Déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat, sur la politique étrangère de la France
M. le président. - L'ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat, sur la politique étrangère de la France.
M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes. - Il y a plus de quarante ans, le général de Gaulle prit une décision qui marqua un jalon important dans la politique étrangère de la France. Aujourd'hui, celle du Président de la République de parachever le rapprochement de la France avec l'Otan, entamé sous les présidences de François Mitterrand et Jacques Chirac, en rejoignant les structures militaires intégrées de l'organisation, suscite un débat, parfaitement légitime dans une démocratie. Mais de grâce, bannissons les fantasmes et les non-dits. La sécurité et l'indépendance de la France, le rôle international de l'Europe sont, depuis soixante ans, indissociables de notre relation avec l'Otan ; c'est particulièrement vrai aujourd'hui.
Les interrogations sur une prétendue perte d'indépendance, de souveraineté ou d'ambition, voire sur le renoncement à une politique étrangère digne de ce nom, masquent les vraies questions sur le sens, le contenu et la portée de notre indépendance et de notre politique étrangère. Le Président de la République, le 11 mars, et le Premier ministre, la semaine dernière à l'Assemblée nationale, ont été très clairs : en revenant dans le commandement intégré de l'Otan, la France ne compromet en rien son indépendance militaire. Trois principes fondamentaux continueront de régir notre participation à l'Alliance : l'indépendance complète de notre dissuasion nucléaire ; une liberté totale d'appréciation sur le bien-fondé et la conduite des opérations, avec pour corollaire l'absence d'automaticité de nos engagements ; une liberté de décision en toutes circonstances, qui suppose qu'aucune force française ne soit placée en permanence en temps de paix sous le commandement de l'Otan. Quoi que l'on en pense sur le fond, l'exemple récent de l'Espagne, membre important de l'Otan qui a décidé de retirer son contingent de la KFOR, montre que les membres de l'organisation conservent leur liberté de choix.
On entend dire que le retour dans le commandement intégré ne change pas grand-chose dans les faits et qu'il est donc inutile. Au contraire ! Nous pourrons désormais participer pleinement aux débats internes dont nous étions jusqu'ici absents.
Les gouvernements espagnol et britannique viennent de nous en féliciter. Les Russes, même, nous assurent que nous nous ferons un ami... (Mme Michelle Demessine s'amuse)
M. Jean-Louis Carrère. - A l'extérieur de l'Otan !
M. Bernard Kouchner, ministre. - Tous nos partenaires européens se réjouissent d'une décision qui nous permettra de promouvoir plus efficacement la défense européenne : plus personne ne pourra nous accuser de tenir un double langage et de vouloir faire progresser l'Europe de la défense pour affaiblir l'Otan.
M. Didier Boulaud. - Elle est morte, la défense européenne !
M. Bernard Kouchner, ministre. - Dans toutes les capitales, les réactions sont positives : non seulement parmi les États qui furent les derniers à rejoindre l'Union européenne et l'Otan mais aussi chez les pionniers de la construction européenne, les Italiens, les Belges, les Néerlandais et les Allemands. Elles sont favorables chez les Britanniques, avec qui nous avons lancé, il y a dix ans, le processus de Saint-Malo. (Sarcasmes à gauche)
Que disent nos amis et alliés américains ?
M. Jean-Louis Carrère. - Ils disent : « A la vôtre ! ».
M. Bernard Kouchner, ministre. - Ils saluent notre décision : cela ne vous surprendra pas. Mais ils vont plus loin : le Président Obama a exprimé, dans une déclaration récente, le souhait que les capacités de défense de l'Union européenne se renforcent. Les Américains savent aujourd'hui qu'ils ont besoin d'une Europe forte et volontaire et qu'il n'y a pas de contradiction entre l'appartenance à l'Alliance atlantique et l'existence d'une vraie défense européenne.
M. Didier Boulaud. - Et Bush, que dit-il ?
M. Bernard Kouchner, ministre. - Les Russes sont-ils inquiets ? Voient-ils dans notre décision le signe du raidissement du camp occidental et le retour d'une logique d'affrontement ? Bien au contraire ! Ils sont convaincus que la présence française renforcera le poids des Européens dans les processus de décision et permettra de resserrer les relations entre la Russie et l'Alliance. (On se montre dubitatif à gauche)
M. Didier Boulaud. - M. Medvedev critique l'Otan !
M. Bernard Kouchner, ministre. - Nos partenaires arabes ont-ils crié à la trahison ? Non plus ! Ils savent que notre retour au sein du commandement intégré n'altérera en rien l'indépendance de notre politique étrangère, notamment au Moyen-Orient.
M. Didier Boulaud. - Parlez plutôt de retour au bercail !
M. Bernard Kouchner, ministre. - Cette décision s'inscrit au sein d'un ensemble que je vous demande de considérer sans précipitation ni préjugés. La France compte parmi les rares nations dotées d'une politique étrangère.
M. Didier Boulaud. - Ca ne va pas durer !
M. Bernard Kouchner, ministre. - C'est une évidence pour les Français mais cela reste une exception dans le monde d'aujourd'hui. Une politique étrangère, c'est une ambition, une volonté et des moyens. Il revient à la diplomatie de trouver la bonne alchimie (M. Didier Boulaud évoque la pierre philosophale) entre les instruments de puissance classique et ceux du soft power, de sorte que notre pays soit en mesure de peser sur la scène internationale. Nous ne pouvons négliger aucun de ces deux instruments. Confrontés à un monde chaotique et instable, nous y faisons face avec réalisme et détermination, dans le respect de nos valeurs et de nos intérêts.
Avec la Russie par exemple, la France et l'Union européenne doivent entretenir une relation durable, équilibrée, respectueuse, fondée sur notre interdépendance, notamment dans le domaine énergétique. Nous entendons le faire sans complaisance et sans transiger sur les principes, en évitant les provocations inutiles.
La crise géorgienne l'a montré, avec la volonté politique, l'Europe sait s'exprimer d'une seule voix, et elle est entendue, respectée.
M. Didier Boulaud. - Et les Russes ?
M. Bernard Kouchner, ministre. - Il faut faire prévaloir le droit et le dialogue sur la force.
Le Proche et le Moyen-Orient sont notre voisinage immédiat ; ce qui s'y joue est essentiel. Nous y sommes donc très actifs. Nous avons restauré avec Israël une relation de confiance et d'amitié tout en disant au plus haut niveau qu'il n'y aura pas de paix sans un État palestinien viable et sans un arrêt de la politique de colonisation.
Nous avons joué avec l'Égypte un rôle central dans la sortie de crise à Gaza et nous continuerons, avec nos partenaires européens, à soutenir l'Autorité et le peuple palestiniens.
Nous avons renoué le dialogue avec la Syrie après l'élection du président Sleimane au Liban. La nomination d'un ambassadeur syrien au Liban marque un succès.
Sur le dossier iranien, nous avons joué avec le Royaume-Uni et l'Allemagne un rôle majeur pour rallier la Russie et la Chine à la stratégie de dialogue et de sanctions que nous avions définie et poursuivie depuis 2003 et à laquelle le président Obama vient de donner une impulsion que nous saluons.
Nous avons renforcé notre présence dans le Golfe avec l'installation d'une base militaire à Abou Dabi. Nous sommes présents en Irak. Notre présence militaire et notre aide civile ont été renforcées en Afghanistan, dans le cadre d'une stratégie globale...
M. Jean-Louis Carrère. - Tiens, tiens...
M. Bernard Kouchner, ministre. - ...car il n'y aura pas de solution purement militaire.
M. Jean-Louis Carrère. - Ça évolue !
M. Bernard Kouchner, ministre. - Nous avons renoué une relation forte et confiante avec les États-Unis. Le rapprochement, entamé sous la précédente présidence, a été confirmé après l'élection du président Obama, dont les premières orientations de politique étrangère montrent une forte proximité avec nos propres positions.
M. Didier Boulaud. - Celles du président Bush ?
M. Bernard Kouchner, ministre. - C'est ce rapprochement, doublé d'un soutien public du président américain à la défense européenne, qui a ouvert la voie au retour de la France au sein de la structure militaire intégrée de l'Alliance atlantique. C'est notre intérêt et celui de l'Union européenne de pouvoir partager le fardeau de la gestion des crises...
M. Didier Boulaud. - Son coût !
M. Bernard Kouchner, ministre. - ...avec le souci de faire vivre nos valeurs sur le terrain, au Kosovo, en Géorgie, au Tchad. Partout, grâce à notre action acharnée, nous avons fait flotter le drapeau européen au service de la paix et de la sécurité. La PESD...
M. Didier Boulaud. - Elle est morte ou subclaquante !
M. le président. - Continuez, monsieur le ministre, ce n'est qu'une affaire de diagnostic.
M. Bernard Kouchner, ministre. - C'est pourquoi je m'étais arrêté...
M. Didier Boulaud. - Médecin contre vétérinaire...
M. Bernard Kouchner, ministre. - La politique européenne de sécurité et de défense a progressé sur le terrain.
M. Didier Boulaud. - Comme tout le monde l'a vu !
M. Bernard Kouchner, ministre. - Elle a connu des avancées considérables sous la présidence française. Des projets capacitaires robustes, flexibles et interopérables sont proposés aux États membres -M. Hervé Morin pourra vous en dire plus.
M. Didier Boulaud. - Et sur l'état-major ?
M. Bernard Kouchner, ministre. - Un programme d'échanges d'officiers de type Erasmus et le Collège européen de sécurité et de défense contribueront à développer la culture européenne de défense, qui est fondamentale à nos yeux. Le secrétariat général du Conseil permettra une capacité unique de planification stratégique des opérations de l'Union. J'ai beaucoup entendu regretter que celle-ci ne dispose pas d'un état-major. Mais elle en a un depuis 2000.
M. Didier Boulaud. - Ah bon ?
M. Bernard Kouchner, ministre. - Il s'agit plutôt de développer une capacité de planification et de conduite d'opérations. Cette perspective demande de la ténacité, mais nous y parviendrons.
Que de progrès ainsi rapidement énumérés, et quelle contribution à la paix ! Regardez le chemin parcouru : pendant des décennies, la défense européenne était un sujet tabou ; elle est devenue un rêve à Saint-Malo, puis nous en avons fait une réalité. Et nous continuerons.
Dans le monde globalisé qui est le nôtre, il ne suffit pas de proclamer qu'aucune nation, même la plus puissante, ne peut régler seule les problèmes du monde. Les États-Unis auront autant besoin de nous que nous d'eux. Nous ne sommes plus au temps de l'hyper puissance américaine, mais au temps de la libre alliance des peuples et des démocraties contribuant à la stabilisation de la paix. Soyons lucides : les menaces et les risques se sont accrus ; aucune nation ne peut prétendre protéger ses citoyens dans un splendide isolement. L'ambition de la France n'est pas de se résigner mais de faire prévaloir ses propres vues -l'expérience de la présidence française a montré que notre ambition sera d'autant mieux assumée que nous saurons les faire partager. Notre responsabilité -un mot que l'on n'a peut-être pas assez entendu-...
M. Jean-Louis Carrère. - Certains feraient bien de se l'appliquer !
M. Bernard Kouchner, ministre. - ...c'est de comprendre que la paix a un prix ! Dans une vieille nation, qui a tant souffert des guerres, affirmer que l'on veut la paix suscite le consensus...
M. Jean-Louis Carrère. - Vous l'avez rompu !
M. Bernard Kouchner, ministre. - L'Europe, qui constitue pour l'heure un îlot de stabilité et de richesse, ne peut être la seule à négliger sa sécurité sauf à compromettre sa crédibilité. Ne soyons pas comme ces nations fatiguées dont Tocqueville disait qu'elles préfèrent être dupes pourvu qu'on les repose. Longtemps, les Européens, voulant qu'on les laisse en paix, se sont accommodés de la protection d'un plus puissant. Mais il n'y a pas de diplomatie s'il n'y a pas de défense. L'Europe s'est construite par des défis successifs : celui des séquelles de la guerre, celui du rideau de fer ; elle doit aujourd'hui relever celui de porter la paix au-delà de ses frontières. L'Europe en est capable avec la même ambition et la même volonté, dans le respect de son histoire et de ses valeurs. Où nous conduirait le splendide isolement ?
M. Jean-Louis Carrère. - De quoi parle-t-on ?
M. Bernard Kouchner, ministre. - Pas aux résultats que l'on promet. L'indépendance est la capacité à faire des choix.
M. Didier Boulaud. - Gaullistes, réveillez-vous !
M. Bernard Kouchner, ministre. - Oui, le geste gaullien de 1966 a donné un éclat particulier à notre pays, beaucoup de peuples y ayant vu un appel, un symbole. Mais il ne doit pas se transformer en posture, en déni des réalités. La méfiance, l'inimitié que cela susciterait, seraient le contraire de l'influence. Le général de Gaulle avait pris sa décision dans l'intérêt de notre indépendance.
