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Table des matières
La Poste (Procédure accélérée - Suite)
Discussion des articles (Suite)
Articles additionnels avant l'article premier (Suite)
La Poste (Procédure accélérée - Suite)
Discussion des articles (Suite)
SÉANCE
du mercredi 4 novembre 2009
16e séance de la session ordinaire 2009-2010
présidence de M. Jean-Claude Gaudin,vice-président
Secrétaires : M. Daniel Raoul.
La séance est ouverte à 9 h 30.
Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.
Dépôt de rapports
M. le président. - M. le Président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre, en application de l'article 67 de la loi du 9 décembre 2004 de simplification du droit les rapports sur la mise en application des lois du 4 février 2009 de finances rectificative pour 2009 et du 20 avril 2009 de finances rectificative pour 2009.
Il a également reçu de Mme Valérie Delahaye-Guillocheau, présidente de l'Observatoire économique de l'hospitalisation publique et privée, le rapport semestriel portant sur les dépenses d'assurance maladie afférentes aux établissements de santé au titre des cinq premiers mois de l'année 2009, établi en application de l'article L. 162-21-3 du code de la sécurité sociale.
Acte est donné du dépôt de ces rapports.
Motion référendaire
M. le président. - L'ordre du jour appelle l'examen de la motion de M. Jean-Pierre Bel, Mme Nicole Borvo-Cohen-Seat, M. Yvon Collin et plusieurs de nos collègues tendant à proposer au Président de la République de soumettre au référendum le projet de loi relatif à l'entreprise publique La Poste et aux activités postales.
La parole est à M. Jean-Pierre Bel. (Vifs applaudissements à gauche)
Discussion générale
Voix sur les bancs socialistes. - Il y a un monde fou à droite !
M. Daniel Raoul. - Passons au vote !
M. le président. - C'est un scrutin public de droit...
M. Jean-Pierre Bel, premier auteur de la motion. - Devant un hémicycle déséquilibré, je vais relancer un débat qui se déroule dans un contexte ni anodin ni habituel. D'abord la crise financière, cette folie, est source d'incertitudes sur l'avenir telles qu'elles devraient appeler chacun d'entre nous, et particulièrement ceux qui sont amenés à prendre des décisions, à agir avec prudence. Ensuite, chacun sent bien aujourd'hui les inquiétudes qui se manifestent : inquiétudes exprimées par les élus de l'opposition, bien sûr, dont c'est, vous en conviendrez, la mission que de relayer les préoccupations du terrain, c'est le moins que l'on puisse attendre d'une démocratie ; mais inquiétudes aussi des élus de la majorité -même s'ils sont peu nombreux ce matin-, et non des moindres, face à des projets du Président qu'ils ont choisi, exécutés par le Gouvernement qu'ils défendent, que ce soit sur la taxe professionnelle, sur le rouleau compresseur lancé contre nos collectivités territoriales, sur la nécessité du recours à l'emprunt ou sur les exonérations fiscales dont bénéficient les sportifs de haut niveau ; inquiétudes, enfin et surtout, de nos concitoyens qui ont vu peu à peu disparaître leurs univers -les repères auxquels on s'accroche parce qu'ils facilitent le vivre ensemble- et qui s'angoissent de voir disparaître, jour après jour, ici une gendarmerie, là une perception ou un tribunal et, bien sûr, la présence territoriale postale. Oui, la présence postale s'effiloche de jour en jour avec des méthodes que chacun connaît : amplitudes horaires diminuant brutalement, agents non remplacés, déclassement des bureaux transformés en agences postales communales puis en points contact, hébergés ici dans une épicerie, là dans un commerce multiservices. Dans mon département de l'Ariège, on est passé en cinq ans de 90 bureaux de poste de plein exercice à 13 ou 14 aujourd'hui !
L'inquiétude de nos concitoyens est d'autant plus forte que La Poste a toujours été un élément de l'identité de notre pays et de ses territoires et qu'elle a fortement alimenté le lien social. Bref, il nous faut répondre à cette question : y a-t-il là un enjeu majeur pour le modèle républicain que nous sommes censés, les uns et les autres, soutenir et représenter ? Sommes-nous résignés...
Nombreuses voix à gauche. - Non ! Non !
M. Jean-Pierre Bel, premier auteur de la motion - ...prêts à tout accepter sous prétexte que nous sommes confrontés à des évolutions qui nous dépassent, que les forces du marché doivent nous conduire, inéluctablement, sans même imaginer d'autres solutions, à nous débarrasser d'un statut d'établissement public pour aller vers une société anonyme, première étape, c'est une évidence, vers la privatisation, aboutissement logique d'un tel processus ?
Si vous considérez qu'il s'agit d'un élément consubstantiel de notre modèle social, alors oui, la question de la consultation du peuple français se pose. Parce que sur le fond, il y aurait d'autres raisons de s'inquiéter de cette évolution, en regardant par exemple ce qui se passe chez nos voisins qui ont choisi cette option. Tout montre, tout, que ce soit en Suède, en Grande-Bretagne ou ailleurs, que lorsqu'on met le doigt dans l'engrenage, le service public postal se détériore, ce qui justifie, à terme, la privatisation de la société anonyme.
M. René-Pierre Signé. - La poste appartient aux usagers !
M. Jean-Pierre Bel, premier auteur de la motion. - Tous ici, nous avons en mémoire le plaidoyer de ceux qui, pour justifier la fin du monopole d'EDF ou la privatisation de GDF, nous assuraient que cela allait permettre de baisser les prix de l'énergie.
M. Guy Fischer. - Ils nous ont menti !
M. Jean-Pierre Bel, premier auteur de la motion. - Et vous voudriez nous faire croire qu'une société anonyme, demain largement privatisée, continuerait à desservir les zones les moins accessibles, les territoires ruraux profonds, les territoires enclavés où s'acharnent à vivre des centaines de milliers de nos compatriotes ?
M. René-Pierre Signé. - Ils s'abonnent au journal pour voir le facteur !
M. Jean-Pierre Bel, premier auteur de la motion. - Pour tous ceux qui font du service de La Poste une ardente obligation, à cause de son rôle essentiel pour l'équité entre les territoires et entre les citoyens, seul le recours au referendum peut valider un changement de cap. Les dispositions constitutionnelles adoptées en juillet 2008 et dont l'effectivité dépend de l'adoption d'une disposition de nature organique ont fait l'objet d'une initiative gouvernementale. Toutes sauf une, l'extension du referendum prévu par l'article 11 de la Constitution, qui reste la dernière disposition dont le Gouvernement s'est jusqu'à présent complètement désintéressé. (Exclamations à gauche)
M. Jean-Pierre Godefroy. - Comme par hasard...
M. Jean-Pierre Bel, premier auteur de la motion. - Faut-il rappeler les propos de notre ex-collègue, ex-secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement, Roger Karoutchi, ici même devant le Sénat le 12 février dernier ?
M. Daniel Raoul. - Il a disparu !
M. Jean-Pierre Bel, premier auteur de la motion. - Je le cite : « Quant au projet de loi organique sur le référendum, nous y travaillons. Bien sûr, tous les textes prévus par la révision constitutionnelle seront présentés progressivement au Parlement au cours de l'année 2009. Je prends l'engagement de communiquer à la Haute assemblée, dans les semaines à venir, le programme et le calendrier précis en la matière, de manière que chacun sache dans quels délais l'ensemble des textes pourra être adopté ».
Mme Nicole Bricq. - Il a été dégagé !
M. Jean-Pierre Bel, premier auteur de la motion. - Jamais nous n'avons eu un début de commencement de mise en oeuvre de cet engagement gouvernemental, jamais aucun calendrier ne nous a été communiqué ! S'agit-il d'un marché de dupes sur ce qui était censé renforcer le droit des citoyens ? Alors, faute de promesse tenue, nous sommes conduits à utiliser les outils à notre disposition, le texte constitutionnel de 1995 prévoyant que peuvent être soumises à référendum « les réformes relatives à la politique économique et sociale de la Nation et aux services publics qui y concourent ». Ce débat d'aujourd'hui, qui est au coeur des grands choix politiques qui s'offrent à nous, doit avoir lieu au grand jour et être tranché, en dernier recours, par le peuple souverain.
Parce que nous n'ignorons pas les difficultés, parce que nous sommes soucieux de contribuer au débat d'une façon utile à la nation, nous vous avons écouté, monsieur le ministre. Parlant de La Poste, vous avez déclaré : « Je vais la rendre imprivatisable », tout en reconnaissant introduire là un néologisme. (M. le ministre en convient, cependant que M. Signé juge la promesse impossible à tenir) Ces paroles m'ont rappelé celles prononcées en avril 2004 par M. Sarkozy, alors ministre de l'économie et des finances.
M. Nicolas About. - C'est une bonne chose.
M. Jean-Pierre Bel, premier auteur de la motion. - « Qu'est-ce qui nous garantit que la loi ne permettra pas de privatiser EDF-GDF plus tard ? Eh bien, la parole de l'État (éclats de rire à gauche) : il n'y aura pas de privatisation, parce que EDF et GDF sont un service public. »
M. Guy Fischer. - Il y a mis son ami Proglio !
M. Jean-Pierre Bel, premier auteur de la motion. - Le 29 avril 2004, M. Sarkozy persiste en écrivant aux syndicats : « Ces sociétés resteront publiques et ne seront en aucun cas privatisées comptent tenu de leur caractère déterminant pour les intérêts de la France et pour la sécurité de nos approvisionnements. Leur capital restera majoritairement public. » Aujourd'hui, vous employez les mêmes mots.
M. René-Pierre Signé. - Une habitude !
M. Jean-Pierre Bel, premier auteur de la motion. - Pourquoi vos paroles auraient-elles plus de poids que celles prononcées il y a quatre ans par le Président de la République lorsqu'il affirmait : « C'est clair, c'est simple, c'est net, il n'y aura pas de privatisation de GDF » ? (Vifs applaudissements à gauche)
J'ajoute que M. Guaino, conseiller spécial du chef de l'État... (Huées à gauche)
M. Jean-Paul Emorine, président de la commission de l'économie. - Il n'est pas élu !
M. Pierre Hérisson, rapporteur de la commission de l'économie. - Sa parole est libre ; nous votons. Ce n'est pas Saint-Pierre.
M. Jean-Pierre Bel, premier auteur de la motion. - ...a déclaré hier à ce propos : « ce qu'une loi fait, une autre peut le défaire ».
M. Pierre Hérisson, rapporteur. - C'est évident.
M. Bertrand Auban. - Il est honnête, lui !
M. Jean-Pierre Bel, premier auteur de la motion. - Il ne faut pas mentir aux Français : ériger une activité en service public national sans que la Constitution ne l'ait exigé n'empêche pas de transférer au secteur privé l'entreprise qui en a la charge.
Après vous avoir écouté, il m'apparaît clairement que vous entendez suivre le chemin en restant sourd aux avertissements légitimes envoyés de toutes parts. Vous choisissez une société moins solidaire, où l'écart entre les uns et les autres progressera sans cesse, où les dirigeants de sociétés anonymes entreront enfin dans l'univers des salaires mirifiques, des stock-options et des parachutes dorés.
Vous répétez inlassablement que jamais l'État n'ouvrira le capital, mais on prévoit déjà qu'une personne publique extérieure interviendra comme porteur de parts avant transmission à d'autres. Les élus locaux connaissent bien la Caisse des dépôts, qui joue ce rôle de porteur temporaire des projets sans demeurer perpétuellement au capital des entreprises financées. Ceux qui, dans vos rangs, voulaient limiter à 51 % la participation de l'État, anticipaient déjà la prochaine étape.
Le vrai problème est que l'État ne veut plus soutenir ce service public fondamental, alors qu'il ne rechigne pas à jouer ce rôle pour des banques privées, à une tout autre échelle ! Vous leur avez apporté sans contrepartie des dizaines de milliards d'euros...
M. Guy Fischer. - Par siphonage du Livret A !
M. Jean-Pierre Bel, premier auteur de la motion. - ...mais vous refusez de recapitaliser un exploitant public assurant des missions de service public.
J'ajoute que la Banque postale a échappé à la crise financière. Sa présence conforte donc le secteur public.
Sa transformation en société anonyme ouvre la voie à la privatisation de La Poste et fragilise ainsi le symbole même du service public. Ce choix important pour notre pays met en cause le neuvième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, qui dispose : « Tout bien, toute entreprise dont l'exploitation a ou acquiert les qualités d'un service public national ou d'un monopole de fait doit devenir la propriété de la collectivité. » Un tel choix doit être effectué par les Français.
Depuis que le Président de la République s'est prononcé, une mobilisation a eu lieu car nos concitoyens sont viscéralement attachés à ce service public. Nul ne peut le contester au vu de l'énorme succès remporté par la votation citoyenne mise en place par des bénévoles dans tous les départements : parmi les 2,3 millions de votants qui se sont prononcés, l'écrasante majorité a souhaité maintenir le statut actuel. Vous pouvez sourire devant ce résultat ou même le mépriser, mais le fait est là : un message très clair a été envoyé au gouvernement de M. Sarkozy contre la mise en cause systématique des services publics.
Il est indispensable que la volonté de nos concitoyens se concrétise par voie référendaire car ils ne comprendraient pas d'être exclus d'une décision aussi fortement liée à leur vie quotidienne.
Si vous allez à la rencontre de nos concitoyens, nous participerons au débat en disant que nous repoussons la privatisation, sans demander le statu quo. Nous voulons une poste démocratique, donnant la parole aux citoyens et aux usagers, une poste forte engagée au service du développement de notre pays dans le cadre d'un pôle financier public au plus près des territoires, une poste moderne prenant toute sa place dans l'ère numérique. Nous portons cette ambition avec fierté, satisfaits de voir toute la gauche rassemblée, les syndicats et de très nombreux élus mobilisés. Nous sommes fiers de mener ce combat au service des citoyens et des territoires que nous représentons.
Parce que nous pouvons tous partager ces valeurs, je vous invite à demander l'organisation d'un référendum sur l'avenir du service public postal ! (Applaudissements enthousiastes et prolongés à gauche, où Mmes et MM les sénateurs se lèvent et scandent longuement « Référendum ! » ; l'orateur, en regagnant sa place, est félicité par ses amis)
M. Pierre Hérisson, rapporteur de la commission de l'économie. (Applaudissements au centre et à droite, huées à gauche) - Merci pour l'animation, mais elle ne changera rien à notre détermination. (Exclamations à gauche) Ainsi va la démocratie, sereinement.
M. Nicolas About. - Sic transit gloria mundi.
M. Pierre Hérisson, rapporteur. - Nous devons donc discuter une motion tendant à proposer au Président de la République de soumettre à référendum le projet de loi relatif à l'entreprise publique La Poste et aux activités postales.
Je commencerai par quelques rappels sur cet instrument de procédure, d'usage assez rare puisqu'on ne trouve que trois précédents, les deux premiers concernant l'organisation des pouvoirs en Algérie, puis en Nouvelle-Calédonie, et le dernier, en 2003, portant sur l'élection des conseillers régionaux et des représentants au Parlement européen. Jamais une telle motion n'a débouché sur un référendum d'initiative parlementaire. Enfin, c'est la première fois qu'en est saisie une commission autre que celle des lois.
Avant d'examiner la motion sur le fond, je voudrais formuler quelques remarques sur sa recevabilité. Formellement, elle est présentée en application de l'article 11 de la Constitution, dans la rédaction en vigueur depuis 1995, qui autorise le Président de la République à soumettre au référendum, notamment « sur proposition conjointe des deux assemblées » tout projet de loi comportant « des réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation et aux services publics qui y concourent. » Indubitablement, la motion s'inscrit dans ce cadre. Elle est donc parfaitement recevable. (Exclamations satisfaites à gauche)
M. René-Pierre Signé. - Premier point !
M. Pierre Hérisson, rapporteur. - Venons-en au fond. Est-il nécessaire ou opportun de soumettre ce projet de loi à référendum ? Mettant fin sans tarder à un suspens insoutenable, je réponds ne pas le penser.
M. René-Pierre Signé. - Vous avez tort !
M. Pierre Hérisson, rapporteur. - Et ce pour deux raisons.
M. René-Pierre Signé. - La crainte du résultat !
M. Pierre Hérisson, rapporteur. - Ce texte s'inscrit dans la continuité des travaux menés par notre assemblée dans le secteur postal. Jamais l'article 11 n'a été utilisé sur les projets de loi en discussion : cela n'a pas été le cas lors de l'examen de la loi du 2 juin 1990, qui amorçait une rupture peut-être plus importante, et pas davantage pour celle du 20 mai 2005, dont j'avais été le rapporteur et qui créait la Banque postale ainsi que la nouvelle autorité de régulation. Le projet dont nous discutons a donc une histoire : ce n'est qu'une étape supplémentaire dans un processus engagé au niveau européen avec les trois grandes directives de 1997, 2002 et 2008. Il n'y a pas lieu de consulter le peuple sur un texte qui vient en compléter d'autres tout aussi importants et que personne n'avait jugé nécessaire de soumettre à référendum.
La deuxième raison tient au contenu même du projet. Contrairement à ce qu'avancent les auteurs de la motion, il n'a pas d'incidence directe sur la vie du pays et ne remet pas en cause la cohésion sociale. Sa principale disposition, la plus contestée aussi, celle qui permet la transformation de La Poste en une société anonyme, n'a pas d'impact sur ses missions. Comme nous nous escrimons à le rappeler, ses quatre missions de service public sont confortées et leur financement, qui était incertain, sera garanti. La Poste restera à capitaux entièrement publics, la présence postale sera maintenue et le personnel ne sera nullement affecté. On ne peut donc soutenir que le texte bouleverse l'offre postale et qu'il doit être soumis à référendum.
Pour ces deux raisons, la commission est défavorable à la motion, même si elle salue l'initiative de ses auteurs de réactiver un outil de procédure trop inusité. (Applaudissements à droite et sur plusieurs bancs au centre)
M. René-Pierre Signé. - Vous allez le regretter !
M. Guy Fischer. - C'est le service minimum.
M. Michel Teston. - Pourquoi demander de soumettre le changement de statut de La Poste à référendum ? Parce que nous avons la conviction qu'il n'apporte aucune garantie que le capital de La Poste restera à 100 % public ! Nous le faisons en tant qu'interprètes des 2 300 000 Français qui se sont exprimés le 3 octobre. Selon le Gouvernement, La Poste doit rapidement changer de statut pour faire face aux défis de demain et satisfaire, urgemment, aux exigences européennes, mais il n'aboutira pas à une privatisation.
Elle manque de fonds propres ? Mais qui en est responsable, sinon l'État qui n'assume pas ses obligations en ne l'accompagnant pas financièrement pour les 17 000 points contact et pour le port de la presse, alors que l'Union européenne n'interdit pas des aides pour ces missions de service public ?
Il y aurait urgence à changer de statut pour se conformer à la directive. C'est inexact : la directive n'impose pas le statut de société anonyme et l'ouverture totale du marché postal est pour le 1er janvier 2011. Où est l'urgence ?
Le texte vise à donner à La Poste les moyens de se défendre et à la rendre imprivatisable (M. le ministre délégué le confirme du chef) mais nous savons tous, y compris M. Guaino, que ce n'est pas le cas. Le parallélisme des formes veut que ce qu'une loi a fait, une autre loi peut le défaire.
M. Pierre Hérisson, rapporteur. - C'est la démocratie !
M. Michel Teston. - Inscrire la formule service public national n'empêchera pas que, dans quelques années, un autre projet de loi ramène la part de l'État à moins de 50 %.
Voix sur les bancs socialistes. - On connaît déjà la date !
M. Michel Teston. - Le Gouvernement a une année devant lui pour faire voter la loi organique qui permettra la mise en oeuvre de l'article 11 modifié et la consultation du peuple par référendum.
M. Christian Estrosi, ministre chargé de l'industrie. - D'ici là elle sera morte. Est-ce ce que vous voulez ?
M. Michel Teston. - Vous ne voulez pas le faire, ce sont donc les groupes d'opposition qui demandent l'organisation de ce référendum. Tel est l'objet de la motion que vient de présenter M. Bel. (Applaudissements à gauche)
M. Yvon Collin. - Sous l'impulsion non de son chef mais du Président de la République, le Gouvernement a installé, il y a un an, la commission Ailleret, dont le rapport a été remis sur commande en décembre dernier. En juillet, le projet a été déposé sur le bureau de notre Assemblée et, pour débattre sereinement, vous n'avez rien trouvé de mieux que de demander la procédure accélérée. Nous voici donc en plein débat sur l'avenir de La Poste, du service public à la française, le plus emblématique peut-être, et qui sera probablement le dernier. Je l'ai dit en conférence de presse et je le répète à cette tribune, La Poste est la vache sacrée du service public, il ne faut surtout pas y toucher.
Depuis la signature de l'Acte unique en 1986, et plus encore depuis l'adoption par différentes majorités de plusieurs directives, la réglementation européenne nous a contraints à l'ouverture. Nous ne devons pas pour autant remettre en cause la notion de service public. C'est toute la difficulté et toute l'ambiguïté.
L'échéance se rapproche pour La Poste. Faut-il pour autant cautionner le projet sans l'amender en profondeur et doit-on accepter de brader le patrimoine de la collectivité ? La Poste appartient à tous les Français. Pourquoi les priver de s'exprimer sur le service public de proximité auquel ils sont attachés ? C'est l'objet de la motion référendaires déposée hier par les sénateurs de l'opposition, toutes familles politiques confondues.
Sur le fond, groupe constructif et non d'obstruction, le RDSE a déposé une quarantaine d'amendements pour infléchir la logique libérale du texte et défendre la notion de service public. Sur la forme, la majorité de ses membres défend l'idée que tous les citoyens doivent pouvoir se prononcer sur l'ouverture du capital et l'avenir de ce service public, qui doit demeurer accessible partout et par tous malgré les fractures sociales et territoriales qui ne cessent de s'aggraver. Le 3 octobre, une soixantaine d'organisations, dont le PRG, ont appelé à une votation citoyenne. Malgré son caractère informel, elle a mobilisé plus de 2 millions de votants, et cela a du sens. Ne pouvez-vous l'admettre, monsieur le ministre ? Cette votation a posé la question de l'avenir de La Poste et suscité des débats. A l'évidence, c'est déjà un succès, une victoire ! Le message est clair, les Français ne veulent pas entendre parler d'une privatisation de La Poste.
M. Pierre Hérisson, rapporteur. - Nous non plus !
M. Yvon Collin. - Le message est bien passé au sein du Gouvernement et les ministres vont répétant qu'il n'y aura pas de privatisation.
Voix à gauche. - Ils font l'inverse !
M. Yvon Collin. - Votre insistance devient suspecte car, comme l'a dit l'un des vôtres, les promesses n'engagent que ceux qui les reçoivent. Surtout, il y a des précédents : EDF ne serait jamais privatisée, assurait un ministre de l'économie devenu Président de la République.
Le message que nous adressons ce matin aux Français est que rien ne s'oppose à l'organisation d'un référendum et que votre refus obstiné jette un trouble supplémentaire. Quant à l'impossibilité législative, le Gouvernement a raison de dire que le projet de loi organique n'a toujours pas été déposé... par le Gouvernement. Et on comprend pourquoi : il veut laisser passer le texte sur La Poste car il ne faudrait surtout pas que l'article 11 issu de la révision de la Constitution puisse s'y appliquer.
Il ne faudrait surtout pas que l'article 11 issu de la révision de 2008 puisse s'appliquer et qu'un cinquième des membres du Parlement, soutenus par un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales, obtiennent la tenue d'un référendum sur l'avenir de ce « joyau de notre République ». Toutefois, la solution existe : il est possible d'organiser un référendum sur la base de l'article 11 de la Constitution dans la version en vigueur, celle issue de la révision constitutionnelle de 1995 voulue par le Président Chirac.
Selon cet article 11, le Président de la République peut soumettre à référendum tout projet de loi portant sur une réforme relative aux services publics, sur proposition du Gouvernement ou sur proposition conjointe des deux assemblées parlementaires. Force est de constater que le Gouvernement tarde à le proposer au Président de la République. Cela lui demanderait un certain courage... C'est donc à nous, parlementaires, à prendre nos responsabilités sur la base de notre Règlement et à proposer une motion qui, si elle était adoptée, serait soumise à l'appréciation de nos collègues députés pour que la proposition d'un référendum soit juridiquement formulée. Le Président de la République devrait alors nous expliquer pourquoi il s'y refuse. Pour en arriver là, il faudrait que la majorité fasse preuve de courage. Nous faisons ce que nous avons à faire, nous prenons nos responsabilités et demandons à la majorité sénatoriale de faire de même. Une nouvelle fois, nous la mettons à l'épreuve. Ce n'est pas fini ! Les semaines qui viennent seront l'occasion de nouvelles batailles qui pourraient bien fissurer la majorité parlementaire.
Une motion vous est soumise. Elle n'est pas partisane. C'est un choix politique, qu'il vous faudra assumer devant vos électeurs. Voter pour la motion signifiera seulement que vous souhaitez proposer au Président de la République de soumettre au référendum ce projet de loi. Il s'agit donc de s'en remettre au peuple. Car, au regard des enjeux colossaux de ce texte, c'est aux Français de décider. Si certains estiment à nouveau que « la terre ne ment pas », nous pensons, nous, que le peuple ne ment pas : c'est pourquoi nous lui faisons confiance. (Applaudissements prolongés à gauche)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - (Applaudissements à gauche) La discussion de ce matin a du sens : elle porte sur l'état de la démocratie dans notre pays et sur l'état de nos institutions sur la place du peuple dans le débat politique. En 2007, Nicolas Sarkozy disait aux Français : « Je vous associerai aux choix des réformes. (...) Je crois que l'on prend les meilleures décisions si l'on prend le temps d'écouter ceux qui sont concernés sur le terrain et que les réformes sont mieux appliquées si chacun a pu, au préalable, les comprendre et les accepter, 10 % du corps électoral pourraient demander au Parlement de se prononcer sur un texte de loi ».
M. Christian Estrosi, ministre. - Vous en aviez rêvé, Sarkozy l'a fait !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Il est vrai que le Président de la République a vite montré comment il respectait le choix des Français, en passant outre le non au référendum sur le Traité constitutionnel européen, puis en refusant un référendum sur la révision constitutionnelle, forme pourtant naturelle en la matière. Pourtant, les démocrates ont pu croire qu'avec le timide référendum d'initiative parlementaire et populaire, on commençait à tenir une promesse. Si timide soit cette réforme, l'irruption du peuple doit encore vous faire peur puisque le projet de loi organique nécessaire à l'application de cette disposition n'a pas encore été déposé par le Gouvernement. Quand l'opposition a déposé un projet dans ce sens à l'Assemblée nationale, la majorité, montrant le cas qu'elle faisait de la Constitution qu'elle a votée, a refusé d'en débattre ! Donc, le peuple est un empêcheur de tourner en rond.
Le Parlement aussi, à ce qu'il semble. Comment expliquer autrement le recours immodéré à la procédure accélérée, sur des textes dont l'urgence n'est pas démontrable mais qui structurent notre organisation sociale : loi pénitentiaire, loi Hôpital, réforme de la formation professionnelle, Hadopi. Comment expliquer, si ce n'est par le mépris du Parlement, qu'il nous soit proposé de supprimer la taxe professionnelle avant que soient pérennisées les ressources des collectivités, ou qu'on modifie les scrutins départementaux et régionaux avant qu'ait été discutée la réforme territoriale, indispensable préalable.
Ne pas vouloir écouter vous empêche-t-il d'entendre ? Il ne le semble pas, à voir la manière dont vous avez dénigré la votation citoyenne. Je vous explique de quoi il s'agit, puisque certains ont l'air de l'ignorer. Le comité national pour la défense du secteur public de La Poste a invité de façon militante -évidemment, puisqu'il ne s'agit pas d'un référendum institutionnel- les citoyens à se prononcer sur la réforme du Gouvernement. Les citoyens venaient de leur propre chef, ils pouvaient dire oui ou non. Ils ont été 2,5 millions à se déplacer pour dire massivement non. Un sondage -on sait combien le Président de la République en est friand- a corroboré cette votation : 65 % de nos concitoyens sont contre votre réforme. Que n'a-t-on entendu ! Monsieur le ministre, vous avez fait dans la nuance en disant que vous émettiez de sérieux doutes sur la « crédibilité et la légitimité d'une votation citoyenne pilotée par la gauche », votation citoyenne qui vous rappelait « les grandes heures de l'Union soviétique ». Crédible comparaison ! Vous avez trouvé ici un porte-parole zélé en la personne du sénateur centriste Maurey, qui qualifie de « scandaleuse mascarade » les conditions dans lesquelles s'est déroulée cette pseudo-votation. Quel mépris pour nos concitoyens, quel mépris pour vos électeurs ! (Applaudissements à gauche)
M. Hervé Maurey. - Je respecte le référendum et méprise cette mascarade.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Pourquoi ne pas interdire aux citoyens de signer des pétitions ? (Applaudissements à gauche) Les maires qui ont participé à l'organisation de la votation -en dehors des mairies et des heures de service- sont traduits devant le tribunal administratif ! (Exclamations à droite)
M. Guy Fischer. - Scandaleux !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Vos cris sont signe d'un grand malaise. Comment expliquer autrement que vous dépensiez tant d'énergie à prétendre que La Poste sera « imprivatisable » ?
Vous avez du mal à convaincre parce que nos concitoyens ont fait l'expérience des promesses non tenues. En 2004, Nicolas Sarkozy assurait la main sur le coeur...
M. Christian Estrosi, ministre. - Preuve qu'il en a un, lui !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - ...qu'EDF-GDF ne serait jamais privatisée. Ce fut fait deux ans plus tard pour GDF. M. Fillon, alors en charge de La Poste, déclarait le 21 mars 1996 : « Le gouvernement français est opposé à toute libéralisation du secteur postal ».
M. Guy Fischer. - Encore un mensonge !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - « Nous considérons en effet que, contrairement à ce qui se passe pour les secteurs des télécommunications, aucune raison technologique ne justifie aujourd'hui la déréglementation du secteur postal. La Poste est une entreprise de main-d'oeuvre qui n'aurait rien à gagner à l'ouverture à la concurrence. »
M. Guy Fischer. - Voilà la vérité !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Imprévoyant, M. Fillon enfonçait le clou : « Outil économique, La Poste est donc également un facteur important de cohésion sociale. Elle appartient au premier cercle des services publics. » Est-ce qu'il ignorait la voie ouverte par les directives européennes alors en cours d'élaboration ?
Dans un très intéressant rapport d'octobre 1997, le président Larcher repoussait toute privatisation au nom de la constitutionnalité du caractère public de La Poste. Dont acte ! M. Larcher ajoutait ce commentaire : « Est-ce à dire que, tout comme pour France Télécom, une sociétisation présenterait un intérêt pour les postiers, pour La Poste et pour la Nation ? Il ne le semble pas ». Vérité hier et plus d'aujourd'hui ?
