La Poste (Procédure accélérée - Suite)

M. le président.  - Nous reprenons donc l'examen du projet de loi relatif à l'entreprise publique La Poste et aux activités postales.

Discussion des articles (Suite)

Article premier (Suite)

M. Yves Daudigny.  - Je veux apporter la voix d'un département rural, l'Aisne, dont 10 % des habitants sont à plus de vingt minutes d'un point de contact. Un département où 52 agences postales communales sont déjà en place et où dix-huit relais poste-commerçants ont été créés. Un département où une lettre doit faire 300 kilomètres et passer par Amiens pour arriver au village d'à côté. Un département où la dégradation de la distribution du courrier s'accentue, sans qu'on puisse incriminer les postiers. Un département où, de 150 bureaux de plein exercice il y a dix ans, on est passé à 37, avec la perspective d'arriver à une vingtaine, soit un pour trois cantons ruraux. Qu'en sera-t-il demain, après la privatisation ?

Car vous ne pourrez nous convaincre que ce projet de loi ne remettra pas en cause la qualité du service rendu aux usagers, et le précédent d'EDF-GDF nous empêche d'accorder crédit aux garanties que vous dites apporter.

Les pétitions d'élus locaux se multiplient, contre les réductions d'horaires, la diminution des services rendus par les agences postales communales, la confusion commerciale des relais poste-commerçants, les portes fermées aux heures où les bureaux seraient fréquentés. Gare à la diagonale du vide qui pourrait traverser la France !

Je voterai contre cet article parce qu?il n'est pas porteur d'aménagement du territoire ni de qualité de vie pour les Français. Je ne me suis pas inscrit dans ce débat par malice, par calcul ou par volonté d'obstruction mais parce qu'il est essentiel pour la défense des valeurs qui fondent les solidarités humaines et territoriales dans notre pays.

M. Daniel Raoul.  - Les lettres au Père Noël risquent de rencontrer quelques problèmes...

Ces deux jours me rappellent le débat sur EDF-GDF et le statut que nous avions proposé pour un service public de l'énergie. Vous avez fait une société anonyme avec GDF et Suez, vous en préparez une autre en nommant le même président pour EDF et Véolia. Nous l'avons auditionné, certes, mais à la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire, alors que c'est une commission d'éthique qu'il aurait fallu en la circonstance.

Vous nous dites que ce projet de loi aurait été réclamé par le président de La Poste ? Sans doute, mais quelle est sa part d'initiative face à un conseil d'administration dont tous les membres sont représentants de l'État ? Il n'est que le porte-parole du Gouvernement. Il sait ce qui est arrivé à un autre président, qui s'était exprimé sur la politique tarifaire de son entreprise.

Quand il nous parle d'« imprivatisable », le ministre pèche par omission.

Vous savez bien que l'amendement Retailleau n'a aucune valeur juridique au regard de la décision de 2006 du Conseil constitutionnel. Quant à l'amendement Pozzo di Borgo, qui avait le courage de dire le vrai, c'était à l'évidence un chiffon rouge à ne pas agiter... On nous dit que la Caisse des dépôts va entrer au capital de La Poste pour 1,2 à 1,5 milliard d'euros ; si on ponctionne ainsi ses réserves, comment fera-t-elle pour jouer son rôle de soutien à l'investissement industriel ? Lorsque le poids de l'industrie descendra sous les 20 % du PIB, il ne nous restera plus qu'à acheter des casquettes pour faire visiter la France...

M. le président.  - Veuillez conclure.

M. Daniel Raoul.  - Quel crédit accorder aux déclarations de ceux qui, main sur le coeur, nous assurent que La Poste ne sera jamais privatisée ? Un certain Nicolas Sarkozy, alors ministre de l'économie, nous avait juré que GDF ne le serait jamais. On sait ce qu'il en est advenu. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Gérard Miquel.  - Nous ne savons pas tirer les enseignements de nos erreurs passées. Voyez ce qu'il est advenu avec France Télécom : dans nos campagnes, les lignes ne sont pas entretenues au point que les fils soutiennent les poteaux ; le conseil général de mon département est contraint de construire trois relais pour couvrir les zones blanches de la téléphonie mobile et de déployer la fibre optique parce que les opérateurs ne viennent pas : ce n'est pas rentable.