M. Christian Poncelet. - C'est vrai !
M. Bernard Kouchner, ministre. - Reprendre toute notre place au sein de l'Alliances renforcera notre influence...
M. Didier Boulaud. - Je vous donne rendez-vous !
M. Bernard Kouchner, ministre. - Notre choix est celui de plus de France en Europe, plus d'Europe dans l'Alliance atlantique et plus de défense dans l'Europe. C'est cela, avoir une certaine idée de la France. (Applaudissements à droite)
M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. - « Rien ne peut faire qu'une alliance demeure telle quelle quand ont changé les conditions dans lesquelles on l'avait conclue. Dans ce cas-là, il faut s'adapter aux données nouvelles ; si on ne le fait pas, alors les textes, vidés de leur substance, ne sont plus que de vains papiers d'archives, à moins que ne se produise une rupture brutale entre les formes désuètes et les vivantes réalités ».
M. Jean-Louis Carrère. - La rupture !
M. Josselin de Rohan, président de la commission. - Ces propos du général de Gaulle en 1966 sont parfaitement transposables, même si la conjoncture de 1996 n'avait pas plus voir avec celle de 1966 que celle de 2009 avec celle de 1996. Nature des défis, zones de conflits ou facteurs de déstabilisation, tout a changé depuis que le général de Gaulle a retiré nos troupes du commandement intégré de l'Otan.
Ce sont ces raisons qui avaient conduit la France à se rapprocher de l'Otan en 1996, où elle avait fait la plus grande partie du chemin en réintégrant la plupart des comités militaires de l'organisation.
Loin de moi l'idée de minimiser la décision du Président de la République de réintégrer le comité des plans de défense, en soulignant qu'il s'agit d'une simple évolution. Mais pas davantage ne doit-on exagérer la portée symbolique de l'évènement.
Comme l'a dit, le 11 mars dernier, le Président de la République, « dans le monde des puissances relatives, aucun État ne peut imposer seul son point de vue ». Dès lors, « la coopération et la solidarité sont les fondements de l'action ». Elles sont au coeur de notre diplomatie et trouvent l'une de leur traduction privilégiée dans notre participation active aux grandes organisations qui structurent la vie internationale. C'est le cas dans l'ONU, qui reste pour la France l'élément central des relations internationales et de la sécurité collective, et au sein de laquelle nous voulons pleinement assumer nos responsabilités de membre permanent du Conseil de sécurité ; c'est le cas au sein de l'Union européenne, qui a tant mobilisé notre énergie ces derniers mois, avec la conclusion du traité de Lisbonne et notre présidence au semestre dernier ; c'est le cas dans d'autres organisations, et parmi elles, dans le domaine de la défense, l'Alliance atlantique, dont nous sommes membre depuis soixante ans et à travers laquelle nous réalisons, depuis quinze ans, une large part de nos engagements militaires en faveur du rétablissement et du maintien de la paix, sous mandat des Nations unies.
S'impliquer dans les organisations internationales n'est qu'un moyen, au service d'une politique destinée à garantir nos intérêts nationaux et à défendre les valeurs essentielles auxquelles notre pays est attaché.
C'est bien cette démarche qu'a suivie le Président de la République à l'égard de l'Otan. La décision prise par le chef de l'État, dans le cadre de responsabilités qui relèvent naturellement de l'exécutif, s'appuie sur l'analyse stratégique approfondie menée dans le cadre du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, dont l'un des volets majeurs portait sur l'articulation de nos engagements dans la défense européenne et dans l'Alliance atlantique. C'est un point sur lequel notre commission a été d'autant plus attentive au cours de ces derniers mois que, dans un rapport d'information cosigné par des sénateurs de la majorité et de l'opposition et publié dès juillet 2007, elle avait dressé un état des lieux d'une Otan profondément transformée depuis la fin de la guerre froide et appelé à définir plus clairement notre position, dès lors que nous étions, dans les faits, l'un des principaux acteurs de l'organisation.
M. Hervé Morin, ministre de la défense. - Très bon rapport.
M. Josselin de Rohan, président de la commission. - La décision du Président de la République est cohérente car elle s'insère dans la stratégie d'ensemble définie par le Livre blanc pour mettre en adéquation nos moyens, notre cadre d'action au plan international et les nécessités de notre défense et de notre sécurité.
Elle est cohérente car elle considère l'intérêt de notre pleine participation aux organes de direction et aux postes de responsabilité de l'Otan à l'aune d'une réalité incontestable, notre contribution constante à toutes les opérations de l'Alliance depuis quinze ans.
A cet égard, le Premier ministre a évoqué la semaine dernière un « ajustement » de notre position. De fait, s'il faut rechercher un bouleversement, ce n'est pas dans la politique française d'aujourd'hui qu'on le trouverait mais dans les mutations intervenues au sein de l'Otan avec la fin de la guerre froide. Il n'y a plus grand-chose de commun entre une organisation structurée pour faire face à une menace unique, identifiée et permanente, et celle qui s'est investie, depuis le conflit des Balkans, dans les missions de gestion de crise.
Nos gouvernements successifs ont pleinement accompagné ce mouvement. C'est d'ailleurs sous une autre majorité qu'ont été prises les décisions majeures d'intervenir au Kosovo et en Afghanistan... (On applaudit sur les bancs UMP)
M. Jean-Marc Juilhard. - Très bien !
M. Josselin de Rohan, président de la commission. - ...qui ont déterminé nos deux engagements principaux dans les opérations de l'Otan.
Se posait, dès lors, légitimement la question d'un renforcement de notre présence dans les structures internes de l'Alliance.
L'indépendance de notre politique étrangère et de notre politique de défense ne peut aucunement s'en trouver affectée. Nos obligations vis-à-vis du traité de l'Atlantique Nord ne sont en rien modifiées. Elles demeurent ce qu'elles n'ont cessé d'être depuis soixante ans : elles n'impliquent aucune automaticité et laissent à la France, comme aux autres pays membres, sa totale liberté d'appréciation dans une organisation qui fonctionne sur le fondement du consensus à tous les stades de la décision.
M. Jean-Louis Carrère. - Voire.
M. Josselin de Rohan, président de la commission. - Au demeurant, l'action menée par la France sur la scène internationale et la capacité d'initiative dont elle fait preuve sur tous les grands dossiers ne laissent aucun doute sur la volonté du Président de la République et du Gouvernement de continuer à faire entendre la voix de notre pays, à faire valoir nos positions et à jouer notre rôle propre, à l'opposé de toute idée d'alignement ou d'effacement dans un « bloc ». (M. Jean-Louis Carrère se gausse)
L'ambition européenne doit bien entendu demeurer l'un des axes majeurs de notre politique extérieure et de notre politique de défense.
La politique européenne de sécurité et de défense a pris corps. Elle est plus que jamais nécessaire dans le contexte de crise économique et financière, qui doit nous inciter à regrouper nos efforts et mutualiser nos moyens. Notons cependant que les plus hautes autorités américaines, M. Bush à Bucarest et M. Baiden à Munich, se sont prononcées en sa faveur.
Sans doute ne s'est-elle pas développée aussi rapidement que nous pouvions le souhaiter. Il reste beaucoup à faire pour rapprocher les politiques d'équipement, consolider l'industrie européenne de défense et renforcer la capacité de l'Union européenne à mettre sur pied et diriger des opérations.
Nous avons entendu ces derniers temps beaucoup de professions de foi sur la défense européenne, y compris de la part de ceux qui avaient activement oeuvré au rejet du traité constitutionnel en 2005 avant de s'opposer au traité de Lisbonne. (Applaudissements sur les bancs UMP)
M. Hervé Morin, ministre. - Tout à fait !
M. Didier Boulaud. - Y compris dans votre camp.
M. Josselin de Rohan, président de la commission. - Mais l'Europe de la défense ne se décrète pas depuis Paris, pas plus qu'elle ne peut se proclamer du haut d'une tribune. Elle se construit avec l'ensemble de nos partenaires.
La détermination de la France à développer la politique étrangère de sécurité et de défense reste toujours aussi forte. Le Président de la République a redit le 11 mars que c'était là une priorité absolue. Les progrès engrangés durant la présidence française constituent un jalon important sur la voie de nouvelles avancées. Mais si nous prétendons édifier l'Europe de la défense indépendamment de l'Otan ou a fortiori contre elle, nous irons inévitablement à l'échec. Vingt de nos partenaires européens, et parmi eux les plus importants, sont également membres de l'Otan, sans restriction aucune quant à leur degré de participation aux structures de décision et de commandement.
M, Didier Boulaud. - Ils ne mettront pas un euro dans l'Europe de la défense !
M.Josselin de Rohan, président de la commission. - C'est pourquoi il me paraît tout à fait cohérent d'insister, comme le fait le Président de la République, sur la complémentarité entre l'Europe de la défense et l'Otan. Ce n'est pas en déclarant la pleine participation à l'Otan incompatible avec l'Europe de la défense que nous fédèrerons nos partenaires sur le projet européen, alors même qu'un nombre croissant d'entre eux manifestent un intérêt pour sa mise en oeuvre. Nous avons une chance sur deux de réaliser notre politique de défense et de sécurité européenne dans l'Otan. Nous n'en avons aucune en dehors de l'Otan. Les pays d'Europe de l'Est, surtout, ne sont pas prêts à troquer la sécurité que leur garantit l'appartenance à l'Alliance contre une structure encore hypothétique. (Applaudissements à droite ; protestations à gauche)
M. Hervé Morin, ministre. - Et pas seulement les pays d'Europe de l'Est.
M. Bernard Piras. - Affirmation n'est pas démonstration.
M. Josselin de Rohan, président de la commission. - La modification de notre position dans les structures de l'Otan ne peut être considérée comme un objectif en soi. Nous tirons les conclusions de notre implication croissante dans les opérations et nous souhaitons avoir la place qui nous revient dans les différents circuits de décision mais surtout prendre toute notre part à la définition du rôle, des missions et du fonctionnement d'une organisation qui doit se réformer et s'adapter à un monde en changement très rapide.
Les questions sont nombreuses : la stratégie en Afghanistan, les relations avec la Russie, la révision du concept stratégique, le rééquilibrage des responsabilités entre Européens et Américains, la rationalisation des structures. C'est pourquoi je me félicite que la France revendique une implication plus forte dans la transformation de l'Alliance et souhaite que les moyens lui en soient donnés dans le cadre de la nouvelle répartition des grands commandements.
Notre capacité à peser sur le cours des affaires internationales tiendra moins à notre statut dans une organisation, à notre présence ou à notre absence de tels comités ou états-majors qu'à notre propre volonté de suivre une stratégie cohérente et de nous donner les moyens de la mettre en oeuvre.
M. Hervé Morin, ministre. - Tout à fait.
M. Josselin de Rohan, président de la commission. - Il n'y a dans le traité de l'Atlantique nord aucune disposition qui nous contraigne d'aligner notre politique sur celle de l'un de nos alliés, fut-il le plus puissant d'entre eux, si tel n'est pas notre intérêt ; aucune disposition qui nous oblige à conduire une opération que nous désapprouverions, aucune consigne qui puisse forcer sur le terrain une unité française à exécuter des ordres contraires à la volonté de nos états-majors. (M. Hubert Haenel, président de la commission des affaires européennes, approuve)
Le rôle joué par la France dans le conflit russo-géorgien, l'opposition aux modalités de l'élargissement manifestée au sommet de Bucarest témoignent de la volonté de notre pays d'agir de manière indépendante et conforme à notre vision du monde. (M. Didier Boulaud manifeste son scepticisme)
La véritable garantie de notre indépendance et de notre influence dans le domaine international réside dans notre capacité à redresser notre économie, maintenir l'unité de notre pays, marquer notre volonté de faire face aux difficultés que nous rencontrons et triompher des obstacles sur notre route.
C'est de nous seuls, et de notre détermination, que dépendra notre sécurité et notre défense. Ni l'Otan, ni l'Europe ne pourront rien pour nous si nous nous comportons en nation démissionnaire. Ni l'Europe, ni l'Otan ne pourront jamais nous forcer à nous plier à des politiques auxquelles le peuple libre que nous sommes ne consentirait pas. (Applaudissements sur les bancs UMP et sur quelques bancs au centre)
M. Hubert Haenel, président de la commission des affaires européennes. - La question de la place de la France dans l'Otan est indissociable de celle du rôle que joue notre pays dans un monde qui a fondamentalement changé depuis les années 1960. Et le rôle de la France, aujourd'hui, est avant tout européen. Notre horizon ne se réduit pas à l'Europe, mais c'est bien là que se situe le premier cercle de notre identité et de notre action. Désormais, la France se définit avant tout comme un État membre de l'Union européenne.
Or, nous construisons l'Europe avec nos 26 partenaires et, sur les questions de défense, beaucoup ont une vision différente de la nôtre.
Une participation plus complète aux structures de l'Otan ne va pas bouleverser la donne de notre action extérieure et de notre défense mais parachever un rapprochement engagé depuis le début des années 1990, et qui a fait de la France le quatrième contributeur de l'Alliance.
En revanche, elle constitue un symbole politique important, qui va modifier l'image de la France. Notre pays sera sans doute perçu comme plus proche des États-Unis, et il est possible que dans certaines parties du monde, son image s'en trouve quelque peu altérée, au moins dans un premier temps.
Mais si l'on admet que la construction européenne est bien au centre de notre action extérieure, c'est avant tout sous cet angle européen qu'il faut apprécier ce symbole.
Lorsque la France parle de défense européenne, elle est toujours soupçonnée de jouer l'Europe contre l'Otan. Tant que ce soupçon n'aura pas disparu, nous ne parviendrons pas à convaincre nos partenaires d'aller vraiment vers une identité européenne de défense. Il faut donc surmonter ce blocage si nous voulons donner toutes ses chances à l'Europe de la défense.