Trop de fois le peuple a été trompé par les mêmes manoeuvres : on change les statuts puis on privatise avec des conséquences désastreuses pour les salariés et les usagers. Croyez-vous qu'ils ne sont pas capables de comprendre ce qui se passe à France Télécom depuis des années ?
M. Alain Fouché. - La faute à qui ?
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Nos concitoyens ont le sentiment que plus aucun secteur n'est à l'abri : la santé, les transports, les services publics locaux, et même l'éducation nationale sont menacés par la libéralisation. (Applaudissements à gauche)
M. Guy Fischer. - Voilà la vérité !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - La libéralisation, c'est la concurrence, la privatisation, l'abandon du service public ! Ces choix sont les vôtres, ceux du Président de la République. Vous voulez débarrasser la société des entraves que constituent pour les marchés financiers le pacte social issu de la Résistance et les conquêtes sociales. Vous avez l'habitude de dire que vos projets tirent leur légitimité de l'élection présidentielle de 2007. Mais ne s'est-il rien passé depuis 2007 ? N'avez-vous pas entendu parler d'une crise financière sans précédent depuis 1929, fruit amer de la financiarisation de l'économie, des politiques ultralibérales conduites depuis des années. Le Président de la République se proclame héraut du modèle social et parle de refonder le capitalisme. Il y a loin des paroles aux actes : qui paie le prix le plus fort de cette crise ? Ceux qui ont mis l'économie mondiale au bord du gouffre ? Non, ce sont les Français !
Si la France a moins sombré que d'autres, c'est grâce à ce qu'il reste du pacte social de 1945. (Applaudissements à gauche)
M. Roland Courteau. - Très bien !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Après l'échec du libéralisme débridé que vous avez tant vanté...
M. Alain Fouché. - Le socialisme a été un tel succès !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - ...ne faudrait-il pas consulter nos concitoyens sur la privatisation d'un service public national ? D'autant que ce changement de statut ne figurait pas dans le programme du candidat Sarkozy, qui déclarait croire « résolument dans le service public » et vouloir « assurer sa présence dans les quartiers difficiles, en milieu rural, et outre-mer ».
Pensez-vous améliorer le service public en confiant aux guichets de la RATP la distribution des lettres recommandées ? En faisant de l'épicier, du buraliste, du boulanger ou du boucher un postier ?
M. Alain Fouché. - Absolument !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Pensez-vous assurer une présence harmonieuse du service public postal sur le territoire en transférant aux collectivités locales la responsabilité d'agences postales communales ?
M. Nicolas About. - Bien sûr !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - « Nous ne procéderons à aucune fermeture de service public en milieu rural sans garantir un service public de qualité supérieure, à l'image des points poste qui sont ouverts plus longtemps », dit le contrat de législature de l'UMP. Comme si le service était de meilleure qualité parce que la boulangerie est ouverte plus tard qu'un bureau de poste !
M. Jean-Paul Emorine, président de la commission. - Bien sûr ! (M. Nicolas About renchérit)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - La votation citoyenne prouve que nos concitoyens veulent débattre de ce changement de statut, qui n'avait pas été annoncé. Le référendum permettra un large débat public. Vous pourrez développer vos arguments... Vous ne rechignez manifestement pas au débat public puisque vous organisez, avant les régionales, un « grand débat » sur l'identité nationale ! Selon un sondage, 60 % de nos concitoyens considèrent d'ailleurs que les services publics sont un élément très important pour l'identité de la France, au même titre que la République, le drapeau et la laïcité : raison de plus pour les consulter par référendum !
Permettons au Président de la République de tenir enfin son engagement d'associer les Français à ses réformes. Depuis 1995, l'article 11 de la Constitution permet le recours au référendum pour toute réforme relative à la politique économique ou sociale de la Nation et au service public qui y concourt. Nul doute que vous aurez le courage de voter notre demande de référendum pour permettre à nos concitoyens de s'exprimer. (Applaudissements nourris et « Bravos ! » à gauche)
M. Guy Fischer. - C'est bien envoyé !
M. Nicolas About. - (Applaudissements à droite et au centre) Vous avez déposé une motion référendaire sur le projet de loi. C'est un acte solennel prévu par la Constitution. Je n'ai pas de grief particulier contre l'utilisation de cet outil.
M. Guy Fischer. - Heureusement !
M. Nicolas About. - Certains, sans doute mal intentionnés, pourraient y voir un outil d'obstruction parlementaire visant à faire traîner les débats en longueur. (On fait mine de s'offusquer à gauche) Déjà, nous perdons une demi-journée...
M. Didier Guillaume. - Et les scrutins publics hier soir ? A qui la faute ?
M. Nicolas About. - Je ne ferai pas de tels procès d'intention. (Rires à gauche) J'ose espérer que le dépôt de la motion référendaire correspond au voeu démocratique sincère que le projet de loi puisse être adopté par le biais d'une procédure de démocratie populaire directe.
Je ne doute pas de son opportunité politique : la motion référendaire permet de rassembler les signataires autour d'une contestation identifiable, contre la « privatisation » de La Poste. Elle est certainement populaire auprès d'une partie de l'électorat et des syndicats, dont les capacités de mobilisation à l'occasion d'une lutte « anti-privatisation » ne sont plus à démontrer.
Vous avez été nombreux à souligner le succès de la votation populaire qui aurait mobilisé, le 3 octobre dernier, 2,5 millions de personnes contre la privatisation de La Poste. Si l'on reposait aujourd'hui la même question : « êtes-vous pour ou contre la privatisation de La Poste ? », la majorité des votants répondrait assurément « non »... et moi aussi d'ailleurs.
Tout cela, je l'entends bien. C'est une des raisons pour lesquelles le groupe de l'Union centriste s'oppose à la motion référendaire. Le recours au référendum doit rester une procédure exceptionnelle. Notre tradition républicaine est fondée sur la démocratie représentative. A nous d'avoir le « courage », comme dit Mme Borvo, de proposer, de discuter, d'amender et de voter la loi, plutôt que d'en transférer la responsabilité à d'autres. (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s'offusque) Il nous faut prendre nos responsabilités, même si le débat n'est pas la hauteur de ce que nos électeurs pourraient attendre...
M. René-Pierre Signé. - Affrontez-les !
M. Nicolas About. - Le référendum doit rester exceptionnel. On ne peut exiger des citoyens qu'ils appréhendent tous les aspects juridiques et économiques d'un texte complexe. (Rires sarcastiques à gauche) On sait combien la complexité du Traité constitutionnel européen avait rebuté les électeurs, au profit d'arguments électoralistes, de slogans faciles.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - C'est faux !
M. Nicolas About. - On peut douter de l'honnêteté intellectuelle de propos qui réduisent le changement de statut de La Poste et la libéralisation du marché du courrier de moins de 50 grammes à un débat sur une hypothétique « privatisation » -que la rédaction de la loi ne permet pas ! Si une loi future venait à en disposer autrement, il serait toujours temps d'étudier objectivement la question. Or, en vous targuant du résultat de la votation populaire sur la « privatisation » de La Poste pour appuyer votre opposition au texte, vous vous rendez coupables de la confusion entre les deux. II suffit de lire l'article premier : « Le capital est détenu par l'État ou par d'autres personnes morales appartenant au secteur public, à l'exception de la part du capital pouvant être détenu au titre de l'actionnariat des personnels ». Certes, une loi future pourrait y revenir, comme n'importe quelle loi peut revenir sur n'importe quel sujet : c'est sa grandeur ! (Applaudissements à droite et au centre)
Mais, vu comme vous avez déjà commencé à biaiser le débat, au sein de notre assemblée comme à l'extérieur, à quoi bon un référendum ? La question mobiliserait sans doute plus que le quinquennat mais la qualité de l'expression citoyenne serait altérée par la confusion que vous entretenez entre le présent texte et une privatisation.
M. Pierre Hérisson, rapporteur. - Très bien.
M. Nicolas About. - Elle en ressortirait biaisée. (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s'exclame) Votre velléité de démocratie populaire n'est pas crédible et ne constitue qu'une triste échappatoire à des débats que, par ailleurs, vous vous plaisez à obstruer. Le groupe de l'Union centriste ne rentre pas dans ce jeu-là. Au contraire, faisons honneur à notre démocratie représentative et menons le débat sereinement au sein de cet hémicycle.
Certains ont déploré que nous n'ayons que cinq jours pour nous prononcer sur le texte. Optimisons ce temps et améliorons le texte sur la base de discussions constructives. J'espère vous entendre sur la garantie du caractère public des capitaux, la qualité du service universel, le maintien de la présence postale sur nos territoires, le rôle et les pouvoirs de l'autorité de régulation, les mesures sociales... Bref, nous vous attendons sur les enjeux de fond, et non sur une hypothétique « privatisation ». Vous risquez, sinon, de passer à coté du texte et de donner un bien triste exemple de notre démocratie. (Applaudissements nourris et « Bravos ! » à droite et au centre)
M. Bruno Retailleau. - Nous partageons tous un attachement au service public postal, que M. Bel a qualifié de consubstantiel au pacte républicain. C'est en effet un élément de notre identité nationale, dont il incarne les valeurs d'égalité et d'universalisme.
Cette motion référendaire s'appuie sur l'idée que le projet de loi marquerait un changement de cap. Il n'en est rien. La radicalité de la rupture n'est pas dans la loi mais dans la réalité : demain, des opérateurs puissants, mieux préparés, affronteront La Poste sur son terrain !
M. Nicolas About. - Bien sûr !
M. Bruno Retailleau. - La révolution numérique bouleverse toutes les situations acquises, en France comme ailleurs. C'est pure cécité que de refuser à La Poste les moyens de s'y adapter.
M. Nicolas About. - C'est vouloir sa mort !
M. Bruno Retailleau. - La vraie rupture législative, c'est 1990, quand La Poste est sortie de sa gangue d'administration des PTT, est entrée dans la vie d'une entreprise, a recruté des salariés de statut privé, s'est mise à prendre en compte la rentabilité -rentabilité qui a été décuplée en quelques années ! (Applaudissements à droite et au centre)
M. Jean-Paul Emorine, président de la commission. - Très bien !
M. Bruno Retailleau. - En 1990, M. Sarkozy n'était pas Président de la République !
Il n'y a pas de changement de cap. La Poste sortira renforcée grâce aux 2,7 milliards d'euros qui lui permettront de se déployer en France et en Europe. Ce n'est pas son statut qui lui est consubstantiel, ce sont ses missions de service public. Nous allons enrichir ce texte par de nouvelles garanties quant à la présence territoriale : les points de contact passeront de 14 500 à 17 000. (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s'esclaffe) Nous allons également lui garantir le financement à l'euro prêt de la compensation.
M. Jean-Pierre Bel, premier auteur de la motion. - Vous croyez ?
M. Alain Fouché. - Oui.
M. Bruno Retailleau. - Dans quelques heures, je défendrai un amendement qui me permettra de vous répondre point par point. Vous n'aurez pas affaire à un ingrat !
Cette motion référendaire s'appuie sur un abus de langage qui vise à nous faire croire qu'il s'agit d'une loi de privatisation. C'est faux. (M. Pierre Hérisson, rapporteur, approuve) Le modèle français n'est pas le modèle suisse. La motion n'a donc aucun objet. C'est aux parlementaires...
M. Jean-Pierre Bel, premier auteur de la motion. - A condition qu'ils soient présents !
M. Bruno Retailleau. - ...de prendre leurs responsabilités. (Applaudissements à droite et au centre)
M. Jean Bizet. - Très bien !
M. Gérard Longuet. - (Applaudissements à droite) Ce débat me réjouit. En tant que président du groupe UMP, je remercie mes collègues socialistes de susciter une telle mobilisation dans nos rangs. Nous donnons ainsi une bonne image de l'activité sénatoriale sur un sujet qui le mérite. (Exclamations et rires à gauche)
M. Didier Guillaume. - Vos collègues ne sont pas tous d'accord !
M. Gérard Longuet. - Je regrette néanmoins que vous mobilisiez autant de sénateurs pour, in fine, les empêcher de s'exprimer (applaudissements à droite), pour les priver de la tâche qui est la leur, comme l'ont justement relevé MM. Retailleau et About. (Applaudissements à droite)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Ce n'est guère convaincant !
M. Gérard Longuet. - Monsieur Bel, vous mobilisez Louis XI -après tout, les Capétiens ont fait la France- mais La Poste était alors au service d'un État qui ne respectait aucune liberté. Si c'est là votre seul exemple, cela m'inquiète ! (Protestations à gauche, applaudissements à droite)
Plutôt que de l'histoire de notre pays, parlons de l'avenir de La Poste. Si cette motion était adoptée, la première victime en serait le Sénat qui compte, à gauche comme à droite, des sénateurs qui connaissent bien le sujet. Leur expérience et leur crédibilité doivent être mobilisées au service de cette grande entreprise. J'ai connu le président Larcher lorsque j'étais secrétaire d'État des postes et télécommunications, c'était son premier dossier. Les titres des rapports qu'il a consacrés à ce sujet sont éloquents : « Sauver La Poste : devoir politique, impératif économique », en 1996...
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Il ne prévoyait pas un changement de statut !
M. Gérard Longuet. - ...« Sauver La Poste : est-il trop tard pour décider ? », en 1999 ; « La Poste : le temps de la dernière chance », en juin 2003. Le Sénat s'est toujours mobilisé pour La Poste car la présence postale est une chance pour nos territoires, leurs habitants et leurs entreprises. Pierre Hérisson est l'exemple même du sénateur impliqué sur ce sujet. (Applaudissements à droite) Michel Teston a été précédé dans ses responsabilités par d'autres sénateurs du groupe socialiste ayant en commun un véritable intérêt pour l'action postale et qui ont accepté des évolutions qui suscitaient la crainte mais toujours pertinentes car proposées par des professionnels de La Poste.
M. Pierre Hérisson, rapporteur. - Comme aujourd'hui.
M. Gérard Longuet. - La Poste a évolué depuis 1986. En 1997, un gouvernement qui n'était pas de notre bord a accepté la directive postale.
M. Jean-Pierre Bel, premier auteur de la motion. - Très mal négociée par nos prédécesseurs.
M. Gérard Longuet. - Comment pouvait-il en être autrement ? Si La Poste fonctionne, c'est parce que des clients franchissent chaque jour ses portes pour y trouver des services de qualité qui n'ont cessé d'évoluer depuis vingt cinq ans.
Pourquoi nous priver de ces 26 articles sur lesquels 629 amendements ont été déposés ? Un tiers, voire la moitié des sénateurs assistent à ce débat. Nous offrons à ceux qui nous ont mandatés l'image d'une assemblée attentive.
Lors de la séance du 16 juin 2008, au cours de laquelle nous examinions les dispositions qui inspirent cette démarche référendaire, notre éminent collègue Robert Badinter a déclaré : « Autant je suis favorable au développement et à la pratique du référendum, y compris d'initiative populaire, à l'échelon municipal, départemental ou régional, autant je combattrai toujours le référendum d'initiative populaire national [qui] est l'instrument préféré des démagogues les plus extrêmes, de ceux qui, en toutes occasions, utilisent les passions pour énerver la démocratie... ». (Protestations à gauche ; applaudissements à droite) Puis il citait Jean Giraudoux : « L'imagination est la première forme du talent juridique. Ici, elle a simplement pris le tour que Clemenceau se plaisait à dénoncer sarcastiquement : vous savez ce que c'est qu'un chameau ? C'est un cheval dessiné par une commission parlementaire ».
Voix à gauche. - Citez plutôt Henri Guaino !
M. Didier Guillaume. - C'est beau !
M. Gérard Longuet. - Le référendum peut être l'occasion d'un grand rendez-vous...
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Absolument !
M. Gérard Longuet. - Et le Général de Gaulle a su l'utiliser pour sortir la France du naufrage de la décolonisation, le Président Pompidou pour la construction européenne, comme d'autres présidents après eux...
Le Parlement est le lieu naturel du débat pour construire l'avenir postal. (Applaudissements à droite) Pourquoi les socialistes, qui n'ont pas naturellement la culture du référendum, s'y rallient-ils aujourd'hui ? Pourquoi n'y ont-ils pas eu recours en 1982, pour nationaliser, ni entre 1997 et 2002, pour dénationaliser ?
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - C'était sous Chirac !
M. Gérard Longuet. - Ils ont une mémoire sélective, et leur amnésie m'inquiète. (Applaudissements à droite ; exclamations sur les bancs socialistes)
L'origine de ce référendum n'est pas à chercher dans cet hémicycle, ni dans la gauche gouvernementale. On la trouvera dans un règlement de comptes entre la gauche et l'extrême gauche. Aux dernières élections européennes, le Nouveau parti anticapitaliste (NPA) a frôlé les 5 %.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Les gens apprécieront vos arguments !
M. Gérard Longuet. - Et comme pour gagner, la gauche doit se rassembler au second tour... La Poste est en réalité prise en otage par l'extrême gauche et la gauche gouvernementale. (M. Pierre Hérisson, rapporteur, approuve ; applaudissements à droite)
M. Guy Fischer. - Et la majorité par l'extrême droite !
M. Gérard Longuet. - Le Comité national de votation populaire est animé par des gens aussi responsables que Gérard Schivardi, qui demande, sous la cosignature de parlementaires socialistes, l'abrogation des directives européennes de décembre 1997. Comme si cela avait le moindre sens ! SUD-PTT et le NPA se livrent à une surenchère avec le parti socialiste, qui est dépassé par la gauche... (Protestations à gauche ; applaudissements à droite) Il est vrai qu'approchent les élections régionales de 2010 et les cantonales de 2011, et plus tard les législatives...
Je ne résiste pas au plaisir de citer Olivier Besancenot...
M. Jean Bizet. - Le facteur !
M. Gérard Longuet. - En septembre, à Saint-Denis, il s'est déclaré pour un « accord national sur une plate-forme » qui « tranche avec les déclinaisons locales des politiques d'adaptation au capitalisme menées par des majorités d'union de la gauche sortante ».
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Occupez-vous de l'extrême droite !
M. Gérard Longuet. - Le parti socialiste veut faire le plein de voix.
M. Gérard Le Cam. - Et vous, de celles du Front national !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - C'est le niveau zéro de la politique !
M. Gérard Longuet. - C'est cette surenchère qui pousse la gauche à infliger un mauvais coup à l'entreprise postale.
Lorsque j'ai succédé à Louis Mexandeau, avenue de Ségur, il m'a laissé un rapport lucide qui explorait toutes les pistes pour améliorer le service et assurer la pérennité de La Poste. Je l'ai mis en oeuvre et cela a donné la célèbre campagne « Bougez avec La Poste ». Les socialistes d'alors acceptaient de prendre leurs responsabilités. Aujourd'hui, ils préfèrent compromettre l'avenir de l'entreprise.
Pour l'État, il est vrai, La Poste a toujours été une variable d'ajustement. Je ne reviendrai pas sur ce qu'a infligé M. Fabius à France Télécom ; et M. Jospin n'a jamais donné les moyens à l'opérateur postal français d'investir comme TNT Post ou Deutsche Post, après l'adoption de la directive de 1997. M. Bailly s'efforce aujourd'hui, avec courage, de combler le retard et c'est à sa demande que nous avons examiné la transformation en société anonyme et l'apport en capital. Cette opération est un hommage aux 320 000 hommes et femmes qui font le succès de l'entreprise. Il faut refuser la motion afin de libérer la gauche responsable de la surenchère trotskyste, celle de SUD et celle d'une extrême-gauche parfaitement irresponsable. (Applaudissements à droite ; M. Guy Fischer se gausse)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Ces propos sont scandaleux !
M. Jean-Jacques Mirassou. - J'avais perdu de vue M. Longuet mais je le retrouve au Sénat tel qu'en lui-même, avec tous les excès que je lui connaissais dans le passé. (« Chassez le naturel... » à gauche) Hier soir, nous avons vu se télescoper nos convictions, nos options politiques, mais aussi nos conceptions, bien différentes, du fonctionnement de la démocratie représentative. Motion après motion, amendement après amendement, nos propositions ont essuyé un refus systématique, mécanique, au seul motif qu'elles émanaient de la gauche. Cette posture a fini par trouver ses limites lorsque, contrainte de recourir au scrutin public pour chaque vote, la majorité, minoritaire dans l'hémicycle, nous a presque demandé de nous excuser d'être présents en nombre et a tenté de démontrer qu'adossée à son électorat, elle était toujours majoritaire dans l'hémicycle. (« Exactement ! » sur les bancs UMP)
M. Jean-Pierre Bel, premier auteur de la motion. - Avec son mode de scrutin inique !
M. Jean-Jacques Mirassou. - Aujourd'hui, M. Longuet persiste et signe, ajoutant de la confusion à la confusion. La démocratie représentative est décrédibilisée et vous en portez, chers collègues de la droite, l'entière responsabilité. Vous rabaissez votre rôle de parlementaires et feignez d'ignorer la valeur de la votation citoyenne, qui a illustré l'intérêt de la démocratie directe. Un Président de la République omniprésent, sinon omnipotent...
M. Pierre Hérisson, rapporteur. - En tout cas pas impotent !
M. Jean-Jacques Mirassou. - ...prétend entretenir une relation singulière et permanente avec le peuple français. Que n'a-t-il saisi cette occasion pour mettre en application sa conception ! Notre demande vise à sauvegarder un patrimoine qui appartient à l'ensemble des Français et l'organisation d'un référendum paraît encore plus nécessaire depuis hier soir ; il est dans l'intérêt de la démocratie et de l'intérêt général. (Applaudissements à gauche)
M. Martial Bourquin. - J'ai apprécié dans sa forme l'intervention de M. About mais sur le fond, notre collègue est... à bout d'arguments. (Sourires)
M. Pierre Hérisson, rapporteur. - Facile.
M. Nicolas About. - Peut-être à bout de souffle, mais pas à bout de convictions !
M. Martial Bourquin. - Ce projet de loi met en place le dispositif qui autorisera ensuite la privatisation. (Applaudissements sur les bancs socialistes) Voilà la vérité, ne cherchons pas ailleurs. Mais vous aurez beaucoup de mal, dans les mois et les années qui viennent, à expliquer sur le terrain ce que vous faites. (M. Didier Guillaume approuve) Dans les territoires ruraux et urbains, la fracture s'installe : les DDE, les DDA sont supprimées, un départ de fonctionnaire sur deux n'est pas remplacé, les bureaux de poste sont transformés en agences, bientôt en points contact... La fracture territoriale est là et vous l'aggravez encore par le traitement libéral que vous infligez à La Poste.
M. Guy Fischer. - Ultralibéral !
M. Martial Bourquin. - Oui. Et c'est un contresens économique car la crise financière est passée par là et l'ultralibéralisme a montré ses déficiences. C'est également un contresens sociologique car le vieillissement de la population rend plus nécessaires que jamais les services de proximité.
M. Guy Fischer. - Plus que nécessaires : essentiels.
M. Martial Bourquin. - En dépit du Grenelle de l'environnement, on va encore éloigner les services publics de la population. Vous brocardez les 2,3 millions de personnes qui se sont exprimées...
M. Nicolas About. - Pas les participants, mais les organisateurs !
M. Martial Bourquin. - ...et vous refusez un référendum sur la fracture sociale et territoriale.
M. René-Pierre Signé. - Il y a deux France.
M. Martial Bourquin. - Nous n'approuvons pas la politique que vous menez en ce qui concerne les services publics. La démocratie nous offre le moyen de nous départager sur cette question, par un référendum. Organisez-le ! (Applaudissements à gauche)
M. Jean Desessard. - (Applaudissements sur les bancs socialistes) A ceux qui se sont moqués...
M. Jean Bizet. - On va rire.
M. Nicolas About. - A l'attaque !
M. Jean Desessard. - ...de la votation, nous offrons l'occasion de rectifier le tir par un vrai référendum organisé dans les conditions républicaines. La votation du 3 octobre a révélé un vrai désir de débat sur les enjeux fondamentaux, un vrai désir de discussion politique.
M. Pierre Hérisson, rapporteur. - Un désir d'avenir ? (Sourires)
M. Jean Desessard. - Nos concitoyens s'intéressent à ces sujets et participeront au référendum. Je suis partisan d'un service public postal de proximité, à la campagne comme dans les banlieues, et jusque dans les territoires les plus éloignés et marginalisés ; un service public qui réponde aux attentes de la population et ne se laisse pas aspirer par la recherche du profit à tout prix ; un service public respectueux de l'environnement -en quoi une distribution du courrier par quatre entreprises concurrentes, faisant parcourir les mêmes circuits à quatre chauffeurs, réduira-t-elle la pollution automobile ?
Je suis partisan d'un service public rénové, comptant dans ses conseils d'administration des élus, des représentants des salariés et des associations ; un service public qui donne l'exemple en versant des salaires décents et en assurant des conditions de travail valorisantes, en ne recourant pas à la sous-traitance ni aux statuts précaires, loin de la logique de la souffrance au travail. On peut s'adapter aux échanges mondiaux par des partenariats plutôt que par la concurrence et le dumping social ! A nous de construire un grand service public postal européen. La politique de M. Sarkozy, c'est la libéralisation à tout va, le démantèlement des services publics, la rentabilité maximum pour quelques-uns et la précarité pour tous les autres. Je défends, quant à moi, une société régulée, où l'homme est au centre des préoccupations, comme usager et non comme client, comme salarié garant du service public et non comme automate de la taylorisation des services, comme citoyen qui participe à la construction de son environnement économique et social. Je soutiens cette motion et souhaite que le Président de la République soumette à référendum ce projet de loi. (Applaudissements à gauche)
M. Didier Guillaume. - Bravo, monsieur le président, pour la soirée d'hier soir : personne ne se doutait que l'OM allait faire un tel résultat !
M. le président. - Je préférerais qu'on débarrasse Marseille de ses ordures ménagères !
M. Didier Guillaume. - Peut-être ce matin serez-vous surpris du résultat, et peut-être nos collègues comprendront-ils combien cette motion est importante.
Ce débat est essentiel pour notre démocratie, pour le service public. (Marques d'ironie à droite) Je donne acte à tous les sénateurs de leur volonté de défendre le service public et de maintenir La Poste dans le service public.
M. Jean-Paul Emorine, président de la commission, et M. Pierre Hérisson, rapporteur. - Ah ! Tout de même !
M. Didier Guillaume. - Cette motion référendaire en est l'unique moyen et le statut d'Épic la seule garantie. Si La Poste devient une société anonyme, une autre loi sera adoptée pour ouvrir son capital et la sortir du service public.
M. Pierre Hérisson, rapporteur. - Pas par nous !
M. Didier Guillaume. - Je donne acte à M. Longuet de ce que tous les gouvernements, qu'ils soient de gauche ou de droite, n'ont pas accordé à La Poste les moyens nécessaires. Mais ce gouvernement a fait un cadeau de 2,4 milliards aux restaurateurs dont ils n'ont rien fait ; il peut consacrer 2,7 milliards à La Poste qui saura, elle, les utiliser...
M. Pierre Hérisson, rapporteur. - La baisse de la TVA sur la restauration, c'était une promesse de tous les candidats !
M. Didier Guillaume. - ...pour se développer.
M. Gérard Longuet. - Non !
M. Didier Guillaume. - Je suis d'accord avec M. Retailleau : cette loi n'est pas une loi de privatisation. Arrêtons les caricatures ! Nous ne l'avons jamais prétendu. En revanche, elle est la porte ouverte à une loi de privatisation.
M. Pierre Hérisson, rapporteur. - Pourquoi ne pas l'avoir dit plus tôt ?
M. Didier Guillaume. - N'ayez pas peur du peuple, le peuple a toujours raison ! (Exclamations ironiques à droite) Avec le référendum, il pourra s'exprimer ! Quand M. Maurey qualifie la votation citoyenne d'escroquerie, il se moque du peuple, il se moque des 2,4 millions de Français qui se sont déplacés pour dire « non ». Ce n'est pas de l'escroquerie...
M. Hervé Maurey. - Si !
M. Didier Guillaume. - ...c'est de la mobilisation citoyenne. Peut-être la craignez-vous, mais c'est une force. M. Longuet affirme que la gauche, parce qu'elle est dépassée par l'extrême gauche, instrumentalise ce débat pour masquer ses divisions. (Marques d'approbation à droite) Mais la droite n'est-elle pas dépassée par la droite ? Le Gouvernement n'est-il pas dépassé par des sénateurs enracinés dans leur territoire, qui disent que la réforme de la taxe professionnelle ne va pas ?
M. Nicolas About. - Ils ne disent pas ça mais le contraire ! Et le Sénat est dans son rôle !
M. Jean-Pierre Bel, premier auteur de la motion. - Et M. Raffarin ?
M. Nicolas About. - M. Raffarin légitime le Sénat !
M. Didier Guillaume. - Le Gouvernement n'est-il pas dépassé par les députés qui disent que le grand emprunt ne va pas ? Que M. Fillon recadre sa majorité montre bien que vous n'avez pas de leçons à nous donner en matière de divisions !
Enfin, lundi dernier, en commission, un certain amendement n°566 a été retiré à la demande du Gouvernement et du président de la commission. Celui-ci, déposé par un membre de la majorité, visait à ce que l'État puisse décider par la suite de procéder à toute opération sur le capital de La Poste selon les règles du droit commun.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Eh oui ! (M. Daniel Raoul renchérit)
M. Didier Guillaume. - Certains défendent donc la privatisation de La Poste par idéologie. Eh bien, nous, par idéologie, nous défendrons toujours le service public postal ! Et le meilleur moyen de le faire, c'est de voter cette motion. Le peuple a toujours raison !
M. Pierre Hérisson, rapporteur. - Le peuple a inventé la guillotine ! (Sourires)
M. Didier Guillaume. - Chers collègues de la majorité, vous qui êtes des défenseurs du service public et du maintien de La Poste dans le service public, votez cette motion référendaire ! Nous serons alors sûrs de faire de La Poste une grande entreprise publique et concurrentielle ! (Applaudissements à gauche)
M. Claude Bérit-Débat. - Depuis lundi dernier, tous les orateurs, quels que soient leur couleur politique, ont fait l'éloge du service public postal, ce service de proximité, garant du lien social, représenté par l'oiseau bleu calligraphié sur des camionnettes jaunes. Ce service est indispensable au maillage de notre territoire, nous en sommes tous d'accord. En revanche, nous divergeons sur la question du statut. Pour la droite, le passage du statut d'Épic à celui de société anonyme est l'alpha et l'oméga de la modernité, la réponse à la concurrence et aux directives européennes. Pour nous, et M. Teston l'a bien montré, le statut d'Épic est la seule voie de modernisation de La Poste. Il suffirait que l'État injecte de l'argent non seulement pour soutenir la distribution de la presse mais aussi pour améliorer la présence postale sur le terrain. Ensuite, concernant l'expression citoyenne -tout de même !-, on ne peut pas rayer d'un trait, comme vous le faites, les 2,5 millions de Français qui ont voté contre le changement de statut et, donc, la perspective d'une privatisation. Certains n'ont pas eu de mots assez durs pour brocarder cette opération, assimilée à une manipulation dans laquelle M. Longuet voit même un artifice de la gauche gouvernementale pour régler ses comptes avec l'extrême gauche.
