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Vous pouvez également consulter le compte rendu intégral de cette séance.


Table des matières



Engagement de la France en Afghanistan

Commission mixte paritaire (Candidatures)

Numérisation du livre (Question orale avec débat)

Commission mixte paritaire (Nominations)

Imposition des revenus de source locale à Saint-Martin et à Saint-Barthélemy (Procédure accélérée)

Discussion générale commune

Discussion des articles de la loi organique relative à Saint-Martin

Article additionnel

Article premier

Article 2

Chapitre II Compétences du président du conseil territorial et du conseil exécutif

Article 3

Article 5

Article 6

Vote sur l'ensemble de la proposition de loi organique relative à Saint-Martin

Discussion des articles de la loi organique relative à Saint-Barthélemy

Article premier

Article 2

Vote sur l'ensemble de la proposition de loi organique relative à Saint-Barthélemy

Recherches sur la personne (Suite)

Discussion des articles (Suite)

Article premier (Suite)

Article 2

Article 3

Article additionnel

Article 4 quinquies

Article 4 sexies (nouveau)

Vote sur l'ensemble

Mise au point au sujet d'un vote




SÉANCE

du lundi 16 novembre 2009

27e séance de la session ordinaire 2009-2010

présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires : Mme Michelle Demessine, M. Jean-Noël Guérini.

La séance est ouverte à 14 h 30.

Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.

Engagement de la France en Afghanistan

M. le président.  - L'ordre du jour appelle un débat d'initiative sénatoriale sur notre engagement en Afghanistan.

Depuis 2001, près de 4 000 soldats français sont présents dans ce pays dans le cadre de la Force internationale d'assistance à la sécurité, la Fias, sous commandement de l'Otan.

Cette opération, décidée par le Président de la République, a été autorisée par notre Assemblée. Cet engagement suscite un certain nombre d'interrogations, dans notre pays comme chez nos alliés, et il était important que le Sénat ait un débat de fond sur les enjeux de notre présence en Afghanistan.

Afin de préparer ce débat, nous nous y sommes rendus, du 26 au 29 octobre. Avec les présidents Longuet, Bel et About, avec Mme Demessine, représentant la présidente du groupe CRC, et avec notre collègue Jacques Gautier, de la commission des affaires étrangères, nous sommes allés sur le terrain, à la rencontre des militaires français, dans les camps de Nijrab et de Tagab, dans la vallée de la Kapisa. Nous avons rencontré dans leur camp le Kandak 32, brigade de l'armée nationale afghane soutenue et formée par des militaires français.

Je crois me faire l'interprète de tous en exprimant ma reconnaissance pour nos forces armées. La mission de guerre contre-insurrectionnelle menée par nos forces aux côtés des forces afghanes, dans des conditions rudes, est éprouvante. Nous avons rencontré des hommes et des femmes bien préparés et bien équipés, dont le moral était élevé. Nous avons mesuré leur professionnalisme et leur sens du service de la France. Je forme des voeux pour la mission de nos gendarmes qui partent mener une opération de formation de la police afghane.

M. Jean-Louis Carrère.  - On a encore des gendarmes ?

M. le président.  - Depuis 2001, 36 de nos militaires ont perdu la vie en Afghanistan dont 29 tués au combat. Je m'incline devant leur mémoire et m'associe à la douleur de leur famille. Je pense également à tous ceux qui perdent la vie en Afghanistan : les militaires des autres contingents de la coalition et, bien sûr, la population afghane, qui paie un lourd tribut à ce conflit. Ces civils, hommes, femmes, enfants, sont les premières victimes d'une insurrection qui vise à instaurer un régime fondamentaliste, qui priverait les plus faibles, et en particulier les femmes, des droits les plus élémentaires, notamment l'éducation.

Je suis certain que ce déplacement va nous permettre d'aborder ce débat de façon très concrète, en ayant plus pleinement conscience des réalités complexes de notre engagement dans ce pays, aux côtés des forces afghanes.

La parole est tout d'abord aux deux orateurs des groupes qui ont demandé ce débat.

M. Jean-Pierre Bel, président du groupe socialiste.  - C'est avec émotion qu'au nom de tous, je veux rendre hommage aux soldats tombés depuis huit ans en Afghanistan. J'ai une pensée pour tous et en particulier pour ce jeune Ariégeois que j'ai accompagné une dernière fois dans ses montagnes natales. Je me dois également de saluer l'ensemble de nos forces armées présentes en Afghanistan, qui accomplissent leur mission avec courage et dévouement dans des circonstances souvent difficiles. Je mesure, moi aussi, le poids considérable de notre responsabilité : le sort, c'est-à-dire la vie de nos soldats, est en jeu. Notre récent passage sur les théâtres d'opérations nous a fait mesurer la difficulté et les dures conditions face à des adversaires déterminés évoluant sur leur terrain naturel. Le danger est partout et il ne cesse de croître.

Qui peut s'étonner que nous ayons voulu ce débat ? Chacun doit pouvoir évaluer la nature des missions confiées à nos soldats et notre stratégie. Je crois pouvoir dire qu'a dominé, chez tous les membres de notre délégation, un sentiment de perplexité. Beaucoup de doutes, d'interrogations sur les objectifs, la sécurisation du territoire, l'éradication du terrorisme, la construction d'un État de droit, l'aide au développement... N'est-il pas légitime, dans une démocratie, de se poser des questions essentielles ? Faut-il poursuivre l'effort engagé, le réorienter ou tout simplement l'arrêter ?

Au regard de ce que nous avons vu sur place, de l'idée que l'on se fait de notre pays, de nos engagements internationaux, mais surtout au regard de ce que les femmes et les hommes, en Afghanistan, dans leur grande majorité, attendent de nous, un désengagement immédiat et unilatéral n'aurait aucun sens. En revanche, la question du retrait est posée, et pas seulement pour la France. Comment ne le serait-elle pas après ce que nous avons vu d'une élection présidentielle décevante et alors qu'une seconde révision stratégique américaine, même si elle tarde à s'expliciter, est en préparation.

Nous avons senti cet embarras lorsque nous avons rencontré le général McChrystal. On se souvient du Vietnam : certaines tactiques opérationnelles peuvent entrer en contradiction avec la stratégie globale affichée... Nous avons tous dit que la victoire ne se mesurait pas au nombre de talibans tués, qui seront vite remplacés, mais par une progression de notre crédibilité auprès des populations concernées.

Face aux pressions constantes des responsables de l'Otan pour obtenir des renforts militaires, la position française apparaît attentiste et opaque. Au lendemain des attaques du 11 septembre 2001, l'envoi de troupes en Afghanistan a été décidé conjointement par le Président de la République Jacques Chirac et le gouvernement de Lionel Jospin, pour poursuivre des objectifs légitimes de sécurité collective, conformes aux intérêts de la France et inscrits dans le cadre d'un mandat de l'Onu. Au-delà de la lutte contre le terrorisme, l'intervention de la France au sein de la coalition visait à conforter un régime démocratique en Afghanistan, à soutenir le développement et l'amélioration des conditions de vie des habitants. Ces objectifs ne nous alignaient pas derrière les États-Unis sur la seule lutte contre les talibans, souvent au détriment des populations civiles qui perçoivent de plus en plus les forces de la coalition comme des troupes d'occupation. Le nombre de soldats de la force internationale morts au combat ne cesse, hélas, de s'accroître, comme celui des victimes civiles, dans des attentats comme dans les bombardements de la coalition internationale. Gardons-nous de glisser vers une guerre d'occupation qui n'aurait plus de limites de temps et d'objectifs.

L'élection présidentielle afghane, marquée par la confusion, l'insécurité, la fraude et la corruption, n'a apporté aucune réponse à la crise dans laquelle est plongé le pays. Ceci pose la question des objectifs de l'intervention internationale, de la stratégie et des méthodes utilisées, des conditions de participation de la France et des pays de l'Union européenne, ainsi que du calendrier et du terme fixés pour cette intervention. Nous l'avons bien senti dans nos discussions avec le Président Karzaï et avec son concurrent Abdullah Abdullah, la corruption et le trafic de drogue restent un véritable cancer dans la société afghane. La gouvernance est le problème crucial; le vide politico-administratif crée l'insécurité et favorise l'action des talibans et des seigneurs de la guerre. On aura beau former une armée afghane nombreuse, elle ne se battra pas pour soutenir un régime corrompu, inopérant et impopulaire. L'efficacité de l'aide internationale civile dépend aussi de ce facteur. Après huit ans sur place, les conditions de notre présence doivent être profondément réexaminées, les objectifs clarifiés et des perspectives fixées, Même aux Etats-Unis, on en arrive à reconnaître la nécessité d'une remise en cause et d'un débat au Congrès.

Aux États-Unis, en Grande-Bretagne, en Allemagne, les parlements s'emparent sans cesse de la question : pourquoi le parlement français constituerait-il une exception ? Le dernier débat avec vote sur la prolongation de l'intervention des forces armées en Afghanistan remonte à septembre 2008. Cela commence à dater... Redéfinir notre stratégie est d'une urgente nécessité.

Le Gouvernement s'en tient, sur la question, à un « ni-ni » sans fondement stratégique : ni augmentation nouvelle de troupes, ni retrait. Le transfert de l'ensemble du dispositif français de Kaboul vers le commandement Est, l'offensive menée en ce moment même n'apportent pas la lisibilité nécessaire. Nos objectifs et notre méthode doivent être clarifiés et définis, en lien avec les partenaires européens de la France dans la coalition internationale, ainsi qu'une stratégie et un processus de sortie progressive d'Afghanistan.

Notre critique, raisonnée et raisonnable, part d'un constat : la stratégie employée a échoué et, chemin faisant, nous avons perdu de vue les buts de la guerre et les objectifs politiques de l'intervention. Les forces françaises, qui se battent avec courage et abnégation, doivent avoir confiance et savoir qu'elles obéissent à une vision claire, bien définie dans l'espace et dans le temps, et démocratiquement acceptée par la représentation nationale. La France n'a pas vocation à rester en Afghanistan : elle est là pour permettre à l'État afghan d'assurer lui-même la sécurité et la stabilité.

Notre objectif central doit être l'accroissement et l'amélioration des forces de sécurité afghane et l'établissement d'un État légitime et stable. Les méthodes de formation, insuffisante, doivent être revues. On peut en convenir : l'effort militaire américain est de 2 milliards de dollars par semaine, un soldat américain en Afghanistan coûte 1 million de dollars par an mais 75 dollars par mois pour un soldat ou un policier afghan.

La sécurisation du territoire étant impossible sans le soutien de la population, la France doit sortir du tout militaire. Ce soutien passe par le développement des aides aux infrastructures, à la scolarisation ou à la santé, qui représentent aujourd'hui moins de 10 % des dépenses militaires. Cette priorité est indispensable.

J'aurais voulu faire des propositions mais le temps qui m'est imparti est déjà dépassé. Je voudrais donc exprimer le sentiment qui est le mien à l'issue de ce bref séjour en Afghanistan. Le silence lourd de l'avion que nous avons partagé avec 250 soldats n'exprimait pas la peur mais la gravité et l'incertitude. On reconnaît à la France une capacité propre pour sécuriser le territoire et être auprès des populations dans la construction de l'État de droit. Puisse ce débat y contribuer. Notre réussite est en effet à ce prix : à nous de ne pas décevoir. (Applaudissements sur les bancs socialistes ainsi qu'au centre et à droite)

Mme Michelle Demessine, pour le groupe CRC-SPG.  - Une dépêche est tombée à midi : deux roquettes venaient de frapper Tagar, ce village où nous étions pendant notre séjour, et où des notables étaient réunis avec des responsables de l'armée française : 4 morts, 30 blessé, tous Afghans ! Voilà qui pose de nouveau la question des buts précis de l'opération menée sous la bannière de l'Otan et qui a tué1 400 soldats, dont 36 Français.

Comme leurs collègues socialistes, les sénateurs CRC-SPG ont demandé au Premier ministre que le Gouvernement vienne de nouveau devant le Parlement exposer sa politique et présenter les mesures à prendre. Arguant de façon spécieuse de l'article 35 de la Constitution, il a refusé au motif qu'un vote avait déjà eu lieu il y a un an. Je remercie le président Larcher d'avoir malgré tout inscrit ce débat à notre ordre du jour mais je regrette que nous ne puissions nous prononcer par un vote.

Le président du Sénat avait souhaité se rendre sur place avec une délégation représentative. J'ai donc pu mesurer de visu la gravité et la dégradation de la situation. Cela m'a confirmé dans l'opinion que j'avais de l'inadaptation de la mission confiée à l'Otan.

Je salue avec sincérité le professionnalisme et la volonté inébranlable de nos soldats. J'ai pu en faire concrètement l'expérience sur les bases avancées du 3e Rima ainsi qu'avec ceux qui ont assuré la protection de notre délégation.

Il ne devait pas y avoir de morts, disait-on en 2001 d'une opération qui est rapidement devenue une guerre anti-insurrectionnelle, de plus en plus incomprise, de plus en plus meurtrière. Pour qui et contre qui nos troupes se battent-elles ? Ce qui pouvait être relativement clair commence à se brouiller. Certes, on a construit 14 000 kilomètres de routes, scolarisé 6 millions d'enfants, dont les petites filles, et assuré à 80 % de la population l'accès aux soins de base mais les besoins restent immenses. La réalité est que la coalition a failli dans sa mission de reconstruction de l'État, que les dernières élections ont été une mascarade, que les fraudes ont été massives et que le président Karzaï apparaît comme la marionnette de l'Occident, que la corruption gangrène tous les échelons du pouvoir afghan. Le bilan de cette guerre est effroyable : 2 118 civils ont été tués en 2008, dont 800 du fait des forces pro-gouvernementales. En cherchant à tuer des talibans, les forces de l'Otan n'épargnent pas les civils et violent les droits de l'homme : elles sont perçues comme une armée d'occupation. Cette stratégie a contribué à aggraver le sentiment d'hostilité vis-à-vis de l'Occident.

Nous menons une guerre meurtrière aux objectifs flous. Les insurgés sont aux portes de Kaboul, ils dominent dans le sud et menacent le nord. La nouvelle stratégie américaine, « gagner les coeurs et les esprits », c'est-à-dire la confiance de la population mais à la condition d'un renfort de 40 000 soldats, n'est pas de nature à inverser le cours des choses. La confusion des genres dans laquelle nous nous inscrivons rappellera aux plus anciens les sections administratives spéciales en Algérie.

J'ai rencontré des ONG à Paris et je souhaiterais qu'elles puissent être reçues par la commission afin que tous les sénateurs soient informés. (M. Josselin de Rohan manifeste son désaccord) Elles ont dit leurs inquiétudes, voire leurs critiques d'une aide qui ne répond pas aux attentes mais est subordonnée à des objectifs stratégiques. Nous consacrons dix fois plus aux programmes militaires qu'aux actions humanitaires ou de développement. Certaines ONG craignent que leurs activités soient confondues avec celles de l'Otan, dont l'image décrédibilise les efforts de reconstruction et de démocratisation. En nourrissant la corruption, cette stratégie apporte un soutien inespéré aux insurgés.

La nouvelle stratégie de la force d'intervention repose sur trois piliers : les résultats ne sont pas au rendez-vous pour la gouvernance ; j'ai évoqué le développement et l'afghanisation de la sécurité suscite un immense scepticisme. Les forces de sécurité afghane représentent 90 000 soldats et 80 000 policiers ; le général McChrystal vise 400 000 hommes pour assurer la sécurité. Notre délégation s'est enquise de la faisabilité d'un tel projet. Suivant la lettre mensuelle du nouvel institut de stratégie de l'École militaire, le bilan de ce programme est très décevant car 34 % désertent faute de solde ou de motivation, en raison de conflits ethniques ou en raison des techniques de combat. Et l'auteur d'évoquer une spirale vietnamienne !

La création d'un État-nation est en panne ; une politique de réconciliation nationale est encore loin de voir le jour ; les choses n'avancent plus en matière de santé et d'éducation ; les droits des femmes afghanes sont pratiquement inexistants. Si nous sommes frappés par l'absence de vision à long terme, l'indécision du Gouvernement s'explique par la perte d'autonomie stratégique depuis la réintégration sans contrepartie du commandement militaire de l'Otan. Vous semblez donc suspendu aux mesures que doit annoncer le Président Obama, qui a bien du mal, lui-même, à mener la « débushisation ».

Le pays attend des réponses claires et précises. Exposez-nous vos solutions pour sortir de l'impasse. Si la stratégie globale de l'Otan est erronée et inefficace, il ne s'agit plus de l'adapter mais bien d'en changer. Il n'y a pas de solution militaire et la seule issue sera politique. Nous ne pouvons quitter le pays sans avoir rétabli la sécurité et sans que les Afghans aient retrouvé la maîtrise de leur destin et des conditions de vie décentes. La condition d'un État viable et les bases d'un développement économique constituent des préalables. Nous devons clairement affirmer des objectifs de paix dans lesquels s'inscrira le retrait de nos troupes.

Le retour à la sécurité dépend d'un effort national et international mais on ne saurait traiter cette question en dehors du contexte régional et international. Il faut redonner à l'ONU tout son rôle en lui faisant reprendre le mandat confié à l'Otan. Membre permanent du conseil de sécurité, la France doit prendre l'initiative d'une conférence régionale pour définir les conditions d'une paix négociée et durable en Afghanistan. Réunissant toutes les composantes de ce peuple, elle associerait l'Iran et le Pakistan, ses voisins immédiats, ainsi que l'Inde, la Chine, la Russie et la Turquie.

Elle pourrait être parrainée par des représentants des États-Unis et de l'Union européenne.

M. le président.  - Votre temps de parole est épuisé.

Mme Michelle Demessine, pour le groupe CRC-SPG.  - Ses conclusions, garanties par le Conseil de sécurité, serviraient de base à un nouveau mandat, dont l'application serait confiée à des forces internationales, sous le drapeau des Nations unies, qui prendraient le relais de l'Otan. Ce n'est pas une organisation militaire qui peut apporter une solution politique !

M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes.  - L'Otan a un mandat de l'ONU !

Mme Michelle Demessine, pour le groupe CRC-SPG.  - Non, monsieur le ministre, ce n'est pas une organisation militaire qui peut apporter une solution politique. Il faut mettre un terme à cette intervention militaire pour sortir de l'impasse. (Applaudissements à gauche)

M. Josselin de Rohan.  - A chaque fois qu'un soldat tombe en Afghanistan, on s'interroge : pourquoi sommes-nous en Afghanistan ? Pour quels objectifs ? Pour combien de temps ? Quelle est l'issue du conflit ?

Nous nous heurtons aux réalités. Tout d'abord, une situation sécuritaire dégradée. Selon le général McCrystal, commandant la Fias, « la menace a crû régulièrement et subtilement, non compensée par une riposte équivalente ». L'insurrection contrôle des zones entières dans l'ouest, le sud et l'est. Les attentats à Kaboul se sont multipliés, les pertes se sont accrues. Un expert, qui a contribué au rapport McCrystal, dénonce une « gabegie dysfonctionnelle centrée sur Kaboul et handicapée par des visions bureaucratiques auxquelles s'ajoutent la corruption afghane, les tensions entre membres de l'Otan et la Fias et les caveat des États membres. »

L'État afghan peine à se construire. Les seigneurs de la guerre ont conservé tous leurs pouvoirs, les talibans créé des contre-pouvoirs. La corruption de la police est notoire, les trafiquants de drogue sont présents dans les plus hautes instances de l'État, et l'Afghanistan produit 90 % de l'opium mondial. L'autorité morale du Président a été affectée par la fraude massive qui a entaché l'élection présidentielle. Enfin, l'aide au développement a souvent été mal employée ou détournée de ses fins...

La coalition a réaffirmé ses objectifs lors du sommet de Bucarest en avril 2008 : « Que l'extrémisme et le terrorisme ne constituent plus une menace pour la stabilité, que les forces de sécurité nationales afghanes puissent faire bénéficier tous ses citoyens dans l'ensemble du pays de la bonne gouvernance de la reconstruction et du développement ». Fondée sur les principes de la contre-insurrection, la stratégie préconisée par le général McCrystal vise à rétablir la confiance des Afghans dans leurs dirigeants et met l'accent sur les actions de développement et sur le partenariat avec l'armée nationale afghane. Les troupes françaises sur le terrain l'ont anticipée, avec de bons résultats. (M. le ministre des affaires étrangères le confirme) Cette stratégie, la mieux adaptée aux circonstances, implique sans doute des renforts en hommes et un minimum de durée pour que son efficacité puisse être mesurée. M. Kilcullen, expert du contre-terrorisme et de la contre-insurrection, redoute un compromis mou, guère efficace en termes de stratégie : « Ou bien on y va, ou bien on n'y va pas ». Lourde décision que celle du Président Obama d'envoyer ou non des renforts en Afghanistan.

Cette stratégie suppose aussi un réaménagement du commandement. L'état-major de la Fias sera chargé des relations latérales avec les organisations internationales, le commandement afghan, les Nations contributives et les autorités américaines ; un second état-major, de la planification et de la conduite des opérations militaires. On attend de cette réforme une meilleure coordination et une plus grande efficacité.

L'essentiel est que la population afghane soutienne l'action de son gouvernement. La tâche est immense. (M. Jean-Louis Carrère approuve) Nous n'attendons pas du Président Karzaï qu'il institue une république jeffersonienne à l'occidentale mais une forme de gouvernement qui réalise le consensus, par exemple en installant une nouvelle « Loya Jirga ». Il lui faut également bâtir une administration efficace et compétente et s'attaquer réellement à la corruption des agents publics et au trafic de drogue. A cet égard, l'action du représentant des Nations unies en matière de gouvernance doit être confortée et renforcée.

Il faut améliorer la coordination de la mission d'assistance des Nations unies, de la Fias et de l'Union européenne. En matière d'aide au développement et de formation des civils et des militaires afghans, il faut mettre fin à l'empilement des structures et à la concurrence des actions. La supervision des actions civiles pourrait incomber à l'ONU et la formation des militaires à l'Otan. Il ne s'agit pas d'exercer un protectorat en Afghanistan mais de veiller à ce que les aides soient dépensées à bon escient, au profit de la population afghane.

Mme Nathalie Goulet.  - Très bien.

M. Josselin de Rohan.  - Le 13 novembre dernier, le ministre des affaires étrangères a évoqué une stratégie européenne et regretté que les pays européens, qui ont engagé 30 000 hommes, en soient réduits à attendre la décision américaine.

M. Bernard Kouchner, ministre.  - C'est exact.

M. Josselin de Rohan.  - Mais une stratégie commune suppose des règles d'engagement communes, or celles du contingent allemand, par exemple, diffèrent des nôtres... Le plan d'action pour l'Afghanistan et le Pakistan, adopté par le Conseil européen du 27 octobre, reste fort vague, et surtout révélateur de nos indécisions et de nos divergences. Comment être crédibles quand la mission Eupol chargée de former la police afghane cherche toujours des volontaires et ne compte que 236 personnes sur les 400 promises pour 2008 ?

Enfin, la reconquête par le Pakistan de son autorité sur les provinces du nord-ouest doit être encouragée et soutenue. Tant que les insurgés afghans et les chefs d'Al-Qaïda trouveront refuge, armes et appui au Waziristân ou dans d'autres portions du territoire pakistanais, l'insurrection ne prendra jamais fin. Le combat de l'armée pakistanaise contre les talibans doit être poursuivi jusqu'à l'élimination définitive d'Al-Qaïda et de ses complices. L'Inde doit garantir au Pakistan qu'elle n'exercera pas de pression sur ses frontières, afin de lui permettre de se consacrer à son offensive à l'ouest. Notre diplomatie pourrait s'employer à favoriser la reprise du dialogue entre ces deux pays.

M. Jean-Louis Carrère.  - Nous sommes d'accord.

M. Josselin de Rohan.  - Les autorités pakistanaises nous demandent des armements destinés à combattre le terrorisme. Répondons à cet appel, en veillant à ce qu'ils ne soient pas détournés de leur destination.

Nos interlocuteurs indiens, russes ou chinois ont souligné combien notre présence et celle de nos alliés américains étaient indispensables en Afghanistan pour éviter que le pays ne retombe sous l'influence des djihadistes et des terroristes. Ces exhortations contrastent avec leur absence d'engagement...

Notre départ ne replongerait pas seulement l'Afghanistan dans l'univers rétrograde et barbare des islamistes, il permettrait la reconstitution de son sanctuaire par la centrale du crime qu'est Al-Qaïda. Confortés par leur victoire, les djihadistes disposeraient de relais et de complices qui déstabiliseraient les États voisins. Qu'adviendrait-il si le Pakistan, puissance atomique, tombait aux mains des extrémistes ?

Si nous devons continuer la guerre, nous ne pouvons la mener seuls. Ce combat est celui de l'ensemble de la communauté internationale ; il ne doit pas être présenté comme le combat des occidentaux contre les orientaux, des « infidèles » contre l'Islam.

La lutte contre le terrorisme et le fondamentalisme est l'affaire de tous. Le trafic de l'opium a créé des narco-États en Asie centrale et accru la consommation d'héroïne en Iran, en Russie et en Chine. La conférence internationale sur l'Afghanistan, demandée par la France et le Royaume-Uni, doit être l'occasion d'impliquer davantage les voisins de l'Afghanistan, mais aussi la Russie et l'Inde. Seule une coopération entre toutes les parties, l'Iran compris, peut mettre un terme aux trafics d'opium ou d'armes. Les pays riverains pourraient s'engager à garantir la neutralité et l'indépendance d'un Afghanistan décentralisé, stabilisé et réunifié, et à oeuvrer en commun contre le terrorisme et le djihadisme. Si les pays les plus proches de l'Afghanistan ne s'impliquent pas davantage contre l'ennemi commun, ils risquent de voir la lassitude gagner ceux qui, depuis huit ans, supportent le poids de la guerre. Les talibans le savent et misent sur notre découragement.

Le président du Sénat et la délégation qui l'accompagnait, tout comme la mission de la commission des affaires étrangères, ont été impressionnés par l'ardeur, le courage et la compétence dont nos troupes font preuve, dans un environnement particulièrement difficile.

Nous pensons particulièrement à ceux qui sont morts cet été, victimes de leur devoir, et nous nous inclinons devant la peine de leurs familles. Rien ne serait plus outrageant que leur sacrifice fût vain. Ils sont morts pour que les terroristes d'Al-Qaïda ne trouvent pas de refuge, pour que les Afghans vivent dans l'indépendance et la paix, pour qu'ils puissent accéder aux soins, à l'instruction, à la culture et à la libre expression de leurs opinions. Tel est le sens qu'ils donnent à leur action quotidienne, telle est la raison pour laquelle ils méritent notre gratitude et notre admiration. J'ai trouvé particulièrement indigne le titre d'un journal de ce matin : « Afghanistan, l'honneur perdu de la France ». (L'orateur brandit un exemplaire de Libération) Non, l'honneur de la France n'est pas perdu ! Nos soldats, ce sont ceux que Clémenceau appelait les soldats de l'idéal. (Applaudissements à droite et sur plusieurs bancs au centre ; M. Aymeri de Montesquiou applaudit aussi)

M. Nicolas About.  - Tout n'a pas commencé le 11 septembre 2001. Pays plus grand que la France, enclavé au carrefour des civilisations persane, turque, arabe, indienne, chinoise et russe, l'Afghanistan a toujours été convoité mais cette forteresse naturelle a toujours résisté, Tous, d'Alexandre le Grand aux Soviétiques, en ont fait l'expérience. La coalition y est aujourd'hui confrontée.

Rappelons d'abord quelques dates. A la fin des années 60, la famine et ses 100 000 morts, l'apparition de groupes révolutionnaires communistes et islamistes sonnent le glas de la monarchie et font le lit des coups d'État d'avril 1978 et de décembre 1979, puis de l'entrée des troupes soviétiques venues, selon les déclarations officielles, soutenir le gouvernement de Kaboul dans sa lutte contre les moudjahidines. Le déclin du pouvoir soviétique, l'arrivée de Ronald Reagan, l'aide militaire et financière de la CIA aux groupes fondamentalistes et l'aide pakistanaise modifient les données du conflit. Des centaines de milliers d'Afghans se réfugient au Pakistan et en Iran. Leurs enfants sont pris en main par les islamistes dans les madrasas, où on leur enseigne le Coran et la fabrication des bombes. Après dix ans de guerre, 25 000 morts et 50 000 blessés, les 118 000 soldats soviétiques se retirent en 1989. La guerre civile se poursuit jusqu'en avril 1992, date de la prise de Kaboul par une coalition soutenue par le Pakistan et les États-Unis.

Un nouveau mouvement armé est fondé au mois d'août 1994 par le mollah Omar ; financés par l'Arabie Saoudite, soutenus par les services secrets et l'armée pakistanaise, les talibans reprennent Kaboul en septembre 1996 aux troupes du commandant Massoud et contrôlent les deux tiers du pays. Leur pouvoir reste fragile en raison de l'opposition armée dirigée par Massoud jusqu'au 9 septembre 2001, date de son assassinat. Ce n'est que le surlendemain, le 11 septembre 2001, qu'ont lieu les attentats à New York et à Washington.

Quel lien existe entre ce pays martyrisé, dirigé par des extrémistes et ces attentats ? Le gouvernement américain accuse aussitôt l'Afghanistan et son protégé Oussama ben Laden. Le 7 octobre 2001, les bombardements commencent sur l'Afghanistan, faisant, entre cette date et le 10 décembre, 3 767 morts civils et 10 000 tués militaires afghans. Le premier objectif des Américains, punir et chasser les talibans, est vite atteint et le pouvoir est confié le 22 décembre 2001 à Hamid Karzaï. L'incapacité des Américains à installer un pouvoir stable à Kaboul, la haine naturelle de l'occupation étrangère ont cependant permis aux talibans de revenir rapidement sur le devant de la scène ; ils seraient déjà revenus à Kaboul si la capitale n'était pas défendue par la coalition occidentale.

Pour sortir de la guerre qui vise à instaurer en permanence un équilibre entre les pouvoirs locaux et entre ceux-ci et le pouvoir central, il faudrait inventer un nouvel espace de solidarité. S'appuyer sur les tribus et les ethnies ? Jouer le jeu ethnique serait s'interdire toute stratégie nationale. Cette guerre interminable suppose un État central suffisamment fort pour préserver le lieu du pouvoir de la convoitise des groupes en conflits, mais aussi suffisamment faible pour laisser les groupes gérer leurs rivalités...

Que sommes-nous donc venus faire dans cette galère ? Je ne pense pas que nous participions à la lutte de l'Occident contre le terrorisme -nous serions, sinon, aussi en guerre avec ceux qui le financent... La base afghane n'a joué qu'un rôle accessoire dans l'attentat du 11 septembre préparé en Occident par des éléments occidentalisés. La coordination policière explique bien mieux le reflux du terrorisme que d'obscurs combats dans les vallées du Panchir. Comme l'évoque Roland Hureaux, « le problème majeur n'est pas le risque d'un Afghanistan islamiste mais bien la situation fragile du Pakistan, pays très peuplé, à la gouvernance catastrophique, travaillé par les intégrismes, disposant de l'arme nucléaire et pourtant protégé par les États-Unis ».

Hier comme aujourd'hui, obtenir une victoire militaire durable n'a aucun sens en Afghanistan. Les 12 742 tonnes de bombes larguées sur le pays entre 2001 et avril 2009 n'ont rien réglé. Les résultats obtenus par les 64 500 soldats venant de 42 pays et 16 000 policiers et militaires afghans ne sont guère encourageants. Certes, nos soldats apprennent vite et bien et notre armée profite de son engagement pour maintenir son haut niveau de performance. Dans l'esprit de la résolution 1378 de l'ONU, nous nous sommes engagés à mettre en place un gouvernement afghan légitime et une administration efficace, dont l'armée et la police.

La Force internationale d'assistance et de sécurité estime que la stabilité de l'Afghanistan impose un engagement à long terme, la prise en charge de la sécurité des populations, la coordination des efforts militaires et civils et une coopération régionale impliquant tous les États voisins. Les deux premières conditions sont acceptées par tous ; mais les opinions nationales des 42 pays engagés commencent à douter. Et une coopération régionale durable, au vu des situations pakistanaise et iranienne, semble bien improbable. Le général de Gaulle avait raison de dire que « les États n'ont pas d'amis ; ils n'ont que des intérêts » ... Mais il n'est pas nécessaire d'espérer pour entreprendre. Tout doit être tenté en ce sens.

Que faire ? Un proverbe afghan dit : « Si la chance est avec toi, pourquoi te hâter ? Si la chance est contre toi, pourquoi te hâter ? ». Hâtons nous, lentement mais sûrement, et mettons la chance de notre côté. Cette guerre montre la faiblesse des États-Unis et les limites de l'Otan qui fait les mêmes erreurs que les Soviétiques ; elle marque surtout cruellement l'absence totale de politique européenne de sécurité et de défense (PESD). Certains contingents européens sont paralysés par les restrictions que leur imposent leur gouvernement, leur parlement ou leur constitution. Les Britanniques ont une vision trop « grand large » de l'Europe et de la PESD. Et la méfiance des États-Unis persiste à l'égard de ceux de leurs alliés qui n'appartiennent pas à la « bande des quatre ». Ces réticences font naître chez certains des alliés la crainte d'être un jour abandonnés comme au Liban.

Cette guerre montre enfin l'insuffisance préoccupante de la coopération militaire et civile. Les diplomates suivent les opérations financées par leur pays et ne rendent compte qu'à leur gouvernement ; les ONG refusent de collaborer avec les militaires mais ne peuvent opérer que sous leur protection ; les militaires ne sont acceptés par les populations que si leur présence débouche rapidement sur des réalisations concrètes.