Notre investissement accru dans l'Otan ne va pas, comme par miracle, désarmer toutes les préventions et lever tous les obstacles. Mais nous faisons sauter un verrou.
Nous avons de sérieux arguments pour justifier la construction d'un pilier européen dans l'Alliance. Personne ne peut dire que l'Union n'a pas d'intérêts propres et de responsabilités spécifiques ni que les États-Unis seront toujours là pour assurer la stabilité au voisinage de l'Europe. Il y aura très vraisemblablement des situations où ils jugeront que leurs intérêts ne sont pas suffisamment en jeu pour intervenir quand les Européens jugeront nécessaire d'agir : s'ils n'ont pas les moyens d'une action autonome cohérente, ils n'agiront pas ou ils agiront mal.
L'Europe a besoin d'une capacité d'action autonome. Elle ne pourra la construire que sous une forme compatible avec l'Alliance. Cessons de tourner autour du pot. L'Europe de la défense ne peut se construire que sur la base d'un accord franco-anglais.
Nous avons vu quelle impulsion a été donnée par l'accord de Saint-Malo il y a dix ans : les progrès ont été très rapides ! Nous ne pourrons aller plus loin sans lever l'hypothèque de nos rapports avec l'Otan ; ce retour ne garantira pas le progrès de l'Europe de la défense, mais il le rendra possible. Et le jeu en vaut la chandelle ! Le « coût de la non-Europe » est particulièrement élevé en matière de défense. L'effort des pays européens atteint en moyenne 1,7 % du PIB de chaque pays, contre 4,5 % pour les États-Unis. Le total des dépenses des États membres représente à peu près 40 % des dépenses américaines. Nos 200 milliards d'euros de dépenses ne sont pourtant pas négligeables, surtout au regard des objectifs que peut raisonnablement se fixer l'Union européenne : non pas construire une super puissance mais avoir une capacité d'action autonome pour remplir les missions inscrites dans les traités.
Les effectifs cumulés de nos armées dépassent en tout cas ceux de l'armée américaine : 2 290 000 contre 2 075 000. Les moyens humains sont là, reste à apprendre à agir ensemble. Ce qui fait la différence, c'est l'investissement en équipement et en recherche développement : il est cinq fois supérieur aux États-Unis et les Européens ont été jusqu'à présent incapables d'organiser la mutualisation.
Nous avons besoin d'une Europe de la défense ; elle ne pourra être que compatible avec l'Alliance et complémentaire avec elle. Il n'est donc pas dans l'intérêt de l'Europe que la France maintienne une ambiguïté sur sa place dans l'Otan. C'est un frein plus qu'un atout pour l'Europe de la défense.
Edgar Faure disait : « Il n'y a pas de politique sans risques, il y a des politiques sans chances ». En modifiant notre position au sein de l'Otan, nous donnons de meilleures chances à l'Europe de la défense. Tel est le critère essentiel qui doit nous guider. (Applaudissements à droite)
M. Didier Boulaud. - On peut toujours rêver...
M. Louis Mermaz. - (Applaudissements sur les bancs socialistes) Écoutant M. de Rohan, je songeais à ce poème de Baudelaire, Réversibilité : « Anges plein de gaieté, connaissez-vous l'angoisse ? Anges plein de santé, connaissez-vous les fièvres ? » Les arguments de notre rapporteur peuvent se renverser, ce qui fait leur fragilité.
Le Sénat débat du retour de la France dans le commandement intégré de l'Otan, plus d'une semaine après l'Assemblée nationale et alors que le Président de la République a déjà officiellement notifié sa décision au secrétaire général de l'Organisation.
M. Didier Boulaud. - Cela est honteux !
M. Louis Mermaz. - Au moment où l'attention des Français est tournée vers l'aggravation de la crise, l'approfondissement des inégalités derrière le bouclier fiscal symbole de votre politique, la montée de la protestation sociale, les chiffres du chômage que nous attendons avec angoisse, notre débat se déroule dans une atmosphère feutrée, aseptisée, puisqu'il n'y aura pas de vote, loin du regard des médias. Le Gouvernement, en engageant sa responsabilité devant l'Assemblée nationale sur l'ensemble de sa politique étrangère, a interdit à sa majorité de se prononcer sur le retour de la France dans le commandement intégré de l'Otan. Il s'agissait d'éviter toute contrariété au Président de la République. Il savait que les députés de la majorité ne prendraient pas le risque de s'opposer au Président de la République et chef de l'UMP, qui tient la clé des prochaines investitures législatives et qui supervise le découpage en cours des circonscriptions électorales. (Applaudissements sur les bancs socialistes ; protestations à droite) Ainsi, en procédant à l'étouffée, vous avez brisé le consensus qui existait depuis des décennies et que les présidents successifs avaient respecté. Le débat à l'Assemblée nationale, malgré la mobilisation de l'opposition, est resté académique : les jeux étaient faits. Certains se sont cependant souvenus de l'affrontement de haute tenue au printemps 1966 entre le Premier ministre, Georges Pompidou, et François Mitterrand. Le général de Gaulle avait décidé seul et mis le Parlement devant le fait accompli. La méthode est certes condamnable mais il s'était efforcé auparavant, pendant huit ans, d'infléchir les positions américaines, avant de tirer les conséquences du silence obstiné de notre allié. La France n'était du reste pas sortie de l'Alliance atlantique, qui assurait à l'Europe de l'Ouest une protection indispensable au temps de la guerre froide. François Mitterrand n'avait pas manqué de faire observer combien il aurait été illusoire de croire qu'on pût rompre avec une telle alliance.
La France, depuis lors, avait poursuivi sa route, solidaire de ses alliés, mais se refusant à tout alignement. C'est avec cette tradition que le président actuel a pris le risque de rompre. Il l'a fait dans une annonce à Bucarest en avril 2008, à la fin de la présidence Bush, sans se poser la question du contexte international, alors que la croisade contre le mal au Moyen-Orient avait abouti au désastre irakien et que l'annonce de l'installation d'un bouclier antimissiles aux frontières de la Russie faisait peser des menaces sur la paix.
Le président français a développé dernièrement ses intentions au cours d'un colloque organisé à l'École militaire par la Fondation pour la recherche stratégique, devant un aréopage hétéroclite de militaires et de personnalités diverses, transformé soudain en assemblée des corporations. Or, personne ne nous demandait rien, les États-Unis pas plus que les autres ! Les justifications invoquées sont diverses : davantage d'influence sur les États-Unis, un bon effet sur nos partenaires européens... Le président Chirac, lui, avait renoncé à une démarche semblable faute d'avoir obtenu des Américains le minimum d'assurances, telles que l'accession de notre pays au commandement des forces militaires en Méditerranée, ce qui aurait été autrement substantiel que les commandements non opérationnels de Norfolk ou de Lisbonne... L'accord de Saint-Malo, cité par notre collègue, a été conclu, précisément, au lendemain de ce refus français d'intégrer plus complètement l'Otan.
M. Hervé Morin, ministre. - Rien à voir !
M. Louis Mermaz. - Preuve que savoir dire non peut avoir des effets bénéfiques sur l'évolution de la défense européenne... J'ai été stupéfait et indigné d'entendre le Premier ministre parler à l'Assemblée nationale de la faiblesse de la proposition de M. Chirac, qui souhaitait que la France prenne le commandement opérationnel de Naples, « ce qui aurait conduit un officier français à commander des forces américaines ».
M. Hervé Morin, ministre. - Eh oui !
M. Louis Mermaz. - Mais aujourd'hui, qu'a obtenu la France ?
Mme Dominique Voynet. - Rien !
M. Louis Mermaz. - Le Président de la République se jette dans une aventure dont il n'a exploré ni les tenants ni les aboutissants.
Mme Catherine Tasca. - C'est son habitude !
M. Louis Mermaz. - Sans poser de préalables ni recevoir de garanties, il décide seul de signer un chèque en blanc que personne ne lui demandait, acceptant l'alignement et la banalisation de la politique française.
M. Didier Boulaud. - Il n'y connaît rien...
M. Louis Mermaz. - La présidence française de l'Union européenne, que certains ont célébrée avec enflure, n'a pas fait avancer d'un iota le dossier de la défense européenne (murmures à droite) même si deux ou trois plans alambiqués ont été évoqués. Rien sur l'état-major européen, rien sur les prémices d'une stratégie commune, rien sur l'agence européenne de défense...
M. Hervé Morin, ministre. - Faux !
M. Louis Mermaz. - Rien sur la création d'une force d'intervention rapide de 50 000 hommes. L'ensemble des pays alliés se retrouvera dans des structures totalement intégrées : comment croire que nos partenaires européens soutiendront parallèlement la construction d'une défense européenne à laquelle les États-Unis ont toujours opposé une sorte de veto ? Le nouveau président américain semble envisager un changement de politique en Afghanistan et, à terme, un retrait. C'est la thèse que nous avons toujours défendue.
M. Didier Boulaud. - On nous traitait de lâches !
M. Louis Mermaz. - En attendant cette échéance, vous apprêtez-vous à remettre aux États-Unis le commandement de la totalité des troupes françaises sur place ?
M. Jean-Louis Carrère. - Vous vous êtes trompés, encore une fois.
M. Louis Mermaz. - Quelle assurance avons-nous désormais que le Président français et le Gouvernement maintiendront en état la force de dissuasion nucléaire française, indispensable à notre sécurité ? Je m'interroge, même s'il n'est pas envisagé pour le moment que nous siégions dans le groupe des plans nucléaires. Autre préoccupation, l'Otan dominée par les États-Unis supervise le commerce des armes : quelle place conserveront nos propres industries d'armement ? Et devons-nous nous aligner sur une politique américaine à l'élaboration de laquelle nous ne sommes bien sûr pas associés ? Nous partagerions, selon vous, une même culture militaire : sommes-nous prêts à commencer tout conflit armé par des bombardements massifs et aveugles ? Cela n'est pas dans la tradition des militaires français ! (Applaudissements sur les bancs socialistes) Une nouvelle ère semble débuter avec la présidence Obama : mais qu'en savons-nous encore ? Vous allez conforter le rôle prépondérant de l'administration américaine dans l'Alliance, alors que les États-Unis se réservent d'intervenir quand et où bon leur semble, en dehors des structures de l'Alliance atlantique et sans en référer au conseil de sécurité de l'ONU.
L'Otan pour quoi faire ? Pour quelle attitude vis-à-vis du Proche-Orient, vis-à-vis de la Russie et des anciennes républiques soviétiques, voire vis-à-vis de l'Asie, puisqu'on parle de l'adhésion de l'Australie et de la Corée du Sud ? Est-ce l'alliance de toutes les puissances occidentales face au reste du monde ? S'agit-il de l'émergence d'un monde bipolaire d'un genre nouveau ? L'Occident face à tous les autres ? Tenez-vous pour négligeable le rôle particulier de la France dans l'Union européenne et dans le monde, héritage d'une longue histoire ? C'est cet héritage et cette tradition qu'il convient de préserver.
Les États-Unis d'Amérique, avec lesquels nous partageons tant de valeurs et envers lesquels nous avons été deux fois redevables de notre liberté, le savent. Encore faut-il que nous croyions nous-mêmes à cet héritage et que nous le défendions...
Enfin, quelle est votre vision du rôle de la France dans le monde ? En abandonnant la France à une politique de renoncement, d'abdication et d'abaissement, vous tournez le dos à notre tradition. (Marques d'approbation sur les bancs socialistes) Oui à l'alliance avec les États-Unis, non à l'alignement. Conservons la confiance des peuples qui refusent la bipolarisation en poursuivant la construction d'une Europe solidaire, mais jamais vassale.
Un dernier mot, le Gouvernement n'a de cesse de saluer le Sénat en le désignant sous le terme pompeux de « Haute assemblée ». (M. Didier Boulaud le confirme) Alors pourquoi ce débat décalé et sans vote ? Pourquoi ne pas avoir la décence d'en attendre la fin pour informer le secrétaire général de l'Otan de la décision de la France ? Serait-ce que le Président de la République ne dispose pas au Sénat des moyens de contraintes qu'il exerce sur les députés de la majorité et que des voix dissonantes pourraient se manifester au sein de cette majorité sénatoriale plus courte qu'à l'Assemblée nationale ? (M. Henri de Raincourt maugrée) L'article 49 de la Constitution, ou encore son nouvel article 50-1, permettait au Gouvernement de demander l'approbation du Sénat. Il aurait été intéressant de connaître l'opinion d'une assemblée qui n'est pas menée à la hussarde ! Bien naïfs ceux qui ont cru au rééquilibrage des pouvoirs avec la révision constitutionnelle...
Monsieur le Président du Sénat, de la « Haute assemblée » devrais-je dire (M. Henri de Raincourt s'exclame), n'êtes-vous pas sur le point de ressembler à ces gouverneurs de provinces qui n'avaient, pour paraphraser Saint-Simon, conservé pour tout pouvoir qu'un air de trompettes et de violons ? (Applaudissements chaleureux à gauche ; marques d'ironie à droite)
M. René-Pierre Signé. - Quel beau discours ! On voit que M. Mermaz est agrégé d'histoire !
M. Jean-Pierre Fourcade. - Ridicule !
M. Bernard Piras. - Au moins, il n'est pas un traître !
M. Yves Pozzo di Borgo. - Le retour de la France au sein du commandement intégré de l'Otan, décision importante au plan symbolique, marque l'aboutissement d'un processus de rapprochement débuté dans les années 1990...
