Avenir de la politique sociale européenne (Question orale européenne avec débat)
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle la question orale européenne avec débat de M. Richard Yung à M. le Premier ministre sur l'avenir de la politique sociale européenne.
M. Richard Yung, auteur de la question. - La commission des affaires européennes du Sénat vient d'adopter un rapport sur les perspectives pour l'Europe sociale. Le moment paraît donc opportun, à trois jours du scrutin européen, pour préciser les positions en présence.
L'Europe sociale doit beaucoup à Jacques Delors qui, en 1985, a transformé un voeu pieu en réalité en instaurant un dialogue social à l'échelle européenne et en le traduisant dans la législation communautaire. L'acte unique, la charte des droits sociaux et le traité de Maastricht ont permis de nombreuses avancées sociales.
Malheureusement, depuis, l'intégration européenne en matière sociale est en panne. Le débat social est par essence au coeur de la vie nationale ; comme l'enseignement, il façonne nos sociétés. C'est dire si le principe de subsidiarité joue en la matière.
Les mécanismes institutionnels ne favorisent pas le développement de l'Europe sociale. La complexité des règles rend la question incompréhensible. Impossible de prendre une décision à l'unanimité à 27, entre les pays hostiles par idéologie, les pays nordiques, plus avancés, qui craignent une régression, les pays d'Europe centrale qui redoutent que des minima sociaux trop contraignants ne viennent à handicaper leur conversion à l'économie de marché. En Allemagne, la politique sociale relève des länder, et Mme Merkel répugne à toute intervention trop étatiste, elle se souvient de ses années de formation en RDA ! La France n'étant guère allante, le couple franco-allemand ne joue pas son rôle de moteur. En outre, la méthode ouverte de coordination -qui fixe des objectifs en laissant les États membres libres de choisir le moyen d'y aboutir- n'a aucun caractère contraignant.
L'entrée en vigueur du traité de Lisbonne permettra de surmonter en partie ces obstacles grâce à la « clause passerelle » mais ne suffira pas, car les difficultés s'expliquent moins par les mécanismes institutionnels que par l'absence de volonté politique. Depuis cinq ans, la Commission européenne se désintéresse des questions sociales. M. Barroso a relégué le social au second plan, et même demandé un « moratoire social ». En dépit des demandes du PSE, la Commission a refusé de légiférer sur l'économie sociale, les services d'intérêt général et les services sociaux d'intérêt général et refusé de proposer une nouvelle directive sur les travailleurs détachés.
Quant au Conseil, il est partagé, et « autobloquant ». Le compromis dégagé au Parlement européen sur la directive Temps de travail a ainsi été brisé suite au revirement de la France, qui a rejoint les partisans d'une durée maximale de 65 heures hebdomadaires... Enfin, le sommet européen de l'emploi du 7 mai a été annulé au profit d'une simple réunion de la troïka sociale européenne.
Le manque de volonté de la Commission européenne et des États membres a laissé le champ libre à la cour de justice des communautés européennes qui, dans une série d'arrêts, a autorisé le dumping social et la mise en concurrence des travailleurs. Preuve qu'il faut impérativement réviser la directive sur le détachement des travailleurs !
Enfin, au Parlement européen, le PPE bloque toute relance de l'Europe sociale, repoussant notamment en 2007, la proposition du PSE de mettre en place un salaire minimal dans chaque État membre, au moins égal à 50 % du salaire moyen national.
Nous allons avoir un nouveau Parlement européen, une nouvelle Commission.
Nous devons dès maintenant nous préoccuper de ce que cette nouvelle Commission va proposer en matière sociale.
Ma question, madame la ministre : quelles mesures le Gouvernement entend-il promouvoir au sein du Conseil pour relancer la politique sociale européenne ? (Applaudissements au centre et sur les bancs socialistes. Mme Monique Papon applaudit aussi)
Mme Monique Papon. - Je remercie Richard Yung et le président Hubert Haenel de nous permettre d'engager au Sénat un débat sur la politique sociale européenne.
L'Europe sociale, voilà un thème qui devrait recueillir un consensus. Quels que soient nos bancs, nous sommes tous persuadés que l'Europe ne peut pas être seulement un espace de libre concurrence économique mais qu'elle doit favoriser le progrès social. Pourtant, le référendum de 2005 a montré que beaucoup de nos concitoyens sont déçus des réalisations européennes en matière sociale. Ce désappointement provient sans doute en partie d'un manque d'information sur les réalisations européennes et de l'incompréhension de ce que peut être une politique sociale européenne, compte tenu de la répartition des compétences entre l'Union européenne et les États membres et de la nécessité de persuader nos partenaires au sein de l'Union.
L'Europe sociale, c'est d'abord un projet politique, c'est la volonté que l'Union repose sur la solidarité, la protection des plus faibles et la non-discrimination. Si le social tient, dans les États européens, une place plus importante que dans les autres pays développés, c'est le résultat d'une histoire et de valeurs propres. L'Europe sociale, c'est aussi la volonté de ne pas seulement prendre en compte les avantages économiques de l'ouverture des marchés mais aussi ses conséquences sociales. C'est montrer que l'Union peut y apporter des remèdes, qu'elle est en mesure de protéger. L'acquis social communautaire en matière sociale est loin d'être négligeable : près de 200 textes normatifs touchent aussi bien à la libre circulation des travailleurs qu'au droit du travail, à l'égalité entre les hommes et les femmes ou à la lutte contre les discriminations.
