'on révise la directive, certains pays en profitent pour opérer son détricotage. La mise en garde est légitime mais floue. Parle-t-on du Parlement européen qui, dans une résolution du 22 octobre 2008, a demandé qu'un « équilibre entre les droits fondamentaux et les libertés économiques soit réaffirmé dans le droit primaire pour contribuer à prévenir un nivellement par le bas des normes sociales » ? De la confédération européenne des syndicats (CES), qui a soutenu la révision ? Des 27 partis socialistes et sociaux démocrates, et du PSE ? Non. Le risque de détricotage vient principalement du groupe PPE au Parlement européen. Je ne doute pas, chers collègues de la majorité, que vous saurez convaincre vos homologues d'opérer une révision qui ne soit pas un nivellement par le bas mais une consolidation juridique.
Enfin, les engagements de M. Barroso rendraient caduque la demande de révision. Lorsque le président de la Commission européenne a été auditionné par le Parlement européen, il a dit ne tolérer aucune atteinte aux droits sociaux fondamentaux, tout en estimant nécessaire que « nos valeurs d'intégration, d'équité et de justice sociale soient reprises dans une nouvelle approche ». Il veut en fait reprendre la voie des normes interprétatives, déjà empruntée par la précédente commission, avec les limites que l'on sait quand à leur portée juridique. Surtout, le Parlement et le conseil des ministres sont alors mis de côté.
La révision de la directive s'impose pour combattre le dumping social. En adoptant cette résolution, le Sénat enverrait à la Commission un signal fort au moment opportun, puisqu'elle élabore son programme législatif. Et les travailleurs des Vingt-sept reprendraient espoir dans la construction de l'Europe sociale. (Applaudissements sur les bancs socialistes ; Mme Annie David applaudit aussi)
Mme Françoise Laborde. - Ce débat permet une réflexion approfondie sur l'action collective des travailleurs détachés, afin de mieux les protéger.
La directive du 16 décembre 1996 devait assurer une concurrence loyale et le respect des droits des travailleurs sur le marché européen, conditions sine qua non de la libre circulation des personnes et des services.
Alors que les prestations de services transnationales augmentent parmi les États membres, où un million de salariés étaient concernés en 2006, l'objectif de cette directive est plus important que jamais pour instaurer la confiance des travailleurs et combattre le dumping social. L'ouverture accrue du marché de l'emploi en Europe exige des règles strictes et équitables accordant une place centrale aux travailleurs, dont la mobilité transfrontalière s'accompagne trop souvent d'exploitation et de concurrence déloyale.
Pourtant, plusieurs arrêts récents de la Cour de justice des Communautés européennes ont illustré l'insuffisance du cadre juridique actuel, puisque la liberté du marché occupe le sommet de la hiérarchie des normes, au détriment des droits sociaux fondamentaux. L'interprétation restrictive suivie par la Cour de justice limite la capacité des syndicats à combattre le dumping social, ainsi que celle des États membres à prévenir une concurrence déloyale.
Nos collègues socialistes ont bien expliqué la problématique induite par les interprétations de la Cour de justice.
Son attachement aux droits sociaux des travailleurs conduit la majorité du RDSE à voter la proposition. (Applaudissements à gauche)
M. Paul Blanc. - Ce débat important concerne un million de salariés qui travaillent temporairement dans un autre État membre ; il nous permet de rassurer la confédération européenne des syndicats, troublée par la manière dont la Cour de justice européenne a interprété la directive du 16 décembre 1996.
Cette directive tend à protéger les travailleurs détachés, puisqu'elle définit un noyau dur de règles du pays d'accueil impérativement appliquées aux travailleurs détachés, sauf lorsque celles du pays d'origine sont plus favorables. Je mentionnerai les périodes de repos ou de congés, les salaires, la sécurité, l'égalité entre hommes et femmes. Autant de garanties indispensables pour éviter un dumping salarial généralisé en Europe. A défaut, des entreprises roumaines ou polonaises pourraient aisément pénétrer le marché grâce aux faibles salaires versés.
Comme l'a relevé la commission des affaires européennes, la directive offre une grande sécurité juridique aux entreprises prestataires et aux salariés, mais les règles concernées doivent résulter de la législation du pays d'accueil ou de conventions collectives déclarées d'application générale. Cette disposition suscite des difficultés dans certains pays où l'État se tient en retrait et n'a pas l'équivalent de nos conventions collectives : les négociations se déroulent dans chaque entreprise. Dès lors que les obligations du pays d'accueil ne s'appliquent pas sur tout le territoire ou dans un secteur déterminé, elles peuvent être jugées contraires à la libre prestation de services.
Dans les affaires dont il s'agit, la Cour était saisie de conventions applicables à certaines entreprises de la construction. Elle a constaté que les syndicats tentaient en fait d'imposer des obligations excédant celles inscrites dans la directive, affectant ainsi la libre prestation de services.