M. Henri de Raincourt. - ...sous Mitterrand !
M. Yves Pozzo di Borgo. - Depuis la fin de la guerre froide, la France s'est progressivement rapprochée des structures de l'Otan, dont elle n'a jamais cessé d'être membre. Quatrième contributeur financier de l'Alliance, elle a participé à toutes ses opérations, en ex-Yougoslavie comme en Afghanistan. Bref, le débat ne porte que sur le renforcement de notre présence au sein des organes de commandement. Pour schématiser, nous siégeons aujourd'hui dans 36 comités sur 38, il est question d'être présent demain dans le trente-septième... Cette décision constitue donc moins une rupture que l'aboutissement d'un processus d'ailleurs poursuivi par tous les gouvernements...
M. Daniel Reiner. - Faux !
M. Yves Pozzo di Borgo. - ...qui permettra à la France de participer pleinement à la rénovation de l'Alliance. Elle rejoint la doctrine de défense de la famille centriste, qui n'a jamais varié depuis le discours de Jean Lecanuet, à Caen, du 12 mars 1966.
M. Jean-Louis Carrère. - La doctrine de la famille centriste ne varie pas ? C'est nouveau... (Sourires à gauche)
M. Yves Pozzo di Borgo. - Pour nous, « la défense de l'Europe ne peut qu'être bâtie sur deux piliers : le pilier atlantique et le pilier européen. » Il faut croire que certains, qui n'ont pas le monopole du centre, feraient mieux de se reporter à la doctrine... J'adresse ce message, vous l'aurez compris, à M. François Bayrou !
M. Jean-Louis Carrère. - Il vous obsède !
M. Yves Pozzo di Borgo. - Comment adapter l'Otan à un monde qui a radicalement changé avec la fin de la guerre froide ? Quelles sont ses frontières ? Faut-il inclure l'Ukraine, la Géorgie ou encore les pays d'Asie centrale, voire l'Australie ou le Japon ? (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s'étonne) Quel est son rôle ? Comment éviter qu'elle soit perçue comme une alliance de l'Occident contre la Russie, le monde musulman ou, demain, la Chine ? (M. René-Pierre Signé ironise) Enfin, se pose la question de la réforme de l'organisation et de sa bureaucratie pléthorique.
Plus important pour nous, centristes, la réintégration de la France dans le commandement intégré de l'Otan renforcera la politique européenne de sécurité et de défense. (Marques de scepticisme sur les bancs socialistes) J'en veux pour preuve les réactions très positives de nos partenaires européens, notamment Mme Merkel.
Mme Michelle Demessine. - Ils n'ont rien compris !
M. Yves Pozzo di Borgo. - Faut-il rappeler que 21 des 27 États de l'Union sont membres de l'Alliance et que, pour nos partenaires d'Europe centrale et orientale, la sécurité passe d'abord par l'Alliance ? L'Europe de la défense, depuis son lancement lors du sommet franco-britannique de Saint-Malo, a beaucoup progressé. J'en veux pour preuve la création d'un état-major européen, d'un comité politique et de sécurité, le lancement de 23 missions civiles et militaires -dont l'opération Eufor, la première sans l'aide de l'Otan-, la mutualisation des capacités de défense et, enfin, la création d'une agence européenne dont l'organisation conjointe de coopération en matière d'armement sera la structure opérationnelle, conformément à ce que j'avais suggéré dans un rapport de l'Union de l'Europe occidentale il y a deux ans.
M. Hervé Morin, ministre de la défense. - Bravo !
M. Yves Pozzo di Borgo. - Grâce à votre action, monsieur le ministre, la présidence française de l'Union a également été l'occasion de progresser avec la mise à jour de la stratégie européenne de sécurité, l'envoi d'une mission d'observation en Géorgie et le lancement de la première opération navale de lutte contre la piraterie au large des côtes somaliennes qui donne des résultats très probants.
M. Jean-Louis Carrère. - Vraiment ?
M. Yves Pozzo di Borgo. - Il y a dix fois moins d'attaques de pirates !
M. René-Pierre Signé. - Autrement dit, il en reste !
M. Yves Pozzo di Borgo. - Regardez les chiffres, ils sont probants !
M. Hervé Morin, ministre. - Très bien ! Voilà un homme qui connaît ses dossiers !
M. Yves Pozzo di Borgo. - L'idée d'un centre européen de planification et de conduite des opérations, indispensable pour mener une politique européenne autonome, s'imposera petit à petit, y compris chez nos partenaires britanniques qui y sont le plus opposés. Il suffit de voir l'évolution de leur position au sein de l'UEO sur la surveillance de l'espace. La nouvelle administration américaine, plus orientée vers le Pacifique que vers l'Atlantique et surtout absorbée par la crise financière, ne devrait plus être un obstacle. Enfin, le traité de Lisbonne autorisera des coopérations renforcées et des coopérations structurées permanentes, manière dont nous avons réussi Schengen et la monnaie unique, sans compter que les restrictions budgétaires induites par la crise financière favoriseront la mutualisation des moyens.
En réalité, notre seule crainte est que cette décision soit mal comprise par certains partenaires extérieurs, notamment la Russie.
M. Jean-Louis Carrère. - Ah !
M. Yves Pozzo di Borgo. - Aussi faut-il lui adresser des signes forts...
M. Hervé Morin, ministre. - Très bien !
M. Yves Pozzo di Borgo. - Qu'il s'agisse du projet d'implantation du système américain de défense anti-missiles en Pologne ou en République tchèque ou de l'idée d'élargir l'Otan à l'Ukraine et à la Géorgie, les Européens doivent avoir leur mot à dire. Pourquoi ne pas saisir la proposition du président russe de conclure un nouveau pacte de sécurité européen ? De même, tirons parti de la fin du gel des relations entre la Russie et l'Otan depuis l'affaire de Géorgie pour entamer un nouveau dialogue. La question sera examinée lors du sommet des 3 et 4 avril intitulé « Construire un partenariat stratégique entre l'Union européenne et la Russie ». La France, la crise géorgienne l'a montré, a un rôle à jouer dans le renforcement du partenariat stratégique avec la Russie. Pourquoi ne pas supprimer les visas ou, comme l'a proposé le Président de la République à Évian en octobre dernier, créer un espace économique commun entre l'Union européenne et la Russie ? Le monde bouge : l'Amérique se tourne vers le Pacifique, l'Europe se déplace vers l'Est. Nous parlons de Bruxelles et de Strasbourg quand il faut penser Berlin et Moscou ! Regardons la carte du monde : au centre se trouve l'énorme continent euro-asiatique...
M. Jean-Louis Carrère. - Vous regardez la mauvaise carte, l'ancienne ! (Sourires)
M. Yves Pozzo di Borgo. - Bientôt, l'Europe n'apparaîtra plus que comme son appendice.
L'axe européen se déplace vers l'est, ce qui oblige la France à avoir une politique plus volontariste dans cette direction : notre pays devra entretenir des relations soutenues avec les pays de l'Asie centrale, comme le Kazakhstan, le Tadjikistan, le Kirghizstan, l'Ouzbékistan. Ce sont des États en devenir dans les domaines économique et stratégique. Ils sont membres du Conseil de l'Europe dont nous allons fêter le soixantième anniversaire en octobre. Souhaitons que le Président de la République et ses ministres assistent à cette cérémonie.
M. René-Pierre Signé. - Nous avons des ministres d'ouverture !
M. Yves Pozzo di Borgo. - Je regrette la rupture entre Areva et Siemens et le rapprochement des Allemands avec les Russes sans que nous y soyons associés.
M. le président. - Il est temps de conclure.
M. Yves Pozzo di Borgo. - Comme la majorité du groupe de l'Union centriste, j'approuve la réintégration pleine et entière de la France au sein de l'Alliance atlantique. Ce monde est interdépendant et les questions de défense, d'énergie et de climat nous concernent tous. Il faut que, de Vancouver à Vladivostok, nous relevions ensemble les défis du futur. (Applaudissements sur divers bancs au centre et à droite)
Mme Michelle Demessine. - Cette déclaration de politique étrangère ne leurre personne car tout le monde a compris que le seul sujet en était la pleine réintégration de notre pays dans le commandement militaire de l'Otan. Ce débat a donc le goût amer du réchauffé.
Nous participons aujourd'hui à une médiocre session de rattrapage qui est également révélatrice du mépris dans lequel le Gouvernement tient le Sénat, l'opposition et quelques membres de sa majorité.
M. Jean-Louis Carrère. - Toute sa majorité !
Mme Michelle Demessine. - Nous assistons depuis quinze jours à la démonstration que la révision constitutionnelle de juillet dernier, indûment présentée par le Président de la République et son Premier ministre comme devant donner plus de pouvoirs au Parlement, n'était en fait qu'un faux-semblant qui masquait mal une pratique présidentielle omniprésente et omnipotente. (M. Jean-Louis Carrère applaudit)
M. Didier Boulaud. - Très bien !
Mme Michelle Demessine. - Depuis plus d'un an, Nicolas Sarkozy annonce urbi et orbi, de préférence à l'étranger, son intention de réintégrer notre pays dans le commandement militaire de l'Alliance atlantique : en 2007, devant le Congrès des États-Unis, puis en 2008 lors du sommet de l'Otan à Bucarest. Il en a fait de même lundi dernier en concluant un colloque à l'École militaire, et jeudi encore dans une notification officielle au secrétaire général de cette organisation.
Mais face aux interrogations, aux réticences et à l'opposition grandissante qu'a pu susciter cette décision, le Président et son Gouvernement ont refusé un véritable débat et préféré la contrainte. En choisissant d'engager la responsabilité du Gouvernement devant l'Assemblée nationale, le Premier ministre a privé la représentation nationale d'un vote sur cette question.
M. Didier Boulaud. - Eh oui !
Mme Michelle Demessine. - Ce procédé, comme le refus de faire voter aujourd'hui le Sénat, est déloyal. Vous redoutez sans doute des voix discordantes dans votre majorité et vous les obligez à rentrer dans le rang. Vous craignez un débat démocratique sur une décision aussi importante et lourde de conséquences, puisqu'elle touche à l'un des fondements de notre politique étrangère et de défense. Nous allons donc débattre, sans enjeu et dans l'indifférence générale -la tribune réservée à la presse est d'ailleurs vide- d'une décision déjà prise par le Président de la République et sur laquelle nous ne voterons pas !
M. Didier Boulaud. - Vive la revalorisation du Sénat !
Mme Michelle Demessine. - Si le Président de la République et vous-mêmes, chers collègues de la majorité qui le soutenez parfois tant bien que mal, adoptez cette attitude craintive, c'est bien parce que cette décision est difficile à justifier.
Bien que vous vous en défendiez, nos concitoyens estiment que le Président de la République s'en prend à l'un des symboles forts de l'indépendance nationale. Le contexte a certes changé, mais les motivations du général de Gaulle en 1966 restent d'actualité. Il estimait, à juste titre, que le commandement militaire intégré était trop soumis aux seuls intérêts stratégiques américains. Or les choses n'ont pas tellement changé : il serait naïf de croire que le nouveau concept stratégique de l'Alliance, actuellement en cours d'élaboration pour prendre en compte les nouveaux risques de notre époque, ne réponde pas aux visées des États-Unis. Le président Obama, tout sympathique qu'il soit, défend avant tout les intérêts de son pays.
M. Hervé Morin, ministre. - C'est normal !
M. Josselin de Rohan, président de la commission. - Il a été élu pour cela !
Mme Michelle Demessine. - L'objectif est de transformer cette organisation en une alliance globale et d'élargir progressivement son périmètre et sa zone d'intervention afin de se substituer à l'ONU lorsque celle-ci est défaillante. Constituée autour d'un bloc occidental dans lequel les États-Unis conserveraient leur influence prépondérante, elle apparaîtra toujours aux yeux de nombreux pays et peuples comme leur bras armé au service de leur interventionnisme hégémonique. Le mode de décision n'ayant pas changé au sein de l'organisation et le nouveau concept stratégique n'étant pas encore défini, la décision de réintégrer le commandement militaire de l'Alliance n'est donc pas justifiée. Certes, depuis les années 1990, nous avons progressivement réintégré la quasi-totalité des comités militaires mais cela n'a pas permis de renforcer notre influence au sein de l'Alliance. Ne prétendez donc pas que si nous obtenions le commandement de Norfolk chargé de l'évolution de la doctrine de l'Otan et le commandement opérationnel de Lisbonne chargé de la zone atlantique, de l'Afrique et de la force de réaction rapide, nos généraux pourraient ne pas se conformer aux concepts stratégiques définis à Washington.
M. Didier Boulaud. - Eh oui !
Mme Michelle Demessine. - La décision du Président de la République n'est donc pas anodine, comme il tente de nous le faire croire. Notre influence au sein de l'organisation ne sera pas plus importante, mais nous perdrons à coup sûr dans le monde notre aura d'indépendance et d'autonomie...