M. Gérard Longuet. - Eh oui !
M. Claude Bérit-Débat. - On ne peut pas nier ainsi la démocratie participative (M. Guy Fischer approuve) ni le pouvoir des citoyens d'intervenir dans les débats politiques. Avec cette motion référendaire, aujourd'hui présentée par tous les groupes de gauche, nous souhaitons justement leur donner la parole.
M. Pierre Hérisson, rapporteur. - Pour cela, il y a les élections !
M. Guy Fischer. - Rendez-vous les 7 et 14 mars !
M. Claude Bérit-Débat. - Je vous invite, si vous êtes cohérents avec vos propos sur la défense du service public, à soutenir la motion référendaire ! (Applaudissements à gauche)
M. Marc Daunis. - M. Bel rappelait tout à l'heure que le neuvième alinéa du préambule de la Constitution de 1946 dispose : « Tout bien, toute entreprise, dont l'exploitation a ou acquiert les qualités d'un service public national ou d'un monopole de fait doit devenir la propriété de la collectivité ». Depuis le début de nos échanges, nous nous retrouvons sur un même constat : La Poste fait partie intégrante de nos territoires et contribue à corriger certaines inégalités. Avec plus ou moins de lyrisme, les orateurs ont rappelé qu'elle est le symbole du service public de proximité, le garant des valeurs d'égalité, d'adaptabilité et de continuité, notamment territoriale. Elle est notre patrimoine commun. En revanche, votre texte nous sépare parce qu'il transforme La Poste en société anonyme, ouvrant la voie à une future privatisation. M. le ministre et M. le rapporteur ont beau dire que ce texte est le moyen de rendre La Poste « imprivatisable », notre position semble partagée par les élus locaux, qui sont au diapason de leurs concitoyens. C'est le sens de la mobilisation populaire du 3 octobre dernier : 2,5 millions de Français se sont déplacés pour dire « non ». Monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, vous prétendez avoir tenu compte des inquiétudes de nos compatriotes et des élus locaux en gravant dans le marbre législatif le caractère public du service postal. Hélas, le Conseil constitutionnel a déjà conclu à la vacuité juridique d'une telle posture.
M. Roland Courteau. - Très bien ! Il fallait le rappeler !
M. Marc Daunis. - Et dans ce climat d'incrédulité, vous en arrivez même, monsieur le ministre, à user de néologismes tels que « l'imprivatisabilité ». (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s'esclaffe)
M. Christian Estrosi, ministre. - Ce n'est pas moi qui ai employé ce mot, mais vous !
M. Marc Daunis. - Nous vous proposons de faire plus simple : utilisez l'article 11 de la Constitution ! Organisez un référendum ! Consultez nos compatriotes ! Une votation citoyenne a été organisée avec succès. (On ironise au banc de la commission) Vous ne pouvez pas la balayer d'un revers de main méprisant en criant à la tartufferie et à la manipulation. Ce serait un peu court et manquerait singulièrement de lucidité. De nombreux concitoyens ont compris que les bouleversements parfois silencieux d'un monde en proie à la globalisation nécessitaient de redonner du pouvoir à l'intervention publique. Ce message devrait réjouir tous les républicains. La République est une idée moderne. Ce débat doit être l'occasion de rassembler notre peuple, non de le diviser. Monsieur le ministre, vous vous êtes déclaré prêt, en commission, à accepter toute proposition qui permettrait de sceller définitivement le caractère public du service postal. Donnez-vous les moyens de cet engagement en évitant que d'autres que vous ne succombent demain à la tentation de la privatisation. Nous n'y céderons pas !
M. Pierre Hérisson, rapporteur. - Nous non plus !
M. Marc Daunis. - Que le peuple souverain apporte une légitimité supplémentaire ! N'hésitez pas : les représentants de la Nation n'ont pas peur du peuple et celui-ci ne comprendrait pas d'être exclu d'un processus de décision qui concerne autant sa vie quotidienne et son avenir. Demandez-lui son accord pour sauvegarder les services publics ! Demandez-lui son accord pour interdire la privatisation du service public postal ! Et si vous le faites, permettez-moi un pronostic : le résultat dépassera toutes vos espérances... (Applaudissements à gauche)
M. David Assouline. - M. Longuet nous a dit tout le mal qu'il pensait d'un référendum. S'il est vrai qu'on peut être tenté de l'utiliser sur des sujets démagogiques ou passionnels comme la peine de mort, il est tout à fait légitime d'y avoir recours pour que nos concitoyens se prononcent sur des questions concrètes et précises qui concernent leur vie quotidienne. En l'occurrence, ce serait l'occasion d'un débat démocratique où vous expliqueriez pourquoi ce changement de statut n'est pas une privatisation et où, nous, nous expliquerions comment il y conduirait inéluctablement. Il y a là matière à référendum parce que cette question concerne tous nos concitoyens, qu'ils habitent au fond d'un village ou dans un ghetto urbain où La Poste demeure souvent le seul lien avec le service public. Elle concerne tous les âges, les jeunes comme les personnes âgées, surtout les personnes âgées...
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Vos électeurs...
M. David Assouline. - Vous êtes paradoxal, monsieur Longuet. Vous opposez le référendum au débat parlementaire en mettant en avant 600 amendements que, par ailleurs, vous n'avez cessé de fustiger.
M. Gérard Longuet. - Six cents de trop !
M. David Assouline. - Des amendements qui ne sont l'objet d'aucun débat, auxquels on se contente d'opposer un avis défavorable et qu'on repousse mécaniquement ! D'un côté, vous éteignez un débat parlementaire que nous, nous animons et, de l'autre, vous refusez le référendum. Ce faisant, vous contredites tout ce qui avait été dit pour vendre la réforme constitutionnelle, laquelle devait être, avec ce référendum d'initiative populaire très encadré, une avancée démocratique. Or, vous n'avez même pas fait voter la loi organique qui aurait permis qu'on en usât...
Et quel culot de nous accuser d'être pris en otage par l'extrême gauche -sur une question pourtant concrète et précise- alors que, sur des questions idéologiques et passionnelles, vous ne cessez de draguer l'électorat du Front National (protestations à droite), alors que vous créez un ministère de l'identité nationale et que, à la veille de chaque élection, vous votez une nouvelle loi sur l'immigration ou la sécurité ! Vous chassez sur des terres qui sont bien peu républicaines...
M. le président. - Veuillez conclure.
M. David Assouline. - Nous, nous voulons une discussion devant le peuple français non pas sur la privatisation en général mais sur le fait que seul l'Épic peut, ou non, garantir la présence postale territoriale. Car la pente naturelle d'une société anonyme sera la privatisation rampante. (Marques d'impatience à droite)
Bref, je ne vois pas pourquoi vous avez un problème avec l'Épic....
M. Christian Estrosi, ministre chargé de l'industrie. - (Applaudissements à droite) Monsieur Assouline, nous n'avons aucun problème avec l'Épic. Le seul problème, c'est que nous n'avons plus une minute à perdre pour donner à La Poste -à laquelle je veux croire que nous sommes tous attachés- sa chance pour le 1er janvier 2011. Et cela, l'Épic ne le permet pas. En effet, avec ce statut, comment investir, comme La Poste le réclame elle-même, elle qui a déjà fait un effort considérable mais qui a 6 milliards de dettes ? Comment lui permettre d'affronter la baisse de son activité traditionnelle ?
Dans ce débat, je ne parlerai plus de privatisation : le problème est réglé et je réutilise à dessein le néologisme d'« imprivatisable » parce que toutes les dispositions sont prises pour que La Poste le soit. J'aurais à la rigueur compris un référendum portant sur l'avenir de La Poste. Mais pas sur son statut public.
On n'est ministre qu'un temps, je l'ai été, je ne l'ai plus été, je le suis à nouveau, je ne le serai plus. Mais j'ai un enracinement local. On nous dit « Vous allez voir la réaction de vos électeurs dans vos villages ! ». Mais tous ceux qui ont un enracinement local ont la confiance de leurs électeurs, qui savent ce qu'est leur fidélité au service public.
Mme Michelle Demessine. - Langue de bois !
M. Christian Estrosi, ministre. - Je sais ce qu'est un postier, ce qu'est un bureau de poste au fin fond de l'Amazonie, à la frontière du Surinam ou du Brésil, aux îles Marquises ou à Wallis-et-Futuna. Je sais qu'à 26 000 kilomètres de Paris, il attend qu'on lui donne les moyens d'affronter la compétitivité de demain.
Je regrette que la gauche se concentre sur la privatisation : le débat, je l'ai dit, est évacué ! (Protestations à gauche)
M. Guy Fischer. - Il est plus que jamais d'actualité !
M. Christian Estrosi, ministre. - Pourquoi s'obstiner à parler de privatisation sinon pour faire obstruction, pour empêcher d'en arriver plus vite au vrai sujet : la modernisation de La Poste. Cette motion, c'est une manoeuvre d'obstruction de plus. (Applaudissements à droite, protestations à gauche)
M. Guy Fischer. - Non ! Pour prolonger la votation citoyenne !
M. Christian Estrosi, ministre. - Cette motion, c'est le seul contre-projet de ceux qui n'en ont pas d'autre à proposer.
C'est l'habitude de la gauche depuis quelque temps : faute de projet ou d'idées, elle propose un référendum. (Protestations à gauche) La Poste mérite mieux que cette fuite en avant. N'ayant plus de repères, la gauche tente de rattraper l'extrême gauche, oubliant qu'un facteur à vélo ira toujours plus vite qu'un parti socialiste en panne ! (Applaudissements à droite et protestations à gauche, où l'on juge, sur les bancs socialistes, le propos indigne d'un ministre)
M. Daniel Raoul. - Vous révélez votre vraie nature !
M. Christian Estrosi, ministre. - Vous avez prétendu que le Gouvernement ne souhaitait pas de référendum d'initiative populaire. Je vais donc vous fournir quelques précisions.
M. Daniel Raoul. - Ça nous changera !
M. Christian Estrosi, ministre. - C'est l'honneur du Gouvernement et de sa majorité...
M. Daniel Raoul. - Où est-elle ?
M. Christian Estrosi, ministre. - ...d'avoir introduit en juillet le référendum d'initiative populaire dans la Constitution. Depuis, nous avons travaillé les aspects techniques, sans traîner ! (Rires sur les bancs socialistes)
M. Roland Courteau. - Vous jouez la montre !
M. Christian Estrosi, ministre. - Un projet de loi organique vous sera donc soumis avant la fin de l'année.
M. David Assouline. - A temps pour éviter son application à La Poste !
M. Christian Estrosi, ministre. - Je rappelle les règles de ce référendum d'initiative parlementaire et populaire : il faut qu'un cinquième des parlementaires aient rédigé une proposition de loi (on considère à gauche que c'est fait) et que celle-ci recueille la signature d'un dixième du corps électoral, soit de 4,5 millions de Français.
M. Martial Bourquin. - On a les deux !
M. Christian Estrosi, ministre. - Ce référendum d'initiative parlementaire et populaire peut être utilisé dans deux hypothèses. Ou il s'agit de proposer un texte lorsque le Gouvernement n'en a rien fait. Tel n'est pas le cas aujourd'hui.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - D'où le recours à l'article 11 de la Constitution.
M. Christian Estrosi, ministre. - Ou on demande l'abrogation, un an après sa promulgation, d'un texte qui ne satisferait pas le corps électoral. Si, dans un an, un cinquième des parlementaires considèrent que le projet de loi dont nous discutons n'a pas atteint ses objectifs, ils pourront rédiger une proposition de loi que 4,5 millions d'électeurs signeront en constatant que les 2,7 milliards d'euros injectés dans ce service public n'ont pas donné les résultats attendus. Mais soyez démocrates et laissez-nous légiférer en attendant.
Lors du débat de révision constitutionnelle, M. Montebourg jugeait insatisfaisant qu'une proposition de loi se bornât à abroger un texte promulgué, sans contenir de contre-proposition. Je réponds : « Chiche ! »
Nous voulons aider La Poste à devenir une grande entreprise de logistique utilisant le TGV et l'avion, concurrentielle dans les communications électroniques. Nous voulons une Banque postale encore plus performante au service des plus démunis. Passons donc aux vrais sujets au lieu de perdre du temps avec des diversions sur le faux thème de la privatisation ! Le Gouvernement vous appelle à repousser la motion référendaire. (Applaudissements à droite)
La discussion générale est close.
Vote sur la motion
M. François Fortassin. - Nous assistons à un spectacle surréaliste : la majorité juge le projet de loi excellent...
M. Jean-Paul Emorine, président de la commission. - Bien sûr !
M. François Fortassin. - ...mais elle est arc-boutée contre le référendum. Si elle était persuadée de défendre un texte excellent, elle accepterait notre proposition puisque la sagesse de l'électorat lui permettrait de gagner un référendum initié par l'opposition. Quelle victoire politique extraordinaire ! (Applaudissements et rires à gauche) A l'évidence, la majorité craint le résultat. Elle pourrait pourtant lancer une campagne sur le thème : « Pour sauver La Poste, utilisez ses services ».
Ce projet de loi comporte une lacune fondamentale. Les salariés de La Poste font bien leur travail mais ils attendent l'usager alors qu'affronter la concurrence suppose une formation que vous ne pouvez leur proposer. Je ne doute pas de votre sincérité intellectuelle mais la privatisation est inéluctable. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
Sans partager leur opinion, j'ai apprécié le caractère charpenté des interventions du rapporteur, de M. Retailleau, et même du représentant du groupe UMP. Mais l'attaque conduite par M. le ministre contre l'opposition et plus de 2 millions de nos concitoyens qui se sont déplacés était plutôt invertébrée... Nous voterons la motion. (Applaudissements à gauche)
M. Jean-Pierre Bel, premier auteur de la motion. - Après avoir entendu M. le ministre et l'orateur de la majorité, je reste sur une incompréhension.
Vous dites que nous perdons notre temps...
M. Henri de Raincourt, ministre. - C'est vrai.
M. Jean-Pierre Bel, premier auteur de la motion. - ...et que l'opposition fait de l'obstruction.
M. Henri de Raincourt, ministre. - C'est vrai.
M. Jean-Pierre Bel, premier auteur de la motion. - Je n'ai pas ce sentiment. La démocratie impose qu'on respecte tous ceux qui s'expriment.
Nous désapprouvons ce que vous proposez pour un sujet qui touche tous les Français et qui est au coeur de nos préoccupations sur le terrain. Croyez-vous que le service public ne mérite pas un vrai débat ? Estimez-vous que nous discutons depuis hier de sujets futiles ? Le président du Sénat a déclaré hier que discuter la motion référendaire permettrait de purger un certain nombre de problèmes, mais M. Longuet et M. le ministre disent aujourd'hui perdre leur temps avec d'affreux opposants bloqués dans l'immobilisme. Venant d'un pays cathare...
M. Roland Courteau. - Moi aussi !
M. Jean-Pierre Bel, premier auteur de la motion. - ...je vous entends parler du dépôt de la motion référendaire comme d'une hérésie. La directive européenne prendra effet le 1er janvier 2011. Nous avons le temps de consulter les Français. Il n'y a rien d'infâmant à mêler démocratie parlementaire et démocratie participative.
Je demande donc plus de considération pour le travail des parlementaires. Si vous défendez vraiment le service public, entourez-vous de toutes les précautions et consultez les Français par référendum. (Applaudissements à gauche)
Mme Marie-France Beaufils. - Quelles réponses avez-vous donc apportées à nos interrogations ? Sur le statut, nous rappelons qu'un Épic peut fort bien être financé par l'État et que si La Poste a vraiment besoin de capitaux, rien ne vous empêche de mettre en place les outils nécessaires. Mais vous ne cessez de ressasser les mêmes arguments sans aucun élément tangible. On peut travailler sur les aspects juridiques. Nous disons qu'il faut un référendum, vous répondez que l'on n'est pas prêt à mettre en place la consultation prévue par la révision de la Constitution mais vous n'avez pris aucune disposition en ce sens -vous aviez pourtant su très rapidement faire en sorte que le Président de la République, lui, bénéficie de la révision... D'ici le 1er janvier 2011, nous avons le temps de consulter les Français sur votre projet.
Nous voulons, nous, que La Poste demeure un service public mais qu'elle offre des services encore meilleurs ; vous voulez, vous, changer son statut et votre refus de répondre à nos questions est une raison supplémentaire de voter la motion. (Applaudissements à gauche)
M. Jean Desessard. - Le ministre a raillé la gauche : un facteur à vélo serait toujours plus rapide qu'un PS arrêté... Eh bien, aux yeux du Vert que je suis, la situation est plus grave car les extrêmes se développent en raison de la précarité et de l'exaspération. Voulez-vous un débat d'idées ? Regardez d'abord la souffrance de ceux qui travaillent et de ceux qui ne trouvent même pas d'emploi. Les gens sont mécontents parce qu'on ne s'occupe pas de leur avis. Le meilleur moyen de lutter contre les extrêmes, c'est de les consulter sur l'avenir du service public.
On n'a jamais dit que le projet privatisait mais qu'il déterminait un changement de nature. Ce n'est pas pour les missions de service public que l'on a besoin d'argent mais pour investir à l'étranger, pour que La Poste devienne une entreprise conquérante au niveau européen. Cela veut dire qu'elle aura un management différent, des objectifs différents et que, dans quelques années, une logique de rentabilité l'aura éloignée de La Poste dont la voiture jaune et l'oiseau bleu sont les symboles. Vous gardez le logo mais vous transformez La Poste ! (Applaudissements à gauche)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - S'ils suivaient nos débats, nos concitoyens seraient très en colère. Contre votre manière de défendre La Poste et les postiers, bien sûr, mais aussi contre votre mépris pour eux. Ils ne seraient pas capables de comprendre -il n'y a que la droite qui le peut, la gauche, même, est trop bête. Et la votation citoyenne ne serait qu'une vaste manipulation : vous seuls savez de quoi vous parlez !
Étrange cacophonie, le ministre s'évertue à nous faire croire que La Poste sera imprivatisable et M. Guaino, dont on ne sait s'il s'exprime au nom du Président de la République ou pour lui, nous explique que rien n'est définitif, que ce qu'une loi a fait, une autre loi peut le défaire. Les citoyens sont opposés à la privatisation et votre mépris à leur égard est scandaleux.
Dans certaines communes, ce sont des maires UMP qui ont organisé des votations citoyennes. Que ne les poursuit-on eux aussi ? (M. Guy Fischer s'exclame) Soyez plus modestes. Le peuple est capable de comprendre car il est instruit par l'expérience : il sait que le changement de statut prélude à la privatisation. Vous ne voulez pas le consulter car vous vous méfiez du référendum d'initiative populaire. Mais ici, nous demandons au Président de la République d'utiliser l'article 11 actuel sur votre propre texte. Il est possible d'avoir ce grand débat. Vous expliquerez alors aux citoyens pourquoi votre projet est bon et nous lui présenterons nos raisons. Il suffit, pour cela, d'adopter la motion. Nous la voterons des deux mains. (Applaudissements à gauche)
M. Jean-Paul Emorine, président de la commission. - Une seule suffit...
M. Henri de Raincourt, ministre chargé des relations avec le Parlement. - Si je prends la parole, c'est que depuis que le débat s'est engagé, j'ai entendu dire que le Gouvernement manifesterait une lenteur à mettre en oeuvre la réforme constitutionnelle. (« Oui ! » à gauche) M. Estrosi a déjà fort bien répondu mais je rappelle ce que j'ai déjà dit trois fois à l'Assemblée nationale, à savoir que je ne comprends pas pourquoi l'opposition nous harcèle pour une réforme qu'elle a combattue et absolument refusée. (Applaudissements à droite) Depuis la révision constitutionnelle, onze textes ont été déposés sur le bureau des Assemblées...
M. Jean-Pierre Bel, premier auteur de la motion. - Pas celui-ci !
M. Henri de Raincourt, ministre. - ...et huit ont été adoptés.
Mme Bariza Khiari. - Mais pas le plus important !
M. Henri de Raincourt, ministre. - J'ai déjà dit que le texte sur le référendum sera déposé d'ici la fin de l'année. Nous sommes le 4...
M. Martial Bourquin. - Après La Poste...
M. Henri de Raincourt, ministre. - Je vous invite donc à utiliser des arguments objectifs : inutile d'alléguer un ralentissement de la procédure. Je ne reprendrai pas ici tous les problèmes techniques, juridiques et constitutionnels qu'implique la mise en oeuvre de la procédure référendaire. Nous les traitons avec sérieux et méthode. A vous d'être plus modestes dans vos reproches à propos d'une réforme que vous aviez combattue. (Applaudissements à droite et sur plusieurs bancs au centre)
M. Jean-Pierre Bel, premier auteur de la motion. - M. de Raincourt n'a pas à se sentir harcelé. Nous sommes chargés de contrôler les actes du Gouvernement et M. Karoutchi, son prédécesseur, s'était engagé, le 12 février dernier, à nous communiquer un calendrier précis de ces lois organiques « dans les prochaines semaines ». Cela n'a pas été fait pour le référendum.
M. le président. - Je vous rappelle que l'adoption de la motion référendaire aurait pour effet de suspendre l'examen du projet de loi sur La Poste.
La motion référendaire est mise aux voix par scrutin public de droit en application de l'article 59 du Règlement.
M. le président. - Voici les résultats du scrutin :
Nombre de votants | 338 |
Nombre de suffrages exprimés | 336 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 169 |
Pour l'adoption | 153 |
Contre | 183 |
Le Sénat n'a pas adopté.
La séance est suspendue à midi vingt.
présidence de Mme Monique Papon,vice-présidente
La séance reprend à 14 h 30.
La Poste (Procédure accélérée - Suite)
Mme la présidente. - Nous reprenons l'examen du projet de loi relatif à l'entreprise publique La Poste et aux activités postales.
Rappels au Règlement
Mme Isabelle Pasquet. - Mon rappel au règlement a trait à l'organisation de nos travaux. Hier soir, dans le feu du débat, notre collègue Gérard Longuet, président du groupe UMP, nous a affirmé qu'une grande société anonyme, la SNCF, assumait depuis plus de soixante-dix ans un grand service public. Il voulait nous démontrer que la nature juridique de l'entité assumant le service public ne préjugeait absolument pas de sa capacité à répondre à ses obligations. Cette affirmation a suscité quelque émotion. Reportez-vous à l'article 18 de la loi d'orientation sur les transports intérieurs : « Il est créé, à compter du 1er janvier 1983, un établissement public industriel et commercial qui prend le nom de « Société nationale des chemins de fer français ». Cet établissement a pour objet d'exploiter, selon les principes du service public, les services de transport ferroviaire de voyageurs sur le réseau ferré national ; d'exploiter d'autres services de transport ferroviaire, y compris internationaux ; d'assurer, selon les principes du service public, les missions de gestion de l'infrastructure prévues à l'article premier de la loi du 13 février 1997 portant création de l'établissement public « Réseau ferré de France ». Cet établissement est habilité à exercer toutes activités qui se rattachent directement ou indirectement à cette mission. Il peut créer des filiales ou prendre des participations dans des sociétés, groupements ou organismes ayant un objet connexe ou complémentaire. La gestion de ces filiales est autonome au plan financier dans le cadre des objectifs du groupe ; elles ne peuvent notamment pas recevoir les concours financiers de l'État prévus au paragraphe Il de l'article 24 de la présente loi. Les modalités de gestion des autres réseaux ferroviaires ouverts au public sont fixées par des textes particuliers ».
Qu'une telle erreur ait été commise par un parlementaire qui fut, un temps, ministre de l'industrie, est assez regrettable.
En outre, l'article 19 de la même loi d'orientation précisait : « Les biens immobiliers dépendant du domaine public ou privé antérieurement concédés à la société anonyme d'économie mixte créée le 31 août 1937 sont remis en dotation à l'établissement public. Les biens immobiliers des autres réseaux de chemins de fer appartenant à l'État peuvent être remis en dotation à l'établissement public par décret en Conseil d'État, sans préjudice des droits d'exploitation qui auraient pu être accordés antérieurement. Les biens mobiliers antérieurement concédés à la société anonyme sont attribués en toute propriété et à titre gratuit à l'établissement public. Les biens mobiliers des autres réseaux de chemins de fer appartenant à l'État peuvent être attribués en toute propriété et à titre gratuit à l'établissement public par décret en Conseil d'État, sans préjudice des droits d'exploitation qui auraient pu être accordés antérieurement ».
La SNCF n'est donc pas une société anonyme mais un établissement public à caractère industriel et commercial qui s'est édifié sur la dissolution et la transformation d'une société anonyme. Il était juste de transformer la SNCF en Épic mais ce qui ne l'est pas, aujourd'hui, c'est d'accomplir le chemin inverse avec La Poste, que vous voulez transformer en proie future des spéculateurs financiers en réduisant le plus possible le capital de cette future société anonyme ! (Applaudissements à gauche)
Mme la présidente. - Je vous donne acte de votre rappel au Règlement.
M. Michel Teston. - Notre interlocuteur a changé : hier, nous avions affaire à M. Estrosi, qui a été peu agréable avec un certain nombre d'entre nous. (Exclamations à droite)
Il a annoncé qu'il allait si bien verrouiller le statut de la SA qu'il ne serait pas possible de la privatiser par la suite. Après ce qu'a annoncé M. Guaino, M. Estrosi aurait-il été désavoué par le chef de l'État ?
M. Roland Courteau. - C'est certain !
M. Michel Teston. - La présence de M. Mercier nous assure-t-elle que nous allons enfin avoir un interlocuteur avec lequel nous allons pouvoir dialoguer ? Nous connaissons la rondeur de M. le ministre et sa façon d'aborder les problèmes. Notre interprétation est-elle la bonne ? Il y a une telle cacophonie dans l'exécutif que l'on peut légitimement s'interroger sur ce qui se passe.
M. Daniel Raoul. - Tout en espérant que la tonalité des réponses va changer, je tiens à faire quelques remarques sur ce qui s'est passé hier. Mes excellents collègues du groupe socialiste ont fait un travail remarquable, en particulier le chef de file M. Teston, mais je n'ai pas du tout apprécié certaines remarques et jugements de M. Estrosi
M. Alain Gournac. - Il n'est pas là !
M. Daniel Raoul. - C'est bien regrettable car je le lui aurais dit en face. Il a qualifié certains amendements d'inutiles. De quel droit le ministre se permet-il de porter un tel jugement ? Il est simplement invité à écouter notre assemblée. Qu'il laisse le Parlement faire son travail et se prononcer sur la valeur ajoutée des différents amendements.
En outre, un ministre doit garder une certaine dignité et neutralité vis-à-vis des parlementaires. Lorsque j'ai entendu M. Estrosi dire à un collègue qu'il n'était pas un homme d'honneur, j'ai été révulsé car ce sont des propos tout à fait déplacés.
M. Pierre Hérisson, rapporteur de la commission de l'économie. - Il n'a pas dit ça !
M. Daniel Raoul. - Mais si, il faut écouter, monsieur le rapporteur, cela a été dit en séance de nuit ! Je souhaite que ces propos soient en partie effacés par votre présence, monsieur Mercier, dont on a déjà loué la rondeur. Je suis persuadé que vous serez plus élégant et courtois que votre collègue. (Applaudissements socialistes)
M. Pierre Hérisson, rapporteur. - Vous jouez la montre !
M. Michel Mercier, ministre de l'espace rural et de l'aménagement du territoire. - Je ne me vexe pas que vous me disiez que je suis un peu rond. Je suis là très temporairement, puisque M. Estrosi répond aux questions à l'Assemblée nationale.
M. Daniel Raoul. - S'il le fait sur le même ton qu'ici !
M. Michel Mercier, ministre. - Je reviendrai demain pour présenter les articles relatifs à l'aménagement du territoire. Ce projet de loi est porté par tout le Gouvernement et M. Estrosi en est plus particulièrement chargé, en tant que ministre chargé de l'industrie.
M. Daniel Raoul. - Et pas M. Guaino ?
M. Michel Mercier, ministre. - Ne soyez pas pire que ce que vous avez reproché au ministre, sinon tous vos arguments s'effondreront par votre faute. Je ne peux que vous inviter à la sérénité, au travail et à l'étude du texte ! (Applaudissements au centre et à droite)
Discussion des articles (Suite)
Articles additionnels avant l'article premier (Suite)
Mme la présidente. - Amendement n°10, présenté par M. Danglot et les membres du groupe CRC-SPG.
Avant l'article premier, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
La France demande la renégociation des directives européennes de libéralisation du secteur postal.
Mme Évelyne Didier. - Nous souhaitons que la France renégocie les directives européennes qui prévoient la libéralisation du secteur postal.
M. Josselin de Rohan. - Jospin a mal négocié !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Il s'est passé tellement de choses depuis.
Mme Évelyne Didier. - Depuis l'adoption de ces directives, la crise est survenue et même certains de vos amis, monsieur de Rohan, ont compris que la libéralisation à tous crins n'était pas une bonne idée.
La Commission européenne a imposé une ouverture à la concurrence du secteur postal, contre l'avis de la France en 1997 et contre le Parlement européen qui, en 1997 et 2000, a tenté de freiner ce processus. En 2007, onze pays ont exigé un sursis, au moins jusqu'en 2013. Pour respecter l'avis des représentants des citoyens, nous demandons que soient renégociées la directive européenne de 1997 dite « directive postale cadre », qui définit un service universel minimum et introduit le principe d'une ouverture progressive du marché, celle de 2002, qui pose les étapes de la libéralisation du secteur, et celle de 2008 sur l'achèvement du marché intérieur des services postaux de la communauté, qui fixe au 31 décembre 2010 l'échéance pour la libéralisation totale.
Cette libéralisation a des effets désastreux et l'expérience des pays ayant ouvert ce secteur à la concurrence est probante. En Allemagne, les points de contact postaux sont passés de 30 000 à 13 000, et il est envisagé de les réduire à 5 000. En Suède, le taux d'accessibilité au service postal est un des plus mauvais en Europe. En Espagne, le service postal direct n'est plus assuré dans les zones rurales non rentables.
La Commission européenne et le gouvernement français tiennent un discours idéologique, au mépris des conséquences dramatiques de l'ouverture à la concurrence du secteur postal. Cette libéralisation est incompatible avec la réalisation de missions de service public comme l'application d'un tarif unique et égalitaire ou l'acheminement du courrier sur tout le territoire.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Nos collègues le savent dans leur village.
M. Pierre Hérisson, rapporteur. - S'il est un sujet sur lequel le Sénat s'est penché depuis quelques années, c'est bien celui-là. Il a émis un voeu, puis la France a obtenu, il y a un peu plus de deux ans, que l'ouverture totale à la concurrence ait lieu en 2011 et non en 2009. Votre demande n'est pas réaliste, d'autant que le traité de Lisbonne est ratifié depuis hier par tous les États membres. (Applaudissements à droite)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Hélas !