Les difficultés d'application que cette directive peut susciter sont donc spécifiques à certains États, dont la France ne fait pas partie puisque les règles sociales y sont inscrites dans des textes ayant la portée juridique nécessaire. Pourquoi notre pays remettrait-il en cause un texte en raison de difficultés d'application dans des États membres qui n'en font pas la demande ? La Suède et l'Allemagne n'ont rien demandé après les affaires Viking, Laval et Rüffert car elles ont décidé d'adapter leur droit interne. Il serait malvenu pour nous d'intervenir à leur place.
La France reconnaît le caractère fondamental du droit à l'action collective. La liberté de prestation de services étant un principe fondamental, la Cour a mis ces droits en balance, mais sans établir de hiérarchie. (Mouvements divers à gauche) En effet, la Cour a relevé à bon droit qu'une restriction à la libre prestation de services doit poursuivre un but légitime et se justifier par des raisons impérieuses d'intérêt général. Concrètement, les syndicats ne disposaient que de la grève pour faire aboutir les négociations dans l'affaire Viking.
Ainsi que M. Laménie l'a souligné en commission, la Cour de justice invite à concilier ces divers droits et libertés, selon une démarche analogue à celle du Conseil constitutionnel. Le droit de grève peut être encadré.
La proposition de résolution a été inscrite à la demande du groupe socialiste, ce qui a permis à la commission des affaires européennes et à la commission des affaires sociales d'en débattre. Le groupe UMP a souhaité permettre son examen en séance publique, conformément aux accords entre groupes politiques.
Maintenant que le débat s'est déroulé, que peut-on répondre aux auteurs de la proposition ?
M. Bernard Frimat. - Oui !
M. Paul Blanc. - Qu'il est inutile de modifier la directive.
La commission des affaires européennes observe que la révision d'un texte voté à 15 risquerait de ne pas aboutir aux résultats escomptés après adoption par 27 États membres. A n'en pas douter, le noyau dur serait diminué. (On proteste sur les bancs du groupe CRC-SPG)
D'autre part, il n'est guère envisageable d'adopter une clause sociale générale alors que l'article 3 du traité de Lisbonne vient de consacrer avec force la finalité sociale de la construction européenne.
A l'image de la commission européenne, nos rapporteurs ont insisté sur l'insuffisante coopération administrative entre États membres et sur l'information lacunaire des travailleurs quant à leurs droits dans l'État d'accueil. S'ajoutent les difficultés de contrôle et d'exécution des sanctions dans l'État d'origine.
Le groupe UMP approuve le choix des rapporteurs afin qu'un règlement précise l'interprétation de la directive et renforce les moyens de contrôle. Il faudra échanger avec la Commission européenne, sans revoir la directive.
Je félicite nos rapporteurs, particulièrement M. Laménie qui se livrait à cet exercice pour la première fois. (Applaudissements à droite)
Mme Raymonde Le Texier. - Après l'intervention de M. Yung et de Mme Tasca, permettez-moi de souligner un point que les signataires de ce texte considèrent central et non négociable : « la primauté des droits sociaux fondamentaux sur les libertés fondamentales du marché intérieur ». Alors que le taux de chômage européen a progressé de 80 % en un an et que le nombre de travailleurs européens détachés atteint plus de un million aujourd'hui, cette proposition ne constitue pas une énième incantation des droits sociaux mais l'affirmation de la primauté en droit communautaire et, donc, en droit national de ceux-ci sur les droits économiques -dont nous ne nions, au reste, aucunement les libertés qui en découlent. Pour ce faire, à la suite des arrêts Laval, Viking et Rüffert de la Cour de justice des communautés européennes, il faut procéder à une révision de la directive. Un simple règlement d'interprétation et d'application, des lignes directrices ou encore une norme, que certains évoquent, ne sauraient y suffire. De fait, quelle que soit la qualité du travail des juges européens, nous ne pouvons les laisser établir une jurisprudence contraire à l'esprit de la construction européenne et à la lettre du traité de Lisbonne. Redonnons la main au législateur européen ! C'est à la Commission, garante de l'intérêt général, qu'il revient de combler les lacunes du texte et au Parlement et au Conseil des ministres, représentants les citoyens européens, de décider. Pour que le législateur européen fasse son boulot, les parlements nationaux doivent faire le leur en interpellant leur gouvernement et la Commission. Saisissons cette occasion d'agir pour remédier à ces dysfonctionnements graves qui éloignent l'Europe de nos citoyens.
Ensuite, la relance de l'Europe sociale passe par la révision de la directive. Le désenchantement des citoyens vis-à-vis de l'Europe va croissant, et pour cause ! Comment faire croire en l'Europe lorsque celle-ci encourage le dumping social ? A cet égard, la droite, majoritaire en Europe, a une responsabilité toute particulière. Nous savons qu'elle est contre la révision de cette directive, car fondamentalement opposée à l'avancée de l'Europe sociale. Nous le savons sans l'ombre d'un doute parce que nous avons trop souvent vu la droite célébrer les droits sociaux pour finalement les casser, y compris dans cet hémicycle. Que le juge européen conditionne le droit de grève à la liberté d'installation et à la liberté de circulation n'est pas une petite régression ; c'est une tentative de destruction massive des valeurs qui sous-tendent le projet européen. C'est également donner au juge communautaire un droit dont le juge national ne dispose pas, celui d'interdire la grève, droit à valeur constitutionnelle en France comme dans de nombreux pays de l'Union.