M. Didier Boulaud. - C'est sûr !
Mme Michelle Demessine. - ...qui nous a permis d'apaiser des tensions en Afrique ou dans l'Est européen, de garder le contact avec l'Iran ou de dialoguer avec toutes les parties au Proche-Orient.
M. Didier Boulaud. - Elle a raison !
Mme Michelle Demessine. - En s'attaquant à l'un des symboles de l'indépendance nationale, cette décision banalisera la voix de la France dans le monde et brisera le consensus national qui existait depuis quarante ans sur l'autonomie de notre défense.
M. Didier Boulaud. - Exact !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Absolument !
Mme Michelle Demessine. - Le Président de la République nous dit aussi qu'il faut abandonner la spécificité de notre statut au sein de l'Otan pour faire progresser la défense européenne. Rien n'est moins vrai. D'ailleurs, les six mois de présidence française n'ont pas tenu leurs promesses : aucune avancée décisive n'a eu lieu sur la création d'un état-major permanent de planification des opérations, ou d'une agence européenne d'armement dotée d'une réelle autorité. Réintégrer toutes les structures militaires sans avoir obtenu quoi que ce soit, c'est mettre un point final à l'Europe de la défense. C'est aussi donner un signal négatif à ceux des pays européens qui se satisfont d'une défense â moindre coût sous le parapluie de l'Otan et qui ne veulent pas d'une politique autonome de sécurité en Europe.
M. Didier Boulaud. - Très bien !
Mme Michelle Demessine. - Nous souhaitons une organisation européenne de sécurité collective émancipée de l'Otan, fondée sur la prévention des crises, la résolution multilatérale et politique des conflits, le respect du droit international et des résolutions de l'ONU, c'est-à-dire tout le contraire de la décision du Président de la République et de la construction européenne prévue dans le traité de Lisbonne !
Nous espérions que notre pays prenne des initiatives pour éliminer les armes nucléaires et de destruction massive, qu'il fasse respecter le traité de non-prolifération, qu'il encourage le désarmement général, qu'il instaure un contrôle national et international sur le commerce des armes. Nous attendions un débat sur ces questions capitales mais votre soumission au Président de la République nous fait manquer cette occasion. (Vifs applaudissements à gauche)
M. André Dulait. - (Applaudissements à droite ; exclamations à gauche) Nous examinons cet après-midi la déclaration du Premier ministre sur la politique étrangère de la France...
M. René-Pierre Signé. - Voilà un discours soumis ! (Sourires à gauche)
M. André Dulait. - ...et sur la réintégration de la France au sein du commandement militaire de l'Otan. La décision du Président de la République poursuit un objectif simple : celui de la cohérence, d'où de nécessaires réajustements.
Nul ne peut nier le rôle majeur et particulier de notre pays sur la scène internationale, fruit de notre histoire et de nos valeurs. Sur la scène internationale, la France est une référence à la hauteur des idées qu'elle défend, et l'action du Président de la République en a fait la démonstration, tant au Darfour que dans la crise géorgienne de l'été dernier.
M. Didier Boulaud. - Parlons-en ! Beau succès...
M. André Dulait. - La France a joué un rôle moteur dans le règlement de ce conflit. Elle a agi tout en gardant sa spécificité et en restant fidèle à ses principes, l'amitié n'excluant jamais la franchise.
La crise de Gaza illustre aussi notre politique étrangère et marque l'aboutissement des liens de la France avec les pays du monde arabe. Si beaucoup se sont étonnés que le Président de la République reçoive M. Bachar el-Assad en juillet 2008...
M. Didier Boulaud. - N'oubliez pas Kadhafi !
M. André Dulait. - ...on ne peut nier aujourd'hui le bénéfice de nos relations diplomatiques avec la Syrie. En soutien de l'initiative égyptienne, nos relations diplomatiques ont en effet permis d'établir un dialogue indirect entre les parties en présence, de favoriser le rapprochement entre la Syrie et le Liban qui, après 30 ans, vient d'ouvrir une ambassade à Damas...
M. Aymeri de Montesquiou. - C'est vrai !
M. André Dulait. - ...et de permettre l'engagement de pourparlers afin d'instaurer un cessez-le-feu, en vue d'une paix durable dans la région en y associant et en responsabilisant les principaux pays de la zone.
Mais notre politique étrangère ne se limite pas à la gestion et aux résolutions de crises. Le Président de la République entend développer notre diplomatie bien au-delà de nos sphères d'influences habituelles.
M. Didier Boulaud. - L'Arctique et l'Antarctique !
M. André Dulait. - Ce sont des zones qui vont intéresser l'ensemble des pays développés !
Ses déplacements au Brésil, au Mexique et la restauration de nos liens avec Cuba sont la preuve d'une diplomatie ambitieuse et indépendante.
M. Hervé Morin, ministre. - Voilà un homme qui raisonne bien !
M. André Dulait. - A entendre certains, en réintégrant le commandement militaire de l'Otan, nous abandonnerions notre liberté en matière de politique étrangère...
M. Didier Boulaud. - Oui !
M. André Dulait. - ...nous braderions l'héritage du général de Gaulle...
M. Didier Boulaud. - Oui !
M. André Dulait. - ...et notre diplomatie serait irrémédiablement moins active.
M. Didier Boulaud. - Oui !
M. André Dulait. - Tout rapprochement avec la situation de 1966 méconnaît le contexte géopolitique actuel.
M. René-Pierre Signé. - Il vous fait tout avaler !
M. André Dulait. - On oublie qu'en 1966, le sol français accueillait des bases militaires américaines, avec en perspective l'installation de forces nucléaires américaines ! De plus, les institutions de l'Alliance ne nous offraient pas la même latitude qu'aujourd'hui.
M. Hervé Morin, ministre. - Tout à fait.
M. André Dulait. - L'Alliance a évolué en fonction des menaces. La guerre froide terminée, nombre d'anciens satellites de l'URSS ont intégré l'Alliance. Comme nous, ils sont confrontés à de nouvelles menaces : terrorisme, prolifération des armes de destruction massive, trafics transnationaux, piraterie internationale. Aujourd'hui, l'Alliance atlantique doit garantir la sécurité de ses membres bien au-delà de leurs frontières.
L'intégration au commandement militaire de l'Otan n'implique en rien la mutualisation de nos forces nucléaires. L'Alliance dispose uniquement des forces que les nations veulent bien lui fournir et qui sont placées provisoirement sous l'autorité du Shape.
M. Hervé Morin, ministre. - Sous contrôle national !
M. André Dulait. - L'Allemagne, par exemple, a refusé d'envoyer ses troupes en Irak !
M. René-Pierre Signé. - Elle a bien fait !
M. André Dulait. - Les pays membres ne définissent pas leur politique étrangère à l'Otan ! Dédramatisons ce retour au sein du commandement militaire, qui n'est qu'un réajustement proportionnel à l'action et à la participation de la France aux opérations de l'Otan. Troisième contributeur en moyens financiers, quatrième en moyens humains, pourquoi la France devrait-elle rester en dehors des décisions de commandement alors que l'on envoie nos hommes sur le terrain ? Un peu de cohérence ! A la tête de la présidence européenne, la France a donné une nouvelle impulsion à la diplomatie européenne, sans que son indépendance diplomatique ne soit remise en cause. De surcroît, elle y a apporté ses valeurs et sa vision.
Notre décision a été favorablement accueillie par nos partenaires, dont certains s'inquiétaient du maintien de la France hors du commandement militaire de l'Otan, imaginant que notre politique européenne répondrait à un agenda fantôme ! L'Europe de la défense et l'Alliance ne sont pas en concurrence, mais complémentaires. (Mme Michèle Demessine s'exclame) Il est temps d'adapter à cette situation notre politique de défense, nos programmes d'équipement et notre politique industrielle. C'est ce qu'a réaffirmé le Président de la République au travers du Livre blanc de la défense, démonstration d'une véritable vision de la politique étrangère de la France dans les années à venir.
M. Didier Boulaud. - La « vision » de Sarkozy, ça fait peur !
M. André Dulait. - Vous avez participé au Livre blanc, cher collègue !
L'Alliance est à un tournant de son histoire ; c'est tout l'enjeu du sommet de Kehl-Strasbourg la semaine prochaine. La révision du concept stratégique de l'Otan est une occasion historique à saisir. La France ne va pas signer un chèque en blanc !
M. Didier Boulaud. - C'est fait !
M. André Dulait. - Pour le comprendre, il nous faut prendre en compte la confluence de paramètres essentiels.
M. Roland du Luart. - Vous avez tout à fait raison.
M. André Dulait. - Les États-Unis ont, eux aussi, rendez-vous avec l'Alliance. Le président américain a annoncé un dialogue renforcé avec les alliés. Nous ne pouvons rester sourds à cet appel au multilatéralisme !
M. Didier Boulaud. - Et à la bourse !
M. André Dulait. - Nous devons être un moteur pour les 21 membres de l'Union qui sont aussi membres de l'Alliance. C'est l'occasion d'européaniser l'Otan, à un moment où les forces de l'Union prennent le relais sur certains théâtres d'opération.
Trop nombreux sont les pays membres de l'Union européenne et de l'Otan qui s'abritent derrière le parapluie américain. Il leur faut mettre en oeuvre une réelle politique nationale de défense, en développant des niches de spécialisation, comme l'a fait la Pologne au Tchad.
M. Didier Boulaud. - Pourquoi pas la Lettonie !
M. André Dulait. - Il est temps que la France participe pleinement aux orientations stratégiques de l'Alliance. Notre expertise et nos capacités d'analyse, largement reconnues, peuvent influencer les futures doctrines. La situation en Irak et en Afghanistan nous rappelle que la résolution des conflits au XXIe siècle passe par une vision globale reposant sur les principes de prévention et d'anticipation de sortie de crises. C'est cela, la vision de la France.
M. Didier Boulaud. - C'est bien parti !
M. André Dulait. - Grâce à vous !
Sur le terrain, le comportement de nos soldats en Afghanistan et au Liban -à qui je rends hommage- est la preuve d'une « French touch » reconnue. Nos relations diplomatiques avec les pays du monde arabe, d'Asie ou d'Afrique n'ont jamais été entravées, et ce n'est pas en ayant des responsabilités accrues au sein des structures militaires de l'Otan que notre pays reniera ce qu'il représente ! La France continuera d'honorer ses valeurs et ses traditions tout en préservant son indépendance stratégique. (Applaudissements à droite)
M. Henri de Raincourt. - Bravo !
M. Aymeri de Montesquiou. - Notre intégration au commandement militaire de l'Otan est actée. Ce débat a posteriori souligne un manque de considération pour le Sénat, alors que la réforme constitutionnelle devait renforcer le rôle du Parlement en matière de politique étrangère. (Applaudissements à gauche)
Plus que le débat dépassé et abstrait sur le retour à l'Otan, il s'agit de savoir dans quel système multilatéral nous intégrer, car nous ne pouvons confiner notre défense dans un splendide isolement. Le contexte militaire actuel est sans rapport avec celui de 1949. Aujourd'hui, l'ennemi est protéiforme. Il ne s'agit pas non plus d'être fidèle à la pensée du général de Gaulle, dont le charisme « envahissait le champ médiatique de son immense présence immobile ».
Notre objectif de sécurité s'inscrit naturellement dans une défense européenne. Mais les pays d'Europe de l'Est et la Grande-Bretagne sont-ils prêts à intégrer une organisation européenne distincte de l'Otan ?
M. Didier Boulaud. - Non !
M. Aymeri de Montesquiou. - Nous ne serions pas suivis par nos partenaires. Quelles que soient nos réticences, nous n'avons pas d'alternative à l'Otan. Nous y pèserons certainement plus en obtenant des commandements, mais cette intégration doit se faire dans un partenariat équilibré entre l'Europe et l'Amérique du Nord. Nous n'avons pas à être le bras armé de la diplomatie américaine, qui, malgré les nouvelles orientations du président Obama, conservera vraisemblablement ses fondamentaux et peut-être même cette doctrine des alliances à géométrie variable qui avait tant vexé leur indéfectible allié britannique lors de la guerre d'Irak. Lors de ce conflit, l'Allemagne, alliée essentielle des États-Unis, totalement intégrée dans l'Otan, a démontré son indépendance vis-à-vis de la diplomatie américaine. Cet exemple est une garantie essentielle.
Faisons aussi preuve d'imagination. Nous devons trouver une appellation autre que traité de l'Atlantique nord.
Nous devons gommer toute confusion entre Union soviétique et Russie. Aujourd'hui, la Russie est devenue le partenaire de l'Union européenne dans le domaine de l'énergie mais aussi dans la résolution des conflits. Elle est essentielle au Groupe de Minsk pour tenter de résoudre les problèmes du Caucase, au Quartet pour ceux du Proche-Orient et pour approcher une solution en Afghanistan.
Si nous intégrons le commandement militaire, mobilisons nos partenaires pour que les Américains ne provoquent pas la Russie en implantant des batteries de missiles en Pologne et en Tchéquie. Et montrons notre réticence à l'entrée de la Géorgie et de l'Ukraine dans l'Otan comme nous l'avons fait de concert avec l'Allemagne.
M. Didier Boulaud. - Ce n'est pas si clair dans le discours de Sarkozy...
M. Aymeri de Montesquiou. - La contrepartie de ces erreurs a été une crispation de la Russie, l'augmentation de son budget défense et l'ouverture des ports vénézuéliens à sa flotte.