M. Pierre Hérisson, rapporteur. - Nous n'allons pas remettre en cause ce qui peut être qualifié, pour reprendre l'expression de Guy Fischer, comme un joyau de la coproduction et de la cohabitation. Avis défavorable.
M. Michel Mercier, ministre. - J'aimerais vous faire plaisir mais vous souhaitez renégocier toutes les directives depuis 1997. On ne peut tout refaire en un après-midi et, en vertu de la séparation des pouvoirs, le Parlement ne peut donner d'instructions au Gouvernement. (Applaudissements à droite)
M. Daniel Raoul. - Et réciproquement !
M. Michel Mercier, ministre. - Il revient à l'exécutif seul de conduire les négociations. Je suis obligé de donner un avis défavorable à votre amendement.
M. Michel Teston. - Le financement du service universel postal est largement assuré grâce au secteur réservé, qui consiste en un monopole résiduel pour les plis de moins de 50 grammes. Pierre Hérisson et Michel Mercier ont évoqué la directive de 1997 : elle crée ce service universel, que le gouvernement de l'époque a sauvé car en juin 1997, après la dissolution, rien n'était garanti. Le gouvernement Jospin n'est pas responsable de la situation. (M. Roland Courteau approuve) Et le processus a été beaucoup accéléré en 2002.
Il n'est pas anormal de demander à revenir sur la suppression du service réservé. Face à la crise, de nombreux pays européens préféreraient maintenir ce système, qui est mieux adapté et plus sûr que celui proposé par ce texte. Vous le savez parfaitement : ainsi le rapporteur a qualifié d'usine à gaz le fonds de compensation qui s'applique déjà pour les opérateurs de téléphone fixe.
Nous soutenons la demande du groupe CRC. (Applaudissements à gauche)
Mme Isabelle Pasquet. - Les dispositions imposant l'ouverture des services postaux à la concurrence d'ici 2011 ont été entérinées d'une manière très contestable, sans véritable consensus et au mépris de la volonté des États et des peuples. En refusant de renégocier ces directives, le Gouvernement se rallie à la volonté de la Commission européenne et refuse de reconnaître les conséquences de l'ouverture à la concurrence sur la qualité des services fournis.
Quand le statut de France Télécom a été changé, il n'était pas question d'une privatisation. Treize ans après, l'État ne dispose même plus d'une minorité de blocage. La politique de la société est dictée par les impératifs du marché et les actionnaires. Les suicides des salariés harcelés et précarisés sont révélateurs des conditions de travail du personnel. (M. Roland Courteau approuve)
Le refus de renégocier les dispositions européennes et la volonté du Gouvernement de privatiser La Poste révèlent un projet politique et idéologique, pour la France et pour l'Europe, qui se construit par et pour le marché, l'entreprise et le profit, en ignorant l'impact du dogme libéral sur les conditions de travail des salariés et la qualité des services. Ces directives n'imposent aucun statut particulier aux entreprises. Hypocritement, le Gouvernement prétend le contraire. Si les besoins de financement de La Poste sont estimés à 3 milliards d'euros, c'est dérisoire au regard des sommes débloquées par l'État pour les banques : il les aide, elles qui sont à l'origine de la crise, et sacrifie les services publics... alors que les activités bancaires de La Poste sont, contrairement à celles des autres banques, soumises à des règles garantissant des missions de service public.
M. Daniel Raoul. - Comme l'a relevé Michel Teston, la question du secteur réservé est fondamentale. Le Parlement n'a pas de consignes à donner au Gouvernement mais ce dernier doit quelquefois suivre l'avis du Parlement. Sinon, que signifie la coproduction dont il est tant question ?
Dans ma ville, le secteur réservé est déjà mis en concurrence par des entreprises qui distribuent des plis de moins de 50 grammes. C'est inadmissible. Demandez à Christian Estrosi de vérifier si ce secteur est bien réservé car sa survie est en cause. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
L'amendement n°10 n'est pas adopté.
Mme la présidente. - Amendement n°359, présenté par M. Teston et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.
Avant l'article 1er, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le Gouvernement négocie au niveau européen une directive-cadre relative aux services d'intérêt général avant l'entrée en vigueur des dispositions portant transposition de la directive 2008/6/CE du 20 février 2008.
Mme Bernadette Bourzai. - Nous tenons à rappeler que Lionel Jospin a exigé, lors du Conseil européen de Barcelone de mars 2002, que l'adoption d'une directive cadre sur les services d'intérêt général soit une condition sine qua non de leur ouverture à la concurrence.
Mais les gouvernements successifs depuis 2002 ne se sont pas sentis tenus par cet engagement. Pour relancer le débat, notre groupe avait déposé, il y a un an, une proposition de résolution européenne, débattue par le Sénat le 30 avril dernier. Celle-ci traçait les grandes lignes d'une directive cadre sur les services publics, dont l'existence aurait permis de maintenir le secteur réservé qui, s'il représente seulement 30 % de l'activité, n'en finance pas moins le service universel. J'ajoute que le groupe socialiste du Parlement européen avait, de son côté, élaboré un projet de directive qui n'a pas été, hélas !, débattu.
Pour rattraper ce temps perdu, proposons la création d'un poste de commissaire européen aux services publics -vous me rétorquerez que l'on ne commande pas à M. Barroso, c'est bien dommage !-...
Mme la présidente. - Veuillez conclure.
Mme Bernadette Bourzai. - ...et demandons à M. Barnier, s'il est effectivement nommé au poste important de commissaire au marché intérieur, de mettre prioritairement en oeuvre l'article 14 du nouveau traité et, donc, de travailler à l'élaboration d'une directive cadre sur les services publics que les socialistes, les syndicalistes et les citoyens européens... (Marques d'impatience aux bancs de la commission et du Gouvernement)
M. Pierre Hérisson, rapporteur. - Et le respect du Règlement, qu'en faites-vous ?
Mme Bernadette Bourzai. - ...appellent de leur voeux depuis de longues années.
Mme la présidente. - Madame Bourzai, vous avez fait un large usage de votre temps de parole.
M. David Assouline. - C'est pour compenser le temps que M. Hérisson n'utilise pas !
Mme Bernadette Bourzai. - Cette directive cadre est, pour nous, un préalable absolu à l'ouverture à la concurrence et, en l'espèce, à la transposition de la directive 2008/6/CE. (Applaudissements à gauche)
M. Pierre Hérisson, rapporteur. - Les auteurs de l'amendement font allusion à la proposition de résolution de Mme Tasca dont j'ai été le rapporteur en avril dernier. Le Sénat a alors considéré que la Commission européenne devait prendre des initiatives en vue de conforter les services d'intérêt général, mais qui ne devaient pas nécessairement prendre la forme d'une directive cadre. Avis défavorable, d'autant plus que les délais sont manifestement irréalistes avant l'ouverture à la concurrence.
M. Michel Mercier, ministre. - Madame Bourzai, je vous donnerai une réponse identique à celle que je viens de faire à votre collègue il y a quelques instants.
M. David Assouline. - Vous n'avez rien à dire !
M. Michel Mercier, ministre. - Monsieur Assouline, ne commencez pas à interrompre dès votre arrivée ! (« Bravo ! » à droite)
Je ne peux pas accepter cet amendement qui relève de l'injonction au Gouvernement. Je vous ai entendus et je transmettrai au Premier ministre, mais puis-je vous rappeler que la transposition des directives européennes est une obligation constitutionnelle ? Le Conseil d'État l'a rappelé vendredi dernier en rendant une décision dans l'affaire « Perreux » sur les actions individuelles fondée sur une directive non transcrite en droit interne. Avis défavorable.
M. Martial Bourquin. - Quel manque d'ambition ! (Sourires)
M. Robert Navarro. - J'invite le Sénat à voter cet amendement pour combler le vide cruel qui existe dans la législation communautaire concernant les services publics. La présidence française aurait pu avancer sur ce sujet-clé...
M. Roland Courteau. - Juste !
M. Robert Navarro. - ...mais elle n'a rien fait. Monsieur le ministre, espérons que vous transmettrez notre message de façon efficace car l'élaboration d'un cadre juridique, pour laquelle nous militons depuis des années, est plus que jamais indispensable. Les règles du marché intérieur ne peuvent pas s'appliquer aux services publics. Les collectivités locales, les associations, les mutuelles et les syndicats en ont assez du flou juridique qui entoure leur activité et ce n'est pas à la Cour de justice des communautés européenne de le dissiper. Que le Gouvernement prenne ses responsabilités !
M. Jean Desessard. - Je voterai pour l'amendement mais je n'ai pas très bien compris la position de notre rapporteur... Il nous a dit : « j'étais rapporteur de la proposition de Mme Tasca » et « aujourd'hui, c'est trop tard ». Donc, si je comprends bien, la proposition arrivait au bon moment. Monsieur Hérisson, qu'avez-vous fait après la discussion de la proposition de résolution...
M. David Assouline. - Rien !
M. Jean Desessard. - ...qui nous aurait dissuadés de déposer aujourd'hui un amendement ?
L'amendement n°359 n'est pas adopté.
Mme la présidente. - Amendement n°263, présenté par MM. Desessard, Muller, Mmes Blandin, Boumediene-Thiery et Voynet.
Avant l'article 1er, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Avant le 1er janvier 2010, il est instauré une commission indépendante d'évaluation, composée de façon paritaire par des représentants de l'État, des salariés de La Poste, des associations d'usagers et de membres du parlement.
Cette commission est chargée de procéder à l'évaluation objective et contradictoire pour La Poste du coût précis du service postal universel et des obligations qu'il comporte ainsi que le montant de la perte de recettes qu'implique la suppression du secteur réservé.
Cette commission présente au Parlement les résultats de son évaluation avant le 1er janvier 2011.
Mme Marie-Christine Blandin. - Nous proposons une évaluation objective et contradictoire du coût du service universel et du montant de la perte de recettes qu'entraîne la suppression du secteur réservé par une commission indépendante et paritaire. Par cet amendement, nous voulons montrer que votre prétendue modernisation de La Poste procède, en réalité, du démantèlement en vous obligeant à sortir du flou et à préciser quel sera le coût du service universel lorsqu'il ne sera plus financé par le secteur réservé. Sur ce point, la directive européenne ne dit presque rien, le rapport Ailleret est quasi muet, le rapporteur mentionne pour l'opérateur un surcoût net de 1 milliard par an. Si les régions avaient été aussi peu exigeantes en matière de comptabilité avec la SNCF lors de l'évaluation du coût du transfert des TER...
M. Jean Desessard. - Très bien !
Mme Marie-Christine Blandin. - ...elles auraient été accusées de brader l'argent du contribuable. Je n'imagine pas que l'État soit moins vigilant que le sénateur Haenel qui avait été mandaté par l'ARF dans les années 1990, à moins que tout cela ne cache la liquidation volontaire. La perspective du fonds de compensation n'est guère rassurante quand France Télécom expérimente, pour y être adossé, la contestation permanente des coûts et les marchandages. Ensuite vient la tentation de céder aux nouveaux entrants pour les attirer... Nous refusons la spirale qui consiste à transformer l'usager en consommateur et le consommateur en seul consommateur ayant les moyens de s'offrir le service ainsi que les salariés en victimes...
Mme la présidente. - Veuillez conclure.
Mme Marie-Christine Blandin. - D'ailleurs, le Conseil économique et social, dans son avis, a clairement estimé que le financement durable du service universel n'était pas garanti dans ce texte. Monsieur le ministre, nous attendons des comptes sérieux et, donc, une commission indépendante d'évaluation ! (Applaudissements à gauche)
M. Didier Guillaume. - C'est indispensable !
M. Pierre Hérisson, rapporteur. - Vous trouverez les réponses à vos interrogations dans le rapport Ailleret.
M. Jean Desessard. - (L'orateur brandit ledit rapport) Faux ! Il n'y a rien !
M. Pierre Hérisson, rapporteur. - L'article L. 2-2 du code des postes et des communications électroniques prévoit que le fonds de compensation est alimenté par des contributions dont le montant est déterminé par l'Arcep. Ce mécanisme, précisé à l'article 16 du texte, permettra à La Poste de financer le service universel. Avis défavorable.
M. Michel Mercier, ministre. - Oui, nous avons besoin de connaître le coût réel du service universel pour déterminer le montant des contributions.
M. Michel Teston. - En effet !
M. Michel Mercier, ministre. - Nous tiendrons compte des orientations données dans l'annexe 1 de la troisième directive postale pour calculer le coût du service universel dans un décret.
Et c'est l'Arcep, autorité indépendante, qui est chargée d'évaluer ce coût. Le projet de loi le prévoit dans son article 14. Retrait sinon rejet.
Mme la présidente. - Je vous rappelle que l'auteur d'un amendement dispose de trois minutes pour l'exposer et que chacun ensuite a cinq minutes pour expliquer son vote. Je vous demande de respecter ces délais sinon, par souci d'équité, je vous couperai la parole. (Applaudissements à droite)
M. Jean Desessard. - Monsieur le ministre, vous auriez pu remercier Mme Blandin d'avoir déposé un amendement positif, qui n'a rien d'une obstruction mais qui s'intéresse aux finances publiques et au sérieux de l'État. Moi je le fais : merci madame Blandin ! (Rires et applaudissements à gauche)
Et que lui répondez-vous ? Que la directive a admis un mode de calcul. Mais quel est le résultat de ce calcul ?
Quant au rapporteur, il nous dit que le rapport Ailleret a donné un chiffre. Mais lequel ?
M. Pierre Hérisson, rapporteur. - Il a dit que le service universel était bénéficiaire.
M. Jean Desessard. - Le seul chiffre dont nous disposions, c'est celui de La Poste. Alors, quoi de plus normal que de le vérifier ? Mais non, vous faites confiance à La Poste !
Tout cela n'est pas sérieux. Il faut une commission indépendante de La Poste, composée paritairement, pour chiffrer le coût de ce service universel. Il serait incompréhensible de le refuser. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. Didier Guillaume. - Je vais utiliser la minute et demie inutilisée par M Desessard pour faire remarquer que, depuis deux jours, à chaque fois que nous prenons la parole ou présentons un amendement, vous dites que nous faisons de l'obstruction. (M. Daniel Laurent le confirme) Hier soir, si nous avons perdu du temps, c'est que, comme vous étiez minoritaires, vous avez multiplié les scrutins publics. (Applaudissements sur les bancs socialistes).
Ici, nous faisons une proposition, bien que le ministre, ce matin, ait dit qu'un facteur à vélo irait toujours plus vite qu'un parti socialiste à l'arrêt. Nous faisons une vraie proposition sur laquelle nous pourrions tous être d'accord. Car où est le problème : une commission indépendante ne met personne en cause !
M. Pierre Hérisson, rapporteur. - Et l'Arcep ?
M. Didier Guillaume. - Il n'y a pas de représentant du Sénat à l'Arcep !
M. Jean-Paul Emorine. - Et l'indépendance ?
M. Didier Guillaume. - Ah bon ? Les sénateurs ne sont pas indépendants ? Voilà qui est nouveau... Chacun de nos amendements est retoqué.
M. Gérard Cornu. - Normal, ils ne sont pas bons !
M. Didier Guillaume. - Faut-il en conclure que le Parlement ne sert plus à rien et que, comme l'a dit M. Longuet, nous avons systématiquement tort parce que nous sommes minoritaires ? Cet amendement est constructif et chaque sénateur doit partager notre intérêt pour La Poste. Il n'y a rien dans le rapport Ailleret... (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. David Assouline. - D'une façon générale, on veut faire croire à l'opinion que nos entreprises nationales sont déficitaires et qu'il leur faut absolument chercher des revenus dans un système concurrentiel. Un seul exemple, que je cite comme membre de la commission de la culture : on veut changer le statut de l'AFP. Pour la moderniser ? Ce serait acceptable. Mais non, c'est parce qu'elle serait en déficit structurel. Or, depuis 2002, elle a toujours été bénéficiaire. Le problème n'est donc pas financier
Ici, nous demandons seulement une visibilité. Le rapporteur a dit que le service universel était « bénéficiaire ». Alors, répétez-le donc à l'opinion ! Et si vous voulez qu'on injecte de l'argent dans le capital de La Poste, c'est pour autre chose. Si c'est pour en faire une entreprise commerciale, nous n'en avons rien à faire. Nous, nous voulons que les citoyens français aient les services publics qu'ils méritent !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - La majorité ne cesse de dire que le Parlement a une mission d'évaluation. Nous avons besoin d'un organisme évaluateur : vous qui êtes friands d'autorités indépendantes, vous devez voter cet amendement.
M. Patrice Gélard. - Le mode de fonctionnement du Sénat a changé depuis la révision constitutionnelle mais certains ne s'en sont pas rendu compte. Le texte issu des travaux de la commission est le texte de la majorité. Dès lors, il est normal qu'avec le rapporteur, elle refuse tous les amendements extérieurs. (Applaudissements à droite ; protestations à gauche)
M. David Assouline. - C'est un aveu : plus besoin de la séance !
M. Martial Bourquin. - Monsieur le doyen, à chaque fois que vous intervenez, vous faites de la politique. Mais de grâce, ne vous cachez pas derrière le droit pour faire de la politique !
Un débat d'idées devrait pouvoir aboutir de temps à autre à un consensus sur une question essentielle et d'intérêt général. Quand votre opposition vous parle, vous devriez au moins l'écouter pour voir si on peut arriver à un consensus constructif.
M. Patrice Gélard. - La commission est faite pour ça !
M. Martial Bourquin. - Vous venez de dire tout haut ce que beaucoup d'entre vous pensent tout bas. M. Estrosi avait promis de prendre en compte chaque amendement intéressant.
M. Daniel Laurent. - Il n'y en a pas !
M. Martial Bourquin. - Mais non, c'est « Circulez, il n'y a rien à voir ». Il y a le groupe UMP, ses satellites, et rien d'autre. Réfléchissez donc un peu ! (Protestations à droite) Une opposition sert à quelque chose, il lui arrive de soulever de vrais problèmes. Mais si tout ce que nous proposons est nul et non avenu, votre conception du débat est d'un archaïsme épouvantable. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. Daniel Raoul. - Je suis heureux de l'intervention du doyen Gélard : elle traduit clairement l'état d'esprit de la majorité face à l'opposition. J'avais cru comprendre qu'il y aurait coproduction législative en commission... Or, voilà que le doyen Gélard nous annonce « C'est un texte de la majorité » ! A quoi sert l'opposition ?
Je mettrai un bémol quant aux pratiques de la commission des affaires économique où, par exemple, sur le Grenelle I, des propositions de l'opposition ont été prises en compte.
Si le doyen Gélard a exprimé le fond de la pensée de la majorité...
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - C'est très grave !
M. Daniel Raoul. - ...cela pose un problème sur le fonctionnement du Parlement : à quoi peut bien servir l'opposition dans cet hémicycle si le texte de la commission devient la pensée unique de la majorité ?
M. Jean-Jacques Mirassou. - Le doyen a l'art de ranimer une assistance en voie d'apaisement.
Il est doyen ; d'autres sénateurs sont parés de divers titres universitaires, sans dévoyer pour autant le rôle de notre assemblée. Aujourd'hui, vous avez parlé plus en Saint-Jean Bouche d'Or qu'en doyen.
Si vos propos reflètent l'opinion majoritaire quant aux rôles de l'opposition et du Sénat, c'est grave ! Cette approche trouve au moins ses limites lorsque, comme cette nuit, la majorité est introuvable en raison de la désaffection des élus UMP. (Protestations à droite) Nous n'accepterons jamais que le Sénat devienne la métairie du Gouvernement !
Mme Marie-Christine Blandin. - A en croire M. Gélard, l'immobilisme de la majorité sur le texte discuté serait justifié par le fait que le débat aurait déjà eu lieu en commission.
Ainsi, seuls les membres de la commission saisie au fond pourraient légitimement participer à la rédaction du texte final. Dans ce cas, allez jusqu'au bout du raisonnement et fermez l'hémicycle aux parlementaires non membres de la commission ! (On approuve à gauche)
Si j'en avais eu le temps, j'aurais expliqué à M. Desessard la pertinence de l'amendement pour qu'il le défende en commission, mais entre l'Office parlementaire et le rapport sur la grippe, je n'ai pu le faire. J'essaie donc de mobiliser en toute transparence mes collègues présents dans l'hémicycle, avec la légitimité conférée par la présidence de la première région à avoir accepté la gestion décentralisée des trains express régionaux (TER). Grâce à M. Haenel, nous avons commandé un audit très complet, pour nous apercevoir que ce service public à la française ignorait ses coûts, des conducteurs aux gares, en passant par les cartes de réduction et les contributions régionales en faveur des étudiants.
M. Daniel Laurent. - Revenons-en au sujet !
Mme Marie-Christine Blandin. - Un travail semblable sur le service postal pourrait nous éclairer sur le coût d'une lettre envoyée dans un village à l'autre bout de la France, acheminée à vélo, en camionnette ou par tout autre moyen. Mais vous ne voulez pas le savoir car vous allouez une somme insuffisante, ce que vous refusez de dire aux Français : lorsqu'on ne donne pas assez de moyens au service public, on le tue ! (Applaudissements sur les bancs socialistes)
Mme Marie-France Beaufils. - Je suis surprise par M. Gélard car notre organisation du travail ouvre la discussion à tous les parlementaires, même lorsqu'ils ne sont pas membres d'une commission saisie.
Chacun de nous a sa propre connaissance du terrain. Comme Mme Blandin, nous éprouvons des difficultés à connaître les coûts des services publics. Je participe au groupe d'études sur La Poste. Aucune personne auditionnée, notamment M. Ailleret, n'a pu fournir sur le coût du service universel de précisions aussi rigoureuses que celles évoquées par Mme Blandin.
Dire aujourd'hui « Circulez, il n'y a rien à voir après le travail de la commission » est un manque de respect envers les élus que nous sommes et qui ne siègent pas dans cette commission.
Consacrant une semaine à ce sujet important pour la présence postale sur l'ensemble du territoire, nous sommes suffisamment nombreux pour que vous renonciez à l'autisme qui vous a gagnés depuis lundi. Écoutez nos arguments : contrairement à ceux que vous avez utilisés ce matin, ils ne sont pas politiciens !
M. Jacques Mézard. - M. Gélard n'a pas le monopole du droit ! (On apprécie à gauche) Il prétend qu'aucun amendement n'est recevable puisque le texte de la commission convient à la majorité. Dans ce cas, des amendements présentés par le groupe UMP ou par des sénateurs non inscrits devraient subir le même sort. Ce ne serait pas une bonne chose.
N'ayant été élu que récemment dans cette assemblée, je m'exprime avec humilité mais la quasi obligation du vote conforme à propos du travail dominical n'est pas un bon exemple de démocratie. (Applaudissements sur les bancs socialistes et du RDSE)
Mme Catherine Tasca. - Je reviens au mode de fonctionnement évoqué par M. Gélard. La révision constitutionnelle et la réforme de notre Règlement étaient censées renforcer le rôle du Parlement et rééquilibrer les pouvoirs.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - On le voit tous les jours !
Mme Catherine Tasca. - Lorsque nous avons modifié le Règlement, on nous a répété que le droit d'amendement ne subirait aucune atteinte.
N'oublions pas que chaque parlementaire engage sa responsabilité personnelle lorsqu'un texte de loi est discuté. Or, vous refusez l'exercice du droit d'amendement.
M. Patrice Gélard. - Non !
Mme Catherine Tasca. - Seuls sont dignes d'intérêt, à vos yeux, les amendements adoptés par la commission. C'est inacceptable !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - C'est offensant !
Mme Catherine Tasca. - Nous nous sommes accordés un an pour évaluer la nouvelle pratique de notre assemblée. Si la majorité tentait d'utiliser le Règlement pour limiter le droit d'amendement dont dispose l'opposition, nous reprendrions notre liberté envers les nouvelles règles.
Tous les membres du Sénat devraient y réfléchir et respecter l'esprit de la réforme du Règlement, qui n'a pas encore prouvé qu'elle accroissait le rôle du Parlement. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
L'amendement n°263 est mis aux voix par scrutin public à la demande du groupe socialiste.
Mme la présidente. - Voici les résultats du scrutin :
Nombre de votants | 339 |
Nombre de suffrages exprimés | 337 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 169 |
Pour l'adoption | 152 |
Contre | 185 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Mme la présidente. - Amendement n°366, présenté par M. Teston et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.
Avant l'article 1er, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le service public postal assure aux citoyens des tarifs péréqués et abordables sur l'ensemble du territoire.
M. Roland Courteau. - Les activités de La Poste ont toujours un intérêt stratégique et social. Les Français ont témoigné leur attachement à La Poste : ils ont été 2 millions à voter. Pourquoi refusez-vous de les entendre ? Il est curieux qu'un parti politique se défie des électeurs...
Devant l'attitude du Gouvernement, nous tenons, pour notre part, à rappeler certains principes car il est de l'essence même du service public que les tarifs soient modérés et permettent une péréquation : distribuer une lettre dans l'Aude ou dans l'Hérault coûte plus cher que dans Paris. Si la République est une et indivisible, comme l'affirme la Constitution, alors les tarifs doivent être les mêmes sur tout son territoire. Il importe d'affirmer d'emblée ce principe fondamental. Puisque le Gouvernement soumet La Poste aux exigences de la rentabilité, il faut poser des garde-fous ; le coût du service doit rester abordable car La Poste est l'affaire de tous et il faut qu'elle le reste. Nous voulons protéger les usagers et les consommateurs afin que les Français ne soient pas les grands perdants dans cette affaire. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. Pierre Hérisson, rapporteur. - Votre amendement est satisfait par les textes existants, ainsi que par celui qu'a adopté la commission. Les tarifs du service universel sont conformes à cet objectif et l'article 13 prévoit que les tarifs, applicables à l'ensemble du territoire, doivent rester abordables. Retrait ?
M. Christian Estrosi, ministre chargé de l'industrie. - Même avis.
M. Roland Courteau. - Exceptionnellement, nous avons été convaincus par les arguments du rapporteur -mais non par ceux, très brefs, du ministre.
L'amendement n°366 est retiré.
Mme la présidente. - Amendement n°368, présenté par M. Teston et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.
Avant l'article 1er, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le service public postal fournit ses services en répondant aux exigences d'aménagement du territoire.
Mme Jacqueline Alquier. - La première directive postale considérait déjà l'aménagement du territoire comme une exigence essentielle. Cet objectif est considéré comme une raison générale de nature économique pouvant imposer des conditions particulières à l'exécution du service public. On verra si le Gouvernement partage cette exigence. Faut-il rappeler à M. Hérisson qu'il n'y a pas si longtemps, il expliquait que le service public réduit les inégalités dans les faits, qu'il permet d'accéder à des soins ou d'élever ses enfants ? Des services publics efficaces nous protègent, mes fonctions à l'Observatoire de la présence postale m'y rendent particulièrement sensible.
La Confédération européenne des syndicats, qui représente plus d'un million de salariés des postes européennes, a regretté un déficit d'analyse sur l'impact économique et social de la directive ; elle a déploré qu'on ne prenne pas en compte la cohésion sociale et territoriale. Personne ne peut accepter que celle-ci fasse les frais de la troisième directive. Puisque vous dites être réellement attachés à la promotion du service public, vous devez apporter des garanties à cet égard et encourager les États membres à se saisir de cette exigence alors que le traité de Lisbonne va peut-être entrer en vigueur. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. Pierre Hérisson, rapporteur. - On ne peut qu'approuver une telle disposition. L'aménagement du territoire figure déjà parmi les missions de La Poste qu'affirme le texte adopté par la commission. Il n'y a pas besoin de le répéter et M. Mercier pourra vous répondre. Retrait ?
M. Daniel Raoul. - Quel article ?
M. Michel Mercier, ministre - L'article 2. Le Gouvernement a le même avis. Avec le service universel postal, la loi inclut l'aménagement du territoire et l'accessibilité. De plus, nous avons accepté en commission qu'on mentionne les 17 000 points de contact postal. L'amendement est satisfait. Je comprends que vous l'ayez déposé et défendu, mais vous pouvez le retirer.
M. Michel Teston. - Pour une fois qu'une directive européenne comporte un élément positif...
M. Michel Charasse. - Une erreur !
M. Michel Teston. - Si une exigence essentielle peut être prise en compte dans l'organisation d'un service public, pourquoi diable ne pas la mettre en chapeau à ce projet ? Quel problème cela vous pose-t-il de l'inscrire dans le texte ?
M. Jean Desessard. - L'idée générale, c'est que nous sommes tous pour l'aménagement du territoire. C'est quand il faut payer que cela se complique.
M. Michel Mercier, ministre. - Je vais vous répondre !
M. Jean Desessard. - Il faut en effet assurer le service public, même quand ce n'est pas rentable, si l'on veut lutter contre la désertification. Alors, bien sûr, nous sommes satisfaits mais, au risque d'être exigeant, je vais vous demander de me donner une plus grande satisfaction.
M. Michel Charasse. - Satisfait ou remboursé ?
M. Jean Desessard. - Dites-nous quels moyens vous allez mettre. Je ne vous demande pas de les détailler bureau par bureau -on n'aurait pas fini dimanche- mais de nous assurer que nous aurons des bureaux remplissant les dix-sept fonctions de La Poste et non pas deux ou trois, comme dans les points commerciaux. Ne pouvez-vous, même grossièrement, nous donner quelques informations ?
M. Michel Mercier, ministre. - Pour vous être agréable, je préciserai que les obligations d'aménagement du territoire spécifiques à La Poste figurent dans la loi du 12 juillet 1990. Nous les reprenons aujourd'hui mais elles sont déjà dans la loi, c'est pour cela que votre amendement est satisfait.
M. René-Pierre Signé. - L'aménagement du territoire est important et La Poste joue un rôle prépondérant en la matière. Je connais des gens qui s'abonnent à un journal uniquement pour voir le facteur tous les jours car ils souffrent de l'isolement, pire encore que la solitude.
Je suggère un élargissement des fonctions de La Poste. Il y a déjà la Banque postale, cette banque des pauvres, celle à laquelle s'adressent ceux qui n'iraient pas dans une autre banque ; pourquoi le facteur n'apporterait-il pas des services supplémentaires ?
M. Michel Mercier, ministre. - C'est l'objet de l'article 2.
M. Marc Laménie. - L'aménagement du territoire est réellement au coeur de nos préoccupations. Nous sommes tous ici convaincus de sa nécessité, d'autant que beaucoup d'entre nous sont élus de petites communes. M. Mercier nous a rassurés : les critères d'aménagement du territoire sont réellement pris en compte. Notre époque travaille beaucoup dans le virtuel, les postiers méritent qu'on prenne en compte le réel.