Faut-il envoyer plus de soldats français en Afghanistan, comme le réclame le général McChrystal ? Non, a répondu le Président de la République, et il a politiquement raison. Il est pourtant humainement et matériellement impossible d'atteindre les objectifs fixés avec 70 000 hommes. Les Soviétiques alignaient 118 000 soldats et ne contrôlaient que 20 % du territoire afghan... Et nous sommes encore loin d'avoir mis en place les nouvelles armée et police afghanes, les 400 000 hommes que souhaite le général McChrystal. Chaque jour, l'adage « un Afghan ne se vend pas, il se loue » complique le recrutement et la fidélisation des militaires et des policiers afghans. Les talibans paient trois fois plus cher ceux d'entre eux qui les rejoignent.

Comment, sans effectifs supplémentaires, former la future armée et la future administration, sécuriser les villes et les moyens de communication, soutenir les réalisations dans les villes et villages et permettre aux ONG de poursuivre leurs missions ? Ce défi n'est pas impossible à relever, au moins pendant un certain temps, si on externalise les missions d'accompagnement et de soutien aux contingents militaires -intendance, maintenance et réparation, nettoyage des installations, logistique, voire certains travaux informatiques. Les Américains, les Canadiens et les Britanniques en font un usage important et confie à des sociétés privées la réalisation d'ouvrages spéciaux, la formation et le renseignement, voire des opérations militaires... Si la France adopte cette solution, il nous faudra interdire la participation de ces sociétés à de telles opérations.

M. Nicolas About.  - Nous pourrions également faire appel à nos réservistes.

Nous avons encore un rôle à jouer en Afghanistan. Notre action doit s'inscrire dans un projet européen. Nos missions, qui ne peuvent réussir qu'avec le soutien -ou au moins la neutralité bienveillante des Afghans-, doivent s'inscrire dans le cadre d'un accord régional élargi. Nous devons enfin intégrer au projet de la coalition le rôle incontournable des autorités et chefs de guerre locaux, talibans compris, sans lesquels aucune administration afghane ne peut être sérieusement envisagée.

La vraie victoire de la coalition et de nos soldats sera le retour de la paix civile dans un pays reconstruit et administré par les Afghans eux-mêmes. Nos soldats ne sont pas là pour gagner une guerre mais pour construire les conditions de la paix. L'échec de la coalition ne serait pas celui de nos soldats mais celui des politiques européens, occidentaux et régionaux. En attendant cette paix respectueuse du droit des Afghans et des droits de l'homme, notre gouvernement doit maintenir l'effort exceptionnel de ces deux dernières années, qui est salué par tous sur le terrain. La France ne doit pas oublier ses soldats, dont le comportement est exemplaire.

Je m'incline devant tous ceux qui sont tombés, hier encore, pour servir la France et ses valeurs. Que leurs familles trouvent dans ces quelques mots l'expression de notre reconnaissance et de notre sympathie. Le coeur de nos soldats était pur, leur combat était juste. La mort de chacun d'entre eux porte une exigence de paix. Puissent les dirigeants du monde être à la hauteur de leur sacrifice. (Applaudissements au centre et à droite)

M. Jean-Pierre Chevènement.  - Monsieur le ministre des affaires étrangères, vous avez déclaré au Monde : « Nous en sommes encore à attendre la décision du Président Obama sur sa stratégie. On ne va pas s'opposer aux Américains en Afghanistan. Mais pour discuter, nous avons besoin d'une stratégie européenne ». On ne peut avouer plus crûment son absence de stratégie. (Rires sur les bancs CRC) Vous avez ajouté : « Nous préparons un papier à ce sujet, avec des partenaires européens très engagés en Afghanistan ». Vous vous retranchez derrière une Europe de papier ! « S'il y a un haut représentant fort, nous, les ministres des affaires étrangères, nous aurons moins d'importance. C'est comme ça. Il faut croire à l'Europe ».

M. Bernard Kouchner, ministre.  - S'il vous plaît.

M. Jean-Pierre Chevènement.  - Si vous n'avez déjà plus d'importance, pourquoi organiser ce débat ? Je m'étonne qu'un gouvernement dont le ministre des affaires étrangères revendique son effacement veuille nous parler de l'identité nationale de la France et de son indépendance, ravalée au rang des accessoires par le mini-traité de Lisbonne.

Faisons un rêve. Vous êtes resté le ministre des affaires étrangères de la France. Vous et le Président de la République devez faire connaître la position de la France avant même que Barack Obama ait pris sa décision. Les buts politiques de l'intervention de l'Otan n'étant pas clairement définis, il n'est pas opportun d'appuyer les demandes de renfort exprimées par le général McChrystal. Les raisons qui justifiaient l'intervention en 2001 ont évolué vers la construction d'un État démocratique, mais cette tâche est aujourd'hui hors de portée. On ne peut occulter l'effet de pollution exercé sur le conflit afghan par l'invasion de l'Irak en 2003. (Mme Nathalie Goulet approuve) Le temps perdu ne se rattrape pas. Il n'est pas possible d'exporter la démocratie vers un pays aussi différent des pays occidentaux que l'Afghanistan.

L'élection d'un nouveau président américain et la rupture que celui-ci souhaite opérer dans les relations avec les pays musulmans autorisent une réévaluation de la situation. La Force internationale d'assistance à la sécurité (Fias) ne peut envisager de s'installer durablement en Afghanistan. Sept ans après son accession au pouvoir, le Président Karzaï ne dispose plus d'une légitimité suffisante. La restauration de l'État afghan est le préalable de tout, comme l'a expliqué Josselin de Rohan. L'intervention militaire doit se conclure par un retrait.

Afin de redéfinir les objectifs de la présence militaire de l'Otan, il faut prévoir le rejet par la révolte nationale pachtoune du terrorisme d'Al-Qaïda, la constitution d'un gouvernement d'union nationale conformément à la tradition du pays et la neutralisation de l'Afghanistan dans le cadre d'une conférence internationale. C'est seulement en attendant que ces conditions soient réunies qu'il est légitime de maintenir une pression militaire.

La définition des objectifs politiques ne doit pas être laissée aux militaires, qui demandent toujours des renforts. Il faut que l'Otan opte pour une stratégie soutenable à long terme que l'opinion publique peut approuver et non affaiblir. Aucune stratégie ne peut faire l'économie de la coopération active du Pakistan. Pour cela, il faut rechercher la normalisation des rapports indo-pakistanais et sino-indiens. Les pays voisins doivent aider à la restauration de la paix en Afghanistan.

Voilà, monsieur le ministre, la voix que la France devrait faire entendre au Président Obama. La présence de 3 500 soldats français, auxquels je rends hommage pour leur courage et leur stoïcisme, vous oblige à prendre une position raisonnée. Si Nicolas Sarkozy sait l'exprimer avec force, elle sera entendue. Ne vous réfugiez pas derrière un papier européen dont les Américains ne tiendront aucun compte. Faites entendre la voix de la France ! (Applaudissements sur de nombreux bancs à gauche et sur la plupart des bancs au centre et à droite)

Mme Nathalie Goulet.  - Très bien !

M. Jacques Gautier.  - Au travers des médias, nos concitoyens suivent l'évolution de la situation en Afghanistan et l'engagement de nos soldats dans un environnement difficile. Les deux déplacements organisés par le président du Sénat et le président de Rohan, ainsi que ce débat, nous aident à dépasser cette vision parfois réductrice.

Après plus de dix ans d'invasion soviétique, l'Afghanistan a connu la chape de plomb du régime taliban et s'est transformée en base arrière d'Al-Qaïda. Après les attentats du 11 septembre 2001, les États-Unis sont intervenus militairement pour chasser les talibans de Kaboul et traquer les groupes terroristes. Une Force internationale d'assistance et de sécurité (Fias) a été mandatée par une résolution du conseil de sécurité des Nations unies pour stabiliser le pays et créer les conditions d'une paix durable.

Aujourd'hui, si des progrès ont été accomplis en matière d'infrastructures, de développement économique, d'éducation, de santé et d'institutions, on constate l'échec de la stratégie passée et l'inadaptation du modèle occidental à ce pays. Quatre raisons majeures expliquent cette situation : un effort sécuritaire insuffisant et inadapté, une aide internationale sans stratégie claire et sans responsable désigné par l'ONU, une reconstruction de l'appareil d'État peu prioritaire et une dimension régionale sous-estimée.

Afin de tirer les conséquences de ces erreurs, le sommet de Bucarest de 2008 a arrêté quatre principes majeurs : maintenir un engagement dans la durée, soutenir les autorités afghanes, adopter une approche globale internationale tant militaire que civile et accroître la coopération régionale. Le rapport du général McChrystal va dans le même sens, même si on en retient souvent la seule demande de renforts. Son volet civilo-militaire est déjà décliné par le contingent français, qui vient de laisser le commandement de la région de Kaboul à l'autorité militaire afghane.

Le dispositif militaire français est divers et évolutif : 450 militaires de l'armée de l'armée de l'air à Kandahar et à Douchembe ; une centaine de personnels de la mission Héraclès-mer ; 3 100 soldats dans la région de Kaboul, puis progressivement dans celles de Kapisa et Surobi. Pendant que l'armée nationale afghane passait de 3 000 hommes en 2002 à près de 96 000 aujourd'hui, nous avons formé 6 000 cadres militaires et 3 000 commandos, et nous dispensons actuellement à 4 700 soldats afghans une formation de deux mois.

M. Jean-Louis Carrère.  - Combien sont passés aux talibans ?

M. Jacques Gautier.  - Plus de 300 officiers et sous-officiers français conseillent les unités afghanes au sein des operational mentorig and liaison team (OMLT). Cinq groupes civilo-militaires (Cimic) réalisent des mini programmes de reconstruction.

Lors de notre déplacement, nous avons rencontré des soldats français, notamment dans les bases de Kapisa. Je m'associe à l'hommage rendu sur place par le président Larcher et les présidents de nos groupes politiques à ces hommes et ces femmes conscients de l'importance de leur mission au service de la France. Avant la projection en Afghanistan, ils ont bénéficié d'une préparation de six mois au combat et à la situation sur le terrain.

Après un durcissement des combats durant l'été 2008 et la généralisation des mines artisanales IED par les talibans -qui ont causé 75 % des pertes alliées-, il a fallu faire évoluer les équipements et les matériels grâce à des crédits importants d'urgences opérationnelles -« crash programme »- de 108 millions d'euros en 2008 et 180 millions en 2009. Je remercie le ministère de la défense d'avoir envoyé en outre trois hélicoptères Tigre, un Caracal et huit canons César.

Les missions « en tache d'huile » sont menées avec le 32e bataillon de l'armée afghane. Elles permettent, après sécurisation d'un village ou d'une zone, de réunir les notables et de rencontrer les sages - les maleks- afin de déterminer les travaux à réaliser d'urgence et d'engager immédiatement ces actions aves les villageois. En Kapisa et en Surobi, un lien étroit s'est établi entre nos troupes et les soldats afghans d'une part, et la population locale de l'autre.

J'en donnerai deux exemples : dans les zones que nous occupons, le taux de participation au premier tour des élections présidentielles a été plus élevé que la moyenne ; et sur les 24 derniers IED neutralisés, 16 avaient été signalés par les habitants eux-mêmes.

La population afghane aspire à la paix après trente années de guerre.

M. Jean-Louis Carrère.  - Alors allons-nous en !

M. Jacques Gautier.  - L'opinion publique en France ou en Grande-Bretagne se pose toujours la question du retrait. Depuis 2002, 1 300 soldats de la coalition ont été tués, dont 36 Français. Je salue leur mémoire. Les forces alliées comptent 76 000 hommes, dont 3 694 Français. Les moyens militaires sont conséquents, les matériels d'un haut niveau de technique. Mais le nombre de soldats pour 1 000 habitants n'est que de 12, contre 29 en Irak, et n'atteindrait que 18 si les renforts demandés étaient accordés.

En face, l'insurrection rassemble entre 30 000 et 50 000 hommes, dispersés et aux motivations diverses, religieuse, tribale, politique, ou mafieuse. Les insurgés savent qu'ils ne peuvent gagner militairement...

M. Jean-Louis Carrère.  - Et nous ?

M. Jacques Gautier.  - ...mais par des attentats, des attaques suicides, des embuscades ciblées, ils cherchent à atteindre les opinions publiques pour qu'elles fassent pression sur leurs gouvernements. Un désengagement à court terme est inenvisageable : il serait une défaite médiatique pour l'ONU et l'Otan avec des conséquences sur les crises à venir. Et l'Afghanistan reviendrait à la situation d'avant 2002, dominé par les talibans et servant de refuge à Al-Qaïda. L'obscurantisme l'emporterait et les droits de l'homme, de la femme surtout, seraient à nouveau bafoués. La région connaîtrait une instabilité accrue. Les voisins de l'Afghanistan, la Chine, la Russie, l'Inde souhaitent un maintien de la présence occidentale dans la durée.

A l'initiative de la France, de la Grande-Bretagne et de l'Allemagne, une conférence internationale devrait se réunir dans quelques mois, peut-être à Kaboul, pour poser les grands principes de l'engagement des alliés et du gouvernement afghan. Après le sommet de Bucarest et le rapport du général McChrystal, il faut être ferme sur certains principes et certains objectifs : promouvoir un gouvernement renouvelé et d'ouverture...

Mme Michelle Demessine.  - Cela a échoué.

M. Jacques Gautier.  - ...et renforcer l'effort contre la corruption et contre la culture du pavot -la révocation de certains gouverneurs, symboles de corruption, s'impose. Développons et consolidons l'armée et la police afghanes, par une politique de recrutement et de fidélisation -les soldes doivent être revalorisées car un policier gagne 100 euros par mois et un taliban, 300. Je me félicite que 150 gendarmes français aient été envoyés sur place pour une mission de formation et d'encadrement. Concentrons les efforts de sécurité dans les zones très peuplées, où les habitants sont menacés, intimidés. Les talibans éliminent les « barbes blanches » et mettent à leur place des chefs religieux radicaux. Il faut maintenir notre effectif actuel dans les régions de Kapisa et de Surobi.

Sur le plan diplomatique, veillons à apporter une réponse régionale : elle inclut un engagement du Pakistan contre le terrorisme, une coopération avec l'Inde, dont le Pakistan craint une attaque dans ses zones frontalières, et même l'Iran, envahi par la drogue venue d'Afghanistan. L'ONU doit désigner un haut responsable qui gère et optimise les centaines de millions de dollars de l'aide internationale. Je salue les efforts de la France mais nous devons aller plus loin, au plus près du terrain. Les résultats obtenus à Shamali et à l'est de Kaboul prouvent notre efficacité, qui entraîne la bienveillance ou la neutralité des habitants. Ils apprécient les travaux sur la route « Vermont », financés par les Américains et qui faciliteront leurs déplacements vers Kaboul ou Bagram où ils se rendent pour vendre leurs produits agricoles.

Je suggère de décharger l'Agence française de développement d'une partie de ses missions et des moyens correspondants car, si elle réussit parfaitement en Afrique ou auprès du gouvernement afghan, elle n'est pas adaptée pour les microprojets. Je plaide pour un transfert à la coopération civilo-militaire, peut-être en lien avec l'ambassade. Enfin, il faut que l'ONU prévoie un calendrier contraignant et progressif à mesure des réalisations des objectifs. Au-delà de quatre ou cinq ans, une présence minimum serait maintenue, encadrement, soutien aérien, renseignement technique. Plus de sécurité, une bonne gouvernance et la reconstruction du pays : c'est ce à quoi nos soldats oeuvrent et il faut leur apporter les moyens dont ils ont besoin. Je veux les assurer du soutien du Parlement et de la Nation. (Applaudissements à droite)

M. Jean-Louis Carrère.  - Une sortie progressive, calculée, planifiée, confirmée et débattue : c'est ce qu'aurait proposé M. Bel s'il en avait eu le temps. La connivence des talibans et d'Al-Qaïda constituait une menace pour la sécurité du monde. M. Jospin, alors premier ministre, avait assorti l'intervention d'objectifs diplomatiques et politiques précis, reconstruction du pays sur la base du droit et d'un système représentatif, aide matérielle et humanitaire aux nouvelles autorités, action résolue pour assécher le narcotrafic et la contrebande de matériaux chimiques, solution négociée des conflits au Proche-Orient pour ôter toute légitimation au terrorisme. Je vous laisse juges des résultats...

Mais comment combattre des forces insurgées avec un pouvoir central qui a perdu sa légitimité ? Ce conflit est aussi une guerre civile fratricide ; comment surmonter le sentiment négatif qui grandit dans la population à l'égard du Gouvernement et de son allié, la coalition ? Le colonel Goya estime que « la coalition est comme une immense machine qui tourne un peu sur elle-même et pour elle-même, en marge de la société afghane ». Le Premier ministre nous vantait il y a un an la politique d'afghanisation du conflit. Elle passe surtout par la formation des militaires... qui ne fonctionne pas. Écoutons encore le colonel Goya : « Le système de formation est une machine à faible rendement alors que la ressource humaine locale, imprégnée de culture guerrière, est de qualité. » Les déserteurs sont 12 % parmi les officiers et 34 % parmi les soldats. On les forme, puis on les retrouve dans les rangs des talibans ! Il faut donc changer de stratégie.

Le Président de la République s'agite et se contredit : il veut rester en Afghanistan aussi longtemps que nécessaire mais ne pas y envoyer des troupes supplémentaires, tout en approuvant la décision de l'Otan d'augmenter la présence militaire. Telle est la trame de la pensée présidentielle... Mais quelle est donc la position de la France ? Doit-on se résigner à un accroissement rampant et silencieux des troupes françaises ? M. Obama réfléchit toujours. Mais l'administration américaine a réorienté sa stratégie, privilégiant désormais « l'Afpak ». Ce changement de cap nous oblige-t-il ? Nous engage-t-il ? Jusqu'où ? Avez-vous participé à la prise de décision d'une extension du champ de bataille régional ? Il faut exiger d'être associés aux modifications de stratégie et faire bloc avec nos partenaires européens. Dans quelle mesure la France est-elle associée aux décisions du commandement militaire intégré de l'Otan ? Quelles démarches menez-vous pour harmoniser les positions européennes ?

La drogue doit retenir toute l'attention de la coalition non seulement pour sa nocivité sur la santé publique mais parce que la culture du pavot alimente le système de corruption, jusqu'au plus haut niveau de la société et du pouvoir. Les talibans trouvent là un financement inépuisable !

Changeons de stratégie, demandons au Conseil de sécurité de l'ONU la tenue d'une conférence internationale élargie à tous les voisins de l'Afghanistan.

Il ne faudra oublier ni l'Inde ni la péninsule arabique pour redéfinir les objectifs de l'engagement militaire, exiger de Kaboul une action déterminée contre la corruption, la drogue et le terrorisme et assurer le développement économique de l'Afghanistan.

Nous souhaitons une sortie progressive et planifiée mais une sortie annoncée ! Vous n'avez que trop tardé ! (Applaudissements à gauche)

M. Aymeri de Montesquiou.  - Dans la nuit du 12 novembre 2001, 1 000 voitures scindées en deux colonnes emportaient les cadres talibans s'échappant de Kaboul vers Kandahar ou Jalalabad. Il y a là une énigme, puisque les véhicules qui avaient bravé le couvre-feu américain les nuits précédentes avaient été immédiatement détruits.

Nous devions apporter aux Afghans la paix, la démocratie et la sécurité mais la réalité est celle de combats toujours plus âpres contre des talibans plus aguerris, un nombre inacceptable de victimes collatérales et des attentats réguliers dans les villes.

Les électeurs afghans ont risqué leur vie pour une pantomime électorale qui devait désigner un chef d'État incontesté mais qui a perdu toute valeur en raison des nombreuses tricheries instrumentalisées par les talibans. Ainsi, des journalistes ont pu voter à plusieurs reprises, sous les noms les plus farfelus, comme Britney Spears ou Michael Jackson. Insultantes aux yeux des Afghans, ces élections ont à présent incomparablement moins de valeur pour eux qu'une loya jirga ou le Pachtounwali.

Tout discours sur l'Afghanistan doit être humble, car nul ne peut être péremptoire sur un sujet aussi complexe. J'affirme seulement que la confiance retrouvée du peuple afghan est la seule clé pouvant ouvrir la porte de la paix. Les Afghans haïssent les tenants du régime dont les palais insultent leur misère et les 30 dollars du salaire de base. On retrouve Apocalypse now quand des piliers du régime, membres de la CIA, sont suspectés de trafic de drogue. Ministre antidrogue, le général Khodaïdad a déclaré au début du mois que les troupes étrangères bénéficiaient de la production d'opium dans les régions sous leur contrôle. Dans ces conditions, comment « gagner le coeur des Afghans » ?

On ne sait si cette guerre peut être gagnée mais nous n'avons pas le droit de la perdre. Une défaite fragiliserait l'Asie centrale, que les talibans veulent transformer en émirats. Elle assurerait le triomphe de l'obscurantisme en Afghanistan, avec son cortège de privations de libertés. Elle pourrait faire dégénérer en violence aveugle l'aversion de nombreux musulmans contre l'arrogance occidentale. Elle provoquerait une très forte instabilité dans le monde musulman, qui recèle les deux tiers des hydrocarbures mondiaux.

Les solutions au conflit sont complexes mais on peut commencer par suivre le bon sens. Comme 34 % des soldats désertent, il faudrait doubler leur solde. Cela ne coûterait que 300 millions de dollars par an alors que la guerre coûte déjà 1 milliard par semaine. Pour éradiquer la culture du pavot, il faudrait subventionner d'autres cultures et garantir les revenus des agriculteurs.

Depuis 2001, seuls 15 milliards de dollars ont été versés sur les 25 promis. Mais quelle part de l'aide internationale parvient à la population ? Certaines organisations non gouvernementales (ONG) effectuent un travail admirable, mais nombreuses sont celles dont les frais de fonctionnement sont très supérieurs aux investissements. De surcroît, le déséquilibre entre les salaires internationaux et ceux des fonctionnaires afghans est humiliant pour ceux-ci. Cette iniquité exaspère la population. Il faut impérativement mettre en place une surveillance pour que l'argent devienne le « nerf de la paix », selon la belle formule de Churchill.

Seules des forces occidentales agissent en Afghanistan, alors qu'il ne faut pas chercher à imposer nos valeurs. Il faut au contraire associer les pays voisins : le Pakistan, qui a trop longtemps servi de refuge aux talibans, le Tadjikistan, l'Ouzbékistan, le Turkménistan, qui seraient les premiers à subir une déstabilisation fondamentaliste, enfin l'Iran dont le chiisme est insupportable aux wahhabites talibans. (M. Jean-Louis Carrère estime que l'orateur bénéficie d'une grande mansuétude pour la durée de son intervention)

M. le président.  - Veuillez conclure.

M. Aymeri de Montesquiou.  - L'Afghanistan constitue le coeur d'un monde hindou-persan.

Si nous ne retrouvons pas la confiance du peuple afghan, nous garderons, comme les Soviétiques, une plaie au flanc pendant des années, après un humiliant retrait d'un pays que nous n'aurons pas stabilisé et dont nous n'aurons pas défendu les libertés. Les alliés s'interrogent aujourd'hui sur leur présence dans cette zone ; on ne peut prendre le risque d'un effet domino de retraits successifs.

Je conclus avec Gordon Brown : « Un Afghanistan plus sûr, plus stable et doté d'un gouvernement efficace contribuera à un monde plus sûr ». (Applaudissements au centre, sur certains bancs à droite et sur quelques bancs socialistes)

M. Jean-Louis Carrère.  - Pourquoi citez-vous toujours des socialistes étrangers ?

Mme Dominique Voynet.  - Nous devons à l'opposition ce débat indispensable, mais qui ne débouchera sur rien puisque nous n'avons pas l'illusion de convaincre le Président de la République de considérer la situation d'un oeil neuf. Or, un examen approfondi est indispensable pour nous extraire de ce bourbier.

Je ne suis pas spécialiste de l'Afghanistan. Je ne crois d'ailleurs pas qu'il y en ait beaucoup ici. Ceux qui se sont rendus quelques jours ou quelques semaines dans ce pays sont revenus avec plus d'interrogations que de certitudes. Nous devons donc nous fonder sur les analyses glanées auprès de spécialistes civils et d'officiers d'état-major qui ont appris en huit ans l'extraordinaire complexité régionale.

Ce que nous savons se résume à l'hypothèse du journaliste Jean-Dominique Merchet : imaginez que vous soyez nés en Afghanistan vers 1960. Après avoir survécu au sortir de l'enfance à une famine qui a fait des dizaines de milliers de morts, vous auriez vécu l'année suivante un coup d'État soutenu par des officiers communistes, puis la prise du pouvoir par les seuls communistes grâce à un autre coup d'État, déclenchant l'occupation soviétique, elle-même cause d'une guerre civile conclue par le retrait des soviétiques et la victoire du commandant Massoud en 1992. Quatre ans plus tard, Massoud est chassé par les talibans, puis assassiné l'avant-veille des attentats contre les tours du World trade center, qui précipitent à leur tour l'intervention américaine. Depuis la victoire de celle-ci, qu'avons-nous gagné ? Les talibans ont été rapidement chassés du pouvoir mais ils se sont renforcés. Les forces alliées se sont muées en armée d'occupation. Enfin, le Président Karzaï est arrivé au pouvoir, où il s'est maintenu en arrangeant les élections et en malmenant le pluralisme. Cette suite ininterrompue de désastres s'est déroulée pendant la demi-vie d'un homme ordinaire ! L'oublier, c'est passer à côté de l'essentiel !

Je fais mienne cette vision car j'y vois un antidote à l'ivresse du sentiment de toute puissance éprouvée par certains chefs d'État au moment de s'aventurer dans une région que les stratèges du renseignement connaissent moins bien qu'ils ne le devraient. Ce sentiment a poussé George Bush à déclencher la seconde guerre d'Irak. Il a empêché les forces alliées de redéfinir le sens de leur action. Comme le dit M. de Rohan, une cote mal taillée ne répond qu'à des considérations de politique intérieure, nullement à une stratégie compréhensible sur le terrain.

Le problème n'est pas de savoir si nous envoyons encore des hommes et pour combien de temps, mais pour quoi faire. Il n'y a pas de stratégie française indépendante en Afghanistan, où les choix sont subordonnés à ceux des Américains. En décidant seul de revenir dans le commandement militaire intégré de l'Otan, le Président de la République a encore aggravé cette soumission. Nous nous sommes coupés les mains ! Aujourd'hui, « nous en sommes réduits à attendre l'oracle, suspendus plus que jamais aux décisions de la Maison Blanche », comme vous l'avez déclaré, monsieur le ministre des affaires étrangères, au cours d'un entretien publié dans Le Monde du 13 novembre. Un engagement aussi flou conduit à l'enlisement. Le problème est donc de savoir comment rester.

Nul ne dit que la guerre soit facile, ni qu'il faille abandonner les Afghans à leur sort. Monsieur le ministre des affaires étrangères, je vous demande aussi d'intervenir pour que le gouvernement français renonce à renvoyer dans leur pays des Afghans ayant fui la misère, la violence et la mort !

Personne ici ne prétend que la tâche soit facile. Je sais que nos militaires exposent leur vie dans les combats mais nous devons préparer les conditions réalistes du désengagement. Il faudra bien admettre que le discours sur le maintien des forces étrangères jusqu'à l'établissement d'un État satisfaisant est source de désillusions. Il sera difficile de nous retirer d'Afghanistan, tant les armées étrangères gênent l'organisation du conflit. Si nous refusions l'idée qu'il nous faudra partir, nous écririons le scénario le plus noir : celui d'un retrait précipité au pire moment. Ce jour me paraît plus proche que beaucoup ne le pensent.

Nous n'avons pas d'autre solution que de renoncer aux illusions d'une solution militaire et de faire confiance aux Afghans pour construire un pays prospère, stable et démocratique. D'ici là, on peut satisfaire des besoins essentiels comme l'eau, la santé, l'énergie et l'éducation des filles et garçons. Monsieur le ministre, vous faites valoir ses points positifs, mais sont-ils avérés hors de Kaboul ?

L'aide de la France représente 1 % des contributions. C'est peu !

M. le président.  - Veuillez conclure.

Mme Dominique Voynet.  - Je ne peux me résoudre à ce que se répète ici, plusieurs fois par an, un dialogue de sourds dont les répliques semblent écrites pour le théâtre.

En Afghanistan, le droit et les institutions sont malmenés, déconsidérés. Des institutions mises en place par les Occidentaux, artificiellement plaquées sur la réalité afghane, discréditent auprès de la population l'idée même de démocratie. Le grand rendez-vous, ce sont les législatives de 2010. Mais il faut avant tout ouvrir le débat avec la société civile afghane. (Applaudissements à gauche)

Mme Monique Cerisier-ben Guiga.  - Je regrette d'être le dernier orateur à devoir infliger un monologue à tout l'hémicycle et j'espère qu'un jour ce type de débat deviendra interactif.

M. le président.  - Ce type de débat résulte d'une décision de la Conférence des Présidents. Nous appliquons cette décision.

M. Hervé Morin, ministre de la défense.  - C'est quoi un débat interactif ?

M. Nicolas About.  - C'est un orateur qui parle après un autre orateur.

Mme Monique Cerisier-ben Guiga.  - En 2009, il y a au moins cinq arcs de crise entre Méditerranée et Himalaya, au centre desquels se place la guerre d'Afghanistan -le conflit palestino-israélien qui déstabilise le Levant, le conflit irakien, la crise entre l'Iran, l'Occident et les pays de la péninsule arabe, le conflit indo-pakistanais- et auxquels nous devons ajouter Al-Qaïda qui a trouvé en zone pachtoune afghane et pakistanaise son ancrage territorial. Tous ces points de tension et ces guerres ouvertes, interconnectés, font de cet ensemble géopolitique, pont entre l'Europe et l'Asie, le lieu de tous les dangers.

Pensez-vous, monsieur le ministre, que depuis 2001, nous, Français, ayons réellement pesé...

Je ne poursuis pas, j'attends qu'on m'écoute...

M. le président.  - Ne donnez donc pas de leçons à l'hémicycle et poursuivez !

Mme Monique Cerisier-ben Guiga.  - Pensez-vous que nous ayons réellement pesé dans les aspects militaires et civils de l'intervention ? Sur le plan militaire, les Américains mènent leur propre guerre Enduring Freedom et continuent à nous imposer leurs options au sein de l'Otan. Rien n'a changé depuis que nous en avons réintégré le commandement unifié : par exemple, le général McChrystal a été nommé à la tête de l'Otan sans concertation avec quiconque. Pendant sept ans, la stratégie américaine a privilégié d'une part la mise à l'abri des troupes dans leurs cantonnements et d'autre part les bombardements dont les victimes civiles sont évaluées à 100 000. Nous devons peser fortement sur le commandement américain pour que ces tactiques militaires changent. Mais huit ans de perdus dans une mauvaise stratégie font que les Américains et nous avec eux sommes perçus par les Afghans et les peuples de toute la région comme une armée d'occupation, armée chrétienne, de surcroît, en pays musulman.

La reconstruction civile n'a représenté que 8 % des sommes dépensées, l'essentiel est allé à l'effort de guerre. La France va-t-elle décider, en ce qui la concerne, de rééquilibrer cette proportion ? Comment les paysans afghans, qui représentent 80 % de la population, qui n'ont été aidés à reconstruire ni leurs routes ni leurs systèmes d'irrigation et pour lesquels l'électricité reste une chimère, pourraient-ils croire que les Occidentaux sont venus dans leur intérêt leur rétablir des conditions de vie décentes ? Le pouvoir central est déliquescent et, pour rendre la justice dans leurs villages, les Afghans en sont réduits à faire appel aux talibans. Hors des villes, les filles afghanes restent bannies de l'école et les femmes soumises à un statut dégradant.

Notre présence demeure nécessaire en Afghanistan, mais rester avec des chances de succès suppose que la France, dirigée par le Président Sarkozy, cesse d'être à la remorque des Américains Êtes-vous prêt à reconquérir l'autonomie nécessaire ? Nous devons exiger de participer à la redéfinition des objectifs de l'ensemble des armées engagées. Il faut impérativement que l'action de la coalition soit recentrée et coordonnée. Nous devons intégrer l'idée qu'une guerre asymétrique ne peut être gagnée face à un adversaire dont le réservoir de guérilleros aguerris est inépuisable. Il n'y aura pas de victoire militaire.

Pour négocier, il nous faudra reconquérir une position de force et le soutien d'au moins une partie de la population. Cela ne sera possible que si nous nous engageons vigoureusement dans un appui à la reconstruction rurale qui permettrait de réduire la culture du pavot et le commerce de l'opium, qui financent autant le clan Karzaï que les seigneurs de la guerre.

Ne soyons pas amnésiques. Nous sommes tombés dans le même piège que les Soviétiques et nous imaginons en sortir par le même moyen : l'afghanisation. Elle a duré trois ans après les Soviétiques, elle ne durerait pas trois mois avec Hamid Karzaï.

Enfin, sachant que tous les pays de la région sont concernés et menacés par le conflit afghan, il faut traiter le problème en associant toutes les parties sans jeter d'exclusives : les composantes de la société afghane, l'Iran, le Pakistan, l'Inde, la Russie, la Chine, toutes les parties prenantes. Une conférence internationale sous l'égide de l'ONU s'impose. Elle doit être préparée par des négociations diplomatiques discrètes et patientes.

La reconstruction de l'Afghanistan passe par la réorientation de l'aide au développement vers les petits projets pris en main par les paysans eux-mêmes. C'est seulement ainsi que les milliards d'euros déversés sur le pays cesseront de déséquilibrer la société et de faire sombrer la vie politique et l'administration dans une corruption généralisée. La guerre en Afghanistan avait pour but premier d'empêcher Al-Qaïda et ses alliés d'y retrouver une base protégée et non pas d'instaurer un État démocratique dans un pays qui n'a jamais été une Nation ni un État.