Dernière remarque : notre démarche n'est pas isolée puisque la révision de cette directive sera l'un des principaux thèmes de l'audition du nouveau commissaire européen à l'emploi devant le Parlement et que le parti socialiste européen encourage à faire déposer ce texte dans tous les parlements nationaux. Mes chers collègues, saisissez donc l'occasion de passer pour la droite la plus progressiste d'Europe (sourires au banc de la commission) en votant cette proposition de résolution ! (Applaudissements sur les bancs socialistes ; Mme Françoise Laborde applaudit également)
Mme Nora Berra, secrétaire d'État chargée des aînés. - Quelles conclusions doit-on tirer des décisions rendues par la CJCE dans les affaires Viking, Laval et Rüffert ? Faut-il réviser la directive du 16 décembre 1996 ? Convient-il d'affirmer la primauté des droits sociaux sur les autres droits en droit communautaire ? A chacune de ces questions, je souhaite, au nom de M. Darcos, apporter des réponses précises qui conforteront les propos de MM. Laménie et Badré.
Première question : par ses décisions, la CJCE défend, en réalité, la directive en affirmant le caractère fondamental des droits sociaux. Dans l'arrêt Viking, elle indique ainsi que « le droit de mener une action collective, y compris le droit de grève, doit donc être reconnu en tant que droit fondamental faisant partie intégrante des principes généraux du droit communautaire dont la Cour assure le respect ». On ne saurait être plus clair ! Au fond, l'enjeu n'est pas tant de définir la primauté de certains droits sur d'autres que de concilier l'exercice de deux libertés fondamentales au sein de l'Union, celles de travailler et de faire grève. En la matière, la CJCE invite le juge national à se référer au respect du double principe de nécessité et de proportionnalité, qui figure à l'article L. 1121-1 de notre code du travail. Enfin, la France n'est pas mise en difficulté par la jurisprudence de la Cour puisque les conventions collectives de branche sont applicables aux travailleurs détachés, conformément à l'article L. 1262-4 du code du travail.
Faut-il inscrire dans le traité une clause de primauté des droits sociaux ?
M. Bernard Frimat. - Oui !
Mme Nora Berra, secrétaire d'État. - Monsieur Yung, vous affirmez légitimement, dans votre rapport, que l'Europe sociale, « relativement absente du traité de Rome (...) est aujourd'hui à l'origine d'un important acquis communautaire, composé de plus de 200 textes ». Cet acquis est conforté par l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne pour laquelle la France et le Président de la République, inutile de le rappeler, ont beaucoup oeuvré. (Exclamations ironiques sur les bancs socialistes) Je ne vous rappellerai pas non plus les atermoiements du parti socialiste qui a dit oui au traité, mais non à la révision constitutionnelle autorisant sa signature.
M. Bernard Frimat. - Grotesque ! Arrêtez ce carnaval !
M. Alain Gournac. - C'est le double langage du PS !
M. Bernard Frimat. - Lamentable !
Mme Nora Berra, secrétaire d'État. - En revanche, j'insiste sur le fait que ce traité consacre les droits sociaux avec la possibilité accordée aux citoyens européens d'invoquer devant leurs juridictions nationales la convention européenne des droits de l'homme et du citoyen et la charte des droits sociaux fondamentaux.
M. Bernard Frimat. - Ce n'est pas le Gouvernement qui s'exprime, c'est l'UMP !
Mme Nora Berra, secrétaire d'État. - Vous demandiez que ces droits sociaux soient reconnus en droit communautaire, nous l'avons fait ! Ce traité élève au plus haut degré la liberté syndicale en son article 12, le droit à l'information et à la consultation des travailleurs au sein de l'entreprise à l'article 27, le droit de négociation et d'actions collectives et, partant, de grève, par son article 28. Le traité promeut également la solidarité intergénérationnelle qui m'est si chère. En matière de droit de grève, vous êtes donc satisfaits !
Enfin, dernière question, l'Allemagne et la Suède, pourtant directement concernées par les décisions de la Cour, ont préféré, plutôt que de réviser la directive, modifier leurs législations nationales -je vous renvoie à la loi allemande du 24 avril et aux mesures présentées le 8 octobre en Suède. Il serait donc pour le moins surprenant que la France, peu concernée, soit la seule à demander la révision de la directive.
Deux décisions sur trois se fondent non sur la directive elle-même mais sur les articles du traité : une révision de la directive n'y changerait rien. Ce qui importe, c'est une bonne transposition et une bonne application par les États membres. La France a soutenu activement la recommandation interprétative de la Commission européenne du 31 mars 2008. Et nous participons directement aux deux missions d'étude lancées par la Commission. Les résultats devraient être connus dans les prochains mois.