Mettons en place une véritable coordination entre l'Otan et l'OSCE qui serve de trait d'union de Brest à l'Oural. Prévenons les moments de forte tension à venir entre l'Ukraine et la Russie lorsque le bail de Sébastopol touchera à sa fin, ayons à l'esprit que jamais la Russie n'abandonnera ce port qui est russe depuis Catherine II. (« Très bien ! » sur les bancs socialistes)
Un équilibre entre le pilier américain et le pilier européen doit nous permettre de manifester l'indépendance de la politique étrangère européenne et de retrouver l'état d'esprit du général de Gaulle, soulignant à la fois l'amitié exceptionnelle de la France avec les États-Unis et prononçant en même temps le discours de Phnom Penh, mise en garde solennelle stigmatisant une profonde différence d'analyse de la politique internationale.
Nous avons trois raisons objectives de réussir cette nouvelle orientation de l'Otan et de revenir à la définition originelle du président Truman : « le devoir des grands États est de servir et non de dominer le monde ». L'Europe sait désormais qu'elle doit compter d'abord sur elle. Les deux pays qui investissent le plus dans une défense conséquente, la Grande-Bretagne et la France respectivement 2 % et 1,8 %, % de leur PIB, ont mis en place les prémices de cette défense de l'Union à Saint-Malo. Le budget américain de la défense -4 % du PIB- ne pourra survivre à la crise : les États-Unis n'ont plus les moyens de leur hégémonie et l'hybris américain, « nous avons raison car nous sommes les plus forts », source de tant de catastrophes, ne sera plus acceptée.
Pour conclure, je citerai les propos de Bronislaw Geremek : « Il ne faut pas sous-estimer le potentiel des structures et des procédures dont dispose l'Otan. Mais elle devrait être une structure de sécurité européenne. Pour cela, j'ose dire que le rôle de la France et des décisions françaises sont absolument capitales. » (Applaudissements au centre, sur certains bancs à droite et sur certains bancs socialistes)
Mme Dominique Voynet. - La décision est donc prise. Quoi qu'il se dise dans cet hémicycle, dans un débat sans enjeu, la décision est prise. Le Président de la République l'a largement annoncée, sans négliger les grandes proclamations sur l'indépendance nationale, sans oublier non plus le discours d'édification de sa propre gloire... Elle a été notifiée au secrétaire général de l'Organisation et à nos partenaires. La décision est prise, ce qui pose le problème, à nouveau, du rôle du Sénat, dont on a prétendument redoré le lustre...
M. Didier Boulaud. - Du pipeau !
Mme Dominique Voynet. - ...pour mieux l'humilier.
Le Président de la République a longuement exposé le 11 mars les raisons pour lesquelles il entendait voir revenir la France dans le commandement militaire intégré de l'Otan, à rebours de la position originale de notre pays, maintenue depuis 1966 par les quatre successeurs du général de Gaulle.
A la lecture de ce discours, l'impression qui domine, c'est que la position qu'il soutient est en retard sur les enjeux du monde. Exception faite des quelques passages obligés sur les risques de demain -l'énergie, le climat, les ressources en eau-, le Président de la République semble parler du monde d'hier.
Et pourtant : « Un concept stratégique n'est pertinent que s'il est adapté à la situation non pas que connaît notre pays mais qu'il va connaître. Car, non seulement on ne doit pas avoir de retard dans la définition d'un concept stratégique mais de préférence, il faut avoir de l'avance ». Ces mots sont du Président de la République. Je suis, comme vous sans doute, désolée de constater qu'il n'a pas pris au sérieux ses propres recommandations.
M. Didier Boulaud. - Il ne s'en souvient même plus...
Mme Dominique Voynet. - Car la décision dont nous débattons répond à tout sauf aux enjeux de demain. L'Otan n'est pas à la hauteur des défis nés, par exemple, de la crise climatique ou des tensions sur les ressources énergétiques dont plus personne, pourtant, ne conteste l'importance stratégique. Et c'est logique ! Qui pourrait sérieusement penser qu'un outil né de la Seconde Guerre mondiale, un outil qui a connu ses plus belles heures sous la Guerre froide, pourrait, sans profondes réformes, être encore adapté au monde d'aujourd'hui ?
Que penserions-nous, alors que le président ne cesse de rappeler que nous n'entrons pas dans la logique de la guerre des civilisations, que penserions-nous si, demain, d'autres s'organisaient en alliance militaire régionale ? N'y verrions-nous pas une regrettable entorse à la globalisation de la prévention des conflits, à la préférence affirmée pour les efforts diplomatiques multilatéraux sur les réponses militaires unilatérales ? J'en fais le pari : si d'autres États, dans une autre région du monde voulaient eux aussi construire un concept stratégique hors des Nations-unies, nous y verrions un recul, inadapté à notre époque. Mais il semble, hélas, que ce qui vaut pour les autres ne vaut pas pour nous.
Nous avons entendu de votre bouche, monsieur le ministre, tout et son contraire : que cette décision serait tout à fait anodine, puis qu'elle serait la condition sine qua non du maintien de l'influence française.
Les arguments ne sont pas plus convaincants s'ils sont sans cesse ressassés. Le retour complet de la France dans l'Otan favoriserait l'émergence d'une défense européenne ? Mais pourquoi donc, alors, la présidence française de l'Union a-t-elle échoué sur ce point alors que la décision française était déjà connue ?
M. Hervé Morin, ministre. - Elle n'a pas du tout échoué !
Mme Dominique Voynet. - C'était là une des priorités de la présidence française : on allait voir ce qu'on allait voir ! On a vu... Parmi nos partenaires européens, aucun n'a vu dans cette annonce une volonté de la France de renforcer la politique étrangère et de sécurité commune. Les blocages qui freinent l'émergence d'une véritable défense européenne n'ont rien à voir avec la position de tel ou tel État membre vis-à-vis de l'Otan. Ces blocages sont internes à l'Union et comment mieux illustrer la panne européenne qu'en rappelant le veto opposé à la mise en place d'un état-major européen au motif qu'il ferait double emploi avec celui de l'Otan ?
Et, sachant les contraintes budgétaires qui pèsent sur nous, pourrions-nous faire à la fois plus d'Otan et plus de défense européenne ?
M. Hervé Morin, ministre. - Ce n'est pas une question budgétaire !
Mme Dominique Voynet. - Cette décision unilatérale de la France révèle davantage son alignement que son indépendance, d'autant que la décision était déjà prise lorsque George Bush, et non Obama, dirigeait les États-Unis et, de fait, l'Otan.
On me dit que ce retour complet dans l'Otan n'empêcherait pas la France de faire valoir une voix différente, comme l'a fait l'Allemagne au moment de l'invasion de l'Irak. Rien ne laisse penser que Nicolas Sarkozy saura dire « non ».
M. Josselin de Rohan, président de la commission. - Procès d'intention !
Mme Dominique Voynet. - Jusqu'à présent, il a montré plus d'empressement à s'aligner qu'à résister... (Applaudissements à gauche)
Cette décision est prise sans l'avis du Parlement dont on ne sait si on le craint ou si on se moque. Sans l'avis non plus des Français qui sont stupéfaits de constater, à Strasbourg, qu'une impressionnante mobilisation policière se charge de faire taire toute contestation et cela, paraît-il, sans aucune consigne de la préfecture. Quel zèle !
Si la possibilité nous avait été offerte de voter aujourd'hui, vous vous doutez de ce qu'aurait été mon vote. Privée de ce droit, il me reste celui de vous avertir. Vous faites un très dangereux pari et prenez un risque dont personne ne peut mesurer les conséquences. Loin de renforcer la défense européenne, vous prenez le risque de la voir reculer pour très longtemps. Et la façon dont cette décision a été prise en dit long sur l'estime dans laquelle vous tenez le Parlement et nos concitoyens qui, très largement, s'y opposent. De cette décision, nous paierons le prix dans les années qui viennent. Et je regrette ce temps perdu pour nous tous. (Vifs applaudissements à gauche)
M. Xavier Pintat. - Le Gouvernement vient de réaffirmer de manière très claire les grands principes qui déterminent sa politique étrangère. Au cours des derniers mois, la France a su faire entendre sa voix et défendre ses positions sur tous les dossiers déterminants : la crise financière, le changement climatique, le Proche-Orient, le conflit en Géorgie, la relance de la construction européenne. Et si elle choisit aujourd'hui de participer pleinement aux structures de l'Otan, ce n'est pas pour renoncer au message qu'elle porte sur la scène internationale, ni pour brider le rôle de sa diplomatie, au contraire.
La fin de la guerre froide et tout ce qui fait de la France l'un des principaux acteurs de l'Otan amenaient logiquement à s'interroger sur l'intérêt de vouloir rester en dehors d'instances dans lesquelles sont préparées des décisions qui influent directement sur les opérations où nous sommes engagés. Au demeurant, comme l'a dit le Premier ministre la semaine dernière, il s'agit de franchir la « dernière marche » d'un rapprochement devenu très étroit dans les opérations dans les Balkans, à la fin des années 1990.
Ce renforcement de notre présence dans les structures de l'Alliance atlantique n'altère en rien les fondements de notre politique étrangère et de notre politique de défense. Et le Président de la République a rappelé le 11 mars les trois principes fondamentaux qui ne sauraient être remis en cause : la liberté d'appréciation des autorités politiques françaises, l'indépendance nucléaire de la France et la liberté de décision sur l'engagement de nos forces. Personne ne peut douter que l'indépendance nucléaire de la France sera préservée, non seulement parce que notre pays restera en dehors du Groupe des plans nucléaires de l'Otan, instance dont le rôle est d'ailleurs très limité, mais, surtout, parce que la dissuasion conserve un rôle essentiel dans notre stratégie de défense. C'est ce que vient de confirmer le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, alors que le projet de loi de programmation prévoit les moyens permettant d'assurer la crédibilité de notre dissuasion dans la durée.
M. Didier Boulaud. - Quelle programmation ?
M. Xavier Pintat. - Notre dissuasion indépendante reste la garantie ultime de notre sécurité. Elle est aussi un élément très important de notre stature au plan international.
La dissuasion concourt à la liberté d'appréciation des autorités françaises, autre principe fondamental rappelé par le chef de l'État. Cette liberté, nous entendons également la renforcer au cours des prochaines années en développant nos moyens propres de connaissance et d'anticipation des situations.
Le rôle moteur que nous jouons en Europe dans le domaine spatial et nos projets ambitieux de satellites d'observation et de renseignement illustrent également notre volonté de conserver l'entière maîtrise de nos choix. Nous savons l'apport crucial de ces capacités pour l'autonomie de décision dans les situations de crise. En se donnant les moyens de son autonomie, la France démontre qu'elle ne confond pas alliance avec dépendance ou subordination.
M. René-Pierre Signé. - Soumission !
M. Xavier Pintat. - Enfin, notre pays doit continuer à oeuvrer en faveur de l'Europe de la défense : il en va de l'efficacité de notre défense, de la pérennité de nos industries et de la capacité de l'Europe à agir par elle-même lorsqu'elle le souhaite. Le Président de la République et le Gouvernement ont démontré par leurs actes, tout au long de ces derniers mois, que la France n'y renonçait pas. C'est rendre un mauvais service à l'Europe que d'opposer l'Alliance atlantique et la défense européenne. Comment convaincre nos partenaires européens, qui pour 21 d'entre eux sont membres de l'Otan, de bâtir avec nous une défense commune si nous posons comme principe que la pleine participation à l'Otan est incompatible avec nos ambitions ? (M. Josselin de Rohan, président de la commission, marque son approbation) En rejoignant le commandement intégré de l'Otan, nous permettrons à une approche européenne commune de voir le jour.
La décision que nous venons de prendre...
M. Didier Boulaud. - Nous n'avons pris aucune décision ! Nous avons appris cette nouvelle dans le journal !
M. René-Pierre Signé. - C'est une décision a posteriori !
M. Didier Boulaud. - Le Sénat n'existe plus !
M. Xavier Pintat. - Cette décision ne remet pas en cause les grandes lignes de notre politique. Nous devrons profiter de notre présence renforcée dans l'Otan pour faire valoir nos positions, à la fois sur l'avenir de l'Otan dont le concept stratégique doit être bientôt révisé et sur la conduite des opérations. La France continuera, j'en suis sûr, à faire entendre sa voix pour préserver la paix et la sécurité dans le monde. (Applaudissements à droite)
M. Jean-Pierre Chevènement. - Personne ne nous avait demandé de rejoindre les structures militaires intégrées de l'Otan : ni les États-Unis, ni nos alliés européens.
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. - C'est vrai !
M. Jean-Pierre Chevènement. - Cette décision, le Président de la République l'a prise seule, sans débat préalable. A l'Assemblée nationale, le Gouvernement a pris sa majorité en otage en recourant à l'article 49-1 de la Constitution ; au Sénat, il n'y a eu ni débat, ni vote.