Alors, pourquoi cette déception des citoyens européens ? Sans doute d'abord parce que le coeur de la politique sociale est de la compétence des États membres. De ce fait, les avancées qui résultent des textes européens ne peuvent avoir la même portée que celles qui sont décidées au niveau national et il est rare qu'elles fassent la une des journaux. La France est déjà, parmi les pays européens, de ceux qui ont mis en place un appareil juridique particulièrement développé en matière sociale. Certains -et ils ne sont pas toujours de bonne foi- dénoncent dans les textes proposés une régression sociale. Il n'en est rien car ces textes établissent un seuil minimal obligatoire mais laissent chaque État libre de mettre en place ou de conserver une législation plus favorable. Même s'ils sont en retrait par rapport à notre propre système, ils évitent le dumping social au sein de l'Union et, de ce fait, même s'ils n'apportent pas directement d'avancées sociales aux travailleurs français, ils les protègent indirectement. Si l'on veut éviter les délocalisations au sein de l'Union, il faut favoriser le rattrapage des nouveaux États membres pour qu'il n'y ait pas de moins-disant social en Europe.
Enfin, on ne doit pas attendre de l'Union qu'elle harmonise les systèmes. Nous n'aurions d'ailleurs certainement rien à y gagner car il serait naïf de croire que le système français s'imposerait à tous. La diversité actuelle répond à des cultures, à des histoires sociales différentes et la subsidiarité permet de conserver cette diversité.
Quel avenir pour la politique sociale européenne ? Faut-il craindre, selon les termes du rapport de M. Yung, une « paralysie croissante » ? Il est vrai que, ces derniers mois, des oppositions entre États membres ou entre le Conseil et le Parlement ont empêché l'adoption de plusieurs textes importants. Mais cela ne doit pas nous faire oublier les avancées récentes. D'abord, la révision de la directive relative aux comités d'entreprise européens qui, dans le contexte actuel de crise économique, apporte des garanties supplémentaires aux salariés. Cette directive touche quand même 15 millions de salariés !
Ensuite, l'adoption de la directive relative aux conditions de travail des travailleurs intérimaires. C'est un exemple de ces textes qui n'apportent peut-être pas de progrès direct pour les intérimaires français mais qui contribuent à lutter contre le dumping social parce qu'ils offrent un progrès substantiel pour les intérimaires de 17 États membres qui, jusque là, ne bénéficiaient pas du principe d'égalité de traitement, dès le premier jour, avec les travailleurs permanents.
Par ailleurs, le fonctionnement du Fonds européen d'ajustement à la mondialisation et celui du Fonds social européen ont été améliorés, ce qui permettra de mieux utiliser leurs crédits.
Or, toutes ces avancées ont été obtenues pendant le deuxième semestre de l'année 2008, c'est-à-dire sous présidence française... Si j'ai beaucoup apprécié votre rapport, monsieur Yung, et si je souscris quasiment à toutes vos propositions, je regrette que vous paraissiez ignorer ou négligiez ce qui a été fait durant ces six mois.
Quelles sont les perspectives ? Il y a d'abord le traité de Lisbonne. Ce traité dont nous attendons tous ici -ou presque tous- l'entrée en vigueur, c'est la valeur contraignante de la charte des droits fondamentaux qui reconnaît de nombreux droits sociaux. C'est donc la perspective que ces droits seront désormais garantis par les juges nationaux et européens et qu'ils constitueront un socle social commun. Le traité de Lisbonne, c'est également la clause sociale « horizontale » qui s'applique à toutes les politiques de l'Union. C'est aussi la consécration des services d'intérêt général sous la forme d'un protocole spécifique.
Mais l'avenir de la politique sociale européenne résultera aussi de la révision de la stratégie de Lisbonne, à laquelle notre Gouvernement a beaucoup oeuvré. En matière d'emploi et de cohésion sociale, il faut reconnaître le rôle de filet de sécurité joué par la protection sociale, qui améliore la capacité de l'Union à amortir les chocs résultant de la mondialisation et qui doit répondre au défi du vieillissement démographique.
Enfin, l'avenir de l'Europe sociale reposera également sur les réflexions menées au sein de l'Union pour moderniser les marchés du travail en Europe. Rappelons à ce sujet la mission européenne pour la flexisécurité, coprésidée par le président Gérard Larcher et par le commissaire européen Vladimir Spidla. L'Europe sociale, c'est en effet aussi l'équilibre entre la flexibilité dont ont besoin les entreprises et les sécurités que souhaitent les salariés. Le rapport remis en décembre dernier au Conseil de l'Union souligne le rôle primordial reconnu à la formation professionnelle pour anticiper et accompagner les mutations du marché du travail. Il y a là un champ d'action important pour l'Union. Une approche intégrée de la flexisécurité pourrait rassembler le contrat de travail, la formation, l'accompagnement pendant les phases de transition, l'indemnisation et la protection sociale.