Au niveau national, nous progressons, étoffant les services de contrôles, mettant à disposition des salariés concernés des informations dans leur langue. Les déclarations préalables de détachement seront bientôt dématérialisées. Nous renforçons la coopération entre les services de contrôle tant au niveau national que communautaire via l'action du bureau de liaison. Je vous renvoie au plan national de lutte contre le travail illégal annoncé par le ministère du travail il y a quelques jours. Vous comprendrez donc que le Gouvernement ait un avis défavorable sur l'opportunité de cette proposition de résolution européenne. (Applaudissements à droite)
Mme la présidente. - La commission n'ayant pas élaboré de texte, nous examinons à présent le texte de la proposition initiale.
Discussion du texte de la résolution initiale
PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE
Le Sénat,
Vu l'article 88-4 de la Constitution,
Vus l'article 39 du traité CE sur la liberté de circulation des travailleurs d'une part, et l'article 49 du traité CE sur la liberté de prestation de services d'autre part,
Vu les articles 136, 137, 138, 140 du traité CE,
Vu l'article 152 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, qui reconnaît le rôle des partenaires sociaux et l'importance du dialogue social et de la négociation collective,
Vu les articles 27, 28 et 34 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne,
Vu la directive 96/71/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 1996 concernant le détachement des travailleurs effectué dans le cadre d'une prestation de services, et notamment ses considérants (5), (12), et (22), ci-après nommée « la directive sur le détachement des travailleurs »,
Vu la directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur, et en particulier ses articles 3 et 16(3),
Vu la « clause Monti » inscrite dans le règlement CE n°2679/98 du Conseil du 7 décembre 1998 relatif au fonctionnement du marché intérieur en ce qui concerne la libre circulation des marchandises entre les États membres,
Vu la communication de la Commission COM (2008) 304 final du 13 juin 2007 au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions sur « le détachement de travailleurs dans le cadre de la prestation de services : en tirer les avantages et les potentialités maximum tout en garantissant la protection des travailleurs »,
Vus l'arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) du 11 décembre 2007 dans l'affaire C-438/05, International Transport Workers' Federation and Finish Seamen's Union/Viking Line ABP, l'arrêt de la CJCE du 18 décembre 2007 dans l'affaire C-341/05, Laval un Partneri Ltd, l'arrêt de la CJCE du 3 avril 2008 dans l'affaire C-346/06, Rüffert, ci-après nommés «Viking », « Laval », et « Rüffert »,
Vu la résolution du Parlement européen du 26 octobre 2006 sur l'application de la directive 96/71/CE concernant le détachement des travailleurs,
Vu la résolution du Parlement européen du 22 octobre 2008 sur les défis pour les conventions collectives dans l'UE,
Considérant que la liberté de circulation des travailleurs dans l'Union européenne implique l'abolition de toute forme de discrimination fondée sur la nationalité entre les travailleurs ressortissants d'un État membre en ce qui concerne les conditions d'emploi, de travail et de rémunération,
Considérant que le principe de l'égalité de traitement entre travailleurs pour un même travail sur un même lieu de travail est remis en cause par les récents arrêts de la Cour de justice des Communautés européennes dans les affaires « Laval », « Viking » et « Rüffert »,
Considérant que le droit de grève et le droit à l'action collective sont des droits fondamentaux faisant partie intégrante des principes généraux du droit communautaire,
Considérant le dialogue social entre partenaires sociaux comme un élément essentiel du modèle social et économique européen,
Déclare inacceptable que le droit fondamental des partenaires sociaux de recourir à des actions collectives passe après les droits économiques dans un ordre hiérarchisé des libertés fondamentales,
Estime que cette hiérarchisation des normes en droit communautaire pourrait poser des problèmes de cohérence avec d'autres systèmes juridiques, tels celui de l'Organisation Internationale du Travail et celui du Conseil de l'Europe,
Rappelle que le droit de grève est de nature constitutionnelle dans nombre d'États membres, dont la France, et qu'il est à ce titre protégé dans le cadre du marché intérieur par la « clause Monti »,
Estime essentiel dans un contexte de crise économique et sociale extrêmement grave de garantir un niveau élevé de protection aux travailleurs et de lutter contre ce qui pourrait s'apparenter à du « dumping social »,
Estime que la concurrence sur la seule base de conditions salariales et de travail différentes entre travailleurs européens dans le cadre transnational d'une prestation de services sape la confiance des citoyens envers la construction européenne,
Condamne l'instrumentalisation politique à visée nationaliste qui est faite de certains conflits sociaux impliquant des travailleurs européens de nationalité différente,
Condamne l'introduction d'un principe de proportionnalité pour juger des actions menées à l'encontre d'entreprises utilisant la liberté de prestation de services dans le marché intérieur pour remettre en cause les conditions d'emploi et de traitement des travailleurs détachés dans l'État membre d'accueil,