M. Gérard Le Cam. - Nous soutenons l'amendement n°368. Nous sommes particulièrement attachés à l'aménagement du territoire. Les 20 % de ruraux que nous sommes souffrent chaque fois que les beaux messieurs de La Poste viennent nous expliquer qu'il faut fermer un bureau le mardi matin ou le mercredi après-midi. Et les commissions départementales n'y peuvent mais. Sur l'aménagement du territoire, il y a bien lieu à référendum -on pourrait regrouper les deux questions !
Le Gouvernement s'apprête à dynamiter nos communes et nos départements. C'est faire sauter l'héritage de 1789. Je veux rappeler l'action d'un député des Côtes-du-Nord, Alexandre Glais-Bizoin, qui, entre 1839 et 1847, s'est battu pour le tarif postal unique, qui n'a été adopté qu'en 1848. Quand il est mort, sous la IIIe République, Alexandre Glais-Bizoin était encore conseiller municipal de Saint-Brieuc. Évoquer son souvenir, c'est vous dire combien nous sommes attachés à l'égalité de tous nos concitoyens.
On voit bien à quoi ressemble La Poste dont vous rêvez pour demain : une énorme boîte à lettres au bout de la rue, des tarifs encore plus différenciés qu'aujourd'hui, les personnes éloignées devant payer encore plus cher.
Bref, votre prétendue modernité est un recul de société. (Applaudissements sur les bancs CRC)
M. Daniel Raoul. - Je suis navré mais la loi de 1990 ne fait aucune allusion à l'aménagement du territoire. Nous souhaitons que cette notion soit inscrite en préambule de cette loi -dont l'article 2 ne dit rien non plus de l'aménagement du territoire sinon pour préciser que La Poste « contribue par son réseau à l'aménagement du territoire ».
Inscrire les précisions que nous souhaitons en préambule de la loi, cela ne mange pas de pain !
M. Pierre Hérisson, rapporteur. - On peut effectivement aller chercher des références par numéro d'article... Je me contenterai de vous rappeler que l'article 6 de la loi de 1990 dispose bien que « La Poste contribue à l'aménagement du territoire ».
Nous sommes ici avant l'article premier. Un certain nombre des points que vous évoquez en préambule vont être satisfaits au fur et à mesure de l'examen des articles. Faites-moi confiance en cela et nous pourrons, à la fin des débats, enrichir la loi avec certaines de vos propositions. (Marques d'intérêt sur les bancs CRC)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Ah ! Cela commence à devenir sérieux.
M. Simon Sutour. - Je prends à témoin l'ensemble de nos collègues : on nous dit que l'aménagement du territoire est déjà dans la loi, peut-être, je n'y suis pas allé voir, mais nous constatons tous que des bureaux de poste ferment une demi-journée par ci, une autre par là. C'est un lent équarrissage.
Qui peut le plus peut le moins : si nous sommes d'accord sur le fond, acceptez notre amendement. Ou alors dites avec M. Gélard « vous pouvez chanter, le débat continue ».
Un peu d'ouverture nous ferait progresser plus vite. Chacun prendra ses responsabilités et les assumera devant nos concitoyens. (Applaudissements à gauche)
Mme Jacqueline Alquier. - J'ai bien entendu M. le rapporteur, qui parle de confiance. Mais nous restons vigilants et maintenons notre amendement.
L'amendement n°368 n'est pas adopté.
Mme la présidente. - Amendement n°354, présenté par M. Teston et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.
Avant l'article 1er, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Un moratoire est instauré sur l'entrée en vigueur de la directive 2008/6/CE du 20 février 2008
M. Michel Teston. - L'article 7 de la troisième directive postale interdit désormais aux États membres d'accorder ou de maintenir des droits exclusifs ou spéciaux dans le secteur postal. Or l'arrêt « Corbeau » de la Cour de justice des Communautés européennes, en date du 19 mai 1993, a admis que l'article 90 du traité permettait aux États membres de conférer à l'entreprise qu'ils chargent de la gestion d'un service d'intérêt économique général des droits exclusifs, droits qui peuvent faire obstacle à l'application des règles du traité sur la concurrence dans la mesure où des restrictions à la concurrence sont nécessaires pour assurer l'accomplissement de la mission particulière confiée à l'entreprise titulaire des droits. Les arrêts « commune d'Almelo », du 27 avril 1994, et « International mail Spain », du 15 novembre 2007, vont dans le même sens.
Cette jurisprudence constante n'a pas empêché l'adoption des directives soumettant les services d'intérêt économique général à la loi du marché, ni leur interprétation libérale par Bruxelles. Dans le cas qui nous occupe, aucune étude préalable n'a été menée sur la portée d'une jurisprudence qui fait juridiquement de la nécessité économique et sociale du maintien d'un secteur postal réservé une option aux mains des États.
Un moratoire est donc indispensable, le temps de s'assurer que les droits exclusifs et spéciaux ne peuvent être invoqués. Nous souhaitons que le Gouvernement se rapproche de ses homologues européens pour l'obtenir. Il devrait trouver des alliés dans un contexte marqué par une profonde crise économique, financière et sociale.
M. Pierre Hérisson, rapporteur. - La France a déjà obtenu le report de deux ans de l'entrée en vigueur de la directive, nous y avons tous deux contribué, monsieur Teston.
M. Michel Charasse. - Encore une minute, monsieur le bourreau...
M. Pierre Hérisson, rapporteur. - Le processus a été lancé il y a plus de dix ans. Je le redis : les questions liées à la transposition de la directive sont traitées au titre II, lors de l'examen duquel des compromis pourront sans doute être trouvés. Je souhaite le retrait.
M. Christian Estrosi, ministre. - L'amendement n'est pas inintéressant, mais il aurait en effet mieux sa place au titre II. Dois-je rappeler que le processus a été engagé par la première directive du 18 décembre 1997 ? C'est grâce à la France que l'entrée en vigueur de celle de février 2008 a été reportée de deux ans. Je souhaite moi aussi le retrait.
M. Michel Charasse. - Je crains que l'amendement ne réponde pas à l'objectif qu'il poursuit. M. Teston a clairement démontré que les directives doivent s'appliquer conformément à la jurisprudence de la Cour de justice ; or ce n'est pas le cas de leur contenu. Je suggère donc de sous-amender l'amendement n°354 pour écrire : « les directives postales de 1997, 2002 et 2008 s'appliquent sous réserve des décisions contraires de la Cour de justice des Communautés. » En d'autres termes, les parties de la directive qui contreviennent à ces décisions ne sont pas opposables à la France. Cela vaut beaucoup mieux qu'un moratoire. Je souhaite que le Gouvernement nous dise avec précision quels articles du texte sont potentiellement concernés.
M. Michel Teston. - La proposition de M. Charasse donnerait à la France la possibilité de ne pas appliquer seule la directive. Ce ne me semble pas la meilleure façon de procéder. Mieux vaut se retrancher derrière les décisions de la Cour de justice pour demander l'ouverture d'une négociation. Il ne serait pas anormal de maintenir le secteur réservé pour ce qui ne représente après tout que 30 % de l'activité courrier et colis.
M. Pierre Hérisson, rapporteur. - Je souhaite à nouveau que cette discussion ait lieu au titre II. Nous solliciterons alors le Gouvernement. Reste que la France ne pourrait décider seule de suspendre l'application d'un accord communautaire.
M. Michel Charasse. - Sur l'ordre de discussion, le rapporteur a raison : je reviendrai au titre II pour dire que les décisions de la Cour, qui sont favorables à nos thèses, doivent d'une façon ou d'une autre être prises en compte dans la loi.
Mme Marie-France Beaufils. - Le maintien d'un secteur réservé doit aussi être apprécié au regard de la situation de crise que nous connaissons. La démonstration est faite chez certains de nos voisins que les attentes des citoyens ont changé et qu'on y doute plus qu'auparavant des bienfaits de la mise en concurrence. En Grande-Bretagne, un débat est en cours et les postiers se mobilisent. La question soulevée par M. Teston doit être débattue.
Certains pays européens ont regretté que la France n'ait pas sollicité une nouvelle prolongation.
Les articles auxquels nous renvoie le rapporteur n'apportent pas de réponses à nos questions. Enfin, cet amendement complète celui dans lequel nous demandions la renégociation de ces directives européennes.
M. Michel Teston. - J'ai bien entendu les propositions du rapporteur et du ministre. Est-il possible de transférer cet amendement au titre II ? Si tel est le cas, je le retirerai provisoirement.
M. Pierre Hérisson, rapporteur. - Il vous appartient de rectifier votre amendement.
M. Michel Teston, rapporteur. - On ne nous reprochera pas un dépôt tardif ?
M. Pierre Hérisson, rapporteur. - Quoi qu'il arrive, nous l'examinerons.
M. Michel Charasse. - Il suffit de modifier la numérotation de l'article auquel il se rattache.
M. Christian Estrosi, ministre. - Le Gouvernement est favorable au réexamen de cet amendement rectifié ainsi qu'au sous-amendement de M. Charasse. Ce dernier a, tout à l'heure, fait référence à des arrêts qui ont été pris avant la troisième directive postale.
M. Michel Charasse. - Il s'agit quand même de l'application du traité.
M. Christian Estrosi, ministre. - Certes, mais ce sont des arrêts pris avant la troisième directive.
Nous réexaminerons donc cet amendement et ce sous-amendement avant l'article 13.
M. Michel Teston. - Les choses sont donc claires.
L'amendement 354 est retiré.
Mme la présidente. - Amendement n°369, présenté par M. Teston et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.
Avant l'article 1er, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Les réseaux postaux ont une dimension territoriale et sociale importante qui permet l'accès universel à des services locaux essentiels.
M. Jean-Claude Frécon. - La troisième directive postale, dont ce projet de loi transpose certaines dispositions, a le mérite de rappeler, dans son exposé des motifs, que « les réseaux postaux ont une dimension territoriale et sociale importante qui permet l'accès universel à des services locaux essentiels ». Toutes les grandes associations françaises d'élus locaux avaient estimé nécessaire de rappeler, en juin 2007, à la veille de la première lecture de la troisième directive au Parlement européen que « les services postaux, de par leur maillage territorial en France, constituent un service public essentiel pour la vitalité des territoires et un véritable vecteur de cohésion sociale ». Les élus locaux ont également insisté sur le caractère impératif du maintien de ce service public « sur l'ensemble du territoire national, y compris dans les zones rurales éloignées et les quartiers urbains sensibles » et ils ont ajouté que le « rôle crucial des services postaux justifie de prendre le temps de mieux considérer les conséquences et les moyens de l'ouverture totale à la concurrence ».
Selon le rapport de Markus Ferber, adopté par la commission des transports et du tourisme du Parlement européen le 18 juin 2007, il faut garantir que l'accès aux services postaux ne se détériore pas dans les régions rurales et périphériques afin que la libéralisation ne mette pas en péril la cohésion territoriale.
Or, l'ouverture totale à la concurrence du service postal menace la cohésion sociale et territoriale, même si elle est garantie par le traité. D'ailleurs, notre collègue Hubert Haenel, dans un rapport du 26 septembre 1996 sur les services d'intérêt général en Europe, redoutait que les forces du marché mettent en danger la cohésion : « ces mécanismes présentent parfois leurs limites et peuvent risquer d'exclure une partie de la population des bénéfices qui peuvent en être retirés et de ne pas permettre la promotion de la cohésion sociale et territoriale. L'autorité publique doit alors veiller à la prise en compte de l'intérêt général ».
Sur tous les bancs, nous sommes favorables à la dimension territoriale et sociale du service postal. Ne pensez-vous pas qu'il conviendrait d'inscrire ce principe en chapeau de ce projet de loi ? (Applaudissements socialistes)
M. Pierre Hérisson, rapporteur. - Cet amendement reprend des principes qui figurent déjà aux articles 2 et 6 de la loi de juillet 1990, modifiée en 2005, et à l'article L. 1 du code des postes et communications électroniques. Enfin et surtout, ces principes sont rappelés dans les articles 2 et 2 bis de ce projet de loi. Nous aurons donc l'occasion de parler de ces questions lorsque nous les examinerons. Je propose à M. Frécon, qui a présidé la commission des communes rurales de l'AMF pendant de nombreuses années et qui est membre de la Commission supérieure du service public des postes et télécoms, de retirer son amendement.
M. Christian Estrosi, ministre. - Même avis. Les quatre grandes missions de service public figurent à l'article 2 du projet de loi. Vous souhaitez que l'on ajoute une phrase strictement identique à celle qui se trouve à l'article L. 1 du code des postes. Nous pourrons en reparler à l'article 2 mais pas maintenant.
M. Jean-Claude Frécon. - Je ne vais pas vous apprendre la différence entre un code, qui est une affaire interne à la France, et la loi qui, tout en étant une affaire interne, peut également permettre de faire pression sur l'Europe. Puisque M. Mercier nous incitait tout à l'heure à nous rassembler, j'invite mes collègues de la majorité à voter cet amendement. Je le maintiens, à moins que vous ne me demandiez de le reporter à l'article 2.
M. Pierre Hérisson, rapporteur. - Je vous ai dit que ces amendements additionnels auraient plus leur place dans le corps du projet de loi. Je préfèrerais donc que nous réexaminions cet amendement lorsque nous en arriverons à l'article 2.
M. Jean-Claude Frécon. - Comme le propose le rapporteur, je retire cet amendement pour le redéposer à l'article 2, mais une question de procédure se pose : quand un amendement est retiré et redéposé plus tard, il faut en modifier le texte. Or cet amendement ne sera pas modifié puisqu'il reprend un texte qui existe déjà.
M. Pierre Hérisson, rapporteur. - Ne retirez pas l'amendement, rectifiez-le.
Mme la présidente. - Amendement n°424, présenté par M. Teston et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.
Avant l'article 1er, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Tout changement de statut de La Poste doit faire l'objet d'un référendum.
M. Didier Guillaume. - Nos craintes sont toujours les mêmes. Nous n'avons jamais dit que ce texte était une loi de privatisation mais que ce changement de statut ouvre grand la porte à la privatisation. Nous voulons tous défendre le service public : un changement de statut de La Poste doit être validé par le peuple souverain.
Nous n'avons jamais remis en cause le fait que tous les sénateurs, sur tous les bancs, souhaitent le maintien du statut public de La Poste.
M. Hervé Maurey. - Vous évoluez bien !
M. Didier Guillaume. - Pourquoi, alors, ne pas conserver le statut d'Épic qui garantit la non-privatisation ? Michel Teston nous a expliqué hier soir que le statut actuel n'interdisait pas des aides au fonctionnement. (M. Adrien Gouteyron le conteste) D'ailleurs, une amélioration de son fonctionnement permettrait peut-être de dégager les fonds propres nécessaires pour investir.
La consultation du peuple aiderait la majorité et l'opposition car les Français sont, dans l'ensemble, favorables au maintien du service public de La Poste : nous serions tous gagnants. A moins que vous n'ayez une arrière-pensée car après la transformation de l'Épic en société anonyme, l'État pourrait céder 50 % des actions, puis davantage, et demain une loi pourrait privatiser La Poste.
M. Pierre Hérisson, rapporteur. - Soit j'étais absent ce matin, soit je n'ai rien compris ! Vous avez eu tout le temps nécessaire pour traiter ce sujet, et notre débat a été suivi d'un vote de rejet. Il est urgent de moderniser La Poste, et le recours au référendum retarderait le processus en l'absence d'autre solution que la transformation en société anonyme. Nous n'allons pas rouvrir la discussion : avis défavorable, pour une question de logique, de bon sens et de respect pour notre institution. (Applaudissements à droite)
M. Christian Estrosi, ministre. - On nous a demandé hier, lors de rappels au Règlement, que nous ne débattions du fond qu'après la motion référendaire. Le président de la Haute assemblée et les présidents de groupe ont pris toutes les dispositions idoines. Nous venons d'examiner des amendements qui ont donné lieu à des échanges entre les sénateurs, le rapporteur et le Gouvernement, mais celui-ci confirme les soupçons que j'ai exprimés ce matin. Vous montrez ainsi clairement votre volonté de faire de l'obstruction. (Protestations à gauche) La France et les postiers doivent être éclairés sur ce fait ! Certains membres de cette assemblée présentent des amendements sur un sujet qui a déjà été tranché par le Sénat de manière sommaire ! (On le conteste bruyamment à gauche ; applaudissements à droite ; M. Hervé Maurey applaudit aussi)
M. David Assouline. - La manoeuvre est un peu voyante ! (« Oui ! » à droite) Avec Christian Estrosi, nous savons où nous allons. Il annonce une nouvelle étape du débat, de nouvelles méthodes pour brider le Parlement. Vous ne pouvez pas jouer sur tous les tableaux. Pour rejeter la motion référendaire, on a prétexté que nous allions débattre longuement sur le fond, et on nous a même remerciés d'avoir déposé des centaines d'amendements... Maintenant, on nous demande d'arrêter, on prend l'opinion publique à témoin...
Nous allons voir ce que le Gouvernement et la commission ont décidé de faire pour la suite. Ce débat approfondi est très apprécié par ceux qui le suivent et nous ne nous laisserons pas faire au cours de la nouvelle étape que semble initier le ministre. Nous aussi, nous savons parler à l'opinion publique !
Mme Marie-France Beaufils. - Vous comprenez difficilement l'attente forte qui s'est exprimée dans le pays. La consultation sur La Poste a eu lieu dans des communes de toutes tendances. Ainsi, à Roquefort-des-Corbières, commune de 736 électeurs proche de Narbonne, 208 personnes se sont prononcées le 3 octobre -ils étaient 336 votants pour les élections européennes. 45 Roquefortais ont voté pour la privatisation, 162 contre le changement de statut. Le maire, Christian Théron, est conseiller général UMP du canton de Sigean. (M. Roland Courteau le confirme)
Gimont, dans le Gers (marques d'impatience à droite), compte plus de 2 800 habitants. Le maire, Pierre Duffaut, de sensibilité divers droite, n'a rien trouvé à redire contre l'organisation d'une votation qui a mobilisé 570 habitants. En outre, le conseiller du canton est Aymeri de Montesquiou...
Vous ne devez pas avoir peur du référendum. L'existence de ce service public a de grandes implications dans notre vie quotidienne. Dans certaines communes, il est des habitants qui ne voient passer que le facteur, une ou deux fois par semaine, car c'est la dernière activité de La Poste qui ne soit pas mise en concurrence. Cet amendement est fondé, il faut en débattre.
M. Didier Guillaume. - Je respecte le Gouvernement mais ce n'est pas le rôle du ministre que de choisir les amendements déposés. En outre, ils l'ont été bien avant le débat sur la motion référendaire. Ce n'est pas parce que celle-ci a été rejetée ce matin que nous ne pouvons plus évoquer ce sujet.
J'ai défendu cet amendement parce qu'il existe un risque, parce qu'un petit voyant clignote indiquant une privatisation de La Poste qui ne dit pas son nom et que nous avons le droit de dire, avec tous les Français, que nous sommes contre !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - C'est la démocratie parlementaire !
M. Didier Guillaume. - Quelle drôle d'idée du Parlement de penser que déposer un amendement, c'est faire de l'obstruction ! Vous avez des convictions, nous avons les nôtres. Nous voulons pouvoir nous regarder dans la glace dans quelques années (exclamations ironiques au banc de la commission) en étant sûrs d'avoir obtenu toutes les garanties nécessaires au maintien de La Poste dans le service public ! (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. Jean-Pierre Bel. - Monsieur le ministre, vous avez fait allusion à une rencontre avec le président du Sénat, mais celle-ci portait uniquement sur l'organisation des débats portant sur la motion référendaire. Nous n'avons, à aucun moment, donné un quelconque accord quant au contenu de la discussion qui s'ensuivrait. Il existe une petite différence entre l'Assemblée nationale et le Sénat (marques d'impatience au banc de la commission) : chez nous, le droit d'amendement est imprescriptible !
M. Christian Estrosi, ministre. - Quelle erreur !
M. Jean-Pierre Bel. - Vous devez en tenir compte car la question est d'importance pour l'atmosphère de la discussion parlementaire dans les prochains jours. Vous nous faites le faux procès de l'obstruction...
M. Jean Desessard. - ...depuis le début de l'examen du texte...
M. Jean-Pierre Bel. - ...comme si vouliez conditionner l'opinion publique à l'idée que ces débats sont inutiles. (Marques d'approbation sur les bancs CRC) Nous ne faisons pas de l'obstruction, nous voulons parler d'un problème qui nous concerne au premier chef en tant qu'élu. Laissez-nous discuter de La Poste et de ce texte ; faites confiance au Parlement et au débat parlementaire ! (Applaudissements à gauche)
Mme la présidente. - Je suis saisie d'une demande de scrutin public par la commission. (Protestations à gauche)
L'amendement n°424 est mis aux voix par scrutin public.
Mme la présidente. - Voici les résultats du scrutin :
Nombre de votants | 339 |
Nombre de suffrages exprimés | 337 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 169 |
Pour l'adoption | 152 |
Contre | 185 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Mme la présidente. - Amendement n°425, présenté par M. Teston et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.
Avant l'article 1er, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Aucun changement de statut de La Poste ne peut se traduire par une remise en cause du service public procuré aux citoyens.
Mme Gisèle Printz. - A mon tour, ne vous en déplaise, d'évoquer le référendum... Bien que de nombreux Français aient exprimé leurs inquiétudes lors de la votation citoyenne du 3 octobre (exclamations à droite), le Gouvernement leur a dénié le droit au référendum et s'est entêté à présenter ce projet de loi flou. Malgré les assurances du Gouvernement sur le caractère public à 100 % du capital censé protéger le groupe des vicissitudes du secteur concurrentiel, comment La Poste pourra-t-elle maintenir un service public de qualité ? Depuis dix ans, le groupe mène une politique sociale marquée par la réduction des effectifs et des bureaux de postes. Quand le statut d'Épic n'a pu empêcher cette évolution, celui de société anonyme le fera encore moins. L'ouverture à la concurrence, dans la plupart des pays européens, s'est faite aux dépens de la qualité du service rendu -l'exemple de la Belgique est, à cet égard, tristement éclairant. D'où cet amendement qui semble une évidence -mais celle-ci a, hélas !, aujourd'hui besoin d'être répétée- : la concurrence n'est pas la fin de l'histoire et le service public, cette composante de notre identité nationale, doit rester la pierre angulaire de la réflexion sur La Poste. (« Très bien ! » sur les bancs socialistes)
M. Pierre Hérisson, rapporteur. - Les missions de service public de La Poste sont garanties à l'article 2 de ce texte dont la rédaction est extrêmement claire et précise. En conséquence, la précision paraît inutile. Avis défavorable.
M. Christian Estrosi, ministre. - Même avis.
Mme la présidente. - Je suis saisie d'une demande de scrutin public par la commission... (Vives protestations à gauche)
M. Roland Courteau. - Monsieur le ministre, ils sont en train de vous pourrir la semaine !
L'amendement n°425 est mis aux voix par scrutin public.
Mme la présidente. - Voici les résultats du scrutin :
Nombre de votants | 340 |
Nombre de suffrages exprimés | 339 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 170 |
Pour l'adoption | 154 |
Contre | 185 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Mme la présidente. - Amendement n°426, présenté par M. Teston et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.
Avant l'article 1er, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Les spécificités du service universel postal nécessitent le maintien et le développement d'un établissement public industriel et commercial.
M. Roland Courteau. - Certains collègues de la majorité présidentielle affirment que le changement de La Poste, c'est « la faute à l'Europe ». Il est vrai que certaines aides d'État sont incompatibles avec le droit communautaire -entre parenthèses, on a vu combien les autorités européennes avaient fait preuve de souplesse avec le renflouement des banques en faillite. C'est notamment le cas de la garantie illimitée. En sa qualité d'établissement public, La Poste n'est pas assujettie aux règles applicables aux sociétés en cas de faillite et d'insolvabilité ; par ailleurs, elle peut obtenir des prêts à des taux concurrentiels. Cette garantie illimitée de l'État est dans la ligne de mire de la Commission. Parallèlement, le droit communautaire autorise certaines aides de l'État quand le bénéficiaire de ces aides est chargé d'une mission d'intérêt général, afin d'en compenser les surcoûts.
Voilà qu'on nous invite à donner des gages à la Commission. Rien dans le droit communautaire ne nous oblige à renoncer au statut de l'Épic ; rien, même pas la procédure concernant la garantie illimitée.
La transformation du statut d'EDF, qui était un Épic, en société anonyme détenue majoritairement par l'État est un précédent instructif. Les arguments mis en avant par votre gouvernement étaient de satisfaire aux exigences de Bruxelles, arguant que la garantie illimitée serait liée au statut. Mais, selon les termes mêmes du commissaire européen chargé de la concurrence, M. Monti, l'octroi d'une garantie de l'État ne posait pas de problèmes de principe puisque seul était en cause son caractère illimité et que le statut public ou privé d'une entreprise relève de la compétence du législateur national. M. Monti, à l'occasion de la réunion de la délégation pour l'Union européenne, en juin 2004, a précisé aux sénateurs que la transformation du statut d'EDF, telle que prévue par le projet de loi, allait au-delà des exigences de la Commission et qu'elle dépendait du libre choix du gouvernement français.
En laissant entendre que la transformation de La Poste en société anonyme était une exigence de la Commission, certains collègues sont, au minimum, en pleine confusion. Il semble donc utile de rappeler que les missions de service public confiées à La Poste justifient son statut d'Épic.
M. Pierre Hérisson, rapporteur. - Nous avons déjà longuement discuté depuis trois jours sur les moyens de permettre à La Poste de continuer à assurer les missions du service universel. Le projet de loi en traite à l'article 2. Avis défavorable.
M. Christian Estrosi, ministre. - Même avis.
M. Jean Desessard. - Monsieur le rapporteur, hier, vous avez avancé que M. Bailly lui-même était favorable au passage à la société anonyme. Je suis allé voir dans le détail. Il se trouve que la rémunération actuelle (« Aïe, aïe, aïe » sur les bancs socialistes) du directeur de l'établissement public est de 477 000 euros bruts par an. Or, celle de M. Werner, ancien subordonné de M. Bailly mais actuel président du directoire de la Banque postale, est de 700 000 euros, tandis que celle du président de France Télécom est de 1,6 million, hors stock-options, soit plus de trois fois celle du PDG de La Poste... Le fait de multiplier sa rémunération par deux ou par trois peut inciter à défendre le passage à la société anonyme...
Mon intervention est destinée à faire avancer la réflexion. (Rires et applaudissements à gauche)
A la demande de la commission, l'amendement n°426 est mis aux voix par scrutin public.
Mme la présidente. - Voici les résultats du scrutin :
Nombre de votants | 340 |
Nombre de suffrages exprimés | 338 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 170 |
Pour l'adoption | 153 |
Contre | 185 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Tout comme cette nuit, la commission demande des scrutins publics par crainte que la majorité ne soit pas suffisamment représentée. (Protestations énergiques à droite) Quelle qu'en soit la raison, cela nous fait perdre beaucoup de temps.
Le président du groupe UMP n'est pas là. Au lieu de donner des leçons de trotskisme (rires à gauche), il ferait mieux d'assurer la présence des membres de son groupe. (Rires et applaudissements à gauche)
Mme la présidente. - Amendement n°427, présenté par M. Teston et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.
Avant l'article 1er, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le Gouvernement remet au Parlement un rapport sur la création d'une nouvelle catégorie d'établissement public industriel et commercial chargé de services d'intérêt économique général.
M. Jean-Luc Fichet. - Plutôt que de s'orienter vers une privatisation, il vaudrait mieux concevoir une nouvelle catégorie d'établissement public industriel et commercial (Épic) respectant les exigences de la commission européenne.
La Poste pourrait ainsi préserver son autonomie financière. Le capital d'un Épic étant inaliénable, elle serait à l'abri des pressions exercées par des actionnaires privés.
Si vous voulez garantir le statut public de La Poste, comme vous le répétez inlassablement dans les médias, vous n'avez aucune raison de refuser cette piste de réflexion, qui évitera peut-être le changement de statut envisagé.
Enfin, dans un contexte marqué par l'hyper-présidentialisation du régime, cette initiative parlementaire peut être approuvée par l'ensemble de la représentation nationale. Certains membres de la majorité se sont déjà élevés contre la dangereuse dérive de l'exécutif. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. Pierre Hérisson, rapporteur. - Cet amendement de caractère général peut sans doute intéresser les juristes mais je ne vois pas le lien spécifique avec La Poste. Bien que cette proposition intéressante mérite un débat, elle ne relève pas de cette loi. La commission est donc défavorable.
M. Christian Estrosi, ministre. - Même avis.
Mme la présidente. - Je suis saisi d'une demande de scrutin public.
M. Jean-Pierre Bel. - Par qui ?
Mme la présidente. - La commission.
L'amendement n°427 est mis aux voix par scrutin public.
Mme la présidente. - Voici les résultats du scrutin :
Nombre de votants | 340 |
Nombre de suffrages exprimés | 338 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 170 |
Pour l'adoption | 152 |
Contre | 186 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Mme la présidente. - Amendement n°428, présenté par M. Teston et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.
Avant l'article 1er, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Il est instauré un moratoire sur les suppressions de postes prévues à La Poste.
M. Jean-Jacques Mirassou. - Une réduction brutale des effectifs est observée depuis plusieurs années à La Poste, où un seul contractuel est embauché pour remplacer deux départs à la retraite. Après les 10 000 suppressions d'emplois constatées en 2007, il y en a eu 7 000 en 2008. Et le Gouvernement accentue le processus puisque le président de La Poste a reconnu, le 29 juin dans les médias, qu'en 2009, le taux de remplacement tomberait à un sur trois. Il l'a répété le 5 octobre devant la commission.
L'option pour le statut de société anonyme conduirait La Poste à suivre la voie tracée dans les autres pays européens. Ainsi, après la fin du monopole postal décidée en 1993, la poste suédoise a vu ses effectifs fondre de 72 000 agents à 38 000, dont un tiers à temps partiel. Lorsqu'elle a été privatisée en 2000, la Deutsche Post avait 26 000 bureaux ; il n'en reste que 13 000, en majorité simples points postaux concédés dans les supermarchés ou les épiceries... Entre 1992 et 2006, ses effectifs sont passés de 306 151 personnes à 150 548, sur fond de développement de la sous-traitance et de cession des services financiers. Quasiment en faillite il y a sept ans, la poste anglaise à perdu 30 000 emplois à l'issue d'une restructuration qui aura coûté 3 millions d'euros.
M. Roland Courteau. - Et voila !
M. Jean-Jacques Mirassou. - En 2007, quelque 250 bureaux ont été fermés, cependant que la faillite du fonds de pension mettait à mal les retraites des postiers. Enfin, certains pays comme le Japon reviennent sur la privatisation de leur poste.
Dans notre contexte de chômage et de précarité, les entreprises publiques, mobilisés pour le plan de relance, doivent jouer un rôle d'amortisseurs pour l'emploi. Il faut prendre ses responsabilités car on ne peut laisser la société se déliter à ce point en supprimant tous les garde-fous !