On le voit, il y a encore beaucoup à faire. C'est pourquoi je serai peut-être plus optimiste que Richard Yung. Ce qui a été réalisé et ce qui peut être fait dans les années à venir est plus important qu'on ne le croit. La politique sociale européenne a encore un bel avenir devant elle. (Applaudissements à droite et au centre)
Mme Bariza Khiari. - Quelques jours nous séparent du scrutin européen, et quelles que soient ici nos attaches politiques, nous avons un adversaire commun : l'abstention. Depuis 1979, la participation électorale pour cette échéance n'a cessé de diminuer et les prévisions de participation sont moroses. On nous reproche d'être en partie responsables de cette désaffection de l'opinion publique parce que nous mènerions une campagne nationale alors que l'enjeu est européen. Il est vrai que les discours répétitifs du chef de l'État sur l'insécurité, les bandes, les cités, s'ils sonnent agréablement aux oreilles de certains, sont loin de faire vibrer l'idéal européen. C'est pourquoi je vous propose, pour faire mentir ceux qui nous reprochent de ne pas parler d'Europe, de débattre ici et de confronter nos conceptions de l'Europe, et, en premier lieu, notre conception de son avenir social.
L'Europe des Pères fondateurs a apporté la paix, et avec elle, l'espérance d'une vie meilleure. Cette promesse d'une vie meilleure pour la génération d'après-guerre, la nôtre, a été honorée : développement des États providence, croissance économique, démocratisation de nos sociétés et, surtout, paix européenne durable. Mais soixante ans après sa fondation, l'Union, parce qu'elle s'est détournée de sa vocation sociale, est méconnue de nos concitoyens. L'Europe, dominée par la droite libérale et conservatrice, parce qu'elle ne propose pas une protection et un futur meilleurs, est perçue comme un projet politique désenchanté. Elle ne fait plus rêver... L'Europe de la décennie précédente était à majorité sociale-démocrate. Le gouvernement de Lionel Jospin avait alors encouragé l'adoption de la stratégie de Lisbonne, reposant sur trois piliers : l'économique, l'écologique et le social. Dans cette feuille de route, le social et l'écologique étaient conçus comme des facteurs de la compétitivité économique. La commission Barroso et l'Europe libérale-conservatrice ont tourné le dos à cette stratégie. Pire, elles ont dénaturé le projet politique des Pères fondateurs en le limitant au seul marché intérieur. Le social est considéré comme un fardeau, et relevant de la seule responsabilité des États-membres.
La crise financière, devenue économique et sociale, a fait redécouvrir les vertus de la réglementation. Certes, l'Europe résiste mieux que le reste du monde et, en Europe, la France souffre moins durement grâce à notre modèle social, que, pourtant, le Gouvernement s'acharne à détruire morceau par morceau. Alors même que l'OCDE vante désormais les mérites protecteurs de notre système, le Gouvernement, par idéologie et manque de pragmatisme politique, continue à vouloir tout mettre à bas au nom de l'adaptation à un monde qui vient de s'effondrer !
Cette crise a accentué le sentiment d'insécurité économique et sociale : peur de perdre son emploi, peur des parents pour l'avenir professionnel de leurs enfants. Le gouvernement français -il n'est pas le seul- a tardé à prendre conscience de l'ampleur du marasme. En août dernier, François Fillon affirmait qu'il était ridicule de craindre la récession. On sait à présent qu'il nous faut craindre 1 million de chômeurs supplémentaires en France et plus de 9 millions dans l'Union, en l'absence de mesures adéquates. En décembre, le Conseil européen, dominé par la droite, a adopté un plan de relance économique à hauteur de 1,5 % du PIB, dont 1,2 % à la charge des États ! Ce plan est cruellement insuffisant : alors que l'Europe est la première puissance économique au monde, le Conseil s'est contenté d'un mini-plan indigent qu'il refuse de revoir à la hausse et dont la seule ambition est d'avaliser les plans nationaux.
Les économies européennes étant interdépendantes, les plans de relance nationaux doivent être coordonnés. Or ils jouent plutôt les uns contre les autres, ce qu'un dessin de Plantu illustre parfaitement : un ouvrier de chez Renault se réjouit de la faillite possible d'Opel, l'ouvrier de chez Opel se félicitant des difficultés de Renault.
Les dogmes de la toute puissance du marché ont la peau dure ; ni la droite européenne ni le gouvernement français ne veulent une vraie politique de relance. Le temps de la campagne électorale, la droite prône plus de réglementation. Mais le modèle européen élaboré depuis un demi-siècle est régulièrement dénoncé par les esprits chagrins comme un frein à la compétitivité mondiale. L'Europe sociale est au mieux une chimère, au pire un handicap. En juin 2008, le gouvernement français a accepté d'étendre la durée hebdomadaire du travail à 65 heures par semaine. Cette disposition a été rejetée, mais la tentation demeure.
Face à cette droite européenne incohérente et inconséquente, les socialistes et sociaux-démocrates des 27 pays membres ont adopté un programme commun pour l'Europe économique, avec des critères contraignants. Après l'Europe de Maastricht, nous devons maintenant nous engager dans un Maastricht social et adopter un socle commun de droits sociaux. C'est le sens du « pacte européen de progrès social », qui prévoit un salaire minimum et un niveau plancher de dépenses en matière sociale, d'éducation et de recherche. Le Manifesto prévoit également une clause de non-régression sociale : aucune directive ne pourra s'appliquer au niveau national si elle réduit les droits sociaux en vigueur dans le pays. Nous voulons une Europe mieux-disante. L'idéal européen n'est pas de mettre les travailleurs en concurrence mais d'aligner à la hausse les conditions de vie. L'Union à 27 est certes un défi : le niveau de salaire d'un pays à l'autre varie de un à dix, le seuil de pauvreté de un à cinq. A l'occasion du dernier élargissement, l'Union européenne n'a pas consacré suffisamment de moyens au rattrapage social. Elle n'a pas su éviter le dumping fiscal et social.