Nous avons des devoirs envers les Afghans : ne partons pas en les laissant entre les griffes de mafias. Nous devons les accompagner dans la mise en place d'institutions adaptées à leur société et qui garantissent un minimum d'État de droit. Il en va de la sécurité de tout le Moyen-Orient, du Pakistan, de l'Inde et donc de la paix mondiale. (Vifs applaudissements à gauche)

M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes.  - Je vous ai écoutés avec attention...

M. Jean-Louis Carrère.  - Pas toujours !

M. Bernard Kouchner, ministre.  - A 98 %... Et je vais vous répondre avec la plus grande franchise. Nous sommes engagés en Afghanistan sur une route étroite et difficile entre d'un côté les talibans et de l'autre le vide et l'anarchie. Je partage nombre de vos inquiétudes et de vos analyses, de gauche comme de droite. Notre intelligence collective et notre courage sont mis à l'épreuve en Afghanistan.

Depuis plus de deux ans, la France a travaillé à clarifier les objectifs et à repenser les moyens. C'est elle qui a été à l'origine du cadre stratégique élaboré au printemps 2008 à Bucarest. C'est elle qui a organisé, la même année, la conférence de Paris sur l'Afghanistan, où elle a réussi à convaincre tout le monde, y compris les États-Unis.

M. Jean-Pierre Chevènement.  - Ben, c'est grave !

M. Bernard Kouchner, ministre.  - C'est elle qui a convaincu qu'il fallait approcher les populations.

M. Jean-Pierre Chevènement.  - Avec quel succès...

M. Bernard Kouchner, ministre.  - Nous avons mis l'accent sur la nécessité de sécuriser certaines zones parce que nous devons, comme les Soviétiques l'avaient fait, en choisir certaines à l'intérieur desquelles nous pourrons convaincre les Afghans que ce que nous leur proposons, avec leur gouvernement, est meilleur que ce que leur proposent les talibans. Et les dépenses civiles y sont passées de 15 à 40 millions par an !

Nous avons mis l'accent sur la nécessité de transférer le pouvoir aux autorités de Kaboul et, pour cela, de former une armée et une police. C'est coûteux, vous l'avez dit. Mais un soldat de l'armée afghane est payé 100 dollars par mois tandis que les talibans payent 300 dollars ! Cela commence à changer...

Vous nous conseillez une conférence régionale mais nous l'avons fait, c'est la France qui a réuni la première à La Celle-Saint-Cloud, la conférence des voisins de l'Afghanistan -tout le monde y était- parce que nous avons dit dès le début qu'il n'y aurait pas de solution autre que régionale. Depuis, il y en a eu huit autres...

Nous avons sur place 3 750 vaillants soldats français. On ne peut prétendre commander la coalition autrement que sur un papier. Tout commence par des papiers. A la fin de la présidence française, sous M. Bush, nous avons envoyé à tous nos amis un papier sur les relations transatlantiques, et même sous la présidence suédoise, il y a un « papier », comme dit M. Chevènement.

M. Jean-Pierre Chevènement.  - C'est vous qui le dites dans votre interview du Monde !

M. Bernard Kouchner, ministre.  - Ce papier n'est pas suffisant. Nous ne pouvons pas, avec 3 750 vaillants soldats, dicter leur conduite aux membres de la coalition. Mais personne, dans cette coalition, n'a fait plus que la France ! Et notre stratégie des petits pas, nous la poursuivons avec obstination.

M. Jean-Louis Carrère.  - Sur le terrain militaire...

M. Bernard Kouchner, ministre.  - Nous avons aussi des projets civils dans de petites villes et cela marche très bien ! Nous préférons ces petites actions aux grands projets gâchés par la corruption et dont un dixième seulement des financements parviennent à destination. L'hôpital pédiatrique de Kaboul, par exemple, est maintenant dirigé par des Afghans, les infirmières, les médecins y sont afghans et ses portes sont ouvertes

Le projet mené sous l'égide de la fondation Aga Khan vise aussi à donner le pouvoir aux Afghans.

Depuis 2001, les centres médicaux ont augmenté de 60 %. Il n'y a toujours pas assez d'écoles, certes, mais 3 600 ont été construites.

M. Hervé Morin, ministre.  - Sans parler des universités.

M. Bernard Kouchner, ministre.  - Des petites filles les fréquentent : c'était une chose encore inimaginable il y a quelques années.

Je partage, monsieur Bel, votre perplexité. Nous sommes tous perplexes : comment être sûrs de nos moyens et de notre stratégie ? Mais nous nous tenons au plus près de ce que nous croyons. Une date de retrait ? Saurais-je en donner que je ne le ferais pas car ce serait dangereux, mais je vous réponds : nous souhaitons, le plus vite possible, confier les rênes au gouvernement afghan.

Vous avez tous souligné la précarité des conditions dans lesquelles se sont tenues les élections. Mais respectons les près de 40 % d'Afghans qui ont risqué leur vie pour voter -pour une femme, tremper son doigt dans l'encre indélébile quand les talibans lui ont promis de lui couper la main si elle le faisait, c'est un véritable acte de courage. Nous ne pouvons pas les laisser tomber. (Applaudissements sur les bancs UMP)

Nous ne sommes pas, madame Demessine, sous la conduite des États-Unis. Mais les États-Unis sont la force la plus importante au sein de la coalition : on ne peut pas raisonner sans eux, pas plus qu'eux, à une autre échelle, ne peuvent raisonner sans nous. On vient nous rendre visite à Surobi comme à Kapisa pour voir ce que nous avons accompli. Ce ne sont certes que quelques succès mais ils méritent d'être mentionnés. 20 000 paysans ont reçu semences et engrais. Vous demandiez, monsieur About, que l'on rende le pouvoir aux Afghans : c'est ce que nous avons fait là-bas (M. Nicolas About le concède) Il est vrai que cela ne marche pas toujours, que parfois, l'argent s'évapore...

Nous ne tentons pas de donner le pouvoir à l'ONU, madame Demessine, elle l'a depuis la résolution 1386, renouvelée par les résolutions 1868 et 1890 : c'est le représentant des Nations-Unies, Karl Eide, qui a dirigé les élections et quand son adjoint a réclamé un deuxième tour, il a été durement sanctionné.

Oui, monsieur de Rohan, nous avons un plan d'action. Il a été adopté sous présidence suédoise. Sans doute reste-t-il à le suivre, mais si nous n'en avions pas, il n'y aurait aucune chance de le suivre...

M. Jean-Louis Carrère.  - C'est quoi, ce plan d'action ?

M. Bernard Kouchner, ministre.  - Il veut que l'Europe, dans un certain nombre de zones de la planète, participe beaucoup plus, en particulier à la prise de décision : au Moyen-Orient, en Afghanistan... Les Américains ont revu leur stratégie partout mais pour l'Afghanistan, aucune décision n'est encore prise. Je ne leur jette pas la pierre : il n'est pas facile de décider du nombre d'hommes à envoyer. Le 19, nous avons rendez-vous avec ceux qui sont engagés dans notre démarche européenne collective et Mme Clinton. Nous travaillons à mettre en oeuvre ce plan, mais il faut aussi que les messages soient partagés par nos interlocuteurs afghans. Les neuf points de notre plan pour l'Afghanistan, que nous avons remis à M. Karzaï, seront développés, avec l'idée d'un secrétariat d'État spécialisé. L'idée est que les engagements soient tenus au plus près et que le financement soit programmé en fonction des progrès qui seront fait sur ces neuf points, lesquels incluent la gouvernance, l'irrigation...

Nous entendons, monsieur About, prendre en compte le contrôle régional. Mais c'est une chose à mettre en oeuvre ensemble. C'est pourquoi nous avons proposé à l'Otan, madame Demessine, qu'aucune réunion ne se tienne sans participation des Russes, parce qu'ils ont une expérience formidable que nous devons assimiler. Et ils sont d'accord.

Comment donner aux Afghans les moyens de relancer la machine ? Seuls, ils ne le pourront pas. Nous devons être à leurs côtés.

Je n'ai plus le temps de parler du Pakistan. Bien sûr, les deux situations sont liées. La ligne Durand, monsieur About, qui sépare les Pachtouns, on ne va pas en décider tout seul...

M. Nicolas About.  - Il aurait fallu le faire en 1947.

M. Bernard Kouchner, ministre.  - Il faut tenir nos promesses et je ne dis pas aux ethnies, mais aux Pachtouns, aux Tadjiks, aux Hazaras.

Je souhaite aussi une dimension européenne...

M. Jean-Louis Carrère.  - Avec Zorro, vous pourriez...

M. Bernard Kouchner, ministre.  - J'étais à Tagab alors que se tenait une réunion où le général français s'est exprimé pour exposer notre plan. Nous avons, monsieur Gautier, de l'avance à Surobi et à Kapisa, mais on ne sait pas encore faire pleuvoir... Il n'y a que du caillou là-bas. Ils font pousser des grenadiers, nous construisons des hangars pour que toute la récolte ne soit pas vendue d'un coup et déstabilise les prix.

La formation de la police est prioritaire. Il y a 6 à 10 morts chaque jour. Et il faut augmenter, je l'ai dit, les salaires. On ne le dira jamais assez : l'Afghanistan est l'un des trois pays les plus pauvres du monde. Comment l'aider à se développer ? Demandez aux ONG qui s'y attachent depuis vingt cinq ans, il n'y a pas de recette miracle ; mais ce qu'ils veulent, ce n'est pas notre départ, c'est que nous sécurisions les zones de travail.

Vous appelez à une meilleure gouvernance, monsieur Gautier ? Oui, mais la leur. Nous souhaitons l'unité nationale. Nous souhaitons que M. Karzaï travaille avec M. Abdullah Abdullah. Les alliés agiront selon les résolutions des Nations unies. Ce sont les Nations unies qui ont attaqué les talibans, ce sont les Nations unies qui ont été visées par un attentat, ce sont les agents des Nations unies qui sont morts. Reste que dès l'annulation du deuxième tour, ceux qui s'occupaient des élections sont partis : c'est normal.

Vous avez souligné, monsieur Carrère, l'hostilité de la population.

M. Jean-Louis Carrère.  - Ce n'est pas en jouant aux cow-boys que ça va s'arranger.

M. Bernard Kouchner, ministre.  - Qui joue aux cow-boys ?

M. Jean-Louis Carrère.  - Ceux qui nous ont transportés. C'était proprement insupportable pour la population !

M. Bernard Kouchner, ministre.  - Ce qu'il faut, c'est rendre visible le progrès vers la sécurité et le développement pour que la population civile voie se dessiner l'horizon du retrait, qu'elle se rende compte que le développement que nous avons accompagné leur permet de s'autonomiser.

Vous avez parlé, monsieur de Montesquiou, d'élections « insultantes ». Oui, mais selon nos critères occidentaux. Ce qu'il faut retenir, je l'ai dit, c'est que 38 % de la population a participé : saluons ce courage exceptionnel.

M. Aymeri de Montesquiou.  - Je l'ai fait.

M. Bernard Kouchner, ministre.  - Cela justifie pleinement les élections. La prochaine fois, ils seront plus nombreux encore. Il faut, vous avez raison, mieux payer les soldats afghans : je l'ai dit.

J'ai beaucoup aimé, madame Voynet, votre récit sur le cours de la vie d'un Afghan. Depuis quarante ans, les Afghans, la nuit, dans leurs villages, voient manoeuvrer des uniformes, qui ne leur disent rien. C'est insupportable. Mais demandez-leur s'ils veulent nous voir partir. Ils ne le veulent pas.

M. Jean-Louis Carrère.  - Vous interprétez !

M. Bernard Kouchner, ministre.  - C'est pour mettre fin à la spirale de la guerre que nous sommes en Afghanistan. Soyons lucides mais déterminés. Vous ne réclamez d'ailleurs pas, madame Voynet, un départ immédiat.

La stratégie de l'Otan ne nous est pas extérieure. Nous y sommes partie, et l'Otan est le seul endroit où parler de stratégie parce que tout le monde y est représenté.

M. Jean-Louis Carrère.  - Vous n'y êtes pas trop entendu.

M. Bernard Kouchner, ministre.  - Ce que je n'ai guère entendu, ce sont vos propositions.

M. Jean-Pierre Chevènement.  - Cela a été dit : d'autres objectifs politiques ! Vous n'avez pas répondu !

M. Bernard Kouchner, ministre.  - L'objectif politique est la lutte contre le terrorisme, qui nous menace aussi. Les Afghans sont là-dessus avec nous ! (Applaudissements sur les bancs UMP)

M. Hervé Morin, ministre de la défense.  - Après les propos de M. Kouchner, je me limiterai à quelques observations complémentaires. Le bilan, d'abord, n'est pas aussi négatif que certains l'ont laissé penser : tous ceux qui ont été en Afghanistan ont vu les routes construites, les jeunes filles scolarisées. Certes, la situation sécuritaire s'est dégradée mais l'Afghanistan forme un kaléidoscope, un puzzle : la situation est différente à l'ouest et à l'est, au nord et au sud ; elle varie d'une vallée à l'autre selon les ethnies dominantes. En général, on peut dire que les vallées où les Tadjiks et les Hazaras dominent sont relativement calmes, les choses étant plus difficiles dans les zones pachtounes. Considérer que la situation est difficile sur la totalité du territoire relève d'une vision occidentale. Même les zones tranquilles ne sont pas à l'abri d'une incursion des talibans, d'une IED. Nous n'avons pas un front qui avance vallée par vallée, nous établissons la sécurité.

En termes de stratégie, il faut mener conjointement et simultanément l'action de stabilisation et de sécurité -montrer nos muscles-, d'une part, et, d'autre part, l'aide au développement. C'est l'absence de coordination qui fait perdre le contrôle d'une situation...

M. Jean-Louis Carrère.  - Vous n'avez pas assez d'argent !

M. Hervé Morin, ministre.  - Chaque fois que vous allez en Afghanistan, les maleks vous l'assurent, il n'arrivera rien à vos troupes si le développement est garanti. En Surobi, nous avons reconstruit des routes, des écoles et la situation s'est nettement améliorée. Cependant, les forces de la coalition doivent songer à un élément majeur. Certains ont dit qu'il ne fallait pas jouer les cow-boys. Le respect de la tradition et de la culture des populations -nous le savons par notre expérience militaire- conditionne en effet le dialogue : il ne suffit pas de faire défiler des moyens importants pour créer la confiance.

Sans une amélioration de la gouvernance et du développement, le renforcement militaire, si ce n'est pour répondre à tel ou tel problème ponctuel, aboutirait à une fuite en avant. On compte 3 000 Français, 3 700 avec le soutien, pour 1 % de l'ensemble du territoire, 2 à 3 % si vous ne tenez pas compte des zones de montagne inhabitées. Faites le calcul : on ne pourrait atteindre le nombre de soldats nécessaire pour couvrir l'ensemble du territoire. C'est pourquoi nous avons toujours porté l'idée que la solution ne serait pas uniquement militaire.

J'en suis d'accord avec M. About -n'est-il pas le président du groupe centriste ? (sourires)-, la reconstruction politique ne peut passer par des schémas purement occidentaux car il est absurde de plaquer notre État...

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat et M. Jean-Louis Carrère.  - Personne ne le dit !

M. Hervé Morin, ministre.  - ... sur une construction d'ethnies, de clans, de tribus féodales. Le modèle de la démocratie occidentale n'a pas de sens et il faut s'appuyer sur la tradition locale pour établir une gouvernance stable, compréhensible et appuyée sur un État central respectant quelques canons démocratiques.

Doit-on penser en termes de renforcement militaire ? Le coût estimé de l'opération pour les Américains est de 100 milliards de dollars et de 500 millions pour les Français. Ce que coûterait chaque soldat supplémentaire permettrait de former 100 à 150 officiers afghans. Nous devons consacrer plus d'argent à la formation, mieux rémunérer les soldats pour qu'ils désertent moins et aider à la stabilisation et à la reconstruction.

Mme Michelle Demessine.  - Et le jour où on arrêtera de payer ?

M. Jean-Louis Carrère.  - Il n'a pas d'argument rationnel !

M. Hervé Morin, ministre.  - L'Europe serait incapable de mener une telle opération parce que l'essentiel de son effort de défense est assuré par la France et la Grande-Bretagne. Le drame est que l'absence de volonté européenne en matière de défense se traduit sur les théâtres extérieurs.

M. Jean-Louis Carrère.  - Allez-vous envoyer des troupes ?

M. Hervé Morin, ministre.  - J'ai enfin été très heureux d'entendre l'hommage rendu à nos soldats. Vous avez tous constaté leur dévouement, leur courage, leur professionnalisme exceptionnels. Tous les généraux alliés ont constaté que l'armée française était à la hauteur de sa réputation. (Applaudissements au centre et à droite)

M. Jean-Louis Carrère.  - Nos soldats, nous les préférons vivants que morts !

M. le président.  - Je veux également rendre hommage au personnel diplomatique et à notre ambassadeur. (Applaudissements)

M. Jean-Pierre Bel.  - Je ne vais pas me plaindre que le débat ait eu lieu au Sénat alors qu'on manque totalement de visibilité sur son organisation à l'Assemblée nationale. Nous n'en avons pas moins ressenti des frustrations. Elles tiennent d'abord à ce que, pour respecter le temps qui nous était imparti, nous avons dû ravaler beaucoup de ce que nous avions à dire. Quarante minutes pour l'opposition, c'est insuffisant sur un sujet aussi important. J'aurais également souhaité que le débat émane du Sénat et pas seulement des sénateurs socialistes et communistes.

Nous aurons pour répondre au Gouvernement d'autres débats, d'autres occasions : nous avons beaucoup sur le coeur, beaucoup de choses à exprimer sur notre engagement en Afghanistan. (Applaudissements sur les bancs socialistes ainsi que sur certains bancs au centre)

M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères.  - La manière d'obtenir des débats dépend beaucoup de l'ordre du jour qui nous est imposé. Je me félicite que celui-ci ait eu lieu ; que ce soit à l'initiative de nos collègues socialistes et communistes importe moins que sa qualité. Il a marqué une convergence sur le fait que nous ne pouvions partir du jour au lendemain et laisser, comme en 2001, talibans et terroristes revenir exercer leur triste dictature. Cette unanimité est importante pour nos soldats là-bas.

Je veux à mon tour souligner l'absence de l'Europe. Nous ne pouvons pas déplorer la place que prennent les États-Unis alors que nous étalons nos nuances, nos dissonances et nos divergences. Comment être pris au sérieux quand certains contingents ont reçu pour consigne de ne pas bouger de leur zone et de ne tirer que si on tire sur eux ?

Comment être pris au sérieux quand certains contingents ont reçu ordre de ne pas sortir après 18 heures? Quand certains annoncent leur départ pour 2010 ou mettent des conditions à leur présence ?

Nous compterons quand cette politique européenne de sécurité et de défense dont l'urgence se fait tant sentir sera réalité. (« Très bien » sur les bancs UMP) Faute de quoi, nous resterons à la remorque des États-Unis : qui paye commande ! Que doivent penser l'opinion publique et les dirigeants américains de ceux qui refusent d'exposer la vie de leurs soldats ? La politique européenne de sécurité et de défense doit être une ardente priorité. Je reviens de l'assemblée parlementaire de l'Otan : il y fort à faire.

Il faut un relais international. L'Otan ne peut mener seule la guerre contre les talibans, le trafic d'opium, le terrorisme international. Les Russes, les Chinois, les Indiens se félicitent de notre présence en Afghanistan, mais refusent d'y envoyer un seul soldat ! Pourtant, l'Afghanistan intéresse l'ensemble des Nations unies. (Mme Michelle Demessine approuve) Mieux vaudrait ne pas tenir de conférence si elle ne doit pas aboutir à des résultats concrets en matière de lutte coordonnée contre le terrorisme et le trafic de drogue !

M. Jean-Louis Carrère.  - Très bien.

M. Josselin de Rohan, président de la commission.  - Les Russes et les Chinois, membres du Conseil de sécurité, doivent assumer leurs responsabilités. (Mme Michelle Demessine approuve) J'espère que nous n'aurons pas à nouveau à déplorer un été meurtrier... (Applaudissements à droite, au centre et sur les bancs socialistes ; Mme Michelle Demessine applaudit également)

M. le président.  - Nous avons consacré deux heures et demie à ce débat, également partagées entre l'opposition et la majorité.

présidence de M. Guy Fischer,vice-président

Commission mixte paritaire (Candidatures)

M. le président.  - M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre la demande de constitution d'une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2010.

La commission des affaires sociales a procédé à la désignation des candidats qu'elle présente à cette commission mixte paritaire. Cette liste a été affichée et la nomination des membres de cette CMP aura lieu conformément à l'article 12 du Règlement.

Numérisation du livre (Question orale avec débat)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la question orale avec débat de M. Jack Ralite à M. le ministre de la culture et de la communication sur la numérisation du livre.

M. Jack Ralite, auteur de la question.  - Quand les dirigeants de Google présentent leurs objectifs, on a l'impression qu'il s'agit de réaliser le rêve d'une bibliothèque universelle que décrit Borges dans La Bibliothèque de Babel : « Quand on proclama que la bibliothèque comprenait tous les livres, la première réaction fut un bonheur extravagant ». L'immensité de l'émerveillement, du vertige d'accéder depuis son domicile, par un clic, aux livres du monde entier, à l'éternité future, à « l'histoire minutieuse de l'avenir ». Mais Borges ajoute : « à l'espoir éperdu succéda une dépression excessive ». Pour ma part, je garde espoir et je refuse la dépression.

« Mal nommer les choses, c'est ajouter au malheur du monde » nous alerte Camus. Tout est mal nommé dans le dossier Google.

L'historien Robert Darnton, directeur de la bibliothèque de Harvard, écrit : « Quand les entreprises comme Google considèrent une bibliothèque, elles n'y voient pas nécessairement un temple du savoir mais plutôt un gisement à exploiter à ciel ouvert ».

Aux États-Unis, un procès oppose les titulaires des droits d'auteur à Google, qui a numérisé et diffusé des oeuvres sans leur autorisation. Coup de force qui contraint les auteurs et les éditeurs à faire les démarches pour que leurs oeuvres ne soient pas diffusées ! Le droit suit le rapport de forces ; c'est une façon de légitimer le vol : aux États-Unis, tout se règle par des indemnités, au risque de liquider le droit moral. C'est l'appropriation privée d'un bien public. « Mais enfin, je veux votre bien ! », dit Google au président de l'association des éditeurs du Canada. « Merci, je préfère le conserver », répond ce dernier.

Google est un géant, financé à 93 % par la publicité : 23 milliards de dollars, soit 50 % du marché publicitaire sur le net. Il a numérisé 10 millions de livres, des trillions de pages. Google, c'est la page d'accueil et le moteur de recherche d'une majorité d'internautes.

Le contrat Google-Ville de Lyon pour numériser plus d'1 million de documents patrimoniaux, dont 500 000 livres, autorise Google à s'octroyer de façon exclusive « la pleine propriété sans limitation dans le temps des fichiers originaux », en échange d'une simple copie digitale remise à la bibliothèque. Or celle-ci appartient au domaine public et relève du droit administratif, qui interdit cette pratique. Nous sommes loin de l'histoire à l'eau de rose servie par Google, d'ailleurs déjà attaqué en France, en Italie, en Belgique, et même par le groupe Murdoch !

Le Sénat, a contrario, pratique dans ce domaine la « responsabilité publique ». Il a édité un superbe ouvrage, D'encre et de lumière, sur la bibliothèque du Sénat, riche de 400 000 volumes, révélant les trésors de cette bibliothèque inconnue. Il a confié à l'entreprise Azentis la numérisation des débats de la Ve République, sachant que la tâche est maîtrisée par la bibliothèque du Sénat et elle seule. Les 35 employés d'Azentis exercent le vrai métier de numérisation, loin de la numérisation en vrac, à la Google. Le développement d'autres entreprises de cette nature relève d'une volonté politique. En 2008, le Sénat a participé au financement de la numérisation de journaux anciens conservés à la BNF.

Notre commission des affaires culturelles a auditionné en 2006 Jean-Noël Jeanneney, alors président de la BNF, qui fut applaudi. Même accueil lors de son audition en septembre dernier, après la publication d'un ouvrage roboratif, Quand Google défie l'Europe. Plaidoyer pour un sursaut.

Comment se fait-il que Gallica et Europeana aient été quasiment abandonnées tandis que Google devenait mondial, avec l'orgueilleuse prétention « d'organiser l'information du monde dans le but de la rendre accessible et utile à tous » ?

II n'est pas démocratique que le directeur de la BNF négocie avec Google, avec le soutien de Bercy. En 1945, Washington avait exigé, en contrepartie du plan Marshall, que les cinémas français programment une majorité de films américains. II a fallu que des milliers d'artistes manifestent pour que le cinéma français retrouve une place plus importante, mais les coups avaient porté et les images anglo-saxonnes dominent toujours.

Le revirement français sur Google surprend à l'étranger. Les bibliothécaires japonais ont dit leur stupéfaction. La confiance que notre pays s'est acquise grâce à ses artistes est ébranlée. On ne joue pas impunément avec la confiance.

Google est trop fort, disent certains : « à cheval donné, on ne regarde pas la bride » ! Ceux qui cèdent à ce rapport de force font preuve d'une impuissance démissionnaire. Nous sommes de plus en plus nombreux à penser que « la politique, c'est rendre possible ce qui est apparu jusqu'ici comme impossible ». Et la fatalité technologique !

Il y a quinze ans, le ministre Madelin déclarait que « les nouvelles technologies sont naturelles comme la gravitation universelle ». Nous devons dire non à cette fatalité technologico-financière instrumentalisée comme un fatum ! Le facteur essentiel aujourd'hui, c'est la capacité de l'homme à maîtriser les systèmes complexes qu'il conçoit et utilise. Le 6 décembre 2006 a été donnée la feuille de route stratégique de la France, sur la connaissance et la culture, le rapport Jouyet-Lévy sur « l'économie de l'immatériel », où l'homme était traité de « capital humain », où les idées deviennent de simples actifs comptables... Ce rapport fait 68 recommandations dont une prend tout son sel aujourd'hui : faire financer les sites publics d'administration en ligne par la publicité sur le modèle de Google. Mais c'est plus facile à dire qu'à faire, on a vu comment le rapport Rigaud a été suivi... « On ne saurait conclure que le plus sûr moyen de valoriser au mieux le patrimoine de la nation soit de le vendre », remarquait-il alors...

Dans la foulée se tint en 2008, en Avignon, une des plus grandes assemblées des industries culturelles d'Europe et des États-Unis, dont on parla comme d'un « Davos de la culture »  -il y a des comparaisons dont il faut se méfier. Il en a été dit alors des vérités éternelles, et le monde en tremble ! Comme le dit Pierre Legendre, nous voulons respirer et symboliser, ce qui implique de ne pas se soumettre à Google. C'est un choix politique. En Espagne, la Bibliothèque nationale fait assurer sa numérisation par Telefonica, entreprise nationale. En France, les revues savantes sont numérisées sans Google -voir les sites Persée et revues.org.

II faut aussi évoquer la grande question de principe, le statut du livre, de l'oeuvre, donc du droit d'auteur. Elle touche au livre, à la lecture, aux lecteurs, à la librairie, à l'édition, aux bibliothèques, à Gallica, à Europeana et à la très récente bibliothèque numérique universelle lancée par l'Unesco. Le livre ne peut être réduit à de l'information, les bibliothèques ne sont pas des banques de données. Le livre fait sens, il est matérialité comme support et âme comme oeuvre. Julien Gracq dit : « pour s'enrichir pleinement de la lecture, il ne suffit pas de lire, il faut savoir s'introduire dans la société des livres qui nous font alors profiter de toutes leurs relations et nous présente à elles de proche en proche à l'infini ». La lecture sur écran n'est pas la lecture d'une oeuvre dans sa cohérence, elle favorise la fragmentation, désintègre, mutile le droit moral. Un texte n'est pas une somme de fragments. Pour Google, il n'est qu'un prétexte, car Google s'intéresse aux pages et non aux ouvrages. Le risque majeur est de mettre en ordre, de hiérarchiser les ouvrages selon l'audimat, ce qui nous ramène aux cerveaux disponibles de M Le Lay, l'ancien directeur de TF1. C'est la politique de la tête de gondole. La numérisation en vrac est un danger absolu. Ce qui n'est pas le cas du numérique en soi qui provoque des évolutions sans remettre en cause la distinction entre l'écrivant, l'écrivain et l'auteur.

Les livres numériques, qui naissent tels et sont conçus pour la diffusion numérique, ne sont pas des livres numérisés ; ils ne représentent aux États-Unis que 3 % des ventes. L'enjeu n'est pas là, c'est la numérisation des livres papier sur laquelle Google rêve de régner en maître. Le droit d'auteur est aujourd'hui fragilisé dans toutes ses dimensions. Pensons aux dangereuses orientations de la politique européenne de Mme Reding, commissaire « google-phile » qui veut réformer le droit d'auteur dans le cadre, écoutez bien, de la création d'un marché européen des droits d'auteur. Voilà qui est cohérent avec l'absurde idée de tout numériser !

Les bibliothèques nationales ont une dimension « cimetières de livres ». L'historien Leroy-Ladurie rapporte qu'entre la Révolution qui fonda la BNF et son départ en 2000, 2 millions d'ouvrages n'avaient jamais été consultés. Pourquoi dépenser tant d'énergie à vouloir tout numériser ? N'oublions pas les problèmes de qualité de la numérisation et pensons aux limites et erreurs de Wikipédia. Songeons aussi qu'à vouloir tout numériser, on menace la fréquentation des bibliothèques. La numérisation peut conduire à un appauvrissement de la lecture. Et quand on sait qu'il est impossible de garantir la durée de vie de la numérisation, il faut prendre garde à ne pas vouloir à tout prix faire moderne.

Je ne peux pas oublier qu'à la foire 2009 du livre de Francfort, Google a décidé de devenir un libraire mondial, d'élargir son intervention sur tout le champ d'existence du livre, qui est le grenier de mémoire de l'humanité. Je pense aussi au danger du profilage de tous les utilisateurs de Google, de la constitution par cette entreprise d'incroyables bases de données qui rendent la concurrence non libre et très faussée... Sans compter la menace sur le respect de la vie privée et les libertés.

Je présente douze propositions. Un : il faut créer une mission au sein de notre commission des affaires culturelles pour définir une vraie politique de la numérisation du livre, une mission qui serait non suiveuse de Google mais exploratrice de nouveaux mondes et ferait des recommandations au printemps. Deux : il faut revivifier le processus enclenché en 2005-2006 à l'initiative de M. Jeanneney et soutenu par le Président Chirac, avec Gallica et Europeana, et depuis avec l'Unesco. Europeana avait réuni la majorité des pays européens, la Commission européenne et 22 bibliothèques nationales sur 24.

Trois : il faut faire vivre la création d'une bibliothèque numérique francophone à la définition de laquelle le Canada avait participé et que le président de la francophonie Abdou Diouf avait soutenue. Quatre : il faut soutenir le développement d'une industrie française et européenne de la numérisation, avec des interventions publiques conséquentes, des partenariats public-privé et du mécénat. Cinq : il faut créer au moins un pôle de compétitivité sur la numérisation des fonds des bibliothèques, avec un partenariat universités-CNRS-industries ; c'est un grand enjeu industriel à inscrire dans le cadre des états généraux de l'industrie. Six : il faut obtenir une réunion européenne sur la question stratégique de la numérisation, d'autant que les votes ne vont plus être pris à l'unanimité mais à la majorité qualifiée -la France doit prendre davantage d'initiatives à Bruxelles.

Sept : il faut obtenir que toutes les initiatives et les contrats publics relatifs à la numérisation des bibliothèques soient accessibles et que toute clause secrète, comme celles que pratique Google -voir le cas de Lyon-, soit interdite. Huit : il faut développer la formation et les apprentissages critiques à la lecture. Neuf : il faut veiller au pluralisme linguistique dans le choix des ouvrages numérisés. Rappelons-nous l'aventure de notre ex-collègue Victor Hugo qui au début fut numérisé par Google en anglais ou en allemand. Dix : il faut démocratiser encore l'accès au livre par l'animation des bibliothèques, des émissions de radio et de télévision, le soutien aux libraires et aux éditeurs indépendants. Onze : il faut évaluer le besoin de financement de la politique de numérisation et faire appel au grand emprunt, comme vous l'avez-vous-même proposé, monsieur le ministre, ainsi que Mme la secrétaire d'État à la prospective et au développement de l'économie numérique. Les Japonais vont consacrer 90 millions d'euros à la numérisation de 900 000 ouvrages ; les chiffres évoqués en France sont du même ordre, 10 millions d'euros pour 100 000 livres. Douze enfin : il faut appliquer systématiquement le principe constitutionnel interdisant toute appropriation privée du domaine public.