Faut-il se résoudre à voir La Poste supprimer des emplois pour les remplacer par des contrats d'insertion ? La qualité du service postal ne doit pas souffrir de cette politique !
M. Roland Courteau. - Belle démonstration.
M. Jean-Jacques Mirassou. - La nouvelle société anonyme entièrement publique ne devrait-elle pas donner l'exemple ?
M. Pierre Hérisson, rapporteur. - La Poste est le premier employeur après l'État, avec 299 000 salariés en 2007 dont 245 000 dans la maison mère. Est-ce à la loi de déterminer la politique d'emploi d'une entreprise, fût-elle publique, qui compte 162 000 fonctionnaires et 137 000 salariés ? Nous ne pouvons être favorables à cet amendement.
M. Christian Estrosi, ministre. - Défavorable.
M. Jean-Jacques Mirassou. - La loi ne peut empiéter sur le domaine réglementaire mais elle doit garantir l'égal accès au service public. Si on accélère la destruction d'emplois, on ne pourra l'assurer dans les zones les moins accessibles. On l'a vu chez nos voisins qui doivent passer entre les boîtes de conserve pour aller chercher un pli dans une épicerie. Ce n'est pas notre conception du service public.
A la demande de la commission, l'amendement n°428 est mis aux voix par scrutin public.
Mme la présidente. - Voici les résultats du scrutin :
Nombre de votants | 338 |
Nombre de suffrages exprimés | 336 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 169 |
Pour l'adoption | 151 |
Contre | 185 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Article premier
Après l'article 1-1 de la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 relative à l'organisation du service public de La Poste et à France Télécom, il est inséré un article 1-2 ainsi rédigé :
« Art. 1-2. - I. - La personne morale de droit public La Poste est transformée à compter du 1er janvier 2010 en une société anonyme dénommée La Poste. Le capital de la société est détenu par l'État et par d'autres personnes morales de droit public, à l'exception de la part du capital pouvant être détenue au titre de l'actionnariat des personnels dans les conditions prévues par la présente loi.
« A la date de publication de ses statuts initiaux, le capital de La Poste est, dans sa totalité, détenu par l'État.
« Cette transformation n'emporte pas création d'une personne juridique nouvelle. L'ensemble des biens, droits, obligations, contrats, conventions et autorisations de toute nature de la personne morale de droit public La Poste, en France et hors de France, sont de plein droit et sans formalité ceux de la société anonyme La Poste à compter de la date de la transformation. Celle-ci n'a aucune incidence sur ces biens, droits, obligations, contrats, conventions et autorisations et n'entraîne, en particulier, pas de modification des contrats et des conventions en cours conclus par La Poste ou les sociétés qui lui sont liées au sens des articles L. 233-1 à L. 233-4 du code de commerce, ni leur résiliation, ni, le cas échéant, le remboursement anticipé des dettes qui en sont l'objet. La transformation en société anonyme n'affecte pas les actes administratifs pris par La Poste. L'ensemble des opérations résultant de la transformation de La Poste en société est réalisé à titre gratuit et ne donne lieu au paiement d'aucun impôt, rémunération, salaire ou honoraire au profit de l'État, de ses agents ou de toute autre personne publique.
« II. - La Poste est soumise aux dispositions législatives applicables aux sociétés anonymes dans la mesure où elles ne sont pas contraires à la présente loi.
« Les premier et quatrième alinéas de l'article L. 225-24 du code de commerce s'appliquent en cas de vacance de postes d'administrateurs désignés par l'assemblée générale.
« Le premier alinéa de l'article L. 228-39 du même code ne s'applique pas à la société La Poste.
« L'article L. 225-40 du même code ne s'applique pas aux conventions conclues entre l'État et La Poste en application des articles 6 et 9 de la présente loi. »
Mme la présidente. - Je demande instamment aux orateurs de respecter leur temps de parole.
Mme Odette Terrade. - Nous entrons donc dans le vif du sujet avec la transformation de l'établissement public en société anonyme. Cela soumettra les activités et le personnel aux contraintes de la gestion privée. Rien dans les textes européens n'impose ce changement. Quant à l'argument selon lequel son statut serait un frein au développement de La Poste, les opérations réalisées démontrent le contraire : certaines atteignent 430 millions d'euros. Avec ses 102 filiales, l'entreprise a réalisé plusieurs grosses acquisitions, noué des partenariats et est présente en Espagne, en Grèce, en Turquie, en Afrique du sud, en Inde.... Rachats, partenariats ou échanges capitalistiques, elle est présente en Europe, en Océanie, aux États-Unis, en Amérique du sud, en Afrique.
Pour justifier cette privatisation rampante, on nous explique encore que ses capacités d'autofinancement sont trop faibles. A qui la faute ? La Poste a dû verser 2 milliards et emprunter 1,8 milliard de compensation pour les retraites ; elle a aussi versé un dividende de 141 millions en 2007 et le coût des missions de service public pèse pour 1 milliard sur ses comptes. M. Bailly, il est vrai, rêvait de lever 3 milliards sur le marché financier... Cette solution a reçu du plomb dans l'aile avec la crise, alors vous voulez que des entreprises publiques entrent à son capital -mais la Caisse des dépôts n'est jamais nommée. On sait que de telles opérations se soldent toujours par une privatisation, comme si l'État pouvait se désengager du financement des missions de service public puis en tirer argument pour assener le coup de grâce !
S'agissant des axes de développement prônés par M. Ailleret, il suffit de regarder vers l'Allemagne après la privatisation catastrophique de La Poste : les 850 bureaux les plus importants sont devenus des agences bancaires et les opérations postales se font dans des supermarchés. En Suède, où il faut payer pour recevoir son courrier à domicile, on parle de la réforme « moins un tiers », moins un tiers d'emplois, moins un tiers de bureaux. Si l'article premier était adopté, il en serait de La Poste comme de l'énergie, des transports, des télécommunications et de la santé qu'un secteur privé avide a transformés en champs de profits. Le groupe CRC-SPG défend l'attachement des Français au service public pour protéger l'intérêt général. (Applaudissements à gauche)
Mme Mireille Schurch. - Le rapporteur explique que la privatisation consiste dans l'intervention de personnes morales de droit privé au sein du capital. Or cette possibilité était offerte par le texte initial de ce projet de loi, dont l'article premier permettait à « des personnes morales appartenant au secteur public » de participer au capital de La Poste. Cela pourrait donc s'appliquer à des personnes morales de droit privé. Cela en dit long sur les arrière-pensées du Gouvernement !
Le projet de loi donne également la possibilité de faire entrer l'actionnariat salarié dans le capital à hauteur de 49,99 %. Selon vous, cela ne constituerait pas une privatisation, nous n'avons pas la même lecture. Pour nous, cet article prend acte du désengagement de l'État de ses missions de service public, il renforce la politique de fermeture des bureaux de poste de plein exercice et de recours massif aux contractuels. Si le texte est adopté, le statut de La Poste relèvera du droit commun des sociétés. Aucun régime spécifique de cession des actions n'est prévu. Là encore, on tombe dans le droit commun et la composition du conseil d'administration va déroger à la loi relative à la démocratisation du secteur public. L'actionnariat des salariés, en plus de ses effets pervers sur leurs revenus en ces temps de crise, est bien une privatisation du capital de La Poste. C'est pourquoi nous ne pouvons croire le ministre lorsqu'il nous explique la main sur le coeur que la poste est « imprivatisable ».
Un service public national, cela se caractérise, cela ne se décrète pas. Or, vous dépecez l'entreprise de ses missions de service public, lui ôtant ce qui fait d'elle un service public national. Nous sommes dans le double discours. Il y a bien quelques reliquats de droit public, quand c'est au détriment des salariés : le président du conseil d'administration est nommé par décret et les contractuels sont soumis à l'article 31 de la loi de 1990.
Nous saluons votre prudence, monsieur le rapporteur, puisque vous avez souhaité, malgré les promesses de l'ensemble du Gouvernement, apporter des garanties afin que le caractère 100 % public du capital de La Poste, hors actionnariat salarié, soit mieux inscrit dans la loi. Nous partageons votre analyse quand vous jugez la rédaction de l'alinéa 2 ambiguë : avec la conjonction « ou », elle laissait la porte ouverte à un désengagement de l'État, le capital de La Poste pouvant appartenir exclusivement à des personnes morales du secteur public autres que l'État. Hélas, le remède proposé nous semble inefficace. Rien n'interdit que l'État détienne 0,1 % du capital, ce qui revient à peu près à la même situation que celle que vous souhaitez éviter. Le désengagement de l'État a commencé, avec la non-compensation des charges de service public.
Le rapporteur a eu raison de préciser que « seule une personne morale de droit public peut entrer au capital de La Poste », mais cela ne règle pas la question de la libre cession des actions.
Les opposants au changement de statut ne seraient pas en mesure de proposer une autre forme juridique que la société anonyme pour que La Poste puisse lever des capitaux sans recourir à l'endettement ? Nous vous renvoyons à nos propositions : maintenir l'Épic et créer un pôle public financier. Après les 30 milliards d'exonérations de cotisations sociales, les 360 milliards pour faire face à la crise, les 26 milliards du plan de relance, l'État ne serait pas en capacité de trouver les moyens juridiques et financiers d'assurer le service public postal ? (Applaudissements sur les bancs CRC)
M. Claude Biwer. - Je serai un peu moins pessimiste : je ne crains pas une privatisation rampante, je fais confiance au Gouvernement.
En 1991, La Poste, qui avait encore le statut d'administration, a été transformée en Épic et a reçu l'équivalent de 3 milliards de fonds propres de l'État. Depuis lors, elle s'est développée avec sa propre capacité de financement et en empruntant. Son endettement s'élève à l'heure actuelle à 6 milliards, ce qui représente 1,7 fois ses fonds propres. Il est certain que, dans la perspective de l'ouverture totale du marché, La Poste ne peut plus compter que sur elle-même pour assurer son développement. En devenant une société anonyme à capitaux publics, elle bénéficiera d'un capital qui lui sera apporté par ses actionnaires, à savoir l'État et la Caisse des dépôts et consignations. Cet argent lui permettra de réaliser les investissements indispensables à sa modernisation, notamment dans le domaine du courrier ? dont le bilan se dégrade d'année en année.
C'est donc avec une certaine dose de mauvaise foi qu'une campagne a été orchestrée visant à faire croire que le Gouvernement s'apprêterait à privatiser La Poste. Ses auteurs, dont j'ai la faiblesse de penser qu'ils sont intelligents, savaient pertinemment qu'il n'en est rien !
Conscients, néanmoins, des inquiétudes suscitées par ce changement de statut, nous sommes un certain nombre au groupe UC à souhaiter que la part de l'État dans le capital de La Poste ne puisse être inférieure à 51 %. La solution retenue par notre commission me convient parfaitement. Je suis persuadé que ces modifications seront de nature à rassurer le personnel de l'entreprise ainsi que les collectivités territoriales rurales.
M. François Rebsamen. - Nos amendements visent à supprimer cet article premier qui transforme La Poste en société anonyme. La préservation du statut d'exploitant public est essentielle pour respecter les quatre principes fondamentaux du service public : la continuité, l'égalité de traitement, l'adaptabilité et l'universalité. Le statut d'Épic est parfaitement adapté et la Commission européenne n'en exige pas le changement. Nous l'avons dit et ne cesserons de le répéter, repetitio mater studiorum !
Avec la société anonyme, la privatisation deviendra possible. Comme vient de le dire un conseiller du Président de la République : ce qu'une loi garantit, une autre loi peut le supprimer. Vos amendements « imprivatisables » ne pourront rien contre cette évidence assénée par M. Guaino.
Nombre de communes ont adopté des délibérations hostiles à cette privatisation. J'ai reçu celle de Montbard, celle de Lacanche, commune célèbre pour les cuisinières qui y sont fabriquées. On y ferme le bureau de poste alors les entreprises locales y paient 100 000 euros de frais d'expédition de leurs colis !
Les nombreuses réformes des services publics n'ont abouti qu'à leur détérioration. La Poste n'a d'ailleurs plus qu'une notation de AA.
Vous voulez transférer une propriété collective de la nation en une société anonyme dont le capital sera fractionné entre différents détenteurs. Nous voulons conserver son statut d'Épic à ce bien de la nation. (Applaudissements à gauche)
M. Michel Teston. - Cet article premier est central.
Cet article a deux volets, le changement de statut à compter du 1er janvier 2010 et la détention du capital par l'État et d'autres personnes morales de droit public.
Nous ne le répéterons jamais assez : nous rejetons la transformation de La Poste en SA, que n'imposent ni la directive ni la volonté de voir l'entreprise se développer. Le statut d'Épic n'a pas compromis son développement international : La Poste a noué de nombreux partenariats avec des opérateurs étrangers. Elle a créé 102 filiales et sa croissance externe a fortement progressé. Elle n'a jamais fait autant de bénéfices que ces dernières années, sans se limiter au courrier. Le premier semestre 2009 confirme le bien-fondé de cette stratégie multi-métiers avec la hausse des résultats de la Banque postale et le maintien de la rentabilité du secteur du colis et de l'express. Le groupe a consacré 3,5 milliards d'euros à la modernisation de son réseau sans accroître son endettement, il est vrai à un niveau élevé.
C'est dire que La Poste est une entreprise solide, qui a montré ce qu'elle était capable de faire -je rappelle que les envois de plus de 50 grammes sont déjà soumis à la concurrence. Sa dette est bien notée, ce qui lui permet d'acquitter des intérêts modestes. Reste qu'elle doit renforcer ses fonds propres et se désendetter ; il faut que l'État assume enfin ses obligations pour la présence postale comme pour le transport et la distribution de la presse.
Le second volet de l'article premier est relatif à la détention du capital. J'ai déjà dit que rien ne garantit que les actionnaires autres que l'État seront des personnes morales dont le capital sera 100 % public ; je n'y reviens pas. Le capital de La Poste doit rester entièrement public ; elle doit rester un Épic, ce statut étant un juste compromis entre l'assurance du maintien du service public et les nécessités de son développement dans un marché concurrentiel. (Applaudissements à gauche)
Mme Bariza Khiari. - Quelques contre-vérités justifient aujourd'hui l'évolution d'une entreprise à laquelle les Français sont attachés, comme l'a montré la votation citoyenne. Ils savent que le changement de statut ne sera pas sans conséquence, ils savent que c'est l'antichambre de la privatisation. Ce n'est pas la même chose de dire « je vais te tuer » que « je te tue » ; mais la menace est là.
M. Nicolas About. - Argument inconvenant.
Mme Bariza Khiari. - L'ouverture totale du marché n'impose pas la transformation en SA.
M. Alain Gournac. - Si !
Mme Bariza Khiari. - Les trois directives laissent une certaine latitude aux États. M. Bailly soutient qu'il a besoin de 3 milliards d'euros pour investir à l'international, somme que le niveau de sa dette lui interdit de lever sur le marché. Le raisonnement est curieux : la SNCF, autre Épic, emprunte ; la RATP, autre Épic, fait de même avec ses 5 milliards d'euros de dettes et ses 2 milliards de fonds propres. Pourquoi La Poste n'a-t-elle pas la comptabilité qui lui permettrait de les imiter ? La réalité, c'est que le plan de développement à l'international de M. Bailly ne convainc pas les investisseurs... Si le Gouvernement n'avait pas commis le péché originel du bouclier fiscal, du boulet fiscal plutôt, il aurait des marges de manoeuvre financières pour aider La Poste. Nous ne voterons pas l'article premier parce que le changement de statut n'est en rien justifié. (Applaudissements à gauche)
M. Didier Guillaume. - Le coeur de ce texte, c'est son article premier. Si le débat nous passionne, si nous sommes si nombreux à intervenir qu'on nous accuse de faire de l'obstruction (on se récrie à droite), c'est que nous savons que le changement de statut ne sert à rien. M. Teston l'a démontré, le statut d'Épic, qui est aussi celui de la SNCF, permet parfaitement à La Poste de travailler sur un marché concurrentiel. La privatisation de la SNCF serait inutile.
Face à ces arguments, il y a au mieux une incompréhension, au pire anguille sous roche. Nous aurions pu nous retrouver mais la majorité, malgré quelques voix dissonantes, est priée, après recadrage par le Président de la République et le Premier ministre, de suivre le Gouvernement. Nous avons vécu cette situation, nous la vivrons sans doute encore à sa place... J'ai cru comprendre qu'un conseiller élyséen comptait autant sinon, malheureusement, davantage que les ministres mais au moins, par ses propos sur le provisoire des choses, a-t-il fait preuve de « bravitude », parce que là est la réalité! (Exclamations amusées) Oui, la porte est bien ouverte à la privatisation. Avec l'Épic, on s'en prémunit.
Les Français sont attachés au service public, ceux des quartiers comme ceux des zones rurales.
M. Alain Gournac. - Nous aussi !
M. Didier Guillaume. - Le facteur est souvent le seul représentant du service public que rencontrent les personnes isolées ou âgées ; c'est lui qui parfois apporte les médicaments. Certains s'abonnent pour pouvoir rencontrer quelqu'un. C'est cela que nous voulons préserver, cela qui disparaîtra si, par malheur, La Poste est privatisée. Il en sera fini de l'égalité d'accès, de la non-discrimination, de la péréquation tarifaire. Car qui dit privatisation dit actionnariat, qui dit actionnariat dit rentabilité...
Mme Jacqueline Panis. - Responsabilité !
M. Didier Guillaume. - Et qui dit rentabilité dit fin du service public. Nous rejetons l'article premier qui fait entrer le ver dans le fruit. (Applaudissements à gauche)
M. Jean-Jacques Mirassou. - L'article premier est le noyau dur de ce texte. Le Gouvernement a sans ambiguïté annoncé la couleur : s'il est adopté, La Poste ne sera plus une entreprise publique. Pire : malgré toutes les assurances qu'on veut bien nous donner, l'État pourra se retirer du capital ; ce qu'a fait une loi, une autre peut le défaire. La Poste serait « imprivatisable » ?
Malgré l'ampleur de la crise qui secoue notre société, le Gouvernement continue à administrer sa potion libérale sans mesurer les risques qu'il fait prendre aux plus fragiles de nos concitoyens et qui ont besoin de s'appuyer sur les services publics.
Personne ne saurait nier les difficultés rencontrées par La Poste mais elles trouvent leur origine dans le désengagement de l'État qui devrait mieux abonder les crédits destinés à l'acheminement de la presse et à la présence postale. Avec cet article, le Gouvernement enfonce le clou et prend le risque de brûler ses propres vaisseaux. D'ailleurs, comment pourrait-il en être autrement alors que l'exécutif a fait de la réduction des coûts des services publics l'alpha et l'oméga de sa gestion tout en laissant paradoxalement exploser la dette publique, en prenant des mesures plus que contestables. Ainsi en est-il de l'aide colossale apportée au secteur bancaire sans droit de regard, du pacte automobile dont peu de sous-traitants ont bénéficié, de la baisse de la TVA dans la restauration qui a coûté des milliards, enfin, des niches fiscales et du bouclier fiscal maintenus contre vents et marées.
Votre devise est la suivante : on sélectionne strictement les bénéficiaires des aides et on mutualise la dette. Malgré vos dénégations, vous risquez de céder à la tentation de vendre une partie des actifs de l'État : transformée en SA, La Poste serait une candidate idéale.
Comme nous n'accordons aucun crédit à vos promesses, nous ne voterons bien évidemment pas cet article. (Applaudissements à gauche)
M. Martial Bourquin. - Nous aimons tous La Poste mais il faut lui donner une vraie preuve d'amour (on s'amuse à droite) : renoncez donc au changement de statut !
M. Pierre Hérisson, rapporteur. - Oh !
M. Alain Gournac. - C'est ça !
M. Martial Bourquin. - Si vous lui donnez cette preuve-là, nous sommes prêts à travailler avec vous pour moderniser cette grande entreprise publique. Nous avons besoin d'un débat serein pour qu'efficacité économique dans un monde en concurrence puisse rimer avec maintien du service public de La Poste et aménagement du territoire.
A chaque fois que nous parlons de l'Épic, la droite et le rapporteur se hérissent. (Mouvements divers) L'Épic est un statut moderne : l'arrêt « Corbeau » de 1993 de la Cour de justice européenne permet aux États d'encadrer la concurrence afin que des entreprises publiques puissent évoluer dans un monde en pleine mutation.
Cette crispation sur le changement de statut de La Poste démontre que l'on n'a pas tiré tous les enseignements de la crise financière. J'ai peur qu'avec ce changement de statut, l'accélération soit considérable dans les mois qui viennent. Nous avons encore le temps d'y renoncer. D'ailleurs, la SNCF, qui est soumise à la concurrence, est un Épic. Pourquoi en irait-il différemment pour La Poste ? Ne basculons pas vers une SA qui entraînera, à terme, une gestion privée de ce service public.
Dans ce projet de loi, il n'est nullement question de recapitalisation. Le changement de statut ne permettra pas de faire apparaître, comme par miracle, des milliards ! Pourtant, La Poste a besoin de connaître dès aujourd'hui les moyens dont elle disposera pour mener à bien sa modernisation.
Contrairement à vos affirmations, monsieur le ministre, l'opposition, et notamment M. Teston, ont fait de nombreuses propositions pour aider financièrement La Poste : que l'État prenne en charge ce qui lui revient, notamment pour la livraison de la presse et le service universel. Si vous nous suiviez, il serait possible d'éviter une ouverture du capital dans les années à venir. Un ancien ministre des finances a dit qu'il aimait beaucoup EDF. Il s'agissait d'une grande entreprise de service public. Or, on nous dit aujourd'hui qu'on pourrait manquer d'électricité cet hiver. Des cadres d'EDF estiment que les centrales n'ont pas été suffisamment entretenues, car cette entreprise est plus préoccupée par le marché que par le service public.
Il est encore temps d'abandonner cette privatisation de La Poste. (Applaudissements socialistes)
Mme Jacqueline Alquier. - Ce projet de loi répond à une double logique qui met en danger le service universel postal. Il avalise l'ouverture totale à la concurrence, prévue par la troisième directive postale, et il procède à sa transposition en ne retenant que les dispositions les plus libérales.
Procédant directement de cette double logique, ce texte met fin au secteur réservé qui faisait la force du service universel postal et transforme La Poste en société anonyme. C'est bien à une libéralisation du secteur postal que nous assistons.
Ainsi, le financement du service universel risque de ne plus être assuré, d'autant moins que l'assiette de contribution des opérateurs est bien trop étroite. Peu de contraintes pèseront sur les concurrents de La Poste alors qu'elle seule assumera les missions de service public sur tout le territoire. Ses concurrents pourront ainsi mettre la main sur la collecte et le tri, laissant aux facteurs de La Poste le soin de distribuer le courrier.
L'Arcep, qui a toujours privilégié la concurrence au détriment du service public et des opérateurs historiques, voit ses prérogatives augmenter.
La première partie du texte décline l'article premier, transformant l'Épic La Poste en société anonyme. Autant dire que la suppression de cet article annulerait la première partie de ce texte. Chacun devra donc prendre ses responsabilités.
On nous explique que la transformation en SA serait incontournable, qu'il n'y aurait pas d'autres solutions, que l'actuel statut d'Épic serait un obstacle au développement de La Poste. Elle aurait besoin de capitaux pour moderniser son outil industriel et son réseau, pour développer ses activités de colis, voire de logistique dans un environnement concurrentiel et marqué par la baisse du courrier. On nous affirme que ce changement de statut n'aurait aucune conséquence sur les missions de service public et sur l'entreprise elle-même dont le capital demeurera 100 % public. Or, La Poste a déjà consacré 3,5 milliards à moderniser son réseau alors que des milliers de bureaux de poste ont été supprimés au profit d'agences postales communales et de relais-poste. Elle a également modernisé ses centres de tri en en faisant de véritables plates-formes industrielles de grande capacité de traitement. Les capitaux dont elle aurait besoin ne seraient donc destinés qu'à permettre à La Poste de se développer à l'international, comme le rappelait un de ses récents communiqués : « En dépit du bilan très positif de ces dernières années, La Poste ne dispose que d'une enveloppe très limitée de croissance externe qui ne lui donne pas les moyens d'assurer la politique de développement ambitieuse et nécessaire de ses métiers et de saisir les opportunités ». Ainsi, 2,7 milliards de fonds publics seraient mis au service de la stratégie d'internationalisation et de croissance externe de La Poste. Dans le même temps, ne va-t-on pas assister à la suppression de milliers d'emplois sans débat public préalable ? (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. Roland Courteau. - Les faux remparts que vous érigez ne sont que des digues de papier. Ils ne rassureront pas les Français alertés par la dérive vers la privatisation. Certains ministres ont lancé des salves de justifications, qui se sont parfois contredites. C'était abracadabrantesque... Mais un proche conseiller de l'Élysée a vendu la mèche, ce qui a permis à un journaliste d'écrire : « Pendant qu'Estrosi fait le pompier, Guaino souffle sur les braises. » Il n'y aurait donc rien d'éternel pour ce qui est du statut d'entreprise publique. Pan sur le bec ! Cela nous rappelle les promesses non tenues sur GDF en 2006.
Le ministre voudrait rendre La Poste « imprivatisable ». Chiche ! Mettez vos actes en phase avec vos discours. Yves Pozzo di Borgo a déposé un amendement, retiré depuis, visant à permettre à l'État de privatiser à terme La Poste sans qu'une nouvelle loi soit nécessaire. Cela augure bien d'une privatisation ultérieure ! Le sort de l'entreprise est décidé et ficelé depuis longtemps.
Nous voulons défendre La Poste : le statut actuel est une garantie indispensable. Nous persistons à penser qu'il est adapté à la modernisation et au développement de l'entreprise. Nous vous affronterons lors de la discussion des articles afin de sauvegarder un établissement public d'une grande utilité sociale et économique, qui symbolise le service public à la française. Jean-Jacques Mirassou a exposé les contre-exemples donnés par les pays pionniers de la libéralisation et de la privatisation. Ils devraient en faire réfléchir plus d'un ! D'ailleurs, le Japon fait marche arrière dans ce domaine.
Les Français vous observent, cher collègues. Ils n'accepteront jamais les services publics au rabais que vous leur proposez. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. Yannick Botrel. - Le Gouvernement prend prétexte de la directive européenne de 2008 pour changer le statut de La Poste. Nous avons pourtant démontré que l'ouverture à la concurrence du secteur postal n'implique nullement la transformation en société anonyme. Il faut chercher l'explication ailleurs. Ce changement de statut n'est-il pas le premier pas vers une privatisation qui ne dit pas encore son nom ? Les changements proposés doivent être compris à la lumière du pur dogmatisme libéral.
La mission de cohésion et de service à nos territoires devrait à elle seule motiver l'engagement des pouvoirs publics. Aucune entreprise privée n'acceptera d'acheminer le courrier et d'être présente sur l'ensemble des territoires ruraux, mission à faible valeur ajoutée. Est-ce bien là le modèle que nous voulons pour La Poste ? Le statut de société anonyme est une menace pour son avenir car ses concurrents se positionneront sur les secteurs d'activité les plus rentables. Sa mission de service public est le dernier rempart contre ces dérives, mais pour combien de temps ? L'État aura-t-il autant d'exigences pour ses concurrents que pour La Poste elle-même ?
Ne cherchez pas à nous faire croire que ce changement de statut ne s'accompagnera pas de réorganisations avec des fermetures de bureaux, voire des réductions d'effectifs. 100 % du capital seront détenus par l'État et autres personnes morales de droit public, mais cela n'offre aucune garantie durable, la fusion GDF-Suez en témoigne. Le Gouvernement devrait apporter des garanties suffisantes et crédibles pour s'assurer que la Poste restera dans le domaine public. Pour cela, existe-t-il une meilleure solution que le maintien du statut actuel ?
La votation de ces dernières semaines a été un vaste mouvement citoyen dont l'ampleur a surpris les observateurs. Elle a rappelé l'attachement de nos concitoyens à La Poste et au service public postal. On ne peut nier, caricaturer ou ridiculiser la volonté populaire.
M. Alain Gournac. - Le vote, c'est ici.
M. Yannick Botrel. - Si on en doute, il faut poser la question au peuple. La majorité sénatoriale l'a refusé. Il reste au Sénat une dernière possibilité sur la voie de la rédemption démocratique : il faut écouter les Français, maintenir le statut actuel, supprimer le premier article de ce texte. (Applaudissements à gauche)
M. Yves Chastan. - L'hémicycle n'est pas assez vaste pour exprimer notre mobilisation contre ce projet de loi et montrer au plus haut niveau de l'État les actions menées depuis plusieurs mois par nos concitoyens. Nous défendons La Poste et l'ensemble des services publics qui ont permis à notre pays de devenir une puissance industrielle et commerciale reconnue.
Selon le Premier ministre, « La Poste restera un grand service public stratégique ». « La Poste restera à 100 % publique », a renchéri le ministre de l'industrie. Mais les Français n'ignorent rien de vos intentions futures. Nous avons la désagréable sensation de revivre le débat qui a précédé la privatisation de GDF. Plus de 2 millions de Français se seraient-ils déplacés pour réaffirmer leur attachement à La Poste publique si l'enjeu n'était pas si important ? Votre seule réponse, monsieur le ministre, c'est de remettre en cause la légitimité et la crédibilité de cette votation citoyenne et de refuser la tenue d'un référendum.
La Poste n'est pas une entreprise comme une autre. La conception du service public postal que vous proposez, fondée sur la rentabilité, ne correspond pas aux attentes de nos concitoyens. La Poste est un service de proximité qui rythme leurs journées, particulièrement dans les milieux ruraux. Ils tiennent viscéralement à La Poste et à ses services. En introduisant une logique purement économique au sein du marché postal, vous romprez l'équilibre entre le milieu rural et le milieu urbain au détriment des campagnes.
La Poste est un Épic et doit le rester. Sa transformation en société anonyme devrait permettre à l'entreprise de gagner en compétitivité. Mais doit-on craindre la concurrence imposée à ce service public dès lors qu'elle est déjà effective, hormis pour les envois de moins de 50 grammes ? La Poste résiste avec efficacité malgré la baisse de ses effectifs.
Votre argumentation circule en boucle depuis plusieurs mois dans les médias : La Poste doit se moderniser. Qui est contre ? En quoi le statut d'Épic handicaperait-il son développement ? Si vous lui en donniez les moyens, ce service public modernisé serait un exemple pour tous les pays industrialisés, avec un service de proximité et unifié pour une tarification identique. Ce qui se profile, c'est qu'une grande partie des 17 000 points de contact seront remplacés par des points poste qui n'assureront qu'une partie des services fournis par un bureau. II faudra récupérer son colis entre les rayons d'un magasin. Cette vaste entreprise de dématérialisation du service a déjà commencé dans le XVIlle arrondissement parisien, où les recommandés peuvent être retirés dans une station de métro.