Estime que la jurisprudence de la Cour de Justice des Communautés européennes ne saurait suffire à clarifier l'état du droit en matière de travailleurs détachés,
Estime que la nouvelle Commission européenne devra orienter son mandat en faveur d'une véritable politique de l'emploi centrée sur la qualité du travail et le progrès social,
Estime qu'il en va de la responsabilité du législateur européen de procéder à un éclaircissement juridique des dispositions de la directive par le législateur européen, notamment quant à la valeur juridique des conventions et accords collectifs au regard de l'article 3 de la directive sur le détachement des travailleurs,
Estime urgent de procéder à la révision de la directive sur le détachement des travailleurs en consultation avec les partenaires sociaux européens,
Demande l'introduction d'une clause de progrès social donnant la primauté aux droits sociaux fondamentaux sur les libertés fondamentales du marché intérieur sur la base de l'article 3 (3) sous paragraphe 3 du traité de Lisbonne (sous réserve de sa ratification),
Souhaite un large champ d'application de ce qui peut être considéré comme des « dispositions d'ordre public » que les États membres peuvent appliquer en plus du noyau de normes minimales énoncées par la directive sur le détachement des travailleurs,
Demande que la directive introduise une délimitation temporelle dans la définition d'un travailleur détaché afin d'éviter toute utilisation abusive du détachement,
Souhaite que des dispositions contraignantes soient prises vis-à-vis des États membres comme des employeurs, permettant de garantir une information correcte des travailleurs détachés sur les droits dont ils disposent,
Souhaite le renforcement des contrôles et des moyens de sanction en cas de non-respect des dispositions de la directive,
Demande au Gouvernement de rendre compte à la Représentation nationale de l'application de cette directive en France,
Demande à la Commission européenne sur la base de ces orientations d'insérer dans son prochain programme de travail pour l'année 2010 une proposition de révision de la directive sur le détachement des travailleurs,
Demande au Gouvernement d'agir dans le sens de cette résolution.
Mme la présidente. - Amendement n°1, présenté par Mme David et les membres du groupe CRC-SPG.
Alinéa 11
Compléter cet alinéa par les mots :
Commission c/ Luxembourg
Amendement n°2, présenté par Mme David et les membres du groupe CRC-SPG.
Alinéa 15
Compléter cet alinéa par les mots :
et l'arrêt Commission contre Luxembourg
Mme Annie David. - Il s'agit de compléter la liste des arrêts de la Cour européenne visés dans la proposition. Dans l'arrêt du 19 juin 2008, la Cour s'est prononcée sur le champ d'application des « dispositions d'ordre public ». Le Luxembourg a été condamné pour manquement à ses obligations. Avant cet arrêt, tous les juristes pensaient que chaque État membre était libre de déterminer ce qui relevait des « dispositions d'ordre public ». Or la Cour a estimé que ces dispositions ne peuvent être déterminées unilatéralement par les États puisqu'elles constituent une dérogation au principe de la libre prestation de service. Il y a bien référence à une hiérarchie des normes et l'intérêt du marché prime sur celui des salariés...
M. Marc Laménie, rapporteur. - J'ai proposé à la commission de se prononcer défavorablement mais elle a estimé que l'ajout de cette mention ne posait pas de problème de fond.
Mme Catherine Tasca. - C'est un bon début.
Mme Nora Berra, secrétaire d'État. - L'essentiel des difficultés, je l'ai dit, est lié non à la rédaction de la directive mais à sa transposition. Nous en avons ici un exemple. Si la Commission européenne a engagé une procédure contre le Luxembourg, qu'elle a gagnée, c'est qu'il ne jouait pas le jeu. Les pays peuvent appliquer des dispositions additionnelles spécifiques et c'est ce qu'a fait la France en matière de travail illégal. Mais le Luxembourg, dans sa loi de décembre 2002, a eu la main lourde, considérant que l'ensemble de sa législation avait vocation à s'appliquer. La Commission, pendant deux ans, lui a indiqué que l'exception d'ordre public devait rester une exception et non servir à dénaturer les principes inscrits dans la directive... Défavorable aux deux amendements.
M. Richard Yung, auteur de la proposition de résolution. - La commission a émis un avis favorable, nous nous en réjouissons. La précision est en effet utile. Laissons chaque pays prendre ses décisions.
M. Alain Gournac. - Quelle conception de l'Europe !
Mme Raymonde Le Texier. - Nous voulons que l'Europe sociale se fasse par le haut. C'est le sens de la proposition de M. Yung. Le législateur européen serait bien inspiré de contrer les attaques portées par la Cour au droit du travail. Il y a urgence. Hier, les socio-démocrates suédois se sont battus contre un projet de loi qui réforme le droit du travail en s'inspirant des arrêts de la Cour de justice qui limitent la portée des conventions collectives. Or le modèle social suédois est fondé sur la négociation et il est l'un des plus avancés et des plus efficaces. L'enjeu n'est donc plus seulement de faire l'Europe sociale par le haut mais d'éviter qu'elle se fasse par le bas en déconstruisant les modèles nationaux avancés. La France elle aussi pourrait en être victime.