La numérisation des livres est un enjeu intellectuel, moral et civique ; il faut dire non aux règles autoritaires du chiffre et de l'argent et oui à la liberté humaine de déchiffrer le monde. Les états généraux de la culture tiendront une rencontre en décembre sur ces questions. La culture et le livre ne peuvent être réduits à un échange sordide, ils sont une rencontre, un mouvement de sensibilités, d'imaginations et d'intelligences, ils sont le nous extensible à l'infini des humains. C'est cela qui est en danger, c'est cela qui requiert notre mobilisation sans crampes mentales et notre affirmation de la notion de bien public. Car le bien marchand est profit et sert un intérêt individuel tandis que le bien public est né d'un effort de la collectivité pour produire et protéger quelque chose d'essentiel. Le marché est articulé à la demande solvable, le bien public est la garantie que quelque chose existe même là où il n'y a pas de demande solvable. Comme le dit Roger Chartier : la république numérique du savoir ne se confond pas avec ce grand marché de l'information auquel Google et d'autres proposent leurs produits. C'est une question de dignité, et pas seulement pour le livre de la famille humaine. (Applaudissements)

M. Ivan Renar.  - Nous vivons une période, tumultueuse et chaotique, de transition parce que le numérique met à l'épreuve le droit d'auteur, parce que les nouvelles technologies se sont imposées si violemment que c'est la nature même des oeuvres qui est en question. Et notre législation est en retard d'une guerre. Google veut profiter de cette période déterminante pour démanteler le droit d'auteur, qui n'est pour lui qu'un obstacle ; il ne fait en cela que prendre l'espace que nous lui avons laissé. Notre responsabilité est immense, qui engage le devenir de notre patrimoine. Le vide public et juridique dans cette affaire met les bibliothèques françaises et européennes en grande difficulté.

Le mythe de la bibliothèque numérique universelle n'a de sens que si tous les ouvrages sont concernés, ceux tombés dans le domaine public, bien sûr, mais aussi les oeuvres sous droit. A défaut, les bibliothèques ne seront plus que des musées des livres, où le contact avec le public aura été perdu.

Il ne faut pas non plus occulter la question des oeuvres orphelines, dont l'auteur ou ses ayants droit n'ont pu être retrouvés et qui ne sont ni commercialisées ni entrées dans le domaine public, et des oeuvres épuisées. Selon la British Library, elles représentent environ 40 % des documents des bibliothèques.

D'après la législation française, la numérisation d'oeuvres protégées nécessite une autorisation préalable. Elles nécessitent même, pour les oeuvres orphelines, un recours devant le juge attestant de recherches sérieuses et avérées des ayants droit ou des auteurs. La complexité de cette procédure a conduit les bibliothèques à abandonner la numérisation de millions d'oeuvres. Afin de résoudre la question de l'accès numérique aux livres sous droits, la BNF, via sa plate-forme Gallica, renvoie vers le lien commercial de l'éditeur concerné -fonctionnement plus proche de la librairie numérique que de la bibliothèque.

Les bibliothèques françaises risquent d'être encore davantage démunies si Google réussit à s'arroger un monopole de fait. Google insiste sur la dimension patrimoniale de son projet, mais qui n'est qu'un leurre : sur les 10 millions de références numérisées, seules 10 % appartiennent au domaine public. 90 % des oeuvres sont protégées car ce sont celles qui offrent les meilleures perspectives financières. L'expérience américaine est révélatrice du mépris de Google pour les auteurs, les éditeurs et la création dans son ensemble.

Google a numérisé la totalité des ouvrages des bibliothèques américaines avec lesquelles un accord a été passé, qu'ils soient libres de droit ou non. Il interprète le copyright américain de la manière la plus large possible, estimant qu'il revenait à l'auteur ou à l'éditeur de manifester sa volonté de retrait de l'ouvrage en ligne. Ce renversement du droit d'auteur lui permet de s'accaparer les oeuvres sous droits comme les orphelines, ce qui a déclenché l'ire des éditeurs et des auteurs, et même du département antitrust américain.

En France, Google est poursuivi en justice pour avoir mis en ligne des extraits de livres français contenus dans les bibliothèques américaines sans l'accord des éditeurs et des auteurs. Pour ce qui est des oeuvres orphelines, Google interprète la législation dans un sens qui lui est favorable, en ne cherchant pas l'autorisation des auteurs ou des ayants droit et en se contentant d'une simple mention « droit réservé » qui n'a rien de légal. Le dernier compromis entre Google Books et les auteurs et éditeurs américains prévoit quelques aménagements qui ne changent malheureusement pas l'esprit de son projet.

Nous devons adapter notre droit d'auteur pour le préserver et refuser que Google puisse numériser les ouvrages de la Bibliothèque nationale de France. Il nous faut permettre aux bibliothèques de numériser leurs contenus afin qu'elles prolongent leurs compétences traditionnelles dans l'environnement numérique : collecter les livres, les organiser et les mettre à disposition du public. Refusons qu'une entreprise privée remette en cause la loi française en matière de droits d'auteur au service du profit et de ses propres intérêts. Il faut combler le vide juridique pour les oeuvres orphelines et épuisées en créant une société publique de gestion collective qui assure la numérisation de masse dans le respect des droits d'auteur.

Affectons une partie du grand emprunt à la BNF. Favorisons des négociations globales de libération des droits entre les éditeurs et les bibliothèques afin d'organiser une consultation gratuite en ligne comparable à celle pratiquée pour les ouvrages imprimés. Nous devons trouver des solutions pour faciliter la numérisation des bibliothèques publiques tout en protégeant le droit d'auteur, sans quoi ni les unes ni l'autre ne survivront face à l'entreprise de destruction massive entreprise par Google.

Si ce débat était suivi d'un vote, j'approuverais sans hésiter les douze propositions de Jack Ralite. Elles peuvent être améliorées mais elles nous sortiraient par le haut du chantier de la numérisation des bibliothèques. Cela n'a pas de prix, même si cela a un coût. N'ayons pas à regretter plus tard d'avoir poussé à de maigres économies pour de bien grands dégâts, pour reprendre les mots de Victor Hugo. La république numérique du savoir dont nous a parlé Jack Ralite est en danger. Le pire n'est pas certain, à condition que l'esprit des affaires ne se substitue pas, une fois de plus, aux affaires de l'esprit. (Applaudissements)

Mme Catherine Morin-Desailly.  - Le 18 août dernier, Denis Bruckmann, directeur général adjoint et directeur des collections de la Bibliothèque nationale de France (BNF), a annoncé que les négociations avec Google pourraient aboutir d'ici quelques mois et que « ce changement de stratégie avait été motivé par le coût extrêmement élevé de la numérisation des livres ». Depuis, les dirigeants de la BNF ont cherché à apaiser les inquiétudes en précisant qu'aucune décision n'était prise. A l'heure où la commission sur la numérisation des fonds patrimoniaux des bibliothèques étudie l'opportunité d'un partenariat entre Google et les institutions publiques, je remercie Jack Ralite de nous permettre de débattre sur ce sujet et notre commission de la culture d'avoir soutenu son initiative.

Bien fou celui qui décrierait aujourd'hui la numérisation des oeuvres littéraires et des documents écrits, qui ouvre une extraordinaire possibilité d'accès généralisé au savoir et aux connaissances. Nous ne pouvons que nous réjouir à l'idée que tous les livres et les savoirs conservés dans des bibliothèques seront accessibles à chaque instant, pour chaque lecteur, où qu'il se trouve. L'enjeu est de pouvoir consulter le plus grand nombre d'oeuvres grâce à internet et aux nouvelles technologies sans pour autant s'en laisser déposséder par des acteurs aux motivations contestables.

Lancé en 2004 par Google, Google Books a déjà numérisé 10 millions de livres et imprimés, dont 1,5 million tombés dans le domaine public, 1,8 million obtenus avec l'accord des éditeurs et 6,7 millions appartenant à une zone grise -ouvrage épuisé mais encore protégé par le droit d'auteur. Il a signé des partenariats avec 29 bibliothèques et 25 000 éditeurs et a réussi à s'imposer comme le seul groupe capable de numériser rapidement et massivement.

Est-il si urgent de rendre immédiatement disponible le patrimoine universel ? Il s'agit plutôt de prendre de court les acteurs traditionnels du livre pour imposer un modèle de consommation du livre numérisé -format, bibliothèque et moteur de recherche. Quand on sait ce que coûte la numérisation des oeuvres, l'offre de Google est très attractive, mais derrière la promesse de la gratuité se cache la volonté de créer du trafic sponsorisé, pas du savoir. Le moteur de recherche Google s'adresse davantage au consommateur qu'à l'homme ou à la femme de savoir.

L'accord que propose Google aux bibliothèques publiques est risqué. Le principe d'octroi d'une mission de service public à un opérateur du marché n'est pas contestable, mais à condition d'en conserver le contrôle et d'en maîtriser la finalité. Le groupe, qui dit vouloir favoriser une législation sur les livres orphelins, a profité de ce vide législatif pour numériser près de 7 millions de documents, ce qui lui vaut des problèmes avec les justices américaine et française. Si Google ne respecte pas les droits d'auteur, comment peut-on envisager un partenariat avec cette société ? N'avez-vous pas dit, monsieur le ministre, que « la numérisation de tous les patrimoines doit se faire dans une garantie d'indépendance nationale absolue et de protection des droits d'auteur absolue. Cela tient à l'identité, à la mémoire collective et à un certain nombre de valeurs qui vont bien au-delà des aspects techniques » ?

Ensuite, les numérisations déjà effectuées comportent des erreurs de datation, d'indexation et de classification. Les contenus dont Google veut se saisir ont été retracés, répertoriés et rassemblés depuis des années, voire des siècles, par des générations de bibliothécaires et de conservateurs. Peut-on accepter que ce travail soit bradé ? Un autre risque réside dans la clause d'exclusivité et de confidentialité imposée en contrepartie de la numérisation : Google obtient l'exclusivité de l'indexation des ouvrages sur internet pour un temps déterminé. Il pourrait ainsi disposer d'une grande partie du patrimoine historique et culturel international, qu'elle pourrait indexer et commercialiser à sa guise.

L'annonce, le 14 octobre dernier à la foire du livre de Francfort, de la création de Google Éditions, librairie numérique payante, a mis en lumière les objectifs du groupe : dès 2010, les internautes pourront accéder aux titres numérisés et les lire depuis n'importe quel terminal. L'achat pourra se faire depuis le site de Google, d'un libraire en ligne ou d'un éditeur partenaires. Comme le souligne le journaliste Alain Beuve-Méry, « Google est en passe de devenir à la fois la bibliothèque la plus riche et la librairie la plus puissante du monde ». Ce risque a incité d'autres opérateurs tels qu'Amazon, Microsoft et Yahoo à rejoindre la coalition Open Book Alliance. Cet objectif annoncé d'organiser l'information mondiale afin de la rendre accessible et utile à tous est inquiétant car l'individu pourrait alors être dominé par l'information. Google deviendra-t-il le Big Brother du XXIe siècle, qui saura qui a lu quoi, et quand ?

Les centristes, favorables à une charte des droits numériques, ont déjà alerté sur le danger, lié à l'internet, d'une accumulation de ces données. Que faire pour éviter d'être obligés de recourir à ceux qui prétendent ainsi dominer le monde, organiser notre mémoire et notre pensée ? Il y a tout d'abord nos plates-formes numériques. Europeana est un portail d'accès européen et un moteur de recherche qui regroupe 50 partenaires et propose 4 millions de documents en 26 langues. Confier la gestion numérique de la BNF à Google porterait un préjudice irrémédiable à ce projet européen. Gallica, la bibliothèque numérique de la BNF, n'est parvenue à numériser qu'1 million d'ouvrages en huit ans. Elle dispose pourtant de 24 millions de pages d'oeuvres du domaine public. Le projet reçoit 8 millions euros par an de l'État via le Centre national du livre (CNL).

Ces projets sont de qualité mais manquent de ressources financières face à l'ampleur de la tâche. La seule numérisation des oeuvres datées de la IIle République, soit 20 % des collections de la BNF, coûterait entre 50 et 80 millions d'euros. Comme le rappelait Jean-Noël Jeanneney, c'est avant tout un choix politique.

Monsieur le ministre, vous avez évoqué un recours au grand emprunt pour financer une partie de la numérisation. Au Nouveau Centre, nous partageons ce point de vue; nous l'avons dit au Premier ministre.

La révolution numérique entraîne un bouleversement complet des conditions de production et de diffusion des oeuvres. Le livre est confronté aux mêmes problèmes que la musique et l'audiovisuel. La concertation s'impose donc dans toute la chaîne du livre. Le rapport Patino plaide pour une offre légale attrayante. Nous ne pouvons qu'être d'accord. Le combat est engagé : qui inventera le « i-tunes » du livre ? C'est le moment en tout cas de poser des règles du jeu claires et transparentes. Quelles solutions envisagez-vous : une adaptation du prix unique à l'univers numérique, des barrières à la sortie sur le modèle du digital rights management, harmoniser les taux de TVA à 5,5 %... ?

J'en viens à la définition du livre numérique. Comme l'indique M. Patino, il est impossible de définir un livre numérique puisqu'il s'agit d'un fichier qui varie selon le contenu et le mode d'utilisation. Pourtant, je regrette que la définition du livre numérique ne figure pas parmi les axes de travail de la commission Tessier. Monsieur le ministre, les décisions que vous prendrez dans les semaines à venir sont déterminantes. Le soutien à la numérisation et à la diversité des biens culturels est essentiel. Je vous rappelle le rôle moteur qu'a joué la France à l'Unesco, avec le Québec et le Canada, pour faire aboutir la convention relative à la diversité culturelle : or, depuis 2005, une centaine de pays s'y sont ralliés. Le débat qui nous occupe a bien une dimension européenne et internationale ! La BNF est l'une des plus grandes institutions culturelles de la planète et la décision française sera regardée. Certains pays européens privilégient le partenariat public-privé, comme la Belgique ou l'Italie -la Commission plaide tout de même pour un respect des droits d'auteur et de la spécificité européenne.

M. Bruno Racine, à Madrid, avait lancé l'idée d'une charte déontologique commune des bibliothèques européennes, imposant un niveau d'exigence minimal. Cette piste nous séduit. Enfin, je serai attentive aux événements des semaines à venir : le 15 décembre, conclusions de la commission Tessier ; le 18 décembre, jugement du TGI de Paris sur le recours déposé contre Google par les éditions La Martinière, le syndicat national de l'édition et la société des gens de lettres ; enfin, le 18 février 2010, le juge new yorkais Denny Chin rendra son avis final sur l'accord proposé par Google aux éditeurs qui avaient formé un recours contre lui.

L'histoire de l'écrit a connu de nombreuses évolutions techniques, qui ont entraîné des mutations culturelles et économiques. Maîtrisée, la numérisation ne marquera pas la fin du livre mais son renouveau. Le livre papier conservera toute sa valeur. La tâche est exaltante, qui consiste à préserver le patrimoine historique et culturel qui a forgé notre République. La menace d'un appauvrissement culturel existe bien. Et comme le dit M. Hervé Gaymard, le livre « est le fruit d'un combat pour la liberté de l'esprit, d'une prouesse technique et d'une chaîne complexe qui va de l'écrivain au lecteur ». Un combat pour la liberté de l'esprit : ne l'oublions pas ! (Applaudissements au centre et à droite)

M. Serge Lagauche.  - Cinq ans après le lancement de Google Books, 10 millions d'ouvrages sont en ligne. Ce travail gigantesque de numérisation n'a été rendu possible que par des partenariats avec 29 bibliothèques dans le monde. La méthode employée -numérisation indifférenciée d'ouvrages tombés dans le domaine public et d'ouvrages encore protégés par le droit d'auteur- a déclenché la juste colère des ayants droit... mais avec des conséquences pernicieuses. Si l'accord trouvé avec les auteurs et les éditeurs est validé par la justice américaine, en effet, ce sera un désastre pour les auteurs et éditeurs européens dont les ouvrages figurent dans les fonds des bibliothèques américaines. Les éditeurs français, italiens et allemands ont notifié à la justice américaine leur ferme opposition.

L'accord signé entre la firme californienne et la guilde des auteurs et l'association des éditeurs américains rend une partie importante du patrimoine européen accessible uniquement depuis le sol des États-Unis. L'accès aux oeuvres européennes sera plus restreint et plus onéreux pour les Européens ! Argument que ne manquera pas d'utiliser la multinationale californienne pour convaincre les bibliothèques européennes de contracter avec elle ! Or Google pourrait exclure de sa base de données 15 % des livres épuisés mais encore sous droits. Il pourra rayer des pans entiers du patrimoine selon des critères qui lui sont propres. Échappera-t-il aux pressions des groupes d'intérêts ou des gouvernements ? Le groupe a accepté le verrouillage de son propre moteur de recherche dans certains pays, ne l'oublions pas.

Dans l'hypothèse d'un partenariat tel qu'il est envisagé entre la BNF et Google, une charte déontologique est indispensable. La firme américaine invoque un progrès dans l'accès au savoir pour tous. Mais en contrepartie de la numérisation gratuite des fonds des bibliothèques, Google exige une exclusivité sur l'indexation et l'accès au contenu numérisé par ses soins. Les voilà, les vraies motivations ! Google, leader des moteurs de recherche sur internet, sait qu'un concurrent peut émerger et le dépasser un jour. C'est pourquoi l'exclusivité est si déterminante pour lui. Il est en train de construire une position quasi monopolistique. Or c'est le patrimoine écrit de l'humanité qui est ici en jeu.

L'exclusivité est-elle compatible avec le libre accès à l'information ? Je suis persuadé du contraire. Si un tel dispositif devait se généraliser à l'échelle mondiale, il ferait de Google le point d'accès unique au savoir de l'humanité. Il ne s'agit pas, pour le groupe californien, de faire progresser la diffusion des connaissances mais de capter le marché des oeuvres épuisées et orphelines. La firme américaine vise à obtenir un monopole pour numériser, diffuser et commercialiser les oeuvres orphelines et épuisées du monde entier. On est loin de l'idée généreuse d'une bibliothèque numérique universelle accessible à tous ! Le projet est mercantile.

Les négociations en cours entre Google, la BNF et d'autres bibliothèques nationales européennes s'apprécient à l'aune du précédent américain. La BNF dispose d'un budget numérisation de 7 millions d'euros par an, sans équivalent en Europe. Le projet de numérisation concerne les fonds de toutes les institutions culturelles, musées, cinémathèques et même l'état civil. L'investissement global s'élèverait à 700 millions d'euros dont 130 pour la BNF. Le Gouvernement envisage de recourir au grand emprunt pour financer la numérisation du patrimoine cinématographique et audiovisuel et des fonds des bibliothèques publiques.

M. Marc Tessier vous remettra un rapport sur ce dossier que vous présentez comme « l'une des actions les plus importantes » de votre ministère. Nous sommes d'accord. Un véritable défi a été lancé par une multinationale à l'ensemble des États européens. Vous le savez, la BNF est une des institutions culturelles les plus respectées dans le monde et ses initiatives seront observées. Il est vrai que le projet Europeana marque le pas et déçoit, car il se limite pour l'heure aux oeuvres graphiques et sonores. M. Bruno Racine a constaté qu'hormis la France, aucun État européen n'est prêt à investir de manière significative dans la numérisation. C'est la raison pour laquelle il a proposé, avec son homologue anglais et en rupture frontale avec la politique de la BNF menée par M. Jeanneney, d'élaborer une charte commune des bibliothèques pour leurs négociations avec Google ou d'autres. Monsieur le ministre, vous avez vivement réagi à la divulgation dans la presse des négociations en cours entre la BNF et Google. Mais de tels partenariats entre la multinationale californienne et les bibliothèques nationales semblent le choix le plus probable.

Le groupe socialiste est convaincu qu'une alternative publique est encore possible pour la conservation du patrimoine et sa transmission aux générations futures. L'emprunt national pourrait être utilisé pour libérer les droits sur les oeuvres orphelines et épuisées, moyennant une juste compensation pour les auteurs et éditeurs. L'obstacle juridique à la numérisation de ces oeuvres serait levé.

Les livres numérisés seraient versés dans le corpus de la bibliothèque numérique européenne Europeana, ce qui conforterait sa position dans le monde. La problématique est peu ou prou celle des photographes créateurs qui proposent une gestion collective obligatoire des oeuvres orphelines visuelles diffusées avec la mention « droit réservé ».

Une autre piste consiste à utiliser l'emprunt national pour créer une entreprise spécialisée dans la numérisation de l'écrit. Elle pourrait prendre la forme d'un groupement européen d'intérêt économique (GEIE) associant des sociétés de droit public ou privé souhaitant accompagner la numérisation des fonds culturels pour alimenter Europeana. Ce GEIE pourrait facturer ses services aux éditeurs européens pour numériser les oeuvres littéraires toujours sous droit.

Avec M. Nourry, PDG de Hachette Livres, on pourrait même imaginer que les éditeurs créent une plate-forme commune commerciale, légale et attractive, au service de tous les lecteurs et tous les libraires. Ce serait une formidable réponse au piratage des livres numériques, dont le développement ne manque pas d'inquiéter.

Pour l'heure, nous souhaitons poursuivre le projet Europeana en s'assurant d'une contribution de tous les États européens afin qu'une alternative publique relève le défi lancé par Google.

L'urgence est de décider qui numérisera le patrimoine écrit et comment procéder. Il faut agir vite pour que la « République universelle des savoirs » de Roger Chartier ne soit pas dévoyée en simple banque de données. Souhaitée par l'historien américain Robert Darnton au nom des Lumières, cette République ne doit pas être confondue avec le grand marché auquel Google et d'autres ne font que proposer des produits. (Applaudissements)

M. François Fortassin.  - Après la musique et l'audiovisuel, le livre est touché par la révolution numérique. Cette nouvelle étape dans l'histoire de l'écrit nous impose de revoir l'économie du secteur.

Ce n'est pas le premier bouleversement historique lié à l'évolution technique mais nous assistons à une révolution extraordinaire : les nouvelles techniques de l'information et de la communication permettent un accès généralisé à la lecture et à la culture. Téléphones multifonctions, ordinateurs miniatures et liseuses de poche offrent de nouveaux supports de lecture. On ne saurait imaginer que leur développement ne devienne pas exponentiel. C'est pourquoi nous ne devons pas abandonner à des géants du commerce international une mission de service public : la transmission du patrimoine.

Nul ne peut contester la nécessité de numériser l'écrit. Les géants d'internet ont déjà pris les devants mais nous ne sommes qu'à l'aube de la vie numérique du livre, qui ne doit pas être soumise à ces acteurs financiers privés. Espérons pouvoir agir au moins de façon complémentaire. Quelle que soit la technique utilisée, nous devons garder à l'esprit qu'elle s'applique à la culture. Les bases de données existantes sont encore limitées ; n'est-il pas temps qu'Européens et Américains acceptent une numérisation partagée ?

Google ne fait pas les choses à moitié : il lancera en Europe, au cours du premier semestre 2010, sa bibliothèque de 500 000 titres. Dans leur grande majorité, les éditeurs français contestent ce comportement au nom des droits d'auteur. En effet, la propriété littéraire et les auteurs doivent être protégés avant tout : sans auteur, plus de livres !

Europeana doit permettre de consulter les ouvrages appartenant aux bibliothèques et aux musées de toute l'Union européenne, mais le projet balbutie encore bien qu'il soit censé devenir l'outil idéal valorisant le patrimoine culturel et à même de dynamiser les universités européennes. Pour l'instant, nous en sommes loin et le coût des numérisations fait peser une menace sur son développement. C'est bien le caractère insupportable de cette dépense qui pousse la Bibliothèque nationale de France à se rapprocher de son concurrent américain pour compléter sa base de données Gallica.

N'ayant pas anticipé la vague internet, le secteur musical a vu son économie vaciller. D'où nos lois à répétition tendant à endiguer le téléchargement illégal.

Pour le livre, il est donc fondamental de développer le plus vite possible une offre légale, même payante. Où en sommes-nous aujourd'hui ?

Je me réjouis que M. Ralite ait fait inscrire sa question à l'ordre du jour. Je salue son remarquable exposé consacré à un sujet passionnant et fondamental pour l'avenir de notre mémoire collective.

Aujourd'hui, le papier reste le meilleur support pour passer un moment de plaisir et tisser un lien entre l'auteur et son lecteur. (Applaudissements)

M. Jacques Legendre.  - Le nombre d'orateurs siégeant à la commission de la culture illustre l'engagement de cette commission en ce domaine. Dès le mois de septembre, nous avons organisé une série d'auditions sur ce thème. Nous entendrons encore demain le directeur de la bibliothèque de Lyon et le commissaire européen chargé de la culture. La numérisation des bibliothèques sera au coeur de nos réflexions l'année prochaine, en liaison avec les commissions des finances et des affaires européennes. M. Ralite obtiendra ainsi satisfaction sur sa première demande, puisque la commission tout entière se constituera en mission sur ce sujet essentiel.

La question orale du groupe CRC-SPG permet aujourd'hui un échange de vues intéressant contribuant à la réflexion engagée par M. le ministre lorsqu'il a créé la commission sur la numérisation des oeuvres culturelles.

Nous partageons tout un constat : la numérisation est un enjeu crucial des années à venir. Dans un premier temps, nous nous sommes enthousiasmés pour cette novation permettant à chaque lecteur d'accéder à tous les livres. Ce gigantesque musée virtuel ouvert à tous les citoyens du monde concrétisera en quelque sorte le musée imaginaire rêvé par André Malraux.

Je présidais la commission de la culture au Conseil de l'Europe lorsque j'ai fait approuver, en 2007, la création d'une bibliothèque numérique européenne. Il nous semblait en effet indispensable que le patrimoine culturel européen soit accessible à tous via internet, mais aussi de le préserver pour les générations à venir et constituer ainsi notre mémoire collective. Le projet reposait sur la mise en commun d'oeuvres libres de droit, appartenant à toutes les bibliothèques européennes. Il invitait les musées à numériser leurs archives pour les intégrer au projet. Pourtant, Europeana patine ; la mobilisation en sa faveur est pour le moins inégale.

Pourtant, la numérisation est un sujet majeur pour les bibliothèques. C'est pourquoi elles ont consacré à ce thème leur conférence internationale annuelle tenue à Rome en 2009. Unanimes à reconnaître la nécessité de la numérisation, les responsables des bibliothèques s'interrogent sur ses modalités.

Je me réjouis que le dernier Conseil de questure du Sénat ait abordé le cas de notre bibliothèque, car elle illustre parfaitement le sujet d'aujourd'hui : la numérisation permet de concilier l'inévitable fermeture au public d'une bibliothèque parlementaire et la volonté d'informer les citoyens sur l'activité législative et de contrôle, sans omettre les éléments de leur patrimoine. La numérisation des comptes rendus de nos débats est en retard sur l'Assemblée nationale ou sur bien des parlements européens. Elle est engagée pour les années 1958 à 1996. Nous devons encore progresser.

Notre bibliothèque, qui vient d'achever son inventaire après trois ans de travail, dispose désormais d'un catalogue, entièrement informatisé, de l'ensemble de son fonds, ce qui est rare. Je forme donc le voeu que les efforts continuent, même en ces temps de rigueur budgétaire et qu'au-delà des débats parlementaires, nous puissions, comme l'Assemblée nationale, numériser des éléments de notre patrimoine pour faire accéder le public à nos collections prestigieuses et parfois uniques.

La difficulté majeure de la numérisation étant son coût, certaines bibliothèques ont été séduites par des offres d'entreprises privées et ont passé des accords, notamment avec Google qui offre une solution « clés en main ». La tentation est forte dans la mesure où les budgets réguliers ne permettent pas une numérisation rapide. Les bibliothèques universitaires de Harvard, Stanford, Oxford, la bibliothèque de Tokyo ou celle de Lyon ont déjà signé des accords avec la firme américaine. Et le succès est au rendez-vous puisque Google Livres, ce sont déjà 10 millions d'ouvrages numérisés, des accords avec 29 bibliothèques lui permettant d'envisager de numériser 30 millions d'ouvrages. Mais c'est la rumeur concernant la Bibliothèque nationale de France qui a déclenché notre débat d'aujourd'hui car il est apparu choquant de confier cette tâche à une entreprise non seulement privée et américaine, mais en situation de monopole. Car il en va de notre mémoire collective, et même de notre identité nationale...

Le contrat passé entre Google et la municipalité de Lyon inquiète car il autoriserait l'entreprise américaine à s'octroyer « la pleine propriété sans limitation dans le temps » des fichiers originaux qu'elle a produits, en échange d'une simple copie digitale. Je parle au conditionnel puisque le plus grand mystère règne sur ce contrat que la ville de Lyon n'a pas souhaité rendre public, les données étant couvertes, selon elle, par le secret commercial. Ce regrettable manque de transparence nourrit toutes les critiques. Le danger n'est pas de signer avec un entreprise privée, ni même avec une entreprise américaine. Je n'exclus pas a priori cette entreprise californienne dont j'utilise moi aussi les facilités offertes en matière de messagerie, d'agenda ou de cartes géographiques. Mais rien n'assure que dans le futur, l'entreprise n'imposera pas de droits d'accès ou des prix de souscription considérables en dépit de l'idéologie du bien public et de la gratuité qu'elle affiche aujourd'hui. Et l'annonce, à la dernière foire du livre de Francfort, de la création de Google Édition, sa librairie payante, n'est pas de nature à nous rassurer. C'est un retour sur investissement de la numérisation des ouvrages depuis des années.

L'inquiétude naît en outre de l'utilisation par Google des données collectées auprès des utilisateurs. Le chiffre d'affaires publicitaire de Google a été estimé en 2008 à 800 millions d'euros, soit plus que celui prévisible de TF1 en 2009. Qui, dans ces conditions, consomme, selon la célèbre formule, « du temps de cerveau disponible » ?

Nous ne pouvons pas nous accorder avec le géant de l'internet sans un minimum de précautions. Nous ne pouvons aliéner notre mémoire collective et vous ne serez pas surpris que le gaulliste que je suis soit très attaché à notre indépendance nationale.

Il nous faut cependant éviter tout a priori et bien étudier ce qui nous est proposé par Google, ou par d'autres. Tout d'abord, la protection du droit d'auteur : il serait tout de même paradoxal d'avoir bataillé, avec la loi Hadopi, contre les jeunes internautes qui téléchargent et de se taire face aux agissements d'une multinationale ! Bruxelles vient de réaffirmer sa volonté d'harmoniser des textes encore trop fragmentés sur les droits d'auteur avant que Google ne négocie pays par pays. Il nous faudra, à cet égard, régler très vite le problème des oeuvres dites orphelines, dont les ayants droit sont inconnus et qui représenteraient 7 millions d'ouvrages publiés entre 1923 et 1964. Une loi sera sans doute nécessaire, monsieur le ministre, pour rémunérer les ayants droit qui se présenteraient. Nous ne pouvons cautionner le piratage et nous soutenons fermement les actions des éditeurs américains comme européens pour faire respecter leurs droits. Mais, en contrepartie, ils devront s'unir pour favoriser la distribution numérique. La France dispose du plus grand réseau de points de vente avec ses 12 000 librairies, mais elles doivent se positionner sur ce marché pour que le livre numérique ne reste pas l'apanage des géants américains tels Google ou Amazon.

La coordination des politiques publiques dans ce domaine, tant au niveau européen que national, parait indispensable. Comment les institutions non commerciales désireuses de propager le savoir pourront-elles travailler ensemble à long terme en assurant la conservation pérenne des données ? La France et la Grande-Bretagne ont fait des propositions à la dernière conférence des bibliothèques nationales, à Madrid, en octobre. Je soutiens l'idée d'élaborer une charte commune des bibliothèques sur un niveau d'exigence commun minimal dans les négociations avec Google.

Enfin il faut garantir la diversité culturelle en mettant en place des ressources techniques propres à faciliter la recherche et l'utilisation de l'information et ne pas se contenter d'un catalogue numérisé des oeuvres. L'intégration des contenus au sein d'un système de recherche commun permettra d'éviter le moteur de recherche unique.

A ces conditions, la numérisation des bibliothèques constitue une chance. Il ne faut pas renoncer à cette belle idée mais faire en sorte que sa concrétisation préserve l'intérêt général et la mémoire de notre pays. Je ne suis pas opposé à des partenariats avec des entreprises privées, si cela permet une plus large diffusion des oeuvres françaises, mais nous ne pouvons laisser Google organiser comme il l'entend l'offre et la présentation des livres.

La commission de la culture restera vigilante au cours des prochains mois et elle attend du Gouvernement qu'il soit ferme dans la définition d'une politique qui permette une numérisation de qualité et rapide mais sans aliénation. La numérisation, oui ! L'aliénation, non ! (Applaudissements)

Mme Bernadette Bourzai.  - Je remercie notre collègue Jack Ralite de son heureuse initiative qui nous faire débattre sur la numérisation des livres et les bibliothèques. Ces deux aspects, pas exactement identiques, sont liés parce que la numérisation des bibliothèques est une des manières de viser la numérisation exhaustive de tous les livres. La question est juridique, économique et hautement politique.

L'histoire de l'écrit et du livre est marquée par deux tendances contradictoires : la mise en oeuvre de techniques facilitant l'accès au contenu et la préoccupation de certains pouvoirs de dominer la création intellectuelle en contrôlant son support de diffusion. Parmi les progrès qui ont marqué l'histoire de l'écrit et du livre, on peut citer, dans l'Antiquité, la transition du rouleau au codex qui permet l'accès direct à un passage, ou encore, aux époques moderne et contemporaine, l'apparition d'éditions bon marché qui ont démocratisé l'accès au livre. L'étape la plus significative a été évidemment l'invention de l'imprimerie. A cette époque, l'enjeu autour duquel se sont nouées les guerres de religion était d'accéder à un livre bien particulier, la Bible, en s'affranchissant des clercs.

Le savoir et la culture ont un pouvoir, leur diffusion a toujours remis en cause les autorités établies et leur contrôle a toujours été la marque des régimes autoritaires. Encouragement à l'esprit critique ou non, ouverture à la diversité du monde connu ou non : hier, comme aujourd'hui, à travers la question de l'accès au livre, les enjeux sont les mêmes.

La numérisation des bibliothèques par la firme Google n'oppose pas de prime abord le progrès à l'obscurantisme mais elle met en porte-à-faux les notions de diffusion et d'ayant droit. Elle oppose deux aspects du progrès et la confusion que cela crée constitue une menace de régression.