Or, dans les récents arrêts de la Cour de justice, la libre prestation de services paraît supérieure au droit de grève ; la Cour a jugé illégales toutes les actions collectives et elle interprète restrictivement la dérogation à la libre circulation des services à fins de protection des travailleurs. Les droits économiques primeraient-ils sur les droits sociaux ? Nous demandons la révision de la directive sur le détachement des travailleurs, hélas en vain jusqu'à ce jour.
Réaffirmons le principe de solidarité économique : certains pays d'Europe centrale et orientale, non protégés par l'euro, souffrent beaucoup. Leur intégration européenne est en péril. Si nous ne faisons rien, jamais ils ne rattraperont notre niveau de développement. Il faut stabiliser leur système financier, investir dans la relance et protéger leurs salariés. Élaborons aussi une directive cadre sur les services publics en Europe : notre groupe l'a proposé au Sénat le 30 avril dernier mais la majorité sénatoriale a profondément dénaturé le texte de Mme Tasca. Les services publics sont le patrimoine de ceux qui n'en ont pas. Ne nous privons pas des moyens pour les préserver. Après cinq ans de commission Barroso et d'institutions européennes dominées par la droite, l'Europe a besoin de nouvelles perspectives. L'agenda social « renouvelé » de M. Barroso n'est pas à la hauteur du drame actuel.
De même, la présidence française de l'Union européenne est loin d'avoir été un succès. Le chef de l'État français l'a exercée avec une satisfaction évidente mais rien ne nous autorise à pavoiser : pour la première fois, malgré une crise sans égale depuis les années 30, l'Europe sociale ne figurait pas au rang des grandes priorités. La majorité aurait tort d'instrumentaliser cette présidence à des fins électorales : il ne s'agit pas de reconduire Nicolas Sarkozy à la présidence du conseil mais d'élire des députés. Comment cette confusion ne rendrait-elle pas l'Europe illisible pour les électeurs ? Les Français attendent de l'Europe qu'elle les protège, non qu'elle les rende plus vulnérables. Mais au lieu d'un bouclier social, on crée un bouclier fiscal sur mesure pour les plus riches. Nos compatriotes attendent un débat, non un énième discours réchauffé sur la sécurité ou des moulinets sur la prétendue ultragauche terroriste corrézienne. Au mépris du projet européen, la majorité s'approprie des notions qui ne sont pas les siennes, comme protection ou solidarité, alors qu'elle se livre mois après mois à une véritable casse de toutes les acquis sociaux. Nous, socialistes, voulons retrouver une Europe de la solidarité et de la coopération, si chère à Jacques Delors. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. Michel Billout. - C'est dans le domaine social que s'ancrent les attentes des peuples et l'enjeu électoral majeur est là. Voyez l'annonce par le président de la Commission européenne d'un plan de relance sociale, qui n'est hélas que le simple déblocage de crédits déjà programmés. Tous les candidats appellent à l'approfondissement de l'Europe sociale, fustigent les dérives de la Commission et veulent moraliser le capitalisme financier. On en oublierait presque que beaucoup d'entre eux ont ardemment travaillé à promouvoir ce modèle européen ! Cet apparent consensus, cette formule magique cachent bien évidemment des desseins très différents. Avant la présidence française, le Premier ministre affirmait la volonté du Président Sarkozy de faire de l'Europe sociale sa priorité politique. Or, à aucun moment les dogmes libéraux n'ont été remis en cause. On s'est borné à un sauvetage du système bancaire et financier à grand renfort de dizaines de milliards d'euros, sans contrepartie. Les garanties sociales, elles, sont considérées comme relevant des États membres. Ainsi, un conseil européen extraordinaire sur la question a été annulé pour ne pas laisser penser que l'Union a compétence pour répondre à la crise sociale.
L'Europe sociale reste un mythe. On ne tente rien au motif qu'il serait difficile d'obtenir un compromis satisfaisant des Vingt-sept et que le principe de subsidiarité s'applique. On se limite à la lutte contre les discriminations et à l'adoption de règles non contraignantes. L'Union ne s'estime compétente que pour augmenter la durée légale du travail à 65 heures ou pour adopter le fameux principe du pays d'origine !
Au fil des années s'est mis en place tout un arsenal législatif visant à mettre en concurrence les travailleurs, les entreprises et les territoires. Comment l'Europe pourrait--elle apparaître comme un outil de progrès ? Les citoyens en appellent à leur État afin de les protéger contre cette zone de « concurrence libre et non faussée » ! Aujourd'hui, vous soulignez tous que le « non » français à la Constitution européenne traduisait l'exigence d'une Europe sociale et le refus de l'ultralibéralisme. Mais vous ne teniez pas le même discours quand le Parlement français, réuni en congrès le 4 février 2008, a adopté le traité de Lisbonne, simple avatar de feu la Constitution européenne ! Seul le groupe communiste a rejeté ce texte pour respecter le vote des Français. Vous continuez, quant à vous, de penser que nos compatriotes se sont trompés...
Le traité de Lisbonne n'est pas une avancée. Il est fondamentalement antisocial. La banque centrale reste indépendante, le pacte de stabilité reste le socle de toute action publique, la libre circulation des capitaux est réaffirmée. Comment développer des politiques sociales sans une réforme profonde et globale ? Toute aide d'État reste proscrite par l'article 107 du traité !