Le ministre nous dit que La Poste est « imprivatisable », on met en avant le verrou que constituerait l'amendement Retailleau mais on sait ce qu'il en est des verrous. Souvenez-vous de la privatisation à 49 % des autoroutes et des déclarations de M. Gayssot, alors en charge du dossier. Plus tard, M. Raffarin, Premier ministre, a résisté, puis M. de Villepin a pris la suite et les autoroutes ont été totalement privatisées, privant l'État d'une recette d'un milliard d'euros qui serait aujourd'hui la bienvenue.

Demain, les 2,7 milliards d'euros annoncés ne suffiront pas ; et dans quelques années, immanquablement, on dira qu'il faut ouvrir le capital de La Poste et trouver les 3 à 4 milliards nécessaires. Comme la rentabilité ne sera pas au rendez-vous, on demandera aux collectivités de mettre la main à la poche pour que le courrier soit distribué chaque jour et partout sur leur territoire. Voilà comment on casse un service public. Ce sont toujours les plus faibles, les habitants des zones rurales et ceux des quartiers, qui sont les victimes de la politique libérale. Nous voterons contre l'article premier pour préserver le dernier rempart du service public. (Applaudissements à gauche)

Mme Colette Giudicelli.  - Il est vrai que les choses changent avec le temps. M. Jospin, en 1997, avait fait campagne sur le thème des renationalisations : il a ouvert le capital de France Télécom et d'Air France, il a privatisé Thomson, le Gan, la Société marseillaise de crédit, RMC, le Crédit lyonnais, l'Aérospatiale ... Cessez donc de soutenir que les méchants sont de ce côté-ci de l'hémicycle et les gentils de ce côté--là. La nouvelle élue que je suis trouve cette façon de débattre indigne du Sénat.

Je suis certaine, monsieur Raoul, que pour communiquer avec un de vos proches à l'autre extrémité de la France, vous ne prendrez pas stylo, enveloppe et feuille de papier. Les choses évoluent, les postiers sont les premiers à nous le dire. Sans doute enverrez-vous un SMS...

M. Daniel Raoul.  - Je vais vous écrire ! (L'orateur joint le geste à la parole)

Mme Colette Giudicelli.  - Si nous travaillons ensemble avec sérieux, nous parviendrons certainement à préserver cette grande entreprise qu'est La Poste ; mieux, à en faire une grande entreprise européenne.

« Pour que la loi du progrès existât, il faudrait que chacun voulût la créer ; c'est-à-dire que, quand tous les individus s'appliqueront à progresser, alors, l'humanité sera en progrès ». Ce n'est pas de moi, mais de Baudelaire. (Applaudissements à droite)

M. Guy Fischer.  - La votation citoyenne... (« Ah ! » à droite)

M. Jean Bizet.  - Ça recommence !

M. Guy Fischer.  - ...du 3 octobre dernier a révélé combien nos compatriotes étaient attachés au service public postal. Les garanties apportées par le Gouvernement sont l'arbre qui cache la forêt. Il nous dit que la transformation en SA ne changera rien : j'affirme le contraire. J'en veux pour preuve la situation des salariés de l'escale aérienne postale Saint-Exupéry de Lyon-Satolas, service rattaché actuellement à la plate-forme industrielle courrier Ain-Rhône de Saint-Priest.

M. Pierre Hérisson, rapporteur.  - Magnifique plate-forme...

M. Guy Fischer.  - Les 31 salariés avaient souhaité me rencontrer et j'ai passé une partie de la nuit du 19 octobre en leur compagnie et celle de leur directeur. Ils sont très inquiets. On leur a en effet annoncé en septembre le transfert de l'activité à la société Neolog, filiale à 100 % de la holding Sofipost, elle-même détenue par La Poste. Ils devront avoir quitté les lieux le 6 avril 2010. Neolog emploie des salariés de droit privé : si ce n'est pas une privatisation, ça y ressemble ! Les fonctionnaires seront mutés dans un autre établissement dépendant de la plate-forme. On avait déjà brandi la menace de fermeture du site pour des raisons liées à la protection de l'environnement, La Poste souhaitant réduire de 15 % les émissions de gaz à effet de serre de ses transports. Les fonctionnaires ne comprennent pas pourquoi on leur demande de partir alors que l'activité va se poursuivre avec les salariés de Neolog.

Quant à la politique sociale de Néolog, les salariés du site d'Halluin, dans le Nord, n'en gardent pas un bon souvenir : une vingtaine de salariés sur 45 ont fait les frais d'une restructuration. Cette entreprise n'y va pas par quatre chemins : soit vous acceptez une mutation, soit vous êtes licencié.