M. Hervé Morin, ministre. - Que faisons-nous en ce moment ?
M. Jean-Pierre Chevènement. - S'il y avait eu un véritable débat au Parlement et dans le pays, le résultat eût été tout autre. (Protestations sur les bancs UMP)
Le Président de la République a justifié sa décision par l'évolution du contexte stratégique depuis 1966. A l'époque, le général de Gaulle craignait que la doctrine américaine de la « riposte graduée » ne fît de la France un champ de bataille alors même que ses intérêts directs n'eussent pas été directement engagés. Mais il craignait aussi que nous ne fussions entraînés dans des guerres qui ne fussent pas les nôtres, comme la guerre du Vietnam qu'il fustigea à la même époque dans son discours de Phnom Penh.
M. Hervé Morin, ministre. - La décision de 1966 n'a rien à voir avec la guerre du Vietnam !
M. Jean-Pierre Chevènement. - Cette éventualité n'a nullement disparu. Le risque de nouvelles guerres s'est concrétisé en Irak, et il le sera demain peut-être au Proche-Orient, en Iran, au Pakistan, dans le Caucase ou en Asie de l'Est. (M. Didier Boulaud et Mme Monique Cerisier-ben Guiga approuvent)
Le Président de la République a évoqué, en reprenant les analyses du Livre blanc sur la défense, l'apparition de nouvelles menaces liées à la mondialisation : concept flou sous lequel on subsume une multiplicité de phénomènes contradictoires du monde contemporain et qui n'explique rien. Ces analyses négligent le rôle des États et l'évolution de la géographie de la puissance. La crise économique et financière actuelle, ainsi que l'enlisement militaire américain en Irak et en Afghanistan, montrent que les États-Unis ne sont plus en mesure de dominer seuls le reste de la planète, peut-être même de le dominer du tout. La montée en puissance de pays milliardaires en hommes comme la Chine et l'Inde, le retour de la Russie et d'anciennes nations, l'émergence de nouvelles puissances structureront le paysage stratégique bien plus que ce que l'on désigne par le concept-valise de « mondialisation ».
A l'orée de ces temps nouveaux, le Président de la République place la France dans le sillage des États-Unis. Il souligne l'appartenance de notre pays à la « famille occidentale », oubliant que nous sommes d'abord des membres de la famille humaine. (Exclamations au banc des ministres) Le risque est grand que l'Otan ne cherche à devenir une sorte d'ONU bis, alors que nous siégeons en tant que membres permanents au Conseil de sécurité de l'ONU aux côtés de la Russie et de la Chine.
Le retour de la France dans les structures militaires intégrées de l'Otan est un contresens géopolitique. Ce que les Américains nous demandent, c'est d'être des auxiliaires dans leur entreprise pour refonder leur leadership international. Laissez-moi vous citer M. Brzezinski, ce conseiller qui reste influent dans les milieux démocrates : « Tout en arguant qu'ils ne sont pas en mesure d'intervenir militairement, les Européens insistent pour prendre part aux décisions. (...) Même si les États-Unis demeurent la première puissance mondiale, nous avons besoin d'une alliance forte avec l'Europe pour optimiser notre influence respective. » Il ajoute : « L'Europe peut faire beaucoup plus sans déployer d'efforts surhumains et sans acquérir une autonomie telle qu'elle mette en danger ses liens avec l'Amérique. »
M. Didier Boulaud. - Tout est dit !
M. Jean-Pierre Chevènement. - En effet : on ne peut être plus clair.
M. Bernard Kouchner, ministre. - De quelle année date ce discours ?
M. Jean-Pierre Chevènement. - L'Otan est un moyen de solliciter davantage la contribution militaire des Européens à des opérations décidées à Washington tout en empêchant que l'Europe se dote d'une défense autonome. Or celle-ci est la condition sine qua non d'une politique étrangère indépendante.
Vous prétendez que la France restera indépendante au sein de l'Otan, méconnaissant ainsi l'effet d'entraînement de cette décision. Sept cents officiers dans les états-majors de l'Otan, cela crée un tropisme dans nos armées que l'on déshabitue ainsi de penser en termes nationaux. L'argument selon lequel l'Allemagne ou la Turquie ont pu refuser de participer en 2003 à l'invasion de l'Irak ne tient pas : c'est un fusil à un coup. Lorsque l'on est assis en permanence à la même table, on ne peut dire non tout le temps. Le Président de la République veut faire croire que la France pourra peser sur les décisions de l'Otan. C'est un sophisme : chacun sait que les vraies décisions ne se prennent pas dans les états-majors de l'Otan mais à la Maison Blanche.
Vous méconnaissez aussi le poids des symboles. Depuis 1966, nous nous sommes tenus à distance de l'Otan, ce qui nous a fait considérer comme un pays non aligné. (MM. les ministres s'agacent de ce qu'ils considèrent comme un anachronisme) C'est à cela que vous allez mettre fin. Vous dites que ce n'est qu'une impression, que notre pays restera indépendant. Mais en politique internationale, l'impression est tout ! (MM. les ministres ironisent)
Le Président de la République prétend que notre réintégration complète dans l'Otan favorisera le développement d'une défense européenne : en nous faisant plus blancs que blancs, nous dissiperions des suspicions freinant ce projet. C'est une vision bien naïve des choses : il n'y a pas de défense européenne parce que les États-Unis n'en veulent pas, parce que les Britanniques s'opposent à la mise en place d'un état-major significatif et parce que les autres pays européens ne sont pas prêts à faire l'effort de se défendre par eux-mêmes. En France aussi le risque est grand, alors que notre effort budgétaire de défense n'a jamais été aussi faible, que l'esprit de défense ne s'affaiblisse.
Nous nous exposons à nous laisser entraîner dans de nouvelles guerres et politiques qui ne sont pas les nôtres, pour reprendre l'expression du général de Gaulle. Malgré les nouvelles orientations de la politique américaine, M. Obama n'en souhaite pas moins restaurer le leadership de son pays et ouvrir la voie à un « nouveau siècle américain ». Or, à l'heure où une grave crise frappe l'économie mondiale, la guerre ne risque-t-elle pas d'apparaître aux yeux de dirigeants aux abois, en Iran ou ailleurs, comme un moyen de forcer le destin ? (Marques d'approbation à gauche)
Nous nous apprêtons à fermer une base militaire en Afrique centrale, zone d'influence traditionnelle de la France et réservoir de richesses, mais nous ouvrons une nouvelle base à Abou Dabi, dans une région où notre autonomie stratégique est nulle.
Avec la Chine, nous connaissons une brouille que j'espère passagère, due à des impairs et des susceptibilités mais aussi -qui peut en douter- à notre changement de posture vis-à-vis des États-Unis.
Les États-Unis n'ont pas renoncé à faire entrer un jour l'Ukraine et la Géorgie dans l'Otan : ce jour-là, notre partenariat stratégique avec la Russie deviendra purement rhétorique.
M. Didier Boulaud. - En effet, le Gouvernement n'est pas clair à ce sujet !
M. Jean-Pierre Chevènement. - L'indépendance nationale ne se définit pas contre les États-Unis, avec qui nous pouvons être alliés tout en conservant notre autonomie. Je souhaite ainsi que nous venions en aide au Président Obama dans un puissant effort de relance coordonné à l'échelle mondiale. Mais dans le monde multipolaire de demain, il y a place pour une diplomatie française indépendante, qui oeuvre pour la construction d'un pôle européen capable de peser sur la scène mondiale. La décision du Président de la République rendra cet objectif beaucoup plus difficile à atteindre : je vous le dis avec tristesse. (Applaudissements à gauche et sur les bancs du RDSE)
M. Michel Boutant. - Dans une lettre adressée à chacun d'entre nous le 12 mars dernier, M. le président et MM. les questeurs du Sénat écrivaient : « Le Sénat se trouve aujourd'hui à la croisée des chemins. Il l'est, sur le plan institutionnel, avec l'entrée en vigueur de la révision constitutionnelle. (...) Il l'est aussi sur le plan politique, dans un contexte de regain d'un certain antiparlementarisme, qui plus est -fait nouveau par rapport à d'autres périodes- largement tourné contre la Haute assemblée. »
Or ce débat, au cours duquel nous sommes censés donner notre avis sur les orientations de la politique étrangère de la France, n'en est pas un : la question du retour de la France dans le commandement intégré de l'Otan a déjà été tranchée. La façon extrêmement cavalière dont le pouvoir exécutif nous traite nourrit l'antiparlementarisme et le dénigrement du Sénat. (Applaudissements à gauche)
M. Didier Boulaud. - Très bien !
M. Michel Boutant. - Le Président de la République a déclaré le 20 mars dernier : « la France a décidé de reprendre toute sa place au sein de l'Otan après le débat au Parlement français ». Messieurs les ministres, monsieur le président, le Sénat fait-il encore partie du Parlement ? (Même mouvement)
M. Didier Boulaud. - Excellente question !
M. Michel Boutant. - Le Président de la République, qui est censé veiller sur les institutions, fait de l'irrespect un facteur de rupture dans notre société.
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. - Très bien !
M. Michel Boutant. - La question du retour de la France dans le commandement intégré de l'Otan peut paraître aujourd'hui moins pressante en raison de la crise économique et sociale et du changement de présidence aux États-Unis. Je remarque que M. Obama n'a pas dit grand-chose pour l'instant sur le sujet qui nous préoccupe.
M. Didier Boulaud. - Il a dit : « Merci Sarkozy » !
M. Michel Boutant. - Pourquoi ce retour après 43 années en dehors d'une organisation dont le but était de faire bloc durant la guerre froide ? Ne fallait-il pas d'abord s'interroger sur une doctrine nouvelle et sur le périmètre ? A-t-on perdu de vue la singularité de la France, à la fois en retrait de l'Otan et alliée fidèle ? Rappelons-nous les semaines précédant la deuxième guerre d'Irak et les aveux du président Bush...
Le 24 septembre 2007, le Président de la République déclarait au New York Times conditionner l'entrée dans une structure intégrée à une avancée sur l'Europe de la défense. Quelles conditions avait-il fixées ? La construction de l'Europe de la défense a-t-elle progressé et sur quelles bases ? N'aurait-on pu progresser durant la présidence française de l'Union européenne vers une politique sans arrogance mais ferme dans un monde multipolaire ? On a gâché là la possibilité d'émanciper l'Europe, qui se maintiendra dans l'orbite des États-Unis, comme si elle n'avait pas donné naissance à la démocratie et su tirer les leçons de ses déchirements meurtriers pour construire la paix et donner l'espoir au monde. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. Didier Boulaud. - Très bien dit ! Et ça les dérange...
M. André Lardeux. - Je remercie le président du groupe UMP de permettre à un point de vue divergent de s'exprimer dans ce débat qui ne porte pas sur l'ensemble de la politique étrangère mais sur notre intégration au commandement militaire de l'Otan. Même si la lettre et l'esprit de nos institutions permettait la procédure retenue, un large débat suivi d'un vote aurait été préférable. On noie en effet cette question. Alors que l'égoïsme sacré des États fait que les traités ne sont que des accords avec arrière-pensées, c'est aujourd'hui « circulez, il n'y a rien à voir ! ».
Je veux faire connaître, par souci de clarté, mes interrogations et mes doutes, partagés par un certain nombre de collègues de l'UMP, comme Adrien Gouteyron.
M. Didier Boulaud. - C'est pour ça qu'il n'y a pas de vote !
M. André Lardeux. - Pas besoin de faire parler les morts. Qu'auraient fait de Gaulle, Pompidou ou Mitterrand ? Personne ne peut le dire : laissons-les tranquilles ! La véritable question est celle de la pertinence du choix de l'Otan et de sa formation ou de l'obsolescence de celle-ci depuis la guerre froide. Il fallait y réfléchir avant !
Pour l'instant, je n'ai entendu aucune réponse convaincante à certaines questions. Quels avantages la France va-t-elle en tirer ? Quelles sont les contreparties aux strapontins concédés, quel est leur coût politique et financier, au détriment de qui ? Quelles sont les conséquences pour nos forces armées et, si cela ne change rien, pourquoi aller dans ce sens ?
Le premier risque est celui de l'alignement : en changeant de politique étrangère, on risque d'apparaître comme des suiveurs des États-Unis et d'y perdre une part importante de notre capital diplomatique. Malgré la règle de l'unanimité, on pourrait être entraîné dans des aventures et s'enliser, comme en Afghanistan. Si les États-Unis sont nos alliés, nous n'avons pas à être leurs vassaux. Or l'Otan n'a pas évolué depuis soixante ans et, si la nouvelle administration américaine semble moins aventureuse, est-elle prête à partager les responsabilités ? Il eût été plus sage d'attendre et de voir.
Il n'y pas rééquilibrage des responsabilités entre l'Amérique et l'Europe. Bien que je ne sois guère partisan de l'Europe telle qu'elle se fait, je m'interroge sur la cohérence entre cette décision et la politique européenne de défense. Le nouveau format de nos armées est-il compatible avec l'hypothèse de nouvelles interventions ? J'espère que ce n'est pas le constat d'un affaiblissement dû à un laxisme budgétaire qui nous enlève toute marge de manoeuvre : je ne suis pas certain que nous ayons les moyens budgétaires de notre politique.