Il y a un an, nous discutions de la loi Hadopi : les problèmes sont dans une certaine mesure comparables mais la question d'aujourd'hui a sa spécificité qui, peut-être, nous permettra d'échapper aux errements du précédent débat. A l'inverse de ce que le représentant de Google en France nous a dit en commission, je pense que l'intérêt de l'accès au livre ne se résume pas à l'accès à une information. Cette limitation marginaliserait, aux yeux du grand public, les livres « pensés » au bénéfice des livres « catalogues », composés d'informations. Sans doute, les informations, segmentées et monnayables, correspondent-elles mieux aux tendances à la « marchandisation » du monde. Mais un livre, une oeuvre portent des réflexions, des analyses, une esthétique qui ne sont pas réductibles à une information.

Je considère aussi que tous les livres pourront a priori être numérisés et accessibles via internet. Il existe certes une distinction entre un usage qui peut se satisfaire d'un accès par écran, lorsqu'il s'agit de vérifier une référence ou de lire quelques pages, et un usage qui n'aurait pas de sens sans l'utilisation du papier. Mais, avec les imprimantes et les machines à imprimer, notamment l'Expresso Book Machine, élue invention de l'année par Time, qui permet de fabriquer un livre de poche à partir d'un fichier en quelques minutes, l'accès au contenu d'un livre par internet n'est pas contradictoire avec la possibilité de finir par l'avoir entre ses mains sous forme d'objet. La question est de savoir si l'accès au contenu des livres par internet fera reculer l'édition classique des livres ou s'il s'agit au contraire d'un moyen d'accès complémentaire au contenu du livre. Nous sommes ici plus proches des problèmes de la presse écrite que de ceux des vendeurs de disques.

Croire avoir potentiellement accès au livre, ce n'est pas exactement la même chose qu'avoir réellement accès à sa richesse. Le commentaire autour du livre, le cheminement intellectuel vers son contenu ont leur utilité. C'est sans doute ce qui distingue le livre et l'article qui est lui-même un commentaire. L'accès direct, « sec », à certains ouvrages n'a pas de sens. Faire croire le contraire relève de la naïveté ou de la manipulation. Qu'un mécène -et avec Google, on n'en est pas là puisqu'il y a des contreparties cachées- propose de mettre gracieusement à disposition des procédés permettant la numérisation du patrimoine serait une bonne chose, mais en partie seulement.

Mais cela ne règle pas la question de l'accès éclairé au livre, de l'appareil critique. Le rôle des éducateurs est essentiel dès lors qu'un livre a échappé, à sa sortie, au débat public. Tout livre s'adresse à des contemporains que ne sont pas forcément ses lecteurs. Entre un lecteur contemporain et un livre, même tombé dans le domaine public, il y a l'appareil critique, qui doit être validé scientifiquement et reposer sur la confrontation pluraliste des points de vue. Si dire la vérité n'est pas un monopole d'État, c'est encore moins celui d'une firme commerciale internationale.

Et puis, en dehors des livres tombés dans le domaine public mais dotés d'un appareil critique qui n'est pas libre de droit, que reste-t-il, sinon des ouvrages qui s'adressent essentiellement aux passionnés ? Quelle urgence à conduire un projet d'une telle ampleur ? D'autant que les éditeurs sont parfaitement capables de produire de leurs ouvrages des versions numériques. Google, qui se situe dans une logique de marché, ne cherche pas autre chose qu'à sanctuariser sa position prédominante. On touche là à une mission de service public. Les fonds des bibliothèques représentent une somme d'efforts et de temps, fruits de l'investissement public. Qu'est-ce, au regard de cela, que l'apport de Google, qui cherche à s'en emparer ? Peu de chose.

Nous devons prendre la question au sérieux : la numérisation, si elle n'inaugure pas la vie d'un fonds, en est devenue une étape. Cette étape relève du service public parce que l'accès à la culture passe par un accès critique aux contenus. Nous visons là une définition du service public que tous les pays ne partagent pas. C'est l'occasion de faire valoir notre modèle, de sortir des difficultés juridiques liées à la délimitation du domaine privé et du domaine public, de rejoindre les préoccupations antitrust de pays qui ne partagent pas les mêmes notions que nous du rôle de la puissance publique dans l'économie, comme les États-Unis.

Il serait bon que les acteurs du livre se rejoignent, que les éditeurs se retrouvent sur un procédé commun, garantie de professionnalisme et de pluralisme. Ce « langage commun », l'expérience des bibliothèques pourrait contribuer à le définir, l'État, garant de l'intérêt général, jouant un rôle d'impulsion et d'arbitrage. Le coût en serait moindre que celui que l'on prétend économiser avec Google.

Il y a quelques années, des analyses ont été menées, notamment par la BNF, sur l'utilité de la numérisation et comment la mener. Ce sont des limites financières qui ont conduit à s'intéresser à l'offre de Google. Reste que beaucoup de propositions qui avaient été faites alors restent valides. Ne sacrifions pas à la logique de l'hégémonie : les vertus se perdent dans l'intérêt comme les rivières vont à la mer. J'espère, monsieur le ministre, que ce débat et les conclusions qui vous seront remises par la commission sur les fonds patrimoniaux, présidée par M. Tessier, vous inciteront à aller à contre-courant.

M. Jean-Pierre Leleux.  - Je remercie M. Ralite de sa question, que la commission des affaires culturelles a beaucoup encouragée et qui nous permet de faire le point. Vous avez dit vous même récemment, monsieur le ministre, que nous sommes dans une situation d'urgence, où la numérisation fond « comme un tsunami » sur l'Europe. « Soit nous regardons l'émergence du numérique se faire, soit nous le prenons à bras-le-corps », ajoutiez-vous.

La diversité des arguments et des initiatives en ce domaine témoigne d'une véritable révolution dans notre relation au livre et la transmission d'un patrimoine qui nous est cher. En 2004, l'annonce d'un programme « Google books » avait provoqué une véritable levée de boucliers en Europe. L'un des critiques les plus engagés était le président de la Bibliothèque nationale de France d'alors, Jean-Noël Jeanneney, qui dénonçait la menace d'une « domination écrasante de l'Amérique dans la définition de l'idée que les prochaines générations se feront du monde » et soutenait ardemment le projet d'une bibliothèque numérique européenne, Europeana, dont le fonds français Gallica représente une part prépondérante. Depuis, des partenariats ont été conclus entre Google et de grandes bibliothèques mondiales -Oxford ou, pour la partie francophone, Lausanne, Gand et Lyon. Au total, 29 bibliothèques sont déjà associées au géant américain. Le partenariat signé en 2008 avec la ville de Lyon porte sur la numérisation de 500 000 ouvrages en français sur les dix prochaines années. L'actuel président de la BNF, Bruno Racine, envisage la possibilité de confier à un partenaire privé la numérisation d'un certain nombre de collections et d'engager des discussions avec Google pour les ouvrages français déjà numérisés. Nous les avons entendus l'un et l'autre le 7 octobre dernier. M. Racine est convaincu que nous allons trop lentement par rapport aux attentes des internautes qui souhaitent pouvoir accéder à l'exhaustivité des oeuvres, ce qui n'est pas réalisable financièrement sans l'intervention de Google. La BNF dispose de 5 millions d'euros par an pour sa base Gallica alors que, selon le directeur adjoint de la BNF, il faudrait 50 à 80 millions pour numériser les seuls fonds de la IIIe République, soit soixante dix ans d'une activité éditoriale intense. M. Jeanneney juge, quant à lui, l'exhaustivité contraire au principe même de l'effort, qui consiste « à choisir parmi l'immensité des parutions afin d'offrir un fil d'Ariane dans l'exploration de notre héritage culturel, évitant ainsi son a ennemi : le vrac ». La mise à disposition d'une sélection d'ouvrages pourrait se faire par Gallica au moyen d'une indexation définie par la bibliothèque elle-même.

Quelle ambition doit être la nôtre face à l'évolution inévitable de la numérisation des oeuvres ? Quelle stratégie construire et avec quels acteurs ? L'enjeu n'est pas mince, il s'agit d'assurer la démocratisation de l'accès à la culture. A nous de fixer les règles et d'être, autant que faire se peut, les acteurs de ce mouvement.

Je me réjouis de votre décision, monsieur le ministre, de dépassionner le débat en confiant à M. Tessier une mission de réflexion sur le thème de la numérisation des bibliothèques. L'État pourra ainsi mieux apprécier les risques et les avantages d'un partenariat entre le géant économique qu'est Google et nos institutions publiques. Vous avez fixé au 15 décembre la remise de son rapport de cette mission, ce qui est un défi en termes de calendrier... Notre commission sera désireuse de pouvoir vous remettre au plus vite le fruit de sa réflexion sur ses conclusions.

Des questions essentielles doivent être posées. Comment s'assurer, dans un partenariat privé, que les droits d'auteur seront préservés ? Qui sera propriétaire des fichiers numérisés ? Quelle sera la liberté d'accès des bibliothèques ? Comment les ouvrages seront-ils répertoriés, indexés, hiérarchisés ? Comment concilier une démarche strictement culturelle et patrimoniale avec le souci de rentabilité d'un partenaire privé ? Se pose également la question de la pérennité à long terme des fichiers numérisés.

Au-delà, il faut se demander si une bibliothèque à l'échelle mondiale favorise une culture dominante ou si, au contraire, elle est une chance pour les cultures minoritaires, qui n'ont jamais disposé d'un tel outil de promotion.

Notre commission a manifesté sa crainte de voir tout un pan de l'accès à la culture capté par une multinationale en situation de quasi-monopole, les intérêts commerciaux risquant de prévaloir sur les enjeux nationaux et européens en termes de culture, d'industrie et de démocratie. Cette crainte est partagée par nos voisins européens. Il s'agit moins de se plaindre des propositions de Google que de regretter l'absence de projet équivalent en Europe, porté par des institutions publiques. Depuis presque un an, Europeana tente de s'imposer sur internet mais elle reste trop axée sur l'image, plus de la moitié de ses contenus ont été fournis par la BNF et l'INA, son budget et sa taille restent dérisoires face au géant Google. Quel est votre sentiment, monsieur le ministre, sur ces débuts difficiles ?

Vous avez déclaré souhaiter que, parmi les projets retenus par le grand emprunt, figure la numérisation du patrimoine culturel de l'État. Pourriez-vous nous en dire plus ? Quel montant pourrait être investi et dans quelles directions ?

Créer une grande bibliothèque immatérielle est un projet fascinant et enthousiasmant. Riche d'un exceptionnel patrimoine culturel, la France doit y prendre une part déterminante. C'est un enjeu fondamental pour la diffusion des connaissances et la valorisation de la diversité culturelle. Dans le combat qui est le vôtre, monsieur le ministre, contre l'intimidation sociale et en faveur de l'accès au patrimoine écrit, j'ai relevé, dans un éditorial récent, une métaphore intéressante : « qu'importe le vecteur, pourvu qu'on ait l'accès »... Qu'importe le flacon, pourvu qu'on ait l'ivresse ?

Soyons vigilants car les lendemains d'ivresse sont difficiles : le principe de précaution doit s'appliquer. (Applaudissements à droite et au centre)

M. Yann Gaillard.  - Dans l'histoire séculaire du livre, la numérisation constitue le chapitre le plus récent, le plus actuel, le plus inquiétant aussi. Il déborde largement le débat d'aujourd'hui et ceux qui ont assisté à l'affrontement entre l'ancien et le nouveau président de la Bibliothèque nationale de France ont pu mesurer l'inquiétude et les passions qu'il soulève parmi les bibliothécaires comme parmi les libraires et les lecteurs. Je ne suis pas inquiet d'une prise de contrôle par Google ; je m'inquiète surtout de savoir si le livre papier survivra et si le livre électronique permettra la sauvegarde de la culture française, comme à l'époque du liber et du codex. La modestie qui est de mise dissuade de s'en prendre à un acteur unique. Quelle que soit son énormité, des rapports de coopération sont préférables à un affrontement.

Le monde actuel est numérique et, même sous sa forme papier, le livre est déjà précédé par une mise en forme dans l'univers du numérique. Cette coexistence durera longtemps. Si les rapports des commissions des finances et de la culture ont vocation à être conjoints, il ne doit pas uniquement s'agir de la numérisation des bibliothèques mais du sort du livre.

Notre pays s'est-il donné les moyens budgétaires de la numérisation ? La Bibliothèque nationale de France y consacre 10 millions et votre ministère estime qu'il manque 12 millions au Centre national du livre pour assurer ses missions ; il juge donc nécessaire de réformer la taxe sur les appareils de reproduction ou d'impression car si ses recettes n'étaient pas accrues, le Centre national du livre ne pourrait participer au financement de Gallica.

Le choix n'est pas encore fait entre une politique de numérisation purement française ou le recours à des moyens internationaux. Une bibliothèque comme celle de Lyon collabore avec Google, cette entreprise que certains dépeignent comme un chef-d'oeuvre du capitalisme. Cependant, la Bibliothèque nationale de France a suspendu à votre demande ses contacts avec Google en attendant le rapport Tessier. Attendons en évitant une chasse aux sorcières.

Tous les amoureux du livre ne peuvent s'empêcher d'éprouver certaines angoisses. Sachons raison garder : les oeuvres de l'esprit continueront à s'exprimer. Le PDG d'Amazon a annoncé que quand il y avait le choix entre l'imprimé et le format électronique, celui-ci représentait 35 % des ventes. Nul ne peut répondre à coup sûr sur la cannibalisation du livre papier par le numérique, ce qui est mon inquiétude essentielle. Cette cannibalisation aura lieu, mais à quelle date ?

Les éditeurs français vous ont demandé tout récemment un dispositif juridique pour garder la maîtrise du prix du livre numérique, qui ne peut être la transposition de la loi Lang. Je serais heureux que nous puissions tous ensemble explorer un continent nouveau avec prudence mais non sans une certaine audace. (Applaudissements à droite et au centre)

M. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture et de la communication.  - Je voudrais d'abord vous remercier, cher Jack Ralite, d'une question qui me permet de vous exposer les principes de mon action et ma conception de la méthode à suivre. Dès mon arrivée rue de Valois, j'ai identifié la révolution numérique comme le grand enjeu pour notre politique ainsi que pour tout ce qu'elle implique pour le lien social. Cette analyse de fond est aussi un constat de bon sens que corrobore l'enquête décennale sur les pratiques culturelles des Français à l'heure du numérique. Chacun le sait, le numérique représente un bouleversement sans précédent des comportements culturels depuis l'invention de l'imprimerie, et cela surtout chez les « natifs d'internet ».

La numérisation de notre patrimoine est une question cruciale, pour le livre mais aussi pour les images et pour les collections et les archives manuscrites. Ce constat correspond à une mise en demeure face aux fractures qui menacent un pays marqué par une démographie dynamique mais vieillissante. Il faut garantir la transmission intergénérationnelle, une identité fidèle et évolutive, la qualité de notre vivre ensemble.

Le numérique, sans remplacer aucun autre support, est le lieu de ce constat, le haut lieu de la rencontre des Français avec leur patrimoine, leur culture et leur mémoire, une journée du patrimoine virtuelle mais aux portes ouvertes toute l'année. Il ne s'agit pas seulement de l'accès au patrimoine de tous et de chacun dans ses particularités ; il ne s'agit pas seulement d'un instrument exceptionnel de la culture pour chacun ; non, il s'agit d'offrir à la recherche et à la construction des connaissances, notamment en sciences humaines et sociales, un champ d'investigation démultiplié. Il s'agit enfin de construire une économie de la connaissance qui repose sur une économie de la culture et de la communication à l'heure du numérique, ainsi que je l'évoquerai au forum d'Avignon.

Un géant américain intervient sur le patrimoine littéraire de l'Europe. L'analyse de M. Renar rejoint ici celle de M. Ralite. La technologie numérique a ses champions. La force de frappe et la puissance innovatrice des universités californiennes ont permis à cette entreprise de franchir avec une rapidité stupéfiante les étapes de la croissance. La jeune pousse est devenue quelque peu tentaculaire et on peut se demander si elle n'est pas désormais une plante carnivore -M. Leleux a repris l'image du tsunami. J'ai tout de suite considéré que ce débat était central parce qu'exemplaire, comme l'atteste l'intervention de Mme Morin-Desailly.

Cette question est trop complexe pour être caricaturée. Nous ne devons être ni dans la complaisance, ni dans la parodie de sursaut national, ni dans l'indulgence envers le monopole, ni dans la nostalgie du monolithisme d'État. Ne cédons pas à un anti-américanisme facile en confondant Google et l'Amérique, comme le président de Général Motors disait que ce qui est bon pour sa firme est bon pour les États-Unis : M. Gaillard est intervenu en ce sens. Ne sous-estimons pas non plus le risque de voir s'imposer, par le net, une « culture dominante ». II faut prendre le temps de la réflexion, de la délibération et de la consultation. C'est aussi la démarche de votre commission de la culture, qui organise des auditions indispensables.

Je vous informe que la commission d'accès aux documents administratifs considère que le contrat passé entre la ville de Lyon et Google doit être accessible à tous.

Nous connaissons les risques d'un partenariat avec Google : la question de la durabilité de la conservation et de l'archivage des fichiers numérisés, de leur propriété, les incertitudes sur la stratégie de cette société. De l'autre, j'observe les partenariats qui sont passés avec la firme californienne par de grandes bibliothèques, en Europe et dans le monde.

Un accord est-il pertinent, au regard des objectifs d'intérêt général ? Il n'y a pas de consensus. J'ai donc confié une mission de réflexion sur le sujet à des personnalités incontestées : Marc Tessier, ancien directeur général du CNC, ancien président de France Télévisions, actuel président de Vidéo Futur Entertainment Group, sera entouré d'Emmanuel Hoog, président de l'INA, d'Olivier Bosc, conservateur en chef des bibliothèques au Château de Chantilly, d'Alban Cerisier, directeur des fonds patrimoniaux et du développement numérique aux éditions Gallimard, et de François-Xavier Labarraque, directeur du développement et de la stratégie de Radio France. Sophie Justine Lieber, maître des requêtes aux Conseil d'État, en sera le rapporteur.

Cette mission permettra d'éclairer la décision à l'aune des risques et des avantages d'un partenariat entre Google et nos institutions publiques. Elle devra se pencher sur l'aspect technique du problème, mais aussi sur sa portée politique, au sens noble du terme, en restant fidèle à notre tradition républicaine de régulation. Le droit de nos concitoyens, c'est d'abord le droit d'accès libre et gratuit au patrimoine « tombé dans le domaine public », une expression que je trouve très belle. Le droit des professionnels, c'est avant tout le droit d'auteur, les droits des auteurs, conquête des Lumières, acquis social qui a permis aux artistes de sortir de la marginalité et parfois de la misère.

En cohérence avec la loi Hadopi, j'ai pris parti pour la défense des droits d'auteur à l'ère numérique, c'est-à-dire pour la juste rémunération des créateurs dont telle ou telle entreprise pourrait capter indûment le travail. Le Gouvernement est intervenu auprès du juge américain, via une lettre amicus curiae, pour l'alerter sur les problèmes que soulève le projet de règlement entre Google et les auteurs et éditeurs américains. C'est également la position que les autorités françaises ont développée lors de l'audition menée par la Commission européenne à Bruxelles, le 7 septembre dernier.

La France ne peut accepter le principe du fair use, usage prétendument loyal qui justifierait la numérisation de millions d'auteurs sans leur autorisation. C'est, à l'évidence, un leurre juridique.

M. Jacques Legendre.  - Très bien.

M. Frédéric Mitterrand, ministre.  - Je souhaite construire une alternative politique à cet avatar du choc des civilisations, qui fédère nos partenaires européens. J'ai obtenu l'appui de la directrice de la Bibliothèque nationale allemande, et je vais rencontrer les ministres de la culture espagnol et roumain en Avignon. J'évoquerai ce sujet lors de la rencontre des ministres de la culture de l'Union à la fin du mois.

La parole du ministre français de la culture a du poids en Europe, car chacun connaît le rôle moteur que la France a joué pour la reconnaissance politique des enjeux culturels. Il s'agit, pour l'Europe, d'un enjeu culturel et économique, mais aussi politique -conviction partagée par mon collègue allemand Bernd Neumann et par la plupart des pays européens, comme j'ai pu le constater lors de nombreux entretiens bilatéraux avec mes homologues.

La présidence suédoise de l'Union a prévu un débat sur la numérisation du patrimoine lors du prochain conseil des ministres de la culture, le 27 novembre. Ce rendez-vous doit nous permettre d'élaborer ensemble une réponse européenne à une question cruciale : comment construire la mémoire numérique de notre continent ? Je disposerai d'un premier état des réflexions de la commission Tessier pour affiner les propositions françaises, qui iront dans le sens d'une intensification de la numérisation de notre patrimoine. Une approche européenne commune doit permettre de définir les conditions de partenariats public-privé acceptables pour le citoyen européen et la construction de l'Europe de la culture et de la connaissance.

Ce conseil des ministres travaillera aussi au projet Europeana de bibliothèque numérique européenne, initiative française dont le prototype a été lancé sous présidence française et dont la France est le premier contributeur. Je plaiderai pour une impulsion nouvelle, des moyens accrus et, à terme, une éditorialisation de ses contenus. Les oeuvres orphelines et épuisées doivent y avoir toute leur place ; la directrice de la bibliothèque nationale d'Allemagne y veille.

Notre action d'influence auprès de la Commission se double d'un engagement fort de l'État. Le Centre national du livre consacre 11,5 millions par an à la numérisation des livres : 10 millions pour la BNF, 1,5 million pour les projets de numérisation des éditeurs. Mais nous avons besoin d'un effort accru.

C'est pourquoi j'ai proposé au Président de la République et au Premier ministre un projet d'envergure dans le cadre du grand emprunt. J'ai demandé à la commission du grand emprunt de consacrer pas moins de 753 millions à la numérisation des contenus culturels (M. Jacques Legendre, Mmes Catherine Morin-Desailly et Nathalie Goulet applaudissent), dont 130 millions à la seule BNF afin d'enrichir l'offre de Gallica.

J'ai également proposé de mettre en place des pôles de compétitivité sur la numérisation et, plus généralement, de développer une filière numérique porteuse de valeur et d'emplois. Je salue, à cet égard, l'initiative du pôle Cap Digital qui a lancé le projet « Dem@t Factory », et le projet « Sylen », qui vise à développer des supports de lecture à encre électronique.

Car votre question englobe évidemment celle du livre numérique. L'enjeu est de proposer une alternative crédible à l'offre que construit le géant américain, à travers une offre légale et attractive de livre numérique, indispensable pour éviter le piratage.

Cela requiert de réunir les conditions techniques, juridiques et économiques nécessaires ; vous pouvez compter sur mon ministère pour faire avancer le dossier. Je veillerai aussi, à la suite des préconisations de M. Patino, à ce que l'accompagnement public des éditeurs soit le plus efficace possible. La plate-forme unique d'accès à une offre numérique pour le livre devra réunir tous les éditeurs français ; nous n'en sommes pas là, mais le projet est stratégique, indispensable d'une offre alternative à celle de Google. Je m'engagerai pour le faire aboutir. La mission confiée à MM. Zelnick, Toubon et Cerutti permettra d'en définir les prémisses.

La Gouvernement a pleinement pris la mesure des enjeux culturels et sociaux qui sous-tendent votre question, cher Jacques Ralite, et la problématique puissante et complexe de la révolution numérique. J'agis au plan national comme au plan européen, résolument. J'espère que vous aurez trouvé dans mes propos des réponses à votre si légitime interrogation, qui est aussi la mienne, n'en doutez pas. (Applaudissements)

M. Jack Ralite.  - J'ai pris un grand intérêt à ce débat et aux interventions de chacun. La façon dont a travaillé la commission des affaires culturelles depuis août dernier montre qu'on peut avancer. Oui, monsieur le ministre, il faut mesurer les changements qualitatifs. Comme le dit un de mes amis, Pedrag Matvejevic, il faut défendre notre héritage mais, dans le même mouvement, s'en défendre ; autrement, nous prenons le risque de retards d'avenir, d'être inaccomplis. Et l'inaccompli, a écrit René Char, bourdonne d'essentiel... J'ai entendu dans les propos du ministre des éléments de réponse et des pistes tracées avec un crayon qui marque. J'en prends acte.

A l'occasion des états généraux de la culture, nous avons tenu une réunion le 28 septembre en présence de tous les acteurs, vraiment tous, il y avait là Orange et Microsoft, Free, des groupements d'internautes, de grands juristes, des chercheurs ; nous étions 146, avec un seul objectif, enfin nous écouter. Je retiens ici votre volonté d'écoute, monsieur le ministre. Je vous ferai insulte, sachant ce que vous avez fait autrefois pour le cinéma, de penser que vous avez oublié ce qui s'est passé après-guerre à propos de la programmation des films américains dans nos salles. Parce qu'ils étaient sevrés de films américains -on n'en est plus là !-, certains ne voulaient pas qu'on cherchât un bouc émissaire. Mais j'étais à la manifestation entre l'Opéra et la Madeleine, immense pour l'époque, et nous avons eu gain de cause -en France, malheureusement pas ailleurs. La France avait été naïve avec les vainqueurs... J'ai suffisamment fréquenté Jack Valenti pour savoir que les Américains n'ont pas bougé d'un iota !

Je ne parlerai pas de chasse aux sorcières à propos de Google mais il faut savoir que cette entreprise ne paie aucune de ses matières premières, qu'elle gagne des sommes ébouriffantes avec la publicité, qu'elle numérise en vrac, qu'elle exige des clauses secrètes dans les contrats qu'elle signe. Comme le dit Antoine Gallimard dans une tribune du Monde, ces clauses confidentielles font mauvais ménage avec l'image de transparence que veut se donner la firme californienne. J'ajoute qu'elle s'est installée en Irlande et échappe à tout impôt. Il ne faut pas lui faire la courte échelle. Gardons l'esprit qui était le nôtre à la Libération. Google n'est pas une sorcière mais a des pratiques sorcières. N'oublions pas qu'Hollywood a le monopole sur l'audiovisuel et le cinéma, Microsoft sur les logiciels, Intel sur les composants, Amazon et eBay sur le commerce internet, Google sur les moteurs de recherche...

Il faut agir avec énergie au niveau européen, j'en suis d'accord, monsieur le ministre. Mais ne soyons pas naïfs, il y a des forces qui veulent se mettre en travers de la route. Dans de nombreux domaines, le danger est là.

J'ai été heureux de ce débat ; j'ai même applaudi des sénateurs que d'ordinaire je n'applaudis pas... (Applaudissements)

M. le président.  - Ce débat a honoré notre assemblée. Que tous en soient remerciés.

Commission mixte paritaire (Nominations)

M. le président.  - Il va être procédé à la nomination de sept membres titulaires et de sept membres suppléants de la CMP chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2010.

La liste des candidats établie par la commission des affaires sociales a été affichée. N'ayant reçu aucune opposition, je proclame représentants du Sénat à cette CMP : titulaires, Mme Dini, MM. Vasselle, Dériot, Leclerc, Cazeau, Mme Demontès et M. Fischer ; suppléants, MM. Autain, Daudigny, Mme Desmarescaux, MM. Jégou, Lardeux, Mme Le Texier et M. Milon.

La séance est suspendue à 19 heures 30.

présidence de M. Guy Fischer,vice-président

La séance reprend à 21 h 35.

Imposition des revenus de source locale à Saint-Martin et à Saint-Barthélemy (Procédure accélérée)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la proposition de loi organique modifiant le livre III de la sixième partie du code général des collectivités territoriales relatif à Saint-Martin, présentée par MM. Louis-Constant Fleming, Jean-Paul Virapoullé et Mme Lucette Michaux-Chevry (procédure accélérée), et la proposition de loi organique tendant à permettre à Saint-Barthélemy d'imposer les revenus de source locale des personnes établies depuis moins de cinq ans, présentée par M. Michel Magras (procédure accélérée).

Ces deux textes feront l'objet d'une discussion générale commune.

Discussion générale commune

M. Louis-Constant Fleming, auteur de la proposition de loi relative à Saint-Martin  - (Applaudissements au centre et à droite) Je mesure aujourd'hui l'étendue du chemin parcouru depuis l'adoption de la loi organique du 21 février 2007 portant dispositions statutaires et institutionnelles relatives à l'outre-mer, à laquelle j'avais assisté depuis la galerie des visiteurs. Deux ans et demi plus tard, devenu le premier sénateur de Saint-Martin, j'ai l'honneur de vous présenter une proposition de loi tendant à clarifier les compétences fiscales transférées par l'État à cette collectivité.

Désormais régie par l'article 74 de la Constitution, cette dernière exerce les compétences autrefois dévolues aux communes, au département et à la région de Guadeloupe, auxquelles s'ajoutent plusieurs autres compétences transférées. Elle doit ainsi accomplir des missions d'intérêt général qu'elle finance au moyen d'impôts levés sur la base de sa compétence fiscale : l'article L.O. 6314-3 du code général des collectivités territoriales dispose que la collectivité fixe les règles relatives aux impôts, droits et taxes « dans les conditions prévues à l'article L.O. 6314-4 ».

Mais ce renvoi à l'article suivant du code empêche Saint-Martin d'exercer pleinement sa compétence fiscale. En effet, l'article L.O. 6314-4 fixe une règle dite des cinq ans selon laquelle, pour être considérées comme fiscalement domiciliées à Saint-Martin, les personnes physiques ou morales auparavant domiciliées dans un département de métropole ou d'outre-mer doivent avoir résidé à Saint-Martin pendant au moins cinq ans. Cette règle visait à prévenir le risque de délocalisation de particuliers ou de sociétés vers Saint-Martin, dont on supposait que le régime fiscal serait particulièrement attractif. Ce préjugé s'est révélé faux : la fiscalité de la collectivité, nécessaire au financement de ses charges, n'a rien à avoir avec celle d'un paradis fiscal, ni pour ses résidents, ni pour les opérateurs internationaux.

Les autorités économiques et financières de l'État ont souhaité le maintien de la règle des cinq ans : nous en prenons acte. Le problème tient aux effets de cette règle sur la compétence fiscale de la collectivité et, par voie de conséquence, sur ses ressources propres. Dans l'esprit des élus de Saint-Martin comme, je le crois, du législateur organique de 2007, la règle des cinq ans est une simple règle de domicile : elle institue un critère de domicile qui s'ajoute aux critères usuels afin de déterminer la résidence fiscale d'une personne physique ou morale. Son effet sur la compétence fiscale de la collectivité devrait se résumer à ce que celle-ci ne puisse imposer selon le régime des résidents que les contribuables qui répondent à cette condition, sans préjudice du droit propre à toute juridiction disposant de la compétence fiscale de taxer suivant le régime des non-résidents les revenus trouvant leur source sur son territoire et réalisés par les autres contribuables.

Les administrations financières de l'État en ont décidé autrement : elles considèrent que la règle des cinq ans est une règle de compétence et que la collectivité de Saint-Martin n'a le droit d'exercer sa compétence fiscale qu'à l'endroit des personnes pouvant être considérées comme fiscalement domiciliées sur son territoire. Afin de trancher ce conflit d'interprétation, le Gouvernement a sollicité un avis du Conseil d'État, rendu le 27 décembre 2007, selon lequel la règle des cinq ans laissait à la collectivité le droit d'imposer les revenus de source saint-martinoise des personnes domiciliées hors d'un département de métropole ou d'outre-mer mais non des personnes qui, venant de métropole ou d'un DOM, se trouvent à Saint-Martin depuis moins de cinq ans, ni des personnes physiques ou morales n'ayant jamais cessé d'être domiciliées dans un département de métropole ou d'outre-mer.

Cette restriction de la compétence fiscale de la collectivité l'a privée des ressources fiscales attendues de l'imposition de divers revenus : bénéfices réalisés par les sociétés françaises exploitant à Saint-Martin un établissement mais ayant leur siège en métropole, dans un DOM ou depuis moins de cinq ans à Saint-Martin ; revenus fonciers et plus-values immobilières de source saint-martinoise réalisés par les nombreux contribuables domiciliés dans un département de métropole ou d'outre-mer ; dividendes de source saint-martinoise distribués à des bénéficiaires domiciliés en métropole ou dans un DOM ; salaires versés à des personnes ayant transféré leur domicile à Saint-Martin sans répondre à la condition des cinq années de résidence.

Or la collectivité de Saint-Martin, malgré des dépenses publiques modérées et une politique fiscale prudente, se trouve confrontée à de très sérieuses difficultés de trésorerie et de financement, liées aux effets du changement statutaire. La fin du versement mensuel par l'État de douzièmes provisoires calculés par rapport aux montants émis des anciens impôts directs locaux oblige la collectivité à recourir à des avances de trésorerie auprès d'établissements financiers, sans qu'il soit prévu de compenser cette charge. L'octroi de mer, qui permettait de financer les charges communales transférées, a été supprimé. Des retards ont été pris dans la perception de divers impôts -droits de mutation, taxes sur les plus-values immobilières et les conventions d'assurances- en raison de l'inadaptation des circuits financiers au changement statutaire. Enfin, la collectivité fait face au défaut total ou partiel de perception de divers impôts : c'est le cas de la taxe d'habitation, faute d'un logiciel d'application opératoire.

Ces difficultés ont convaincu les administrations économiques et financières de l'État de la nécessité de reconnaître à la collectivité de Saint-Martin une pleine compétence de juridiction fiscale sur les revenus trouvant leur source sur son territoire, sans mettre en cause la règle des cinq ans. Tel est l'objet de l'article premier. Le risque de double imposition résultant du concours des juridictions fiscales de l'État et de Saint-Martin sera éliminé par les dispositions, conformes au modèle de l'OCDE, de la convention contre la double imposition qui doit être conclue entre l'État et la collectivité. Nous ne voyons pas d'objection à ce que, dans l'attente de l'entrée en vigueur de cette convention, les dispositions relatives au crédit d'impôt prévues par le texte de la commission des lois servent à éviter la double imposition.