Le Gouvernement souhaite donc saborder le navire en amont grâce aux filiales de La Poste. Voilà ce que vous faites du service public : vous le livrez aux appétits du privé, vous organisez une privatisation rampante des services pour le plus grand profit des actionnaires ! C'est pourquoi nous voterons résolument contre l'article premier. (Applaudissements à gauche)

La séance, suspendue à 22 h 45, reprend à 22 h 50.

M. Jean-Paul Emorine, président de la commission de l'économie.  - J'ai été très attentif à tout ce qui a été dit depuis le début des débats. En dépit des craintes de certains, tout le monde a pu s'exprimer. J'ai siégé 55 heures sur ce banc lors du Grenelle de l'environnement, j'ai donc pris le temps de prendre la température de cet hémicycle.

Depuis très longtemps, M. Hérisson et moi-même nous sommes intéressés à l'avenir de La Poste. Je ne vais pas relancer le débat sur le statut de La Poste ni sur la votation. J'ai reçu en lieu et place du Président Larcher l'ensemble des syndicats. Ensuite, nous avons beaucoup débattu de ce texte en commission et nous l'avons amendé. M. le ministre et M. le rapporteur ont apporté des réponses et des garanties aux questions qui leur étaient adressées. Sur les quelque 580 amendements qui restent à examiner, certains peuvent encore apporter des améliorations à ce texte, mais j'appelle mes collègues à une certaine sagesse : ayons un débat serein. J'ai bien compris que vous ne vouliez pas siéger ce week-end : si, à partir de ce soir, nous pouvions travailler sereinement, nous pourrions faire du bon travail dans des délais raisonnables.

J'estime que ce texte, amendé par la commission, est à même de rassurer nos concitoyens, les employés de La Poste et les élus. Il permettra de moderniser cette grande entreprise à laquelle nous sommes tous très attachés. Je respecte bien évidemment les convictions de chacune et de chacun d'entre vous, mais que cela ne nous empêche pas de faire du bon travail. Arrêtons les procès d'intention : nous sommes là pour travailler dans l'intérêt d'une société et de nos concitoyens. (Applaudissements au centre et à droite)

M. le président.  - Amendement n°23, présenté par M. Danglot et les membres du groupe CRC-SPG.

Supprimer cet article.

Mme Marie-France Beaufils.  - Nous sommes opposés au changement de statut de La Poste car nous défendons le principe du service public que vous voulez abattre.

La méthode employée pour arriver à la privatisation est bien rodée : elle a déjà été expérimentée pour France Télécom et pour GDF. Ce changement de statut nous serait imposé par la mise en concurrence décidée par l'Europe. C'est faux : c'est vous, et vous seuls, qui souhaitez cette modification.

Vous êtes à l'origine de la directive européenne du 20 février 2008 qui concerne l'achèvement du marché intérieur des services postaux et qui fixe au 31 décembre 2010 la libéralisation totale des marchés postaux. Nos députés européens du groupe de la gauche unitaire n'ont pas voté cette directive car elle ouvre la porte à la concurrence et elle va désorganiser les services postaux. En outre, vous omettez de dire que cette directive ne nous impose pas de modifier le statut de La Poste, cette faculté étant du pouvoir de chaque nation.

Le processus est bien connu : ainsi, France Télécom a été transformée en exploitant de droit public doté de l'autonomie financière et d'une personnalité morale distincte de l'État. Cette première étape a permis ensuite de parachever le travail : les députés et sénateurs communistes avaient voté contre cette loi en 1990. Après la loi Fillon de 1996, à laquelle nous nous étions également opposés, la première ouverture de capital a eu lieu en 1997, puis en 1998. En 2003, une nouvelle loi a permis à l'État d'être minoritaire, ce qui fut le cas en 2004. Vous avez porté l'estocade finale en 2007, en ramenant la part de l'État à 27 %.

Les politiques de libéralisation ont toutes les mêmes effets : elles conduisent à la casse des services publics. Vos promesses d'aujourd'hui ne sont pas de nature à nous tranquilliser car vous êtes en train de réécrire le même scénario pour La Poste. Une société anonyme est une société de capitaux dont la dénomination sociale ne révèle pas le nom des actionnaires et elle peut même en ignorer l'identité lorsque les titres sont au porteur.

Les actionnaires peuvent céder librement leurs titres, ce qui suscite la crainte des postiers, des usagers et des élus. Ils vous le disent sur tous les tons, mais vous faites la sourde oreille.