S'il y avait eu vote, j'aurais voté contre la réintégration. « La participation de la France au replâtrage de l'Alliance atlantique s'inscrit à contretemps de l'histoire », déclarait un haut responsable politique. Il serait paradoxal de se résigner aux contraintes d'un protectorat et de sacrifier l'intérêt supérieur du pays. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. Josselin de Rohan, président de la commission. - Je voudrais répondre à des interpellations. J'ai beaucoup de considération pour M. Mermaz auquel je pourrais opposer que « tout point de vue est faux », même si c'est de Valéry et non de Baudelaire. Quant à la réversibilité, vous l'incarnez. Certes, vous n'étiez pas député en 1966 lors du débat de censure voulu par la gauche, à l'exception du parti communiste, après la décision du général de Gaulle de quitter l'Otan. Avec quelle force, quelle véhémence François Mitterrand ne s'est-il pas exprimé. « C'est scandaleux », disait-il, « votre politique extérieure est nationaliste, une sorte de poujadisme aux dimensions de l'univers ». Etes-vous poujadiste, monsieur Mermaz ? (M. Louis Mermaz demande à répondre) Ce que disait Maurice Faure, ce n'était pas beaucoup mieux : « Je constate que les engagements pris ne confèrent à l'état-major interallié que des responsabilités très réduites en temps de paix ». C'est rigoureusement exact...
M. Yannick Bodin. - Il y a quarante ans !
M. Josselin de Rohan, président de la commission. - Quant à M. Defferre, connu pour sa modération, il déclarait : « Au lieu d'expliquer une politique, on crée un climat de haine contre les États-Unis en exploitant les sentiments de xénophobie les plus méprisables ».
De même, vous avez parlé de la nécessité de maintenir notre force nucléaire. Nous sommes tous d'accord : elle reste en dehors du commandement intégré alors qu'il avait été question de la supprimer dans les 110 propositions. (Protestations sur les bancs socialistes)
M. Didier Boulaud. - C'est faux !
M. Josselin de Rohan, président de la commission. - Des orateurs ont reproché au Gouvernement de ne pas avoir demandé au Sénat l'approbation d'une décision qui incombe au Président de la République.
Jamais le général de Gaulle n'a sollicité un vote sur le retrait de l'Otan, pas plus que Jacques Chirac quand il a réintégré les comités...C'est une tradition de la Ve République, pour une raison simple : le Président de la République est irresponsable devant le Parlement.
M. Charles Gautier. - Pas que devant le Parlement !
M. Josselin de Rohan, président de la commission. - J'ai connu un grand nombre de premiers ministres socialistes ; je n'en ai connu qu'un qui ait demandé au Sénat d'approuver une déclaration de politique étrangère, M. Michel Rocard.
Que demandait-il d'approuver en 1988 ? La politique de son gouvernement vis-à-vis de la Pologne du général Jaruzelski. Le groupe RPR du Sénat avait alors refusé, et c'est à son honneur, de voter l'approbation. Quant à M. Jospin, je ne sache pas qu'il ait jamais sollicité l'approbation sur aucun point ni de politique intérieure, ni, encore moins, de politique extérieure. Il y a pourtant eu l'intervention au Kosovo.
M. Didier Boulaud. - Qui était Président de la République ?
M. Josselin de Rohan, président de la commission. - Nous avons bombardé Belgrade. Avons-nous été sollicités ?
Pour l'intervention en Afghanistan, sous la cohabitation, ni le Président de la République ni M. Jospin n'ont demandé d'approbation de leur politique extérieure. Il n'est, de fait, jamais obligatoire de la solliciter. (Protestations à gauche ; applaudissements sur les bancs UMP ; M. Pierre Fauchon applaudit aussi)
M. Louis Mermaz. - Nous avons, monsieur de Rohan, les mêmes lectures. Je vous invite à rapprocher les débats qui ont eu lieu fin mars 1966 à l'Assemblée nationale et les débats sur la confiance. François Mitterrand y relève que le général de Gaulle ne fait consulter l'Assemblée nationale que trois mois après sa décision de retrait, très partiel, de l'Alliance. Il n'a en outre cessé de dire que le général de Gaulle a toujours pris garde que la France reste sous la protection du parapluie de l'Alliance avant qu'elle ne dispose d'une force nucléaire forte.
Quant à la force nucléaire, il n'a jamais été question, dans les 110 propositions, de l'abandonner.
M. Didier Boulaud. - Il ne les a pas lues.
M. Louis Mermaz. - François Mitterrand, en revanche, a toujours dénoncé ce qu'il appelait la « bombinette » française, parce qu'il pensait alors que la France devait pouvoir prendre la tête d'une grande croisade contre la dissémination nucléaire. Mais dès lors que cela était devenu un fait, l'indépendance de la France exigeait, de son point de vue, qu'elle dispose de la force nucléaire.
Sous la seconde cohabitation, Lionel Jospin a pesé de tout son poids pour que M. Chirac n'accepte pas les conditions américaines, qui ne nous concédaient aucun pouvoir contre une intégration accrue.
Quant à Jaruzelski, ce n'est pas en faire un héros que de ne pas oublier les circonstances : il s'en est fallu d'un cheveu pour que Brejnev fasse donner l'armée rouge. Il appartiendra aux historiens de raconter tout cela avec finesse et intelligence.
M. Hervé Morin, ministre. - Après ce cours d'histoire, je me contenterai de quelques précisions.
Sur la question de l'ordre du jour, je rappelle que le Gouvernement a engagé sa responsabilité sur une déclaration de politique étrangère en vertu de l'article 49, alinéa 1, de la Constitution, qui ne prévoit pas de débat au Sénat. Et qui a été le premier à demander que le Gouvernement engage sa responsabilité sur la question du retour dans le commandement intégré ? M. Ayrault, président du groupe socialiste de l'Assemblée nationale !
Mme Catherine Tasca. - Tout cela n'interdisait pas un débat au Sénat.
M. Hervé Morin, ministre. - C'est la Conférence des Présidents du Sénat, enfin, qui a souhaité que le débat n'ait pas lieu le même jour, donc le soir, et préféré disposer du temps nécessaire, au cours d'un après-midi, pour aller au fond des choses.
On ne peut reprocher au Gouvernement d'avoir répondu à l'appel de M. Ayrault et à la demande de votre Conférence des Présidents ! (Applaudissements sur les bancs UMP ; M. Pierre Fauchon applaudit aussi)
Prétendre, monsieur Chevènement, que la décision du général de Gaulle de sortir du commandement intégré est liée à la situation au Vietnam et au discours de Phnom Penh, me semble un raccourci un peu particulier... De la lettre du général, il ressort trois raisons. Il souhaite sortir de la logique des blocs issue de la guerre froide pour que la France porte, en une période de relatif réchauffement, un autre message ; il ne souhaite pas voir de forces étrangères sur le territoire national, ni qu'il soit survolé par les forces américaines ; il est en plein débat avec les Américains sur l'indépendance de notre force dissuasive. Voilà pourquoi il décide de quitter le commandement intégré.
Quand certains parlent de notre réintégration dans ce commandement, on a l'impression que nous n'aurions jamais participé à l'Alliance. Mais nous en sommes membres, nous avons signé le traité de Washington en 1949, nous sommes tenus par l'article 5 ; depuis le milieu des années 1990, nous avons parcouru un chemin considérable, participé à tous les engagements militaires, y compris du temps de Mitterrand, en Bosnie ; le Président de la République a donné son accord, à partir de 1995, pour que le chef de notre état-major participe au comité d'état-major ; nous participons aux forces de réserve stratégique depuis 2001 ; nous sommes le meilleur élève de l'Alliance... Nous participons à la force de réaction rapide depuis sa création... Tout cela, sans que personne n'y ait jamais trouvé rien à redire, quel que soit le gouvernement. Nous commandons des opérations de l'Alliance : deux fois au Kosovo, en 2003 et 2004 en Afghanistan.
Depuis quinze ans, ces évolutions nous ont conduits à réintégrer 38 comités et à « insérer », selon une drôle d'expression, plus d'une centaine d'officiers dans l'état-major. Notre retour est presque entier, sans pourtant que nous soyons assez présents pour participer à la réflexion et à l'élaboration des opérations, à la direction stratégique sur les engagements.
Que les hommes, sur le terrain, sachent que je veux que les officiers participent aux réflexions de l'état-major. Comment accepter que nos soldats soient engagés, au risque de leur vie, sans cela ? (Applaudissements sur les bancs UMP)
L'Otan d'aujourd'hui n'est pas celle d'hier. En 1966, le système était quasi automatique. S'il fallait envahir la Tchécoslovaquie et la RDA, nous nous devions de participer. Aujourd'hui, nous sommes dans un système à la carte. Nous choisissons de participer ou non aux opérations ; nous posons des conditions à l'envoi de nos troupes, nous exigeons un double commandement. Les réserves opérationnelles, en Afghanistan, sont la preuve que nos forces militaires sont certes sous le commandement de l'Otan, mais restent sous contrôle national. Chaque pays dit dans quelles conditions ses forces peuvent être engagées.
Sur l'Europe de la défense, ce n'est qu'en accédant aux responsabilités qui sont les miennes que j'ai vraiment pris conscience que pour les Européens, c'est l'Alliance qui constitue le système de sécurité collective. (M. Bernard Kouchner, ministre, le confirme) L'article 42 du traité de Lisbonne en donne la traduction institutionnelle, dans son 7e alinéa, qui stipule que les engagements et coopérations menées par la PESD demeurent conformes aux engagements souscrits au sein de l'Otan, qui reste, pour les États qui en sont membres, le fondement de leur défense. 21 sur 26 en sont membres : c'est bien là une majorité.
Pour les Européens, le soupçon a toujours existé que nous poussions la politique de défense commune dans la perspective d'affaiblir l'Otan. Tant qu'il persistait, l'Europe de la défense ne pouvait progresser. La présidence française lui a donné un nouvel élan. (M. Didier Boulaud le conteste) Pas en clamant bien fort des mots souvent vides de contenu, mais par une approche pragmatique, en lui donnant des capacités financières nouvelles. M. Pintat a justement évoqué le programme satellitaire Musis, qui permet d'analyser et de prévenir les crises.
Le programme hélicoptères tendant à accroître les capacités héliportées en Europe centrale a été lancé sous la présidence française. Le groupe aéronaval européen aussi. La flotte européenne de transport tactique aussi. Le réseau de surveillance maritime unifié, de la Baltique à la Méditerranée, aussi.
Et si nous avons pu faire tout cela, c'est parce que nous avons levé le doute que pouvaient avoir les Européens sur nos intentions à l'égard de l'Otan. L'opération Atalante, sans précédent en Europe, a été engagée sur proposition franco-espagnole. Les Européens ont été les leaders du monde sur cette question et ils ont été rejoints par les Chinois, les Russes et, pour la première fois depuis 1945, les Japonais ! Les Européens ont compris le message de la France. (M. Daniel Reiner s'indigne) Les Britanniques ont même accepté de prendre le commandement de l'opération, c'est tout dire ! Le centre de commandement se situe donc à Norwood.
Oui, l'agence européenne de défense a été créée en 2004, mais elle n'a rien fait depuis. Elle n'avait jamais mené le moindre programme de recherche sérieux avant notre intervention. Et je ne peux m'empêcher de sourire quand j'entends les sénateurs siégeant sur la gauche de l'hémicycle invoquer la politique de la défense européenne après s'être opposés violemment au traité constitutionnel...
Mme Michelle Demessine. - Nous prônons une autre défense européenne, pas l'abandon de toute politique ! Il n'y a pas un seul et unique modèle.
M. Hervé Morin, ministre. - Ils seraient bien avisés de prendre un peu de recul.
M. René-Pierre Signé. - Vous en avez besoin également.
M. Hervé Morin, ministre. - Qui peut sincèrement croire que notre politique étrangère sera considérée comme profondément infléchie parce que nous participerons à quelques réunions d'états-majors ? Notre indépendance, en politique étrangère, dépend de notre capacité à porter un message. C'est notre colonne vertébrale. Nous sommes alliés des États-Unis mais libres et debout. La France est perçue comme appartenant à la famille des démocraties occidentales, avec une voix capable de faire entendre un autre message que les Américains, capable de s'opposer.
L'évolution de l'Otan est un vrai sujet. Il constituera l'un des thèmes du sommet de Strasbourg. Mais comment participer à la rénovation des concepts stratégiques, à la réflexion sur les missions de l'Otan, sur son élargissement, sur la réforme des structures, tout en étant hors de ces structures ? Pour que les Européens soient mieux pris en compte dans l'Alliance, il faut qu'ils y participent.
Mme Michelle Demessine. - La réflexion ne se passe pas seulement à l'intérieur car nous sommes tous concernés et nous aurons notre mot à dire.
M. Hervé Morin, ministre. - Le temps est aussi venu de bâtir un partenariat de confiance et de paix avec la Russie. Cela impose une démarche transparente et un dialogue. Les Américains et le président Obama ont décidé de s'engager dans cette voie ; et l'Alliance doit construire ce partenariat avec les Russes. Déjà, M. Obama a choisi de renoncer au déploiement des antimissiles.
Mme Michelle Demessine. - Heureusement !
M. Hervé Morin, ministre. - Le retour dans le commandement intégré de l'Otan est le meilleur moyen...
M. Didier Boulaud. - Vous avez changé d'avis. Vous ne disiez pas cela à notre commission l'année dernière encore !
M. Hervé Morin, ministre. - ...pour que progresse l'Europe de la défense. (Applaudissements à droite et au centre)
M. le président. - Je donne acte au Gouvernement de sa déclaration.
présidence de Mme Catherine Tasca,vice-présidente