Comme l'indique l'article 119, « l'action des États membres et de l'Union comporte l'instauration d'une politique économique conduite conformément au respect du principe d'une économie de marché ouverte où la concurrence est libre ». La messe est dite : ce traité ne permet aucun progrès en faveur de l'Europe sociale. Nous ne pensons pas qu'harmonisation sociale rime avec Europe libérale ni, comme le prétend le rapport, qu'une politique sociale est un facteur de progrès favorisant à moyen terme des gains significatifs de productivité. Sa raison d'être n'est pas simplement économique, elle correspond à un modèle de développement solidaire des peuples européens. L'Europe doit être utile pour ses peuples. Aujourd'hui, elle ne garantit pas les droits fondamentaux ; pire, elle se juge incompétente pour mener une politique industrielle, agir contre les délocalisations, harmoniser les conditions de travail.
Ce rapport traite également du renforcement du dialogue social, mais le cadre même de ces discussions est entaché par les politiques économiques mises en oeuvre. Ainsi, la Cour de justice considère que l'exercice du droit de grève est contraire à la liberté économique des entreprises. Une nouvelle fois, la primauté du marché s'impose à toute autre considération. Pour certains, Europe sociale et Europe libérale ne sont pas antinomiques. Nous estimons, au contraire, que le nouveau document définissant la politique économique de l'Union tourne le dos à l'idée même d'Europe sociale en préconisant la modernisation du marché du travail par la flexisécurité ainsi que la soumission de l'éducation aux besoins du marché du travail. La réponse aux besoins collectifs ne pourrait donc s'inscrire que dans un grand marché commun où les services publics seraient simplement réservés aux plus démunis. On glisserait ainsi de l'assurance à l'assistanat. Pour nous, les services publics ne servent pas à corriger les dysfonctionnements du système libéral mais constituent au contraire un modèle de société de progrès.
Nous militons pour un changement radical d'orientation des politiques européennes grâce à un nouveau traité européen fondateur, dont les maîtres mots ne seraient pas « concurrence libre et non faussée » mais « coopération et harmonisation sociale et fiscale ». Troquons cette Europe des marchés pour une Europe des peuples. Allons au-delà de la nécessaire mobilité des travailleurs préconisée par le rapporteur : mettons au service de l'emploi tous les instruments disponibles. La promotion des capacités humaines par la formation, l'éducation, la santé, la culture, la recherche et le logement, avec des salaires, des conditions de travail et des retraites dignes, doit devenir un objectif fondamental de l'Union.
Un autre type de production doit être impulsé, alliant développement humain, social et écologique, à l'aide de nouveaux pouvoirs d'intervention pour les citoyens et les salariés. Cela implique de maîtriser le crédit pour orienter la gestion des entreprises dans le sens de ces priorités, avec une politique monétaire européenne centrée sur l'emploi et la lutte contre le chômage. La BCE doit être mise au service des populations et soumise à un contrôle démocratique.
Face à la crise, il faut créer un bouclier social européen en s'opposant aux plans de licenciements comme aux délocalisations et en augmentant les salaires, les minima sociaux et les pensions. Cela suppose d'engager sans tarder une harmonisation sociale par le haut, de remettre en cause le libre-échange, de développer des services publics européens, de soutenir une politique industrielle respectueuse de l'environnement et créatrice d'emplois. Des dispositifs fiscaux doivent permettre de redistribuer largement les richesses.
Telles sont les propositions ambitieuses du groupe CRC-SPG pour une réorientation de l'Europe sociale vers la satisfaction des besoins et la garantie des droits fondamentaux des peuples européens.
Mme Anne-Marie Escoffier. - A la veille d'élections européennes, ce débat est de la première importance. Il est d'autant plus utile de s'interroger sur l'avenir de la politique sociale européenne que la crise économique frappe de plein fouet nos pays. Sans volet social véritable, il n'y aura pas d'Europe lisible pour les peuples qui la composent. Le groupe RDSE estime qu'il ne peut y avoir de construction européenne sans une politique sociale forte, bien que respectueuse de la liberté d'entreprendre. C'est ce qu'attendent les citoyens européens, et surtout les Français, attachés à des dispositions sociales parmi les plus favorables, notamment en matière d'assurance maladie, de garantie des retraites, d'indemnisation du chômage et de politique de santé.
Alors que les Trente Glorieuses ont fait connaître au Vieux Continent une croissance à deux chiffres, le traité de Rome, du fait de la diversité des traditions sociales des États membres, s'est montré timide en matière sociale -il ne prévoit de mesures contraignantes que pour l'égalité des sexes. L'Acte unique de 1986 introduit quelques mesures destinées à protéger les travailleurs. La charte sociale de 1989 se fait plus explicite, comme le protocole social annexé au traité de Maastricht. En 1997, le traité d'Amsterdam consacre l'emploi comme une question d'intérêt communautaire. En 2000, l'objectif du retour au plein emploi pour 2010 est inscrit dans le traité de Lisbonne.
Aujourd'hui, avec la crise, la montée galopante du chômage et le ralentissement de l'économie, la perplexité a laissé la place à l'inquiétude dans tous les États membres. Toutes les lignes sociales bougent, et la mondialisation a des retombées aussi bien positives que négatives. L'Europe doit disposer d'outils adaptés pour faire face aux mutations économiques et sociales, aux nouvelles formes de travail et de chômage et à l'allongement de la durée de la vie, aux nouvelles valeurs éthiques, etc. Il s'agit, en premier lieu, de la consultation systématique des partenaires sociaux et de la possibilité de négocier un accord avant les propositions de la commission en matière sociale.