M. le président.  - Veuillez conclure.

Mme Marie-France Beaufils.  - Vous entraînez notre pays vers des reculs de civilisation dont vous êtes les seuls responsables. Les services publics représentent un espoir pour d'autres peuples, mais votre seul souci est d'aider vos amis à devenir actionnaires de cette nouvelle société anonyme.

M. Gérard Longuet.  - Ainsi que les salariés.

Mme Marie-France Beaufils.  - La Poste n'a pas besoin d'anonymat mais de plus de transparence, de modernité, d'attention. (Applaudissements à gauche)

M. le président.  - Amendement identique n°264, présenté par MM. Desessard, Muller, Mmes Blandin, Boumediene-Thiery et Voynet.

M. Jacques Muller.  - Cet article, qui est au coeur de ce projet de loi, n'arrive pas par hasard. Le changement de forme juridique serait justifié par l'adaptation aux défis auxquels l'entreprise est confrontée. C'était la même chose pour France Télécom. Pour moderniser un service public, faut-il le privatiser ? Selon les partisans de cette évolution, il faudrait recapitaliser car les caisses sont vides. Pourquoi les caisses sont-elles vides ? Pour s'attaquer au service public, les gouvernements ont toujours appliqué les mêmes recettes : on réduit les aides publiques, puis on déclare le service public en danger. Puisque, pour les libéraux, le marché est la meilleure solution, le service public devrait s'aligner sur des critères de rentabilité et de performance financière sans qu'on fasse le bilan des précédentes privatisations.

France Télécom a été transformée en société anonyme en 1996, et son capital a été ouvert : la participation de l'État est aujourd'hui d'environ 30 %. Le bilan : les prix n'ont pas baissé pour les usagers car le monopole public a laissé sa place à un oligopole privé. Orange, Bouygues et SFR ont pratiqué une entente illicite sur les prix. Quant aux agents de France Télécom, l'actualité en dit long sur leur triste sort.

Je citerai quelqu'un que nous connaissons bien : « Accepter le vent vivifiant de la compétition est une chose, se résigner aux tempêtes que produirait une déréglementation hâtive en est une autre. » C'est signé Gérard Larcher dans Le Quotidien de Paris du 26 mars 1993, à propos de France Télécom et de La Poste. M. le Président a raison : nous ne devons pas nous résigner aux tempêtes.

Selon Jean Glavany, en 1997 : « L'ouverture du capital de France Télécom a été une erreur. Il faudra le dire à l'avenir : on privatise ou on reste un service public. Mais l'ouverture du capital me paraît un cache-sexe un peu honteux pour une privatisation qui ne veut pas dire son nom ». (On s'offusque à droite) Ce choix est purement idéologique.

M. le président.  - Veuillez conclure.

M. Jacques Muller.  - Donner notre aval à cet article, c'est mettre en péril les agents et compromettre l'accès au service public postal.

M. le président.  - Amendement identique n°430 rectifié, présenté par M. Teston et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.

M. Michel Teston.  - La votation citoyenne (« Ah ! » à droite) a démontré que les Français n'étaient pas prêts à sacrifier leur poste et leur service public postal au profit d'une stratégie industrielle. Celle-ci ne doit pas nuire au développement d'une offre de services publics de qualité, qui doit être consolidée. A défaut, à qui bénéficierait-elle si ce n'est aux futurs actionnaires ?

Avec le statut d'EPI, La Poste dispose de l'autonomie financière. En l'absence d'actionnaires, elle peut réinvestir l'ensemble de ses bénéfices. En 2007, La Poste a réalisé un résultat net de 1 milliard d'euros. Celui-ci s'est élevé en 2008, malgré la crise, à près de 530 millions alors que les entreprises ont réduit leur poste courrier. En 2008 et 2009, la chute de celui-ci se situerait entre 5 et 6 %. Certes, cette baisse est structurelle mais, comme le souligne le rapport Ailleret, le volume total du courrier n'a diminué que de 1,5 % entre 2003 et 2006, pour un chiffre d'affaires de 11 milliards, qui a peu varié depuis 2004. La situation n'est donc pas si tragique.

Nos concitoyens souhaitent que le financement d'un service public postal de qualité soit garanti, y compris pour l'offre de produits financiers. Par cet article, le Gouvernement veut faire sauter le dernier verrou avant la disparition progressive du service universel. Il faut maintenir le statut actuel de La Poste. En 1997, le rapport d'information de Gérard Larcher soulignait que la sociétisation de l'entreprise n'est pas indispensable. (Applaudissements à gauche)

M. le président.  - Amendement identique n°581, présenté par MM. Fortassin, Tropeano, Collin, Charasse, Mme Laborde, MM. Mézard, Milhau et Mme Escoffier.