Ce changement de statut n'augure rien de bon pour les salariés de l'entreprise. Le passage en société anonyme va profondément modifier le régime de retraite complémentaire des contractuels, qui relève aujourd'hui d'un gestionnaire public, l'Ircantec. Demain, avec l'Agirc-Arrco, leurs cotisations seront plus élevées tandis que leurs pensions baisseront. Monsieur le ministre, réfléchissez aux conséquences néfastes que subiront les Français et le personnel de La Poste, à l'exemple des employés de France Télécom.
Nous nous opposons fermement à ce changement de statut. « On a tous à y gagner », tel était le slogan de La Poste à l'orée du XXle siècle. « On a tous à y perdre » serait plus adapté aujourd'hui. (Applaudissements à gauche)
M. Yves Pozzo di Borgo. - Cet article contient un solide verrou anti-privatisation. C'est dommage car La Poste pourrait, à terme, se trouver renforcée par des échanges d'actions, des achats d'entreprises, de franchises ou des investissements que seule l'ouverture du capital à des investisseurs privés permettrait de financer. Il s'agit de ne pas reproduire l'erreur faite par France Télécom. Cette entreprise a procédé à environ 100 milliards d'euros d'achats entre 1999 et 2001, dont 80 % ont été payés comptant. Cela a très gravement affecté son économie pendant plusieurs années : c'était le groupe de télécommunications le plus endetté du monde en 2002, avec une décote de sa valeur du fait de ratios financiers préoccupants. Il a fallu augmenter le capital en faisant baisser la participation de l'État !
A l'inverse, on peut tirer un enseignement intéressant de ce qui s'est passé entre les postes danoise et suédoise.
Le 24 juin dernier, la poste suédoise et la poste danoise ont fusionné. Le Danemark avait anticipé en ouvrant 22 % du capital de sa poste nationale à CVC-Capital-Partners, un fonds européen, facilitant ainsi la fusion. La poste suédoise, elle, était possédée à 100 % par l'État mais, à l'inverse de ce qu'on fait ici, la loi suédoise n'avait pas interdit l'entrée de fonds privés dans son capital, si bien que la fusion a été possible juridiquement. Le nouvel opérateur né de ce mariage, Norden Posten, atteignant une taille critique, a pu reprendre une place de quasi-exclusivité sur le marché scandinave, au moment où des opérateurs privés taillaient des croupières aux deux opérateurs séparés. Inutile de dire que ses 50 000 salariés sont assurés d'un futur plus radieux et que ses capacités d'investissement lui permettent de garder sa place de pionnier du service postal en Europe. Voilà le paradigme économique que l'on ne pourra pas réaliser en verrouillant, comme le projet de loi le fait, le capital de La Poste.
Ma deuxième grande incompréhension concerne mes collègues de l'opposition : depuis quand l'exécution d'une mission de service public est-elle l'apanage de la seule personne publique ? Il faut cesser de défendre cette contre-vérité. Il existe heureusement bon nombre d'entreprises privées ou à capitaux publics et privés qui délivrent des prestations de service public de qualité.
M. Didier Guillaume. - On le sait !
M. Yves Pozzo di Borgo. - Comme ce projet de loi interdit l'ouverture du capital, j'avais déposé un amendement permettant, à terme, la privatisation, auquel j'ai finalement renoncé...
M. Roland Courteau. - Encore heureux !
M. Yves Pozzo di Borgo. - Plaît-il ? J'y ai renoncé parce que j'appartiens à une majorité, qu'un arbitrage a eu lieu et que je le respecte. Je maintiens cependant que, à terme, verrouiller toute ouverture de capital porterait préjudice à La Poste, et surtout à ses salariés, et je regrette que la gauche nous cantonne dans un débat d'un autre temps. (Applaudissements sur les bancs UMP)
M. Didier Guillaume. - Ils applaudissent la privatisation !
M. Claude Jeannerot. - Je tiendrai un discours d'une toute autre tonalité. Je ne suis pas membre de la commission de l'économie mais je me sens le porte-parole des 594 maires de mon département qui, voyant chaque jour reculer les services publics dans leur territoire, ont des raisons de douter que cette transformation sera bénéfique. A leurs voix, j'ajoute celle de l'Association des maires ruraux de France qui, tenant son congrès dans mon département il y a quelques jours, s'est inquiétée du risque de voir, à terme, l'entrée de fonds privés dans le capital de La Poste et, ensuite, sa privatisation. Ces maires ruraux ont demandé le maintien du caractère public de l'entreprise et la consolidation du Fonds de péréquation territoriale. Ils sont inquiets car ils sont bien convaincus que ce changement de statut n'est qu'une première étape vers la privatisation et parce qu'ils sont attachés à ce patrimoine national commun qu'est le service public. C'est notre richesse commune, c'est la garantie de l'égalité républicaine. Ne bradons pas ces valeurs !
La principale richesse de La Poste, ce sont ses personnels. Pour eux aussi, monsieur le ministre, je vous exhorte à ne pas changer le statut de La Poste. Je pense, en cet instant, à mon père, simple facteur, dont l'exemple m'a appris l'engagement quotidien pour le service public, sa grandeur et ses exigences. Il était fier d'appartenir à un service de proximité et de première nécessité. La Poste est un immense patrimoine humain. Il appartient à la Nation. Ne le bradons pas ! (Applaudissements à gauche)
M. Claude Bérit-Débat. - On nous jure, la main sur le coeur, que La Poste ne sera pas privatisée et qu'elle serait, selon le terme désormais consacré, « imprivatisable ». M. Pozzo di Borgo, emporté par un libéralisme débridé, regrette, lui, ce qu'il appelle un verrouillage. Pourtant, où sont les garanties que La Poste ne sera pas privatisée, ni aujourd'hui, ni demain, ni même après-demain ? Nous attendons toujours qu'elles apparaissent clairement dans le texte. Elles sont d'autant plus indispensables que le changement de statut risque surtout d'aggraver les problèmes et les dysfonctionnements déjà existants de La Poste.
J'illustrerai ces problèmes par ceux de mon département, la Dordogne. Il y a d'abord le véritable marché de dupes offert par la direction de La Poste aux maires des petites communes : soit ils acceptent de passer en agence postale, voire en point poste, en prenant donc en charge financièrement la gestion du service postal ; soit ils voient leur bureau de poste diminuer ses horaires d'ouverture. Il y a ensuite ces communes plus importantes qui perdent, elles aussi, des heures d'ouverture : c'est même le cas de Périgueux, malgré sa croissance démographique... Plus grave encore est le cas des quartiers sensibles faisant l'objet d'un contrat urbain de cohésion sociale, où les bureaux de poste sont désormais fermés le samedi matin. Il y a aussi cette petite ville où le bureau de poste est fermé le mercredi après-midi et où on a tenté de le fermer aux heures de sortie des écoles, malgré une très forte affluence.
Concrètement, ce dont les citoyens ont besoin, c'est de plus de service public. Ils en veulent plus et mieux. Et ils ont raison. Cela étant, je ne suis pas sûr que l'essentiel soit de changer le statut de La Poste. En revanche, je suis certain que ce n'est pas en la transformant en société anonyme que nous résoudrons ses problèmes. Etre moderne, ce n'est pas se plier à la logique de la concurrence. Etre moderne, c'est au contraire mettre en oeuvre tous les moyens disponibles pour permettre à La Poste de remplir ses missions de service public. Cela suppose d'apporter toutes les garanties assurant qu'elle ne sera ni privatisée ni soumise à une logique libérale, inconciliable avec le service public auquel les Français aspirent. (Applaudissements à gauche)
La séance est suspendue à 19 h 15.
présidence de M. Bernard Frimat,vice-président
La séance reprend à 21 h 35.
Conférence des Présidents
M. le président. - Voici les conclusions de la Conférence des Présidents sur l'ordre du jour des prochaines séances du Sénat.
Semaines réservées par priorité au Gouvernement
JEUDI 5 NOVEMBRE 2009
A 9 heures 30 :
Ordre du jour fixé par le Gouvernement :
- Suite du projet de loi relatif à l'entreprise publique La Poste et aux activités postales. (Procédure accélérée)
A 15 heures et le soir :
- Questions d'actualité au Gouvernement.
Ordre du jour fixé par le Gouvernement :
- Suite du projet de loi relatif à l'entreprise publique La Poste et aux activités postales. (Procédure accélérée)
VENDREDI 6 NOVEMBRE 2009
Ordre du jour fixé par le Gouvernement :
A 9 heures 30, à 14 heures 30 et le soir :
- Suite du projet de loi relatif à l'entreprise publique La Poste et aux activités postales. (Procédure accélérée)
SAMEDI 7 NOVEMBRE 2009
Ordre du jour fixé par le Gouvernement :
A 9 heures 30, à 14 heures 30 et le soir :
- Suite du projet de loi relatif à l'entreprise publique La Poste et aux activités postales. (Procédure accélérée) (Exclamations à gauche)
Éventuellement, DIMANCHE 8 NOVEMBRE 2009
Ordre du jour fixé par le Gouvernement :
A 9 heures 30, à 14 heures 30 et le soir :
- Suite du projet de loi relatif à l'entreprise publique La Poste et aux activités postales. (Procédure accélérée)
M. Martial Bourquin. - Vous nous gâtez !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - C'est le bagne !
M. le président. - LUNDI 9 NOVEMBRE 2009
Ordre du jour fixé par le Gouvernement :
A 11 heures, à 15 heures et le soir :
- Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, de financement de la sécurité sociale pour 2010.
MARDI 10 NOVEMBRE 2009
A 9 heures 30 :
- Dix-huit questions orales :
A 14 heures 30 :
Ordre du jour fixé par le Gouvernement :
- Suite du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2010.
JEUDI 12 NOVEMBRE 2009
Ordre du jour fixé par le Gouvernement :
A 9 heures 30, à 14 heures 30 et le soir :
- Suite du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2010.
VENDREDI 13 NOVEMBRE 2009
Ordre du jour fixé par le Gouvernement :
A 9 heures 30, à 14 heures 30 et le soir :
- Suite du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2010.
Éventuellement, SAMEDI 14 NOVEMBRE 2009
Ordre du jour fixé par le Gouvernement :
A 9 heures 30, à 14 heures 30 et le soir :
- Suite du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2010.
Semaine sénatoriale
LUNDI 16 NOVEMBRE 2009
Ordre du jour fixé par le Sénat :
A 14 heures 30 et le soir :
- Débat d'initiative sénatoriale sur l'Afghanistan (demandes du groupe Socialiste et du groupe CRC-SPG).
- Question orale avec débat de M. Jack Ralite sur la numérisation des bibliothèques (demande du groupe CRC-SPG).
- Proposition de loi organique modifiant le livre III de la sixième partie du code général des collectivités territoriales relatif à Saint-Martin, présentée par MM. Louis-Constant Fleming, Jean-Paul Virapoullé et Mme Lucette Michaux-Chevry.
- Proposition de loi organique tendant à permettre à Saint-Barthélemy d'imposer les revenus de source locale des personnes établies depuis moins de cinq ans, présentée par M. Michel Magras.
- Suite de la discussion des articles de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, relative aux recherches sur la personne.
MARDI 17 NOVEMBRE 2009
De 14 heures 30 à 15 heures 15 :
- Questions cribles thématiques sur les collectivités territoriales.
A 15 heures 15 :
Ordre du jour réservé au groupe socialiste :
- Proposition de loi relative à la lutte contre le logement vacant et à la solidarité nationale pour le logement, présentée par MM. François Rebsamen, Thierry Repentin et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.
- Proposition de loi visant à réguler la concentration dans le secteur des médias, présentée par M. David Assouline et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.
MERCREDI 18 NOVEMBRE 2009
A 14 heures 30 :
Ordre du jour réservé au groupe du RDSE :
- Proposition de loi tendant à interdire ou à réglementer le cumul des fonctions et des rémunérations de dirigeant d'une entreprise du secteur public et d'une entreprise du secteur privé, présentée par M. Yvon Collin et plusieurs de ses collègues du groupe du RDSE.
A 18 heures 30 et le soir :
Ordre du jour réservé au groupe UMP :
- Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, renforçant la lutte contre les violences de groupes et la protection des personnes chargées d'une mission de service public.
DU JEUDI 19 NOVEMBRE
AU MARDI 8 DÉCEMBRE 2009
- Sous réserve de sa transmission, projet de loi de finances pour 2010.
En outre,
MARDI 24 NOVEMBRE 2009
A 14 heures 30 :
- Éloge funèbre d'André Lejeune.
JEUDI 26 NOVEMBRE 2009
A 10 heures :
- Sous réserve de leur dépôt, conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2010.
A 15 heures :
- Questions d'actualité au Gouvernement.
MARDI 8 DÉCEMBRE 2009
A 21 heures 30 :
- Déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat, préalable au Conseil européen des 10 et 11 décembre 2009 ;
Semaine d'initiative sénatoriale
MERCREDI 9 DÉCEMBRE 2009
Ordre du jour réservé au groupe CRC-SPG :
A 14 heures 30 :
- Proposition de loi tendant à renforcer les droits des personnes liées par un pacte civil de solidarité, présentée par Mme Nicole Borvo Cohen-Seat et ses collègues du groupe CRC-SPG ;
JEUDI 10 DÉCEMBRE 2009
A 9 heures :
Ordre du jour réservé au groupe UMP :
- Sous réserve de sa transmission, deuxième lecture de la proposition de loi relative à la lutte contre la fracture numérique ;
A 15 heures :
Ordre du jour réservé au groupe socialiste :
(Cet ordre du jour sera fixé ultérieurement)
Prochaine Conférence des Présidents : jeudi 12 novembre 2009 à 10 heures.
Y a-t-il des observations sur la tenue des séances et l'ordre du jour autre que celui résultant des inscriptions prioritaires du Gouvernement ?
M. Michel Teston. - Au nom du groupe socialiste, je proteste vivement contre la proposition de nous faire travailler le samedi et le dimanche ! Nous ne sommes pourtant pas en session extraordinaire ! En session ordinaire, les séances se tiennent normalement du mardi au jeudi. Nous avons entamé l'examen de ce texte dès lundi matin, parce que le chef de l'État a décidé de nous faire travailler dans l'urgence et de nous faire achever cette discussion en une semaine alors qu'il en faudrait au moins deux. (M. Roland Courteau renchérit) J'espère que nous pourrons nous prononcer sur ces conclusions et que certains, dans les rangs de la majorité, les rejetteront avec nous.
M. Paul Blanc. - Ne rêvez pas !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Et la messe ?
M. Guy Fischer. - Je demande officiellement que les conclusions de la Conférence des Présidents soient soumises à l'approbation du Sénat. Nous ne pouvons admettre que celle-ci entérine les directives du Gouvernement et de M. Sarkozy ! (M. Martial Bourquin renchérit) Il est prévu que nous siégions désormais dès 14 h 30 l'après-midi, sans doute afin d'« optimiser » le travail parlementaire. (M. Pierre Hérisson le confirme) Quant aux week-ends, nous n'en aurons plus : le deux prochains seront consacrés à l'examen du projet de loi sur la Poste et du PLFSS. On bafoue ainsi tous les règlements ! La session ordinaire s'aligne sur la session extraordinaire ! Je souhaite qu'un vent de révolte souffle ce soir sur le Sénat ! (Exclamations moqueuses à droite, applaudissements à gauche) Passons au vote !
M. Daniel Raoul. - C'est à se demander si nos collègues de la majorité sont aussi des élus du terroir ! Depuis la dernière révision constitutionnelle, il nous arrive même de siéger la nuit en commission : M. le président de la commission de l'économie peut en témoigner. (M. Jean-Paul Emorine, président de ladite commission, le confirme) Cette commission est accablée de travail depuis plusieurs mois : nous avons enchaîné l'examen du Grenelle I, du Grenelle II, et maintenant du projet de loi sur la Poste ! C'est inacceptable pour des élus de terrain !
C'est ce que M. Fischer a évoqué à propos des séances de samedi et dimanche. (M. Bruno Sido évoque les 35 heures)
Sous l'impulsion libérale notamment de MM. Maurey et Pozzo di Borgo, nous avons étendu le travail dominical, après l'initiative de Mme Debré permettant d'ouvrir le dimanche les magasins de meubles. Mais comment voulez-vous que nous fréquentions les magasins dimanche si nous sommes retenus ici ? (Rires, même à droite ; Mme Nicole Borvo Cohen-Seat évoque la messe) La messe est une autre affaire, puisque l'ordo en dispense pourvu d'y aller le samedi soir. Mais les vêpres ! Le salut du Saint-Sacrement : où est-il ? Vous reniez toutes vos valeurs !
Plus sérieusement, comment étudier un dossier quand la séance publique ne laisse pas un instant de répit ?
La majorité n'arrive pas à être majoritaire en séance, d'où l'enchaînement hier de votes par scrutin public sur chaque amendement avant l'article premier.
M. Guy Fischer. - Cela nous fait perdre du temps !
M. Daniel Raoul. - Monsieur le président, il ferait bon mesurer le temps pris par les scrutins publics en raison de la faible implication de la majorité, qui soutient ce projet de loi comme la corde soutient le pendu.
Je demande que l'on revoie les conclusions de la Conférence des Présidents, manifestement établies par des gens qui ne sont pas des élus de terrain.
M. Didier Guillaume. - Les propositions de la Conférence des Présidents sont absurdes.
S'exprimant l'été dernier au nom du Président de la République, M. Karoutchi -qui était encore ministre des relations avec le Parlement- avait déclaré que, avec cinq semaines de congés par an, les Français ne comprendraient pas que les parlementaires se reposent pendant trois mois. C'est pourquoi nous allions siéger en juillet et en septembre.
Ce mépris pour les parlementaires n'est que du populisme de bas niveau. Nous devons certes participer à la séance publique mais aussi conduire un travail de réflexion et être présents sur le terrain. Que serait une démocratie où des parlementaires hors-sol vivraient sous les ors de la République sans jamais rencontrer la population ni lui rendre compte ?
Les propositions de la Conférence des Présidents ne tiennent pas debout. Le Sénat ne doit pas siéger un mois d'affilée, samedi et dimanche inclus.
M. Bruno Sido. - Nous avons déjà perdu un quart d'heure.
M. Didier Guillaume. - S'il faut venir samedi et dimanche, nous serons évidemment là ! (Exclamations ironiques à droite)
M. Christian Estrosi, ministre. - Quel bonheur !
M. Didier Guillaume. - Monsieur Longuet, parce que votre groupe n'est pas mobilisé pour soutenir un texte qu'il estime subalterne, vous êtes contraints de demander des scrutins publics et pourrissez ainsi la semaine du Gouvernement.
Revenons sur terre. M. Teston a rappelé qu'il nous reste un an pour achever l'examen de ce texte. Nous pourrions donc en débattre sereinement. (Applaudissements à gauche)
M. Martial Bourquin. - Nous siégerons le temps qu'il faudra. J'attire toutefois l'attention de la majorité sur le chantage du ministre.
M. Éric Doligé. - Cela ne marche pas avec nous !
M. Martial Bourquin. - Il dit en somme que le Gouvernement n'en ayant rien à faire de vos circonscriptions, vous resterez ici à temps complet s'il le faut pour adopter son projet de loi. Or, tout sénateur doit aussi rencontrer les élus qu'il représente. Ce chantage incroyable est unique et inique. J'y vois la marque d'un gouvernement de gens pressés qui ne bossent pas leurs dossiers. Nous l'avons vu avec l'Ircantec : rien n'était prévu. On met la pression sur le Parlement mais le chômage augmente et la situation économique et sociale se dégrade.
Sur La Poste, le Gouvernement veut éviter un vrai débat : il nous presse donc de voter la transformation en société anonyme, si nous voulons repartir dans nos circonscriptions.
M. Guy Fischer. - Voilà !
M. Martial Bourquin. - Si vous acceptiez ce chantage, vous seriez des godillots ! (On s'indigne à droite)
Le Gouvernement finit par transformer la représentation nationale en chambre d'enregistrement n'ayant rien à dire sur un sujet qui intéresse les Français ! Je suis stupéfait par ce cynisme méprisant ! (Applaudissements à gauche)
M. Gérard César. - Retrouvons notre calme. Ce soir, j'ai eu l'honneur de représenter le président de la commission de l'économie à la Conférence des Présidents : nous y avons décidé de siéger si besoin samedi et dimanche.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Vous avez décidé.
M. Gérard César. - La majorité décide, sinon la démocratie est bafouée !
M. François Rebsamen. - Je suis surpris par la décision de nous convoquer samedi et dimanche, vu le peu d'urgence du texte.
Alors que je m'attendais à une majorité sereine, je constate qu'elle est énervée et agacée. Bien qu'il n'y ait aucune urgence à boucler ce débat, le Gouvernement a imposé une procédure accélérée et passe maintenant à la marche forcée ! Je salue les sénateurs de la majorité présents ce soir mais les nombreuses absences dans leurs rangs illustrent un manque d'enthousiasme. Disposant de la majorité politique, vous n'est pas à même d'assurer une majorité physique.
M. Martial Bourquin. - C'est triste...
M. François Rebsamen. - Ce soir, nous sommes confrontés à une décision en forme de chantage.
Lors de la révision constitutionnelle, on m'a dit que le Sénat prendrait le temps d'examiner les textes.
M. Bruno Sido. - C'est pourquoi nous siègerons samedi et dimanche.
M. François Rebsamen. - Vous voulez bâcler le débat, faute d'arguments. D'ailleurs, vous n'avez toujours pas expliqué les raisons fondamentales justifiant la transformation en société anonyme. (On proteste énergiquement à droite) L'histoire de La Poste n'est pas une petite affaire : elle est liée à notre identité ; elle fait partie de notre patrimoine.
M. Gérard Longuet. - Que faisons-nous depuis deux jours ?
M. François Rebsamen. - Mais nous avons le droit de nous exprimer ? (On confirme « Naturellement ! » à droite) La Conférence des Présidents de ce soir bafoue les droits du Parlement à examiner dans la sérénité un texte essentiel pour l'avenir, puisque l'ouverture à venir du capital social de La Poste bouleversera un service public auquel tous sont attachés.
Cette méthode de travail me surprend. Prenez le temps d'écouter les élus locaux et ne bâclez pas un débat qui mérite mieux que l'urgence ! (Applaudissements à gauche)
M. Éric Doligé. - Comme j'entends dire qu'on est énervés, je voudrais dire sereinement que nous avons tous la même circonscription, le département, et que dans le mien, il y a deux sénateurs UMP et un socialiste. Les deux UMP sont là mais pas le socialiste -il doit être moins serein puisqu'il est en train de labourer sa circonscription. (Vives protestations à gauche ; applaudissements à droite)
M. Roland Courteau. - C'est scandaleux !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Ça vole bas !
M. Gérard Longuet. - Mes chers collègues...
M. Daniel Raoul. - Le général sans troupes !
M. Gérard Longuet. - La Conférence des Présidents a prévu que le Sénat disposerait de 90 heures d'hémicycle pour examiner 26 articles. Nous connaissons tous La Poste, nous l'avons gérée et ne découvrons pas les problèmes. Oui, monsieur Rebsamen, nous sommes tous attachés à La Poste et depuis longtemps, MM. Larcher et Hérisson y ont consacré leur attention. La commission de l'économie aussi. Nous ne découvrons pas le problème, nous n'avons pas à réinventer La Poste, nous la faisons évoluer pour tenir compte des demandes des usagers, de l'intérêt du personnel et des règles européennes. Ne dites pas que ces 90 heures sont insuffisantes pour expliquer 629 amendements. Nous sommes prêts à vous écouter et à mesurer leur apport constructif.
Les élus travaillent dans l'hémicycle et sur le terrain. Nous sommes peut-être un peu moins nombreux que vous ; certains travaillent peut-être ailleurs. Reste qu'une telle assiduité, dont je me réjouis, est rare sur un texte aussi technique.
Les 320 000 postiers ont le droit de savoir si la représentation nationale leur donne les moyens de ne pas se laisser manger la laine sur le dos par de grandes entreprises étrangères. Non, on ne peut pas attendre parce que toute part de marché perdue, ce sont des postes menacés : vous ne pouvez pas être complice de ce retard. (Applaudissements à droite)
M. Jean-Pierre Bel. - Je n'avais pas l'intention d'intervenir mais les propos de M. Doligé m'obligent à le faire. Il a mis en cause M. Sueur d'une manière inadmissible. Tout le monde sait à quel point Jean-Pierre s'implique dans nos travaux -il vous arrive même de vous en plaindre. Vous mettez le doigt dans un engrenage dangereux en faisant des élus des boucs-émissaires, en prétendant qu'ils ne veulent pas travailler. J'attends que vous exprimiez des regrets et que vous présentiez des excuses.
Je sais que la plupart d'entre vous n'approuvent pas ce qui nous est proposé. Nous allons entrer dans un tunnel qui durera jusqu'au 8 décembre. Vous ne l'acceptez pas ? Laisser entendre que les élus qui ne sont pas dans l'hémicycle trahissent leurs électeurs et leurs engagements, ce n'est pas digne d'un parlementaire de la République. (Applaudissements à gauche)
M. Pierre-Yves Collombat. - Votre propos, monsieur Doligé, était bas. S'il y a un soutier de la nuit, c'est bien Jean-Pierre Sueur et je ne suis pas sûr qu'un décompte des présences serait à votre avantage.
M. le président. - A la demande de M. Fischer et en application de l'article 32, alinéa 2, du Règlement, je vais consulter le Sénat sur les séances des samedi 7 et dimanche 8 novembre.
M. René Beaumont. - Nous n'avons pas à voter, la Conférence des Présidents a décidé.
M. le président. - J'essaie d'être clair. Habituellement, les conclusions de la Conférence des Présidents sont adoptées tacitement. Il y a eu aujourd'hui des observations. Le Sénat -c'est l'article 32, alinéa 2, du Règlement- peut décider de siéger d'autres jours que les mardi, mercredi et jeudi. Par une lecture éminemment étroite de cet article, je vais donc consulter.
M. Daniel Raoul. - Explication de vote ! Qui peut voter raisonnablement sinon ceux qui sont physiquement présents, Nous dénonçons l'abus de scrutin public, qui devient un simulacre. Vous demandez un scrutin public parce que vous êtes minoritaires. (« Non ! » à droite) Il faudra que nous clarifiions les procédures.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - Nous sommes majoritaires -j'ai compté. Si nous demandons un scrutin public en cet instant, c'est tout simplement pour marquer que la décision émane de tout le groupe après que, lundi, vous ayez annoncé que vous alliez nous pourrir la semaine ! (Applaudissements à droite ; dénégations à gauche)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Cette intervention est déplorable. Comment avez-vous pu consulter le groupe UMP sur la séance du samedi et du dimanche ? Vous auriez mieux fait de demander à ses membres d'être présents cet après-midi. Cela nous aurait évité des scrutins publics à répétition.
Mme Jacqueline Panis. - Et alors ?
A la demande du groupe UMP, le Sénat est consulté par scrutin public sur les séances des samedi 7 et dimanche 8 novembre 2009.
M. le président. - Voici les résultats du scrutin :
Nombre de votants | 340 |
Nombre de suffrages exprimés | 340 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 171 |
Pour l'adoption | 188 |
Contre | 152 |
Le Sénat a adopté la proposition de la Conférence des Présidents de siéger samedi et dimanche prochains.
(Applaudissements sur certains bancs UMP)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Je demande une suspension de séance de dix minutes. Le président Longuet a eu le temps de consulter le groupe de l'UMP avant ce vote ; je voudrais consulter le mien.
M. le président. - Il y a encore quatre inscrits sur l'article premier du projet de loi. Je vous propose que nous les écoutions, après quoi je vous accorderai une suspension de séance de cinq minutes.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Merci.
La Poste (Procédure accélérée - Suite)
M. le président. - Nous reprenons donc l'examen du projet de loi relatif à l'entreprise publique La Poste et aux activités postales.
Discussion des articles (Suite)
Article premier (Suite)
M. Yves Daudigny. - Je veux apporter la voix d'un département rural, l'Aisne, dont 10 % des habitants sont à plus de vingt minutes d'un point de contact. Un département où 52 agences postales communales sont déjà en place et où dix-huit relais poste-commerçants ont été créés. Un département où une lettre doit faire 300 kilomètres et passer par Amiens pour arriver au village d'à côté. Un département où la dégradation de la distribution du courrier s'accentue, sans qu'on puisse incriminer les postiers. Un département où, de 150 bureaux de plein exercice il y a dix ans, on est passé à 37, avec la perspective d'arriver à une vingtaine, soit un pour trois cantons ruraux. Qu'en sera-t-il demain, après la privatisation ?
Car vous ne pourrez nous convaincre que ce projet de loi ne remettra pas en cause la qualité du service rendu aux usagers, et le précédent d'EDF-GDF nous empêche d'accorder crédit aux garanties que vous dites apporter.
Les pétitions d'élus locaux se multiplient, contre les réductions d'horaires, la diminution des services rendus par les agences postales communales, la confusion commerciale des relais poste-commerçants, les portes fermées aux heures où les bureaux seraient fréquentés. Gare à la diagonale du vide qui pourrait traverser la France !
Je voterai contre cet article parce qu?il n'est pas porteur d'aménagement du territoire ni de qualité de vie pour les Français. Je ne me suis pas inscrit dans ce débat par malice, par calcul ou par volonté d'obstruction mais parce qu'il est essentiel pour la défense des valeurs qui fondent les solidarités humaines et territoriales dans notre pays.
M. Daniel Raoul. - Les lettres au Père Noël risquent de rencontrer quelques problèmes...
Ces deux jours me rappellent le débat sur EDF-GDF et le statut que nous avions proposé pour un service public de l'énergie. Vous avez fait une société anonyme avec GDF et Suez, vous en préparez une autre en nommant le même président pour EDF et Véolia. Nous l'avons auditionné, certes, mais à la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire, alors que c'est une commission d'éthique qu'il aurait fallu en la circonstance.
Vous nous dites que ce projet de loi aurait été réclamé par le président de La Poste ? Sans doute, mais quelle est sa part d'initiative face à un conseil d'administration dont tous les membres sont représentants de l'État ? Il n'est que le porte-parole du Gouvernement. Il sait ce qui est arrivé à un autre président, qui s'était exprimé sur la politique tarifaire de son entreprise.
Quand il nous parle d'« imprivatisable », le ministre pèche par omission.
Vous savez bien que l'amendement Retailleau n'a aucune valeur juridique au regard de la décision de 2006 du Conseil constitutionnel. Quant à l'amendement Pozzo di Borgo, qui avait le courage de dire le vrai, c'était à l'évidence un chiffon rouge à ne pas agiter... On nous dit que la Caisse des dépôts va entrer au capital de La Poste pour 1,2 à 1,5 milliard d'euros ; si on ponctionne ainsi ses réserves, comment fera-t-elle pour jouer son rôle de soutien à l'investissement industriel ? Lorsque le poids de l'industrie descendra sous les 20 % du PIB, il ne nous restera plus qu'à acheter des casquettes pour faire visiter la France...