Nous souhaitons que certaines précisions soient apportées au dispositif statutaire concernant les compétences fiscales de la collectivité et leur application par les agents de l'État. Le préfet, ou le directeur des services fiscaux, rendrait exécutoires les rôles d'impôts directs perçus pour la collectivité. Les personnels de la collectivité, placés sous l'autorité de l'État, apporteraient leur concours à l'exécution des opérations d'assiette, de contrôle et de recouvrement des impôts. Il est important, tant pour des motifs d'emploi que d'acceptation du devoir contributif, que de jeunes saint-martinois soient associés à ces opérations.

Nous vous proposons également, par voie d'amendement, que soit reconnue au conseil territorial de la collectivité la possibilité de recourir aux règles de l'État en matière douanière pour l'application d'impositions assises sur des importations, telle la taxe sur les carburants. La collectivité n'entend pas exercer la compétence douanière mais cette procédure permet d'appliquer des impositions créées ou maintenues par la collectivité dans le cadre de sa compétence fiscale.

L'article 2 de ce texte propose que le conseil exécutif, jouant en quelque sorte le rôle d'un ministre du budget, délivre les agréments ouvrant droit à un avantage fiscal. En cas d'inertie des organismes professionnels compétents, le conseil exécutif assurerait un rôle supplétif pour désigner les membres des commissions administratives en matière fiscale. Au cas où la proposition de la commission des lois de maintenir la compétence du conseil exécutif pour la délivrance des permis de construire serait retenue, cette instance devrait déterminer l'assiette et la liquidation des taxes d'urbanisme. Nous vous soumettrons un amendement en ce sens. Le strict respect de la loi statutaire, qui réserve les opérations d'assiette, de contrôle et de recouvrement des impôts à l'administration fiscale de l'État, exclurait l'application des taxes d'urbanisme, communément assurée par les services des collectivités.

Enfin, cette proposition de loi organique comporte quelques dispositions accessoires visant à améliorer le fonctionnement général de la collectivité. L'article 5 permet de remplacer rapidement le président du conseil territorial : les dispositions prévoyant l'envoi d'un rapport aux conseillers territoriaux douze jours avant la réunion du conseil territorial ne s'appliqueraient pas à la réunion convoquée pour renouveler le conseil exécutif. L'article 3 traite des pouvoirs respectifs du président du conseil territorial et du conseil exécutif en matière de direction, d'animation et de contrôle de l'administration territoriale. Pour ces deux articles, nous nous en remettons à la sagesse de la commission des lois quant aux clarifications à apporter au dispositif statutaire. En outre, nous approuvons totalement ses propositions relatives à l'environnement.

Ce texte, qui a reçu un avis favorable du conseil territorial de Saint-Martin le 29 octobre 2009, clarifie l'exercice de la compétence fiscale de la collectivité. Il tient compte des engagements que j'ai pris dans le cadre de mes missions parlementaires et se conforme au souhait du Président de la République d'un plus grand respect de nos différences ultra-marines. Du fait de ces particularités, une mesure vitale pour un territoire peut s'avérer superflue pour un autre. Il est donc justifié que chaque collectivité, département ou territoire d'outre-mer puisse jouir de sa représentation nationale propre et dédiée.

Il est primordial que Saint-Martin exerce sa pleine compétence de source afin de disposer de son autonomie financière. Si, parallèlement, nous parvenons à consolider un partenariat avec l'État, la collectivité pourra s'ériger en modèle au sein de notre République, notamment dans le cadre de la réforme des collectivités territoriales. (Applaudissements à droite et au centre)

M. Michel Magras, auteur de la proposition de loi relative à Saint-Barthélemy.  - Cette proposition de loi organique procède à un ajustement de la loi organique statutaire du 21 février 2007 qui a érigé la commune de Saint-Barthélemy en collectivité d'outre-mer dotée de l'autonomie. En lui permettant d'imposer les revenus trouvant leur source localement, il s'agit de parachever le processus d'autonomie budgétaire et statutaire initié dans les années 1970.

Le statut fiscal particulier de Saint-Barthélemy trouve son origine dans le traité par lequel la Suède a rétrocédé l'île à la France. Le droit de quai, institué en 1974, est un des fondements de son autonomie budgétaire. Dès les premières lois de décentralisation, la commune de Saint-Barthélemy a obtenu le droit de gérer les infrastructures portuaires et aéroportuaires. Ce sont les poumons économiques de l'île, sources de développement, d'emplois et de recettes générées par les redevances sur les passagers et le mouillage des navires. En 2000, la loi d'orientation pour l'outre-mer a permis à la commune d'exercer certaines compétences départementales ou d'instaurer une taxe sur les carburants.

Saint-Barthélemy a conquis progressivement son autonomie budgétaire et s'est donné les moyens de réussir son évolution statutaire, aboutissement d'une pratique politique responsable s'appuyant sur les ressources locales tout en respectant les principes républicains. Ces années ont été animées d'une volonté farouche de trouver localement des ressources pour financer le projet de développement de l'île.

Le traité de rétrocession imposait à la France de maintenir le statut de port franc, ce qui vaut à l'île de nombreuses critiques. Toutefois, d'après l'évaluation des charges et du potentiel fiscal transféré, Saint-Barthélemy constitue davantage, pour l'État et les collectivités de la Guadeloupe, une source de recettes que de dépenses. De ce fait, la loi de finances rectificative pour 2008 a inscrit une dotation globale de compensation (DGC) des charges négative. Désormais, la collectivité ne perçoit plus de dotation de l'État mais verse chaque année 5,6 millions d'euros au budget de celui-ci.

Le mode de calcul de la dotation a suscité de nombreuses interrogations, liées à l'étendue du transfert de la compétence fiscale. Pour connaître les ressources et les charges transférées à la collectivité, l'impôt sur le revenu a été pris en compte dans le calcul du potentiel fiscal de Saint-Barthélemy. Aux termes de ce calcul, on peut considérer que l'État a transféré non pas la compétence fiscale mais sa compétence fiscale.

La question de la compétence de la collectivité pour imposer les revenus de source locale n'aurait normalement pas dû se poser. Toutefois, en raison de la clause exigeant cinq années de résidence pour obtenir le statut de résident fiscal, l'État perçoit doublement l'impôt sur le revenu pour une part non négligeable de la population : par le biais de la DGC et par l'imposition directe des non-résidents fiscaux considérés comme fiscalement domiciliés en métropole. Un an après le vote de la loi de finances rectificative pour 2008, la nécessité de modifier la loi organique pour permettre à la collectivité d'imposer une partie des revenus des non-résidents fiscaux prouve que l'imposition directe de ces derniers échappe à la collectivité, qui restitue ce trop-perçu par la DGC.

L'intention du législateur organique était de transférer à Saint-Barthélemy la compétence fiscale sur son territoire. L'objectif de la clause de résidence était de lutter contre l'évasion et la fraude fiscale. Le législateur ne s'est pas prononcé ex nihilo mais a légiféré en pleine connaissance du statut fiscal de la collectivité. D'après le code général des collectivités territoriales, « les personnes physiques ne peuvent être considérées comme ayant leur domicile fiscal à Saint-Barthélemy qu'après y avoir résidé pendant cinq ans au moins ». Il en est de même pour les personnes morales, en considérant leur siège effectif ou le contrôle de leur direction. Dans le cas contraire, ces personnes sont considérées comme ayant leur domicile fiscal en métropole.

La loi fixe un principe de domiciliation fiscale sans préciser comment s'opère la répartition du droit d'imposer et du bénéfice de l'imposition. Un avis du Conseil d'État du 27 décembre 2007 a établi que la règle des cinq années de résidence doit être interprétée comme un droit exclusif de l'État d'imposer les revenus et la fortune des non-résidents. Dans une décision du 15 février 2007, le Conseil constitutionnel observait que les dispositions instaurant la clause de résidence « ne sauraient avoir pour objet, ni pour effet, de restreindre l'exercice des compétences transférées au législateur organique par l'article 74 de la Constitution », notamment dans les cas où la convention fiscale ne permettrait pas de lutter efficacement contre l'évasion fiscale.

S'appuyant notamment sur cette décision, une lecture de la loi organique considère que, par son avis, le Conseil d'État a, au contraire, réduit le champ de la compétence fiscale transférée à la collectivité. Selon un projet de convention fiscale transcrivant strictement l'avis du Conseil d'État, lorsque l'État impose, la collectivité n'a pas compétence pour imposer. L'État imposerait alors exclusivement les revenus des non-résidents fiscaux. En l'état de la rédaction de la loi organique, la convention fiscale ne peut en aucun cas prévoir une imposition partagée réglée par le biais d'un crédit d'impôt. Le rapporteur a souligné que la convention fiscale aurait dû pouvoir y remédier.

Les débats parlementaires montrent que, pour ce qui est de la condition de résidence, l'intention du législateur organique était uniquement d'introduire un mécanisme de prévention de l'évasion fiscale et en aucun cas de restreindre l'étendue de la compétence fiscale de Saint-Barthélemy. Cette proposition de loi organique a pour objet d'éliminer toute ambigüité et de conformer le texte de la loi statutaire à l'intention du législateur.

Il vous est proposé tout simplement de clarifier la loi organique statutaire afin que Saint-Barthélemy puisse imposer les plus-values immobilières réalisées sur son territoire par des personnes y résidant depuis moins de cinq ans. Ainsi, la clause de résidence cessera d'amputer la collectivité d'une partie de son potentiel fiscal, donc de son autonomie budgétaire.

Contrairement aux idées reçues, l'impôt sur les plus-values immobilières est plus systématique et plus élevé qu'en métropole : il s'établit à 37,1 % de la plus-value réalisée au cours des cinq premières années suivant l'acquisition d'un bien, soit 25 % pour la collectivité, le reste étant constitué de contributions sociales fixées et perçues par l'État.

Paradoxalement, le maintien d'un droit exclusif de l'État pour l'imposition des non-résidents fiscaux rend la spéculation immobilière à Saint-Barthélemy plus avantageuse pour les personnes fiscalement domiciliées en métropole, ce à quoi Saint-Barthélemy n'a aucun intérêt puisque la spéculation augmente les prix de l'immobilier et du foncier. Dans cet esprit, des résidents fiscaux de la collectivité pourraient installer leur société hors de son territoire pour bénéficier d'une moindre imposition des plus-values. Pareille diminution nette de ses recettes hypothéquerait rapidement l'autonomie financière de la collectivité.

Permettre à la collectivité d'imposer ces revenus renforcera la lutte contre la fraude et l'évasion fiscale. En effet, un contribuable métropolitain vendant sa résidence principale bénéficie d'une totale exonération fiscale sur la plus-value, alors que le code des contributions locales dissuade toute opération immobilière spéculative.

Le rapporteur a très opportunément souhaité préciser la rédaction initiale pour éliminer toute double imposition dès la loi organique, ce dont je me réjouis car cette précision donne son sens à la convention fiscale entre l'État et la collectivité de Saint-Barthélemy, dont le principe figure au 3° de l'article L.O. 6214-4 du code général des collectivités territoriales. Il faut dire qu'en application de l'avis déjà mentionné du Conseil d'État, le projet de convention rendait caduc le volet « élimination des doubles impositions » en opérant une répartition exclusive du droit d'imposer.

Cette proposition de loi organique parachève le statut de Saint-Barthélemy. La volonté du législateur organique est préservée puisque les résidents depuis moins de cinq ans restent soumis en priorité à la fiscalité nationale. De surcroît, l'État continue à percevoir les contributions sociales sur les plus-values immobilières. En retrouvant le droit de lever une contribution sur les biens immobiliers de source locale, la collectivité voit son autonomie budgétaire confortée. Elle affiche clairement sa volonté de limiter la spéculation sur son territoire. Le nouveau résident de l'île participe au budget de cette collectivité d'accueil et bénéficie d'un crédit d'impôt déductible de sa contribution nationale. La convention fiscale prévue par la loi organique devient indispensable, au bénéfice de l'État et de la collectivité.

Pour ces raisons, je vous propose d'adopter le texte de la commission. (Applaudissements à droite)

M. Christian Cointat, rapporteur de la commission des lois.  - Lorsque nous avons adopté le statut de Saint-Martin et celui de Saint-Barthélemy en février 2007, nous avons permis à ces deux communes de la Guadeloupe de s'ériger en collectivités d'outre-mer autonomes disposant d'importantes compétences fiscales. Pour prévenir tout risque d'évasion fiscale, nous avons instauré un garde-fou ne conférant la qualité de résident fiscal de ces collectivités qu'après cinq ans de résidence. Dans l'intervalle, les personnes physiques et morales sont réputées avoir leur domicile fiscal dans un département français. Concrètement, il s'agit de la Guadeloupe. Les intéressés sont taxés en conséquence, des conventions fiscales évitant les doubles impositions.

Ce dispositif dérogatoire ne mettait nullement en cause la compétence de source de ces deux collectivités. D'ailleurs, l'imposition exclusive par l'administration fiscale française ne figure nulle part, non plus que la moindre mesure d'interdiction pour les collectivités. Ces dispositions nous avaient paru clairement permettre que l'administration fiscale française impose les personnes physiques et morales, sans préjudice de l'imposition des mêmes contribuables par les collectivités pour leurs revenus de sources locale, les conventions fiscales réglant les aspects pratiques.

Il peut donc sembler inutile de modifier la loi organique à ce sujet. Mais alors, pourquoi examiner ces deux propositions de loi ? Est-ce parce que, nos ordres du jour étant trop chargés, il faut s'occuper de l'inutile pour reprendre la formule du poète cité dans cet hémicycle par Charles Pasqua : « C'est bien plus beau lorsque c'est inutile » ? Non, car c'est malheureusement nécessaire.

En effet, se fondant sur l'avis rendu par le Conseil d'État, les services fiscaux ont interprété la loi organique d'une manière non conforme à la volonté du législateur. En résulte le refus de reconnaître pendant cinq ans la compétence de source des collectivités, ce qui les a privées de recettes non négligeables, sans bénéfice pour le Trésor public.

Ces deux propositions de loi organique tendent donc à inscrire dans le statut que les deux collectivités exercent la compétence fiscale de source même pendant la période dérogatoire de cinq ans.

Cette compétence était implicitement reconnue dans la loi organique portant statut de ces deux collectivités. Vu l'interprétation inappropriée du texte par le Conseil d'État, votre commission n'a pu que souscrire à la proposition, afin d'éviter ambiguïtés et conflits d'interprétation. Ainsi, la volonté du législateur organique de février 2007 prévaudra sur l'interprétation rendue par le Conseil d'État en décembre de cette même année.

Un crédit d'impôt compensera les doubles impositions constatées entre le 1er janvier 2010 et la conclusion des conventions fiscales entre l'État et chacune des collectivités.

A la lumière de ces regrettables péripéties, votre commission s'est interrogée sur la pertinence, à terme, de cette règle dérogatoire de cinq ans. Étant spécifique à ces deux collectivités, ce régime pourrait suggérer que la France entretient deux paradis fiscaux. Il vous est donc proposé qu'un rapport d'évaluation soit présenté au Parlement après dix ans.

La commission a par ailleurs fait sienne une suggestion présentée à l'article premier de la proposition de loi organique relative à Saint-Martin afin d'éviter qu'un résident métropolitain ou ultra-marin ne s'établisse pendant un an à l'étranger ou dans une collectivité d'outre-mer avant de s'installer à Saint-Martin afin d'y devenir immédiatement résident fiscal. Ce serait facile, cette île étant partagée entre la France et les Antilles néerlandaises, avec une libre circulation garantie par le traité de Concordia qui a instauré cette partition en 1648.

Pour cette raison, le texte de la commission subordonne la domiciliation fiscale dans cette collectivité à cinq années de résidence à l'étranger ou à Saint-Martin.

La proposition de loi organique relative à Saint-Barthélemy se limite aux aspects fiscaux alors que celle concernant Saint-Martin porte aussi sur d'autres aspects du statut, ce que votre commission juge prématuré deux ans après son entrée en vigueur. Par suite, elle vous propose de conserver la collégialité des décisions d'autorisation du Conseil exécutif en matière d'urbanisme et de fonctionnement.

A l'article 3 de la proposition de loi organique relative à Saint-Martin, votre commission n'a donc pas modifié les dispositions relatives à la responsabilité de chaque conseiller exécutif pour les affaires et les services dont il est chargé par le président du conseil territorial. Dans ce texte, votre commission a supprimé l'article 4 autorisant le président du conseil territorial à délivrer les autorisations d'utilisation ou d'occupation du sol et à liquider les taxes afférentes aux opérations d'urbanisme et de construction.

Comme elle l'a fait en Nouvelle-Calédonie et souhaite le faire pour les autres collectivités d'outre-mer, votre commission a introduit dans chacune des deux propositions de loi organique des dispositions tendant à prendre en compte les préoccupations environnementales.

Au terme de tous ces aménagements de précision, la loi organique portant statut de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy sera enfin interprétée comme il se doit, dans l'intérêt de l'État comme dans celui des deux collectivités. (Applaudissements à droite)

M. Bernard Frimat.  - Le Sénat est appelé à examiner deux propositions de loi organique tendant à clarifier et à conforter la compétence fiscale des collectivités d'outre-mer de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy. Le sujet n'est pas inconnu de ceux qui ont examiné, en juin dernier, le projet de loi organique relatif à l'évolution institutionnelle de la Nouvelle-Calédonie et de Mayotte. En effet, certainement motivé par l'urgence liée aux difficultés financières auxquelles est confrontée la collectivité de Saint-Martin, Louis-Constant Fleming avait déposé, avant même que le rapporteur ne dépose les siens, un amendement relatif aux règles fiscales applicables à l'île. En commission, il avait retiré cet amendement, précisant avoir obtenu du Gouvernement l'assurance qu'un projet de loi organique spécifique à Saint-Martin serait déposé à la rentrée 2009.

Non seulement le Gouvernement n'a pas tenu son engagement de déposer un projet de loi, mais il est apparu que les aménagements envisagés par la proposition de loi organique relative à Saint-Martin intéressaient également la collectivité de Saint-Barthélemy. La passivité du Gouvernement aboutit à ce que le Sénat examine deux textes de rattrapage dans l'urgence et dans le cadre de la semaine sénatoriale. Le Gouvernement aurait pu et dû réagir plus tôt car il disposait de l'avis du Conseil d'État, saisi par le ministre de l'économie pour trancher la divergence d'interprétation entre les services fiscaux et les deux collectivités, depuis le 27 décembre 2007 ! Depuis presque deux ans : admirez la nécessité de la procédure accélérée ! II est donc apparu très vite que les deux nouvelles collectivités créées en juillet 2007 se trouvaient dans l'incapacité d'exercer leur compétence fiscale « de source ».

L'inaction du Gouvernement est d'autant plus blâmable que la décision du Conseil d'État a retardé la conclusion des conventions fiscales entre chacune des collectivités et l'État dès lors que celui-ci se trouvait dans l'impossibilité de rétrocéder aux collectivités les sommes qu'il n'avait pas prélevées.

Le rapporteur affirme que la volonté du législateur était claire et il a qualifié ces propositions de loi organique d'inutiles. II juge que l'avis du Conseil d'État résulte d'« une interprétation erronée » de la loi organique statutaire. Pourquoi n'a-t-il pas, en toute logique, déposé une motion tendant à décider qu'il n'y a pas lieu d'engager la discussion du texte du fait de son caractère superflu ? Cela nous aurait évité de commencer l'examen du texte suivant après 23 heures... L'avis du Conseil d'État n'ayant aucune force contraignante, le Sénat aurait pu faire l'économie de ce débat. Si, en définitive, le rapporteur a fait un choix différent, c'est sans doute que la volonté du législateur n'était pas explicite puisque le Parlement se saisit à nouveau de la question pour y apporter des clarifications.

Les deux propositions de loi organique comblant la carence du Gouvernement, il est démontré, une fois encore, l'existence d'une porosité certaine entre l'initiative parlementaire et la volonté de l'exécutif d'user de tout moyen pour faire adopter ses textes au pas de charge. D'où le recours général à la procédure accélérée, dont il faut bien convenir qu'elle devient la procédure dominante, contrairement à la volonté affirmée par tous, pendant la révision constitutionnelle, de limiter le recours à l'urgence. Il n'y a plus d'urgence, il y a procédure accélérée, ce qui, à force, pose le problème de l'utilité du bicaméralisme.

Mme Nathalie Goulet.  - C'est vrai.

M. Bernard Frimat.  - Sur l'imposition des revenus de source locale, la rédaction retenue par la commission des lois conforte la compétence fiscale des deux collectivités, détaille la répartition des compétences dans l'application des opérations fiscales, apporte les précisions nécessaires pour prévenir les doubles impositions et elle renforce la règle des cinq ans de résidence afin que cette dernière ne soit pas dévoyée au moyen de délocalisations temporaires dans le seul but d'échapper à l'impôt.

Mme Nathalie Goulet.  - « Quel crime abominable... »

M. Bernard Frimat.  - Échapper à l'impôt, lutter contre l'évasion fiscale, il m'aurait plu que le Gouvernement témoignât de la même volonté dans le projet de loi de finances où il fait précisément le contraire, en organisant un grand nombre de possibilités d'évasion par le biais de niches fiscales qui profitent majoritairement aux plus aisés. De tels procédés, amplifiés par le bouclier fiscal, portent atteinte à l'égalité et à la progressivité de l'impôt sur le revenu et écartent toute perspective de retour à l'équilibre budgétaire. Vous êtes les champions du déficit ! (M. Jean-Pierre Bel approuve)

A Saint-Barthélemy comme à Saint-Martin, il serait utile que le Gouvernement indique quels moyens de contrôle seront mis en oeuvre par l'État pour vérifier le respect des conditions de domiciliation effective sur le territoire des deux collectivités, ainsi que les procédures envisagées pour distinguer les revenus générés sur place de ceux générés en métropole ou dans les autres DOM. Là aussi, si l'État ne met pas en place de contrôles suffisants, l'évasion fiscale risque d'être importante : il sera facile, dans ce cas, de créer un siège social sur place et de continuer son activité extérieure comme si de rien n'était.

Mais les collectivités de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy devront également jouer le jeu et veiller à transmettre à l'État toute information utile afin de faciliter la recherche et la répression des fraudes. Il en va de la crédibilité du statut de collectivité d'outre-mer (COM) car on ne peut pas, dans les conditions économiques et sociales actuelles, donner, en plus, un moyen d'échapper à l'impôt à tous ceux qui peuvent se délocaliser dans ces collectivités.

Bien qu'il faille prendre en compte la situation particulière de Saint-Martin -île partagée avec les Pays-Bas et, là, M. Marleix n'y est pour rien (sourires)- et de Saint-Barthélemy, la compétitivité fiscale dans cette zone géographique ne peut tout justifier. Si l'on ne peut les qualifier de paradis fiscaux au sens strict utilisé pour les îles Caïman et leurs semblables, Saint-Barthélemy et Saint-Martin restent néanmoins des territoires particulièrement cléments au regard de l'imposition. Saint-Barthélemy ne connaît pas l'impôt sur le revenu pour ses résidents fiscaux et pour les revenus réalisés sur l'île. Quant à Saint-Martin, dès 2007, son conseil territorial a utilisé sa compétence fiscale pour y supprimer l'ISF et voter une réduction générale de l'impôt sur le revenu. Chacun appréciera.

Vu l'objectif poursuivi -la lutte contre l'évasion fiscale-, nous ne nous opposerons pas à la clarification proposée. Mais cela ne signifie pas que, pour autant, nous approuvions la situation particulière de ces collectivités d'outre-mer. Si la proposition de loi concernant Saint-Barthélemy s'en tient au seul objet fiscal, il n'en n'est pas de même pour celle concernant Saint-Martin qui comporte un chapitre Il portant sur le fonctionnement du conseil territorial et du conseil exécutif, sans lien direct avec le chapitre premier. Son examen semble inopportun et, en tout état de cause, non justifié par l'urgence. La commission des lois a, à juste titre, supprimé l'article 4 mais les motivations sur lesquelles elle s'est appuyée pourraient s'appliquer tout autant à l'article 3.

Quant à l'article 5, le rapporteur -et nous pouvons lui faire confiance sur ce point car c'est lui qui rapportait sur la loi organique portant dispositions statutaires et institutionnelles relatives à l'outre-mer de 2007- juge cette disposition inutile. Nous sommes seulement dans la deuxième année d'application du statut des deux collectivités et il serait bon d'attendre pour procéder à des premiers aménagements pratiques car nous ne disposons pas du recul nécessaire pour porter une appréciation d'ensemble sur ce qui fonctionne et ce qui mérite d'être ajusté. Pour toutes ces raisons, nous avons déposé plusieurs amendements tendant à supprimer le chapitre Il de la proposition de loi organique relative à Saint-Martin. S'ils étaient adoptés, ils resitueraient le texte sur son véritable objet.

Enfin, le rapporteur a procédé dans les deux textes à une coordination environnementale qui lui tient à coeur. La volonté de protéger et de mettre en valeur les espaces naturels de ces îles est louable car la maîtrise du sol et la préservation de l'environnement sont deux des conditions d'un développement harmonieux de ces deux collectivités. Toutefois, ces dispositions apparaissent comme autant de cavaliers législatifs qui viennent se surajouter aux dispositions du chapitre II. Elles ne présentent aucun lien avec l'objet principal des deux propositions de loi organique et, au surplus, elles adaptent à ces deux collectivités des dispositions qui n'ont pas été définitivement adoptées par le Parlement.

Ces propositions de loi organique étant déférées de droit au Conseil constitutionnel, nous aurons l'occasion d'apprécier la marge de tolérance qu'il applique à la nature du lien entre un amendement et le texte que celui-ci propose de modifier. Cette question n'est pas anodine car elle intéresse directement la portée du droit d'amendement.

Voilà le sentiment du groupe socialiste sur ce texte. Nous vous donnons acte qu'il existe un problème pour les revenus de source. Nous comprenons que vous l'ayez posé : c'est votre devoir de parlementaires. Nous regrettons qu'il n'ait pas été traité en son temps par le Gouvernement, cela nous aurait évité bien des inconvénients... et le plaisir de nous retrouver ce soir ! (Applaudissements à gauche)

M. Daniel Marsin.  - Depuis plusieurs années, les deux îles de Saint-Martin et Saint-Barthélemy sont confrontées à des phénomènes d'évasion fiscale, sources de malentendus entre les services fiscaux de l'État et les collectivités territoriales concernées.

La loi organique du 21 février 2007 relative à leurs compétences fiscales prévoit une obligation de résidence d'au moins cinq ans à Saint-Barthélemy pour y avoir sa résidence fiscale. Les personnes physiques ou morales ne satisfaisant pas à cette règle sont réputées avoir leur domicile fiscal en métropole. Parallèlement, une convention fiscale devait permettre d'éviter les phénomènes de double imposition.

Pour tenir compte de la situation financière difficile de Saint-Martin, la loi organique statutaire dispose que cette règle des cinq ans ne s'y applique pas aux personnes physiques ou morales établies auparavant à l'étranger, et notamment dans la partie néerlandaise de l'île, considérées comme domiciliées fiscalement à Saint-Martin dès leur installation.

Mais alors que le législateur avait considéré que la compétence fiscale de Saint-Martin et Saint-Barthélemy autorisait ces collectivités à imposer les revenus de source locale des personnes installées depuis moins de cinq ans sur leur territoire, le Conseil d'État, saisi en décembre 2007 par le Gouvernement, a rejeté la « compétence de source » pour les deux collectivités, leur interdisant ainsi de soumettre à des impôts par elles définis les revenus de source locale. Il devenait urgent de régler le problème et de faire prévaloir la volonté du législateur. C'est ce que font ces textes, en reconnaissant aux deux collectivités la compétence de source, sans préjudice de la compétence générale d'imposition de l'État.

Ces textes participent à l'effort accompli par le Gouvernement depuis l'an dernier pour mettre fin aux niches fiscales, notamment outre-mer. Néanmoins, on peut regretter que l'État n'ait pas compensé toutes les recettes perdues par Saint-Martin. La voilà au fond logée à même enseigne que les autres collectivités territoriales françaises, qui n'attendent plus grand-chose de l'État en matière de compensation... Je le dis alors qu'en ce moment même les maires ultramarins sont réunis, comme tous les ans, à l'hôtel de ville de Paris, à la veille de l'ouverture du congrès des maires, et à quelques jours du débat, décisif pour les collectivités, sur la suppression de la taxe professionnelle.

La majorité des membres de mon groupe s'abstiendra sur ces deux textes

Pour ma part, comme sénateur de la Guadeloupe, et malgré les observations que je viens de formuler, je prends acte des avancées contenues dans ces textes et, pour accompagner mes collègues dans leur volonté de clarifier ces compétences, je les voterai. (Applaudissements sur les bancs UMP)

Mme Odette Terrade.  - Ainsi donc, certaines propositions de loi sont si urgente qu'elles méritent que le Gouvernement en appelle à la procédure accélérée...

Il y a deux ans que la Guadeloupe s'est trouvée amputée de ses îles du nord, soit la partie française Saint-Martin et Saint-Barthélemy. Si les populations locales étaient favorables à l'émergence de deux nouvelles collectivités territoriales, il n'en était pas de même pour la Guadeloupe qui avait manifesté son désaccord... Et nous voici aujourd'hui avec une collectivité territoriale de Saint-Martin comptant environ 35 000 habitants et une collectivité territoriale de Saint-Barthélemy en comptant un peu plus de 8 000. Le renouvellement sénatorial de septembre 2008 a doté le Sénat d'un parlementaire pour chacune de ces deux collectivités, élus par moins de vingt électeurs. Et il s'en est fallu de peu que deux sièges de députés soient créés, si le Conseil constitutionnel n'avait mis le holà. Lors de la discussion du projet de loi relatif au découpage électoral des élections législatives, il faudra se redemander s'il est logique que 20 000 électeurs soient représentés à l'Assemblée nationale, ou s'il ne serait pas plus logique qu'ils continuent à participer, comme par le passé, à l'élection du député de la 4e circonscription de la Guadeloupe.

M. Robert del Picchia.  - Ce débat est dépassé !

Mme Odette Terrade.  - Lors du dernier scrutin européen, Saint-Martin a voté à un peu plus de 11 % et Saint-Barthélemy un peu moins de 15 %, données qui ne permettent en aucun cas de tirer les moindres conclusions quant à l'attachement des résidents à la collectivité nationale.

Nous avons eu l'occasion de souligner les différences existant entre les deux collectivités. Saint-Martin, par la proximité d'un territoire néerlandais, est vouée à une économie touristique de masse accueillant une foule qu'on espère croissante de retraités nord-américains argentés servis par un personnel venu de l'ensemble de la Caraïbe et des Antilles. Autant dire une économie dépendante de l'évolution des cours respectifs du dollar et de l'euro, dans un contexte de moins-disant fiscal permanent, notamment dans la partie hollandaise. La position géographique de l'île en fait en outre un point stratégique pour les échanges de services, notamment bancaires et financiers, entre les différentes parties du continent américain. L'Institut d'émission d'outre-mer soulignait dans son dernier rapport les problèmes récurrents de l'économie locale : dissimulation de salariés, fausse sous-traitance, l'île comptant plus de 4 000 entreprises pour 35 000 habitants, dissimulation d'activité, dissimulation d'heures supplémentaires...

Et c'est à une économie dont la production réelle est presque impossible à déterminer que nous irions, avec ce texte, donner un système fiscal en grande partie localisé ?

Avec Saint-Barthélemy, on a plutôt affaire à une sorte de quartier huppé qui serait venu se fixer au milieu des Antilles. Et là encore, l'économie marche au tourisme et aux services qui lui sont associés, autour d'une population choisie, plus européenne qu'antillaise.

Par où les deux îles se rejoignent, c'est qu'il y règne un univers fiscal particulièrement favorable aux plus hauts revenus -pas d'ISF, pas de TVA à Saint-Martin, une fiscalité allégée pour les entreprises...

Les deux textes qui nous sont soumis ne visent qu'à donner force de loi aux codes fiscaux propres existants, et à encourager l'existence, sur notre territoire, d'un double paradis fiscal. Paradis non pas, à Saint-Martin, pour les bénéficiaires de la prime pour l'emploi, abrogée par le conseil territorial au motif d'un coût trop élevé, mais pour bien des résidents de Saint-Barthélemy, qui semblent avoir quelques difficultés à s'acquitter de leurs impôts.

Il s'agit, en somme, de préserver les apparences, tandis que l'on compte sur la diligence des chambres de commerce pour établir plus précisément la réalité de la matière fiscale. Sachant que les revenus, quel que soit leur mode d'imposition, continueront de bénéficier dans les deux îles, d'un traitement qui pas grand-chose à voir avec le principe d'égalité devant l'impôt. Vous aurez compris que nous ne voterons aucun de ces deux textes. (Applaudissements sur les bancs CRC)

Mme Marie-Luce Penchard, ministre chargée de l'outre-mer.  - Ce Gouvernement n'a cessé de démontrer sa détermination à voir chaque collectivité d'outre-mer adopter sa trajectoire propre en décidant de son évolution statutaire.

Vous vous êtes, en juillet dernier, prononcés sur la départementalisation de Mayotte, aboutissement d'un processus historique. Vous aurez à débattre dans quelques semaines des consultations qui se dérouleront en Guyane et en Martinique en janvier prochain.