Mme Françoise Laborde.  - Le RDSE a adopté une attitude constructive mais la majorité de mon groupe estime que les citoyens doivent pouvoir avoir le choix pour la réforme de leur service postal, dans la logique de la motion référendaire. Les auteurs de l'amendement sont opposés au changement de statut de La Poste et souhaitent la suppression de l'article. (Applaudissements sur plusieurs bancs socialistes)

M. Pierre Hérisson, rapporteur.  - Le changement de statut est la meilleure solution pour que La Poste puisse bénéficier d'un apport de fonds propres sans contestation de la Commission européenne.

A ceux qui craignent une entrée de capitaux privés dans La Poste, je rappellerai que les personnes morales de droit public ne sont pas des entreprises publiques, mais des établissements publics. Les premières peuvent avoir des capitaux privés : les seconds sont 100 % publics. Pour éviter cette confusion, la commission a remplacé l'expression « personnes morales appartenant au secteur public » par « personnes morales de droit public ». Cette modification est fondamentale. Vous pouvez donc retirer ces amendements. A défaut, avis défavorable.

Acceptez cette formule, tout à fait différente du projet de loi d'origine. La rédaction adoptée par la commission apporte des garanties qui peuvent satisfaire tous les bancs. Vous pourrez l'expliquer dans vos circonscriptions, vos départements : les entreprises publiques peuvent avoir des capitaux privés, mais cela ne concerne pas les établissements publics, donc La Poste.

M. Christian Estrosi, ministre.  - Enfin, nous abordons sérieusement le fond du débat. Je comprends vos craintes, dont certaines sont émises avec conviction. Je tenterai de me convaincre moi-même qu'il s'agit de craintes de conviction... (Sourires) Toutefois, elles ne sont plus justifiées après le débat en commission et la modification que le rapporteur vient de vous rappeler. Cette garantie sans précédent diffère tout à fait des changements de statut antérieurs.

Je ne doute pas que tous ici estiment que La Poste est une entreprise formidable, à laquelle nous sommes attachés et que nous voulons sauver. Certains ne veulent rien changer, espérant que dans deux ou trois ans, La Poste pourra s'en sortir malgré l'ouverture à la concurrence. Or elle n'a aucune chance d'y parvenir sans cette modification.

Oui ou non, a-t-elle 6 milliards de dettes ? (« Oui ! » à droite) Oui. La baisse de l'activité courrier va-t-elle s'amplifier ? (« Oui ! » à droite) Oui.

M. Gérard Longuet.  - Hélas !

M. Christian Estrosi, ministre.  - Lorsque j'étais ministre délégué à l'aménagement du territoire, les élus ruraux, les parlementaires se plaignaient auprès de moi d'être dans les « zones blanches » pour la téléphonie mobile, internet ou l'ADSL. Et les mêmes élus de cette ruralité, dont je fais partie, ayant obtenu gain de cause, regretteraient la baisse de l'activité courrier traditionnelle ?

Nous passons d'un monde à un autre. Mais en même temps, nous voulons que La Poste demeure compétitive tout en gardant son statut public. Et le seul moyen d'y parvenir et d'apporter à La Poste 1,7 milliard sans se faire condamner par Bruxelles -comme nous l'avons été pour des aides accordées aux agriculteurs-, c'est d'en passer par cette évolution statutaire.

En même temps, pour garantir que cela ne changera pas, quels que soient les gouvernements ou les majorités, il nous faut ensemble encadrer ce texte et y inscrire ce qui a trait au service public postal. J'ai pris des engagements sur le 100 % public, sur le fait d'énumérer une liste immuable de missions de service public et d'annoncer clairement -dès avant l'amendement Retailleau- que nous tiendrons compte du préambule de la Constitution de 1946.

Au vu de toutes ces données, sincèrement, ces quatre amendements ne se justifient plus. On ne peut passer des heures à dénoncer les dysfonctionnements de La Poste et, en même temps, ne rien vouloir y changer.

Nous modifions le statut de cette entreprise en veillant à respecter trois critères : prendre la dimension humaine en compte et ne pas faire du personnel une variable d'ajustement ; respecter les attentes des élus ; respecter celles des Français, des 10 millions d'usagers qui chaque jour franchissent la porte des bureaux de poste et qui espèrent la modernisation et l'amélioration de leur service public.