Pour ce qui est des instruments financiers, 11 milliards d'euros sont consacrés à l'emploi et aux affaires sociales, soit 8 % des crédits, ce qui est bien modeste comparé aux 56 milliards d'euros consacrés à l'agriculture -d'ailleurs à bon droit. Il faut toutefois y ajouter les 307 milliards issus du Fonds européen de développement régional (Feder), du Fonds social européen (FSE) et du Fonds de cohésion, les 657 millions du programme d'action pour la formation et le retour à l'emploi et les 500 millions du fonds européen d'ajustement à la mondialisation.
Ainsi, la politique sociale européenne, bien qu'insuffisante, ne se réduit pas au néant dénoncé ici ou là. Les échecs récents des directives sur le temps de travail, la portabilité des pensions ou le congé maternité illustrent les difficultés d'intervention. Le principe de subsidiarité, souvent montré du doigt, ne constitue pas le seul frein : il faut compter avec les antagonismes croissants entre le nord et le sud de l'Europe, entre les pays anglo-saxons et méditerranéens -ces derniers étant davantage favorables à l'harmonisation sociale. Les élargissements ne sont pas non plus sans conséquences, certains des nouveaux États membres faisant courir un risque de dumping social. Il est donc difficile d'obtenir sur les questions sociales un vote à la majorité qualifiée et la Cour de justice doit fréquemment intervenir pour pallier l'insécurité juridique qui en découle.
Malgré les préjugés de certains, notamment des thuriféraires du libéralisme absolu, l'Europe a plus que jamais besoin d'une politique sociale afin de lutter de toutes ses forces contre la pauvreté et la précarité. Les législations sociales doivent être harmonisées par un pacte de convergence. Nous avons des devoirs envers ceux qui souffrent le plus du contexte actuel. La préservation des droits familiaux, l'emploi des seniors, l'harmonisation des retraites : autant de chantiers qui exigent volontarisme et détermination.
Pour ce qui est de la politique de santé, le conseil de Barcelone de mars 2002 a adopté trois principes pour la réforme des systèmes de santé.
L'accessibilité pour tous, la haute qualité des soins, la viabilité financière à terme : ces trois principes qui faisaient de la France un modèle devraient, à l'heure où le Sénat étudie la loi « Hôpital, patients, santé et territoires », être inscrits en lettres d'or.
Lutte contre l'exclusion, reconnaissance du rôle joué par les partenaires sociaux -l'interprétation des textes européens sera intéressante à plus d'un titre, tandis que se creuse l'écart entre les normes affichées et les modestes résultats atteints.
A quelques jours des élections européennes, nous attendons un signe d'encouragement, une bonne raison de croire en l'Europe ! (Applaudissements)
M. Hubert Haenel, président de la commission des affaires européennes. - Je ne vais pas marcher sur les brisées de ceux qui viennent de s'exprimer, je vais me contenter d'un peu de pédagogie.
Depuis la création de la commission des affaires européennes, nous avons la possibilité d'intervenir régulièrement sur les questions européennes, en tant que veilleurs, une fois par mois pour poser une question orale avec débat ou demander au Gouvernement les suites qu'il aura données à nos propositions. Nous devons nous habituer à utiliser ces nouveaux instruments que nous donnent la réforme de la Constitution et celle du Règlement du Sénat.
J'ai appuyé l'inscription à l'ordre du jour de la question de M. Yung, qui était adossée à un rapport tout à fait remarquable et qui fera référence. Qu'aurait dit le général de Gaulle ? « L'Europe sociale ! L'Europe sociale ! Qu'est-ce que cela signifie ? » Nous avons maintenant une réponse précise !
Le traité de Lisbonne, je l'espère, entrera en vigueur et avec lui, la charte sociale deviendra la norme européenne, sur laquelle nous pourrons nous appuyer pour bâtir une nouvelle politique sociale européenne ; c'est notre prochain rendez-vous.
Mme Nadine Morano, secrétaire d'État chargée de la famille. - La crise mondiale que nous traversons aura au moins eu le mérite de révéler l'importance de la dimension sociale de l'Union. Parce que c'est dans ces moments difficiles que chaque citoyen européen a besoin d'être accompagné et épaulé.
Nous, Européens et Français, sommes attachés, au caractère « global » du projet européen. Nous ne nous sommes jamais contentés d'une construction européenne qui serait limitée au marché ou à la monnaie. Comme l'a rappelé le 5 mai dernier le Président de la République, « L'Europe, c'est nous ». Les politiques relatives au travail et aux affaires sociales doivent se trouver au coeur du projet européen : elles concernent directement la vie quotidienne de millions d'Européens et la justice à l'égard des plus fragiles est indispensable à la croissance économique, au développement durable et à la stabilité.
Nous partageons aussi la conviction qu'un État membre isolément ne pourra ni défendre ses intérêts ni promouvoir son modèle sans l'Europe. Nous avons besoin d'une solidarité européenne pour défendre nos intérêts communs. Malgré la diversité dans l'organisation des relations et des politiques sociales, ce qui nous rapproche l'emporte sur ce qui nous sépare, surtout lorsque l'on compare les États membres de l'Union avec le reste du monde.