Les socialistes européens ont dénoncé cette instrumentalisation et demandent une révision de la directive. La vice-présidente suédoise du groupe des socio-démocrates au Parlement européen est très contente de savoir que le sujet est discuté dans des parlements nationaux. Notre discussion est suivie de très près par nos collègues européens ! Si l'amendement tend à une plus grande protection des travailleurs européens, c'est sans hésitation que nous le voterons.
L'amendement n°1 n'est pas adopté, non plus que l'amendement n°2.
Mme la présidente. - Amendement n°3, présenté par Mme David et les membres du groupe CRC-SPG.
Après l'alinéa 30
Insérer deux alinéas ainsi rédigés :
Souhaite par conséquent que le droit à action collective et notamment l'exercice du droit de grève soit inclus soit dans le noyau des « normes minimales » que chaque pays doit garantir au salarié détaché soit dans les « dispositions d'ordre public », au sens de la Directive sur le détachement, quand dans le pays considéré ce droit à action collective incluant le droit de grève existe et est juridiquement garanti,
Souhaite que ce droit à action collective soit attaché à la personne du salarié détaché et que si ces droits existent dans son pays d'origine, il puisse, dans la mesure du possible, les exercer dans le pays où il effectue une prestation de service,
M. Michel Billout. - Il est rare que la majorité désavoue ainsi la commission...
Cet amendement vise à faire entrer le droit à action collective, en particulier l'exercice du droit de grève, dans les « dispositions d'ordre public » ou dans le « noyau dur » des règles du droit du travail obligatoires. L'action collective contrebalance la subordination juridique qui existe entre le salarié et l'employeur. Bien sûr, elle n'a pas un contenu homogène dans les 27 États. C'est pourquoi un salarié dont le pays reconnaît mal le droit de grève et qui vient travailler dans un pays qui le reconnaît pleinement doit pouvoir l'exercer. La situation inverse est plus complexe : un salarié issu d'un pays lui garantissant les droits fondamentaux devrait pouvoir les exercer dans le pays où il effectue une prestation de service. Nous savons que cela pose problème et qu'il est difficile d'imposer à un État membre une évolution si rapide de sa législation du travail. Mais tel est bien l'objet de l'Union européenne : harmoniser par le haut les systèmes juridiques ! Il est donc urgent que la Cour de justice abandonne sa jurisprudence actuelle.
M. Marc Laménie, rapporteur. - Je suis plutôt défavorable à cet amendement.
Cet amendement n'est pas juridiquement indispensable puisque le droit de grève est reconnu par les Vingt-sept. Il propose que chaque État puisse en outre faire bénéficier le salarié détaché des dispositions relatives au droit de grève dans son pays d'origine. Celui-ci serait donc soumis à deux législations différentes ! Toutefois, la commission est favorable à cet amendement.
Mme Nora Berra, secrétaire d'État. - L'article 28 de la charte des droits sociaux répond déjà à ce que réclame cet amendement ; elle va même au-delà puisqu'elle affirme le caractère licite du droit de grève pour tous les citoyens des États membres. Vous voyez que l'Europe sociale est en marche, grâce à la France et à son Président. Retrait.
M. Richard Yung, auteur de la proposition de résolution. - Le premier alinéa de cet amendement va dans le sens des idées que nous avons mises en avant et nous pourrions le voter, mais nous avons un doute sur le deuxième qui nous paraît juridiquement discutable. Quel sens peut-il y avoir à parler d'un droit de grève individuel ? Une grève est collective par nature !
Nous allons donc nous abstenir sur cet amendement qui ne nous paraît pas très réaliste.
Mme Annie David. - Je vous entends mais il nous paraît important d'inscrire cette portabilité dans la loi, ne serait-ce que pour assurer le droit de retrait du salarié.
Mme la ministre nous objecte que la disposition se trouve déjà dans la charte. Certes, mais nous proposons de l'ajouter dans le noyau dur de la directive, avec d'autres droits fondamentaux qui figurent aussi dans la charte.
L'amendement n°3 n'est pas adopté.
Mme la présidente. - Amendement n°4 présenté par Mme David et les membres du groupe CRC-SPG.
Après l'alinéa 32
Insérer sept alinéas ainsi rédigés :
A cet effet, des dispositions devraient être adoptées pour permette aux salariés détachés d'accéder à une meilleure information sur le droit du travail applicable dans le pays de détachement et sur l'étendue de leurs droits en tant que salariés détachés.