Je vous demande donc de retirer ces amendements pour qu'ensemble, nous fassions de La Poste la grande entreprise publique française capable de résister, dès le 1er janvier 2011, aux autres opérateurs qui, déjà, s'organisent aux niveaux européen, national, et même départemental. (Applaudissements à droite)

M. le président.  - Plusieurs orateurs se sont inscrits pour expliquer leur vote mais je vous rappelle qu'à la demande du président Larcher, je lèverai la séance à minuit moins cinq...

M. Daniel Raoul.  - J'ai écouté avec attention le plaidoyer du ministre mais je ne suis toujours pas convaincu, et surtout pas par le chantage à l'amende bruxelloise. Les traités actuels -sans attendre celui de Lisbonne- permettent aux États membres de définir librement leurs services publics et de les financer. Vous auriez donc dû commencer par les définir. Ce changement de statut n'est pas imposé par la directive : c'est un mensonge, c'est du chantage, c'est tout à fait différent du cas des aides à l'agriculture !

Par déformation professionnelle, j'aimerais soumettre mes collègues à une interrogation écrite : qui, parmi eux, peut me dire la différence entre un Épic et une SA ?

M. Gérard Longuet.  - Sans problème !

M. Daniel Raoul.  - Je ne pose pas la question au bon élève de la classe !

M. Gérard Longuet.  - Il est vrai que je suis redoublant...

M. Daniel Raoul.  - Je ne suis pas sûr que tous les collègues saisissent l'enjeu d'une telle transformation. C'est le transfert d'un patrimoine bâti par la Nation au bilan d'une SA. Ce patrimoine sera donc à la disposition des futurs actionnaires, quels qu'ils soient !

Le ministre de l'économie de l'époque -dont je n'aurai pas la cruauté de rappeler le nom- avait promis que GDF ne serait jamais privatisé. Aujourd'hui, le patrimoine de GDF est réparti entre les mains des actionnaires. Voilà le résultat de la transformation d'un Épic en SA. Vous spoliez, vous lésez les Français ! (Applaudissements sur les bancs socialistes)

Mme Mireille Schurch.  - Depuis lundi, M. le ministre multiplie les déclarations et les promesses : La Poste serait « imprivatisable », il voudrait même la sauver. Il se dit prêt à inscrire dans la loi la notion de « service public national », en référence au préambule de 1946. Mais les décisions du Conseil constitutionnel de 1986 et 2006 montrent que cela n'empêchera nullement une future privatisation. (M. Daniel Raoul le confirme) De l'aveu même de M. Guaino, aucune garantie n'est éternelle, et ce qu'une loi fait, une loi peut le défaire. Votre soutien sans réserve aux politiques ultralibérales communautaires et les nombreuses privatisations d'entreprises publiques qui ont eu lieu par le passé nous laissent bien peu d'espoir pour l'avenir. Vous cherchez à leurrer les citoyens et méprisez leur voix qui s'est fait entendre lors de la consultation du 3 octobre.

L'article premier ouvre la voie à une privatisation du statut, de la gestion et du personnel de La Poste, qui ne sera plus composé de fonctionnaires. Une fois ce verrou sauté, rien n'empêchera plus que les capitaux privés deviennent majoritaires en son sein. Une SA publique à 100 %, cela n'existe pas. On connaît la chanson : M. Sarkozy jurait en 2004 qu'EDF et GDF ne seraient pas privatisés mais qu'il voulait seulement changer leur statut pour leur permettre de se développer.

Les conséquences de cette évolution seront graves, tant pour l'exercice des missions de service public de l'entreprise que pour son personnel : les salariés de droit privé subiront une précarité accrue et la convention régissant le statut des salariés pourrait laisser place à un éventail de textes plus désavantageux.

Il n'est pas souhaitable que la part de l'État dans le capital de La Poste puisse devenir minoritaire par rapport à celle d'autres personnes de droit public, car seul l'État peut défendre l'intérêt général et assurer un service public de qualité pour tous les citoyens, sur tout le territoire.