Lors de la consultation de 2003, les communes de Saint-Martin et Saint-Barthélemy ont choisi d'avoir un destin différent de celui de la Guadeloupe. Leurs sénateurs ont rappelé que cette évolution statutaire reflète deux réalités bien différentes. Elle a entraîné de nombreux transferts de compétences complexes à mettre en oeuvre, les deux collectivités assumant désormais à la fois les compétences de la région, du département et des communes.

Parce qu'après deux ans d'exercice, ils ont identifié des blocages concrets, vos deux collègues ont chacun pris l'initiative de déposer une proposition de loi organique visant à adapter les institutions locales à leurs besoins spécifiques.

En juillet dernier, lors du vote des projets de loi organique sur la Nouvelle-Calédonie et sur Mayotte, le Gouvernement s'était montré favorable à un examen rapide de ces propositions. L'agenda parlementaire l'a conduit à appuyer cette initiative de manière à éviter qu'un autre véhicule législatif puisse être considéré comme un cavalier.

Les deux textes ont une vertu de clarification. Le rapporteur a rappelé l'origine des divergences d'interprétation. Le droit d'imposer l'ensemble des revenus de source locale doit être reconnu aux deux collectivités, une convention fiscale évitant ensuite les doubles impositions. Ces mesures seront effectives au titre des revenus 2009 si les textes sont adoptés avant le 31 décembre 2009. J'insiste sur un impératif qui justifie la procédure accélérée. (M. Bernard Frimat en doute)

La situation de Saint-Martin appelle des réponses rapides et ce dispositif est déterminant pour résoudre les difficultés créées par la perte de l'octroi de mer -12 millions de manque à gagner- ainsi que pour pallier des causes structurelles. Le Gouvernement a d'ailleurs diligenté une mission des inspections générales des finances et de l'administration à Saint-Martin. Quant à Saint-Barthélemy, l'intérêt de la proposition de loi est double : la taxation des plus-values immobilières luttera efficacement contre la spéculation immobilière tandis que l'État pourra percevoir les cotisations sociales afférentes aux revenus et biens imposés par la collectivité.

Je remercie le groupe UMP d'avoir inscrit ces textes sur son ordre du jour réservé.

M. Bernard Frimat.  - Ce n'est pas son ordre du jour réservé !

Mme Marie-Luce Penchard, ministre.  - J'avais déjà débattu de ce sujet le 20 octobre dernier. Je salue l'initiative et la réactivité de MM. Fleming et Magras pour aménager le statut de leur collectivité dans la transparence et l'efficacité. (Applaudissements à droite)

La discussion générale est close.

Discussion des articles de la loi organique relative à Saint-Martin

Article additionnel

M. le président.  - Amendement n°1, présenté par M. Fleming.

Avant l'article 1er, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le I de l'article L.O. 6314-3 du code général des collectivités territoriales est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Lorsqu'elle exerce sa compétence dans les matières mentionnées au 1°, la collectivité peut fixer comme règles de perception et de procédure celles prévues en matière douanière par les lois et règlements de l'État. »

M. Louis-Constant Fleming.  - Il s'agit de clarifier la base juridique des impositions assises sur des volumes identifiés chez les importateurs, ainsi de la taxe de consommation sur les produits pétroliers.

M. Christian Cointat, rapporteur.  - Cet amendement, s'il se comprend très bien, est inutile puisque cette compétence appartient déjà à la collectivité. La loi n'a pas à le préciser : si vous êtes compétent, faites ce que vous voulez.

M. Bernard Frimat.  - Exactement !

M. Christian Cointat, rapporteur.  - Ne disons pas que tout ce qui n'est pas précisé dans la loi n'est pas autorisé : ce serait donner du grain à moudre à la puissance publique qui a parfois du mal à comprendre le cadre de la loi. Retrait ?

Mme Marie-Luce Penchard, ministre.  - On voit bien que vous souhaitez clarifier les choses mais nous faisons la même analyse que le rapporteur : le conseil territorial est déjà compétent. Retrait ?

M. Louis-Constant Fleming.  - Maintenant que ces garanties sont gravées dans le marbre du compte rendu, je retire l'amendement.

L'amendement n°1 est retiré.

Article premier

I. - L'article L.O. 6314-4 du code général des collectivités territoriales est ainsi modifié :

1° Le I est ainsi modifié :

a) Aux premier et second alinéas du 1°, les mots : « est établi » sont remplacés par les mots : « était, dans les cinq ans précédant leur établissement à Saint-Martin, établi » ;

b) Après le 1°, il est inséré un 1° bis ainsi rédigé :

« 1° bis Les personnes physiques ou morales ayant leur domicile fiscal dans un département de métropole ou d'outre-mer, ou étant réputées l'avoir en vertu des dispositions du 1°, sont soumises aux impositions en vigueur dans ces départements ;

« Sans préjudice des dispositions de l'alinéa précédent, les personnes physiques ou morales ayant leur domicile fiscal dans un département de métropole ou d'outre-mer, ou étant réputées l'avoir en vertu des dispositions du 1°, sont soumises aux impositions définies par la collectivité de Saint-Martin pour les revenus ou la fortune trouvant leur source sur le territoire de cette collectivité. » ;

c) Le dernier alinéa est supprimé ;

1° bis (nouveau) Après le I, il est inséré un I bis ainsi rédigé :

« I bis. - Les modalités d'application du I sont précisées par une convention conclue entre l'État et la collectivité de Saint-Martin en vue de prévenir les doubles impositions et de lutter contre la fraude et l'évasion fiscales.

« Avant l'entrée en vigueur de cette convention, les personnes physiques ou morales ayant leur domicile fiscal dans un département de métropole ou d'outre-mer ou à Saint-Martin, ont droit à un crédit d'impôt imputable sur l'impôt dû dans le territoire où se situe leur domicile fiscal au titre de l'exercice ou de l'année civile au cours desquels le crédit est constaté, à raison des revenus provenant de l'autre territoire.

« Ce crédit d'impôt, égal à l'impôt effectivement acquitté à raison de ces revenus dans l'autre territoire, ne peut excéder la fraction d'impôt due au titre de ces mêmes revenus dans le territoire où se situe leur domicile fiscal. Corrélativement, l'impôt acquitté à raison de ces revenus dans l'autre territoire n'est pas déductible de ces mêmes revenus dans le territoire où se situe leur domicile fiscal. » ;

2° Le II est ainsi modifié :

a) Le premier alinéa est complété par une phrase ainsi rédigée :

« Cette convention définit les modalités de rétribution des agents de l'État. » ;

b) Il est ajouté deux alinéas ainsi rédigés :

« Les impôts directs et les taxes assimilées de la collectivité sont recouvrés en vertu de rôles rendus exécutoires par le représentant de l'État dans la collectivité. Celui-ci peut déléguer ses pouvoirs au directeur des services fiscaux compétent pour l'application de l'impôt dans la collectivité de Saint-Martin.

« Des personnels de la collectivité de Saint-Martin, placés sous l'autorité de l'administration de l'État, peuvent apporter leur concours à l'exécution des opérations visées au premier alinéa. »

II. - Le 1° et le 1° bis du I s'appliquent aux revenus afférents, suivant le cas, à toute année civile ou tout exercice commençant à compter du 1er janvier 2010 et à l'impôt sur la fortune établi à compter de l'année 2010.

Les conséquences financières résultant pour l'État de l'application du I sont compensées, à due concurrence, par la création d'une taxe additionnelle aux droits visés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.

III (nouveau). - Au cours de la dixième année suivant l'entrée en vigueur de la loi organique n°2007-223 du 21 février 2007 portant dispositions statutaires et institutionnelles relatives à l'outre-mer, l'application des conditions de résidence définies au 1° du I de l'article L.O. 6314-4 du code général des collectivités territoriales fait l'objet d'un rapport d'évaluation. Ce rapport est transmis aux commissions compétentes de l'Assemblée nationale et du Sénat avant la onzième année suivant l'entrée en vigueur de ladite loi organique.

M. le président.  - Amendement n°7, présenté par le Gouvernement.

Alinéa 19

Supprimer cet alinéa.

Mme Marie-Luce Penchard, ministre.  - Le Gouvernement lève le gage.

M. Christian Cointat, rapporteur.  - Avis extrêmement favorable. (Sourires)

L'amendement n°7 est adopté.

M. le président.  - Amendement n°6, présenté par M. Cointat, au nom de la commission.

Compléter cet article par trois paragraphes ainsi rédigés :

IV.- Le dernier alinéa de l'article L.O. 6380-1 du code général des collectivités territoriales est supprimé.

V.- La perte de recettes résultant pour Saint-Martin des dispositions du IV est compensée par la majoration à due concurrence de la dotation globale de fonctionnement.

VI.- La perte de recettes résultant pour l'État du V est compensée par la majoration à due concurrence des droits visés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.

M. Christian Cointat, rapporteur.  - Nous avons sans doute voulu être trop subtils lorsque nous avons voté la loi de 2007. Nous avions alors distingué Saint-Martin, plus pauvre et voisine des dynamiques Antilles néerlandaises, et Saint-Barthélemy, commune riche. Il semblait normal d'appliquer à celle-ci le droit commun alors qu'à Saint-Martin, on permettait à ceux qui ne venaient pas du territoire départemental d'être exonérés de la règle des cinq ans, l'État se substituant, compte tenu des difficultés, à la collectivité pour prélever l'impôt. C'est vraisemblablement cette trop grande subtilité qui a laissé penser que le législateur souhaitait une compétence exclusive en matière fiscale. Nous avons donc voulu clarifier les choses : même traitement pour tout le monde, même compétence de source. Dans ces conditions, il n'y a pas de raison que l'État rembourse ce qu'il n'a pas prélevé et il est impératif de supprimer ce paragraphe pour que l'État ne soit pas lésé.

Mme Marie-Luce Penchard, ministre.  - Je m'en remettrais à la sagesse si les paragraphes V et VI étaient supprimés.

M. Christian Cointat, rapporteur.  - Je rectifie l'amendement en ce sens : je ne puis qu'être très favorable à ce que le gage soit ainsi levé.

L'amendement n°6 rectifié est adopté, ainsi que l'article premier, modifié.

Article 2

I. - L'article L.O. 6353-4 du même code est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« 5° Agréments et décisions desquels dépend le bénéfice d'un avantage prévu par la règlementation fiscale de la collectivité. »

II. - Après l'article L.O. 6353-4 du même code, il est inséré un article L.O. 6353-4-1 ainsi rédigé :

« Art. L.O. 6353-4-1.  - Le conseil exécutif peut participer à la désignation des membres des commissions administratives en matière fiscale, dans les conditions fixées par la réglementation fiscale de la collectivité. »

M. le président.  - Amendement n°2, présenté par M. Fleming.

Après l'alinéa 2

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

« Nonobstant les dispositions du II de l'article L.O. 6314-4, le conseil exécutif procède à la détermination de l'assiette et à la liquidation des taxes auxquelles donnent lieu les autorisations de construire et les autorisations d'utilisation et d'occupation du sol. Le conseil peut déléguer ses pouvoirs au responsable du service de l'urbanisme de la collectivité. »

M. Louis-Constant Fleming.  - Les opérations d'assiette, de contrôle et de recouvrement des impôts, droits et taxes de la collectivité sont réservées aux agents de l'État, lesquels ne sont pas en mesure d'y procéder à Saint-Martin, d'où cette dérogation à l'article L.O. 6314-4 du code général des collectivités territoriales autorisant la collectivité à déterminer et liquider la taxe due à l'occasion d'un permis de construire.

M. Christian Cointat, rapporteur.  - Le II de l'article 6314-4 est particulièrement explicite : il énonce clairement les compétences et les définit.

La commission des lois a aménagé la loi pour tenir compte des difficultés rencontrées par la collectivité de Saint-Martin, en indiquant notamment que la convention définit les modalités de rétribution des agents de l'État et que des personnels de la collectivité de Saint-Martin sous l'autorité de l'administration de l'État peuvent apporter leur concours au recouvrement. Tous les éléments sont là pour que la collectivité puisse exercer pleinement ses compétences.

En outre, votre amendement revient à transférer des compétences du conseil territorial au conseil exécutif, à rebours de l'esprit de la loi de 2007. Retrait, sinon rejet.

Mme Marie-Luce Penchard, ministre.  - Le Gouvernement partage cette analyse. Sagesse, à moins d'un retrait...

M. Louis-Constant Fleming.  - Je suis satisfait d'entendre dans cette enceinte que la collectivité de Saint-Martin a toutes les compétences. Son président, présent dans les tribunes, en aura pris acte.

L'amendement n°2 est retiré.

L'article 2 est adopté.

Chapitre II Compétences du président du conseil territorial et du conseil exécutif

M. le président.  - Amendement n°3, présenté par M. Frimat et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.

Supprimer cette division et son intitulé.

M. Bernard Frimat.  - Je défendrai en même temps les amendements nos3, 4 et 5. Autant je conçois qu'il est urgent de régler un problème fiscal, autant il me paraît déplacé de profiter de ce texte pour aménager des dispositions statutaires qui n'ont pas deux ans d'âge. Le texte doit se conformer au titre du rapport, qui ne concerne que l'imposition des revenus de source.

Si ce texte vient en débat aujourd'hui, c'est que la Conférence des Présidents a jugé qu'il fallait donner satisfaction à nos collègues dans le cadre de la semaine sénatoriale pour remédier à la carence du Gouvernement, or la Constitution ne prévoit pas d'espace réservé au groupe majoritaire.

M. Christian Cointat, rapporteur.  - Je suis embarrassé car j'avais pensé, initialement, déposer des amendements identiques...

M. Bernard Frimat.  - Laissez-vous aller ! (Sourires)

M. Christian Cointat, rapporteur.  - Mais après avoir dialogué avec M. Fleming et pris attache avec les personnes intéressées, il m'est apparu utile d'apporter quelques aménagements mineurs qui ne concernaient pas directement la partie fiscale. Nous n'avons retenu qu'une infime partie de la proposition de loi organique de M. Fleming. Pour qui connaît Saint-Martin, ces ajouts ne sont pas si négligeables. Sans doute aurions-nous dû régler ces questions lors de la loi organique Dsiom... Nous profitons d'un véhicule législatif intéressant. Retrait, sinon rejet.

Mme Marie-Luce Penchard, ministre.  - Ces dispositions sont nécessaires compte tenu du contexte à Saint-Martin, notamment en matière environnementale. Avis défavorable.

M. Bernard Frimat.  - Mes amendements ne portent pas sur les aspects environnementaux. Au Conseil constitutionnel de dire s'il s'agit de cavaliers : je me contente d'ouvrir l'écurie... (Sourires)

Vous dites que le projet de loi de 2007 était mal rédigé, imprécis... (M. le rapporteur le conteste) Si la procédure accélérée se justifie pour pallier la carence du Gouvernement, elle ne s'impose nullement ici. Pour Saint-Barthélemy, le texte s'en tient aux strictes dispositions fiscales.

M. Christian Cointat, rapporteur.  - Le chapitre sur l'environnement, que nous avions ajouté au texte relatif à la Nouvelle-Calédonie, ayant été validé par le Conseil constitutionnel, nous nous sommes sentis autorisés à faire de même pour Saint-Martin et Saint-Barthélemy, et nous ferons de même pour les autres collectivités d'outre-mer.

L'amendement n°3 n'est pas adopté.

Article 3

I. - L'article L.O. 6352-3 du même code est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Le président du conseil territorial peut charger chacun des membres du conseil exécutif d'animer et de contrôler un secteur de l'administration de la collectivité. »

II. - L'article L.O. 6353-3 du même code est ainsi modifié :

1° Le premier alinéa est supprimé ;

2° La deuxième phrase du second alinéa est complétée par les mots : « en application de l'article L.O. 6352-3 ».

M. le président.  - Amendement n°4, présenté par M. Frimat et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.

Supprimer cet article.

M. Bernard Frimat.  - Je l'ai défendu.

L'amendement n°4, repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.

L'article 3 est adopté.

L'article 4 demeure supprimé.

Article 5

La seconde phrase du premier alinéa de l'article L.O. 6322-2 du même code est complétée par les mots : « , et sans que les dispositions de l'article L.O. 6321-22 trouvent à s'appliquer à la réunion du conseil territorial convoquée à cette fin ».

M. le président.  - Amendement n°5, présenté par M. Frimat et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.

Supprimer cet article.

M. Bernard Frimat.  - Je l'ai défendu.

L'amendement n°5, repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.

L'article 5 est adopté, ainsi que l'article 5 bis.

Article 6

Les conséquences financières résultant pour l'État de la présente loi sont compensées, à due concurrence, par la création d'une taxe additionnelle aux droits visés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.

M. le président.  - Amendement n°8, présenté par le Gouvernement.

Supprimer cet article.

Mme Marie-Luce Penchard, ministre.  - Nous supprimons le gage.

L'amendement n°8, accepté par la commission, est adopté et l'article 6 est supprimé.

Vote sur l'ensemble de la proposition de loi organique relative à Saint-Martin

M. Jacques Gillot.  - Je partage l'analyse de M. Frimat, et j'étais tenté de m'abstenir avec mon groupe, mais par solidarité avec ces deux collectivités, je voterai les deux textes.

M. Bernard Frimat.  - Nous avions dit que nous ne nous opposerions pas à ce texte. Nos amendements ont été refusés : nous nous abstiendrons donc.

En application de l'article 59 du Règlement, l'ensemble de la proposition de loi organique est mise aux voix par scrutin public.

M. le président.  - Voici les résultats du scrutin :

Nombre de votants 340
Nombre de suffrages exprimés 211
Majorité absolue des suffrages exprimés 106
Pour l'adoption 189
Contre 22

Le Sénat a adopté.

(Applaudissements au centre et à droite)

Discussion des articles de la loi organique relative à Saint-Barthélemy

Article premier

I. - Le I de l'article L.O. 6214-4 du code général des collectivités territoriales est ainsi modifié :

1° Après le 1°, il est inséré un 1° bis ainsi rédigé :

« 1° bis Les personnes physiques ou morales ayant leur domicile fiscal dans un département de métropole ou d'outre-mer, ou étant réputées l'avoir en vertu des dispositions du 1°, sont soumises aux impositions en vigueur dans ces départements ;

« Sans préjudice des dispositions de l'alinéa précédent, les personnes physiques ou morales ayant leur domicile fiscal dans un département de métropole ou d'outre-mer, ou étant réputées l'avoir en vertu des dispositions du 1°, sont soumises aux impositions définies par la collectivité de Saint-Barthélemy pour les revenus ou la fortune trouvant leur source sur le territoire de cette collectivité. » ;

2° Le dernier alinéa est supprimé.

II. - Après le I de l'article L.O. 6214-4 du même code, il est inséré un I bis ainsi rédigé :

« I bis. - Les modalités d'application du I sont précisées par une convention conclue entre l'État et la collectivité de Saint-Barthélemy en vue de prévenir les doubles impositions et de lutter contre la fraude et l'évasion fiscales.

« Avant l'entrée en vigueur de cette convention, les personnes physiques ou morales ayant leur domicile fiscal dans un département de métropole ou d'outre-mer ou à Saint-Barthélemy, ont droit à un crédit d'impôt imputable sur l'impôt dû dans le territoire où se situe leur domicile fiscal au titre de l'exercice ou de l'année civile au cours desquels le crédit est constaté, à raison des revenus provenant de l'autre territoire.

« Ce crédit d'impôt, égal à l'impôt effectivement acquitté à raison de ces revenus dans l'autre territoire, ne peut excéder la fraction d'impôt due au titre de ces mêmes revenus dans le territoire où se situe leur domicile fiscal. Corrélativement, l'impôt acquitté à raison de ces revenus dans l'autre territoire n'est pas déductible de ces mêmes revenus dans le territoire où se situe leur domicile fiscal. »

III. - Le I et le II s'appliquent aux revenus afférents, suivant le cas, à toute année civile ou tout exercice commençant à compter du 1er janvier 2010 et à l'impôt sur la fortune établi à compter de l'année 2010.

Les conséquences financières résultant pour l'État de l'application du II sont compensées, à due concurrence, par la création d'une taxe additionnelle aux droits visés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.

IV. - Au cours de la dixième année suivant l'entrée en vigueur de la loi organique n°2007-223 du 21 février 2007 portant dispositions statutaires et institutionnelles relatives à l'outre-mer, l'application des conditions de résidence définies au 1° du I de l'article L.O. 6214-4 du code général des collectivités territoriales fait l'objet d'un rapport d'évaluation. Ce rapport est transmis aux commissions compétentes de l'Assemblée nationale et du Sénat avant la onzième année suivant l'entrée en vigueur de ladite loi organique.

M. le président.  - Amendement n°1, présenté par le Gouvernement.

Alinéa 11

Supprimer cet alinéa.

Mme Marie-Luce Penchard, ministre.  - Je lève le gage.

L'amendement n°1, accepté par la commission, est adopté.

L'article premier, modifié, est adopté.

L'article premier bis est adopté.

Article 2

Les pertes de recettes résultant pour l'État de la présente loi sont compensées, à due concurrence, par la création d'une taxe additionnelle aux droits visés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.

M. le président. - Amendement n°2, présenté par le Gouvernement.

Supprimer cet article.

Mme Marie-Luce Penchard, ministre.  - Je lève là encore le gage.

L'amendement n°2, accepté par la commission, est adopté et l'article 2 supprimé.

Vote sur l'ensemble de la proposition de loi organique relative à Saint-Barthélemy

M. Michel Magras.  - Je remercie les collègues qui sont intervenus. Je souhaite clarifier deux points à l'intention de Mme Terrade et de M. Frimat. Le congrès de Guadeloupe s'est prononcé à deux reprises à la quasi-unanimité pour l'évolution institutionnelle de Saint-Barthélemy en collectivité d'outre-mer. Et la population de Saint-Barthélemy s'est prononcée à 95,5 % en faveur de cette évolution, avec un taux de participation de 75,5 %.

Quant au risque de voir la collectivité devenir une terre d'évasion fiscale, je rappelle que les dispositions de la fiscalité locale ne s'appliquent qu'aux seuls revenus gagnés sur son territoire. Je suis moi-même domicilié à Saint-Barthélemy mais je paie mes impôts à l'État sur les revenus de ma fonction. J'espère vous avoir tous convaincus de voter ce texte.

En application de l'article 59 du Règlement, l'ensemble de la proposition de loi organique, modifié, est mis aux voix par scrutin public.

M. le président. - Voici les résultats du scrutin :

Nombre de votants 339
Nombre de suffrages exprimés 210
Majorité absolue des suffrages exprimés 106
Pour l'adoption 188
Contre 22

Le Sénat a adopté.

(Applaudissements au centre et à droite)

Recherches sur la personne (Suite)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la suite de la discussion de la proposition de loi relative aux recherches sur la personne. Nous reprenons la discussion des articles que nous avons dû interrompre le 29 octobre.

Discussion des articles (Suite)

Article premier (Suite)

M. le président.  - Amendement n°29, présenté par Mme Hermange au nom de la commission.

Alinéa 45

Remplacer les mots :

mentionnées au premier alinéa du 1° de l'article L. 1121-1

par le mot :

interventionnelles

L'amendement de coordination n°29, accepté par le Gouvernement, est adopté.

M. le président.  - Amendement n°1, présenté par MM. About, Amoudry, Borotra, Deneux, Mmes Dini, Férat, M. Adrien Giraud, Mmes Morin-Desailly, Payet, MM. Pignard et Vanlerenberghe.

Alinéa 47

Après les mots :

Dans le cadre d'une recherche interventionnelle

insérer les mots :

, à l'exception de celles mentionnées au second alinéa du 1° de l'article L. 1121-1

Mme Muguette Dini.  - Nous entendons exclure de la catégorie des dispositifs médicaux et dispositifs médicaux de diagnostic in vitro, nécessairement fournis gratuitement par leurs promoteurs, ceux d'entre eux qui sont le fruit de recherches interventionnelles ne comportant que des risques et des contraintes minimes. Cet amendement n'a pas à être gagé puisqu'il n'entraîne aucune augmentation des charges de la sécurité sociale.

L'amendement n°1, accepté par la commission et le Gouvernement, est adopté.

M. le président.  - Amendement n°2, présenté par MM. About, Amoudry, Borotra, Deneux, Mmes Dini, Férat, M. Adrien Giraud, Mmes Morin-Desailly, Payet, MM. Pignard et Vanlerenberghe.

Alinéa 47

Après le mot :

investigateurs

insérer les mots :

pendant la durée de la recherche

Mme Muguette Dini.  - Amendement de coordination avec le troisième alinéa de l'article 2.

L'amendement n°2, accepté par la commission et le Gouvernement, est adopté.

M. le président.  - Amendement n°30, présenté par Mme Hermange au nom de la commission.

Alinéa 52

Supprimer cet alinéa

L'amendement de coordination n°30, accepté par le Gouvernement, est adopté.

M. le président.  - Amendement n°21, présenté par M. Autain et les membres du groupe CRC-SPG.

Alinéa 56

Après les mots : « résultats globaux de cette recherche, », sont insérés les mots : « après consultation du comité de protection des personnes concerné, » ;

M. François Autain.  - Les comités de protection des personnes (CPP) sont chargés de veiller sur les participants aux protocoles de recherche médicale et doivent concilier les exigences de la protection individuelle et l'intérêt pour la société. Ils doivent s'assurer du consentement des personnes, mais aussi faire en sorte que ce consentement soit éclairé. C'est pourquoi la loi Huriet-Sérusclat leur a confié dès leur création le contrôle a priori des informations délivrées aux candidats. Cet amendement étend leur intervention au contrôle a posteriori des informations relatives aux résultats de la recherche.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur de la commission des affaires sociales.  - Cet amendement alourdit la procédure et n'est guère cohérent avec le rôle essentiellement éthique dévolu aux CPP.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de la santé et des sports.  - Le Gouvernement y était favorable...

M. Bernard Frimat.  - Il doit le rester !

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre.  - Il est essentiel que l'information délivrée soit intelligible. L'extension proposée entre pleinement dans les misions des CPP.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur.  - Après les explications de Mme la ministre, je m'en remets à la sagesse.

L'amendement n°21 est adopté.

Mme Muguette Dini, présidente de la commission des affaires sociales.  - L'amendement n°23 rectifié bis qui suit a été déposé tardivement par le Gouvernement. Je souhaite une courte suspension de séance pour permettre à la commission de l'examiner.

La séance, suspendue à 23 h 30, reprend à 23 h 40.

M. le président.  - Amendement n°23 rectifié bis, présenté par le Gouvernement.

Après l'alinéa 60

Insérer six alinéas ainsi rédigés :

« Le comité de protection des personnes peut, par exception au premier alinéa de l'article L. 1122-1-1, autoriser qu'au sein des recherches mentionnées au quatrième alinéa de l'article L. 1121-1, une recherche en santé publique soit réalisée sous réserve que les conditions suivantes soient réunies :

« - la recherche a pour objet d'améliorer la santé publique ;

« - la recherche ne porte pas sur un produit mentionné à l'article L. 5311-1 ;

« - la recherche n'est effectuée ni sur des personnes qui font l'objet d'une mesure de protection légale, ni sur des personnes majeures hors d'état d'exprimer leur consentement, ni sur des personnes privées de liberté, ni sur des personnes hospitalisées sans leur consentement, ni sur des personnes admises dans un établissement sanitaire et social à d'autres fins que la recherche ;

« - le recueil du consentement individuel, écrit et exhaustif pour l'ensemble des personnes concernées est rendu matériellement quasi impossible du fait de la nature de la recherche ou de ses exigences méthodologiques ;

« - les personnes concernées doivent être informées collectivement, préalablement au début de la recherche, de la nature de la recherche, de leur possibilité de refuser d'y participer. »

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre.  - En requérant l'avis d'un comité de protection des personnes préalablement à toute recherche sur la personne humaine, cette proposition de loi constitue un progrès. Mais il est indispensable que les modalités de recueil du consentement des personnes soient adaptées à la nature des recherches et aux risques qu'elles présentent. Les recherches en santé publique, qui consistent par exemple à évaluer des campagnes d'information, d'éducation ou d'application de règles d'hygiène et présentent un risque minime, voire nul, ne doivent pas être soumises aux mêmes exigences que les recherches interventionnelles à risque. Il serait extravagant de punir de trois ans de prison l'organisateur de recherches bénignes au cas il n'aurait pas respecté à la lettre les formalités de recueil du consentement ! Cela risquerait d'étouffer ce genre de recherches.

L'amendement prévoit donc que le CPP peut autoriser les recherches en santé publique dénuées de risque, à condition que les personnes concernées bénéficient d'une information collective et qu'elles puissent ne pas y participer. Ces recherches ne pourront porter sur des produits de santé ni concerner des populations vulnérables.

Grâce à un amendement de Mme le rapporteur, il est prévu que si le protocole comprend une séquence comportant une intervention individuelle comme une vaccination ou un traitement, un consentement écrit sera requis pour cette séquence. Les CPP, chargés d'évaluer le niveau de risque, pourront requalifier la recherche si elle ne remplit pas les conditions énoncées dans l'amendement, après avoir interrogé l'Afssaps s'ils le souhaitent.

Puisque cette catégorie de recherche n'est aujourd'hui soumise au contrôle d'aucun comité, l'amendement élève le niveau d'exigence par rapport à la législation en vigueur.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur.  - Cet amendement complexe me semble plein de sous-entendus. Le recueil du consentement individuel doit être « matériellement quasi impossible » pour que la procédure simplifiée soit autorisée : cela suppose qu'il est au moins souhaitable ! Qu'est-ce en outre qu'une « quasi-impossibilité matérielle » ?

Je suis également très réservée sur la notion d' « information collective ». Le temps des chercheurs est-il trop précieux pour qu'ils informent précisément les patients de ce à quoi ils s'engagent ?

Enfin, l'idée d'accorder une dérogation aux recherches présentant un risque minimal va à l'encontre des principes de la commission selon laquelle, si une recherche comprend à coup sûr une intervention, le consentement écrit des personnes doit être recueilli. Avis défavorable.

L'amendement n°23 rectifié bis n'est pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°31, présenté par Mme Hermange au nom de la commission.

Alinéa 74

Supprimer la référence :

L. 1123-6,

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur.  - Amendement de coordination.

L'amendement n°31, accepté par le Gouvernement, est adopté.

M. le président.  - Amendement n°32, présenté par Mme Hermange au nom de la commission.

Alinéa 75

Remplacer les mots :

des articles

par les mots :

de l'article

et supprimer la référence :

et L. 1123-6

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur.  - Amendement de coordination.

L'amendement n°32, accepté par le Gouvernement, est adopté.

M. le président.  - Amendement n°39 rectifié, présenté par le Gouvernement.

I. - Alinéa 93

Remplacer les mots :

« impliquant la personne humaine »

par les mots :

« interventionnelles à l'exception de celles mentionnées au second alinéa du 1° de l'article L. 1121-1 ».

II. - Après l'alinéa 93

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

...° Le premier alinéa de l'article L. 1123-10 est complété par une phrase ainsi rédigée :

« Les évènements et les effets indésirables, définis pour chaque type de recherches mentionnées au second alinéa du 1°) de l'article L. 1121-1 et pour les recherches non-interventionnelles, sont notifiés respectivement de l'investigateur au promoteur et par le promoteur à l'autorité compétente. »

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre.  - Les CPP formulent des avis sur les recherches mais n'ont pas pour mission de les suivre. Ils reçoivent des informations sur les événements indésirables survenus au cours des recherches mais n'ont pas les moyens de les exploiter utilement ; ils en sont d'ailleurs submergés. En outre, cette obligation d'information est redondante puisque l'Afssaps -seule autorité détenant les pouvoirs d'inspection et de police sanitaire- reçoit déjà toutes les informations relatives à la vigilance, y compris celles qui concernent les événements et effets indésirables.

Cet amendement de bon sens vise donc à limiter l'obligation de transmettre ces informations aux CPP aux seules recherches interventionnelles à risque. C'est tout ce qu'exige la directive européenne.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur.  - Cet amendement vise à ne pas soumettre à l'avis des CPP les événements et les effets indésirables survenus lors de recherches présentant un risque minime et pour les recherches non interventionnelles. La commission souhaite s'assurer que les personnes participant à une recherche sont informées et consentantes, même si le risque est minime. Par exemple, si 1 % d'entre elles peuvent faire un infarctus, elles doivent le savoir. Si les CPP sont désarmés pour traiter un à un les événements indésirables, il est préférable qu'ils se prononcent sur des documents de synthèse.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre.  - Ils les ont déjà.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur.  - Avis défavorable.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre.  - L'abondance des notifications individuelles noie les CPP sous un déluge d'informations. Les notifications au cas par cas sont faites auprès de l'Afssaps, qui communique des synthèses aux CPP. Et ces derniers sont bien sûr informés pour les recherches interventionnelles.

L'amendement n°39 rectifié n'est pas adopté.

L'amendement n°22 rectifié n'est pas soutenu.

Mme Muguette Dini, présidente de la commission.  - Je le reprends.

M. le président.  - Amendement n°22 rectifié bis, présenté par Mme Dini au nom de la commission des affaires sociales.

Alinéa 113

Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :

Cet arrêté est pris dans les deux mois à compter de la publication de la présente loi.

Mme Muguette Dini, présidente de la commission.  - L'enjeu pour les sociétés du secteur des cosmétiques ou de l'alimentaire est suffisamment important pour qu'un délai de parution soit fixé pour cet arrêté.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre.  - Si Catherine Procaccia était là, je lui aurais demandé de retirer cet amendement. Je partage votre souci de voir les textes publiés rapidement mais je ne peux m'engager à ce que cet arrêté paraisse dans un délai si court ! J'en appelle à votre bon sens.

L'amendement n°22 rectifié bis est retiré.