Notamment pourraient être déclarées comme des conditions préalables à tout détachement :
- l'inscription ou la déclaration et la tenue de documents sociaux concernant le salarié détaché, dans l'entreprise détachante comme dans une structure ad hoc du pays de détachement,
- l'existence d'un représentant permanant du salarié détaché dans le pays de détachement, parlant la même langue que lui. Ce représentant pourrait être un membre de la direction de l'entreprise détachant un salarié et être sur le lieu de détachement au moins lors de la mise en route de la mission. Ou bien, chaque pays membre de l'Union européenne pourrait mettre en place dans son pays des représentants permanents locaux, des salariés européens détachés,
- la remise de documents écrits au salarié détaché lors de son arrivée dans le pays de détachement, dans une langue qu'il comprend et l'informant sur le droit du travail en vigueur dans le pays de l'exécution de la prestation et de ses droits en tant que salariés détaché,
- la création d'une structure européenne permanente de coordination dont le but serait d'améliorer l'échange d'informations et de données entre les administrations des pays membres et notamment entre les différentes inspections du travail ou leur équivalent dans les États membres.
Ces obligations doivent devenir effectives et leur méconnaissance juridiquement sanctionnée.
M. Michel Billout. - Nous souhaitons que des dispositions contraignantes soient prises vis-à-vis des États membres et des employeurs pour garantir une information correcte des travailleurs détachés sur les droits dont ils disposent. La circulation des informations suit aujourd'hui des circuits trop hétérogènes et lacunaires.
Chaque État membre pourrait nommer des représentants permanents des salariés détachés, chargés de l'accueil et de l'information. Cette mesure est en discussion avec la Commission européenne à cause de son aspect contraignant, coûteux et difficile à réaliser pour les très courtes missions. Pourtant, les avantages qu'elle apporterait sont également très nombreux : elle serait de nature à tarir un certain nombre de fraudes. On pourrait vérifier que l'entreprise détachante existe bien et qu'elle est effectivement européenne, et lutter ainsi contre les entreprises « boîte aux lettres ».
M. Marc Laménie, rapporteur. - Nous sommes tous attachés aux droits des salariés mais l'amendement n'est pas conforme au droit communautaire, qui ne voit dans la directive qu'une obligation d'objectifs, non de moyens. La multiplication des formalités pourrait en outre être jugée comme une atteinte excessive à la libre prestation de services. La commission lui est cependant favorable.
Mme Nora Berra, secrétaire d'État. - La France a soutenu la démarche de la Commission européenne lorsqu'elle a recommandé l'échange de bonnes pratiques. De ce point de vue, la France a, grâce au Président de la République, des informations à partager. Défavorable.
M. Richard Yung, auteur de la proposition de résolution. - C'est un des points importants de notre proposition de loi : le cruel manque d'informations sur les droits et devoirs des salariés, et d'ailleurs aussi des employeurs et des États. Il faut donc mettre en place un système souple, avec l'inspection du travail dans notre pays, grâce auquel on sache que, sur tel chantier, il y a un groupe de travailleurs lettons.
Ma première réserve porte sur l'existence d'un représentant du salarié : s'il s'agit d'un représentant syndical, pourquoi pas ? S'il s'agit d'un membre de la direction, sans être un adepte furieux de la lutte de classe, je ne puis l'accepter. Ma deuxième réserve porte sur la création d'une structure européenne permanente de coordination. Il serait préférable de s'appuyer sur l'inspection du travail ou ce qui en tient lieu dans les autres pays. Il faudrait organiser une mise en réseau de ces différentes administrations. Une instance européenne risquerait de dédouaner les États de leurs responsabilités. Nous nous abstiendrons donc sur cet amendement et sur le suivant.
L'amendement n°4 n'est pas adopté.
Mme la présidente. - Amendement n°5 présenté par Mme David et les membres du groupe CRC-SPG.
Après l'alinéa 33
Insérer deux alinéas ainsi rédigés :
Ce renforcement des contrôles pourrait être obtenu par la création d'une structure européenne permanente de coordination dont le but serait d'améliorer l'échange d'informations et de données notamment entre les différentes inspections du travail ou leur équivalent des États membres.
Cette structure pourrait être dotée d'un droit de communication de documents, d'un droit de visite sur place et d'un droit de sanctions en cas de violation des obligations pesants sur les différents acteurs du détachement.
Mme Annie David. - Les informations circulent mal entre les États. Ce constat est unanimement partagé, qu'il s'agisse des salariés, des syndicats ou des entreprises. Des solutions ont été proposées, notamment la création d'une structure européenne permanente qui serait chargée d'assurer la centralisation, la coordination et la circulation des informations. Il s'agirait d'une sorte d'observatoire des pratiques, doté de compétences propres. Il permettrait d'améliorer le travail de milliers d'inspecteurs du travail ou de leurs équivalents en Europe. Actuellement, les États membres doivent négocier l'échange d'informations et de données, concernant les entreprises et les législations du travail, via des accords bilatéraux. Chacun des 27 États membres doit signer un accord bilatéral avec ses 26 partenaires, ce qui représente, au total, 682 accords ! Une telle structure serait une façon de répondre à ce maquis juridique en tendant vers une uniformisation progressive des législations. Elle veillerait à ce que chaque salarié détaché soit bien informé de la législation en vigueur et de ses droits. Pour qu'elle puisse accomplir sa mission, elle serait dotée de compétences propres. Elle se ferait communiquer des documents par les États membres, mais surtout par les entreprises qui détachent des personnels. En cas de difficultés, elle pourrait envoyer un de ses représentants pour demander à l'entreprise de respecter ses obligations.