La Poste aurait un bel avenir, comme le dit M. Ailleret, si celui-ci n'était pas entre vos mains. (Protestations à droite) Le groupe CRC-SPG poursuivra la lutte et votera cet amendement. (Applaudissements à gauche)

M. Bernard Vera.  - Les arguments de M. le rapporteur et M. le ministre pour défendre la transformation du statut de La Poste ne tiennent pas. L'État, disent-ils, ne pourrait accorder de subventions à un Épic sans que celles-ci soient considérées comme une aide d'État par les instances européennes. C'est faux, et même si c'était vrai, le Gouvernement, fort de la légitimité du Parlement, pourrait assumer politiquement ce choix. Mais l'État accorde depuis longtemps des aides à La Poste pour certaines de ses missions de service public sans être inquiété par la Commission européenne ni par la Cour européenne de justice (Mme Annie David le confirme) : c'est le cas pour l'aménagement du territoire, la distribution de la presse et l'accessibilité bancaire. Rien n'empêche donc d'accorder un milliard d'euros à La Poste pour remplir ses missions, ni d'élargir celles-ci, ce qui entraînerait une hausse des subventions.

D'ailleurs, les traités européens ne préjugent en rien du régime de propriété de la puissance publique.

Les banques ont bien reçu une aide financière de l'État sans participation au capital sans que l'on agite le spectre d'une condamnation pour aide d'État : pourquoi La Poste ne serait-elle pas traitée à la même enseigne ? Les sommes en cause sont sans commune mesure : 360 milliards pour les banques, 1,5 milliard pour La Poste. J'en appelle donc à votre volonté politique.

Mais ce que vous voulez, c'est privatiser La Poste. M. Sarkozy promettait naguère que GDF ne serait jamais privatisé. Comment croire alors vos déclarations sur le caractère « imprivatisable » de La Poste ? Le projet de loi initial permettait d'ailleurs l'entrée au capital de personnes morales de droit privé, ce qui montre le soin pris par le Gouvernement à ce que La Poste reste à 100 % publique...

Nous ne sommes pas dupes de vos manoeuvres. Vous voulez laminer les services publics et libéraliser l'ensemble des activités humaines, au détriment de l'intérêt général. Pourtant, la crise financière, économique et sociale que nous traversons montre que la modernité, c'est de chercher à sortir du libéralisme et de la spirale infernale du déclin. Au nom des 2,3 millions de Français qui se sont exprimés le 3 octobre, nous voterons cet amendement. (Applaudissements à gauche)

M. Michel Teston.  - Monsieur Hérisson, la loi du 2 juillet 1986 définit une entreprise publique comme une entreprise dont au moins 51 % du capital est détenu par l'État, les administrations nationales, régionales ou locales. La rédaction de la commission, même si elle apporte un peu plus de garanties, permet donc à des actionnaires dont le capital ne serait pas entièrement public d'entrer au capital de La Poste.

Je vous ai entendu, ainsi que M. le ministre et M. Gélard, nous opposer plusieurs arguments pour défendre le changement de statut de La Poste. Un Épic, dites-vous, ne peut recevoir de subsides de l'État ; mais La Poste reçoit depuis des années une subvention, certes insuffisante, pour le transport et la distribution de la presse : 242 millions d'euros cette année. L'État pourrait également l'aider financièrement à assurer une présence postale. La SNCF, Épic depuis 1982, reçoit également une dotation de l'État, et M. Pepy écrivait dans son rapport d'activité pour 2008 : « La SNCF s'organise au plan comptable et financier de manière à ce que la persistance de ce statut original soit en tout point compatible avec l'exercice d'activités concurrentielles. » Qu'est-ce qui empêche La Poste de faire la même chose ?

Vous prétendez que le statut actuel ne permet pas à l'entreprise de se développer pour faire face à l'ouverture totale à la concurrence. Les exemples de la SNCF, de la RATP, de La Poste elle-même montrent le contraire : la première s'est développée en France et à l'étranger, acquérant une entreprise de fret dont le siège est à Dresde, la partie internationale de Veolia cargo et une participation dans une société qui exploite des TGV en Italie ; la seconde a acheté des entreprises exploitant des tramways à l'étranger et la troisième le distributeur allemand DPD. Nous vous demandons donc de renoncer à ce changement de statut. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

Mme Annie David.  - Les arguments de M. le rapporteur et M. le ministre ne m'ont pas convaincue. Nous ne sommes pas partisans du statu quo, bien au contraire : nous n'avons pas cessé de vous faire des propositions mais vous ne les avez pas entendues. Certes, La Poste est endettée, mais envers qui ? Elle doit se moderniser, mais par quels moyens ? C'est en se montrant trop chiche avec elle que l'État l'a mise dans la situation qui vous fait dire aujourd'hui qu'elle doit changer de statut.