M. Jean-Pierre Godefroy.  - En procédant à un mélange des genres entre des recherches de nature différente, l'article premier tend à banaliser les recherches biomédicales susceptibles de porter atteinte à la protection des personnes. Si ce texte crée un socle commun pour l'ensemble des recherches sur la personne, il ne permettra pas aux CPP de juger du caractère éthique de toutes les recherches, ni de mettre fin aux contournements par le jeu des qualifications.

Ainsi, pour les recherches interventionnelles qui ne portent pas sur les médicaments et présentent des risques et des contraintes minimes, comme pour les recherches non interventionnelles, les chercheurs pourront saisir à leur guise les CPP. Cet article prévoit bien que ces recherches nécessitent un avis favorable du CPP, mais aucune sanction pénale n'est prévue en cas de manquement à cette obligation. L'infraction ne concerne que les recherches interventionnelles non justifiées. Est-ce un oubli ? L'absence de sanction réduit à néant votre volonté affichée de protéger les personnes et rétablira l'opacité qui caractérisait certaines pratiques.

En outre, l'adoption d'un amendement a ouvert la possibilité, par voie dérogatoire, d'autoriser la participation aux recherches de personnes non affiliées à un régime de sécurité sociale, ce que nous ne pouvons accepter. Il s'agira pour l'essentiel de migrants et de sans papiers. Comment pourra-t-on les identifier ? Seront-ils assurés de rester sur le territoire pendant la durée de l'étude ? S'ils sont expulsables, pourquoi les inclure dans la recherche ? Dans le cas contraire, ne risquent-ils pas d'y participer à seule fin d'éviter d'être reconduits à la frontière, et tout simplement pour bénéficier d'un traitement ? Si un problème lié à la recherche apparaît, comment les retrouver ? Comment pourront-ils faire valoir leurs droits ?

N'ayant pas obtenu de réponse à ces questions, nous nous limiterons à une abstention positive car ce texte contient des avancées par rapport à la version adoptée par l'Assemblée nationale.

M. François Autain.  - Je souhaite rendre hommage au travail de la commission et du rapporteur, qui ont considérablement amélioré ce texte. Ainsi, les recherches non interventionnelles sortiront du vide juridique où elles se trouvaient. Les inquiétudes que vient d'exprimer Jean-Pierre Godefroy doivent être prises en considération mais les personnes non couvertes par la sécurité sociale ne pourront participer aux recherches qu'à titre dérogatoire, après avis motivé du CPP. C'est une garantie suffisante, et le groupe CRC votera cet article.

L'article premier, modifié, est adopté.

Article 2

L'article L. 1121-16-1 du code la santé publique est ainsi rédigé :

« Art. L. 1121-16-1.  -  On entend par recherches à finalité non commerciale, les recherches interventionnelles dont les résultats ne sont pas exploités à des fins lucratives, qui poursuivent un objectif de santé publique et dont le promoteur ou le ou les investigateurs sont indépendants à l'égard des entreprises qui fabriquent ou qui commercialisent les produits faisant l'objet de la recherche.

« Pendant la durée de la recherche interventionnelle, le promoteur fournit gratuitement les médicaments expérimentaux et, le cas échéant, les dispositifs médicaux utilisés pour les administrer, ainsi que, pour les recherches portant sur des produits autres que les médicaments, les produits faisant l'objet de la recherche.

« Les caisses d'assurance maladie prennent en charge les produits faisant l'objet de recherches à finalité non commerciale dans les conditions suivantes :

« 1° Les médicaments bénéficiant d'une autorisation de mise sur le marché ou faisant l'objet d'une autorisation temporaire d'utilisation mentionnée au a de l'article L. 5121-12, inscrits sur la liste mentionnée à l'article L. 5123-2 ou sur la liste prévue à l'article L. 5126-4, ainsi que les produits inscrits sur la liste mentionnée à l'article L. 165-1 du code de la sécurité sociale ou pris en charge au titre des prestations d'hospitalisation mentionnées à l'article L. 162-22-6 du même code, lorsqu'ils sont utilisés dans le cadre d'une recherche à finalité non commerciale autorisée dans les conditions ouvrant droit au remboursement ;

« 2° A titre dérogatoire, les médicaments ou produits faisant l'objet d'une recherche interventionnelle autorisée à finalité non commerciale ou d'une recherche mentionnée au 2° de l'article L. 1121-1, ayant reçu l'avis favorable d'un comité de protection des personnes, à finalité non commerciale, lorsqu'ils ne sont pas utilisés dans des conditions ouvrant droit au remboursement, sous réserve de l'avis conforme de la Haute Autorité de santé et de l'avis conforme de l'Union nationale des caisses d'assurance maladie. Ces instances s'assurent de l'intérêt de ces recherches pour la santé publique et notamment pour l'amélioration du bon usage et pour l'amélioration de la qualité des soins et des pratiques. La décision de prise en charge est prise par arrêté des ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale.

« Dans les cas mentionnés aux 1° et 2° du présent article, le promoteur de la recherche s'engage à rendre publics les résultats de sa recherche.

« Lorsque la recherche ayant bénéficié d'une prise en charge ne répond plus à la définition d'une recherche à finalité non commerciale, le promoteur reverse les sommes engagées pour les recherches concernées aux régimes d'assurance maladie selon les règles prévues à l'article L. 138-8 du code de la sécurité sociale. Le reversement dû est fixé par décision des ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale après que le promoteur concerné a été mis en mesure de présenter ses observations. Le produit du reversement est recouvré par les organismes mentionnés à l'article L. 213-1 du même code désignés par le directeur de l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale. Le recours présenté contre la décision fixant ce reversement est un recours de pleine juridiction. Les modalités d'application du présent alinéa sont fixées par décret. »

M. le président.  - Amendement n°13, présenté par M. Godefroy et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.

Supprimer cet article.

M. Jean-Pierre Godefroy.  - Actuellement, les médicaments utilisés dans le cadre d'une recherche biomédicale ne sont pris en charge intégralement par l'assurance maladie que si le promoteur de la recherche est public. Cette disposition, introduite en 2006 par la loi de programme pour la recherche, serait contraire au droit communautaire car elle se fonde sur une distinction de catégorie juridique pour justifier une aide d'État. L'article 2 propose de substituer à la notion de promoteur public celle d'essai non commercial. Ainsi, la prise en charge intégrale s'appliquera aussi bien à un promoteur public que privé, tout en étant limitée à une catégorie, la « recherche à finalité non commerciale » dont la définition n'est pas évidente. Comment distinguer les recherches à finalité non commerciale de celles à finalité commerciale ? En se plaçant dans la catégorie des recherches à finalité non commerciale, on s'interdit a priori de déposer un brevet. Ce flou ne risque-t-il pas d'élargir le champ de prise en charge par l'assurance maladie à l'ensemble des promoteurs ? Le risque n'est pas neutre pour une sécurité sociale dont on connaît l'ampleur du déficit. Peut-on se contenter, pour défendre cette disposition, d'invoquer son intérêt pour la recherche institutionnelle, et notamment pour les recherches comparatives entre médicaments ?

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur.  - La question est complexe. La suppression de cet article serait une perte pour la recherche institutionnelle. Le Parlement européen a estimé qu'il fallait, pour les recherches ne visant pas l'obtention d'une autorisation de mise sur le marché (AMM), créer un cadre simplifié pour les études n'aboutissant pas à une commercialisation mais présentant un intérêt pour la santé publique. Selon certains, il n'y a pas là d'innovation, et donc pas de véritable recherche. On y trouve pourtant les études comparant les effets de deux médicaments pour une même pathologie ou cherchant la meilleure prise en charge. Ces recherches ne créent pas de profit mais génèrent des économies et apportent un mieux-être aux malades. Elles sont presque toutes prises en charge par des acteurs institutionnels, tels les CHU. Si les recherches aboutissent à des découvertes ayant un potentiel commercial, elles peuvent être achetées par un laboratoire qui remboursera l'assurance maladie.

Retrait ou avis défavorable.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre.  - Tout comme M. Godefroy, je suis extrêmement attentive aux finances de l'assurance maladie.

Certaines recherches jamais financées par les laboratoires peuvent présenter un intérêt majeur pour l'assurance maladie. Au demeurant, lorsqu'une recherche non commerciale débouche néanmoins sur une application, le promoteur remboursera l'assurance maladie.

Malgré la bonne intention de ses auteurs, l'amendement n'est pas souhaitable.

M. François Autain.  - Nous le voterons, car l'article 2 est moins clair que les dispositions actuelles du code de la santé publique.

Une distinction entre recherche fondamentale et recherche à finalité commerciale ne peut être fondée que sur la qualité du promoteur puisque l'on ne peut déterminer a priori la nature de la recherche, ce que vous avez d'ailleurs admis. C'est pourquoi les dispositions en vigueur réservent la prise en charge d'une recherche par l'assurance maladie au seul cas où son promoteur est un organisme public : une université, un établissement public de santé où toute personne physique ou morale sans but lucratif.

D'autre part, qui vérifiera les liens entre le promoteur et l'instigateur de la recherche ? Enfin, aucune disposition ne nous éclaire sur la procédure permettant de constater la nouvelle nature d'une recherche initialement censée n'avoir pas de finalité commerciale. De même, nous ignorons tout des modalités de remboursement.

L'amendement n°13 n'est pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°3, présenté par MM. About, Amoudry, Borotra, Deneux, Mmes Dini, Férat, M. Adrien Giraud, Mmes Morin-Desailly, Payet, MM. Pignard et Vanlerenberghe.

Alinéa 3

Après le mot :

interventionnelle

insérer les mots :

, sauf si celle-ci figure au nombre de celles mentionnées au second alinéa du 1° de l'article L. 1121-1

L'amendement rédactionnel n°3, accepté par la commission et le Gouvernement, est adopté.

L'article 2, modifié, est adopté.

Article 3

I.  -  L'article L. 1123-7 du code de la santé publique est ainsi modifié :

a) Au troisième alinéa, après les mots : « obtenir le consentement éclairé », sont insérés les mots : « , pour vérifier l'absence d'opposition » ;

b) Après le dixième alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

«  -  la pertinence scientifique et éthique des projets de constitution de collections d'échantillons biologiques au cours de recherches impliquant la personne humaine. » ;

c) Au onzième alinéa, après les mots : « de recherche », il est inséré le mot : « interventionnelle » ;

d) Le treizième alinéa est ainsi rédigé :

« Outre les missions qui leur sont confiées en matière de recherches impliquant la personne humaine, les comités sont également consultés en application des dispositions dérogatoires à l'obligation d'information des personnes prévues à l'article L. 1211-2. »

II.  -  L'article L. 1243-3 du même code est ainsi modifié :

a) Le troisième alinéa est supprimé ;

b) Au quatrième alinéa, après les mots : « à l'exercice des activités ainsi déclarées si », sont insérés les mots : « la finalité scientifique de l'activité n'est pas établie, si », et la dernière phrase du même alinéa est supprimée ;

c) Les sixième et dernier alinéas sont supprimés ;

d) Le septième alinéa est ainsi rédigé : 

« Les activités prévues au premier alinéa exercées dans le cadre d'une recherche impliquant la personne humaine sont régies par les dispositions spécifiques à ces recherches. »

III.  - L'article L. 1243-4 du même code est ainsi modifié :

a) À la première phrase du premier alinéa, après les mots : « la conservation et la préparation de tissus et cellules », sont insérés les mots : « , des organes, du sang, de ses composants et de ses produits dérivés issus » ;

b) À la première phrase du même alinéa, les mots : « dans le cadre d'une activité commerciale, », « , y compris à des fins de recherche génétique », « , après avis du comité consultatif sur le traitement de l'information en matière de recherche dans le domaine de la santé, prévu à l'article 40-2 de la loi n°78-17 du 6 janvier 1978 précitée » et la deuxième phrase du même alinéa sont supprimés ;

c) Le dernier alinéa est ainsi rédigé :

« Les activités prévues au premier alinéa exercées dans le cadre d'une recherche impliquant la personne humaine sont régies par les dispositions spécifiques à ces recherches. »

M. le président.  - Amendement n°14, présenté par M. Godefroy et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.

Alinéa 2

Rédiger ainsi cet alinéa :

a) Le troisième alinéa est complété par les mots : « ou, le cas échéant, pour vérifier l'absence d'opposition » ;

L'amendement rédactionnel n°14, accepté par la commission le Gouvernement, est adopté.

M. le président.  - Amendement n°36, présenté par le Gouvernement.

Après l'alinéa 7

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

e) Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :

« Sur demande auprès du comité de protection des personnes concerné, l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé a accès à toutes informations utiles relatives aux recherches mentionnées au second alinéa du 1°) et au 2°) de l'article L. 1121-1. »

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre.  - Il sera ainsi obligatoire de transmettre à l'agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) toutes les informations qu'elle pourra demander relativement à un brevet. Cette obligation s'appliquera aux recherches portant sur la personne humaine, y compris de façon non interventionnelle.

Le pouvoir de police sanitaire exercée par l'agence est indispensable pour garantir les droits des personnes physiques.

L'amendement n°36, accepté par la commission, est adopté.

L'article 3, modifié, est adopté.

Article additionnel

M. le président.  - Amendement n°15, présenté par M. Godefroy et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.

Après l'article 3, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après l'article L. 1131-1 du code de la santé publique, il est inséré un article L. 1131-1-1 ainsi rédigé :

« L. 1131-1-1 - Par dérogation aux dispositions de l'article 16-10 du code civil et du premier alinéa de l'article L. 1131-1, l'examen des caractéristiques génétiques d'une personne à des fins de recherche scientifique peut être réalisé à partir d'éléments du corps de cette personne prélevés à d'autres fins, lorsque cette personne, dûment informée de ce projet de recherche, n'a pas exprimé son opposition. Lorsque la personne est un mineur ou un majeur en tutelle, l'opposition est exercée par les titulaires de l'autorité parentale ou le tuteur.

« Il peut être dérogé à l'obligation d'information prévue à l'alinéa précédent lorsque celle-ci se heurte à l'impossibilité de retrouver la personne concernée. Dans ce cas, le responsable de la recherche doit consulter avant le début des travaux de recherche un comité de protection des personnes qui s'assurera que la personne ne s'était pas opposée à l'examen de ses caractéristiques génétiques et émettra un avis sur l'intérêt scientifique de la recherche.

« Lorsque la personne concernée a pu être retrouvée, il lui est demandé au moment où elle est informée du projet de recherche si elle souhaite être informée en cas de diagnostic d'une anomalie génétique grave.

« Les dispositions du présent article ne sont pas applicables aux recherches dont les résultats sont susceptibles de permettre la levée de l'anonymat des personnes concernées. »

M. Jean-Pierre Godefroy.  - Ce régime ad hoc permettant de recueillir le consentement à l'utilisation de prélèvements pour une finalité autre que celle initialement envisagée reprend une recommandation du Conseil d'État.

En effet, lorsque des éléments du corps humain ont été conservés après avoir été prélevés à des fins thérapeutiques ou de recherche, il peut être pertinent de les utiliser pour conduire de nouveaux travaux. Mais la législation actuelle encadre de façon très contraignante l'utilisation d'échantillons existants pour compléter les études antérieures par des analyses génétiques.

Lorsqu'ils réalisent des prélèvements, les chercheurs ignorent généralement les prolongements ultérieurs de leurs recherches, particulièrement en génétique. Il peut être difficile de retrouver les personnes concernées pour obtenir leur consentement alors que les recherches peuvent présenter un réel intérêt scientifique et thérapeutique. Tel est le cas de ce protocole conduit sur le VIH, réalisé à partir d'échantillons collectés dans les années 1980, donc avant l'apparition des trithérapies. Il se trouve que le consentement des donneurs -souvent décédés depuis- à des recherches ultérieures avait été obtenu, bien qu'il ne fût pas obligatoire à l'époque. Des recherches sur une nouvelle ligne de médicaments contre le sida ont pu être ainsi conduites sans devoir laisser hors champ les échantillons provenant de personnes décédées ou perdues de vue, comme les dispositions actuelles l'imposent en l'absence de consentement.

Ce nouveau régime est largement inspiré de l'article L. 1211-2 du code de la santé publique, réservé aux cas où les recherches ne permettent pas d'obtenir des données identifiant les personnes concernées. Il dispose notamment que lorsqu'on peut retrouver la personne sur laquelle un prélèvement avait été opéré, elle doit être informée de la recherche envisagée ; lorsqu'il est impossible de la retrouver, la modification de l'objet initial du prélèvement est soumise à l'évaluation d'un comité de protection des personnes (CPP).

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur.  - Ce sujet a été soulevé par le Conseil d'État.

Sagesse.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre.  - En revanche, le Gouvernement est favorable.

L'amendement n°15 est adopté et devient article additionnel.

Les articles 4, 4 bis, 4 ter et 4 quater sont adoptés.

Article 4 quinquies

I.  -  Après l'article L. 1123-1 du code de la santé publique, il est inséré un article L. 1123-1-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 1123-1-1.  - Il est institué auprès de la Haute Autorité de santé une commission nationale des recherches impliquant la personne humaine, chargée du second examen d'une décision défavorable d'un comité ainsi que de la coordination, de l'harmonisation et de l'évaluation des pratiques des comités de protection des personnes. Cette commission, ainsi que l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, sont consultées sur tout projet législatif ou réglementaire concernant les recherches impliquant la personne humaine. Elle remet chaque année au ministre chargé de la santé des recommandations concernant les conséquences, en matière d'organisation des soins, des recherches dont les résultats présentent un intérêt majeur pour la santé publique. »

II.  -  Un décret fixe la composition de la commission nationale des recherches impliquant la personne humaine, constituée à parité, sur le modèle des comités de protection des personnes.

M. Jean-Pierre Godefroy.  - Comme je l'ai indiqué lors de la discussion générale, la commission des finances a déclaré irrecevable l'amendement que nous avions déposé sur cet article pour accroître les pouvoirs de la commission nationale créée par la commission des affaires sociales du Sénat.

Les CPP forment la pierre angulaire du dispositif d'éthique de la recherche en France. Le rapport de M. Claude Huriet, publié en 2001, et celui de l'Inspection générale des affaires sociales, de juillet 2005, ont analysé ces structures et relevé deux problèmes : l'écart considérable entre le nombre de dossiers traités ; des appréciations très divergentes des dossiers soumis.

Nous souscrivons donc à la création d'une instance indépendante chargée de coordonner les CPP mais nous nous interrogeons sur plusieurs points.

Tout d'abord, la dénomination « commission nationale des recherches impliquant la personne humaine » n'établit pas le rapport avec les CPP. Nous proposons « commission nationale de protection des personnes ».

Ensuite, plutôt que de placer la nouvelle instance auprès de la Haute autorité de santé, il vaudrait mieux en faire une nouvelle autorité. Je profite de cette observation pour rappeler que la non-publication des textes réglementaires à ce jour fragilise les CPP.

Ensuite, les missions confiées à la nouvelle instance ne correspondent pas à « des prérogatives de puissance publique adaptées à la spécificité des comités de protection des personnes et susceptibles de remédier à des fragilités connues et remédiables ». Outre le second examen des dossiers repoussés par un CPP, outre la coordination, l'harmonisation et l'évaluation des CPP, nous souhaitions lui confier trois missions supplémentaires.

C'est là qu'intervient l'article 40. Nous proposions notamment que la commission nationale distribue équitablement les moyens entre les comités, et qu'elles répartissent de façon aléatoire les dossiers entre eux. Ces deux missions incombent actuellement à l'Afssaps. La commission des finances n'accepte pas de transfert de charges, mêmes identiques, entre deux établissements publics. Ce que nous souhaitons serait pourtant cohérent avec notre objectif commun : garantir l'indépendance des CPP tout en simplifiant le dispositif.

Puisque nous créons une nouvelle instance, donnons-lui un bloc de compétences ! Le Gouvernement n'est pas contraint par l'article 40.

M. le président.  - Amendement n°35 rectifié, présenté par le Gouvernement.

I. - Alinéa 2, première phrase

Remplacer les mots :

de la Haute autorité de santé

par les mots :

du ministre chargé de la santé

II. - Alinéa 2, après la première phrase

Insérer une phrase ainsi rédigée :

La commission est dotée de la personnalité juridique.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre.  - J'approuve l'initiative de la commission des affaires sociales mais le rattachement de cette instance à la Haute autorité de santé n'est pas optimal.

La recherche ne fait partie des missions de la Haute autorité de santé (HAS) qui n'a ni l'expertise, ni la culture, ni l'expérience nécessaires Ce rattachement ne rendrait service ni à la commission nationale, ni à cette Haute autorité dont le président et le directeur m'ont fait savoir qu'ils y étaient farouchement opposés, de même que la conférence nationale des CPP. C'est le ministère de la santé qui a la responsabilité de la recherche sur la personne et qui, de plus, a déjà un rôle de tutelle sur ces CPP. C'est pourquoi je propose de substituer le ministre de la santé à la HAS comme instance de rattachement de ces comités.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur.  - Je vous remercie d'avoir tenu compte de nos réticences quant au rattachement à la DGS. Vous nous avez communiqué le projet de décret et cette bonne manière envers le Parlement est assez rare pour être soulignée. Ce projet de décret nous permettra d'aller plus loin dans le travail en commun, mais pas ce soir.

Cette commission nationale a deux missions : l'examen des protocoles et l'évaluation des comités. Or, vous prévoyez d'inclure dans cette commission quatre promoteurs. Aucune instance d'évaluation n'inclut des parties prenantes, sauf à produire des évaluations orientées. De plus, vous prévoyez de créer une sous-commission chargée du second examen et vous y faites siéger les membres d'un CPP qui seront, ainsi, appelés soit à statuer deux fois sur le même protocole, soit à se déporter : dans ce dernier cas, l'équilibre entre les chercheurs et les représentants de la société civile ne sera plus respecté et les quelques CPP qui ne sont pas dans l'instance représentative seront forcés de la rejoindre. Nous somme donc défavorables à cet amendement.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre.  - Les promoteurs ne seront que 4 sur 24 ! Et il n'est pas inutile que la commission soit éclairée par ceux qui ont à mener ces affaires. Au Haut conseil de l'assurance maladie siègent bien des médecins libéraux, minoritaires bien sûr, mais qui sont là pour éclairer les travaux. Les Hautes autorités ne peuvent pas planer dans le vide, « hors-sol ». Dans cette commission nationale, les promoteurs sont la portion congrue mais ils sont utiles pour alimenter le débat. Votre approche est inutilement méfiante...

M. Jean-Pierre Godefroy.  - Je suis en plein accord avec le rapporteur qui a bien résumé la position des membres de la commission réunis à l'instant dans le couloir. Merci, madame la ministre, de nous avoir communiqué ce projet de décret. Nous voterons comme le rapporteur.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre.  - Là, on confond tout ! Vous ne votez pas sur le décret, mais sur l?amendement.

Mme Nathalie Goulet.  - Je suis contente d'entendre la ministre car j'ai l'impression que sa diligence à communiquer le projet de décret a semé le trouble dans l'assemblée. Je ne comprends pas pourquoi on discute de ce décret...

L'amendement n°35 rectifié n'est pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°19, présenté par M. Autain et les membres du groupe CRC-SPG.

Alinéa 2, première phrase

Supprimer les mots :

du second examen d'une décision défavorable d'un comité ainsi que

M. François Autain.  - Je me réjouis de la création d'une commission nationale qui coordonne les activités des comités de protection. Toutefois, en faire une autorité hiérarchique par rapport aux comités trahit la philosophie qui avait présidé à la création de ceux-ci. Ils sont composés de titulaires et de suppléants volontaires et bénévoles et désignés par le préfet de région qui veille à assurer indépendance et pluridisciplinarité en leur sein. Ils ne constituent pas une juridiction en tant que telle mais des « espaces éthiques régionaux ». Aussi, plutôt que de rompre ce principe, sensiblement amélioré par le texte qui prévoit que les dossiers instruits sont attribués par tirage au sort mais qui organise aussi la seconde lecture de dossiers par la commission nationale, il serait judicieux, pour ne pas créer de hiérarchie entre cette dernière et les CPP, de désigner aléatoirement le comité chargé de se prononcer sur un dossier pour lequel un avis défavorable a déjà été donné. Enfin, l'introduction d'un rapport hiérarchique entre la commission nationale et les comités compromet la bonne mise en oeuvre de la mission d'amélioration continue qui se fonde sur l'appropriation progressive d'un référentiel de bonnes pratiques.

L'amendement n°19, repoussé par la commission et par le gouvernement, n'est pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°20, présenté par M. Autain et les membres du groupe CRC-SPG.

Alinéa 2, dernière phrase

Supprimer cette phrase.

M. François Autain.  - Il semble difficile de confier à la commission nationale le soin d'élaborer des recommandations à destination du ministre de la santé...

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre.  - Elle en a bien besoin...

M. François Autain.  - ...concernant « les conséquences, en matière d'organisation des soins, des recherches dont les résultats présentent un intérêt majeur pour la santé publique », dans la mesure où les comités de protection des personnes n'ont pas eux-mêmes, en l'état actuel des choses, connaissance de la gestion en aval des dossiers qu'ils ont instruits. Il serait en outre anormal qu'une commission nationale, destinée à compléter le dispositif de protection des personnes se prêtant à une recherche, se voit confier une compétence étrangère à sa mission, laquelle, ici, a trait à l'organisation des soins et de la recherche. C'est un amendement de précaution...

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur.  - C'est au ministre d'orienter la recherche. Avis favorable.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. - Avis défavorable, bien entendu par cohérence avec tout ce que j'ai dit.

M. François Autain.  - Nous proposons de supprimer cette phrase parce que la commission nationale n'aura pas les éléments permettant d'élaborer ces recommandations.

L'amendement n°20 n'est pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°33, présenté par Mme Hermange, au nom de la commission.

Alinéa 2

Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :

Elle agit en concertation avec les comités de protection des personnes.

Mme Marie-Thérèse Hermange.  - Il s'agit de préciser que la commission nationale n'a pas de vocation hiérarchique sur les comités de protection des personnes.

L'amendement n°33, accepté par le Gouvernement, est adopté.

M. le président.  - Amendement n°34, présenté par Mme Hermange, au nom de la commission.

Alinéa 3

Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :

La composition de la commission doit garantir son indépendance à l'égard des promoteurs et des comités de protection des personnes.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur.  - Amendement de conséquence. Le décret doit garantir l'indépendance de la commission nationale à l'égard des promoteurs, mais également des comités de protection des personnes pour éviter que l'un ou l'autre d'entre eux ne domine la commission au moment du deuxième examen d'un dossier.

M. le président.  - Sous-amendement n°38 à l'amendement n°34 de Mme Hermange, au nom de la commission, présenté par le Gouvernement.

Alinéa 3 de l'amendement n°34

Supprimer les mots :

et des comités de protection des personnes

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre.  - Je partage votre souci d'assurer l'indépendance de la Commission. Il serait absurde, par exemple, qu'un membre du comité de protection des personnes puisse inscrire en appel un projet qui n'aurait pas été retenu en première instance. Je suis favorable à l'amendement, sous réserve qu'on laisse ouverte aux membres des comités de protection des personnes la possibilité de participer à la commission nationale. Nous avons un réel problème de ressources en personnes en ces matières.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur.  - Ce serait parfaitement dérogatoire au droit et poserait la question de la légitimité de l'instance que nous voulons créer. Défavorable.

Le sous-amendement n°38 n'est pas adopté.

L'amendement n°34 est adopté.

L'article 4 quinquies, modifié, est adopté.

Article 4 sexies (nouveau)

Par dérogation à l'article 54 de la loi n°78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, le passage devant le Comité consultatif sur le traitement de l'information en matière de recherche dans le domaine de la santé ne s'applique pas aux recherches non-interventionnelles dès lors que celles-ci ont obtenu un avis favorable du comité de protection des personnes mentionné à l'article L. 1123-1.

M. le président.  - Amendement n°17, présenté par M. Godefroy et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.

Supprimer cet article.

M. Jean-Pierre Godefroy.  - Conséquence de notre position.

L'amendement n°17, repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.

L'article 4 sexies est adopté.

L'article 4 septies est adopté.

L'article 5 est adopté.

Vote sur l'ensemble

M. François Autain.  - Je veux bien comprendre que le législateur veuille stimuler la recherche, mais pas en fragilisant la protection des personnes pour satisfaire les chercheurs et les promoteurs qui plaident pour qu'on leur permette de conduire leurs projets de plus en plus vite, sur de plus en plus de personnes, sans en envisager les conséquences. Le texte qui nous vient de l'Assemblée nationale est révélateur de cette dérive et je félicite le Sénat d'en avoir limité la portée, notamment en soustrayant au pire les personnes sans assurance maladie et en exigeant le double accord parental pour les mineurs.

Dans la discussion générale, j'ai dit mes craintes quant à l'article 2 qui, sous couvert d'encourager la recherche et de se conformer au droit communautaire, organise le remboursement par l'assurance maladie de toute recherche se donnant un objectif de santé publique. Sans doute est-il prévu, si le promoteur déclare que son projet est à finalité commerciale, qu'il devra rembourser ex post. Mais est-ce là la finalité de l'assurance maladie ? Ce texte aurait dû être réécrit ! Nous espérons que la prochaine lecture nous donnera satisfaction et ne désespérons pas de pouvoir le voter mais, pour l'heure, nous nous abstiendrons.

M. Jean-Pierre Godefroy.  - Lorsque nous avons vu ce texte arriver à l'Assemblée nationale, nous avons eu quelques frayeurs.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre.  - Je vous croyais plus courageux...

M. Jean-Pierre Godefroy.  - Il n'allait pas dans le sens de la protection des personnes et mettait à mal la loi Huriet-Sérusclat. Le texte qui nous est soumis a heureusement été considérablement modifié, dans le bon sens : nous le devons à notre rapporteur et à notre commission.

Sur l'article 1, nous aurions pu arriver à un accord, mais autoriser des personnes non couvertes par l'assurance maladie à se soumettre à des recherches interventionnelles, même « à faible risque » --mais qu'est-ce que cela peut bien signifier-, est inacceptable.

Quant aux recherches sur les mineurs, M. Autain l'a dit, le texte de l'Assemblée nationale les autorisait avec le consentement d'un seul parent. On imagine les conflits au sein des familles et les perturbations pour l'enfant.

Et cet article 2, qui veut faire payer la recherche par l'assurance maladie ? Nous sommes vraiment sur une mauvaise pente...

Je remercie, en revanche, Mme la ministre, pour son avis favorable à notre amendement n°15.

Il y a donc des satisfactions, et il ne faudrait pas grand-chose pour que nous votions ce texte qui, heureusement, n'est pas soumis à la procédure d'urgence : la navette devrait nous aider à l'adopter à l'unanimité... Mais en l'état, nous adoptons une abstention, disons positive.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre.  - Je remercie le Sénat pour la qualité de son travail. Je félicite le rapporteur pour son implication sur un sujet qui lui tient particulièrement à coeur. Je remercie la présidente pour sa parfaite courtoisie et son sens diplomatique sans défaut.

Alors que le débat national sur les dépenses d'avenir, auquel le grand emprunt a donné des perspectives, s'est diffusé dans tout le tissu social, des questions essentielles se sont posées : qu'est-ce qui aidera notre pays à garder son rôle de leader, ses emplois, ses valeurs ? S'il est un sujet qui a fait consensus, c'est bien celui de la recherche biomédicale. (M. François Autain approuve)

Dans un monde globalisé, les recherches qui ne se feront pas ici seront conduites ailleurs. Il nous faut donc aller de l'avant, dans le respect des personnes.

Cette recherche devra se faire dans le respect des personnes, sans pour autant que lui soit imposé un carcan administratif technocratique : c'est à cette réflexion complémentaire que je vous invite. Je vous remercie de ce débat de qualité même si, à voir les travées dégarnies, ce sujet capital n'a malheureusement pas fait recette. (Applaudissements sur les bancs UMP)

Mme Muguette Dini, présidente de la commission.  - Je voudrais, monsieur le président, vous dire combien nous sommes agacés du traitement qui nous est réservé. Le morcellement de l'examen de ce texte est extrêmement pénalisant.

Ça l'est pour nous et pour le sérieux avec lequel le sujet doit être traité.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre.  - Et l'heure !

Mme Muguette Dini, présidente de la commission.  - En effet... Je remercie Mme Hermange qui a accompli un travail très sérieux, marqué de solides convictions. Nous sommes satisfaits d'en finir avec le marathon amorcé mardi dernier. Je remercie la ministre qui a été présente tous les jours et je salue le personnel qui nous a accompagnés et va enchaîner avec le budget. (Applaudissements)

L'ensemble de la proposition de loi est adopté.

Mise au point au sujet d'un vote

Mme Nathalie Goulet.  - Lors du scrutin n°75, j'ai été notée par erreur comme n'ayant pas pris part au vote alors que je me suis abstenue.

M. le président.  - Dont acte.

Prochaine séance, aujourd'hui, mardi 17 novembre 2009 à 10 heures.

La séance est levée à minuit cinquante.

Le Directeur du service du compte rendu analytique :

René-André Fabre

ORDRE DU JOUR

du mardi 17 novembre 2009

Séance publique

A 10 HEURES

1. Questions orales.

DE 14 HEURES 30 A 15 HEURES 15

2. Questions cribles thématiques sur les collectivités territoriales.

A 15 HEURES 15

3. Proposition de loi relative à la lutte contre le logement vacant et à la solidarité nationale pour le logement, présentée par MM. François Rebsamen, Thierry Repentin et les membres du groupe socialiste, apparentées et rattachés. (n°631, 2008-2009)

Rapport de M. Dominique Braye, fait au nom de commission des affaires sociales. (n°95, 2009-2010).

4. Proposition de loi visant à réguler la concentration dans le secteur des médias, présentée par M. David Assouline et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés. (n°590, 2008-2009)

Rapport de M. Michel Thiollière, fait au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication. (n°89, 2009-2010)