II est vrai que, pendant plusieurs années, le processus législatif communautaire a pu donner le sentiment de ne plus produire de résultat dans le champ social. Mais des progrès ont été accomplis sous la présidence française.
Le modèle social européen représente à la fois les valeurs communes à tous les États membres et les droits qu'ils reconnaissent. Nous sommes parvenus à un niveau de développement social de l'Europe que nous n'avons jamais connu dans le passé.
Sur le droit du travail, nous avons des standards minimum dans pratiquement tous les domaines : temps de travail, travail intérimaire, santé et sécurité au travail, information et consultation des travailleurs.
Nous avons des mécanismes de coordination, d'évaluation et d'échange de bonnes pratiques sur l'emploi, la protection sociale, la lutte contre la pauvreté, le revenu minimum. Un rapport d'Eurostat publié mardi montre que les Vingt-sept ont consacré en moyenne 6 350 euros par habitant à la protection sociale en 2006, soit plus d'un quart du PIB de l'Union européenne. La France arrive en tête avec 31 %. Ces chiffres témoignent de la réalité de la dimension sociale de l'Europe.
D'indéniables progrès ont été réalisés afin de construire ce modèle social européen qui protège nos concitoyens. Je pense en particulier aux garanties contre le dumping social. Des garanties juridiques d'abord avec l'article 136 du traité, qui rappelle que les directives visent l'harmonisation dans le progrès ; des garanties économiques ensuite, à travers les politiques de convergence entre les économies des États membres pour accélérer le développement de nos partenaires les moins avancés ; je pense aussi à l'égalité professionnelle. S'il est un domaine où l'Europe a fait avancer les droits des citoyens, c'est bien celui-là. Mais les inégalités et les écarts de rémunération perdurent. C'est le signe qu'au-delà du droit et des principes, ce sont les mentalités qu'il faut changer. La France milite ainsi en faveur d'un label européen pour favoriser les bonnes pratiques.
Je pense aussi à des exemples très concrets d'harmonisation européenne au bénéfice de nos concitoyens comme la carte européenne d'assurance maladie, qui a fêté ses cinq ans lundi. Fin 2008, plus de 180 millions de citoyens en détenaient une, dans les 27 États membres de l'Union européenne, ainsi qu'en Islande, en Norvège, en Suisse et au Liechtenstein. (MM. Bernard Frimat et Serge Lagauche daubent.)
Durant la présidence française, sous l'autorité de Nicolas Sarkozy, nous avons défendu cette vision sociale de l'Europe, et nous avons obtenu des avancées concrètes pour les citoyens et renouvelé les bases d'un consensus sur le projet européen.
Nous avons relancé des dossiers qui étaient enlisés depuis des années, comme la directive sur le travail intérimaire, adoptée en novembre. C'est une étape importante dans l'harmonisation par le haut des conditions de travail au sein de l'Union. Je pense aussi à la directive sur le comité d'entreprise européen, qu'attendaient les syndicats européens depuis 1999, à la refonte du règlement de coordination des régimes de sécurité sociale, exercice technique et complexe mais qui a un impact direct sur la situation de tous les citoyens en Europe et leurs familles. Ce règlement, modernisé, garantit le maintien d'une affiliation à la sécurité sociale pour tous les citoyens européens, la reconnaissance des droits acquis d'un pays à l'autre et l'égalité d'accès aux prestations de chaque État membre.
Je pourrais aussi citer un accord sur la transposition en Europe de la convention maritime de l'OIT, qui renforce les droits et protections des 300 000 marins soumis au droit communautaire ; un accord sur les principes communs d'inclusion active, en clair une stratégie commune européenne pour lutter contre la pauvreté, promouvoir un revenu minimum qui puisse s'inscrire dans des politiques actives de retour à l'emploi efficace -preuve qu'au niveau européen, la question de l'exclusion est au coeur des préoccupations.
Je pense aussi à l'adoption d'une feuille de route pour les services sociaux d'intérêt général, que la Commission s'est engagée à mettre en oeuvre, le lancement, avec la Commission, d'une évaluation de la situation résultant des arrêts Laval, Viking, Rüffert et Luxembourg de la Cour de justice des Communautés européennes, arrêts sur le détachement des travailleurs.
Nos travaux ont également laissé une large place à la famille, et en particulier aux mesures en faveur de l'activité des femmes et de l'égalité professionnelle.
Outre ces avancées concrètes, nous avons aussi posé les fondements d'un nouveau consensus entre les États membres sur la dimension sociale de l'Union européenne. Tous ces clivages paralysaient en effet les travaux du conseil Epsco (emploi, politique sociale, santé et consommateurs) depuis 2004. Nous avons proposé un programme de travail pour mettre en oeuvre l'agenda social renouvelé de l'Union européenne. Nous avons mené à bien une mission européenne sur la « flexicurité », avec Gérard Larcher et le commissaire Spidla, pour proposer un juste équilibre entre la flexibilité et la sécurité dont ont besoin les entreprises et les salariés. Cette mission a reçu un accueil très positif dans des pays aussi divers que la Suède, l'Espagne et la Pologne et, signe de son succès, les partenaires sociaux européens y ont participé et en ont approuvé les conclusions.