Vous nous assurez que La Poste ne sera pas privatisée, et la commission a ajouté à l'article premier une disposition censée l'empêcher. Mais nous ne sommes pas dupes : d'aucuns juraient en 2004 que GDF ne serait pas privatisé, c'est le cas aujourd'hui comme pour France Télécom.

Nos craintes sont d'autant plus vives que la logique du privé s'est déjà insinuée à La Poste, dans la gestion de ses filiales, qui sont presque toutes des SA, comme dans la division de ses activités en quatre branches.

La Banque postale est une société anonyme dont le capital est détenu par La Poste. Son résultat net semestriel dévoilé en septembre affichait une progression de 3,2 %. Malgré l'ouverture à la concurrence du livret A, l'encours de l'épargne collectée a augmenté de 8,1 %. La Banque postale espère atteindre 10 millions de clients actifs. Mais de nombreux bureaux de poste ont été fermés.

Nous proposons des solutions positives, plutôt qu'une privatisation affaiblissant les missions de service public. Pourquoi le fonds de compensation n'a-t-il rien versé à La Poste, alors qu'il lui devait 800 millions par an, soit 4 milliards à la fin du présent exercice ? Et vous prétendez que La Poste a besoin de liquidités !

Enfin, je salue l'arrivée en séance de Jean-Pierre Sueur. (Applaudissements à gauche)

M. Pierre-Yves Collombat.  - J'ai eu un choc en apprenant que le maire de Nice était un élu rural...

Je veux bien vous accorder que vous croyez aux garanties de votre dispositif anti-privatisation, mais reconnaissez son caractère précaire et révocable ! On peut toujours supprimer dans la loi le caractère national d'un service public, ce qui le rend privatisable.

M. Teston a montré que le développement de La Poste n'exigeait pas la solution risquée voulue par le Gouvernement. Nous en proposons une autre, qui n'est ni archaïque ni déplacée.

M. Michel Billout.  - L'article premier ouvre la voie à la privatisation de l'entreprise postale. Pour faire passer son projet en douceur, le Gouvernement invoque la société anonyme 100 % publique. Or, le statut de société anonyme conduit à une participation d'actionnaires, donc à leurs confortables rémunérations, incompatibles avec le service public à la vocation sociale.

Ces contradictions ont été parfaitement illustrées par une interview accordée en juillet par M. le ministre au quotidien suisse Le Matin : après avoir affirmé qu'à « aucun moment » il ne laisserait « de place à l'intérêt du capital à quelque acteur privé que ce soit », il ajoutait que la réalité d'aujourd'hui pourrait « évoluer demain en fonction des circonstances ». Nous voulons supprimer l'article premier parce que le service postal, l'équilibre de nos territoires, l'accessibilité et la continuité du service ne doivent pas dépendre des circonstances !

M. Jacques Muller.  - Connaissant la situation difficile de La Poste, un service public auquel nos concitoyens sont viscéralement attachés, nous devons agir sans idéologie, c'est-à-dire de façon pragmatique et sans ignorer l'histoire. Après France Télécom, EDF et GDF, les Verts disent « Stop ! » au démantèlement rampant des services publics, théorisé par la pensée libérale. Nous refusons d'ouvrir la boîte de Pandore, même déguisée en paquet cadeau !

A la demande du groupe CRC-SPG, les amendements identiques nos23, 264, 430 rectifié et 581 sont mis aux voix par scrutin public.

M. le président.  - Voici les résultats du scrutin :

Nombre de votants 338
Nombre de suffrages exprimés 336
Majorité absolue des suffrages exprimés 169
Pour l'adoption 150
Contre 186

Le Sénat n'a pas adopté.

(Applaudissements à droite)

Prochaine séance demain, jeudi 5 novembre 2009, à 9 h 30.

La séance est levée à 23 h 55.

Le Directeur du service du compte rendu analytique :

René-André Fabre

ORDRE DU JOUR

du jeudi 5 novembre 2009

Séance publique

A 9 HEURES 30

1. Suite du projet de loi relatif à l'entreprise publique La Poste et aux activités postales. (Procédure accélérée - n°599 rectifié, 2008-2009)

Rapport de M. Pierre Hérisson, fait au nom de la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire. (n°50, 2009-2010)

Texte de la commission. (n°51, 2009-2010)

A 15 HEURES ET LE SOIR

2. Questions d'actualité au Gouvernement.

3. Suite de l'ordre du jour du matin.