M. le président. - Veuillez conclure.
M. Daniel Raoul. - Quel crédit accorder aux déclarations de ceux qui, main sur le coeur, nous assurent que La Poste ne sera jamais privatisée ? Un certain Nicolas Sarkozy, alors ministre de l'économie, nous avait juré que GDF ne le serait jamais. On sait ce qu'il en est advenu. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. Gérard Miquel. - Nous ne savons pas tirer les enseignements de nos erreurs passées. Voyez ce qu'il est advenu avec France Télécom : dans nos campagnes, les lignes ne sont pas entretenues au point que les fils soutiennent les poteaux ; le conseil général de mon département est contraint de construire trois relais pour couvrir les zones blanches de la téléphonie mobile et de déployer la fibre optique parce que les opérateurs ne viennent pas : ce n'est pas rentable.
Le ministre nous dit que La Poste est « imprivatisable », on met en avant le verrou que constituerait l'amendement Retailleau mais on sait ce qu'il en est des verrous. Souvenez-vous de la privatisation à 49 % des autoroutes et des déclarations de M. Gayssot, alors en charge du dossier. Plus tard, M. Raffarin, Premier ministre, a résisté, puis M. de Villepin a pris la suite et les autoroutes ont été totalement privatisées, privant l'État d'une recette d'un milliard d'euros qui serait aujourd'hui la bienvenue.
Demain, les 2,7 milliards d'euros annoncés ne suffiront pas ; et dans quelques années, immanquablement, on dira qu'il faut ouvrir le capital de La Poste et trouver les 3 à 4 milliards nécessaires. Comme la rentabilité ne sera pas au rendez-vous, on demandera aux collectivités de mettre la main à la poche pour que le courrier soit distribué chaque jour et partout sur leur territoire. Voilà comment on casse un service public. Ce sont toujours les plus faibles, les habitants des zones rurales et ceux des quartiers, qui sont les victimes de la politique libérale. Nous voterons contre l'article premier pour préserver le dernier rempart du service public. (Applaudissements à gauche)
Mme Colette Giudicelli. - Il est vrai que les choses changent avec le temps. M. Jospin, en 1997, avait fait campagne sur le thème des renationalisations : il a ouvert le capital de France Télécom et d'Air France, il a privatisé Thomson, le Gan, la Société marseillaise de crédit, RMC, le Crédit lyonnais, l'Aérospatiale ... Cessez donc de soutenir que les méchants sont de ce côté-ci de l'hémicycle et les gentils de ce côté--là. La nouvelle élue que je suis trouve cette façon de débattre indigne du Sénat.
Je suis certaine, monsieur Raoul, que pour communiquer avec un de vos proches à l'autre extrémité de la France, vous ne prendrez pas stylo, enveloppe et feuille de papier. Les choses évoluent, les postiers sont les premiers à nous le dire. Sans doute enverrez-vous un SMS...
M. Daniel Raoul. - Je vais vous écrire ! (L'orateur joint le geste à la parole)
Mme Colette Giudicelli. - Si nous travaillons ensemble avec sérieux, nous parviendrons certainement à préserver cette grande entreprise qu'est La Poste ; mieux, à en faire une grande entreprise européenne.
« Pour que la loi du progrès existât, il faudrait que chacun voulût la créer ; c'est-à-dire que, quand tous les individus s'appliqueront à progresser, alors, l'humanité sera en progrès ». Ce n'est pas de moi, mais de Baudelaire. (Applaudissements à droite)
M. Guy Fischer. - La votation citoyenne... (« Ah ! » à droite)
M. Jean Bizet. - Ça recommence !
M. Guy Fischer. - ...du 3 octobre dernier a révélé combien nos compatriotes étaient attachés au service public postal. Les garanties apportées par le Gouvernement sont l'arbre qui cache la forêt. Il nous dit que la transformation en SA ne changera rien : j'affirme le contraire. J'en veux pour preuve la situation des salariés de l'escale aérienne postale Saint-Exupéry de Lyon-Satolas, service rattaché actuellement à la plate-forme industrielle courrier Ain-Rhône de Saint-Priest.
M. Pierre Hérisson, rapporteur. - Magnifique plate-forme...
M. Guy Fischer. - Les 31 salariés avaient souhaité me rencontrer et j'ai passé une partie de la nuit du 19 octobre en leur compagnie et celle de leur directeur. Ils sont très inquiets. On leur a en effet annoncé en septembre le transfert de l'activité à la société Neolog, filiale à 100 % de la holding Sofipost, elle-même détenue par La Poste. Ils devront avoir quitté les lieux le 6 avril 2010. Neolog emploie des salariés de droit privé : si ce n'est pas une privatisation, ça y ressemble ! Les fonctionnaires seront mutés dans un autre établissement dépendant de la plate-forme. On avait déjà brandi la menace de fermeture du site pour des raisons liées à la protection de l'environnement, La Poste souhaitant réduire de 15 % les émissions de gaz à effet de serre de ses transports. Les fonctionnaires ne comprennent pas pourquoi on leur demande de partir alors que l'activité va se poursuivre avec les salariés de Neolog.
Quant à la politique sociale de Néolog, les salariés du site d'Halluin, dans le Nord, n'en gardent pas un bon souvenir : une vingtaine de salariés sur 45 ont fait les frais d'une restructuration. Cette entreprise n'y va pas par quatre chemins : soit vous acceptez une mutation, soit vous êtes licencié.
Le Gouvernement souhaite donc saborder le navire en amont grâce aux filiales de La Poste. Voilà ce que vous faites du service public : vous le livrez aux appétits du privé, vous organisez une privatisation rampante des services pour le plus grand profit des actionnaires ! C'est pourquoi nous voterons résolument contre l'article premier. (Applaudissements à gauche)
La séance, suspendue à 22 h 45, reprend à 22 h 50.
M. Jean-Paul Emorine, président de la commission de l'économie. - J'ai été très attentif à tout ce qui a été dit depuis le début des débats. En dépit des craintes de certains, tout le monde a pu s'exprimer. J'ai siégé 55 heures sur ce banc lors du Grenelle de l'environnement, j'ai donc pris le temps de prendre la température de cet hémicycle.
Depuis très longtemps, M. Hérisson et moi-même nous sommes intéressés à l'avenir de La Poste. Je ne vais pas relancer le débat sur le statut de La Poste ni sur la votation. J'ai reçu en lieu et place du Président Larcher l'ensemble des syndicats. Ensuite, nous avons beaucoup débattu de ce texte en commission et nous l'avons amendé. M. le ministre et M. le rapporteur ont apporté des réponses et des garanties aux questions qui leur étaient adressées. Sur les quelque 580 amendements qui restent à examiner, certains peuvent encore apporter des améliorations à ce texte, mais j'appelle mes collègues à une certaine sagesse : ayons un débat serein. J'ai bien compris que vous ne vouliez pas siéger ce week-end : si, à partir de ce soir, nous pouvions travailler sereinement, nous pourrions faire du bon travail dans des délais raisonnables.
J'estime que ce texte, amendé par la commission, est à même de rassurer nos concitoyens, les employés de La Poste et les élus. Il permettra de moderniser cette grande entreprise à laquelle nous sommes tous très attachés. Je respecte bien évidemment les convictions de chacune et de chacun d'entre vous, mais que cela ne nous empêche pas de faire du bon travail. Arrêtons les procès d'intention : nous sommes là pour travailler dans l'intérêt d'une société et de nos concitoyens. (Applaudissements au centre et à droite)
M. le président. - Amendement n°23, présenté par M. Danglot et les membres du groupe CRC-SPG.
Supprimer cet article.
Mme Marie-France Beaufils. - Nous sommes opposés au changement de statut de La Poste car nous défendons le principe du service public que vous voulez abattre.
La méthode employée pour arriver à la privatisation est bien rodée : elle a déjà été expérimentée pour France Télécom et pour GDF. Ce changement de statut nous serait imposé par la mise en concurrence décidée par l'Europe. C'est faux : c'est vous, et vous seuls, qui souhaitez cette modification.
Vous êtes à l'origine de la directive européenne du 20 février 2008 qui concerne l'achèvement du marché intérieur des services postaux et qui fixe au 31 décembre 2010 la libéralisation totale des marchés postaux. Nos députés européens du groupe de la gauche unitaire n'ont pas voté cette directive car elle ouvre la porte à la concurrence et elle va désorganiser les services postaux. En outre, vous omettez de dire que cette directive ne nous impose pas de modifier le statut de La Poste, cette faculté étant du pouvoir de chaque nation.
Le processus est bien connu : ainsi, France Télécom a été transformée en exploitant de droit public doté de l'autonomie financière et d'une personnalité morale distincte de l'État. Cette première étape a permis ensuite de parachever le travail : les députés et sénateurs communistes avaient voté contre cette loi en 1990. Après la loi Fillon de 1996, à laquelle nous nous étions également opposés, la première ouverture de capital a eu lieu en 1997, puis en 1998. En 2003, une nouvelle loi a permis à l'État d'être minoritaire, ce qui fut le cas en 2004. Vous avez porté l'estocade finale en 2007, en ramenant la part de l'État à 27 %.
Les politiques de libéralisation ont toutes les mêmes effets : elles conduisent à la casse des services publics. Vos promesses d'aujourd'hui ne sont pas de nature à nous tranquilliser car vous êtes en train de réécrire le même scénario pour La Poste. Une société anonyme est une société de capitaux dont la dénomination sociale ne révèle pas le nom des actionnaires et elle peut même en ignorer l'identité lorsque les titres sont au porteur.
Les actionnaires peuvent céder librement leurs titres, ce qui suscite la crainte des postiers, des usagers et des élus. Ils vous le disent sur tous les tons, mais vous faites la sourde oreille.
M. le président. - Veuillez conclure.
Mme Marie-France Beaufils. - Vous entraînez notre pays vers des reculs de civilisation dont vous êtes les seuls responsables. Les services publics représentent un espoir pour d'autres peuples, mais votre seul souci est d'aider vos amis à devenir actionnaires de cette nouvelle société anonyme.
M. Gérard Longuet. - Ainsi que les salariés.
Mme Marie-France Beaufils. - La Poste n'a pas besoin d'anonymat mais de plus de transparence, de modernité, d'attention. (Applaudissements à gauche)
M. le président. - Amendement identique n°264, présenté par MM. Desessard, Muller, Mmes Blandin, Boumediene-Thiery et Voynet.
M. Jacques Muller. - Cet article, qui est au coeur de ce projet de loi, n'arrive pas par hasard. Le changement de forme juridique serait justifié par l'adaptation aux défis auxquels l'entreprise est confrontée. C'était la même chose pour France Télécom. Pour moderniser un service public, faut-il le privatiser ? Selon les partisans de cette évolution, il faudrait recapitaliser car les caisses sont vides. Pourquoi les caisses sont-elles vides ? Pour s'attaquer au service public, les gouvernements ont toujours appliqué les mêmes recettes : on réduit les aides publiques, puis on déclare le service public en danger. Puisque, pour les libéraux, le marché est la meilleure solution, le service public devrait s'aligner sur des critères de rentabilité et de performance financière sans qu'on fasse le bilan des précédentes privatisations.
France Télécom a été transformée en société anonyme en 1996, et son capital a été ouvert : la participation de l'État est aujourd'hui d'environ 30 %. Le bilan : les prix n'ont pas baissé pour les usagers car le monopole public a laissé sa place à un oligopole privé. Orange, Bouygues et SFR ont pratiqué une entente illicite sur les prix. Quant aux agents de France Télécom, l'actualité en dit long sur leur triste sort.
Je citerai quelqu'un que nous connaissons bien : « Accepter le vent vivifiant de la compétition est une chose, se résigner aux tempêtes que produirait une déréglementation hâtive en est une autre. » C'est signé Gérard Larcher dans Le Quotidien de Paris du 26 mars 1993, à propos de France Télécom et de La Poste. M. le Président a raison : nous ne devons pas nous résigner aux tempêtes.
Selon Jean Glavany, en 1997 : « L'ouverture du capital de France Télécom a été une erreur. Il faudra le dire à l'avenir : on privatise ou on reste un service public. Mais l'ouverture du capital me paraît un cache-sexe un peu honteux pour une privatisation qui ne veut pas dire son nom ». (On s'offusque à droite) Ce choix est purement idéologique.
M. le président. - Veuillez conclure.
M. Jacques Muller. - Donner notre aval à cet article, c'est mettre en péril les agents et compromettre l'accès au service public postal.
M. le président. - Amendement identique n°430 rectifié, présenté par M. Teston et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.
M. Michel Teston. - La votation citoyenne (« Ah ! » à droite) a démontré que les Français n'étaient pas prêts à sacrifier leur poste et leur service public postal au profit d'une stratégie industrielle. Celle-ci ne doit pas nuire au développement d'une offre de services publics de qualité, qui doit être consolidée. A défaut, à qui bénéficierait-elle si ce n'est aux futurs actionnaires ?
Avec le statut d'EPI, La Poste dispose de l'autonomie financière. En l'absence d'actionnaires, elle peut réinvestir l'ensemble de ses bénéfices. En 2007, La Poste a réalisé un résultat net de 1 milliard d'euros. Celui-ci s'est élevé en 2008, malgré la crise, à près de 530 millions alors que les entreprises ont réduit leur poste courrier. En 2008 et 2009, la chute de celui-ci se situerait entre 5 et 6 %. Certes, cette baisse est structurelle mais, comme le souligne le rapport Ailleret, le volume total du courrier n'a diminué que de 1,5 % entre 2003 et 2006, pour un chiffre d'affaires de 11 milliards, qui a peu varié depuis 2004. La situation n'est donc pas si tragique.
Nos concitoyens souhaitent que le financement d'un service public postal de qualité soit garanti, y compris pour l'offre de produits financiers. Par cet article, le Gouvernement veut faire sauter le dernier verrou avant la disparition progressive du service universel. Il faut maintenir le statut actuel de La Poste. En 1997, le rapport d'information de Gérard Larcher soulignait que la sociétisation de l'entreprise n'est pas indispensable. (Applaudissements à gauche)
M. le président. - Amendement identique n°581, présenté par MM. Fortassin, Tropeano, Collin, Charasse, Mme Laborde, MM. Mézard, Milhau et Mme Escoffier.
Mme Françoise Laborde. - Le RDSE a adopté une attitude constructive mais la majorité de mon groupe estime que les citoyens doivent pouvoir avoir le choix pour la réforme de leur service postal, dans la logique de la motion référendaire. Les auteurs de l'amendement sont opposés au changement de statut de La Poste et souhaitent la suppression de l'article. (Applaudissements sur plusieurs bancs socialistes)
M. Pierre Hérisson, rapporteur. - Le changement de statut est la meilleure solution pour que La Poste puisse bénéficier d'un apport de fonds propres sans contestation de la Commission européenne.
A ceux qui craignent une entrée de capitaux privés dans La Poste, je rappellerai que les personnes morales de droit public ne sont pas des entreprises publiques, mais des établissements publics. Les premières peuvent avoir des capitaux privés : les seconds sont 100 % publics. Pour éviter cette confusion, la commission a remplacé l'expression « personnes morales appartenant au secteur public » par « personnes morales de droit public ». Cette modification est fondamentale. Vous pouvez donc retirer ces amendements. A défaut, avis défavorable.
Acceptez cette formule, tout à fait différente du projet de loi d'origine. La rédaction adoptée par la commission apporte des garanties qui peuvent satisfaire tous les bancs. Vous pourrez l'expliquer dans vos circonscriptions, vos départements : les entreprises publiques peuvent avoir des capitaux privés, mais cela ne concerne pas les établissements publics, donc La Poste.
M. Christian Estrosi, ministre. - Enfin, nous abordons sérieusement le fond du débat. Je comprends vos craintes, dont certaines sont émises avec conviction. Je tenterai de me convaincre moi-même qu'il s'agit de craintes de conviction... (Sourires) Toutefois, elles ne sont plus justifiées après le débat en commission et la modification que le rapporteur vient de vous rappeler. Cette garantie sans précédent diffère tout à fait des changements de statut antérieurs.
Je ne doute pas que tous ici estiment que La Poste est une entreprise formidable, à laquelle nous sommes attachés et que nous voulons sauver. Certains ne veulent rien changer, espérant que dans deux ou trois ans, La Poste pourra s'en sortir malgré l'ouverture à la concurrence. Or elle n'a aucune chance d'y parvenir sans cette modification.
Oui ou non, a-t-elle 6 milliards de dettes ? (« Oui ! » à droite) Oui. La baisse de l'activité courrier va-t-elle s'amplifier ? (« Oui ! » à droite) Oui.
M. Gérard Longuet. - Hélas !
M. Christian Estrosi, ministre. - Lorsque j'étais ministre délégué à l'aménagement du territoire, les élus ruraux, les parlementaires se plaignaient auprès de moi d'être dans les « zones blanches » pour la téléphonie mobile, internet ou l'ADSL. Et les mêmes élus de cette ruralité, dont je fais partie, ayant obtenu gain de cause, regretteraient la baisse de l'activité courrier traditionnelle ?
Nous passons d'un monde à un autre. Mais en même temps, nous voulons que La Poste demeure compétitive tout en gardant son statut public. Et le seul moyen d'y parvenir et d'apporter à La Poste 1,7 milliard sans se faire condamner par Bruxelles -comme nous l'avons été pour des aides accordées aux agriculteurs-, c'est d'en passer par cette évolution statutaire.
En même temps, pour garantir que cela ne changera pas, quels que soient les gouvernements ou les majorités, il nous faut ensemble encadrer ce texte et y inscrire ce qui a trait au service public postal. J'ai pris des engagements sur le 100 % public, sur le fait d'énumérer une liste immuable de missions de service public et d'annoncer clairement -dès avant l'amendement Retailleau- que nous tiendrons compte du préambule de la Constitution de 1946.
Au vu de toutes ces données, sincèrement, ces quatre amendements ne se justifient plus. On ne peut passer des heures à dénoncer les dysfonctionnements de La Poste et, en même temps, ne rien vouloir y changer.
Nous modifions le statut de cette entreprise en veillant à respecter trois critères : prendre la dimension humaine en compte et ne pas faire du personnel une variable d'ajustement ; respecter les attentes des élus ; respecter celles des Français, des 10 millions d'usagers qui chaque jour franchissent la porte des bureaux de poste et qui espèrent la modernisation et l'amélioration de leur service public.
Je vous demande donc de retirer ces amendements pour qu'ensemble, nous fassions de La Poste la grande entreprise publique française capable de résister, dès le 1er janvier 2011, aux autres opérateurs qui, déjà, s'organisent aux niveaux européen, national, et même départemental. (Applaudissements à droite)
M. le président. - Plusieurs orateurs se sont inscrits pour expliquer leur vote mais je vous rappelle qu'à la demande du président Larcher, je lèverai la séance à minuit moins cinq...
M. Daniel Raoul. - J'ai écouté avec attention le plaidoyer du ministre mais je ne suis toujours pas convaincu, et surtout pas par le chantage à l'amende bruxelloise. Les traités actuels -sans attendre celui de Lisbonne- permettent aux États membres de définir librement leurs services publics et de les financer. Vous auriez donc dû commencer par les définir. Ce changement de statut n'est pas imposé par la directive : c'est un mensonge, c'est du chantage, c'est tout à fait différent du cas des aides à l'agriculture !
Par déformation professionnelle, j'aimerais soumettre mes collègues à une interrogation écrite : qui, parmi eux, peut me dire la différence entre un Épic et une SA ?
M. Gérard Longuet. - Sans problème !
M. Daniel Raoul. - Je ne pose pas la question au bon élève de la classe !
M. Gérard Longuet. - Il est vrai que je suis redoublant...
M. Daniel Raoul. - Je ne suis pas sûr que tous les collègues saisissent l'enjeu d'une telle transformation. C'est le transfert d'un patrimoine bâti par la Nation au bilan d'une SA. Ce patrimoine sera donc à la disposition des futurs actionnaires, quels qu'ils soient !
Le ministre de l'économie de l'époque -dont je n'aurai pas la cruauté de rappeler le nom- avait promis que GDF ne serait jamais privatisé. Aujourd'hui, le patrimoine de GDF est réparti entre les mains des actionnaires. Voilà le résultat de la transformation d'un Épic en SA. Vous spoliez, vous lésez les Français ! (Applaudissements sur les bancs socialistes)
Mme Mireille Schurch. - Depuis lundi, M. le ministre multiplie les déclarations et les promesses : La Poste serait « imprivatisable », il voudrait même la sauver. Il se dit prêt à inscrire dans la loi la notion de « service public national », en référence au préambule de 1946. Mais les décisions du Conseil constitutionnel de 1986 et 2006 montrent que cela n'empêchera nullement une future privatisation. (M. Daniel Raoul le confirme) De l'aveu même de M. Guaino, aucune garantie n'est éternelle, et ce qu'une loi fait, une loi peut le défaire. Votre soutien sans réserve aux politiques ultralibérales communautaires et les nombreuses privatisations d'entreprises publiques qui ont eu lieu par le passé nous laissent bien peu d'espoir pour l'avenir. Vous cherchez à leurrer les citoyens et méprisez leur voix qui s'est fait entendre lors de la consultation du 3 octobre.
L'article premier ouvre la voie à une privatisation du statut, de la gestion et du personnel de La Poste, qui ne sera plus composé de fonctionnaires. Une fois ce verrou sauté, rien n'empêchera plus que les capitaux privés deviennent majoritaires en son sein. Une SA publique à 100 %, cela n'existe pas. On connaît la chanson : M. Sarkozy jurait en 2004 qu'EDF et GDF ne seraient pas privatisés mais qu'il voulait seulement changer leur statut pour leur permettre de se développer.
Les conséquences de cette évolution seront graves, tant pour l'exercice des missions de service public de l'entreprise que pour son personnel : les salariés de droit privé subiront une précarité accrue et la convention régissant le statut des salariés pourrait laisser place à un éventail de textes plus désavantageux.
Il n'est pas souhaitable que la part de l'État dans le capital de La Poste puisse devenir minoritaire par rapport à celle d'autres personnes de droit public, car seul l'État peut défendre l'intérêt général et assurer un service public de qualité pour tous les citoyens, sur tout le territoire.
La Poste aurait un bel avenir, comme le dit M. Ailleret, si celui-ci n'était pas entre vos mains. (Protestations à droite) Le groupe CRC-SPG poursuivra la lutte et votera cet amendement. (Applaudissements à gauche)
M. Bernard Vera. - Les arguments de M. le rapporteur et M. le ministre pour défendre la transformation du statut de La Poste ne tiennent pas. L'État, disent-ils, ne pourrait accorder de subventions à un Épic sans que celles-ci soient considérées comme une aide d'État par les instances européennes. C'est faux, et même si c'était vrai, le Gouvernement, fort de la légitimité du Parlement, pourrait assumer politiquement ce choix. Mais l'État accorde depuis longtemps des aides à La Poste pour certaines de ses missions de service public sans être inquiété par la Commission européenne ni par la Cour européenne de justice (Mme Annie David le confirme) : c'est le cas pour l'aménagement du territoire, la distribution de la presse et l'accessibilité bancaire. Rien n'empêche donc d'accorder un milliard d'euros à La Poste pour remplir ses missions, ni d'élargir celles-ci, ce qui entraînerait une hausse des subventions.
D'ailleurs, les traités européens ne préjugent en rien du régime de propriété de la puissance publique.
Les banques ont bien reçu une aide financière de l'État sans participation au capital sans que l'on agite le spectre d'une condamnation pour aide d'État : pourquoi La Poste ne serait-elle pas traitée à la même enseigne ? Les sommes en cause sont sans commune mesure : 360 milliards pour les banques, 1,5 milliard pour La Poste. J'en appelle donc à votre volonté politique.
Mais ce que vous voulez, c'est privatiser La Poste. M. Sarkozy promettait naguère que GDF ne serait jamais privatisé. Comment croire alors vos déclarations sur le caractère « imprivatisable » de La Poste ? Le projet de loi initial permettait d'ailleurs l'entrée au capital de personnes morales de droit privé, ce qui montre le soin pris par le Gouvernement à ce que La Poste reste à 100 % publique...
Nous ne sommes pas dupes de vos manoeuvres. Vous voulez laminer les services publics et libéraliser l'ensemble des activités humaines, au détriment de l'intérêt général. Pourtant, la crise financière, économique et sociale que nous traversons montre que la modernité, c'est de chercher à sortir du libéralisme et de la spirale infernale du déclin. Au nom des 2,3 millions de Français qui se sont exprimés le 3 octobre, nous voterons cet amendement. (Applaudissements à gauche)
M. Michel Teston. - Monsieur Hérisson, la loi du 2 juillet 1986 définit une entreprise publique comme une entreprise dont au moins 51 % du capital est détenu par l'État, les administrations nationales, régionales ou locales. La rédaction de la commission, même si elle apporte un peu plus de garanties, permet donc à des actionnaires dont le capital ne serait pas entièrement public d'entrer au capital de La Poste.
Je vous ai entendu, ainsi que M. le ministre et M. Gélard, nous opposer plusieurs arguments pour défendre le changement de statut de La Poste. Un Épic, dites-vous, ne peut recevoir de subsides de l'État ; mais La Poste reçoit depuis des années une subvention, certes insuffisante, pour le transport et la distribution de la presse : 242 millions d'euros cette année. L'État pourrait également l'aider financièrement à assurer une présence postale. La SNCF, Épic depuis 1982, reçoit également une dotation de l'État, et M. Pepy écrivait dans son rapport d'activité pour 2008 : « La SNCF s'organise au plan comptable et financier de manière à ce que la persistance de ce statut original soit en tout point compatible avec l'exercice d'activités concurrentielles. » Qu'est-ce qui empêche La Poste de faire la même chose ?
Vous prétendez que le statut actuel ne permet pas à l'entreprise de se développer pour faire face à l'ouverture totale à la concurrence. Les exemples de la SNCF, de la RATP, de La Poste elle-même montrent le contraire : la première s'est développée en France et à l'étranger, acquérant une entreprise de fret dont le siège est à Dresde, la partie internationale de Veolia cargo et une participation dans une société qui exploite des TGV en Italie ; la seconde a acheté des entreprises exploitant des tramways à l'étranger et la troisième le distributeur allemand DPD. Nous vous demandons donc de renoncer à ce changement de statut. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
Mme Annie David. - Les arguments de M. le rapporteur et M. le ministre ne m'ont pas convaincue. Nous ne sommes pas partisans du statu quo, bien au contraire : nous n'avons pas cessé de vous faire des propositions mais vous ne les avez pas entendues. Certes, La Poste est endettée, mais envers qui ? Elle doit se moderniser, mais par quels moyens ? C'est en se montrant trop chiche avec elle que l'État l'a mise dans la situation qui vous fait dire aujourd'hui qu'elle doit changer de statut.
Vous nous assurez que La Poste ne sera pas privatisée, et la commission a ajouté à l'article premier une disposition censée l'empêcher. Mais nous ne sommes pas dupes : d'aucuns juraient en 2004 que GDF ne serait pas privatisé, c'est le cas aujourd'hui comme pour France Télécom.
Nos craintes sont d'autant plus vives que la logique du privé s'est déjà insinuée à La Poste, dans la gestion de ses filiales, qui sont presque toutes des SA, comme dans la division de ses activités en quatre branches.
La Banque postale est une société anonyme dont le capital est détenu par La Poste. Son résultat net semestriel dévoilé en septembre affichait une progression de 3,2 %. Malgré l'ouverture à la concurrence du livret A, l'encours de l'épargne collectée a augmenté de 8,1 %. La Banque postale espère atteindre 10 millions de clients actifs. Mais de nombreux bureaux de poste ont été fermés.
Nous proposons des solutions positives, plutôt qu'une privatisation affaiblissant les missions de service public. Pourquoi le fonds de compensation n'a-t-il rien versé à La Poste, alors qu'il lui devait 800 millions par an, soit 4 milliards à la fin du présent exercice ? Et vous prétendez que La Poste a besoin de liquidités !
Enfin, je salue l'arrivée en séance de Jean-Pierre Sueur. (Applaudissements à gauche)
M. Pierre-Yves Collombat. - J'ai eu un choc en apprenant que le maire de Nice était un élu rural...
Je veux bien vous accorder que vous croyez aux garanties de votre dispositif anti-privatisation, mais reconnaissez son caractère précaire et révocable ! On peut toujours supprimer dans la loi le caractère national d'un service public, ce qui le rend privatisable.
M. Teston a montré que le développement de La Poste n'exigeait pas la solution risquée voulue par le Gouvernement. Nous en proposons une autre, qui n'est ni archaïque ni déplacée.
M. Michel Billout. - L'article premier ouvre la voie à la privatisation de l'entreprise postale. Pour faire passer son projet en douceur, le Gouvernement invoque la société anonyme 100 % publique. Or, le statut de société anonyme conduit à une participation d'actionnaires, donc à leurs confortables rémunérations, incompatibles avec le service public à la vocation sociale.
Ces contradictions ont été parfaitement illustrées par une interview accordée en juillet par M. le ministre au quotidien suisse Le Matin : après avoir affirmé qu'à « aucun moment » il ne laisserait « de place à l'intérêt du capital à quelque acteur privé que ce soit », il ajoutait que la réalité d'aujourd'hui pourrait « évoluer demain en fonction des circonstances ». Nous voulons supprimer l'article premier parce que le service postal, l'équilibre de nos territoires, l'accessibilité et la continuité du service ne doivent pas dépendre des circonstances !
M. Jacques Muller. - Connaissant la situation difficile de La Poste, un service public auquel nos concitoyens sont viscéralement attachés, nous devons agir sans idéologie, c'est-à-dire de façon pragmatique et sans ignorer l'histoire. Après France Télécom, EDF et GDF, les Verts disent « Stop ! » au démantèlement rampant des services publics, théorisé par la pensée libérale. Nous refusons d'ouvrir la boîte de Pandore, même déguisée en paquet cadeau !
A la demande du groupe CRC-SPG, les amendements identiques nos23, 264, 430 rectifié et 581 sont mis aux voix par scrutin public.
M. le président. - Voici les résultats du scrutin :
Nombre de votants | 338 |
Nombre de suffrages exprimés | 336 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 169 |
Pour l'adoption | 150 |
Contre | 186 |
Le Sénat n'a pas adopté.
(Applaudissements à droite)
Prochaine séance demain, jeudi 5 novembre 2009, à 9 h 30.
La séance est levée à 23 h 55.
Le Directeur du service du compte rendu analytique :
René-André Fabre
ORDRE DU JOUR
du jeudi 5 novembre 2009
Séance publique
A 9 HEURES 30
1. Suite du projet de loi relatif à l'entreprise publique La Poste et aux activités postales. (Procédure accélérée - n°599 rectifié, 2008-2009)
Rapport de M. Pierre Hérisson, fait au nom de la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire. (n°50, 2009-2010)
Texte de la commission. (n°51, 2009-2010)
A 15 HEURES ET LE SOIR
2. Questions d'actualité au Gouvernement.
3. Suite de l'ordre du jour du matin.