Le dialogue avec les partenaires sociaux constitue l'un des piliers du modèle social européen. La présidence française a réaffirmé la dimension sociale de l'Europe, avec l'adoption de textes qui étaient en discussion depuis plusieurs années et de principes communs d'action. Nous devons ce résultat à une collaboration étroite avec les partenaires sociaux européens. Face à la crise, nous disposons désormais d'instruments européens rénovés, qu'il s'agisse du Fonds européen d'ajustement à la mondialisation ou encore du Fonds social européen, qui ont été créés grâce à la France. Ces fonds jouent un rôle de levier, en complétant les financements nationaux et en ciblant les priorités définies au niveau européen.
J'en viens aux avancées concrètes qu'il faudra promouvoir dans les mois à venir pour les citoyens, pour les travailleurs et leurs familles. Nous devrons ainsi continuer d'améliorer les droits des citoyens européens, qu'il s'agisse de l'égalité de traitement dans tous les cas de discrimination possible, de l'égalité entre hommes et femmes, ou encore de la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle. Nous devrons être attentifs aux suites de l'arrêt Laval et aux travaux que les partenaires sociaux européens ont engagés. Il faudra aussi poursuivre la réflexion menée sous la présidence française sur les services sociaux d'intérêt général (SSIG), sur la formation professionnelle, sur l'insertion des jeunes et sur le maintien des seniors dans l'emploi.
Monsieur Yung, vous reprochez à la méthode ouverte de coordination (MOC) d'être trop bureaucratique et de manquer de visibilité. Nous avons fait le même constat. C'est pourquoi la présidence française a souhaité des objectifs plus simples, des procédures d'évaluation plus transparentes. Nous faisons nôtres toutes les propositions que vous retenez dans votre rapport d'information.
Pour les années à venir, il faut maintenir le cap. La crise a révélé l'importance de la politique sociale en Europe. Saisissons l'occasion pour réaffirmer la dimension sociale alors que l'Union doit élaborer sa nouvelle stratégie après Lisbonne en 2010. Dans ce travail de rénovation, nous devrons relever un certain nombre de défis qui ne se prêtent pas à une réglementation communautaire, et je pense notamment à l'adaptation à la mondialisation, au vieillissement démographique, à la modernisation des marchés du travail ou à la lutte contre la pauvreté.
L'Union européenne doit nous enrichir réciproquement de l'expérience et des pratiques nationales afin que nous parvenions à des objectifs communs. Enfin, ainsi que vous l'avez fort justement souligné, madame Papon, le traité de Lisbonne propose des avancées dans le domaine des droits sociaux : la charte va lier le juge européen et la Commission. Il s'agit d'une avancée très concrète. Ensuite la clause sociale dite horizontale impose à la Commission et au législateur européen de prendre en compte, dans chacune des politiques communautaires et des législations sectorielles, les objectifs de protection sociale et de plein emploi.
Le Président de la République affirmait dès décembre 2007 : « Le projet européen doit également revêtir une dimension sociale ». Je suis fière de le dire aujourd'hui devant vous : la dimension sociale de l'Europe n'est pas un concept vain mais une réalité concrète. J'en veux pour preuve les nombreuses avancées que je viens de citer. Bien évidemment, certains progrès restent à accomplir, dans le droit chemin de l'action engagée au cours de la présidence française. A force de dialogue et de concertation, nous répondrons collectivement aux défis qui se posent à nous, en particulier dans ce contexte de crise mondiale. Il est aujourd'hui plus que jamais de notre responsabilité à tous, élus européens, nationaux et locaux, responsables politiques et syndicaux, de placer la cohésion sociale, la protection des citoyens et la solidarité au coeur de nos priorités. Si l'Europe doit agir vite face à la crise afin de protéger les populations, nous devons aussi développer un projet à long terme sur lequel nous devrons travailler sans relâche. (Applaudissements à droite)
M. Richard Yung, auteur de la question. - Nous ne pouvons que nous réjouir d'avoir eu ce débat sur une question d'une telle importance, encore que je regrette la très faible participation de nos collègues. Peut être pourrez-vous rapporter ce fait, madame la présidente, en Conférence des Présidents. Il faudra trouver les moyens de régler ce problème, car il en va de la démocratie.
Comme je l'ai déjà dit, la crise économique et ses conséquences sociales doivent constituer un accélérateur de la politique sociale européenne. L'Europe a mis en place un Fonds d'ajustement à la mondialisation qui est doté de 500 millions, montant ridicule au regard des moyens européens. Il faudra revaloriser cette dotation de façon significative car cela permettrait d'affirmer qu'il existe un modèle social européen, l'État providence, différent de celui des États-Unis.
Madame la ministre, vous avez tracé des pistes pour l'avenir et je rejoins certaines de vos propositions, notamment en ce qui concerne les services sociaux d'intérêt général. Il faudra aussi avancer sur les droits des travailleurs détachés.
Nous ne nous contenterons pas de simples déclarations. Or, la Commission parait bien affaiblie et je ne vois pas de raisons d'espérer une évolution positive à court terme. J'ai lu et relu la déclaration commune de M. Sarkozy et de Mme Merkel sur la plate-forme européenne : pas un mot sur la politique sociale de l'Europe !
Je ne fonde pas beaucoup d'espoir sur la méthode ouverte de coordination car c'est aussi une façon de botter en touche. J'appelle de mes voeux un programme social européen, initié par la Commission, repris par le Conseil et voté par le Parlement. Dans l'état actuel des choses, j'ai quand même quelques doutes. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
La séance est suspendue à 13 h 15.
présidence de Mme Catherine Tasca,vice-présidente
La séance reprend à 15 h 15.