M. Marc Laménie, rapporteur. - Nous connaissons votre attachement au droit du travail, madame David. Mais la création d'une telle structure risquerait de ralentir la circulation de l'information et serait contraire au principe de subsidiarité. L'avis est donc défavorable.
Mme Nora Berra, secrétaire d'État. - Alors que votre assemblée va prochainement examiner la proposition de loi de simplification du droit...
M. Richard Yung, auteur de la proposition de résolution. - Ah !
Mme Catherine Tasca. - Parlons-en ! Un projet issu d'un cabinet privé.
Mme Nora Berra, secrétaire d'État. - ...je ne suis pas sûre que la création d'un corps européen de contrôle du travail doté de droits spécifiques soit envisageable. Je salue le travail effectué par les inspecteurs du travail et l'ensemble des corps de contrôle intervenant sur ces sujets complexes. L'avis est donc défavorable.
L'amendement n°5 n'est pas adopté.
Vote sur l'ensemble
M. Denis Badré, rapporteur pour avis. - Alors que s'achève ce débat, ne restons pas sur un goût d'inachevé. Nous avons beaucoup et bien travaillé. Nous sommes proches d'un consensus qui donnerait du poids à la position de notre assemblée. Nous sommes en effet d'accord sur le fond mais divergeons sur les moyens. Depuis le début de ce débat, nous parlons de hiérarchie. Celle qui s'impose, c'est avant tout celle qui concerne la fin et les moyens. Modifier la directive est un moyen. Ne subordonnons pas les chances de succès sur le fond à la satisfaction d'avoir tenté de faire adopter par tous les parlements nationaux de l'Union la même résolution demandant la révision de la directive. Nous devrions pouvoir nous retrouver sur l'idée qu'un règlement d'interprétation et d'application de la directive est une voie praticable, rapide, sûre et qui n'expose pas notre système social.
Mobilisez votre énergie pour obtenir du PSE qu'il sollicite l'ensemble des parlements nationaux sur la mise en place d'un règlement : là, nous ferions oeuvre utile ! (Applaudissements à droite)
M. Richard Yung, auteur de la proposition de résolution. - Je regrette que sur une question aussi importante, nous n'ayons pas pu aller plus loin avec la majorité, qui s'est réfugiée dans le silence. Votre engagement est réel mais dans la voie de l'ultralibéralisme ou plutôt, pour ne pas employer des mots qui fâchent, dans la défense du capitalisme européen : à vos yeux, rien ne doit entraver l'activité des entreprises et s'il y avait par hasard des normes sociales contraignantes, il faudrait les restreindre.
Sur le fond, je pense qu'il s'agit d'une mauvaise action politique. L'idée européenne se heurte à l'opposition croissante des salariés. Ils assistent tous les jours au démantèlement des services publics. Votre vote ne donnera pas l'occasion de les réconcilier avec l'Europe.
M. Badré a dit que nous étions pessimistes. Nous avons des raisons de l'être : la politique sociale européenne a été progressivement démantelée ces dernières années et il n'y a plus rien sur l'agenda social européen. Les partenaires sociaux ne négocient plus rien.
Et puis, vous vous demandez pourquoi la France devrait intervenir sur ce dossier alors qu'elle n'est pas concernée au premier chef : mais nous nous faisons une certaine idée de la France ! Elle doit jouer un rôle moteur dans la partie sociale de la construction européenne. Elle a vocation à pousser ceux de ses partenaires qui sont bien plus réservés qu'elle.
Certes, l'entrée en vigueur de la charte constitue un grand progrès, mais un certain nombre de pays ne l'appliqueront pas...
M. Denis Badré, rapporteur pour avis. - C'est bien dommage !
M. Richard Yung, auteur de la proposition de résolution. - Il suffit donc de passer au Royaume-Uni pour y échapper, comme d'ailleurs pour la fiscalité...
Même quand les normes sociales sont affirmées, la Cour de justice de communautés européennes prend des décisions contraires. D'où notre pessimisme, mon cher collègue !
Vous nous dites que ce n'est pas le bon moment : cet argument est d'autant moins recevable que la nouvelle Commission se met en place et qu'elle doit élaborer son agenda social. En votant cette proposition de résolution, nous l'aurions pressée d'y inscrire cette question importante.
Enfin, nous aurions pu faire jouer la nouvelle responsabilité du Parlement européen vis-à-vis de la Commission.
Sur tous ces points, ce sera la soirée des dupes ! (Applaudissements à gauche ; M. Alain Gournac proteste)
A la demande du groupe socialiste, la proposition de résolution est mise aux voix par scrutin public.
Mme la présidente. - Voici les résultats du scrutin :
Nombre de votants | 335 |
Nombre de suffrages exprimés | 333 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 167 |
Pour l'adoption | 153 |
Contre | 180 |
Le Sénat n'a pas adopté.